Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Monsieur le ministre, vous avez parlé de courage ; or la semaine dernière, le Sénat a eu, à mon sens, le courage dont vous n’avez pas fait preuve dans ce texte, à savoir celui de pointer là où il y avait du séparatisme.
Aujourd’hui, le courage, c’est d’aller chercher les enfants qui sont entre les mains d’islamistes qui les isolent de la société, d’aller les chercher, eux, sans pénaliser les autres. Voilà, monsieur le ministre, ce qu’il faut faire dans ce projet de loi.
Le Sénat a bien eu le courage que le Gouvernement, lui, n’a pas eu. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour explication de vote.
Mme Sylvie Robert. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne suis pas certaine que les discours caricaturaux servent notre assemblée. On le sait, l’article 21 n’interdisait nullement l’instruction en famille.
Si nous connaissons un peu de flottement, c’est parce que vous renforcez, dans les articles 21 bis A et suivants, le régime déclaratif en reprenant des obligations prévues dans le régime d’autorisation, mais sans le dire, d’une façon que je pourrais même qualifier d’hypocrite.
Vous allez durcir le régime de déclaration en vous approchant du régime d’autorisation et cela va se voir. Nous allons d’ailleurs vous y aider par un amendement visant à compléter ce régime en permettant, par certaines dispositions, de retrouver la même configuration. Dès lors, pourquoi n’allez-vous pas jusqu’au bout de la démarche ?
Vous dites que l’on sent que le ministre n’est pas à l’aise sur ce sujet, or c’est vous qui ne l’êtes pas ! Dans certains cas, comme la semaine dernière, vous durcissez les dispositions – nous allons également le constater avec les dispositions sur les universités et sur d’autres sujets – ; dans d’autres, vous êtes beaucoup plus indulgents, voire tolérants.
Il y a là, à mon sens, une contradiction qu’il va falloir lever. Cela ne vous permet pas, en tout état de cause, d’affirmer que l’article 21 visait à supprimer l’instruction en famille. Gardons-nous de caricaturer les différents articles de ce projet de loi.
Mme le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.
Mme Françoise Gatel. Je suis en profond désaccord avec ce qui vient d’être dit : il n’y a pas de caricature et la position de ceux qui indiquent aujourd’hui qu’ils partagent l’objectif du ministre, qu’ils sont conscients du danger, mais que le moyen utilisé ne leur semble pas être le bon, est parfaitement claire.
On peut échanger des arguties tout l’après-midi, mais la question est simple, mes chers collègues : le choix du mode d’enseignement est-il, oui ou non, une liberté constitutionnelle ? Cette liberté constitutionnelle s’impose, que l’on eût préféré que tous les enfants aillent à l’école publique ou pas.
Dès lors qu’il y a une liberté constitutionnelle, ainsi que cela a été dit et redit par le Conseil d’État, on ne peut pas glisser vers un régime d’autorisation, même si cela pourrait nous faire plaisir. En outre, cela ne résoudrait pas le problème.
Encore une fois, je vous mets au défi, les uns et les autres, de trouver un seul malveillant qui fautera dans son dossier de demande d’autorisation. C’est dans le contrôle et dans son renforcement qu’est la seule réponse.
MM. Jacques Grosperrin et Max Brisson. Bien sûr !
Mme Françoise Gatel. Lorsque nous avons travaillé sur l’école privée hors contrat, nous avons maintenu le principe de déclaration, mais nous avons renforcé l’exigence. Imposer plus d’exigence, ce n’est ni être hypocrite ni être caricatural, ne nous faisons pas de procès d’intention. Il y a seulement ici deux regards différents sur des libertés constitutionnelles. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis. Je ne peux pas non plus accepter que l’on nous qualifie d’hypocrites en raison du traitement de ce texte, et particulièrement de l’article 21.
Une solution assez simple aurait consisté à supprimer purement et simplement l’article 21 et à passer à la suite. Cela aurait été, sans doute, une attitude caricaturale. Or nous n’avons pas rejeté en bloc cette question. Nous nous en sommes emparés et nous avons accepté de mettre sur la table la modernisation de ce dispositif. Ce n’était pas acquis d’avance, mais nous avons eu le courage de le faire, monsieur le ministre, parce que nous sommes convaincus qu’il faut conserver la liberté de recourir à l’instruction en famille.
