Mme la présidente. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisie d’aucun amendement.
Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?…
Le vote est réservé.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…
Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt et une heures cinquante-cinq, est reprise à vingt-deux heures.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
9
Code de la justice pénale des mineurs
Adoption définitive des conclusions modifiées d’une commission mixte paritaire sur un projet de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2019-250 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs (texte de la commission n° 342, rapport n° 341).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme Agnès Canayer, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, tout engagement génère des compromis. C’est le propre même de notre système bicaméral, qui impose la conciliation des points de vue, sans renier ses convictions, pour aboutir à l’adoption de réformes conformes à l’intérêt général. C’est dans cet esprit que le Sénat a abordé l’examen du projet de loi ratifiant l’ordonnance du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs.
Je me félicite de ce que, grâce à nos échanges avec le rapporteur de l’Assemblée nationale, Jean Terlier, et avec M. le garde des sceaux, nous ayons pu parvenir à un accord en commission mixte paritaire qui entérine des avancées attendues dans la lutte contre la délinquance des mineurs. En effet, la réforme de l’ordonnance du 2 février 1945 était devenue urgente. Les signaux de son épuisement sont nombreux, à commencer par des délais de jugement des mineurs délinquants trop longs, dix-neuf mois en moyenne – des mois qui durent des siècles quand on a 17 ans… Cette lenteur ne permet plus à la justice d’apporter une réponse pénale efficace aux mineurs, souvent devenus majeurs lors de leur jugement. Le taux d’incarcération en détention provisoire de plus de 80 % des mineurs emprisonnés prouve, là aussi, la faillite de notre système pénal.
Mais urgence ne veut pas dire précipitation. Certes, la réforme de la procédure pénale des mineurs est un sujet mûrement réfléchi qui a mis du temps à se réaliser. Dès 2008, le rapport Varinard proposait au garde des sceaux de l’époque l’introduction de la césure. Depuis lors, pendant dix ans, de nombreux rapports parlementaires ont alimenté la réflexion sur la lutte contre la délinquance des mineurs, tels que celui, réalisé par nos anciens collègues Catherine Troendlé et Michel Amiel, qui était relatif à la réinsertion des mineurs incarcérés.
La réforme s’est accélérée en novembre 2018, à l’occasion de l’examen du projet de loi de programmation de la justice, lors duquel l’adoption d’un amendement autorisa le Gouvernement à procéder à la réforme du droit pénal applicable aux mineurs par voie d’ordonnance. Un an plus tard, l’ordonnance du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs était publiée ; je vous propose désormais de la ratifier.
La modification de la procédure pénale applicable aux mineurs est une réforme attendue par l’ensemble des acteurs de la justice des mineurs – magistrats spécialisés, avocats, éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse, greffiers… –, mais elle engage aussi la transformation de leurs pratiques professionnelles, ce qui génère de nombreuses craintes. C’est pourquoi cette réforme d’ampleur doit entrer en vigueur dans les meilleures conditions possible, sans précipitation.
Nous nous félicitons que l’Assemblée nationale et le Gouvernement aient accepté de s’en remettre à la sagesse du Sénat, qui, d’emblée, a proposé l’entrée en vigueur de ce texte, non pas au 31 mars 2021, comme cela était initialement prévu, mais au 30 septembre de la même année. La crise de la covid-19 et la grève des avocats en 2020 ont considérablement bouleversé le fonctionnement des juridictions, notamment de celles qui sont spécialisées dans la justice des mineurs. Nombre d’entre elles n’ont pas pu résorber suffisamment le stock d’affaires en cours de manière à pouvoir assimiler, à compter du 31 mars prochain, une nouvelle réforme dans des conditions satisfaisantes. En outre, nous espérons que le report de son entrée en vigueur au 30 septembre permettra que les logiciels informatiques dédiés soient mis à jour.
Ce report voulu par le Sénat doit servir la réforme du nouveau code de la justice pénale des mineurs, car nous sommes persuadés que les nouveaux outils juridiques permettront de mieux répondre à l’évolution de la délinquance des mineurs. C’est pourquoi le Sénat a, dans sa grande majorité, considéré que la césure, qui est au cœur de la réforme en ce qu’elle allie une audience de culpabilité, un temps éducatif et une audience de sanction, permettra non seulement d’accélérer la procédure, mais surtout de favoriser sa compréhension par le jeune qui en fait l’objet. L’efficacité de la réponse pénale réside dans la réactivité et la pédagogie.
