Mme le président. La parole est à M. Hussein Bourgi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Hussein Bourgi. Madame le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la justice est l’une des institutions régaliennes qui fondent l’État de droit dans tout pays démocratique. Aussi, toute évolution législative qui va dans le sens de son amélioration doit susciter notre attention et notre soutien.
Les chiffres sont là, et ils ne sont pas bons ! Selon une étude de l’Institut français d’opinion publique (IFOP) réalisée en 2019, seul un Français sur deux déclare faire confiance à la justice, plaçant cette institution loin derrière les hôpitaux, l’armée, l’école ou la police. Plus problématique encore, 60 % des Français consultés dans la même étude considèrent que la justice fonctionne mal.
Ces résultats nous interpellent toutes et tous, et nous préoccupent, car la justice est l’outil qui permet de réguler les conflits entre les individus et de pacifier les relations sociales. Elle contribue également, au quotidien, à garantir le respect de l’ordre républicain, des libertés publiques et des droits fondamentaux.
Aussi, c’est avec un réel intérêt et de grandes attentes que nous avons accueilli cette proposition de loi relative à l’amélioration de la justice de proximité et de la réponse pénale. Hélas, nos espoirs furent vite déçus !
En effet, cette proposition de loi nous est apparue comme ayant des ambitions modérées, pour ne pas dire mineures, en ce que ses auteurs ont choisi d’en circonscrire le périmètre aux seules affaires pénales, alors que celles-ci ne représentent qu’environ 25 % du contentieux judiciaire en France. Nous regrettons donc que les affaires civiles et commerciales aient été écartées, lesquelles correspondent pourtant aux deux tiers des décisions de justice rendues chaque année.
Améliorer l’efficacité de la justice de proximité suppose d’agir sur deux leviers. Le premier est la proximité géographique, à laquelle concourent l’accessibilité et la fonctionnalité des locaux, les audiences foraines et les maisons de la justice et du droit (MJD). Le second est la proximité temporelle, celle-là même qui permet de réduire le délai de traitement et d’audiencement des procédures en cours. C’est une période pendant laquelle un litige mineur peut devenir une source de contentieux majeur, le mis en cause ressentir, à tort, un sentiment d’impunité ou la partie civile douter, là encore à tort, de la justice.
Afin d’agir sur ces deux leviers, il faut des moyens humains, il faut des magistrats, il faut des greffiers, il faut du personnel administratif, il faut du personnel à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Or dans un classement réalisé par le Conseil de l’Europe sur les moyens alloués par habitant au budget de la justice, la France est classée au treizième rang des vingt-sept pays de l’Union européenne ; ce constat factuel nous montre les efforts substantiels qui restent à accomplir.
Cela étant dit, nous vous donnons acte, monsieur le garde des sceaux, des crédits en hausse que vous avez obtenus dans le dernier projet de loi de finances ; nous formons le vœu que cette tendance haussière se confirme dans la durée.
S’agissant de la philosophie du texte, nous relevons une déjudiciarisation croissante, à laquelle nous ne pouvons adhérer. Nous sommes, entre autres, indisposés par les dessaisissements du JAP au profit des directeurs de SPIP. Si je voulais être malicieux, j’y verrais un subterfuge visant à réduire artificiellement le stock d’affaires des JAP…
À côté de la déjudiciarisation, la déshumanisation constitue un autre risque qui menace la justice.
Aujourd’hui, lorsque les victimes ou les personnes mises en cause recherchent une information ou un renseignement, il se trouve qu’elles ont plus souvent affaire à une bande téléphonique ou à une application informatique qu’à un agent de la justice en personne – j’ai maintes fois constaté cette réalité. En ma qualité de bénévole dans une association d’aide aux victimes depuis vingt-cinq ans, j’ai moi-même observé des victimes éprouver cette difficulté et perdre confiance en la justice.
Or la justice doit être incarnée et cela doit être le cas à la fois par des lieux et par des hommes et des femmes. Dans tous les territoires de la République, dans chaque village, ville et quartier, notre législation doit être applicable et appliquée.
Pour qu’une politique pénale soit équilibrée et efficiente, elle doit reposer sur le trépied de la prévention, de la répression et de la réparation. La justice doit non seulement protéger et accompagner la partie civile, mais aussi réparer le préjudice. Elle doit réprimer justement l’auteur de l’infraction, veiller à la stricte application de la sanction prononcée et miser sur la capacité du condamné à se réinsérer dans la société, sans récidiver.
