Mme Laurence Rossignol. Nous le disions hier à propos de l’instruction en famille… (Sourires sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Tout enfant présent sur le territoire de la République doit aller à l’école. Malheureusement, c’est encore imparfaitement le cas. Nous devons essayer d’atteindre cet objectif de toutes les façons possibles, y compris dans les circonstances actuelles.
Le sujet soulevé par cet amendement étant souvent un facteur de division, il me semble plus opportun aujourd’hui d’appliquer le droit que de le changer. Au demeurant, il faudrait en débattre autant que nécessaire, et ce n’est pas le cœur du projet de loi que nous examinons.
Je m’en remets donc à la sagesse du Sénat. (Marques d’étonnement sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. J’espère que je ne ferai aucune caricature, monsieur le rapporteur pour avis, et que je ne serai pas caricaturée en retour !
Si l’objectif de cet amendement est de lutter contre l’absentéisme, celui des allocations familiales n’est pas de faciliter le présentéisme. Ces prestations sont le fruit d’une politique d’accompagnement de la démographie dans notre pays.
Faisons tomber les images d’Épinal, qui sont d’ailleurs plus souvent véhiculées au bistrot du coin : on ne vit pas des allocations familiales ; on ne fait pas des enfants pour s’enrichir grâce aux allocations familiales !
La volonté de lutter contre l’absentéisme scolaire part d’un principe plutôt juste : la protection de l’enfant et de son droit indispensable à l’éducation. Je fais partie de ceux qui pensent qu’un enfant doit aller à l’école de huit heures à dix-sept heures trente. Il n’y a pas de débat sur ce point.
Pour autant, la suppression des allocations familiales répond-elle à cette impérieuse nécessité de lutter contre l’absentéisme, le décrochage scolaire, voire le retrait de l’école par un certain nombre de familles ? Je ne le pense pas.
La mesure que vous proposez, qui ne réglera pas cette problématique de fond, ne vise-t-elle pas plutôt à stigmatiser certaines familles en difficulté dans leurs obligations éducatives ? Oui, je le pense.
Ce n’est pas en stigmatisant une famille qu’on pourra l’aider et l’accompagner. Il existe aujourd’hui un certain nombre de mesures pour y répondre.
Bien évidemment, nous voterons contre cet amendement, car nous sommes fondamentalement attachés à ces allocations familiales, à ce droit pour les familles. Vous ne répondez pas à l’objectif qui est le vôtre. En revanche, vous nous amenez sur un autre sujet, qui n’est pas le nôtre.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Nous pouvons nous accorder sur un premier diagnostic : un enfant qui ne va pas à l’école ou qui s’y rend de manière épisodique est doublement en danger, d’abord parce qu’il hypothèque son avenir, ensuite parce qu’il vit dans une famille où les parents n’arrivent pas à obtenir de lui qu’il se rende quotidiennement à l’école.
Je ne crois pas qu’il y ait des parents indifférents au fait que leur enfant n’aille pas à l’école. Je ne crois pas qu’il y ait des parents laxistes ou complices. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis. Si !
Mme Laurence Rossignol. Ne parlons pas de ceux qui sont à la marge, mes chers collègues ! On fait la loi pour le plus grand nombre et pour leur être utile et, ce faisant, très souvent, on parvient à réintégrer dans la loi ceux qui sont à la marge.
Quand on discute avec ces parents, on s’aperçoit qu’ils sont malheureux du comportement de leur enfant.
Un enfant en danger doit faire l’objet d’un signalement à l’aide sociale à l’enfance (ASE), et la famille doit pouvoir bénéficier d’une assistance éducative en milieu ouvert.
D’abord, et avant tout, il faut aider les parents à être parents. Tous ne sont pas à égalité, forts, droits dans leurs bottes. La vie est ainsi faite qu’il y a des faibles, des forts, certains qui y arrivent, d’autres non. Il y a des parents qui n’y arrivent pas, il y a des mères qui élèvent seules leurs enfants, il y a aussi des ados très durs… Les parents ne sont pas coupables des accidents de la vie qu’ils ont subis.
