M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, voilà plus d’un an que la France, au rythme des confinements et des déconfinements, vit avec le virus.
Les Français se sont adaptés ; ils ont changé leur mode de vie, leur façon de travailler, leurs déplacements et leurs loisirs. Leurs relations sociales sont contraintes par les restrictions sanitaires et leurs proches n’ont jamais été si loin.
Ces chambardements ont dessiné, pour chacun de nous, un nouveau quotidien dans tous les aspects de nos vies. La vie démocratique, qui n’est jamais qu’un seul de ces aspects, a profondément évolué au gré de la situation sanitaire.
Il est vrai que, en ce moment, la vie démocratique ne ressemble pas à ce qu’elle était avant la pandémie. Néanmoins, bon gré, mal gré, elle suit son cours.
Il faut dire que tout avait commencé sous de sombres auspices, par l’annonce du premier confinement le 14 mars 2020, à la veille des élections municipales. On connaît la suite : maintien du premier tour malgré la sidération et l’inquiétude. Les élus locaux, les assesseurs et les présidents de bureaux de vote ont été fidèles au poste : leur engagement exemplaire a permis la bonne tenue de ce scrutin, si essentiel à la démocratie locale.
Depuis lors, presque toutes les élections ont pu se tenir, malgré des aménagements substantiels. Force est de constater que ces aménagements, s’ils ont profondément changé le visage des élections – notamment pour les municipales, dont le second tour s’est tenu plusieurs mois après le premier –, n’ont finalement pas entamé la légitimité des élus, fort au contraire.
Je pense, bien évidemment, aux dernières élections sénatoriales – j’en suis issue –, qui ont concerné la moitié d’entre nous. Je pense également aux renouvellements des conseils intercommunaux ou encore aux élections professionnelles, qui concourent à la vitalité du dialogue social.
Au Parlement, comme dans tous les conseils communaux, intercommunaux, départementaux ou régionaux, la vie démocratique s’est adaptée.
Qui, au Sénat, pourrait affirmer le contraire ? Comme partout en France, la Haute Assemblée a dû composer avec les contraintes sanitaires, tandis que nos méthodes de travail ont évolué. Nous avons pleinement rempli nos fonctions de parlementaires, même si nous l’avons fait de façon inédite et parfois insolite.
Depuis mars 2020, presque toutes les élections ont donc pu se tenir, exception faite des élections départementales et régionales, pour lesquelles nous avons déjà voté un premier report à cause de la deuxième vague. Il s’agit, aujourd’hui, de savoir s’il faut opter pour un nouveau report face à une nouvelle vague.
Admettons, tout d’abord, qu’il est plus que légitime de se poser la question. Par rapport à cet hiver, la situation a largement évolué. D’une part, la campagne de vaccination, notamment compte tenu de l’accélération récente qu’elle a connue, nous permet d’envisager une période d’accalmie, avec le retour des beaux jours. D’autre part, la propagation des variants, entre autres complications, nous incite à la prudence.
En tout état de cause, deux choses sont à ce stade certaines.
Tout d’abord, personne, ici, ne peut garantir que la situation sera nettement meilleure en juin prochain qu’elle ne l’est aujourd’hui, même si de nombreux indicateurs nous permettent légitimement de l’espérer.
Ensuite, personne, ici, ne peut garantir non plus que la situation sera nettement meilleure en septembre ou en octobre prochain qu’elle ne le sera en juin,…
Mme Vanina Paoli-Gagin. … même si, encore une fois, de nombreux indicateurs nous permettent légitimement de l’espérer.
Nous devons donc nous rendre à l’évidence : au cours des prochains mois, la situation demeurera placée sous le signe de l’incertitude.
Toutefois, plusieurs éléments nous permettent d’envisager plus sereinement la bonne tenue d’un scrutin en juin prochain. J’identifie au moins trois arguments dans ce sens.
Le premier, c’est que nous avons acquis, depuis les élections municipales, une précieuse expérience en matière d’organisation de scrutins par temps d’épidémie. De manière plus générale, nous avons appris à vivre avec le virus. Nous nous sommes équipés pour nous protéger et avons intégré les gestes barrières. En somme, nous avons de quoi aborder plus sereinement la tenue des prochains scrutins.
