M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe Rassemblement des démocrates progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. François Patriat. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, au-delà des talents d’orateur qu’ont déployés ceux qui m’ont précédé, la dureté de certains propos, la véhémence de certaines attaques, les sarcasmes faciles, les procès sans appel m’ont conduit à interroger certains d’entre vous, qui m’ont répondu : « C’est le jeu ! » (Protestations sur les travées des groupes SER et Les Républicains.)
Croyez-vous, mes chers collègues, que le moment que nous vivons soit un moment de jeu ?
Mme Dominique Estrosi Sassone. Personne ne l’a dit !
M. François Patriat. Cela fait un an que l’inquiétude du covid-19 frappe l’ensemble des pays du monde, bouleversant les échanges, endeuillant les familles, transformant nos vies. Chacun d’entre nous a vécu dans sa ville, dans son entourage, dans son intimité, le doute, l’éloignement, la solitude et parfois le décès.
Un an pour mieux comprendre ce virus nouveau, c’est désormais le cas ; un an pour s’armer face à lui, pour lutter, chacun, mois par mois, contre l’évolution de la maladie, avec, en perspective, la vaccination en première ligne ; un an durant lequel nous avons tous dû prendre, en conscience, des décisions cruciales avec pour objectif d’agir en responsabilité et, pour nous tous, de tenir ensemble.
La question qui nous est posée aujourd’hui, après l’Assemblée nationale, est d’apporter ou non notre adhésion aux mesures prises par le chef de l’État et par le Gouvernement. J’entends parler de fausse concertation, de mise en demeure. Je peux vous dire que j’ai participé à tous les comités de liaison et que je n’ai jamais entendu de propositions de la part de présidents de groupe de cette assemblée. Jamais ! (Protestations sur les travées des groupes CRCE, SER, UC et Les Républicains. – M. Bernard Jomier s’exclame.)
On ne peut prétendre aujourd’hui qu’il n’y a pas eu de consultations, les décisions prises par le Gouvernement hier l’ont été après de nombreuses consultations, monsieur Jomier, je vous le dis ! Hier encore, vous évoquiez un homme seul au pouvoir ; vous tombez dans une irresponsabilité qui vous déshonore quelque peu. (Vives protestations sur les travées du groupe SER.)
Il y aura eu bien des anathèmes, bien des mises en demeure, bien des caricatures, beaucoup de « y’a qu’à, faut qu’on ». Il est facile, sur un plateau, de réclamer la fermeture des écoles, puis de dire, le même jour, qu’il serait inhumain de confiner les Français. Derrière ces mots, pourtant, il existe une multitude de réalités, des parents débordés, des enfants seuls face à leurs difficultés, d’autres, entourés par des tuteurs.
En laissant les écoles ouvertes, monsieur le ministre de l’éducation nationale, pendant 42 semaines, le choix a été fait de pallier ces inégalités, ce qui nous préserve aujourd’hui du drame éducatif que relève l’Unesco. Plutôt que de critiquer la France tous les jours, vous feriez mieux, parfois, d’en saluer les bienfaits !
M. Bernard Jomier. Ce n’est pas la France que nous critiquons !
M. François Patriat. Aujourd’hui, plus encore qu’il y a un an, l’humilité me semble essentielle. (Rires et applaudissements ironiques sur les travées des groupes SER et Les Républicains.) Merci, mes chers collègues, ces applaudissements me font chaud au cœur !
Pourrions-nous enfin sortir du jeu politique et des postures binaires qui, trop souvent, dénaturent notre débat ? Notre rôle impose que chacun de nos mots soit choisi avec responsabilité, dans ce climat où il est si facile de les user comme des leçons, des reproches ou des menaces.
J’entends qu’il y aurait d’un côté, ici ou là, ceux qui critiquent, qui savent, qui prédisent, qui écoutent et qui ne décident jamais et, de l’autre, ceux qui ignorent, qui sont arrogants, qui ne consultent pas, qui n’entendent pas, qui décident et dont les décisions sont toujours contestées. Non, ce jeu-là ne fait pas avancer notre pays, non plus que la lutte contre le virus.