Aujourd’hui, les services de l’ASE n’ont malheureusement pas les moyens de soutenir ces familles. Sous prétexte qu’on ne peut pas apporter une protection, il faudrait sanctionner ? Ce n’est pas, me semble-t-il, la bonne solution, d’autant qu’un enfant qui ne va pas à l’école continue de manger. Sauf à décider que cet enfant ne doit plus se nourrir non plus, cette décision me paraît compliquée à prendre pour le Parlement.
Nous visons tous ensemble le même but : protéger les enfants contre la déscolarisation et contre les familles qui n’ont pas l’autorité suffisante. Mais ce n’est pas en supprimant une ressource qui n’est pas liée à l’obligation scolaire – les allocations familiales sont une prestation d’entretien – que vous y parviendrez ! (Applaudissements sur des travées du groupe SER. – Mme Cécile Cukierman applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Grosperrin, pour explication de vote.
M. Jacques Grosperrin. Il n’y a pas, d’un côté, les gentils, les bienveillants et, de l’autre, les méchants.
Mme Cécile Cukierman. Personne n’a dit ça !
M. Jacques Grosperrin. Je voterai cet amendement, parce que son adoption enverra un signal fort aux plus fragiles. (M. Fabien Gay ironise.) Nous savons que, lorsque quelqu’un est en situation de fragilité, il faut lui donner un cadre, car c’est ce cadre qui lui permettra de réussir.
Certains ont indiqué qu’un enfant qui ne va pas à l’école se met en danger, mais il met également en danger la société (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE.) : il n’acquiert pas les rudiments, en particulier du vivre ensemble, qui lui permettront plus tard d’être en mesure de bien fonctionner dans la société.
Ce débat est récurrent depuis de longues années – la loi Ciotti a été évoquée. Nous sommes confrontés à une véritable difficulté, que nous devons empoigner, car, à ce jour, cela n’a pas été suffisamment fait.
S’il me paraît important de souligner qu’il faut avoir une approche graduée et humaine, je ne veux pas me réfugier dans le déni : il nous faut aussi reconnaître que les outils dont nous disposons ne suffisent pas. Il ne s’agit pas d’ôter les allocations familiales systématiquement, en particulier lorsqu’une assistance peut être apportée aux familles, mais c’est un signal fort que nous envoyons à la population ainsi qu’aux enfants.
S’il faut responsabiliser les parents, il faut aussi responsabiliser les enfants. Lorsque les enfants sauront que, s’ils ne vont pas à l’école, cela peut placer leurs parents dans une situation difficile, je peux vous assurer qu’ils y réfléchiront à deux fois.
J’entends votre injonction à prendre le temps, monsieur le ministre, et je salue l’avis de sagesse que vous avez émis.
Je souhaite conclure en rappelant que nous débattons d’un texte confortant le respect des principes de la République. Or le premier de ces principes, c’est d’aller à l’école de la République ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ah bon ?
Mme Laurence Rossignol. Ce n’est pas l’instruction en famille ? (Sourires sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour explication de vote.
Mme Valérie Boyer. Je voterai d’autant plus volontiers cet amendement que, lorsque j’étais adjointe au maire de la ville de Marseille, chargée de la politique de la ville et de la rénovation urbaine, j’ai pu constater que le seul fait de parler de la loi Ciotti avait contribué à réduire l’absentéisme. (M. Fabien Gay et Mme Sylvie Robert ironisent.) Malheureusement, cette mesure a été supprimée sous Hollande.
L’amendement que propose ma collègue Jacky Deromedi est particulièrement équilibré. Je vous remercie d’ailleurs, monsieur le ministre, de vous en être remis à la sagesse de notre assemblée. La sagesse, c’est de voter cet amendement, qui vise, comme l’indique son objet, « au respect de l’instruction obligatoire et à la lutte contre l’évitement et l’absentéisme scolaires ». Il énumère également toutes les mesures qui ont été prises pour accompagner les parents afin que leurs enfants retournent à l’école.