C’est à cet idéal que nous souscrivons toutes et tous. L’ambition de cette proposition de loi est bien de tendre vers celui-ci, justement parce qu’elle vise à améliorer l’efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale.
Mon expérience m’amène à témoigner de la complexité de nos dispositifs judiciaires, monsieur le garde des sceaux. Cette complexité met bien souvent en difficulté les victimes, en particulier celles qui ne sont pas accompagnées par un avocat ou une association. Pour nombre de ces victimes, chaque étape de la procédure, du dépôt de plainte jusqu’à la tenue du procès, relève du parcours du combattant et, lorsque ces procédures aboutissent, il n’est pas rare que la sanction et la réparation soient mises en œuvre de façon aléatoire, renforçant un sentiment de défiance à l’égard de la justice.
Afin de remédier à ces problèmes, il convient de désengorger nos tribunaux. Nos juridictions continuent à fonctionner avec en moyenne onze juges et trois procureurs pour 100 000 habitants, alors que la moyenne européenne est de vingt-deux juges et douze procureurs.
Mais le manque de moyens ne saurait expliquer à lui seul les carences de la justice. Les mesures contenues dans notre code de procédure pénale sont perfectibles, et c’est bien à leur amélioration qu’a tenté de s’atteler cette proposition de loi.
Ce texte, il est vrai, n’est pas révolutionnaire, il n’est pas non plus exempt de défauts – j’aurais l’occasion d’y revenir tout à l’heure. Toutefois, il comporte plusieurs éléments bienvenus que notre collègue Alain Marc et vous-même, monsieur le garde des sceaux, avez soulignés.
Nous nous félicitons notamment de la mise en place à l’article 1er d’une possibilité de versement d’une contribution citoyenne à une association dédiée à l’aide aux victimes. La mise en valeur de ces structures associatives aura un double effet, puisqu’elles verront leur reconnaissance et leur place dans le paysage judiciaire renforcées.
Nous saluons également la volonté du texte de donner à la composition pénale non seulement une vocation répressive, mais aussi des vertus éducatives et dissuasives.
Notre groupe est pleinement favorable à l’introduction à l’article 1er bis d’un stage de responsabilité parentale imposé par le procureur de la République aux personnes condamnées, parmi les peines édictées à l’article 41-2 du code de procédure pénale.
Par ailleurs, nous espérons renforcer ce texte, en y introduisant par voie d’amendement des stages de sensibilisation à la lutte contre la haine en ligne et les atteintes à l’environnement, dont les médias, jour après jour, se font l’écho. Nous devons parfaire notre arsenal répressif pour lutter contre ces infractions qui, mineures au début, prennent des proportions plus graves et tendent à devenir récurrentes, si elles ne sont pas sanctionnées. C’est cette escalade dans la commission de l’infraction que nos amendements visent à freiner.
Malheureusement, les petites avancées obtenues dans cette proposition de loi ne sauraient en occulter les lacunes. Outre son périmètre bien trop restreint, limité à la question pénale, notre groupe s’interroge sur certaines de ses dispositions.
Au nom d’une efficacité et d’une rapidité accrues de la procédure pénale, le texte porte atteinte aux droits des parties, notamment des victimes. Nous déplorons aussi la trop grande place laissée à l’administration, au détriment du JAP.
Il nous semble impératif de redonner au juge sa place centrale dans la procédure pénale. Malgré les réserves exprimées, nous avons souhaité, dans une démarche constructive, enrichir et compléter le texte.
Notre vote dépendra en partie de l’accueil qui sera réservé à nos amendements.