Nous pouvons en sortir, parce que l’expérience de cette année de drame épidémiologique nous a apporté un certain nombre d’enseignements. Quels sont-ils ? Tout d’abord, l’évolution de l’épidémie a toujours été une suite d’aléas, de mauvaises surprises, d’événements venant contredire ce qui était, la veille encore, perçu comme une vérité. Chaque mesure nouvelle est un choix difficile, mais nécessaire.
Nos décisions, si nous les regardons rétrospectivement, ont montré leurs effets. J’ai à l’esprit, par exemple, la décision prise par le chef de l’État, il y a un an, en avril 2020, de rouvrir la vie au mois de mai. Celle-ci avait été contestée, y compris sur ces travées, qualifiée de prématurée et de dangereuse, mais elle s’est révélée efficace, juste et adaptée. Elle a été saluée à l’époque comme un modèle de déconfinement, que vous avez conduit, monsieur le Premier ministre.
On nous a reproché ensuite, au mois d’octobre, d’avoir pris la décision de confiner sans concertation, alors que nous étions, je vous le rappelle, à 50 000 contaminations par jour. À cette époque, au mois de novembre, j’ai un jour entendu, dans cet hémicycle, durant les questions d’actualité, sept questions demandant de rouvrir les commerces, les librairies, les discothèques, les salles de gym, etc. (Oui ! sur les travées des groupes SER et Les Républicains.)
M. Vincent Éblé. Avec des masques, avec des vaccins !
M. François Patriat. J’ai entendu cela, alors que, dans le même temps, nous peinions à diminuer le nombre de contaminations, qui était de 50 000, et que nous sommes malgré tout arrivés à 20 000. Pendant ce temps, vous demandiez des mesures de liberté et vous accusiez le Gouvernement d’être liberticide.
Depuis trois mois, j’ai entendu tellement d’avis contraires ! Certains indiquaient qu’il fallait confiner, préventivement. Monsieur Retailleau, c’est pourtant une méthode qui n’a réussi dans aucun des pays où elle a été mise en œuvre. Le confinement préventif, cela n’existe pas, ce n’est utile que quand le virus est là. Ainsi, cela n’a pas empêché l’Allemagne d’avoir une forte contamination. Confiner préventivement n’est donc pas la bonne solution.
Il y a ceux qui auraient voulu, au contraire, laisser la France sans coercition, sans obstacle, dans une irresponsabilité que nous retrouvons parfois dans certains comportements. Ce qui s’est passé le week-end dernier dans telle ou telle ville que je ne citerai pas, ce que je vois au quotidien dans les métropoles, ne m’incite pas à affirmer sans réserve que la responsabilité irait de soi.
Certains s’adonnent à des comparaisons hasardeuses avec d’autres pays, les bonnes mesures étant apparemment souvent prises ailleurs. La fascination pour l’étranger qui sévit aujourd’hui me surprendra toujours ! Probablement oublient-ils de mentionner le nombre de morts aux États-Unis, où le covid-19 est la troisième cause de mortalité en 2020, où le taux de chômage atteint 14 % en avril, ou de préciser que le déconfinement réussi au Royaume-Uni se résume à la possibilité de se retrouver dans un parc à six personnes ?
Non, le Gouvernement ne prend pas de demi-mesures, il prend des mesures appropriées, graduées, pour faire face à l’explosion virale actuelle, et qui permettront de passer le pic dans quelques jours puis, dans quelques semaines, de revenir, grâce à la vaccination, à une vie presque normale.
Cette vaccination, certains n’en voulaient pas, au Rassemblement national, par exemple. J’ai ainsi entendu Mme Le Pen indiquer qu’elle ne se ferait jamais vacciner. M. Mélenchon et des membres de la France insoumise ont tenu les mêmes propos sur les plateaux (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE.), je les ai encore entendus hier.