Les sénateurs ont aussi considéré que la réforme devait aller au bout des principes cardinaux de la justice pénale des mineurs, tels qu’issus de l’ordonnance de 1945 et repris dans celle de 2019, s’agissant notamment de l’âge du discernement. Si celui-ci fait débat, nous pensons que l’âge pivot de 13 ans est conforme au droit positif français, et nous nous réjouissons que l’introduction de la définition du discernement dans la partie législative du code pénal des mineurs ait été reprise par les députés ; elle guidera le juge dans son appréciation.
En revanche, nous regrettons que le principe de spécialisation des juridictions pour les mineurs ne soit pas appliqué dans son ensemble. Dès lors, le recours au juge des libertés et de la détention (JLD), même habilité, pour la mise en détention du mineur avant l’audience de culpabilité, ne nous paraît pas totalement garantir le principe de spécialisation. De même, le maintien de la compétence du tribunal de police pour juger les mineurs auteurs de contraventions des quatre premières classes demeure une entorse au principe de spécialisation du juge des enfants, garant d’une justice plus éducative. Cependant, nous entendons l’argument du Gouvernement sur les difficultés qu’engendrerait un transfert supplémentaire de contentieux dans les cabinets des juges des enfants, alors même qu’ils doivent mettre en œuvre une réforme venant modifier leurs pratiques.
La réussite de la réforme dépendra des moyens humains et matériels, notamment informatiques, qui seront affectés aux juridictions des mineurs. Elle dépendra surtout de la fluidité et de l’agilité de la nouvelle procédure, pour mieux répondre à la délinquance des mineurs. Cela imposera un renforcement des liens entre magistrats spécialisés et éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse, afin qu’aucun temps de latence entre les différentes étapes de la procédure ne vienne allonger le temps judiciaire et que la continuité éducative soit pleinement assurée.
À cette fin, le Sénat a adopté plusieurs amendements, repris dans le texte de la commission mixte paritaire, ayant pour objet la numérisation du dossier unique de personnalité, l’obligation de fixer la date de mise en œuvre de la prise en charge éducative par la protection judiciaire de la jeunesse à l’audience de culpabilité et la possibilité de convoquer les parents par tous moyens afin d’éviter des reports d’audience pour de simples raisons formelles.
Enfin, l’introduction d’un stage de responsabilisation prononcé, en plus de l’amende, à l’encontre des parents de mineurs délinquants qui ne se rendent pas aux convocations du juge constitue une avancée dans leur nécessaire responsabilisation.
Vous l’aurez compris, le Sénat se satisfait du texte adopté en commission mixte paritaire. Notre chambre a été entendue sur bien des aspects, en manifestant une volonté de sagesse et de détermination dont nous pouvons nous féliciter. Ce nouveau code de la justice pénale des mineurs démontre notre attachement à la protection de l’enfance, à la responsabilisation des parents, à l’efficacité de la nouvelle procédure pénale et à la clarification du droit, pour une meilleure lutte contre la délinquance des mineurs. Nous vous invitons donc à adopter ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, soixante-seize ans se sont écoulés depuis le 2 février 1945. C’est tout un symbole que nous consacrons aujourd’hui : adopter un code dédié à la justice pénale des mineurs, fondé sur les valeurs de la République voulues par le général de Gaulle. Les modifications successives en avaient fait un texte devenu illisible ; il fallait donc le moderniser.
« La question de l’enfance coupable est une des plus urgentes de l’époque présente », peut-on lire dans le préambule de l’ordonnance de 1945 ; ces mots sont toujours d’actualité en 2021. Nous répondons aujourd’hui aux attentes fortes de la société pour une justice des mineurs claire et efficace. Ce code renforce la primauté de l’éducatif, tout en permettant une réponse pénale cohérente et encadrée dans des délais de procédure.
En instaurant une réponse judiciaire plus proche de l’acte commis, nous rapprochons la justice de nos concitoyens. À proximité de leurs actes, les mineurs seront déclarés responsables pénalement ; avec souplesse, ils seront pris en charge par les services de la protection judiciaire de la jeunesse dans le cadre d’une mesure éducative unique modernisée.
