Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, je dirai tout d’abord un mot sur la question des taux d’intérêt et de la gestion de la dette. Nous bénéficions encore de conditions extrêmement favorables pour emprunter et, comme Bruno Le Maire l’a rappelé à l’instant, si la dette a augmenté, le service de la dette a baissé, passant de 39 à 36 milliards d’euros.
Nous sommes aujourd’hui dans une période qui se caractérise par un très léger relèvement des taux.
Après avoir été en moyenne de –0,14 % pour l’obligation à dix ans tout au long de l’année 2020, et de –0,30 % à la fin 2020 et au tout début 2021, les taux tangentent de nouveau le niveau zéro.
Cela s’explique à la fois par l’état du marché mondial et un certain nombre de tensions inflationnistes, liées notamment à la mise en œuvre du plan de relance américain, qui se caractérise par une injection massive de liquidités, en particulier sous forme d’aides à la consommation. Nous n’y voyons toutefois pas de signes particuliers d’inquiétude, dans la mesure où les taux restent extrêmement bas.
Comme cela a été rappelé, une partie conséquente de la dette française est en quelque sorte garantie et protégée par la BCE et par la politique monétaire mise en œuvre.
Nous ne sommes pas spontanément convaincus de la nécessité d’augmenter la durée de maturité de la dette. Nous sommes extrêmement attachés à la diversité des créanciers, des délais et des durées d’emprunts, même si nous constatons un très léger relèvement de la durée de maturité. Pour vous rassurer, monsieur le sénateur, nous sommes confiants quant à la qualité de la garantie de la signature française.
S’agissant de l’augmentation de la taxe sur les transactions financières, elle contredirait le principe de non-augmentation générale des impôts auquel nous sommes attachés. Nous considérons par ailleurs qu’un travail est à mener en la matière sur la scène européenne. Nous avons déjà abordé le sujet à plusieurs reprises sur votre initiative, notamment à l’occasion des débats sur le projet de loi de finances. Nous continuerons à l’aborder, mais plutôt dans le cadre communautaire.
Mme le président. La parole est à M. Michel Canevet, pour la réplique.
M. Michel Canevet. Le groupe Union Centriste partage l’idée selon laquelle il faut restaurer la confiance dans notre pays. Nos concitoyens aussi doivent avoir confiance en l’avenir, ce qui passe notamment par une sécurisation.
C’est pourquoi nous devons prendre des mesures pour éviter un emballement du coût de la dette. Si les intérêts de celle-ci devenaient à terme le premier poste de dépenses de l’État, ce serait particulièrement préjudiciable pour l’ensemble des politiques publiques. Prenons dès à présent des mesures de sécurisation.
Nous partageons bien entendu l’idée qu’il faut aller vers la croissance, et nous soutenons ce qui est fait en ce sens. Il convient aussi, comme ma collègue Nathalie Goulet l’a évoqué, d’accentuer nos efforts de lutte contre la fraude, car la fraude est un élément qui rompt la confiance.
Mme le président. La parole est à Mme Monique Lubin.
Mme Monique Lubin. En matière de dette publique, le « quoi qu’il en coûte » est une formule efficace, mais il en coûtera surtout beaucoup aux comptes sociaux, auxquels vous avez décidé de faire porter une grande partie du poids de la dette.
L’été dernier, nous nous étions vainement opposés au choix de votre gouvernement de cantonner une partie de la dette covid au sein de la Cades, qui ne recourt pas seulement à la CRDS, mais aussi à la contribution sociale généralisée (CSG). Le remboursement accéléré de la dette sociale conduit ainsi à priver les caisses de la sécurité sociale de recettes courantes. En découle une fragilisation que vous n’ignorez pas : baisse de l’aide personnalisée au logement (APL), réforme des retraites, réforme de l’assurance chômage…
Le « quoi qu’il en coûte » permet un abondement très important des aides aux différents secteurs économiques en souffrance – ne nous en plaignons pas ! –, mais sera-t-il uniquement payé par les salariés et les catégories les plus modestes ?
Le débat sur l’annulation de la dette nous conduit à rappeler aujourd’hui notre opposition au choix de l’exécutif d’imputer aux comptes sociaux le remboursement de cette dette covid.
Le cantonnement de la dette, s’il a l’avantage de laisser penser que celle-ci est mise de côté, ne changera visiblement rien aux réformes que vous avez décidé de mettre en place. Il ne s’agira en fait que d’opérations de tuyauterie.