M. Jacques Grosperrin. Ce sont les mêmes !
M. François Patriat. Tel sénateur ici présent recommandait à tous les Français de se faire soigner à la chloroquine et disait, début janvier, dans un tweet, qu’on ne pouvait pas le prendre pour un cobaye ! Il se reconnaîtra.
Je rappelle que début janvier, 60 % des Français ne voulaient pas se faire vacciner. Pourtant, le Gouvernement a tenu. Il avait anticipé, il avait choisi de produire et d’acheter des vaccins dans le cadre européen. Heureusement que ce cadre a été respecté, sinon, je ne sais dans quelle guerre d’achat de vaccins nous nous trouverions aujourd’hui.
M. Jacques Grosperrin. Trop, c’est trop !
M. François Patriat. Le rythme des vaccinations, que certains ont contesté, a été tenu ! (Exclamations.) Vous avez douté de nous voir atteindre un million de personnes vaccinées en janvier, nous avons dépassé ce chiffre ! Vous avez douté de nous voir atteindre 4 millions de personnes vaccinées en février, nous avons dépassé ce chiffre ! Vous doutez que nous parvenions à 10 millions au mois d’avril et nous les dépasserons encore.
M. Vincent Segouin. C’est fini !
M. François Patriat. Vous doutez des 30 millions fin juin et nous y arriverons, et vous doutez encore que les Français puissent être vaccinés à l’été, c’est votre responsabilité !
Au moment de prendre une décision, aujourd’hui, on peut toujours contester toutes les mesures et, si j’en crois ce que disait ce matin un leader de l’opposition, il ne faut fermer ni les écoles ni les commerces. Mais alors, que faut-il faire face à cette situation explosive ?
Les mesures que propose le Gouvernement me semblent sages, elles pourront nous permettre de passer les trois ou quatre semaines difficiles qui précèdent l’embellie, sous l’effet de la vaccination. C’est la raison pour laquelle nous apporterons notre soutien aux décisions prises.
J’ai beaucoup entendu parler de Jupiter aujourd’hui, mais, en ce jour particulier et en vous entendant refuser de voter, c’est à Ponce Pilate que je pense et nous ne ferons pas partie de ce camp-là ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Huées sur les travées des groupes Les Républicains, SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le Premier ministre, à l’écoute de votre déclaration, j’ai – soyez sûr que je le regrette ! – la sensation d’un déjà-vu. Vos propos sont dans la droite ligne des annonces du Président de la République, sans surprise. Depuis maintenant une année que ces déclarations se suivent, avec les prorogations de l’état d’urgence sanitaire, deux impressions sont devenues des certitudes.
Tout d’abord, celle d’un Président de la République qui décide, comme si la Ve République avait atteint son plafond de verre en ces instants dramatiques ; celle, ensuite, d’un exécutif qui parle des « choix collectifs que nous avons faits ». Je vous le demande : quel choix collectif a été fait ? Le confinement, le déconfinement, le reconfinement, le confinement limité, la fermeture des commerces, le couvre-feu à dix-huit heures, à dix-neuf heures, le rayon de vingt kilomètres, puis de dix kilomètres, le conseil de défense ?
Je crains, monsieur le Premier ministre, que nous n’ayons pas la même définition de ce qu’est un choix collectif dans une démocratie parlementaire. (M. Max Brisson applaudit.)
Une république moderne, comme la réclamait Pierre Mendès France en son temps, aurait nécessité que le débat parlementaire ait lieu avant l’allocution du Président de la République et que l’ensemble du corps législatif soit étroitement associé à toutes les décisions prises depuis maintenant un an.
Depuis un an, c’est – hélas ! – le même schéma qui se reproduit sans qu’aucune leçon ait été retenue. Je constate que le Président de la République a demandé aux soignants un effort pour augmenter nos capacités de réanimation, mais ce qui est nécessaire, avant tout, c’est de disposer de plus de main-d’œuvre et de moyens.
