compte rendu intégral

Présidence de M. Georges Patient

vice-président

Secrétaires :

Mme Jacqueline Eustache-Brinio,

M. Loïc Hervé.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 18 mars 2021 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Communication relative à deux commissions mixtes paritaires

M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi rénovant la gouvernance des services publics d’eau potable et d’assainissement en Guadeloupe est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

Par ailleurs, la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention est également parvenue à l’adoption d’un texte commun. (Marques de satisfaction sur les travées du groupe Les Républicains.)

3

 
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, invitant le Gouvernement à étudier la possibilité d'une mise en cohérence de sa politique énergétique avec ses ambitions écologiques
Discussion générale (suite)

Politique énergétique

Adoption d’une proposition de résolution

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, invitant le Gouvernement à étudier la possibilité d'une mise en cohérence de sa politique énergétique avec ses ambitions écologiques
Explications de vote sur l'ensemble (début)

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de résolution, en application de l’article 34-1 de la Constitution, invitant le Gouvernement à étudier la possibilité d’une mise en cohérence de sa politique énergétique avec ses ambitions écologiques, présentée par M. Bruno Retailleau, Mme Sophie Primas, M. Daniel Gremillet et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 348).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Daniel Gremillet, auteur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Daniel Gremillet, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec Bruno Retailleau, Sophie Primas et l’ensemble des membres du groupe LR, j’ai souhaité débattre au Sénat de cette proposition de résolution invitant le Gouvernement à étudier la possibilité de mettre en cohérence sa politique énergétique avec ses ambitions écologiques.

L’énergie nucléaire est un atout considérable pour atteindre la « neutralité carbone » à l’horizon 2050, cap que nous avons fixé. De toutes les sources d’énergie, c’est la moins émissive : en effet, les émissions d’une centrale nucléaire sont limitées à 6 kilogrammes de dioxyde de carbone par kilowattheure.

C’est une filière d’excellence, portée par la recherche scientifique et pourvoyeuse de 220 000 emplois industriels ancrés dans nos territoires.

C’est une filière centralisée, reposant sur une entreprise publique. Qu’on se le dise, l’énergie nucléaire est garante de l’égalité dans l’accès à l’énergie, sur tout le territoire de la République ; elle est aussi garante de la place de l’État dans le secteur de l’énergie face aux pressions concurrentielles et d’un faible coût de l’énergie, primordial pour le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité de nos entreprises.

La production d’énergie nucléaire est, en France, un service public, une mission régalienne, qui conditionne tout à la fois notre vie sociale, notre activité économique et notre transition écologique. Notre souveraineté et notre efficacité énergétiques en dépendent.

Face à l’urgence climatique, c’est grâce à cette source d’énergie que nous pouvons réduire durablement nos émissions : la décarbonation de notre économie passe par l’énergie nucléaire.

Parce que je crois en l’avenir de la filière nucléaire, je suis préoccupé par la politique énergétique conduite par le Gouvernement.

Si le Sénat a adopté la loi Énergie-climat en 2019, c’est parce qu’elle comprenait plusieurs avancées significatives pour cette filière : le report de dix ans de la réduction à 50 % de la proportion d’énergie nucléaire ; la prise en compte de l’inflation dans les ressources perçues par EDF ; l’établissement – enfin – d’un cadre législatif pour l’hydrogène bas-carbone, produit à partir de l’énergie nucléaire.

Or le Gouvernement n’a cessé de décevoir depuis lors.

En effet, nous avons assisté à l’arrêt du démonstrateur de réacteur à neutrons rapides Astrid, en 2019, et des deux réacteurs de la centrale de Fessenheim, en 2020 : c’est regrettable, d’autant qu’aucune raison de sécurité ne justifiait cette fermeture.

M. André Reichardt. Lamentable !

M. Daniel Gremillet. Par ailleurs, sur les 110 milliards d’euros du plan de relance, seuls 200 millions d’euros sont alloués à l’énergie nucléaire, alors qu’elle représente les trois quarts de notre mix énergétique.

Les réformes en cours du marché de l’électricité, à commencer par celle de l’accès régulé à l’énergie nucléaire historique (Arenh) et le projet de réorganisation « Hercule » au sein d’EDF, sont conduites dans une opacité inacceptable.

C’est pourquoi je me félicite de ce que la commission des affaires économiques du Sénat, à défaut d’être associée à ces réformes, comme elle l’avait demandé, ait de son propre chef institué un groupe de suivi pluraliste.