Nous avons pourtant l’obligation d’augmenter dès maintenant les ressources de l’hôpital public, d’alimenter la cinquième branche que vous avez créée et d’améliorer le sort des salariés de tout le secteur sanitaire et social.
Dans ce contexte, et avec comme objectif de protéger les comptes sociaux, envisagez-vous de dégager la sécurité sociale du remboursement de la dette covid ?
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice, dette de l’État ou de la sécurité sociale, il s’agit toujours de dette publique.
L’été dernier, nous avons effectivement fait le choix de cantonner et de reporter sur la Cades, à la fois, le déficit constaté pour l’année 2020 et les déficits prévisionnels pour les années 2021, 2022 et 2023, car il nous paraissait de bonne politique de confier à cette caisse, organisme doté d’une ressource propre, l’apurement de la dette constituée à l’occasion de la crise covid. Celle-ci nous paraît devoir être ainsi cantonnée pour permettre à l’Acoss de continuer à travailler de manière aussi autonome et sereine que possible.
La dette sociale que nous voyons s’accumuler à l’occasion de la crise n’est pas liée à un désengagement de l’État.
Vous pouvez en témoigner : à l’occasion de chacun des projets de loi de finances rectificative examinés l’an dernier, toutes les mesures concernant la sécurité sociale – augmentation en cours d’année des dépenses médicales de 20 milliards d’euros, exonérations de cotisations ou encore dispositifs spécifiques mis en œuvre pour aider les plus fragiles – ont fait l’objet d’une compensation intégrale par le budget de l’État.
Aujourd’hui, le déficit constaté sur le régime général de la sécurité sociale est lié à la diminution des cotisations consécutive à la perte d’activité. Nous aurons l’occasion dans les prochains jours de préciser l’ampleur exacte du déficit pour l’année 2020, sachant que le maintien de l’activité à un niveau plus important que prévu nous a aussi permis de limiter la casse. Nous aurons certainement un déficit moins élevé que ce que nous craignions, même s’il restera particulièrement important.
Nous allons continuer ainsi, en développant également de nouvelles politiques sociales comme le congé de paternité, dont vous aviez vous-même salué la mise en œuvre à l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Je conteste donc largement et nettement votre affirmation sur la remise en cause du modèle social et des acquis sociaux.
Enfin, la volonté de faire peur n’empêche pas la précision. Vous avez évoqué la réforme de l’assurance chômage : je suis désolé de vous dire que le déficit de l’Unédic n’a pas grand-chose à voir avec celui de la Cades…
Mme le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour la réplique.
Mme Monique Lubin. Monsieur le ministre, je sais cela parfaitement, mais je faisais un résumé de ce qui s’annonce…
En effet, malgré vos propos rassurants – j’essaie, selon vous, d’inquiéter ; pour votre part, vous tentez de rassurer par tous les moyens ! –, j’entends surtout les propos de M. Le Maire, qui répète toutes les cinq minutes qu’il faudra réduire la dépense publique. Or nous savons pertinemment ce que cela veut dire. Et qui sera concerné ? Toujours les mêmes !
Nous continuerons pour notre part à défendre ce en quoi nous croyons, sans changer d’avis.
Mme le président. La parole est à M. Philippe Dallier.
M. Philippe Dallier. Ma question concerne la dette de nos collectivités territoriales. Avant la crise, elle ne représentait que 11 % de la dette publique. Mécaniquement, elle a baissé et, aujourd’hui, elle doit se situer aux alentours de 8,5 %. On pourrait donc considérer que ce n’est pas vraiment un problème.
Mais je me souviens qu’à l’automne 2017, au moment où l’État discutait des fameux contrats de Cahors, qui visaient à imposer aux plus grosses de nos collectivités locales – 327 de mémoire – une augmentation de leurs dépenses de fonctionnement limitée à 1,2 % par an, le Gouvernement avait également eu l’idée de mettre en place une règle d’or renforcée qui aurait contraint ces mêmes collectivités locales en limitant leur capacité d’endettement.
Ma question est très simple : cette idée va-t-elle revenir sur la table, messieurs les ministres ? À l’époque, la situation de la dette publique était nettement moins grave qu’aujourd’hui. Allez-vous demander un effort aux collectivités territoriales ? Je pose la question à dessein : les maires sont encore en début de mandat, les départements et les régions seront renouvelés au mois de juin. Ces élus locaux ont besoin de visibilité.