Pour conclure, je voudrais citer une formule médiévale qui définissait la justice comme étant « l’art de faire du bon et de l’égal » ; je forme le vœu que cette formule inspire chacun et chacune d’entre nous. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « Ouvrir une école, c’est fermer une prison » disait le grand poète Victor Hugo. S’il vivait en 2021, je suis sûr que le sénateur Victor Hugo préfèrerait cette formule : « ouvrir une prison, cela ne suffit plus, ouvrez-en plusieurs »…
À Amiens, Montpellier, Marseille ou Reims, dans toutes les villes et désormais les campagnes de France, les mêmes faits sont observés : des voyous ultraviolents agressent sauvagement pour un oui ou pour un non et quelquefois tuent, les articles de presse mentionnant tous que l’auteur des faits est défavorablement connu des services de police…
La réforme que vous nous proposez aujourd’hui, monsieur le garde des sceaux, ne règle malheureusement pas le problème ! Certaines mesures vont certes dans le bon sens, comme la contribution financière demandée aux délinquants pour la réparation des dégâts qu’ils ont causés ou pour les associations de victimes, mais aussi une réponse pénale plus rapide pour les petites infractions.
Mais comme d’habitude, vous n’allez pas au cœur et à la source du problème, puisque vous souhaitez faciliter et fluidifier le recours aux travaux d’intérêt général qui n’ont jamais empêché la récidive. On ne combat pas les barbares, en leur faisant balayer les rues, mais en les enfermant et en les éloignant de la société pour qu’ils comprennent la gravité de leur acte et que les honnêtes gens soient protégés. (Exclamations sur des travées du groupe CRCE.)
Plutôt que de partager une partie de babyfoot avec un détenu, monsieur le garde des sceaux, il serait plus pertinent que vous partagiez une journée avec un gardien de prison afin de connaître la réalité de son quotidien !
Quel message envoyez-vous donc à un jeune qui a volé un téléphone portable, en le contraignant à une mesure de TIG ? Vous lui dites que ce n’est qu’un petit sauvageon, que ce n’est finalement pas si grave. Pourtant, vous savez pertinemment que le téléphone portable volé n’est que la première étape du parcours criminel : on commence par un téléphone, on passe à l’arrachage de sac pour finir par un tabassage, et cela pour un simple refus de cigarette ! (Mêmes mouvements.)
Je vous renvoie, monsieur le garde des sceaux, aux travaux du pédopsychiatre Maurice Berger, qui explique qu’il faut traiter les primo-délinquants avec des peines d’enfermement dès la première condamnation. C’est la seule réponse qu’ils comprennent ! Ils plaisanteront de toutes les autres, et ils recommenceront… Ils ne comprennent la loi que lorsqu’elle devient physique, quand elle les contraint, quand elle les punit, quand ils en ressentent sa force au quotidien.
Même de courts séjours de quelques jours ou de quelques semaines peuvent éviter la récidive, y compris pour les plus jeunes. Près de la moitié des primo-délinquants ont entre treize et quinze ans : c’est à cet âge-là qu’il faut agir, qu’il faut sévir.
La généralisation des TIG, c’est favoriser la récidive, pas la combattre ! Ce n’est pas l’enfermement qui engendre la récidive, mais bien les conditions d’enfermement.
Or la situation est bien connue : nos prisons sont surchargées. Pour que l’enfermement se fasse dans des conditions normales, il faut donc en construire de nouvelles. Tel était d’ailleurs l’engagement pris par le candidat Macron, qui avait promis quinze mille nouvelles places d’ici à 2022. Cette promesse a depuis lors été enterrée, puisque vous avez prévu d’en construire seulement sept mille…
Cela pourrait être suffisant, si vous abandonniez votre xénophilie obsessionnelle, en expulsant les délinquants étrangers ! (Exclamations.)
Mme le président. Il faut conclure.
M. Stéphane Ravier. Incapable de tenir votre promesse et par conviction personnelle que l’enfermement doit être évité, vous souhaitez tout faire pour que les criminels évitent la prison. En attendant, ce sont les Français qui subiront votre laxisme dans les rues, et dans leur chair !
Mme le président. La parole est à Mme Brigitte Lherbier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Brigitte Lherbier. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la violence a changé de nature ces dernières années ; les nombreux faits divers nous le rappellent tous les jours. La montée de l’individualisme et le développement des incivilités du quotidien nuisent au vivre ensemble. Nous devons tous agir pour endiguer ce phénomène préoccupant ! Force est de constater que les délais souvent trop longs de la réponse pénale, la permissivité de la société et l’incertitude de la peine n’ont rien arrangé.