En revanche, nous avons fait de la dentelle afin d’aller chercher les enfants hors radar, par exemple en renforçant les contrôles, pour savoir si les familles qui la pratiquent la détournent à d’autres fins. Nous avons souhaité les trouver autrement qu’en leur faisant remplir un document administratif d’autorisation que les rectorats auraient à traiter.
Mme le président. L’amendement n° 192 rectifié ter, présenté par MM. Brisson, Retailleau et Longuet, Mme Deroche, MM. Mouiller et Bazin, Mme Canayer, MM. Pellevat, Favreau, Regnard et Burgoa, Mme Micouleau, M. B. Fournier, Mme Imbert, MM. Mandelli, Bascher, Cuypers, D. Laurent et Bouchet, Mmes Drexler et Chauvin, MM. de Legge, Charon et Savin, Mme Belrhiti, MM. Boré, Le Rudulier, Laménie, Genet, Chevrollier et Savary, Mme Boulay-Espéronnier, M. Klinger, Mmes L. Darcos et Gruny, M. Sido, Mmes Di Folco et de Cidrac, M. Saury, Mme Lopez, M. Bonhomme, Mmes Dumont et Bonfanti-Dossat, MM. Lefèvre, Husson, Bouloux, Somon et Gremillet et Mme Estrosi Sassone, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 6
Insérer quatre alinéas ainsi rédigés :
…° L’article L. 131-5 est ainsi modifié :
a) La seconde phrase du premier alinéa est supprimée ;
b) Le deuxième alinéa est ainsi rédigé :
« Dans le cas du choix de l’instruction en famille, une déclaration est exigée dans les huit jours à chaque rentrée d’année scolaire, à chaque changement de résidence, de responsables, de lieu ou de mode d’instruction. » ;
La parole est à M. Max Brisson.
M. Max Brisson. Cet amendement illustre bien ce que nous venons de dire et nous permet de répondre à ceux qui nous accusent d’être dans la caricature. Nous refusons le contrôle a priori parce qu’il entraîne de la suspicion ; or le régime d’autorisation est un régime de contrôle a priori, nous le refusons. Ce n’est pas là une position caricaturale, elle me semble au contraire fondée. Nous sommes cohérents avec nous-mêmes.
Nous acceptons toutefois un contrôle. Par exemple, cet amendement vise à imposer que la déclaration d’instruction à domicile à la rentrée se fasse dans un délai de huit jours. Un délai était prévu en cas de changement de régime pour un enfant déscolarisé en cours d’année ou en cas de changement de résidence, mais rien n’était indiqué concernant la déclaration, sinon que celle-ci se faisait à la rentrée.
Nous imposons un délai, nous travaillons donc le texte en faveur d’un contrôle objectif, en nous en donnant les moyens, mais après avoir fermement fait valoir notre volonté de préserver la liberté et après avoir marqué que nous rejetions profondément tout contrôle a priori, et la suspicion que celui-ci fait peser sur les familles.
Ce délai de huit jours est d’autant plus important que nous proposons, parallèlement, une sanction en cas de non-déclaration. Il nous semble en effet qu’il ne peut pas y avoir de sanction attachée à un délai si celui-ci ne figure pas dans le texte.
Le Sénat travaille donc de manière très fine, selon un principe simple : nous refusons le contrôle a priori, nous sommes pour un contrôle a posteriori, parce que, pour nous, on ne peut demander l’autorisation d’exercer une liberté. Une liberté s’exerce dans le cadre de la loi et sous le contrôle des autorités.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission de la culture ?
M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis. Comme l’a dit notre collègue Max Brisson, cet amendement tend à clarifier les obligations de déclaration des familles. Le code de l’éducation prévoyait un délai de huit jours en cas de changement, c’est-à-dire de déménagement, de modification des modalités d’instruction, mais un flou subsistait concernant les enfants instruits en famille plusieurs années de suite. Cela concerne un cas sur deux, un enfant sur deux ayant recours à ce mode d’instruction pour moins d’un an.
Le code prévoyait donc seulement une déclaration annuelle. Désormais, avec cet amendement, la déclaration aura lieu à date fixe en cas de renouvellement de l’instruction en famille, au plus tard huit jours après la rentrée.