Tout le monde s’inquiète et se demande ce qui se passera après les présidentielles de 2022. Y aura-t-il un nouveau tour de vis sur les dotations de l’État, des limitations en termes de dépenses de fonctionnement ou d’emprunt ? Les élus ont besoin de savoir, messieurs les ministres ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, en effet, à l’occasion des débats préparatoires de la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques de 2017, une règle visant à encadrer le niveau de dette des collectivités locales avait été envisagée, notamment en fonction de leur capacité de désendettement. L’idée avait toutefois été abandonnée à la suite des discussions avec les associations d’élus, et nous ne travaillons pas à sa remise à l’ordre du jour dans les mois qui viennent – cela ne nous paraît pas opportun.
Votre question me permet cependant d’évoquer la situation financière des collectivités locales pendant et après la présente crise. Pour l’année 2020, nous ne disposons que des chiffres concernant la section de fonctionnement : ils montrent que les collectivités locales connaissent globalement une baisse de leurs recettes de fonctionnement de 1,3 %, soit 3,8 milliards d’euros.
Ce chiffre sera toutefois minoré par la mise en œuvre du mécanisme de garantie des recettes domaniales et fiscales au niveau de celles de 2017 et 2019. Les collectivités éligibles vont percevoir le solde ou l’intégralité du versement selon qu’elles ont déjà touché un acompte ou non. La perte de recettes de fonctionnement sera donc finalement inférieure à 3,8 milliards d’euros.
Ces mêmes collectivités locales connaissent une stagnation de leurs dépenses de fonctionnement à 0,2 %, mais avec une hétérogénéité selon les strates. Les départements ont été plus touchés que les autres collectivités, de même que les grandes villes qui ont mis en œuvre des actions spécifiques de lutte contre le covid.
Nous notons que la capacité de financement des sections d’investissement reste extrêmement importante, à plus de 31 milliards d’euros, tout comme le niveau global de trésorerie des collectivités, à plus de 48 milliards d’euros. Avec le maintien des dotations et les perspectives de recettes fiscales pour 2021, moins dégradées que ce que nous craignions, nous pensons que la baisse de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) sera inférieure à 2 %. La capacité de financement des investissements par les collectivités restera forte, au moins égale à celle de 2018, et reviendra progressivement à son niveau de 2019. C’est plutôt de bon augure pour accompagner la reprise.
Mais je le répète, monsieur le sénateur, nous n’avons pas l’intention d’instaurer les dispositions que vous avez évoquées. (M. François Patriat applaudit.)
Mme le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour la réplique.
M. Philippe Dallier. Voilà une bonne nouvelle, monsieur le ministre ! Les élus locaux ont vraiment besoin de visibilité.
Je veux toutefois revenir sur les conséquences de la crise covid pour les différents types de collectivités. Les plus touchées ont été les villes. France urbaine a par exemple montré que, dans une commune de 25 000 habitants en Seine-Saint-Denis, le coût de la crise du covid était de 500 000 euros nets, avec une baisse de l’autofinancement en 2020 et 2021.
Certaines communes ont été touchées par les baisses tarifaires et le seront encore en 2021, et nous assisterons à une dégradation de l’autofinancement net. Il faut en tenir compte, car vous avez besoin des collectivités locales dans le cadre du plan de relance ; elles assurent en effet 70 % de l’investissement public hors dépenses militaires. Il faudra veiller à les accompagner car, si elles n’ont pas de moyens suffisants, il y aura moins d’investissements publics et la relance ne sera pas au rendez-vous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Patrice Joly.
M. Patrice Joly. Comme cela a été rappelé, la dette française s’élève à plus de 120 % du PIB, soit 2 700 milliards d’euros, dont on ne connaît pas exactement les détenteurs. En effet, les données ne permettent de dégager que des ordres de grandeur, l’Agence France Trésor ne pouvant rendre publiques les informations dont elle dispose – sont-elles précises, d’ailleurs ?
Selon la Banque de France, en 2019, les créanciers de l’État se répartissent en deux catégories : d’une part, les créanciers institutionnels français ; d’autre part, les « non-résidents », qui détiennent 53,6 % de la dette, sans plus de précisions sur leur répartition catégorielle ou géographique. En avril 2019, selon les données du FMI, la part de la dette française des non-résidents serait détenue à 47 % par des investisseurs privés non bancaires, institutionnels ou non, et à 53 % par des institutions publiques et des banques étrangères.