Le deuxième argument est l’accélération de la campagne vaccinale. Les chiffres récents sont plutôt encourageants ; il nous faut absolument tenir ce rythme au cours des prochaines semaines, malgré les mauvaises nouvelles liées au déploiement du vaccin Johnson & Johnson. L’objectif des 30 millions de premières doses injectées d’ici à la mi-juin nous laisse envisager une participation plus sereine, notamment de la part de nos concitoyens les plus fragiles.
Ces deux premiers arguments ont sans doute emporté la conviction des maires, qui se sont majoritairement exprimés en faveur du maintien du scrutin en juin. Ils compteront, bien sûr, sur le concours de l’État s’agissant des aspects opérationnels de ces prochaines échéances.
Tout ce qui pourra être fait en amont pour garantir aux organisateurs les conditions les plus sûres au plan sanitaire devra être mis en œuvre. Des aménagements de la stratégie vaccinale pourraient d’ailleurs être envisagés, par exemple pour les assesseurs. Notre groupe est ouvert aux discussions sur ce point.
Il est bien sûr très important d’écouter l’avis des maires, qui seront concernés au premier chef, même si la décision échoit in fine à l’État. Nombre d’entre nous auraient préféré que la consultation se déroule dans de meilleures conditions, mais l’essentiel est que le Gouvernement puisse prendre une décision en connaissance de cause.
Le troisième et dernier argument, c’est que nous pouvons apprendre des nombreux autres pays qui ont fait face à des situations à bien des égards comparables et qui sont, malgré tout, parvenus à respecter leur calendrier électoral.
Je pense, bien sûr, aux élections présidentielles aux États-Unis, en novembre dernier. Je pense aussi à nos voisins européens, qui se sont rendus aux urnes et ont trouvé des solutions pour adapter la tenue des scrutins.
La flexibilité et l’innovation ont permis de sécuriser les modalités de vote. Le vote par correspondance a pris une place importante, tout comme le vote par anticipation. Dans certaines régions, notamment en Espagne, des plages horaires spécifiques ont été mises en place. De manière moins classique, certains votes se sont déroulés à l’extérieur, par exemple chez nos voisins des Pays-Bas, ou ont été étalés sur plusieurs jours.
La démocratie, tout comme les citoyens, fait preuve d’adaptation et d’inventivité, pour dépasser les obstacles auxquels elle est confrontée.
Monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, la démocratie est aussi précieuse qu’exigeante. Si elle n’est pas régulièrement exercée, elle court le risque de s’anémier.
M. Bruno Sido. Très bien !
Mme Vanina Paoli-Gagin. Ainsi, le maintien des échéances électorales n’a pas à être justifié : il se justifie par la seule nécessité de faire vivre notre démocratie.
Seules les raisons qui pourraient contraindre à un report doivent, à notre sens, être examinées. De telles raisons doivent être particulièrement graves, exceptionnelles et ponctuelles pour qu’un report puisse être justifié. Notre groupe considère que, à ce jour, ces raisons ne sont pas réunies. C’est pourquoi nous voterons en faveur du maintien des élections en juin prochain.
Le décalage d’une semaine, avec un premier tour fixé au 20 juin et un second au 27 juin, nous paraît donner un peu plus de temps aux deux campagnes – vaccinale d’une part, électorale de l’autre – pour déployer leurs effets. Ce report nous paraît donc la meilleure proposition de compromis. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guillaume Gontard. Monsieur le Premier ministre, quand nous vous avons demandé à maintes reprises d’associer davantage la représentation nationale et les élus locaux à la prise de décision dans la gestion de la crise, nous n’imaginions pas les épisodes quelque peu confus des derniers jours.
Nous notons néanmoins une légère amélioration : vous essayez de bien faire – nous le sentons –, et même si ce n’est pas encore cela, l’effort est louable.
Ce quatrième débat sur la base de l’article 50-1 de la Constitution en six mois est de loin le moins inutile de tous ; il est certainement moins inutile que la mascarade de démocratie que nous avons vécue il y a quinze jours.