Les auteurs de cette proposition de loi ont cherché à apporter une réponse concrète, rapide et certaine aux petits délits du quotidien. Je tiens à saluer cette volonté qui va dans le bon sens, car rien n’est pire que de donner un sentiment d’impunité à un primo-délinquant : c’est lui donner le permis de recommencer.
Les mesures alternatives proposées dans ce texte sont fort intéressantes, en ce qu’elles proposent une réelle sanction et mettent l’auteur de l’infraction face à ses responsabilités. Dorénavant, ce dernier pourra, à la demande du procureur, réparer ses actes, en remettant en état les choses dégradées, en remettant l’objet du délit aux autorités, en n’entrant pas en relation avec la victime ou avec les complices ou encore en s’acquittant d’une contribution dite citoyenne.
Lors de mon mandant d’adjointe au maire en charge de la prévention et de la sécurité à Tourcoing, j’ai activement contribué au développement des chantiers TIG. Les magistrats et les élus locaux, comme les Français, plébiscitent à juste titre cette sanction éducative. (M. le garde des sceaux fait un geste d’approbation.) Je me déplaçais très souvent sur les chantiers TIG de Tourcoing – rien de tel pour analyser l’impact des mesures réalisées ! – et les jeunes me présentaient quelques fois avec fierté leurs réalisations – travaux de peinture dans les écoles, rénovations de salles de sport, etc. C’était souvent leur première expérience positive de vie, ils en étaient même surpris. Autrefois, seuls les petits boulots ingrats, voire dévalorisants, étaient proposés – c’était bien dommage.
Certes, pour le primo-délinquant, une mesure de TIG constitue avant tout une sanction, mais en réalité cette peine alternative, qui lui évitera la prison, peut représenter une seconde chance, une occasion de montrer qu’il peut s’intéresser à quelque chose – encore faut-il lui en donner l’opportunité. Cela lui apprend qu’il doit se former pour avoir un métier et ainsi retrouver autonomie et respect.
La réussite de la mise en place de tels chantiers dépendait souvent de la confiance entre l’élu et le JAP. Il n’est pas toujours évident de trouver un interlocuteur et d’établir cette relation. J’espère donc que la simplification des règles relatives à l’exécution des TIG facilitera son déploiement.
Le 20 décembre dernier, le ministère de la justice a publié son rapport annuel sur la délinquance, qui a établi que 41,4 % des personnes condamnées à de la prison ferme pour des délits récidivent, soit près d’un individu sur deux ! Il est plus que temps de chercher des peines alternatives et de travailler collectivement.
Il nous faut comprendre ce qui mène à la récidive et la façon dont on peut la prévenir. La fonction essentielle de la sanction est d’acter la faute commise. La peine, quant à elle, permet d’intimider et de freiner les intentions néfastes. Les victimes doivent se sentir écoutées et, si celui qui leur a causé du tort est sanctionné, elles sont satisfaites. La prison reste incontournable dans certains cas, mais quoi qu’il en soit, sanctionner justement et rapidement demeure une obligation pour garantir l’avenir de notre pays.
Aussi, il est plus que temps de mettre des moyens pour adapter les peines à chaque situation.
La proximité, que ce soit pour la police, l’université ou encore la justice, est aujourd’hui revendiquée par nos concitoyens. La raison est simple : les Français ne veulent pas tomber dans l’anonymat. En effet, justiciables, victimes et auteurs des infractions ne sont pas des numéros, mais des êtres humains.
Se faire cambrioler est une lourde épreuve pour celui qui en fait les frais et les plaintes en ligne ne sont pas suffisantes. Il faut aussi pouvoir être écouté et, souvent, les élus locaux – j’ai moi-même fait de nombreuses permanences – ont un rôle d’écoute à jouer afin que la souffrance ne soit pas banalisée.
Le délinquant doit être arrêté dans sa progression criminogène le plus vite possible. La proximité permet de bien cerner son acte et sa prise en charge par une sanction adaptée. La police, si elle est organisée en proximité, donnera une analyse précise du contexte. Les magistrats et les avocats, s’ils sortent des universités locales, seront concernés par l’impact de leur travail autour du délinquant qu’ils connaissent bien. Et s’ils travaillent avec la PJJ et les élus locaux, la réaction sociale sera plus efficace.
En revanche, la sanction doit rester ferme, forte, juste et surtout rapide.