Les données issues de la même enquête de 2019 permettent d’identifier que les non-résidents non européens sont majoritaires, même si l’étude agrège dette publique et dette privée.
La France est donc majoritairement endettée vis-à-vis de l’extérieur. Or un État souverain doit pouvoir disposer de photographies régulières de ses créanciers. Certes, notre dette est fluctuante, elle circule, et de nombreux investisseurs souhaitent rester discrets.
Cette réalité n’interdit cependant pas de disposer à intervalles réguliers de la connaissance des détenteurs de la dette française, indispensable à l’État pour prévenir d’éventuelles difficultés liées à l’activité de fonds spéculatifs, mais aussi pour ajuster sa stratégie de financement et de remboursement.
D’un point de vue juridique, aucun dispositif d’identification des porteurs de titres publics n’est prévu par la loi, à la différence des sociétés émettrices d’actions, qui peuvent, lorsque leurs statuts le prévoient, demander à tout moment au dépositaire central de fournir l’identité des porteurs de projets.
Mme le président. Vous avez dépassé votre temps de parole !
M. Patrice Joly. Je termine. Monsieur le ministre, un tel dispositif vous semble-t-il satisfaisant ? Cette détention majoritaire par des non-résidents constitue-t-elle selon vous un problème pour la souveraineté de la France ?
Mme le président. Je rappelle les règles, mon cher collègue : vous avez deux minutes pour la question, trente secondes pour la réplique. Mais dès lors que vous dépassez les deux minutes, ne serait-ce que d’une seconde, vous n’avez plus de réplique. Le respect de ces durées témoigne du respect de tous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, l’essentiel de ma réponse est dans votre question. Vous avez rappelé les chiffres relatifs à la répartition des détenteurs de la dette française, en vous appuyant sur un certain nombre de rapports de la Banque de France et d’autres institutions. Vous avez rappelé le poids des investisseurs étrangers et des investisseurs privés.
Je voudrais simplement apporter une précision : si l’on fait abstraction du soutien de la Banque de France au travers des programmes de politique monétaire de la BCE – cela représente une part non négligeable de la dette française –, le reste de la dette est détenu à 65 % par des investisseurs non résidents et à 35 % par des investisseurs résidents. Il faut toutefois relativiser cette situation dans la mesure où la détention d’une part de la dette souveraine ne donne aucun droit à l’investisseur sur la conduite de la politique du Gouvernement ou la détermination des choix de la Nation.
Nous l’avons souligné avec Bruno Le Maire à plusieurs reprises : nous avons la chance de pouvoir financer notre dette dans des conditions extrêmement favorables. Au-delà des taux d’intérêt applicables aux titres émis au cours des deux dernières années, nous avons aussi l’opportunité de choisir nos créanciers.
Permettez-moi à ce titre de saluer le travail de l’Agence France Trésor, ses capacités de résistance et d’observation des marchés au cours des derniers mois. Chaque fois que l’Agence émet une obligation, notamment à dix ans, son taux de couverture est systématiquement supérieur à 2,5.
Ainsi, lorsque nous proposons au marché de souscrire pour 10 milliards d’euros de dettes, les investisseurs proposent au moins 25 milliards d’euros, ce qui nous permet de veiller à la diversité des investisseurs et au profil de celles et ceux à qui nous empruntons de l’argent pour financer nos politiques publiques. Cela nous place dans une situation favorable, qui nous conduit à considérer que le dispositif de gestion et de souscription de la dette dont nous disposons aujourd’hui est pertinent, y compris en matière d’informations accessibles à tout un chacun.
Mme le président. La parole est à M. Laurent Duplomb. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Madame la présidente, ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie, des finances et de la relance.
Le 15 janvier 2020, monsieur Le Maire, je vous conseillais de retenir le chiffre 100, qui traduisait bien la réalité de l’économie française : 100 % de dette rapportée au PIB, 100 milliards d’euros de déficit, dix fois 100 milliards d’euros pris chaque année dans la poche des contribuables !
« Nous ferons tout ce qui pourra être fait dans les deux années restantes du quinquennat pour stabiliser et baisser la dette publique française. Croyez-moi, nous prendrons les décisions nécessaires… » Telle était votre réponse à l’époque.
Une fois de plus, vous n’avez pas tenu promesse, la dette s’envolant vers des montants incroyables.
