Sommaire
Présidence de Mme Laurence Rossignol
Secrétaires :
MM. Daniel Gremillet, Jean-Claude Tissot.
moyens d’alerte des services de secours dans les établissements recevant du public
Question n° 1560 de M. Stéphane Piednoir. – Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable.
Question n° 1611 de Mme Catherine Dumas. – Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable ; Mme Catherine Dumas.
avenir de l’usine psa à douvrin
Question n° 1648 de Mme Sabine Van Heghe. – Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable ; Mme Sabine Van Heghe.
Question n° 1566 de Mme Nadège Havet. – Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable.
indemnisation des fonds de commerce pour les discothèques
Question n° 1561 de Mme Annie Le Houerou. – Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable.
fermeture de bases aériennes de la compagnie air france en province
Question n° 1649 de Mme Marie-Arlette Carlotti. – Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable ; Mme Marie-Arlette Carlotti.
contribution à l’audiovisuel public appelée en avril 2021
Question n° 1612 de M. Yves Bouloux. – Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable.
communes rurales et plan de relance
Question n° 1527 de Mme Marie Mercier. – Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable ; Mme Marie Mercier.
dépenses liées aux documents d’urbanisme et fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée
Question n° 1567 de M. Olivier Cigolotti. – Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable ; M. Olivier Cigolotti.
Question n° 1601 de Mme Marie-Claude Varaillas. – Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable ; Mme Marie-Claude Varaillas.
Question n° 1604 de Mme Sylviane Noël. – Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable ; Mme Sylviane Noël.
plafonnement des frais pédagogiques pris en charge pour la formation des élus locaux
Question n° 1632 de Mme Catherine Procaccia. – Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable ; Mme Catherine Procaccia.
représentation au sein des syndicats mixtes de gestion forestière
Question n° 1646 de M. Éric Gold. – Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable ; M. Éric Gold.
Question n° 1476 de M. Max Brisson. – Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable ; M. Max Brisson.
Question n° 1576 de M. Édouard Courtial. – Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable.
enjeux liés à la création d’une régie publique de l’eau dans neuf communes du val-de-marne
Question n° 1564 de Mme Sophie Taillé-Polian. – Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable.
report de la réforme grand âge et autonomie
Question n° 1581 de Mme Jocelyne Guidez. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles ; Mme Jocelyne Guidez.
Question n° 1570 de M. Patrick Boré. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles.
tests pcr pour les enfants en bas âge
Question n° 1619 de Mme Brigitte Lherbier. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles ; Mme Brigitte Lherbier.
désertification médicale dans la loire
Question n° 1621 de Mme Cécile Cukierman. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles ; Mme Cécile Cukierman.
baisse tarifaire des prestations des prestataires de santé à domicile
Question n° 1622 de M. Bernard Bonne. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles ; M. Bernard Bonne.
accès à des traitements innovants contre le cancer du sein
Question n° 1634 de Mme Anne-Catherine Loisier. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles ; Mme Anne-Catherine Loisier.
banque alimentaire et dispositif national « chèques alimentaires »
Question n° 1647 de Mme Brigitte Micouleau. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles.
modernisation de la route nationale 102
Question n° 1574 de Mme Anne Ventalon. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles ; Mme Anne Ventalon.
projet de contournement routier de vitré
Question n° 1618 de M. Daniel Salmon. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles ; M. Daniel Salmon.
moratoire sur la fermeture de classes maternelles et élémentaires dans les communes audoises
Question n° 1578 de Mme Gisèle Jourda. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles ; Mme Gisèle Jourda.
Suspension et reprise de la séance
inégalités entre les étudiants dans l’accès au dispositif de deux repas par jour à 1 euro
Question n° 1625 de M. Guillaume Chevrollier. – Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation ; M. Guillaume Chevrollier.
carences de la réforme des études de médecine en première année
Question n° 1557 de M. Pierre-Antoine Levi. – Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
réforme des études de médecine
Question n° 1571 de Mme Florence Lassarade. – Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation ; Mme Florence Lassarade.
financement de la formation des orthoptistes en distanciel
Question n° 1654 de Mme Nadia Sollogoub. – Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation ; Mme Nadia Sollogoub.
contrôles des exploitations agricoles dans le cadre de la politique agricole commune
Question n° 1563 de M. Pierre-Jean Verzelen. – Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation ; M. Pierre-Jean Verzelen.