Cette fois, vous avez pris le temps de consulter les groupes parlementaires et les partis, et nous retrouvons, dans les modalités d’organisation du scrutin que vous venez de nous présenter, quelques-unes des idées que nous avions formulées – c’est une première !
Vous avez également entrepris de consulter tous les maires de France. L’initiative est louable, mais quelque peu cavalière…
En effet, nonobstant les avis des associations représentatives des élus locaux, lesquelles se sont vexées – on les comprend ! –, vous avez interrogé les maires en leur laissant un délai de quarante-huit heures. Ce délai était un peu court pour leur permettre de consulter leur conseil municipal.
Vous pouvez entendre que nombre d’élus locaux aiment s’appuyer sur l’intelligence collective et asseoir leur décision sur les fondations solides de la concertation. Vous le verrez si vous poursuivez dans la voie que vous esquissez aujourd’hui : on y gagne en sérénité et on dort mieux la nuit. Je vous invite d’ailleurs à passer le message au Président de la République.
M. Laurent Duplomb. Il ne dort pas assez ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Guillaume Gontard. Le caractère quelque peu expéditif de la consultation nous laisse quelque peu perplexes et nous étonne, pour reprendre vos mots.
Nous avons le sentiment, comme trop souvent, que cette consultation est sortie de votre chapeau quelques heures avant son lancement. Pourtant, le rapport du conseil scientifique datait du 29 mars : il y avait matière à laisser une ou deux semaines de battement aux maires.
Au-delà du timing, c’est surtout la question posée aux maires qui interroge : « Les conditions sanitaires préconisées par le conseil scientifique vous semblent-elles réunies pour organiser les deux tours du scrutin en juin ? »
Permettez-moi de me faire le porte-parole de nombreux maires de France et de vous retourner la question, monsieur le Premier ministre : les conditions sanitaires vous semblent-elles réunies ?
Pensez-vous que l’on aura effectivement vacciné la moitié du pays, dont l’intégralité des personnes à risque, d’ici à la mi-juin ?
Pensez-vous que vous serez en mesure de vacciner tous les agents, tous les présidents et tous les assesseurs de bureaux de vote qui en feront la demande ?
Pouvez-vous promettre que l’État prendra à sa charge l’ensemble du surcoût des opérations électorales, lequel ne peut pas incomber à des communes déjà exsangues ?
Pensez-vous être en mesure de mettre en place suffisamment en amont un protocole sanitaire précis et durable, pour permettre aux maires de s’organiser sans changement de dernière minute ?
J’ajoute une dernière question, que les maires se posent moins directement : pensez-vous être en mesure de protéger les candidates et les candidats, comme leurs équipes, ainsi que toutes les personnes qu’ils rencontreront, en favorisant leur accès rapide à la vaccination et en les équipant en autotests ?
Voilà autant de réponses dont les maires, comme les parlementaires, auraient aimé disposer pour se prononcer en disposant de toutes les informations nécessaires.
Un doute me taraude, monsieur le Premier ministre : qu’attendiez-vous de la réponse des maires ? Qu’elle vous offre un prétexte pour repousser les élections ?
M. Laurent Duplomb. Eh oui !
M. Guillaume Gontard. Qu’elle vous permette de vous décharger de la responsabilité de cette décision ?
M. Laurent Duplomb. Aussi !
M. Guillaume Gontard. La réponse des maires de France et la forte participation à cette consultation, aussi expresse qu’un sondage sur Twitch (Sourires.), ne nous surprennent pas.
L’attachement des maires à notre démocratie ne nous surprend pas davantage : comme nous, ils pensent que, malgré les craintes légitimes, la démocratie ne doit pas être confinée.
Aussi, même si nous n’avons pas tous les éléments, même si l’incertitude pèse et continuera de peser sur ce scrutin, nous pensons, comme l’essentiel des forces politiques, que notre démocratie doit vivre avec le virus.