Je souhaite remercier tous les parlementaires qui viennent d’acter des accords politiques rares à l’occasion de la commission mixte paritaire conclusive, puis, cet après-midi, lors du vote du texte à l’Assemblée nationale. Je tiens, madame la rapporteure Canayer, à saluer votre travail rigoureux et constructif, ayant permis d’aboutir à un texte équilibré. Guidés par l’intérêt supérieur du mineur, nos débats ont permis de faire ressortir le consensus démocratique que nous devions collectivement à nos enfants.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous étiez convaincus de la nécessité de cette réforme. Vous étiez aussi impatients de contribuer à l’enrichissement du texte et avez pu aborder des questions essentielles en introduisant la définition du discernement dans la partie législative du code. Vous avez souhaité garantir l’effectivité d’une prise en charge éducative rapide, en imposant la communication au mineur d’une date de mise en place de la mesure dès la première audience. Vous avez étendu l’accès direct au dossier unique de personnalité aux professionnels du secteur associatif habilité.
Vous avez su dépasser les inquiétudes légitimes liées à la nécessaire évolution des pratiques professionnelles, en actant un report de l’entrée en vigueur de la réforme au 30 septembre 2021. S’ouvre alors une nouvelle étape, celle de sa mise en œuvre. Soyez assurés que ce délai supplémentaire sera bien mis à profit pour préparer les acteurs de la justice des mineurs et faire en sorte qu’ils s’approprient ce texte, puisqu’ils seront chargés de mettre en œuvre ces nouvelles dispositions.
Vous avez tout au long des débats souhaité confirmer la confiance, mais aussi la reconnaissance que nous leur devons. Éducateurs, greffiers, magistrats, avocats : tous sont engagés dans la mission si difficile de redonner de l’espoir à nos enfants. Je veux plus particulièrement remercier toutes les équipes de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse. C’est une grande direction, quotidiennement engagée dans la prise en charge des enfants, qui a fait la preuve de sa capacité normative à faire évoluer le droit des mineurs et, ainsi, toute notre société.
Vous avez, durant les débats, entendu vingt fois une célèbre phrase de l’ordonnance de 1945. Je veux ici une dernière fois la citer, pour clore la séquence parlementaire sur cette grande réforme : « La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains. » (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Dominique Vérien. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, chers collègues, je ne reviendrai pas sur le fond de cette réforme – j’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer à ce sujet. Je ne doute pas que chacun ici conserve à l’esprit les apports bienvenus de ce texte. C’est un texte nécessaire et équilibré, qui ne laisse pas le répressif prendre le pas sur l’éducatif et qui ne met pas non plus de côté l’impérative protection de notre société.
Je tiens avant tout à saluer le travail réalisé tant par la commission mixte paritaire que par notre rapporteur Agnès Canayer. Le Sénat et l’Assemblée nationale ont finalement réussi à se mettre d’accord sur un texte commun, grâce à un travail apaisé et constructif autour d’un sujet parfois sensible mais toujours exigeant.
Jean Terlier, rapporteur pour l’Assemblée nationale, a salué un texte « considérablement enrichi » et « l’esprit d’ouverture » dont a fait preuve le Sénat – c’est une position à laquelle je ne peux qu’entièrement souscrire. Nous pouvons aujourd’hui nous féliciter collectivement de l’esprit de responsabilité qui a guidé l’action du Parlement.
J’en profite pour vous adresser tous mes remerciements, monsieur le garde des sceaux : merci de permettre au texte d’Annick Billon de prospérer ; merci de reconnaître que la bonne idée peut venir du Sénat ; merci de nous aider à trouver la possibilité d’obtenir ce que nous n’avions pas obtenu en 2018 de votre prédécesseure.
Je salue enfin Annick Billon, qui a su tenir bon dans la tempête.
Mais revenons à nos mineurs auteurs et à ce texte de compromis.
Mon groupe, comme tous les professionnels qui nous avaient alertés, est satisfait du report de l’entrée en vigueur de cette réforme au 30 septembre prochain ; de la précision apportée sur le discernement du mineur, question centrale de cette réforme, en lien direct avec la présomption d’irresponsabilité pénale du mineur de 13 ans ; de la numérisation du dossier unique de personnalité et de la possibilité ouverte au personnel du secteur associatif habilité d’y avoir accès. Les acteurs de la justice étant nombreux, il arrive trop souvent que l’information ne circule pas entre eux comme cela devrait être le cas.
Nous sommes également satisfaits qu’une date de mise en œuvre des mesures éducatives soit communiquée lors de l’audience de culpabilité. Cela permettra de donner toutes ses chances à la réinsertion, dès le début de la procédure.