En outre, le ministère de la transition écologique a commandé à Réseau de transport d’électricité (RTE) et à l’Agence internationale de l’énergie (AIE) un scénario « 100 % renouvelables » d’ici à 2050.

C’est une entorse faite à la loi quinquennale, prévue par la loi Énergie-climat, qui détermine seule, en principe, l’évolution de notre mix énergétique après 2023.

Je veux dire très clairement ici que le non-respect par le Gouvernement de la loi quinquennale est inadmissible.

M. Bruno Sido. Totalement !

M. Daniel Gremillet. Outre ce scénario, je rappelle que le Gouvernement a voulu supprimer l’évaluation de la loi quinquennale, à l’occasion de la loi de finances pour 2020. Aujourd’hui, il souhaite revenir au décret pour la détermination d’objectifs en matière de certificats d’économie d’énergie, mais aussi en matière d’énergies renouvelables, dans le cadre notamment du projet de loi Climat et résilience.

La pandémie de la covid-19 a des répercussions très importantes sur la filière nucléaire.

Dans son bilan électrique pour l’année 2020, RTE a relevé que, « du fait de la pandémie de covid-19, l’année 2020 marque une rupture ».

Au total, on observe une chute de 3,5 % de la consommation d’électricité, 7 % pour sa production et 18 % pour son prix : c’est considérable !

Cette crise affecte au premier chef notre fournisseur historique, EDF, avec une chute de la production d’énergie nucléaire de 13 %, une perte de recettes de 2 milliards d’euros et un décalage du programme d’« arrêts de tranches », c’est-à-dire les opérations de maintenance des centrales nucléaires.

Cette crise pèse sur notre sécurité d’approvisionnement. Sur ce point, RTE a relevé que notre production d’électricité sera « sans aucune capacité supplémentaire » jusqu’en 2023.

Cette crise éprouve notre souveraineté énergétique. Selon RTE, la France a été importatrice d’électricité pendant quarante-trois jours en 2020, contre vingt-cinq en 2019.

Enfin, cette crise érode notre capacité d’investissement. EDF est ainsi confrontée à un « mur d’investissements ». Grevé d’une dette de 40 milliards d’euros, le groupe doit parvenir à financer le « grand carénage », les chantiers des EPR, mais aussi ses programmes d’énergies renouvelables.

Dans ce contexte très perturbé, les réponses apportées par le Gouvernement ne sont pas à la hauteur des enjeux de la filière nucléaire.

Tout d’abord, la chute de la production d’énergie nucléaire résulte non seulement d’un facteur exogène, la crise de la covid, mais aussi d’un choix politique, la fermeture de la centrale de Fessenheim.

C’est un immense gâchis ! (Marques dapprobation sur les travées du groupe Les Républicains.)

Sur le plan économique, tout d’abord, cette fermeture coûte 5 milliards d’euros.

Sur le plan social, ensuite, 150 salariés ont déjà quitté le site et seuls 60 resteront à terme.

Sur le plan énergétique, enfin, le parc nucléaire a perdu 1,8 gigawatt de puissance.

Face aux difficultés liées à la sécurité d’approvisionnement, la ministre Barbara Pompili et la secrétaire d’État Bérangère Abba se sont contentées d’appeler, ici même, « à diversifier notre mix énergétique ».

C’est une erreur majeure, car les énergies renouvelables, intermittentes, ne permettent pas de surmonter « la pointe de consommation » hivernale.

En clair, si nous délaissons nos centrales nucléaires nationales, nous ferons tourner à plein régime les centrales à charbon étrangères.

Loin de veiller à notre souveraineté énergétique, le Gouvernement n’offre pas de solutions pour le retour des turbines nucléaires, fabriquées par Arabelle, ou l’avenir des services nucléaires, assurés par Endel.

Nous manquons cruellement d’un État stratège dans le domaine, stratégique, de l’énergie nucléaire !

Pour ce qui concerne nos capacités d’investissement, le Gouvernement ne propose aucune réponse à ce jour.

La réforme de l’Arenh est conditionnée au projet « Hercule », la construction de nouveaux EPR à la mise en service de celui de Flamanville, les investissements mobilisables aux négociations sur la « taxonomie verte ».