épandage des boues d’épuration
Question n° 1597 de Mme Chantal Deseyne. – Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation ; Mme Chantal Deseyne.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
3. Contrôle, régulation et évolution des concessions autoroutières. – Débat sur les conclusions du rapport d’une commission d’enquête
M. Éric Jeansannetas, président de la commission d’enquête
M. Vincent Delahaye, rapporteur de la commission d’enquête
Mme Christine Lavarde ; M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports ; Mme Christine Lavarde.
M. Pierre Médevielle ; M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.
M. Jacques Fernique ; M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.
Mme Patricia Schillinger ; M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.
M. Jean-Pierre Corbisez ; M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.
M. Éric Bocquet ; M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports ; M. Éric Bocquet.
M. Jean-François Longeot ; M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.
M. Olivier Jacquin ; M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports ; M. Olivier Jacquin.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ ; M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.
Mme Jocelyne Guidez ; M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.
M. Michel Dagbert ; M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.
M. Didier Mandelli ; M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports ; M. Didier Mandelli.
M. Éric Jeansannetas ; M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.
M. Jean-Pierre Grand ; M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports ; M. Jean-Pierre Grand.
M. Patrick Chaize ; M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports ; M. Patrick Chaize.
M. Jean-Raymond Hugonet ; M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports ; M. Jean-Raymond Hugonet.
M. Vincent Delahaye, rapporteur de la commission d’enquête
Suspension et reprise de la séance
4. Écriture inclusive : langue d’exclusion ou exclusion par la langue. – Débat organisé à la demande du groupe Les Indépendants – République et Territoires
M. Jean-Pierre Decool, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires
5. Association de Taïwan aux travaux de plusieurs organisations internationales. – Adoption d’une proposition de résolution
Discussion générale :
M. Alain Richard, auteur de la proposition de résolution
M. Joël Guerriau, auteur de la proposition de résolution
Clôture de la discussion générale.
Texte de la proposition de résolution
Adoption par scrutin public n° 166, de la proposition de résolution.
compte rendu intégral
Présidence de Mme Laurence Rossignol
vice-présidente
Secrétaires :
M. Daniel Gremillet,
M. Jean-Claude Tissot.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Questions orales
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
moyens d’alerte des services de secours dans les établissements recevant du public
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Piednoir, auteur de la question n° 1560, adressée à M. le ministre de l’intérieur.
M. Stéphane Piednoir. Madame la secrétaire d’État, ma question porte sur les moyens d’alerte des services de secours dans les établissements recevant du public (ERP).
Bien qu’ils soient très peu utilisés depuis plus d’un an en raison du contexte sanitaire que nous connaissons, les salles des fêtes et les autres lieux de socialisation, présents dans de très nombreux villages, sont particulièrement importants pour le dynamisme et la vitalité des territoires.
Selon la catégorie à laquelle ils appartiennent, ces établissements doivent se soumettre à un certain nombre d’obligations en termes de sécurité. Ils doivent notamment garantir l’existence d’une ligne téléphonique sans discontinuité de service pour l’alerte des services de secours.
Pour se conformer à cette obligation, il est prévu que l’alerte soit assurée par un téléphone fixe. Le recours au téléphone analogique ne pouvant plus être systématique en raison de l’abandon programmé du réseau téléphonique commuté, ou « cuivré », comme on dit, les établissements recevant du public doivent se doter d’une box pour bénéficier d’un téléphone fixe.
Cette installation est à la fois particulièrement onéreuse et peu judicieuse pour les établissements de taille moyenne lorsque ceux-ci n’accueillent aucune administration, aucun guichet, et n’ont donc pas besoin d’un accès au wifi.
La téléphonie mobile pourrait constituer une solution plus abordable, qui permettrait également de respecter les objectifs en vigueur en matière de sécurité, puisqu’il est possible, même sans forfait, d’appeler les numéros d’urgence.
Cependant, en l’état actuel de la réglementation, l’alerte des services de secours par téléphonie mobile n’est pas autorisée dans les ERP de la première à la quatrième catégorie, sauf pour les établissements sportifs couverts autres que les patinoires et les piscines.
Madame la secrétaire d’État, le Gouvernement envisage-t-il de faire évoluer cette réglementation en autorisant le recours à la téléphonie mobile dans les ERP ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable. Monsieur le sénateur Stéphane Piednoir, dans le cadre de l’ouverture à la concurrence de la téléphonie et de l’évolution des technologies, l’opérateur historique a choisi d’abandonner progressivement la boucle locale cuivre faisant référence au réseau téléphonique commuté (RTC), dont les coûts d’entretien sont élevés.