La commission a donc émis un avis favorable sur cet amendement.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. On peut voir dans cette série d’articles une validation de la première version de l’article 21. C’est donc bien le signal qu’il y a quelque chose à régler.
Lors du débat qui a précédé, vous nous avez dit que nous tapions à côté, que ce que nous faisions n’avait rien à voir avec le réel, mais, d’une certaine façon, vous dites à présent le contraire, et c’est tant mieux. Vous indiquez bien que l’article 21 contenait des éléments justes.
Le débat ne porte donc que sur l’alternative entre autorisation et déclaration. Il n’est pas exact de dire, comme plusieurs d’entre vous l’ont fait, qu’un régime d’autorisation est contradictoire avec la liberté alors qu’un régime de déclaration serait le signe que celle-ci est respectée.
La différence est plutôt de l’ordre de celle qui existe entre un sujet minime et un sujet maxime. C’est le cas s’agissant, par exemple, du droit de propriété, dont personne ici ne prétendrait qu’il n’est pas important : il figurait dans la Déclaration des droits de l’homme bien avant que la liberté d’enseignement n’y soit consacrée. Si vous construisez quelque chose de minime, vous ferez une déclaration, mais, pour quelque chose de maxime, vous demanderez une autorisation.
L’instruction d’un enfant n’est-elle pas de la plus haute importance ? N’est-il pas important de s’assurer a priori que ses droits ne vont pas être bafoués, plutôt que de le constater a posteriori ? Tel est le débat.
Nous ne serons pas en désaccord sur toutes les modalités que vous proposez, puisqu’il s’agit d’une sorte d’hommage, provisoirement posthume – je ne dirais pas du vice à la vertu –, à l’article 21. Je suis d’accord avec l’hommage ainsi rendu – ainsi soit-il ! –, mais je souhaite qu’il le soit conformément à la logique complète de l’article 21, c’est-à-dire dans le cadre d’un régime d’autorisation qui défend les droits de l’enfant.
Nous en sommes peut-être au point nodal du texte, qui va nous permettre de mettre fin au faux débat sur la suppression ou non de l’instruction en famille. En tout cas, j’émets un avis défavorable sur cet amendement, non parce qu’il n’y a pas de sujet, mais parce que ce sujet est mieux traité dans le cadre de l’autorisation.
Enfin, pour aller plus loin, si l’on vous suivait complètement, ce qui est proposé ici conduirait à n’imposer cette exigence qu’aux familles qui pratiquent l’instruction en famille, alors que, en l’état actuel du droit, celle-ci s’impose à l’ensemble des familles.
Mme le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le ministre, je partage complètement votre analyse. Mes chers collègues, vous êtes en train de réécrire tout le dispositif afin de créer un régime d’autorisation a posteriori.
Un point, essentiel à mes yeux, différencie les deux régimes : le régime d’autorisation demandé par le Gouvernement permet à l’administration de l’éducation nationale d’avoir un premier contact avec la famille, ce qui est tout de même préférable au dépôt d’un courrier dans une boîte aux lettres.
En bon républicain, il me semble que permettre, durant l’instruction du dossier, l’établissement d’une relation entre la famille et l’éducation nationale, laquelle représente et défend les droits de l’enfant à l’instruction, n’est pas anticonstitutionnel et n’entrave pas la liberté d’enseignement.
Reconnaissez-le, la différence entre nos deux systèmes tient seulement à la possibilité offerte à l’administration de discuter avec la famille de son projet pédagogique, ce qui me semble essentiel.
Mme le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner, pour explication de vote.
M. Jacques-Bernard Magner. Ce débat aurait effectivement dû être tranché par la suppression de l’article 21, mais il persiste, puisque l’on réintroduit à peu près tout le contenu de cet article.
Nous avions eu un peu les mêmes échanges au sujet des établissements privés hors contrat : on refuse d’aller vers un régime d’autorisation, on nous dit qu’il faut de la liberté, puis on rend le régime de déclaration considérablement plus complexe par voie d’amendements. En définitive, il prévoit tant de dérogations pour des situations particulières qu’il ne s’applique plus au cas général. Je trouve cette méthode assez étonnante.