Dans le domaine du nucléaire, tout est en chantier, tout est en suspens. Aucune décision n’est prise, aucune information n’est donnée. Les réformes sont tantôt imminentes, tantôt encalminées. Or il devient urgent que le Gouvernement s’exprime, qu’il affirme un cap nucléaire, clairement établi et vraiment appliqué.

À quelques semaines de l’examen par le Sénat du projet de loi Climat et résilience, cela devient une nécessité. Aucune disposition de ce texte n’évoque le nucléaire. C’est tout à fait paradoxal, mais peut-être aussi très révélateur !

Au-delà de ce constat, très inquiétant, que faire ?

J’ai la conviction que le moment est venu de réaffirmer notre confiance en la filière nucléaire : un cap, des projets, des financements.

Nous devons, tout d’abord, fixer un cap ambitieux. Dès l’examen de la loi Énergie-climat, j’avais alerté sur l’insuffisante évaluation préalable de la fermeture des quatorze réacteurs nucléaires d’ici à 2035.

Nous en mesurons aujourd’hui les conséquences pour les territoires et les salariés concernés, a fortiori dans le contexte de crise de la covid-19.

Preuve de son manque d’anticipation, le Gouvernement a voulu supprimer la commission chargée du démantèlement des centrales nucléaires dans le cadre de la loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP) : le Sénat s’y est fermement opposé.

Face à un exécutif hésitant, le Parlement doit jouer tout son rôle : je plaide pour que la prochaine « loi quinquennale » soit celle d’une politique nucléaire ambitieuse.

Nous devons, de plus, promouvoir des projets.

Cela suppose de redoubler d’efforts pour sortir des difficultés du chantier de l’EPR de Flamanville, que Jean-Martin Folz, dans son rapport, a imputées à une « perte de compétences généralisée ».

Les difficultés de la filière nucléaire sont à l’image de celles de l’industrie : notre pays s’est trop longtemps résigné à une perte d’emplois, de compétences ou de technologies, sous l’effet de la mondialisation des échanges.

Cette période est révolue, et il nous faut renouer avec le volontarisme : la réindustrialisation de la France commence par la renaissance de la filière nucléaire.

À cette fin, un effort de recherche et d’innovation suffisant doit être consenti, en direction notamment des petits réacteurs modulaires, des réacteurs à neutrons rapides et des électrolyseurs à hydrogène bas-carbone.

Par ailleurs, des choix clairs doivent être faits : le projet de construction de trois nouvelles paires d’EPR, proposé par EDF, mérite d’être étudié avec attention.

Enfin, nous devons mobiliser des financements suffisants.

Cela implique de rehausser les ressources nécessaires dans le cadre du plan de relance, de défendre l’énergie nucléaire dans les négociations sur la « taxonomie verte » et de préparer l’évolution de l’Arenh après 2025.

Au total, nous attendons du Gouvernement un changement de politique, pour redonner à l’énergie nucléaire la place qu’elle n’aurait jamais dû perdre. La France a besoin d’une colonne vertébrale énergétique.

Je souhaite que l’examen de cette proposition de résolution soit l’occasion de rappeler l’attachement du Sénat à l’énergie nucléaire, car notre assemblée, celle du temps long, est très attentive à la science et à l’écologie.

Or c’est avec l’énergie nucléaire que nous pouvons atteindre nos objectifs énergétiques et climatiques, fixés par la loi Énergie-climat, reconquérir la production industrielle de notre pays et garantir l’accessibilité à tous nos concitoyens.

C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à adopter la proposition de résolution qui vous est soumise aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Claude Anglars. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord saluer Sophie Primas et Bruno Retailleau, coauteurs de cette proposition de résolution, et m’associer pleinement aux propos de mon collègue Daniel Gremillet.

La politique publique énergétique de notre pays est affectée par l’indécision du Gouvernement.

Toutefois, il ne s’agit pas uniquement de son incapacité à définir un scénario réaliste. Le Gouvernement dispose en effet de tous les moyens et données pour établir des scénarios plausibles s’agissant de l’évolution de la consommation énergétique, notamment électrique.

Ainsi, nous le savons, entre 2012 et 2019, la consommation énergétique finale n’a diminué que de 1,4 %, alors que le plan pluriannuel de l’énergie 2016 prévoyait une baisse de 12,3 % entre 2012 et 2023. Les prévisions n’ont donc pas été atteintes.