Votre question renvoie à l’article MS 70 du règlement de sécurité contre les risques d’incendie et de panique dans les établissements recevant du public, approuvé par l’arrêté du 25 juin 1980.
L’application de ces dispositions générales destinées à garantir une alerte et une intervention précoces des services de secours est ensuite déclinée selon des dispositions spécifiques à certains ERP, en fonction de la nature de l’exploitation et de l’effectif admissible, lesquels peuvent restreindre le choix laissé à l’exploitant.
Afin de prendre en compte la disparition du réseau RTC, la note d’information du 27 janvier 2017 a donné des indications sur la lecture qu’il fallait faire de l’article MS 70. Pour les établissements du premier groupe, c’est-à-dire les plus grands, elle admet la possibilité de recourir à des box, sous réserve de la continuité du service téléphonique en cas de coupure d’électricité. Cette note admet par ailleurs l’usage du téléphone mobile dans les ERP les plus petits, qui sont classés en cinquième catégorie.
Dès lors, il appartient aux exploitants des ERP auxquels vous avez fait référence, et à supposer qu’ils relèvent bien du premier groupe, de s’assurer qu’ils disposent d’un système d’alerte adapté, qui ne saurait se limiter à un dispositif reposant sur les seuls réseaux de téléphonie mobile. Nous parlons en effet ici d’établissements représentant un enjeu de sécurité réel pour le public, ce qui justifie d’ailleurs leur suivi par l’autorité de police et les commissions de sécurité.
Enfin, j’ajoute que, si un exploitant souhaite prévoir des adaptations aux règles de sécurité, il doit en faire la demande argumentée auprès de l’autorité de police. Préalablement à sa décision, cette dernière sollicitera la commission de sécurité compétente, conformément à l’article R. 123-13 du code de la construction et de l’habitation et à l’article GN 4 du règlement de sécurité.
demande d’étude d’impact « nuisances et sécurité » de la salle de shoot du Xe arrondissement de paris
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Dumas, auteure de la question n° 1611, adressée à M. le ministre de l’intérieur.
Mme Catherine Dumas. Madame la secrétaire d’État, je souhaite interpeller les ministres de l’intérieur et de la santé sur le projet de la maire de Paris de créer deux nouvelles salles de shoot, ou salles de consommation à moindre risque (SCMR), dans les Ier et XVIIIe arrondissements de la capitale.
La création de ces salles de shoot est encadrée par la loi, qui prévoit notamment la remise d’un rapport annuel sur le déroulement de l’expérimentation au directeur général de l’agence régionale de santé, au maire de la commune et au ministre de la santé.
Dans un délai de six mois avant le terme de l’expérimentation, le Gouvernement doit adresser au Parlement un rapport d’évaluation de l’expérimentation portant notamment sur son impact sur la santé publique et sur la réduction des nuisances dans l’espace public.
À ma connaissance, aucun audit annuel n’a été rendu public depuis la création controversée de la salle de shoot dans le Xe arrondissement en 2016. J’ai donc réclamé la publication d’un audit au ministère de la santé. Je souhaite également qu’il soit complété par une étude d’impact « nuisances et sécurité », que pourrait rendre le ministère de l’intérieur.
En effet, cela fait quatre ans que les riverains sont désemparés et exaspérés par les nuisances dues à l’ouverture de cette salle. Comme me l’a signalé Bertil Fort, élu du Xe arrondissement, des personnes s’injectent de la drogue sur la voie publique, l’insécurité règne, des seringues jonchent le sol et des toxicomanes hurlent dans les rues. Cet environnement constitue une source de préoccupation majeure en matière sociale, mais aussi en termes de sécurité et de santé publique.
La réalisation d’une étude d’impact nous permettrait d’évaluer les effets de l’implantation de ce type d’établissement dans un quartier.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable. Madame la sénatrice Catherine Dumas, la salle de consommation à moindre risque du Xe arrondissement de Paris, implantée dans le quartier de la gare du Nord et de l’hôpital Lariboisière, est située dans une zone de sécurité prioritaire et fait l’objet, depuis son ouverture en octobre 2016, d’une surveillance particulière et adaptée de la part de nos services de police.