Le Président s’est voulu rassurant, mais le constat est tout autre : l’épidémie a bondi, la vaccination, si elle est effective, est encore trop lente et nous payons tous le pari d’avoir privilégié temporairement l’économie, au risque d’un rebond fulgurant de la contamination.
Je le dis sans ambiguïté : il n’y a aucune intention pour notre part de soulever des polémiques inutiles, mais nous avons l’impression, avec regret, que l’ensemble des mesures prononcées hier auraient pu, et auraient dû, être prises en amont et que nous avons perdu un temps précieux.
Sur ces mesures, je crois que nous pouvons tous partager l’objectif initial qui était de maintenir les écoles ouvertes. Maintenir ce lien entre l’école de la République et ses enfants était nécessaire, car on connaît les conséquences désastreuses d’un éloignement prolongé de l’école pour les élèves, notamment pour les plus défavorisés d’entre eux.
Toutefois, si le virus ne circule pas plus à l’école qu’ailleurs, il n’y circule pas moins non plus, aussi, la fermeture annoncée était devenue inévitable. Face à cela, la simple annonce d’un calendrier de réouverture est insuffisante.
Oui, vous avez annoncé le droit au chômage partiel pour l’ensemble des Français qui ne pourraient pas télétravailler, et ils sont nombreux, notamment dans les territoires ruraux. Pensez-vous pour autant qu’il soit aisé de télétravailler avec des enfants à la maison ? Il faut aller plus loin en proposant des alternatives de garde, en prenant plus largement en compte les 8 millions de familles monoparentales de notre pays.
Il faut, enfin, se servir de ces trois semaines de fermeture pour vacciner prioritairement les professeurs et les encadrants, ce qui permettra de concilier une réouverture rapide des classes et la protection sanitaire que nous devons à nos équipes éducatives.
Sur la vaccination, toujours, on ne peut que souscrire au « Vacciner, vacciner, vacciner » et à la volonté de voir l’ensemble de la population vaccinée au plus tôt.
Pour autant, là encore, on ne peut que regretter les atermoiements concernant la stratégie vaccinale.
Atermoiements, d’abord, sur la commande européenne, plus que timide.
Atermoiements, ensuite, sur le rythme de vaccination des plus âgés et des patients à risque.
Atermoiements, enfin, quant à l’utilisation du vaccin AstraZeneca ou sa suppression temporaire, alors même que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a demandé la poursuite de sa prescription, ce qui a créé la défiance et nourri les scepticismes.
Résultat, l’OMS – encore elle – a jugé que le rythme de vaccination en Europe est « inacceptable ».
À ce titre, même si nous sommes des Européens convaincus, il nous faut militer pour la levée des brevets concernant les vaccins et adapter notre appareil productif afin d’avoir la maîtrise de notre destin vaccinal. En somme, il nous faut agir plutôt que réagir pour atteindre nos objectifs de sortie de crise.
Concernant l’extension des mesures sanitaires à l’ensemble du territoire métropolitain et les règles des dix et des trente kilomètres, je crains que leur application ne soit matériellement difficile.
D’abord, dans les zones rurales, nombre de commerces et de services publics ou même de santé ne se situent pas dans un tel cercle, ce qui mettra automatiquement nombre de nos concitoyens hors la loi.
Ensuite, comment vérifier une adresse lorsque celle-ci n’est pas la même que celle du papier d’identité ? Et lorsque l’adresse est la bonne, comment être sûr que le cercle des dix kilomètres est bien respecté ? Les agents de police et les gendarmes ne sont pas dotés de décamètres !
Vous le savez, ce rayon de dix kilomètres sera tout aussi difficile à respecter dans les zones urbaines : si les services essentiels y sont sans doute plus proches, le besoin de s’aérer n’en est pas moins plus grand, d’autant que tout le monde n’a pas la chance d’avoir une résidence secondaire ou un pied-à-terre à la mer, à la montagne ou la campagne.