Le Gouvernement table aujourd’hui – rendez-vous compte, mes chers collègues – sur une baisse de 50 % d’ici à 2035, c’est-à-dire une diminution trente-cinq fois plus importante, sur seulement le double de temps !

Cela ne paraît pas très sérieux. La réduction de la consommation énergétique finale de 50 % en 2050 est une hypothèse irréaliste. C’est un mirage sur lequel ne peut pas reposer une politique énergétique honnête et juste.

Cela rend le problème encore plus grave et inquiétant pour l’avenir. La difficulté majeure, selon moi, est de ne pas concevoir la transition écologique autrement que comme un slogan médiatique et une promesse de campagne.

Mais gouverner, c’est autre chose, c’est faire des choix. Il ne s’agit pas de promettre et de faire croire ; il s’agit de faire !

L’une des premières responsabilités du Gouvernement est ainsi d’éviter les risques de carences, de coupures d’approvisionnement électrique ou, pire, de blackout énergétique – nous en avons débattu ici même il y a peu.

Pour éviter la réalisation de ces scénarios catastrophes à court et moyen termes, il n’y a pas d’autres choix que de se fonder sur les moyens dont dispose la France, ce qui suppose d’accorder une place centrale au nucléaire, qu’on le veuille ou non, dans notre bouquet énergétique.

Pour réaliser ses ambitions écologiques, la politique énergétique du Gouvernement doit aussi gagner en clarté.

En ce sens, la mise en concurrence des concessions hydrauliques, sous la pression de la réglementation européenne, et le projet Hercule ne sont pas des bases solides.

D’une part, elles portent atteinte à la souveraineté énergétique nationale ; d’autre part, elles négligent la diversification de notre mix énergétique.

L’hydroélectricité peut évidemment concourir à atteindre l’objectif de « neutralité carbone » en 2050, mais pas à n’importe quelles conditions.

J’interrogeais récemment encore, ici même, la ministre de la transition écologique à propos de la prorogation des concessions des barrages du Lot et de la Truyère en Aveyron, qui représentent 10 % de l’énergie hydroélectrique en France ; aucune réponse claire ne m’a été donnée.

Le problème est donc celui d’une invocation idéologique de la transition écologique, qui se décline dans tous les domaines des politiques publiques, de manière bien souvent irresponsable.

Récemment encore, le Gouvernement a pris des mesures contradictoires avec ses annonces passées concernant la filière automobile diesel, en décidant ne plus soutenir la transition écologique de cette filière.

Trois mois plus tard, les conséquences se répercutent en cascade, avec des licenciements en nombre : plus de 1 000 suppressions d’emplois en Aveyron, dans les usines Bosch de Rodez et SAM de Viviez, et des territoires désabusés.

Je pourrais également évoquer l’impact économique de la réglementation environnementale RE 2020. Sur ce sujet, les mêmes causes produisent encore les mêmes conséquences : manque d’association des professionnels, insuffisance de l’évaluation réalisée et, surtout, crainte des ménages face à l’augmentation des coûts induits par ces mesures. Le renforcement de l’efficacité énergétique des logements neufs est nécessaire, mais sa mise en œuvre est à revoir.

En évoquant ces problèmes, je ne m’écarte pas du sujet de la présente résolution.

Au contraire, je montre à quel point cette résolution est pertinente : en effet, sur bien des sujets, la transition écologique est invoquée par le Gouvernement pour justifier des choix incohérents, irréalistes et au final néfastes pour nos concitoyens, pour leur portefeuille et pour l’aménagement du territoire.

Les citoyens ne sont pas dupes. Ils nous font part de leurs inquiétudes et de leurs préoccupations, comme aujourd’hui, en Aveyron, à Onet-le-Château ou à Viviez. Ils dénoncent l’incohérence des choix gouvernementaux sous couvert d’ambitions écologiques.

La mise en cohérence de la politique énergétique, conciliée avec des ambitions écologiques fortes, est une nécessité sur laquelle la responsabilité du Gouvernement doit être affirmée.

Il est urgent de poser les jalons d’une véritable politique énergétique pluridimensionnelle dans laquelle le nucléaire a toute sa place.

Cette cohérence est celle d’une politique pragmatique, au sein d’une transition écologique ambitieuse, mais responsable pour l’avenir de la France et de nos concitoyens.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Claude Anglars. Ce qui se joue ici, mes chers collègues, ce ne sont pas des querelles partisanes ; c’est l’avenir de la souveraineté énergétique de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

Mme Sophie Primas et M. Bruno Sido. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle.