L’informatisation de la justice ne doit être qu’un outil à la disposition de cette proximité – combien de fois l’ai-je répété à votre prédécesseure !
Mme le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Brigitte Lherbier. Une analyse précise des statistiques de chaque tribunal doit permettre au ministère d’adapter le redéploiement en personnel et de créer une véritable réponse judiciaire : j’y crois et je suis favorable à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Madame le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, cette proposition de loi s’attelle à une noble tâche. Ainsi, dans son exposé des motifs est-il souligné la volonté de restaurer une justice de proximité luttant contre les incivilités et la délinquance quotidienne, en renforçant l’efficacité des réponses pénales. Cette ambition se matérialise notamment par l’ajout de nouvelles mesures alternatives aux poursuites et par la simplification des règles concernant la mise en œuvre des travaux d’intérêt général.
L’article 1er, par exemple, qui insère des mesures de réparation accomplies en faveur de la victime, est une belle initiative. Il ouvre également au procureur de la République la possibilité de demander à l’auteur de l’infraction de verser une contribution citoyenne auprès d’une association d’aide aux victimes et il prévoit la mise en place de mesures de réparation, de restitution ou de remise en état des lieux ou des choses dégradées. Cela permettra de faciliter l’indemnisation des collectivités territoriales qui doivent en supporter les coûts.
Quel que soit notre bord politique dans cette assemblée, nous ne pouvons que nous associer à cette initiative. En effet, si l’ensemble des mesures alternatives aux poursuites représente 40 % à 50 % des réponses pénales en France, elles permettent une solution pénale rapide qui a tout son intérêt face au manque d’efficacité souvent décrié de notre système pénal.
En outre, nous estimons que les mesures de réparation et de TIG devraient être préférées à celles privatives de liberté, en ce qu’elles permettent de lutter contre la politique du « tout carcéral ». Ainsi, elles permettent plus efficacement la réinsertion autant qu’elles contribuent à la sensibilisation des personnes condamnées.
Cependant, certaines des dispositions du texte constituent un frein à son acceptation.
L’article 1er bis, adopté en commission à l’Assemblée nationale, élève à cent heures le plafond des heures de travail non rémunéré pour les TIG.
L’article 2, alinéa 5, quant à lui, supprime le caractère systématique de l’examen médical, au prétexte de simplifier la mise en œuvre des TIG.
Ces deux dispositions constituent un recul sur les droits de la personne condamnée que nous ne pouvons pas accepter.
De surcroît, les alinéas 3 et 4 de l’article 2 prévoient de transférer au directeur du SPIP la compétence pour déterminer les modalités d’exécution de l’obligation d’accomplir un TIG, qui revenait jusqu’à présent au JAP. Il s’agit d’une déjudiciarisation des TIG au profit des directeurs de SPIP qui peinent déjà à assurer toute leur charge de travail.
Enfin, malgré une augmentation des crédits de la mission « Justice » dans la loi de finances pour l’année 2021 – elle reste trop faible, 8 % seulement –, le maigre budget global couplé au manque de personnel demeure au cœur des difficultés de notre système judiciaire.
Nous regrettons, une fois encore, que sans moyens humains et matériels conséquents, notre justice ne soit pas en capacité d’améliorer la qualité de sa réponse pénale. Si ce texte relève d’une bonne intention, celle-ci reste toutefois privée des outils nécessaires à sa réussite. Nous nous opposons également aux dispositions dont j’ai déjà fait état.
Mes chers collègues, le rendez-vous avec la modernisation de notre justice de proximité est malencontreusement raté, c’est bien dommage !
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’abstiendra.
Mme le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale par nos collègues députés du groupe Agir ensemble a pour objet d’améliorer l’efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale. Elle vise cette petite délinquance qui, des incivilités aux délits de faible gravité, peut véritablement gâcher la vie de nos concitoyens.
Cette délinquance doit être traitée avec rapidité et efficacité, d’abord parce qu’une réponse judiciaire tardive entraîne bien souvent une désaffection à l’égard de la justice d’une partie de la population, victime ou témoin de cette délinquance du quotidien, voire son ressentiment ; ensuite parce qu’il est indéniable que la vertu pédagogique d’une sanction s’évanouit à mesure que celle-ci s’éloigne de la date de commission des faits.