Vous vous vantez aujourd’hui de la faible augmentation du nombre de chômeurs et d’entreprises en faillite, tout en sachant pertinemment que la crise est loin d’être terminée.
Comment croire dès lors à vos prédictions d’augmentation de croissance, de redressement de la dette et d’entreprises fortes qui pourraient demain nous permettre de sortir de cette crise ?
La réalité des chiffres de 2020 est têtue, monsieur le ministre. Elle démontre, une fois de plus, que notre balance commerciale se dégrade. Pour la première fois de notre histoire, nous accusons un déficit commercial de 82 milliards d’euros, quand l’Italie, notre voisin, dégage un excédent de 63 milliards d’euros !
Monsieur le ministre, je me permets de vous rappeler la fin de la fable de La Fontaine, La Cigale et la Fourmi :
« Que faisiez-vous au temps chaud ? […]
« Je chantais, ne vous déplaise.
« – Vous chantiez ? J’en suis fort aise.
« Eh bien : dansez maintenant ! »
Malheureusement, ce sont les Français qui vont danser, et vous resterez dans les annales comme le ministre de la Ve République qui aura accumulé le plus de dettes ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Marques d’agacement sur les travées du groupe RDPI.)
Mme le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance. Monsieur le sénateur, dans quel monde vivez-vous ?
M. Laurent Duplomb. Dans celui des gens qui travaillent et qui se lèvent tous les matins !
M. Bruno Le Maire, ministre. Pour l’instant, vous êtes assis au Sénat…
La France a connu la crise économique la plus grave de son histoire depuis 1929. Elle a connu une récession comme elle n’en a pas connu depuis la Seconde Guerre mondiale.
Nous avons protégé les Français, apporté les soutiens nécessaires, évité des faillites par dizaines de milliers… C’est notre fierté.
Nous avons fait le choix de protéger l’emploi, les compétences et les salariés. Nous avons décidé de soutenir les restaurateurs, les indépendants, les patrons de bar, les hôteliers. Les auriez-vous laissés tomber en refusant de dépenser un euro d’argent public ?
C’est aussi notre fierté d’avoir soutenu l’aéronautique, financé l’investissement pour l’automobile, Air France et l’ensemble des entreprises qui étaient menacées. De grandes entreprises publiques auraient pu faire faillite. Nous les avons aidées et nous en sommes fiers.
Nous avons fait le choix de ne laisser personne de côté, de soutenir les étudiants, de réduire le prix des tickets restaurant pour les plus fragiles.
Nous avons évité une crise sociale et politique massive. C’est aussi notre fierté !
Nous sommes fiers, avec le Président de la République et cette majorité, d’avoir mené cette politique. En revanche, vos propos sont une honte, monsieur le sénateur ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour la réplique.
M. Laurent Duplomb. Aux innocents les mains pleines… Je suis peut-être une honte, monsieur le ministre, mais je suis agriculteur avant d’être sénateur. Comme beaucoup d’autres Français, je me lève à six heures du matin !
Je vois bien que nous avons créé une dette qui pèsera très lourd demain. Tous les pays n’ont pas fait la même chose. Notre addiction à la dette ne date pas d’hier, mais vous l’avez amplifiée. Tout cela se paiera un jour ou l’autre. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à Mme Christine Lavarde.
Mme Christine Lavarde. En janvier 2020, la Commission européenne décidait de suspendre temporairement le pacte de stabilité et de croissance pour permettre aux États membres de lutter contre la pandémie de covid. En février 2020, elle lançait une consultation sur une éventuelle refonte de ce pacte, sans s’engager toutefois sur une refonte complète, car les traités sont difficiles à rouvrir.
Les ministres des finances de l’Eurogroupe ont pour la plupart exprimé leur souhait de restaurer le pacte en 2021. Est-ce la position du gouvernement français ? En novembre 2019, le Président de la République, dans une interview accordée à The Economist, avait estimé que le débat sur les 3 % était d’un autre siècle…
Je présage donc une réponse négative. Le Gouvernement souhaite-t-il dès lors soutenir la mise en place d’un nouvel indicateur ? Je pense notamment à celui que proposait le Comité budgétaire européen dans son rapport d’octobre 2020, qui consistait à passer d’un objectif de référence unique à un objectif relatif en fonction de la situation de chaque pays, permettant notamment de s’assurer d’un retour du déficit sous les 60 % ?
Mme le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance. Vous avez raison, madame la sénatrice, toutes les décisions que nous prenons s’inscrivent dans une perspective européenne.