M. Pierre Médevielle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la neutralité carbone à l’horizon 2050 (Lorateur met sa main en visière.) : oui, mais comment ?

Il est juste de s’interroger sur les moyens pour l’atteindre, comme le fait cette proposition de résolution.

Le principal objectif est ainsi de sortir des énergies fossiles polluantes et de développer les énergies non émettrices de gaz à effet de serre. La stratégie française doit composer avec des impératifs climatiques et viser l’indépendance énergétique.

La composition de notre bouquet énergétique en constitue un aspect. Il faut ainsi travailler à des évolutions pertinentes pour le rendre à la fois sûr, décarboné et compétitif.

Je pense que l’une des clés de la réussite est d’augmenter la part de l’électricité dans notre mix énergétique. La décarbonation de secteurs entiers de notre économie sera un élément crucial, et la priorité doit donc selon moi aller vers les secteurs industriels fortement émetteurs, comme l’acier, le ciment et les transports.

Les demandes augmentent et les émissions doivent baisser. Si nous parvenons à décarboner ces secteurs, l’effet d’entraînement sera immense.

L’énergie nucléaire, fleuron de l’industrie française depuis les années 1970, a le mérite d’apporter une solution à la décarbonation de notre mix énergétique, comme l’a fait remarquer Brice Lalonde.

C’est un atout à préserver, comme le souligne la proposition. C’est le point névralgique du débat électrique en France.

Cependant, plusieurs problèmes se posent.

Premièrement, il faut préserver et développer notre savoir-faire reconnu en la matière et poursuivre les innovations technologiques, qui nécessiteront de lourds investissements. C’est une question d’économie et d’emplois. Le secteur place de grands espoirs dans le nucléaire de quatrième génération, qui pourra fonctionner avec certains déchets.

Deuxièmement, si nous pouvons organiser le recyclage et la réutilisation des déchets nucléaires, une part importante du problème sera réglée.

Le stockage en profondeur, type Cigéo, semble être une solution très prometteuse, même si nous pouvons nous interroger légitimement sur la notion de réversibilité du stockage.

Troisièmement, enfin, il faut intensifier le travail sur la sûreté.

Elle doit être envisagée selon plusieurs angles : technologique, risque d’accident météorologique et sécurité nationale. En effet, toutes ces installations peuvent représenter des cibles privilégiées pour les terroristes.

Si le nucléaire est le cœur du débat électrique, alors les énergies renouvelables en sont les poumons.

Si le nucléaire est indispensable dans notre mix énergétique, les énergies renouvelables sont tout aussi cruciales.

La diversité des sources d’énergie est stratégique ; elle apparaît comme un choix de bon sens.

Les énergies renouvelables deviennent de plus en plus efficaces. Elles sont aussi de moins en moins onéreuses et concurrencent aujourd’hui les prix du nucléaire. L’électricité en France représente déjà une part importante du budget pour de nombreux ménages ; la précarité énergétique doit continuer de reculer.

Le solaire doit également retenir toute notre attention. Les progrès déjà réalisés dans ce domaine sont immenses et la technologie avance à pas de géant – je pense notamment au taux de recyclabilité des panneaux solaires.

Par souci de compétitivité, les futurs investissements dans ce secteur, comme dans celui des batteries ou de l’hydrogène, doivent être réalisés à l’échelon européen, d’autant que, dans ce domaine, nous dépendons fortement des fournisseurs asiatiques.

Bien sûr, j’ai lu dans la proposition de résolution toutes les craintes autour de l’intermittence des énergies renouvelables et de leur stockage. Là encore, je crois que les innovations technologiques sont d’ampleur et que les solutions sont désormais à portée de main.

Nous devons poursuivre inlassablement le travail et les investissements afin de permettre l’émergence de solutions nouvelles, comme celle qu’apporte l’hydrogène, via la conversion d’électricité en gaz.

La part d’électricité dans notre bouquet énergétique et la baisse des émissions sont directement liées aux usages des consommateurs. Il faut poursuivre notre action, notamment dans les performances thermiques de l’habitat et dans le secteur automobile.

Le bon sens nous le rappelle : l’énergie la plus propre sera toujours celle qui n’a pas été consommée. Mais si nous voulons éviter de cruelles déceptions à l’avenir, attachons-nous à afficher des objectifs réalistes au lieu de faire de la communication politicienne fantaisiste et utopique. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)

Mme Sophie Primas. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon.