Enfin, nous sommes satisfaits de la convocation des parents « par tout moyen », ce qui confère une souplesse nécessaire au juge.
J’en viens à la question du juge des libertés et de la détention, qui constitue sans doute notre plus grand désaccord.
Certes, nos deux assemblées s’accordaient sur la nécessité, au nom du principe de l’impartialité du juge se prononçant sur la culpabilité, d’impliquer un autre magistrat concernant la détention provisoire. L’Assemblée nationale a choisi le JLD, tandis que nous souhaitions confier cette mission à un autre juge des enfants, au nom de la spécialisation. Au final, c’est la position de l’Assemblée nationale qui l’emporte.
M. Jean-Pierre Sueur. Hélas !
Mme Dominique Vérien. Vous vous en doutez, monsieur le garde des sceaux, nous resterons particulièrement vigilants sur ce point et à l’écoute des remontées du terrain. Nous aurons probablement l’occasion dans quelque temps d’évaluer les effets de cette mesure, et je ne doute pas que les travaux d’une prochaine mission d’information de l’une de nos deux chambres viendront confirmer ou infirmer le bien-fondé de ce choix. Il sera toujours temps alors de le corriger si nécessaire.
Enfin, j’appelle votre attention sur ce dont dépendra à notre avis le succès ou l’échec de cette réforme : je veux parler ici de la protection judiciaire de la jeunesse, qui est la clé de voûte de la justice des mineurs, car elle porte, avec l’aide du secteur associatif habilité, l’essentiel du volet éducatif. C’est pourquoi la PJJ doit être dotée de moyens humains, financiers et matériels lui permettant d’accomplir sa mission. Son succès profitera tant aux mineurs, qui doivent avoir une réelle chance de se réinsérer, qu’à la société. L’enjeu est à cet égard bien plus grand que le texte qui nous occupe aujourd’hui.
Vous me permettrez d’établir un parallèle entre le présent texte et le projet de loi confortant le respect des principes de la République, ce texte visant aussi à protéger nos enfants contre les dérives radicales et du fondamentalisme religieux. Ces dernières années nous l’ont trop souvent douloureusement rappelé, ceux qui ont attaqué la France en son cœur étaient souvent connus des services de police pour des faits de délinquance alors qu’ils étaient mineurs, avant de basculer dans le séparatisme religieux. En rupture avec la société lorsqu’ils étaient mineurs, ils le furent avec la République et ses valeurs, une fois adultes.
En définitive, la PJJ doit pouvoir exercer pleinement son rôle éducatif afin de permettre la réinsertion des mineurs et leur éviter une récidive. Seul un accompagnement réel et exigeant le permettra. À nous de lui en donner les moyens.
Vous nous avez entendus concernant les enfants victimes, monsieur le garde des sceaux, je ne doute pas que vous nous entendrez sur la protection qu’il est indispensable d’apporter à l’ensemble des mineurs, en particulier à ceux qui se détournent du droit chemin.
Vous l’aurez compris, notre groupe votera ce texte de compromis. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ce texte contient bien sûr des points positifs. Le seul fait qu’il sera adopté en est déjà un. Néanmoins, nos objections subsistent et font que, en toute honnêteté intellectuelle, nous ne pourrons l’approuver, et ce pour cinq raisons, que je vais expliquer au cours de ce débat démocratique.
Premièrement, nous pensons, et cela a d’ailleurs été dit à plusieurs reprises au cours du débat, que la spécialisation de la justice des mineurs est un principe qui doit être absolument respecté. Or tel n’est pas le cas dans ce texte. Je pense à deux dispositions que vous connaissez par cœur, madame la rapporteure.
Tout d’abord, la compétence du tribunal de police a fait sa réapparition, alors que le Sénat avait jugé qu’elle était totalement contraire au principe de spécialisation. Personne ne peut dire le contraire.
Ensuite, et cela vient d’être dit par Mme Vérien, le JLD réapparaît également et se voit confier un office qui devrait être celui du juge des enfants.
Il est clair que, sur ces deux points importants, le principe de spécialisation de la justice des mineurs n’est pas respecté.