Nombre de nos voisins européens et d’autres pays ont voté ces derniers mois ou le feront ces prochains mois. J’aimerais faire un petit rappel à l’attention du ministre de l’intérieur : il n’y a aucune raison que la France ne soit pas capable d’organiser des élections – ce serait même inquiétant et quelque peu déshonorant !
Sauf cataclysme sanitaire, ces élections doivent se tenir. Nous le pensions hier et nous le pensons aujourd’hui. C’est pourquoi nous voterons en faveur de la proposition que vous formulez aujourd’hui.
C’est d’autant plus facile que la plupart des modalités d’organisation du scrutin que vous proposez nous conviennent : faciliter les procurations, même si les propositions adoptées par le Sénat en la matière étaient plus ambitieuses que les vôtres ; élargir les horaires de vote dans toutes les communes où c’est pertinent ; installer des bureaux en extérieur quand cette organisation est possible ; prévoir une plage horaire privilégiée pour les personnes à risque ; avoir un même scrutateur pour les deux scrutins, comme vous l’avez annoncé ; enfin, créer la possibilité pour les assesseurs et les agents de procéder au dépouillement.
Tout cela est frappé au coin du bon sens. Gravez au plus vite dans le marbre ce protocole qui se dessine, afin de laisser le temps aux maires et aux services de l’État de s’organiser.
J’attire simplement votre attention sur le recrutement des scrutateurs pour le dépouillement. Ce dernier s’annonce complexe : les mêmes précautions de vaccination ou de test seront plus dures à prendre que pour les assesseurs et les agents. C’est bien cette phase du scrutin qui s’annonce la plus délicate.
Si, malgré les défis logistiques et sanitaires, l’organisation du scrutin ne semble pas insurmontable, celle de la campagne électorale pose davantage de difficultés.
La liberté de déplacement des candidats était nécessaire, et vous l’autorisez. Vous proposez une clause de rendez-vous pour les rassemblements en plein air. Très bien ! Toujours est-il que le gros de la campagne sera dématérialisé, et c’est sur ce point qu’il faut concentrer l’effort.
Vous prévoyez des campagnes d’informations gouvernementales, un site internet regroupant toute la propagande de tous les candidats à tous les scrutins, des débats sur les chaînes du service public dans toutes les régions : ces mesures représentent un début de solution, mais il faut aller plus loin.
Nous vous demandons de doubler l’envoi de la propagande électorale : un premier envoi à un mois du scrutin, un autre, classiquement, la semaine précédant le vote. Nous souhaitons aussi doubler à quatre pages la taille des circulaires dites « professions de foi » : ce sera souvent le seul document que recevront les électeurs, faute de distribution de tracts.
Nous vous demandons également d’adresser les instructions nécessaires pour que les panneaux électoraux soient en place dès le début de la campagne officielle, soit le 1er juin, afin d’amplifier les possibilités d’affichage.
Nous vous invitons également à assouplir la production des clips de campagne et à avancer et élargir leur diffusion sur toutes les antennes locales du service public audiovisuel.
Vous envisagez un débat par région sur ces mêmes antennes. C’est un minimum auquel nous vous demandons de veiller. Il n’y a pas de raison en la matière de léser les départements : il est nécessaire d’organiser au moins un débat par département.
Pour cette campagne largement dématérialisée, il faut « mettre le paquet », si j’ose dire, et l’État doit y prendre toute sa part.
Dans le flou de la période, peut-être serait-il également opportun que le Gouvernement précise par une circulaire ce qui relève, dans les moyens d’action et de communication des exécutifs locaux, de l’indispensable lutte contre la pandémie et ce qui participe de l’utilisation de ces moyens à des fins de campagne électorale.
Voilà, monsieur le Premier ministre, pour compléter votre concertation de nouvelles recommandations, que vous ne manquerez pas de faire vôtres. J’y ajouterai l’allongement de la campagne officielle à vingt-six jours, puisque vous avez annoncé que vous alliez déposer un texte de loi.