Nous pourrons, certes, voter certains de ces amendements, car ils répondent à la nécessité de faire évoluer le dispositif non pas d’autorisation, mais de contrôle postérieur à la décision de pratiquer l’instruction à domicile. À mon sens toutefois, ils ne permettront pas de satisfaire l’intention première, qui était de protéger effectivement les enfants instruits à domicile.
Mme le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Vous avez votre cohérence, souffrez tout de même que nous ayons la nôtre ! Nous souhaitons en rester à un régime de déclaration, quand vous voulez passer à un régime d’autorisation. Le vote a tranché, chacun est dans sa logique, avec sa cohérence, et la défendra certainement jusque tard dans la nuit. Pour notre part, quitte à nous répéter, nous refusons le régime d’autorisation !
Par ailleurs, nous sommes également dans une logique de contrôle, parce que nous sommes responsables. Contrairement à ce que vient de dire M. le ministre, le projet de loi prévoit une sanction particulière en cas de non-déclaration d’instruction à domicile, qui ne concerne donc pas l’ensemble des élèves.
Dans ce cadre, il nous semble qu’il est de bonne politique de fixer un délai précis, afin qu’il n’y ait aucune ambiguïté sur le fait que, faute de déclaration au-delà dudit délai, les sanctions prévues dans le texte s’appliqueront.
Mme le président. La parole est à M. le président de la commission de la culture.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. Nous débattons d’une série d’articles portant sur le même sujet.
Je l’ai déjà indiqué, et c’était très présent durant les travaux de la commission : nous ne faisons pas preuve de naïveté concernant les dérives que vous avez identifiées et que vous dénoncez. Nous partageons votre inquiétude quant au dévoiement de l’instruction en famille par quelques familles, qui l’ont utilisée à des fins qui ne sont pas celles que nous souhaitons.
Nous avons donc ajouté un certain nombre de verrous afin de mieux identifier ces familles et de mieux les contrôler, sans pour autant remettre en cause le bien-fondé de l’instruction à domicile pour certaines familles, pour qui elle est nécessaire, à un certain moment, pour l’éducation et l’instruction de l’enfant. C’est sur ce point, me semble-t-il, que nous avons une différence avec certains de nos collègues dans cet hémicycle.
Nous sommes donc bien dans le même état d’esprit que vous : nous entendons rendre le dispositif de l’instruction en famille plus efficace en augmentant les possibilités d’identifier les familles malveillantes, comme dit Françoise Gatel, et en renforçant les contrôles.
In fine, notre système, auquel nous aboutirons, je l’espère, à l’issue de ce débat, sera plus efficace pour atteindre votre objectif initial, qui est de lutter contre l’intégrisme. Toutefois, il ne remettra pas en cause non pas notre liberté, mais celle des familles, qui est pour nous importante, de choisir entre les quatre modes d’instruction.
Nous divergeons sans doute fondamentalement sur un point : à partir du moment où une autorisation est requise, il ne s’agit plus d’une liberté. Le mot « liberté » ne va pas avec le mot « autorisation ».
Il est donc important pour nous de garantir cette liberté, tout en veillant à atteindre l’objectif qui est aussi le vôtre : lutter contre les familles qui l’utilisent de façon malveillante.
Mme le président. L’amendement n° 477 rectifié, présenté par Mme N. Delattre, MM. Artano et Cabanel, Mme M. Carrère, M. Guérini, Mme Pantel et MM. Roux, Bilhac, Corbisez et Requier, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 7
Insérer cinq alinéas ainsi rédigés :
« La déclaration mentionnée au premier alinéa est accordée pour les motifs suivants, sans que puissent être invoquées d’autres raisons que l’intérêt supérieur de l’enfant :
« 1° L’état de santé de l’enfant ou son handicap ;
« 2° La pratique d’activités sportives ou artistiques intensives ;
« 3° L’itinérance de la famille en France ou l’éloignement géographique de tout établissement scolaire public ;
« 4° L’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif, sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de la capacité de la ou des personnes chargées d’instruire l’enfant à assurer l’instruction en famille dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant. » ;
La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. L’école doit être l’un de nos principaux champs de bataille, comme l’a révélé la commission d’enquête du Sénat sur la radicalisation islamiste.