Enfin, si l’on a appris une chose de ce virus, c’est bien qu’il est imprévisible. Aussi, bien que nous le souhaitions et l’appelions de nos vœux, il nous paraît prématuré de parler de réouvertures diverses pour la mi-mai.
Monsieur le Premier ministre, un an après la mise en place de politiques diverses pour tester, tracer et isoler, que nous avons votées – ou non d’ailleurs – dans cet hémicycle, ce sont là autant d’éléments sur lesquels nous ne disposons pas d’évaluations, ce qui nous porte à douter de leur efficacité.
Un an après, des millions de Français ont toujours autant d’incertitudes : ils ne savent pas s’ils pourront un jour se soigner, travailler, étudier, aller au cinéma, au restaurant ou au café, bref, reprendre une vie normale et décente.
Au final, ce qui a manqué, c’est un débat préalable au Parlement, car c’est bien notre rôle de voter la loi et de contrôler votre action, conformément à l’article 24 de notre Constitution.
Ce qui a manqué aussi, c’est la confiance dans les élus locaux, qui, souvent, sont les plus à même de prendre des décisions pour leur territoire. Mettons-nous à la place du maire de Cahors, de Tarbes ou de Mende, qui voient les décisions arriver d’en haut et subissent du jour au lendemain la fermeture de leurs commerces non essentiels sans avoir été consultés.
Ce qui manque, au fond, c’est la confiance de nos concitoyens, des élus des territoires et de la majorité des membres du RDSE, dont vous connaissez pourtant l’attachement à nos institutions et la volonté de placer l’intérêt du pays au-delà de toute querelle partisane.
L’unité aurait été de mise, ainsi que l’image d’une nation rassemblée face aux défis auxquels nous sommes confrontés. Hélas, monsieur le Premier ministre, l’unité nationale ne se décrète pas : elle se construit. Aussi, vous comprendrez que notre groupe, non pas à l’unanimité, mais dans sa très grande majorité, ne prendra pas part au vote. (Applaudissements sur toutes les travées, sauf celles des groupes RDPI et INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le Premier ministre, si la vie de milliers de nos compatriotes ne tenait pas aujourd’hui à un fil, si la vie sociale et économique du pays n’était pas bouleversée, le débat auquel vous nous convoquez aujourd’hui s’apparenterait à une mauvaise blague.
Une nouvelle fois, le Président de la République a présenté seul, hier, des mesures pour lutter contre la pandémie, dont il a décidé seul, accompagné par le seul Conseil de défense. Le Parlement est donc définitivement perçu comme une chambre d’enregistrement, écartée progressivement depuis le début de la crise, et aujourd’hui, définitivement mise sur la touche.
M. Yves Bouloux. Eh oui !
Mme Éliane Assassi. Nous sommes donc convoqués aujourd’hui pour vous écouter nous expliquer les décisions présidentielles, au cas où nous n’aurions pas bien compris. De surcroît, vous nous demandez de voter sur des propositions, d’une part, qui n’ont absolument pas été débattues préalablement, et, d’autre part, dont nous ignorons les motivations. En clair, nous ne savons pas pourquoi Emmanuel Macron a décidé certaines mesures qu’il rejetait quelques jours plus tôt, et pourquoi il en a écarté d’autres.
Dès le début de la crise, le 19 mars 2020, nous avons alerté, ici même, au Sénat, sur le risque de dérive autoritaire que comportait l’état d’urgence sanitaire. Depuis des mois, nous demandons de renoncer à cet état d’exception qui met le couvercle sur la démocratie. Rappelez-vous, mes chers collègues, de la dernière prorogation : nous avons rappelé que l’état d’urgence n’était plus une justification et que la gravité de la situation exigeait de rendre au Parlement sa capacité permanente de décision.