Afin d’éviter qu’une incertitude similaire pèse sur l’élection présidentielle et les élections législatives, ce qui serait démocratiquement catastrophique, allez-vous enfin vous battre pour lever les brevets des vaccins et favoriser leur diffusion en France comme dans le monde, limiter la multiplication des variants ravageurs, et nous permettre de voir, enfin, le bout du tunnel ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe Rassemblement des démocrates progressistes et indépendants. (Acclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Patriat. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous remercie de m’accueillir avec tant d’honneurs !
Pour commencer mon propos par une touche d’humour, je veux tout de suite me tourner vers le président François-Noël Buffet : mon cher collègue, pour vous ôter immédiatement d’un doute et éviter tout suspense, je vous indique que le groupe RDPI se prononcera favorablement à la tenue des élections en juin. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
Cela mérite néanmoins quelques explications ! La séance d’aujourd’hui a pour but de mettre chacun face à ses responsabilités quant à la tenue des élections et d’éviter de futures confusions si les conditions venaient à changer, ce que nous ne souhaitons pas.
Dans votre déclaration du 1er avril dernier, vous avez affirmé sans ambiguïté, monsieur le Premier ministre, que seules des raisons sanitaires impérieuses seraient de nature à entraîner une modification des dates des scrutins.
Après avoir beaucoup consulté, le Gouvernement s’en tient aujourd’hui à cette position. Le 1er avril, j’exprimais ici le vœu de nous voir sortir des débats binaires et manichéens. Il semble que ce soit difficile…
Le débat est apaisé aujourd’hui, mais il a été rude au cours des dernières semaines. Pourquoi tant de passion, de fausse gravité, de mises en causes et de procès d’intention ? (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
J’entends parfaitement ceux qui affirment que la démocratie ne peut être confinée, que la date d’une élection se décrète en fonction non pas d’une occasion, mais de la loi et du respect de la Constitution.
Toutefois mes chers collègues, si la Constitution implique le respect de la loi, elle implique aussi d’assurer la protection des Français. Je rappelle que, en 2007, les élections municipales ont été reportées d’un an et, en 2015, les élections régionales de neuf mois : à l’époque, cela n’avait posé aucun problème à personne !
Si l’on considère que la vie démocratique doit respirer, sa respiration sera de type covid, haletante et essoufflée, si la campagne ne peut se dérouler normalement et si les conditions de vote sont trop coercitives.
J’entends souvent évoquer le manque de concertation, l’absence de dialogue, la verticalité. Pourtant, ce nouveau débat sur la base de l’article 50-1 de la Constitution est loin d’être le premier. Jamais le Parlement n’aura été autant consulté ! (Marques d’ironie sur les travées du groupe CRCE.)
Pourquoi dépassionner le débat et analyser lucidement la situation ne serait-il pas possible ?
Repousser les élections de six mois, quand une grande majorité des Français sera vaccinée et qu’une véritable campagne pourra se dérouler, serait, pour les oppositions, une manipulation, une manœuvre sournoise au service d’intérêts douteux ? Non !
Mes chers collègues, la majorité ne redoute pas ces élections, pas plus que vous ne redoutez l’élection présidentielle ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Une consultation lucide, sereine et représentative doit se dérouler sous trois conditions, par ailleurs très bien décrites par l’un de nos collègues franc-comtois de la majorité sénatoriale.
Première condition : le climat dans lequel se déroulent les élections. Pensons-nous vraiment que les élections locales sont aujourd’hui la première préoccupation de nos concitoyens et que le renouvellement des présidents des conseils régionaux et départementaux soit leur priorité ? On peut en douter. Selon moi, ils aspirent davantage à sortir de la crise sanitaire et de ses conséquences économiques et sociales, ainsi qu’à retrouver leur vie d’avant.
M. Laurent Duplomb. Ils s’interrogent surtout sur la façon dont la crise sanitaire est gérée !
M. François Patriat. Je n’ai pas croisé de nos concitoyens me suppliant à tout prix de pouvoir aller voter. Plus souvent, ils nous reprochent de ne penser qu’aux élections !
Deuxième condition : le déroulement de la campagne. Nous sommes en état d’urgence sanitaire, ce qui explique l’absence de contacts, de réunions, de rendez-vous et de porte-à-porte. Comment peut s’exercer la confrontation des idées et des programmes, ainsi que la rencontre avec les électeurs ? L’élection ne se réduit pas à un jour ou deux de vote en mairie !