Personne ne peut le nier, l’école joue un rôle majeur dans la construction de notre nation : elle transmet non seulement des savoirs, mais aussi des valeurs et des principes. Elle modèle les esprits de notre plus jeune génération ; en retour, on lui doit une protection sans faille.
Il est regrettable que notre école publique et nos établissements d’enseignement supérieur aient été mis de côté dans ce texte. Vous avez souhaité pointer l’enseignement à domicile sans traiter le fond du problème, les petits fantômes de la République.
Certes, l’instruction à domicile est en forte augmentation, mais elle ne représente que 0,5 % des élèves français, soit 62 000 enfants. Vous me répondrez qu’aucun enfant de la République ne doit être sacrifié, monsieur le ministre. Toutefois, lorsque notre dispositif de contrôle, de suivi et d’identification présente autant de trous dans la raquette, il convient de s’atteler à les colmater, et non de déclarer forfait.
Lors des débats au Sénat sur la loi pour une école de la confiance, en mai 2019, j’avais défendu de nombreux amendements visant à renforcer l’opérationnalité de l’encadrement de l’instruction en famille, notamment avec la généralisation de l’identifiant national élève (INE). En dépit d’un cadre plus apaisé qu’aujourd’hui, ils ont été balayés d’un revers de la main. Il n’y avait à l’époque pas de sujet, pas de discussion possible…
Je saisis donc cette nouvelle occasion pour vous présenter des amendements pragmatiques, fruits des nombreuses auditions que j’ai menées auprès d’élus, d’inspecteurs académiques et de familles ayant fait ce choix, pour respecter l’équilibre fragile introduit par la loi de Jules Ferry de 1882.
Vous nous demandiez tout à l’heure de vous proposer des solutions, monsieur le ministre, c’est ce que je fais. Ce premier amendement vise à instituer un régime de déclaration sous motif pour l’instruction en famille. Ce régime intermédiaire éviterait de restreindre excessivement cette liberté, contrairement au régime d’autorisation supprimé par la commission.
Cette alternative permettrait également d’inviter ces familles à formaliser leur démarche pédagogique en la motivant en mairie, comme c’est le cas aujourd’hui lorsqu’une association souhaite organiser une manifestation.
Je vous invite donc, mes chers collègues, à soutenir cet amendement mesuré et proportionné.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission de la culture ?
M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis. La position de la commission sur cet amendement me permettra de répondre à ceux qui nous suspectent de vouloir subrepticement rétablir l’article 21 issu des travaux de l’Assemblée nationale.
Cet amendement vise à restreindre les possibilités de recourir à l’instruction en famille en prévoyant quatre critères limitatifs.
Le dispositif proposé semble toutefois peu opérant dans le cadre du maintien d’un système de déclaration. Ses modalités concrètes de mise en œuvre suscitent des interrogations.
Je note par ailleurs une incohérence rédactionnelle, si je puis me permettre, ma chère collègue : une déclaration ne pouvant être « accordée », on voit que le mot « autorisation » affleure derrière cet amendement. (Sourires.)
En conséquence, l’avis est défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. L’amendement n° 253 rectifié bis, présenté par Mme Billon, M. Lafon, Mme Morin-Desailly, MM. J.M. Arnaud, Duffourg et Hingray, Mme Perrot, MM. Chauvet et Levi, Mme Tetuanui, M. Kern, Mme Férat, MM. Laugier, Le Nay et de Belenet, Mme Saint-Pé et M. Longeot, est ainsi libellé :
Alinéas 9 et 10
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Annick Billon.
Mme Annick Billon. L’article 21 bis A prévoit une validation des acquis de l’expérience professionnelle (VAE) pour les personnes dispensant une instruction en famille durant au moins deux années complètes.
Nos différents travaux sur ce texte ont fait apparaître de nombreux trous dans la raquette, notamment en ce qui concerne les contrôles effectués par l’autorité de l’État compétente pour l’instruction en famille. Comment le dispositif pourrait-il être mis en place de manière satisfaisante alors que nous observons déjà des difficultés dans les contrôles ? Quelle sera la grille d’évaluation et de validation applicable aux personnes éligibles à ce dispositif ? Les validations seront-elles automatiques au bout de deux années d’instruction en famille ? Les parents éligibles devront-ils présenter un projet pédagogique précis et complet ?
Cette mesure paraît en décalage avec l’esprit général du texte.