M. Daniel Salmon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, abandonner les énergies fossiles est une urgence, un impératif de survie pour l’humanité !

Mme Sophie Primas. Sur ce point, nous sommes d’accord !

M. Daniel Salmon. Produire notre électricité de demain sans émettre de CO2 est indispensable, même si, rappelons-le, 75 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre proviennent de secteurs sans aucun lien avec la production d’électricité.

M. Daniel Salmon. Aujourd’hui, nous sommes à un tournant. Les choix politiques effectués sur les questions énergétiques engageront la France pour des décennies, voire, selon les décisions, pour des millénaires.

Pour y répondre, deux options sont sur la table. La vôtre : une relance du nucléaire, cette énergie obsolète,…

M. Daniel Salmon. … fragile, dangereuse, chère, qui oblige l’État à une nationalisation du parc nucléaire pour assurer la charge des investissements colossaux.

La nôtre : un engagement immédiat, massif et sans faille dans la sobriété énergétique et les énergies renouvelables, avec parallèlement une sortie programmée du nucléaire.

À l’heure où les choix du Gouvernement s’orientent vers la décision irresponsable de construire un nouveau parc nucléaire EPR en France, il est temps d’ouvrir les yeux sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une énergie d’avenir. Le Gouvernement, comme l’administration, s’arc-boute sur des schémas du XXe siècle, en restant habité par cette mystique qui veut que la grandeur de la France passe nécessairement par une industrie nucléaire triomphante. La puissance du nucléaire, oui, mais avec quelles conséquences ?

La construction de nouveaux EPR dans les prochaines décennies est plus qu’aventureuse, au niveau technique aussi bien que financier. Comme le montre l’EPR de Flamanville, l’industrie nucléaire française ne maîtrise pas ce genre de chantiers. Alors qu’il devait être opérationnel en 2012, cet EPR ne le sera pas avant 2023. Et son coût a été multiplié par six – une bagatelle !

M. Bruno Sido. Pour l’instant !

M. Daniel Salmon. EDF est au bord de la faillite et l’argent public devrait être mieux utilisé. Ces prétendus fleurons de l’industrie française nous coûtent cher, très cher, excessivement cher. Ces réacteurs n’ont aucune chance d’être rentables sur le marché électrique européen.

Le choix du nucléaire pose des problèmes majeurs de sûreté, de sécurité et de déchets.

Dix ans après la catastrophe de Fukushima, qui a cruellement rappelé à la communauté internationale les dangers de cette industrie, nous ne pouvons plus jouer les apprentis sorciers.

Qui peut dire, à l’heure de cette pandémie, comment sera la société dans dix ans, cent ans et plus ?

À l’heure où nos entreprises et nos hôpitaux sont l’objet de cyberattaques, notre vulnérabilité est extrême avec l’industrie atomique. Alors que nos fleuves sont au plus bas en été, la poursuite du nucléaire, c’est un pari fait en regardant dans une boule de cristal.

Parlons également de nos vieux réacteurs. L’échelonnement des travaux de remise aux normes pour autoriser la poursuite de l’exploitation au-delà de quarante ans est une prise de risque très importante, surtout au vu de l’accumulation d’incidents graves ces dix dernières années. L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) estime qu’un accident nucléaire coûterait a minima 400 milliards d’euros. (Marques dagacement sur des travées du groupe Les Républicains.) Et il n’y a pas que l’argent qui compte !

Sur la question des déchets nucléaires, qu’on ne sait tout simplement pas gérer, dans quelle langue écrire « attention danger » pour des produits dont la durée de vie excède de loin 10 000 ans, quand l’invention de l’écriture date d’environ 5 000 ans ?

Quant à la faisabilité technique d’un mix électrique décarboné « 100 % renouvelables » d’ici à 2050, sans nouveau nucléaire, l’étude RTE-AIE parue le 27 janvier a conclu que, oui, c’était difficile, mais possible !

Bien sûr, un certain nombre de conditions devront être réunies pour garantir à la fois la sécurité de l’alimentation en électricité, la disponibilité de réserves opérationnelles, la stabilité de la fréquence du système électrique et, enfin, le bon fonctionnement des réseaux de transport et de distribution.

Cependant, contrairement à ce que vous indiquez dans votre résolution, le « 100 % renouvelables » n’est pas impossible. Il est bel et bien faisable !