Je sais bien que beaucoup se moquent du taux de participation. Pour ma part, je ne me satisfais pas de certains résultats des élections municipales, au cours desquelles des maires de grande ville ont été élus par 14 % des électeurs inscrits… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Bas. Et les législatives de 2017 ?…
M. François Patriat. Pensez-vous que tout le monde a accès à une campagne numérique, surtout en milieu rural ? Que tous les candidats aux départementales auront droit à un débat télévisé ? Non ! Certains doutent d’une réelle légitimité des personnes élues si l’expression du pluralisme n’a pu avoir lieu, si l’accès à la notoriété n’a pas été égal.
Troisième condition : l’organisation du scrutin, ainsi que les modalités concrètes permettant de le mettre en place.
Bien sûr, vous avez raison, la France ne peut être le seul pays à ne pas pouvoir voter. Mais le conseil scientifique a indiqué que, si les élections devaient se dérouler, un protocole renforcé serait nécessaire, avec les contraintes que nous connaissons : celles-ci devront être portées à la connaissance de ceux qui seront chargés d’organiser les opérations de vote, c’est-à-dire les maires.
C’est pourquoi je salue la consultation des maires de France, auxquels nous allons demander d’assumer l’organisation des élections. Le taux de réponse, d’ailleurs assez contrasté, auquel elle a donné lieu montre que cette consultation était nécessaire. Certains y ont vu une ultime manœuvre. Je le regrette, car elle a été organisée à la suite des nombreuses craintes exprimées par les territoires.
Sans aucune intervention de ma part, le département dont je suis l’élu a d’ailleurs majoritairement voté pour un report des élections.
M. Laurent Duplomb. Oh !
M. François Patriat. En revanche, je sais que beaucoup de grands élus ont fait pression, par courrier, mail ou téléphone, pour qu’il n’y ait pas de report. (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et SER.) Que redoutaient-ils donc ? Les mêmes qui pensaient que trois jours pour répondre à la consultation constituaient un délai trop court ont eu le temps et les moyens d’intervenir lourdement…
Le taux de réponse massif a bien montré que l’unanimité n’était pas celle qui a été avancée par les instances représentatives. La réponse des maires est l’expression de craintes justifiées et d’exigences auxquelles il nous faudra répondre. Leurs propositions, d’ailleurs pertinentes, seront entendues et prises en compte.
J’entends bien tous les arguments pour le maintien des élections, et nous n’y sommes pas insensibles.
Nous croyons à l’engagement pris par le Gouvernement de desserrer l’étreinte à la mi-mai, d’avoir fait vacciner 30 millions de personnes en juin, voire 31 ou 32 millions le 27 juin, et de nous permettre de reprendre la plupart de nos activités.
D’autres pays ont voté dans des conditions variées, avec des taux de participation très différenciés. J’entends que la démocratie doit être respectée. Tous ces arguments sont fondés.
Si nous sommes en mesure de répondre à l’ensemble des interrogations, si un consensus se dessine avec les associations représentatives, les partis et les mouvements, le Gouvernement reprendra les propositions dans la loi qui sera votée. Le scrutin peut être envisagé en juin.
Nous y sommes également favorables, afin de ne pas laisser entendre, comme j’en ai souvent eu l’impression, qu’il existerait deux camps dans notre pays : d’un côté, ceux qui en appellent aux grands principes et qui voudraient que la voix populaire s’exprime ; et, de l’autre, ceux qui redouteraient le suffrage, craindraient le verdict du peuple, seraient imprégnés d’arrière-pensées et se livreraient à des manœuvres politiciennes. Assurément, ce n’est pas le cas !
Notre seul souci est que les Français soient bien protégés, prémunis et informés et qu’ils puissent participer à une compétition large et loyale permettant de désigner des assemblées représentatives.