Nous débattons d’un texte visant à renforcer le respect des principes de la République. Or le premier des principes à respecter, c’est l’instruction obligatoire. Aller à l’école, c’est honorer la chance que nous avons d’accéder à cette éducation gratuite.
Lorsqu’on perçoit des allocations dans notre pays, on signe un contrat moral avec l’ensemble des Français qui cotisent pour ceux qui en ont besoin. Un enfant qui ne va pas à l’école est effectivement en danger. Ce danger doit être signalé aux parents en leur disant : « Stop, ce n’est plus possible. Il est tellement grave que votre enfant n’aille plus à l’école que nous sommes obligés de suspendre notre contrat. » Il s’agit bien d’une suspension, et non d’une rupture du contrat. J’estime que c’est un message de responsabilité et de respect.
Il convient de rappeler aux parents que la contrepartie des allocations qu’ils perçoivent est l’éducation active qu’ils doivent donner à leurs enfants, notamment en les mettant sur le chemin de l’instruction obligatoire. Cela revient à aider les parents à être parents et à respecter leurs obligations, car, dans notre pays, les parents doivent faire en sorte que le caractère obligatoire de l’éducation soit respecté.
Je remercie mes collègues qui ont déposé cet amendement,…
Mme la présidente. Il faut conclure, chère collègue !
Mme Valérie Boyer. … et je remercie M. le ministre de nous permettre de le voter grâce à l’avis de sagesse qu’il a émis.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. Je crois que nous sommes d’accord sur le danger que représente le fait de ne pas aller à l’école pour un enfant, pour sa famille et, au-delà, pour le chemin de vie de l’enfant. Néanmoins, vous savez également que, même si certains sont aux marges, il y a une centralité de l’école dans notre République, celle-ci suscitant même un investissement démesuré de la plupart des parents. Le vrai problème est d’ailleurs qu’en l’état actuel des choses l’école n’y répond pas.
Il suffit d’écouter les auteurs de cet amendement pour comprendre que son objet va bien au-delà de ce qui est énoncé. Il vise à affirmer les choses de manière symbolique – cela est arrivé régulièrement au cours de la discussion de ce texte. C’est le genre d’amendement qui me rend extrêmement fier d’être de ce côté de l’hémicycle. (Applaudissements sur des travées du groupe SER. – Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jacques Grosperrin. Restez-y !
M. Fabien Gay. Rassurez-vous, on ne bougera pas !
M. Éric Kerrouche. Je tenais à vous le dire, et je l’assume complètement.
Il me revient en mémoire un titre : la pénalisation de la misère. (Oh ! sur des travées du groupe Les Républicains.) Nous sommes exactement dans cette logique, car vous êtes en train de distinguer le moyen de la finalité. Votre philosophie de la République, fort avec les faibles et faible avec les forts, ne sera jamais la mienne ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet, pour explication de vote.
Mme Nadège Havet. Le problème existe – je ne le nie pas –, mais la sanction est-elle vraiment toujours la solution ? L’aide et l’accompagnement de la famille ne sont-ils pas une première réponse ?
Comme Mme Boyer, permettez-moi d’évoquer une expérience personnelle. Mon fils a très souvent séché les cours, contre notre volonté. Il le faisait, non pas pour trahir les principes ou les valeurs de la République – quand je l’entends aujourd’hui chanter La Marseillaise avec ses copains, je me dis qu’il a tout de même appris quelque chose –, mais parce qu’il ressentait un mal-être lié à des circonstances de la vie.
Il y a beaucoup à faire dans l’accompagnement des familles, mais tel n’est pas l’objet de ce projet de loi. Nous voterons donc contre cet amendement. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. Je crois revivre le débat que nous avons eu dans cet hémicycle quand j’ai eu l’honneur de présenter le dispositif du contrat de responsabilité parentale en 2006. Ce contrat, qui a été mis en œuvre de 2006 à 2013, a parfaitement fonctionné. Il suffit de se donner la peine de lire l’objet du présent amendement pour constater qu’il ne s’agissait pas d’une machine à suspendre les allocations familiales des parents : sur les 6 280 seconds signalements adressés aux inspecteurs d’académie, 147 demandes de suspension ont été formulées, dont seulement 51 ont été effectives.