La représentation nationale, c’est la représentation du peuple, monsieur le Premier ministre. Le Parlement, c’est cela, et non un aréopage de gens inutiles, comme au temps du Conseil des Cinq-Cents. M. Macron et vous-même renvoyez à l’opinion publique cette conception qui serait la vôtre du Parlement.
Le mépris du Parlement est patent, et nous tenons à exprimer solennellement notre désaccord profond avec cette pratique institutionnelle. C’est même de la colère, monsieur le Premier ministre, car nous constatons la mise en pratique de la volonté jupitérienne d’écarter le Parlement de sa route, alors que la révision constitutionnelle préparée par le chef de l’État n’a pu être imposée ni ici ni au pays.
Cette dérive autocratique que beaucoup ont soulignée et dénoncée dès les premières heures du quinquennat prend une dimension inquiétante aujourd’hui, le Président de la République écartant tout de son chemin : Parlement, Conseil des ministres, puisque le Conseil de défense, détourné de son objet initial fixé par l’article 15 de la Constitution relatif au rôle de chef des armées du Président le supplée, et même le Conseil scientifique, puisque Emmanuel Macron, si l’on en croit les éloges de M. Blanquer, détient la connaissance, voire la science infuse en matière épidémiologique.
L’exercice solitaire du pouvoir n’est jamais une bonne chose pour la démocratie ; en temps de crise, cela peut générer des drames. La reprise en main par le Parlement, par le collectif, par la démocratie devient une nécessité absolue.
Hier soir, M. Macron nous a donc présenté ses choix : nouveau changement de pied avec la fermeture, brève pour l’instant, des établissements scolaires et l’abandon de la stratégie territoriale. On aura d’ailleurs noté cette étonnante initiative, au nom de la « respiration », d’autoriser la circulation dans tout le pays jusqu’au 5 avril, pour permettre sans doute aux propriétaires de résidences secondaires en particulier, de passer trois semaines ou le mois à venir au vert.
Ces évolutions, manifestes pour l’école, alors qu’au cours des jours qui ont précédé les ministres MM. Véran et Blanquer expliquaient que la situation était maîtrisée, sont justifiées par la nouvelle donne qu’impose le variant anglais.
Monsieur le Premier ministre, le 29 janvier, lorsqu’a été prise la décision de ne pas reconfiner et de préférer des mesures de freinage, qui ont échoué, vous saviez que le variant anglais pouvait avoir des effets dévastateurs dans notre pays.
Mme Éliane Assassi. Le 19 janvier, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a mis en ligne une modélisation estimant que le variant anglais « deviendrait dominant entre fin février et mi-mars ». L’Inserm avait également annoncé le niveau d’hospitalisation auquel nous allons parvenir dans les jours à venir.
Nous avons noté le scepticisme, au sein même du Gouvernement, concernant les annonces de Boris Johnson le 22 janvier sur un variant potentiellement plus mortel. Le 10 mars, une étude incontestée affirmait que ce variant anglais était « 64 % plus mortel ». M. Macron le savait, vous saviez ; pourtant, vous avez attendu d’être dos au mur, celui de la saturation des services de réanimation, pour agir. L’avenir nous dira si ces décisions sont suffisantes.
Nous ne détenons pas la vérité sur cette épidémie, ou du moins, pas plus que vous, monsieur le Premier ministre.
Mme Éliane Assassi. Les rebondissements dramatiques invitent, me semble-t-il, à l’humilité. Mais il y a une vérité que M. Macron a dissimulée hier en demandant encore plus d’efforts aux soignants : c’est cette saturation et les tris déjà engagés, puisque, ne jouons pas sur les mots, déprogrammer des opérations, c’est bien trier des malades et les mettre en danger. Vous savez très bien que la question du tri des malades de la covid se posera très vite.