D’un côté, vous souhaitez favoriser le plus possible une instruction au sein des établissements scolaires ; de l’autre, vous voulez rendre quasiment automatique la validation des acquis pour les parents assurant cette instruction en famille. Je ne comprends pas vraiment la logique.
Les garde-fous proposés pour encadrer le dispositif de validation des acquis de l’expérience professionnelle paraissent minces. C’est pourquoi je vous propose de supprimer les alinéas 9 et 10 de cet article.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission de la culture ?
M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis. La validation des acquis de l’expérience professionnelle est une procédure courante dans de nombreux secteurs.
Instituée par la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, elle constitue, à côté des formations initiale et continue, une troisième voie d’accès à la certification professionnelle, et donc un outil d’insertion professionnelle.
En 2019, 55 000 candidats environ ont déposé un dossier de recevabilité en vue d’obtenir par la VAE un diplôme ou un titre délivré par l’État. Depuis 2002, toute personne peut obtenir la totalité d’une certification grâce à la reconnaissance de son expérience, que cette dernière ait été acquise dans le cadre d’activités salariées, non salariées ou bénévoles. La VAE est présente dans de très nombreux ministères : le travail, la défense, l’agriculture, l’enseignement supérieur, l’éducation nationale, la culture, la jeunesse, la santé et les affaires sociales, ou encore l’écologie.
Dans le présent article en particulier, les conditions de validation des compétences sont encadrées, au moins deux années complètes d’instruction en famille étant requises. Or, comme cela a été rappelé à de nombreuses reprises, environ une famille sur deux n’y a recours que pendant une année.
Par ailleurs, la VAE n’est pas automatique. Il faut déposer un dossier. Actuellement, le taux de certification des dossiers présentés, tous ministères confondus, est d’un peu plus de 60 %.
La VAE ne donnera pas non plus le droit d’être enseignant, bien évidemment, car il ne s’agit pas d’un concours d’entrée dans la fonction publique. Les conditions pour enseigner, y compris dans les établissements privés hors contrat, sont encadrées par des conditions de diplômes strictes.
Enfin, selon le sondage réalisé par le collectif de familles en IEF Félicia (Fédération pour la liberté du choix de l’instruction et des apprentissages), ce sont les femmes qui, à 91,7 %, assurent l’instruction en famille.
La mise en place de la VAE permettrait donc de reconnaître les compétences acquises par les mères dans l’instruction de leurs enfants et de faciliter leur insertion professionnelle. Je suis persuadé que vous serez sensible à cet argument, ma chère collègue.
Pour toutes ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Je partage les arguments de Mme la sénatrice Billon. Avis favorable.
Mme le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner, pour explication de vote.
M. Jacques-Bernard Magner. Nous voterons cet amendement.
Non seulement vous ne voulez plus contrôler l’instruction en famille au moyen d’une autorisation préalable, mais vous lui donnez une prime en accordant une VAE à celui ou celle qui la réalisera pendant au moins deux ans.
Ce faisant, vous incitez les familles qui voulaient limiter l’expérience à une année à la prolonger pour obtenir une VAE, et donc à écarter encore plus longtemps leur enfant de l’école.
Cela me semble quelque peu clientéliste !
Mme le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Je suis souvent d’accord avec Annick Billon, mais pas cette fois !
Voilà un an, et peut-être de nouveau cette semaine, beaucoup de parents se sont rendu compte de la difficulté de faire l’école à la maison.
Ce travail, qui demande beaucoup d’investissement et mobilise beaucoup d’énergie, entre parfaitement dans le cadre de la valorisation des acquis de l’expérience.
Alors que ce texte adresse depuis plusieurs mois un message particulièrement humiliant et suspicieux à toutes les familles qui font le choix de l’instruction à domicile, l’alinéa 10 est le seul qui prévoit de valoriser quelque peu leur travail.
Si nous voulons être cohérents avec notre volonté de maintenir la liberté de choix des parents et l’instruction à domicile, nous devons, me semble-t-il, accepter que cet investissement puisse être reconnu, dans le cadre d’une certification extrêmement balisée.
Cela n’a bien sûr rien à voir avec l’entrée dans l’enseignement, qu’il soit privé sous contrat ou public, qui se fait au moyen de concours parfaitement délimités.