Vous voyez bien que le cœur du dispositif n’est pas la sanction. Il s’agit précisément d’éviter la sanction, qui n’est prévue qu’en dernier recours.
M. Jean-Raymond Hugonet. Très bien !
M. Philippe Bas. Le cœur du dispositif, c’est le contrat de responsabilité parentale. Il s’agit d’accompagner les parents pour qu’ils se ressaisissent, de les aider à reprendre la direction de leur enfant pour éviter cet absentéisme dont tout le monde convient qu’il est une plaie pour l’enfant ainsi que pour la société.
N’ayons pas un débat caricatural : cet amendement a pour objet non pas de suspendre les allocations familiales ou de les supprimer, mais d’aider les parents. C’est seulement dans le cas où on en trouverait qui seraient vraiment de mauvaise volonté, après avoir appliqué des mesures d’accompagnement, que la sanction serait mise en œuvre, à condition toutefois qu’elle n’ait pas pour effet de placer dans une précarité accrue des familles déjà en situation précaire. (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE.)
J’estime que l’inspiration de cet amendement est parfaitement humaniste.
M. Philippe Bas. Nous devrions l’admettre sur toutes les travées au lieu de réactiver les vieux réflexes gauche-droite d’antan. Il s’agit simplement de trouver la bonne mesure pour faire face à l’absentéisme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique de Legge, pour explication de vote.
M. Dominique de Legge. Je voterai cet amendement pour deux raisons.
La première est la qualité de sa rédaction, qui est mesurée. À plusieurs reprises le verbe « peut » est employé, ce qui montre qu’il n’y a pas d’automaticité de la suspension des allocations familiales. De plus, ce n’est pas une suppression, mais une aide éducative qui est engagée sans préjudice de toutes les autres mesures qui doivent être prises en matière de signalement et de prévention.
La deuxième raison est liée à une certaine vision de la politique et des prestations familiales. Les prestations familiales, c’est quoi ? C’est la reconnaissance par la Nation de l’investissement éducatif des parents à l’endroit de leurs enfants qui feront les adultes de demain.
Je considère qu’il est tout à fait logique que les allocations familiales servent le but pour lequel elles ont été créées, c’est-à-dire aider les familles sur le plan pécuniaire, mais aussi marquer un acte de reconnaissance de la Nation envers ces éducateurs que sont les parents. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Bas. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Dany Wattebled, pour explication de vote.
M. Dany Wattebled. Je voterai également cet amendement, parce que le premier rôle des parents est d’éduquer leurs enfants. Or l’éducation passe aussi par l’école.
Je peux comprendre que l’on dise que les enfants qui ne sont pas scolarisés sont exposés à un danger, mais l’allocation de rentrée scolaire à vocation à aider les familles pour la rentrée scolaire et non pour autre chose. Je ne comprends donc pas pourquoi on donnerait une allocation de rentrée scolaire à une famille dont l’enfant ne va pas à l’école.
De plus, comme l’a dit notre collègue de Legge, le dispositif est mesuré : il est tempéré dans le temps et il est partiel. On ne peut pas tout laisser faire : dès lors qu’un enfant ne va pas à l’école, on peut commencer par suspendre les allocations pour un temps donné, par exemple une semaine ou quinze jours. Cela permettra de remettre les parents, dont – je le répète – le rôle premier est d’éduquer leurs enfants, au centre du système. (M. Philippe Bas applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.
M. Patrick Kanner. Monsieur le ministre, je regrette que vous vous en soyez remis à la sagesse du Sénat sur cet amendement. Il y a des sujets qui mériteraient non pas du « en même temps », mais de souligner le vrai clivage entre la droite et la gauche de cet hémicycle. En ce qui nous concerne, nous ne voulons pas rajouter de l’exclusion à l’exclusion.
Nous estimons que la solution que vous préconisez, mes chers collègues, ne répond pas au problème. En supprimant les allocations familiales, vous n’améliorerez aucunement la situation sur le terrain, vous ne forcerez pas les parents à surveiller que leurs enfants vont à l’école. Vous avez beau être d’accord entre vous, nous avons un avis contraire au vôtre.