Aussi le présent texte procède-t-il à plusieurs ajustements visant principalement à compléter les mesures alternatives aux poursuites et les mesures de composition pénale.
Il met en place des outils tels que la remise en état ou le versement d’une contribution citoyenne à une association agréée d’aide aux victimes.
Il simplifie le régime du travail d’intérêt général afin de favoriser le recours à ce type de peine et de réduire son délai d’exécution en confiant cette mission aux directeurs des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). Il est important de rappeler que le juge d’application des peines pourra toujours décider de conserver sa compétence.
La proposition de loi améliore également la procédure de l’amende forfaitaire afin d’accélérer son recouvrement, en intégrant, dans le champ de la minoration de son montant, l’ensemble des contraventions prévues par le pouvoir réglementaire.
Enfin, prenant en compte des observations formulées par la Cour de cassation depuis 2017, le texte simplifie la procédure applicable en appel et en cassation.
La commission des lois du Sénat a procédé à quelques précisions. À cet égard, nous nous félicitons qu’elle ait retenu l’amendement de notre groupe visant à permettre à l’État de mettre à disposition des associations, des fondations reconnues d’utilité publique ou des organismes concourant aux objectifs de la politique d’aide au logement des biens immeubles dont il est devenu propriétaire dans le cadre d’une procédure pénale.
Cet amendement s’inspirait d’une disposition déjà approuvée lors de l’examen de la proposition de loi visant à améliorer la trésorerie des associations. Ce texte, qui est fortement attendu par le secteur associatif, est pourtant toujours en cours de navette parlementaire.
Nous vous proposerons deux autres amendements, que nous aimerions également voir adopter.
Le premier tend à prévoir que, dans le cadre d’une mesure alternative aux poursuites, l’auteur des faits puisse être dessaisi de la chose qui a servi ou qui était destinée à commettre l’infraction ou qui en est le produit au bénéfice d’une personne morale à but non lucratif désignée par le procureur de la République.
Le second est un amendement de cohérence. Il vise à prévoir que l’établissement de la liste des travaux d’intérêt général et les modalités d’exécution de la peine relèvent du seul directeur du SPIP.
Il est vrai que les dispositions contenues dans cette proposition de loi n’entraîneront pas une révolution de la justice pénale, de l’aveu même de l’auteur du texte, mais elles auront, j’en suis convaincu, une grande utilité éducative et pédagogique, ce qui permet bien souvent de prévenir la récidive et encourage la réinsertion.
Cette proposition de loi s’inscrit en outre, comme l’a souligné le rapporteur, dans la droite ligne de l’engagement politique majeur pris par le Premier ministre lors de son discours de politique générale, le 15 juillet 2020.
Des moyens accompagnent cette volonté politique, puisqu’un budget de 200 millions d’euros a été spécialement alloué à cet effet dans le projet de loi de finances pour 2021.
Dans ce cadre, monsieur le garde des sceaux, vous avez adressé le 15 décembre dernier aux procureurs une circulaire relative à la mise en œuvre de la justice de proximité dans laquelle sont listées les 350 infractions pour lesquelles il leur est demandé de privilégier l’alternative aux poursuites. Vous y préconisez le recours aux audiences foraines lorsque le flux d’affaires le justifie ou encore un approfondissement des relations avec les partenaires locaux.
En conclusion, cette proposition de loi est non seulement le fruit d’un travail avec les acteurs judiciaires et pénitentiaires, mais également un exemple de coconstruction législative entre le Parlement et le Gouvernement, ce dernier ayant démontré sa volonté d’agir en faveur d’une justice plus proche, plus rapide et plus efficace.
Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe RDPI votera ce texte avec enthousiasme. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie ironise.)
Mme le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, une fois de plus, ce texte illustre la façon dont le Gouvernement continue de légiférer en matière de justice dans un calendrier législatif restreint, comme en témoigne la parfaite cohérence, monsieur le garde des sceaux, entre la présente proposition de loi et votre circulaire de politique pénale en date du 15 décembre dernier.
Sur la forme, puisqu’il s’agit d’une proposition de loi, l’étude d’impact n’est pas obligatoire, alors même qu’elle aurait été justifiée pour plusieurs dispositions de ce texte qui soulèvent un certain nombre de questions. Je ne reviens pas sur la question des TIG, sujet sur lequel nous partageons très majoritairement ici un point de vue très différent de celui qu’a exposé l’un des orateurs précédents. Une étude d’impact aurait été réellement utile pour apprécier la portée de l’évolution qui nous est proposée.