Aussi, oui, le Gouvernement devra prendre toutes les mesures, certaines déjà évoquées et d’autres à venir. Je pense à la transmission aux maires d’un guide régulièrement mis à jour relatif à l’organisation du scrutin ; à la mise à la disposition des candidats d’un kit de campagne numérique ; ou, le jour du scrutin, à la mise en place de plages horaires préférentielles pour les publics vulnérables, les personnes contaminées ou susceptibles de l’être.
Ces mesures permettront une campagne digne, une véritable égalité de traitement entre les candidats, et une participation importante des électeurs en toute confiance, transparence et sécurité.
Ainsi, à l’heure où les Français retrouveront leurs libertés, permettons-leur d’exercer ce droit fondamental qu’est le droit de vote. Maintenons les élections au mois de juin prochain ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Laurent Duplomb. Quelle mauvaise foi !
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les membres du Gouvernement, mes chers collègues, les juristes aiment user de locutions latines pour caractériser telle ou telle règle de droit ou situation atypique, exactement comme celle que notre pays subit depuis maintenant plus d’un an. Aussi serais-je tenté de vous dire à cet instant, monsieur le Premier ministre : non bis in idem, c’est-à-dire « pas deux fois la même chose » !
M. Philippe Bas. Très bien !
M. Jean-Claude Requier. Nous sommes légitimement en droit de nous interroger sur l’intérêt d’utiliser, une fois de plus, l’article 50-1 de la Constitution, que nous avons encore eu l’occasion d’apprécier il y a quelques jours.
Pour tout vous dire, nous autres parlementaires ne savons plus s’il faut considérer que nous sommes là pour entériner symboliquement des décisions déjà prises dans des enceintes plus confidentielles, ou si nous servons d’excipient pour mieux diluer la responsabilité de décisions que l’exécutif ne souhaite pas nécessairement endosser dans sa globalité.
Bien sûr, personne ne niera la difficulté de votre tâche, monsieur le Premier ministre, ni même la complexité de décider sous la pression d’une opinion publique fatiguée et d’élus parfois versatiles, y compris parmi vos plus proches soutiens. Nous en avons bien conscience !
Pour autant, je vais vous répéter exactement ce que je vous disais il y a une semaine à cette tribune : nous n’avons pas la même définition du choix collectif dans une démocratie parlementaire.
Or, au fond, ce dont nous débattons aujourd’hui n’est rien d’autre que la question fondamentale pour notre société de sa continuité démocratique dans des circonstances exceptionnelles. Nous avions déjà abordé cette question l’année dernière à l’occasion du report des élections municipales. Nous aurions gagné à y apporter des réponses non pas circonstanciées, mais pérennes, au lieu de devoir encore revenir sur le sujet à l’occasion de l’examen du projet de loi que vous nous avez annoncé pour le mois de mai.
Dans notre conception d’une République moderne et transparente, nous aurions souhaité que toutes les options relatives au calendrier électoral soient mises d’emblée sur la table, nonobstant toutes les incertitudes liées à l’évolution de la situation pandémique, en particulier lors de nos débats sur la loi du 22 février dernier.
Cela aurait sans doute évité les effets désagréables d’une consultation des maires précipitée en un week-end – quand bien même elle aura eu le mérite d’exister et de donner une voix à ceux qui se retrouveront une nouvelle fois en première ligne, pour organiser le scrutin dans les meilleures conditions possible.
Je tiens d’ailleurs à saluer la grande réactivité des maires de France dans l’Hexagone et en outre-mer, qui ont été près de 24 000 à répondre à cette consultation, quel que fût le sens de leur réponse, en à peine quelques heures. Je n’oublie pas non plus l’implication des associations d’élus, dans toute la diversité de leur expression.
Monsieur le Premier ministre, vous le savez, puisque je vous en ai fait part par courrier la semaine dernière, mon groupe est avant tout viscéralement attaché au respect, en toutes circonstances, des principes fondamentaux de notre vie démocratique, qui doivent régir aussi bien la régularité du déroulement de la campagne électorale que la sincérité du scrutin et l’égalité entre tous les candidats.