Permettez-moi de réagir à vos propos, madame Boyer. En faisant référence à vos anciennes responsabilités, vous n’avez pas manqué de dire que c’était « Hollande » qui avait supprimé la disposition. Dans ces conditions, j’évoquerai « Gaudin ». J’ai un souvenir ému, en tant qu’ancien ministre de la ville, de mes nombreuses visites dans les quartiers Nord de votre ville. Je ne vous ferai pas l’injure de vous rappeler dans quel état se trouvaient les écoles publiques de ces quartiers.
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Ça n’a rien à voir !
M. Patrick Kanner. Ça a beaucoup à voir, au contraire, car la responsabilité publique – je tiens à le dire avec force –, c’est de permettre aux enseignants, aux parents et aux élèves d’être accueillis dignement dans l’école de la République.
Je ne comptais pas intervenir sur le sujet, mais, puisque vous avez évoqué Hollande, je me suis permis d’évoquer également votre propre responsabilité en la matière. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Valérie Boyer proteste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Cet amendement tend à permettre de suspendre les allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire. Contrairement à ce que certains ont indiqué, cette prestation sociale ne relève pas d’un contrat portant sur la présence ou non des enfants à l’école, elle fait partie d’une politique jadis universelle visant à soutenir la démographie française.
Par ailleurs, le combat que vous menez étant un vieux combat, la question est de savoir si cette solution est efficace. Vous y avez répondu, monsieur le rapporteur pour avis, en indiquant que, dans 75 % à 80 % des cas, la suspension des allocations familiales ne permet pas le retour de l’élève à l’école. Elle est donc inefficace. Or si nous avons ce débat, c’est parce que, quel que soit le côté de l’hémicycle, nous avons tous à cœur que les élèves aillent à l’école. Dès lors, comment accompagner les parents des élèves absentéistes et les élèves eux-mêmes pour qu’ils retournent à l’école ?
L’absentéisme survient lorsqu’il y a des difficultés diverses dans la famille. Nous ne pensons pas qu’on sortira ces familles de leurs difficultés ni qu’on permettra aux élèves de retrouver le chemin de l’école en leur enfonçant un peu plus la tête sous l’eau.
Monsieur le ministre, je suis moi aussi extrêmement surpris par l’avis de sagesse que vous avez émis. Vous participez à nos débats depuis hier soir. Je n’ai pas beaucoup pris la parole, mais sachez que je suis élu de Seine-Saint-Denis. Mon département n’est pas menacé par les mamans voilées qui accompagnent les élèves lors des sorties scolaires, ni par l’absentéisme, du moins pas davantage qu’un autre même s’il peut évidemment y avoir des problèmes. Le problème principal que nous rencontrons en Seine-Saint-Denis est qu’un élève perd en moyenne l’équivalent d’une année de scolarité entre 3 et 18 ans du fait du non-remplacement des enseignants. Ce n’est pas un sénateur communiste qui vous le dit, c’est un rapport parlementaire cosigné par un député En Marche et un député Les Républicains.
Durant cette journée que vous nous consacrez, j’aurais souhaité que nous ayons ce débat sur les moyens à mettre en œuvre pour que l’ensemble des élèves, quel que soit leur département, aient un égal accès à l’école, de sorte que l’égalité républicaine s’applique partout. Non seulement nous ne l’avons pas eu, mais vous allez nous quitter sur cet avis de sagesse. Je le regrette. (Mme Émilienne Poumirol applaudit.)
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.
M. Daniel Salmon. Cet amendement me chagrine, parce qu’il fait un lien entre les allocations familiales et le fait d’aller à l’école. Or aller à l’école et apprendre sont des choses complètement gratuites. Établir un lien avec de l’argent remet en cause cette idée de gratuité. On ne va pas à l’école pour gagner de l’argent.
Certains ont indiqué qu’il fallait aussi responsabiliser les enfants. Mais est-on rémunéré pour aller à l’école ? En faisant ce lien, j’estime qu’on casse quelque chose dans cette soif, cette envie d’apprendre.