Sur le fond, les pouvoirs du procureur de la République sont élargis, au détriment, de facto, des magistrats du siège. Ce mouvement est déjà bien entamé, puisque l’essentiel des procédures consistent en alternatives aux poursuites. Avec ce texte, cette proportion dépasserait 51 %, comme vous l’avez rappelé à l’Assemblée nationale, monsieur le garde des sceaux.
Ce mouvement pose deux problèmes.
Premièrement, les procureurs sont déjà surchargés : même si le dernier budget de la justice est en augmentation, il ne permettra de créer que 50 postes supplémentaires de magistrats en 2021, ce qui, de l’avis de la profession, est nettement insuffisant pour effectuer un travail de qualité et réduire la surcharge.
Deuxièmement, les procureurs ne sont toujours pas indépendants, la réforme de l’indépendance du parquet n’ayant toujours pas été engagée. Il nous paraît important d’avancer concrètement en matière d’indépendance du procureur de la République : s’il se voit attribuer plus de compétences, il se doit d’autant plus d’être neutre dans son essence et impartial dans ses décisions.
J’en viens aux nouvelles dispositions en matière d’alternatives aux poursuites existantes : les dispositions déjà en vigueur permettent de traiter, sans poursuites, des affaires simples par des mesures sans atteinte aux droits, telles que le rappel à la loi.
Dans le présent texte, les alternatives aux poursuites ressemblent de plus en plus à des peines et n’ont rien d’anodin. Par exemple, une mesure alternative peut consister à se dessaisir de sa voiture ou à payer jusqu’à 3 000 euros d’amende.
Concrètement, les procureurs de la République, qui sont déjà surchargés, je le répète, décideront de ces mesures au téléphone, sur le fondement du compte rendu d’un officier de police judiciaire. En réalité, ces mesures s’apparentent à des confiscations et à des amendes détournées, lesquelles ne présentent pas les garanties essentielles pour les justiciables.
En effet, de nouvelles obligations seront imposées aux mis en cause en dehors de tout contrôle d’un juge. En outre, aucun suivi de l’exécution des obligations ne sera possible, aucune sanction ne pouvant être prononcée en cas de non-respect desdites obligations, si ce n’est la poursuite de l’infraction initialement constatée.
Outre ces mesures, ainsi que celles qui portent sur les TIG et l’extension de l’amende forfaitaire minorée, dont le caractère est presque anecdotique, la commission a principalement introduit trois dispositions dans le texte.
Elle a clarifié le rôle des directeurs des SPIP par rapport à celui du juge d’application des peines. Elle a élargi le champ de l’expérimentation qui a autorisé les employeurs du secteur de l’économie sociale et solidaire à proposer des TIG en y intégrant le travail non rémunéré. Elle a autorisé l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués à mettre à disposition de certaines associations ou fondations d’utilité publique ou à des organismes qui concourent à la politique du logement des biens immobiliers saisis ou confisqués dans le cadre d’une procédure pénale.
Nous considérons que ces mesures sont plutôt positives et qu’elles améliorent le texte. En outre, nous partageons pleinement la conclusion du rapporteur Alain Marc sur le texte : « Les mesures envisagées par la proposition de loi ne suffiront pas à concrétiser la promesse d’une justice de proximité : rapprocher la justice du justiciable passera davantage par des mesures d’organisation, par le maintien des lieux de justice au plus près des territoires et par l’allocation de moyens adaptés qui permettront de réduire les délais de jugement et d’apporter une réponse à chaque infraction. »
Nous nous étonnons cependant de la position de la majorité sénatoriale, alors qu’elle a participé, en soutenant le projet de loi de Nicole Belloubet en 2018, au démantèlement des tribunaux d’instance, lieux de justice de proximité par excellence.
Enfin, nous pensons, alors qu’est avancée de façon récurrente la nécessaire célérité de la justice, que l’excessive durée du procès pénal ne peut pas être le seul et unique argument pour donner davantage de pouvoirs aux procureurs.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous nous abstiendrons sur ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)