Avant même de parler d’indicateurs du pacte de stabilité et de croissance, je rappelle qu’il existe un plan de relance européen, qui apportera 40 milliards sur les 100 milliards d’euros dont nous disposerons. Notre priorité consiste à ce que ces fonds européens arrivent le plus rapidement possible, avec un premier décaissement avant le début de l’été, en France comme dans les autres pays européens.
Viendra ensuite le moment où nous pourrons, sur la base des nouveaux endettements des différents États européens, regarder quels sont les indicateurs les plus pertinents.
Je vous rejoins sur un point : on ne peut pas faire comme si tous les États européens n’avaient pas, sans exception, connu une augmentation massive de leurs dettes. La politique doit tenir compte de cette nouvelle réalité, de ce niveau d’endettement plus élevé de chacun des États.
Quant à l’approche différenciée, elle fait partie des hypothèses sur lesquelles nous pouvons nous pencher. Nous ne sommes pas fermés à l’idée d’examiner la situation de chaque État, sachant que l’objectif doit rester le même pour tous : garantir un niveau de soutenabilité acceptable de la dette publique, pour que les taux d’intérêt restent les plus mesurés possible et que la charge de la dette ne pèse sur aucun État européen.
Le débat sur les modalités de mise en œuvre du pacte de stabilité et de croissance est important, mais il viendra le moment venu, dans quelques mois. Je ne souhaite pas l’ouvrir trop vite, car la priorité absolue, c’est la relance.
Mme le président. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour la réplique.
Mme Christine Lavarde. Nous reparlerons en effet de ces sujets.
Le gouvernement français devra faire valider son plan de financement par la Commission européenne pour disposer des crédits du plan de relance, et il ne me semble pas que le feu vert ait aujourd’hui été donné sur l’ensemble. La discussion sur le pacte de stabilité revient également chaque année devant le Parlement. Autant de sujets qui nous permettront de contrôler l’action du Gouvernement…
Votre réponse m’a semblé un peu floue, monsieur le ministre, peut-être pour ne pas risquer de contredire le Président de la République.
J’ai toutefois compris que vous reviendriez peut-être dans le futur sur les règles du pacte de stabilité. Nous examinerons tout cela avec intérêt. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Sébastien Meurant.
M. Sébastien Meurant. Il n’y a pas d’argent magique, disait le Président de la République. Pourtant, la dette publique explose, conséquence de la lâcheté des gouvernements successifs qui ont délaissé depuis des décennies l’art difficile des choix politiques.
Récemment, de beaux esprits se gargarisaient de vains espoirs. « Il ne sera pas nécessaire de rembourser la dette », nous disaient-ils, « ou, même s’il faut la rembourser, les taux négatifs ou faibles rendront l’opération indolore ».
Mais elle ne le sera assurément pas pour tout le monde ! Il faudra bien rembourser cette dette, et cela passera soit par une hausse des impôts, soit par l’inflation – bref, par une spoliation des Français, notamment des épargnants, qui sont pourtant le véritable moteur de la croissance. Sans épargne, pas d’investissement ; sans investissement, pas d’emploi durable et productif !
Parallèlement à l’utopie d’une dette jamais remboursée se développe aussi celle d’un revenu universel. Là encore, revenons aux fondamentaux. Un revenu est toujours lié à un travail, soit un travail actuel rémunéré, soit un travail ancien qui a permis d’accumuler un capital.
Nous vivons dans un monde qui semble totalement virtuel, où l’investissement privé est déconnecté de l’épargne, l’investissement public déconnecté de l’effort fiscal, le revenu déconnecté du travail !
À l’heure où les mots « développement durable » sont sur toutes les lèvres, nous pouvons dire, sans risque d’être contredit, que ce modèle de développement ne l’est pas. Il est temps, mes chers collègues, de revenir à la raison et de réapprendre à gérer, comme l’on disait naguère, « en bon père de famille ». Le monde réel est brutal. Si nous ne revenons pas au bon sens, d’autres nous y contraindront.
Cessons de croire qu’une chose ne coûte rien sous prétexte que « c’est l’État qui paye », comme disait M. Hollande, ou que l’on peut mener des politiques « quoi qu’il en coûte », comme le prétend aujourd’hui son brillant disciple.
Monsieur le ministre, vous n’avez pas la maîtrise de la politique monétaire. Que ferez-vous si les taux repartent à la hausse ?