Si un enfant ne va pas à l’école, c’est qu’il y a un malaise ou des difficultés qui sont beaucoup plus profondes. Il faut donc chercher les moyens d’aider sa famille à refaire le lien avec l’école, mais faire un lien avec de l’argent pose problème.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Chers collègues, je souhaite vous poser une question : croyez-vous qu’on peut éduquer des parents en les punissant ?
M. Jacques Grosperrin. Oui !
Mme Esther Benbassa. Nous avons pourtant voté des textes anti-punitifs concernant les enfants. La République, ce n’est pas seulement la liberté, l’égalité et la fraternité. Si elle ne l’est pas encore, la République devrait aussi être généreuse.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Elle l’est déjà !
Mme Esther Benbassa. Par cet amendement, nous poussons encore plus dans la détresse, aussi bien alimentaire que psychologique, des parents qui n’arrivent pas à gérer l’assiduité de leurs enfants à l’école.
Ouvrons la République à ceux qui n’y arrivent pas. Prenons-les en considération, car, souvent, ce n’est pas leur faute. Dialoguez, éduquez, mais ne punissez pas.
Mme la présidente. La parole est à M. Cédric Vial, pour explication de vote.
M. Cédric Vial. Pour lutter contre l’absentéisme scolaire – qui, il est vrai, est un sujet différent du séparatisme –, un certain nombre de textes ont été adoptés et certaines mesures ont fait l’objet de va-et-vient.
Il est important de discuter avec les familles, mais, pour discuter, il faut être deux. À partir de quatre demi-journées d’absence, l’inspecteur d’académie peut convoquer la famille. Ce que les statistiques ne disent pas, c’est le pourcentage de familles qui se rendent effectivement à cette convocation.
La possibilité de suspendre les allocations familiales n’est pas une sanction contre l’élève, qui, le plus souvent, n’a même pas conscience de ce que cela implique, mais une manière de faire venir à la table des discussions des familles qui ne se rendent pas à la convocation de l’inspecteur d’académie ou du maire.
Tous les plans visant à lutter contre l’absentéisme scolaire ont mis au cœur des dispositifs à la fois l’inspection d’académie ou le chef d’établissement et le maire. J’estime d’ailleurs qu’il serait opportun de rappeler aux recteurs qu’il est nécessaire d’informer le maire de manière régulière, car c’est malheureusement peu fait.
Pour faire revenir l’élève, il faut mobiliser les différents acteurs autour de lui. On ne le fera pas revenir à l’école en menaçant de supprimer des allocations, mais par une mobilisation permettant d’engager un dialogue avec les familles. Pour cela, il faut disposer d’arguments susceptibles de faire venir celles-ci autour de la table des discussions. C’est ainsi que je comprends cet amendement. C’est pour cette raison que je le voterai.
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Nos collègues siégeant sur les travées de gauche n’ont manifestement pas lu l’amendement : ils ont réagi sur un slogan et ont considéré qu’il s’agissait d’un amendement purement politique. (Mme Cécile Cukierman s’esclaffe.)
Pour ma part, je fais confiance à l’ensemble des acteurs qui sont cités dans cet amendement, car ils constituent autant de filtres. Des moments d’échanges sont prévus entre les autorités académiques, celles du département et celles des allocations familiales. Pourquoi ne faites-vous pas confiance à tous les acteurs de ce système, qui disposeront d’une procédure leur permettant d’ouvrir le dialogue dans le seul objectif du retour vers l’école ?
J’estime que vous avez lu trop rapidement un texte parfaitement équilibré, qui, de l’enseignant à l’inspecteur d’académie, donne tout son rôle à chacune des instances dont la mission est bien de ramener les enfants vers l’école. Davantage de discernement vous aurait conduit à moins de caricatures. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Bas. Bravo !
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 197 rectifié quinquies.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable et que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 104 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 335 |
Pour l’adoption | 210 |
Contre | 125 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 24 decies.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures dix, est reprise à vingt et une heures quarante, sous la présidence de M. Roger Karoutchi.)