Deuxièmement, le Sénat avait adopté un amendement visant à intégrer le secteur associatif habilité dans le code de la justice pénale des mineurs. Cet amendement a été supprimé en CMP. Je ne comprends pas pourquoi. Je ne sais pas qui, ici, pourra défendre l’idée selon laquelle cette loi ne doit pas prendre en compte le secteur associatif habilité. Il n’y a pas de raison. Comme il n’y a pas de raison, je comprends mal la position de la CMP.
Troisièmement, cette réforme ne permet pas de faire face au problème majeur du manque de moyens matériels et humains auquel sont confrontés les professionnels judiciaires et de la protection de l’enfance.
Monsieur le garde des sceaux, nous avons déjà salué ici l’augmentation de 8 % de votre budget, mais, concrètement, les moyens alloués à la justice des mineurs restent ce qu’ils sont, hélas ! et ce pour longtemps.
Quatrièmement, et c’est un point auquel nous avons été très sensibles, tous les amendements – je dis bien : tous les amendements – que nous avons proposés visant à faire primer l’éducatif sur le répressif et à faire du mineur délinquant un mineur à protéger n’ont reçu que des avis défavorables. Je ne comprends pas pourquoi ! Ces amendements auraient pourtant enrichi le texte et s’inscrivaient strictement dans la logique de l’ordonnance de 1945.
J’en viens à mon cinquième point, monsieur le garde des sceaux, que vous connaissez par cœur : la présomption irréfragable de non-responsabilité pénale d’un mineur de 13 ans, laquelle n’a pas été adoptée.
Nous avons beaucoup argumenté sur ce sujet, sur lequel nous avons remarqué votre ouverture d’esprit lorsque nous avons discuté ici même de la proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels – nous nous en souvenons tous – et réfléchi à l’instauration d’un seuil d’âge de 13 ou 15 ans. Un certain nombre d’entre nous ont voté pour un seuil de 15 ans. Vous relirez avec intérêt la réponse que vous avez faite.
M. Jean-Pierre Sueur. Vous avez eu raison.
Vous avez montré que le cheminement de la pensée pouvait aboutir – je le mets à votre crédit. C’est très bien qu’il en soit ainsi. Beaucoup ont été satisfaits d’entendre vos déclarations à la télévision, mais vous eussiez pu le dire au Parlement.
M. Jean-Pierre Sueur. Vous l’avez dit depuis.
Monsieur le garde des sceaux, nous pensons que l’absence de présomption irréfragable dans le texte est contraire au a du 3 de l’article 40 de la convention internationale des droits de l’enfant, qui prévoit que « les États parties s’efforcent de promouvoir l’adoption de lois, de procédures, […], et en particulier d’établir un âge minimum au-dessous duquel les enfants seront présumés n’avoir pas la capacité d’enfreindre la loi pénale ».
Voilà pourquoi nous ne pouvons pas adopter ce texte, en dépit des progrès qu’il peut receler. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la modernisation de la justice pénale des mineurs était attendue. En effet, l’ordonnance du 2 février 1945 est devenue difficilement lisible et compréhensible en raison de la sédimentation des réformes législatives : trente-neuf fois modifié, ce texte a perdu peu à peu efficacité et cohérence.
Ainsi, il ne permet plus de répondre aux exigences en matière de respect des droits de l’enfant et d’efficacité de la lutte contre la délinquance des mineurs. Aussi, l’ordonnance du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs participe à atteindre l’objectif de modernisation de la justice pénale des mineurs.
Toutefois, nous déplorons un certain manque d’ambition, un acte manqué : nous espérions un véritable « code des mineurs » réformant à la fois l’enfance délinquante et l’enfance en danger. Malheureusement, l’enfant délinquant est en effet trop souvent un enfant victime de carences éducatives ou de l’absence de parents.
Réunie le 4 février dernier, la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi ratifiant l’ordonnance du 11 septembre 2019 a été conclusive. Je me réjouis que, grâce à des efforts conjoints, des compromis aient été trouvés permettant d’aboutir à un accord, comme cela a souvent été le cas depuis le début de la législature.
À cet égard, je salue l’esprit de responsabilité et de consensus du Parlement. Je suis heureux qu’un certain nombre d’apports du Sénat aient été conservés. C’est le cas de l’introduction de la définition du discernement à l’article 1er ter A. C’est également le cas, à l’article 6, de la possibilité de numériser le dossier unique de personnalité, dont l’accès sera désormais autorisé au personnel du secteur associatif habilité afin de faciliter la circulation des informations entre les nombreux acteurs de la justice des mineurs.