Or, vous en conviendrez, il n’existe pas à ce jour de solution idéale à même de garantir un déroulement normal du scrutin, que ce soit juridiquement ou politiquement, dès lors que les conditions sanitaires qui seront celles du mois de juin prochain sont incertaines. Faut-il alors lâcher la proie pour l’ombre ? Nous ne le pensons pas, et je vous confirme que mon groupe se ralliera dans sa majorité à l’idée de maintenir les deux scrutins en juin prochain.
C’est en toute responsabilité que nous nous prononçons, en ayant parfaitement à l’esprit que notre économie est dans un état plus qu’inquiétant, que nos restaurateurs n’en peuvent plus d’attendre, que le monde de la culture est en train de se nécroser et que notre système de santé s’approche trop souvent du point de rupture.
L’urgence d’un retour à une vie normale se fait sentir partout. Nous y incluons évidemment l’urgence de la continuité démocratique, car si l’on peut maintenir les entreprises ouvertes, les bureaux de vote peuvent l’être aussi.
Monsieur le Premier ministre, nous y attachons d’autant plus d’importance que le plus grand risque, nous le savons tous, est celui d’une abstention massive de nos concitoyens.
Cette abstention serait encore plus significative à l’heure où les réseaux sociaux forgent l’opinion, ce qui pourrait conduire à une ochlocratie – le régime dans lequel la foule impose sa volonté –, où le complotisme ne s’est malheureusement jamais aussi bien porté et où l’on assiste à un recul inquiétant du rationalisme chez nos jeunes concitoyens. Cessons de nous lamenter et agissons plutôt pour que l’abstention ne soit pas le premier parti de France, ouvrant la voie à une légitimation des extrémistes !
Dans ces circonstances, comme l’ont relevé de nombreux maires consultés, il convient de s’appuyer sur l’expérience du renouvellement des conseils municipaux l’année dernière.
Nous disposons aujourd’hui d’élus et de personnels municipaux parfaitement formés et réactifs. Je n’imagine pas un électeur se rendre dans un bureau de vote sans utiliser du gel hydroalcoolique ou respecter les distances. Les gestes barrières font désormais partie de notre quotidien.
Nous considérons, par conséquent, que les mesures que vous avez annoncées vont dans une direction satisfaisante, quand bien même elles n’apportent pas de garanties absolues : report d’une semaine du scrutin – il coïncidera avec le départ du Tour de France ! (Sourires.) –, aménagement des bureaux de vote, bien sûr, extension des horaires de vote, double procuration et vaccination des assesseurs, sachant qu’il est déjà difficile d’en trouver habituellement.
Pour autant, je ne veux pas oublier les réticences des quelque 40 % de maires favorables à un report, qui attendent notamment qu’une plus grande partie de la population ait été vaccinée.
Quoi qu’il en soit, il importe par-dessus tout que l’égalité entre tous les candidats soit garantie. À ce sujet, soyons clairs : l’interdiction de toutes les réunions en intérieur comme en extérieur donnera à cette campagne électorale une nature singulière, comme un air de démocratie en quarantaine.
De même, la centralisation des professions de foi sur un site internet soulève encore une fois la question de l’égal accès de nos concitoyens à cette information indispensable pour éclairer leur choix. Nous en reparlerons d’ailleurs tout à l’heure, lors de la discussion de la proposition de loi du RDSE relative à la lutte contre l’illectronisme et pour l’inclusion numérique.
Mes chers collègues, j’attire encore votre attention sur les conditions particulières dans lesquelles se dérouleront les scrutins dans les petites communes rurales, en termes aussi bien de moyens que d’application des règles de distanciation.
L’éventuelle organisation du vote en extérieur, qui a pu être évoquée, ne nous paraît pas raisonnable. En effet, un vent malin pourrait disperser les bulletins de vote ! (Sourires.) Il conviendra de réfléchir à des solutions opérationnelles, avec le soutien de l’État.
Monsieur le Premier ministre, c’est avec la conviction profonde que nous devons approfondir sans relâche ce qui nous relie tous, citoyens de ce pays, face aux immenses défis qui s’imposent à nous, que la majorité du RDSE approuvera votre déclaration. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Julien Bargeton applaudit également.)