M. Macron a annoncé, par un retour de la pensée magique, que 10 000 lits de réanimation allaient être ouverts rapidement, sans plus de précisions, de délai. Monsieur le Premier ministre, je vous ai interrogé ici même, au Sénat, il y a quinze jours sur la promesse non tenue depuis un an d’ouverture de ces lits de réanimation. Vous avez indiqué que de tels lits ne pouvaient se commander chez Ikea ni être créés en un claquement de doigts.
Vous ne pouviez pas ; M. Macron l’a fait. Qu’en pensez-vous ? Le Président cherche-t-il à faire oublier qu’avec vous il poursuit, contrairement à ses dires depuis un an, la fermeture des lits ?
Ce qui a été annoncé hier, c’est l’absence totale d’anticipation, soulignée par la Cour des comptes, en matière de réanimation. Pardonnez-moi de vous le dire, monsieur le Premier ministre, mais votre gouvernement est resté les deux pieds dans le même sabot en la matière, engoncé dans le dogme libéral d’économie de la dépense publique. Les conséquences sont aujourd’hui dramatiques. Le « quoi qu’il en coûte » n’a pas été appliqué pour l’hôpital.
Monsieur le Premier ministre, l’espoir, c’est le vaccin. Là aussi, vous avez failli et, avec vous, le système tout entier, cette fameuse loi du marché que dénonçait Emmanuel Macron dans son discours du 12 mars 2020. Le retard mortifère pris en matière de vaccination trouve son origine dans le fléau de la concurrence, du profit, des gains réalisés grâce à la maladie.
Les petits mensonges et autres travestissements de la vérité, les vaccinodromes que l’on moque puis que l’on convoque en urgence, les élus municipaux que l’on critique, que l’on bride mais qui sauvent la situation : tout cela n’aurait pas eu lieu si le vaccin avait été promu comme un bien commun, sorti des logiques capitalistes pour servir l’intérêt général, sans autre profit que la protection de l’humanité.
Pourquoi la France n’agit-elle pas pour la levée des brevets ? (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRCE. – Mme Raymonde Poncet Monge applaudit.) Pouvez-vous nous répondre, monsieur le Premier ministre ? Quelle est la boussole du Président : la santé de nos compatriotes ou le sauvetage d’une économie mondialisée en crise profonde ? La question mérite d’être posée.
J’en viens, enfin, à l’école.
Oui, maintenir les écoles ouvertes est un souhait largement partagé, et nous le partageons ; mais à quel prix ? Donnez-nous les éléments : combien de vies ont-elles été perdues ? Chacun ici a un proche ou un ami malade ou décédé du fait du retard pris pour limiter l’expansion du variant anglais. Les jours et les semaines à venir apporteront cette réponse.
Monsieur le Premier ministre, ce débat – je l’ai dit d’emblée – ne respecte pas le Parlement. Nous devrions débattre des mesures à prendre, mais elles sont déjà prises. C’est la confiance que vous devriez aujourd’hui demander au Parlement et, croyez-moi, nous ne vous l’aurions pas accordée tant la gestion de cette épidémie est contraire aux intérêts de notre pays, de notre peuple.
C’est pourquoi aujourd’hui, avec la quasi-totalité des groupes politiques du Parlement, nous avons décidé, en toute responsabilité, de ne pas participer au vote sur votre déclaration, car cette consultation n’est pas respectueuse de la Constitution et, qui plus est, elle est marquée, monsieur le Premier ministre, d’une certaine hypocrisie. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président du Sénat, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens d’abord à vous remercier pour la qualité de ce débat. À l’écoute de vos interventions, j’ai compris que peu de groupes se prononceront. C’est votre choix de voter ou de ne pas voter.
En revanche, madame la présidente Assassi, le fait de provoquer un débat suivi d’un vote comme celui qui nous réunit est bien conforme à la Constitution. Si ce n’était pas le cas, vous seriez comme nous occupée à d’autres affaires.
Sur le fond, un certain nombre de questions ont été posées. Monsieur le président Marseille, vous nous avez tout d’abord interpellés sur la priorisation de la vaccination, notamment à destination des enseignants.