La commission mixte paritaire a aussi jugé pertinent que la date de mise en place des mesures éducatives soit communiquée au mineur à l’issue de son audience de culpabilité et a conservé la disposition visant à permettre que la convocation des représentants légaux se fasse « par tout moyen ».
La CMP a également maintenu deux mesures qui protégeront nos mineurs et faciliteront leur réinsertion : l’obligation de disposer des réquisitions du parquet pour placer un mineur sous contrôle judiciaire, quel que soit le stade de la procédure, et l’effacement simplifié des dispenses de mesures éducatives et des déclarations de réussite éducative dans le casier judiciaire.
Enfin, concernant l’entrée en vigueur du code de la justice pénale des mineurs, les députés, qui s’étaient montrés très attachés à la date du 31 mars 2021, se sont ralliés à la position du Sénat, qui proposait un report de six mois, au 30 septembre 2021, afin que les juridictions puissent préparer dans le calme la transition vers les nouvelles procédures.
Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il apparaît particulièrement nécessaire de remplacer l’ordonnance de 1945 par un ensemble cohérent de mesures susceptibles de clarifier les procédures applicables et d’apporter une réponse plus efficace aux infractions commises par les mineurs.
Avant tout procédurale, cette réforme est équilibrée. Elle n’entraînera ni une moindre pénalisation ni une surpénalisation des mineurs, mais devrait permettre une meilleure organisation du procès. Notre groupe votera ce texte. (M. Alain Richard applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je le dis d’emblée : si cette commission mixte paritaire a été conclusive, un accord ayant été trouvé entre l’Assemblée nationale et le Sénat sur le présent texte, celui-ci ne convient pas au groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, au nom duquel je m’exprime devant vous.
Nous demandions la suppression dans le code de la justice pénale des mineurs de la mesure de retenue, pouvant aller jusqu’à douze heures, d’un jeune âgé de moins de 13 ans par un officier de police judiciaire, rappelant que la présomption d’irresponsabilité s’appliquait à ces mineurs.
Nous nous sommes opposés au maintien des dispositifs de surveillance électronique en cas d’assignation à résidence, avec port du bracelet électronique, rappelant qu’il ne s’agissait pas d’une mesure adaptée aux enfants et aux adolescents, qui ne la comprennent pas.
Nous demandions la suppression de l’article du code ouvrant la voie à une exception à l’excuse de minorité, estimant qu’il n’était pas concevable que le jeune âge de ces mineurs ne soit pas automatiquement pris en compte pour leur appliquer des atténuations de peine.
Nous demandions également l’inscription dans ce code de l’interdiction de l’utilisation des moyens de télécommunication audiovisuels, soit la visioconférence, tout au long d’une procédure mettant en cause un mineur, car celle-ci contrevient à l’intérêt supérieur de l’enfant.
Nous avions appelé de nos vœux l’instauration d’une présomption irréfragable d’irresponsabilité pénale pour les mineurs de moins de 14 ans, ce qui aurait permis à la France de se mettre en conformité avec la convention internationale des droits de l’enfant, tout en appliquant un seuil déjà retenu dans plusieurs autres pays européens.
Enfin, nous avions tenté de réaffirmer la primauté des mesures éducatives sur les mesures répressives en consacrant ce principe cardinal de la justice pénale des mineurs dans l’article préliminaire de ce code.
Aucune de ces améliorations ne figure dans le texte qui nous est présenté aujourd’hui. Nous ne pouvons que le regretter.
L’ordonnance de 1945 était un texte novateur et protecteur en matière de justice des mineurs, notamment parce qu’il était fondé sur une vision bienveillante du droit face à des jeunes en pleine construction. Aujourd’hui, nous déplorons que les mesures de contrôle se substituent aux mesures éducatives, que les solutions d’insertion retenues prennent de moins en moins en compte le projet de l’enfant, que le placement, qui avait pour but la protection du mineur, ait désormais une visée coercitive et, enfin, que le principe de spécificité de la justice des mineurs ne cesse de s’affaiblir du fait du dangereux rapprochement effectué entre ce droit et le droit pénal général, qui concerne avant tout les majeurs.
Ce texte ne nous satisfaisait pas en première lecture. Tel qu’il résulte des travaux de la CMP, il n’est toujours pas conforme à la vision de la justice pénale des mineurs que mon groupe et moi-même défendons. Nous voterons donc contre. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)