Comme vous le savez, depuis le début nous avons vacciné de manière prioritaire les publics les plus fragiles par tranche d’âge. À ce jour, 92 % des résidents d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) sont protégés. La vaccination a ensuite progressé chez les plus de 75 ans, puis chez les plus de 70 ans, et elle sera bientôt ouverte aux plus de 60 ans.
À un moment donné, nous aurons suffisamment protégé les publics les plus vulnérables, celles et ceux qui vont en réanimation et qui décèdent des formes graves du covid. Nous observons déjà – et c’est heureux – que la vaccination permet d’enregistrer une baisse de la mortalité par rapport à l’intensité de l’épidémie. Nous pourrons ensuite vacciner des publics prioritaires.
Vous posez une question très légitime : qui est considéré comme appartenant à un public prioritaire et qui ne l’est pas ? Le Président de la République a souhaité que les enseignants, eu égard au fait que les classes sont restées ouvertes beaucoup plus longtemps que dans les pays qui nous entourent, puissent être vaccinés rapidement. Il a également évoqué les forces de l’ordre, qui peuvent être amenées à intervenir, y compris physiquement, auprès de personnes potentiellement contagieuses sans pouvoir forcément garantir le respect des distances.
Jean-Michel Blanquer, qui se mobilise à juste titre depuis des semaines en faveur de la vaccination des enseignants, a proposé – je trouve l’idée très bonne – de commencer par vacciner les enseignants au contact des enfants en situation de handicap. Chacun, dans cet hémicycle, pourra, me semble-t-il, reconnaître que c’est une proposition aussi juste que pragmatique. Je souhaite que nous puissions la concrétiser très rapidement.
Plusieurs questions ont ensuite été posées sur les autotests.
Je précise d’abord que, si vous voulez comparer la France et l’Allemagne en termes de nombre de tests réalisés – c’est votre droit –, il faut aller au bout de la comparaison. La France réalise 3 millions de tests par semaine, dont un tiers, soit 1 million, sont des tests antigéniques, qui sont réalisés en laboratoire, en pharmacie, par des médecins de ville, par des infirmiers et par tous types de soignants. Ces tests sont gratuits et sans ordonnance.
Outre-Rhin, les tests antigéniques ont été introduits en population générale il y a à peu près un mois, à raison d’une livraison de 40 000 tests remboursés, le reste faisant appel à du reste à charge pour les populations. L’Allemagne disposera désormais de tests PCR et d’autotests, alors que nous disposons pour notre part de tests PCR et de tests antigéniques depuis des mois et des mois, et que nous allons introduire des autotests.
Je dis bien des autotests, et non pas les autotests, car il faut distinguer les autotests de bonne qualité qui n’ont pas encore de marquage CE mais que nous allons autoriser en fast track afin de les rendre disponibles le plus vite possible, et des autotests de mauvaise qualité, dont la sensibilité est telle que, si vous jetez une pièce en l’air, vous avez plus de chance de tomber sur un bon résultat. Si nous mettions de tels autotests à disposition des Français, mesdames, messieurs les sénateurs, vous ne manqueriez pas de nous en faire reproche d’ici à quelques semaines, considérant que nous aurions joué avec la santé des Français.
Depuis le début de cette crise, le leitmotiv est qu’il faut aller vite – vous avez raison –, qu’il faut aller fort, qu’il faut refuser tous les blocages, tous les obstacles quand ils sont inutiles, mais qu’il ne faut pas faire n’importe quoi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, si certaines des propositions qui ont émané du Sénat étaient de bonnes propositions, d’autres, qui s’apparentaient à des formes de saine pression, ne se sont pas avérées gagnantes. Monsieur le président Retailleau, je ne vous ferai pas l’injure de vous rappeler les débats que nous avons eus sur un médicament dont on sait aujourd’hui qu’il ne fonctionne pas.