Les nuisances subies par les riverains, qui sont liées à la présence de toxicomanes usagers de la SCMR, dont une partie était déjà historiquement présente dans le quartier, n’ont pas disparu après l’ouverture de la salle. Les riverains dénoncent d’ailleurs très régulièrement la divagation de toxicomanes sur la voie publique, en particulier aux heures précédant l’ouverture et suivant la fermeture de ladite SCMR.
Ce secteur fait donc l’objet d’un suivi renforcé du commissariat du Xe arrondissement, des patrouilles étant très régulièrement organisées. Les policiers vérifient systématiquement chaque signalement porté à leur connaissance.
Ainsi, des policiers en uniforme assurent une sécurisation en matinée, puis sont relayés l’après-midi par la brigade territoriale de contact composée de policiers des Xe et XVIIIe arrondissements. En complément, le service local des transmissions du commissariat du Xe arrondissement réalise des vidéopatrouilles aux abords de la SCMR via les caméras du plan de vidéoprotection de la préfecture de police, très précisément rue Saint-Vincent-de-Paul. De plus, des opérations ponctuelles conjointes associent les services de police et les services municipaux.
Sur le plan judiciaire, l’usage de stupéfiants hors de la salle donne lieu à des interpellations et des placements en garde à vue. Les détenteurs de ces substances sont également interpellés dès lors qu’ils ne respectent pas le périmètre de tolérance délimité par le parquet ou qu’ils possèdent des produits stupéfiants en quantité supérieure à celle qui est tolérée par le parquet.
La publication de l’étude d’impact « nuisances et sécurité » que vous appelez de vos vœux, même si j’en comprends parfaitement l’objet et que je suis sensible aux questions que vous soulevez en tant qu’ancienne députée de Paris, n’est pas prévue par la loi et ne présenterait à ce stade qu’un intérêt assez limité.
En effet, la situation du quartier dans lequel est implantée cette salle est particulièrement bien connue et prise en compte quotidiennement, aussi bien dans les dispositifs de surveillance du secteur que dans les dispositifs de lutte contre la consommation de drogues.
J’ajoute que la préfecture de police en fait état annuellement au comité de voisinage organisé par la mairie d’arrondissement. Elle ne manquera pas de partager son diagnostic au moment de la rédaction du rapport d’évaluation que le Gouvernement adressera au Parlement dans un délai de six mois avant le terme de l’expérimentation.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Dumas, pour la réplique.
Mme Catherine Dumas. Merci beaucoup pour votre réponse, madame la secrétaire d’État : elle montre que vous connaissez bien la situation à Paris.
Au nom de mes collègues Marie Toubiana et Rudolph Granier, élus respectivement des XIXe et XVIIIe arrondissements, je tiens aussi à évoquer l’actualité du quartier de Stalingrad, qui est très touché par le fléau de la drogue.
Madame la secrétaire d’État, au lendemain de l’événement dramatique d’Avignon, il est temps de tirer les conclusions des solutions passées et d’essayer de les adapter ou, mieux encore, de les remplacer si nécessaire.
avenir de l’usine psa à douvrin
Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Van Heghe, auteure de la question n° 1648, adressée à M. le ministre de l’économie, des finances et de la relance.
Mme Sabine Van Heghe. Madame la secrétaire d’État, je souhaite attirer votre attention et celle de M. le ministre de l’économie, des finances et de la relance sur la situation de l’usine PSA, aujourd’hui Stellantis, située à Douvrin dans les Hauts-de-France.
Fleuron régional de l’industrie automobile, cette entreprise produit le moteur EP qui équipe les modèles hybrides rechargeables haut de gamme. Cette génération de moteurs est vouée à disparaître au profit d’un moteur respectant la norme Euro 7, l’EP Gen 3, qui devait être fabriqué en Hongrie, bien que l’usine française dispose des capacités humaines et techniques de le produire.
Heureusement, l’importante et récente mobilisation des élus, des salariés et des syndicats a finalement abouti au maintien de cette production sur le site de Douvrin.
Cette bonne nouvelle ne rassure pourtant pas totalement les salariés, qui ont besoin d’une vision à long terme sur leur avenir et celui de leur usine.
Madame la secrétaire d’État, comment le Gouvernement entend-il assurer la pérennité de l’usine PSA de Douvrin, alors que la région des Hauts-de-France a déjà payé un lourd tribut à la désindustrialisation galopante ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable. Madame la sénatrice Van Heghe, les inquiétudes des salariés de l’usine PSA de Douvrin sont justifiées et légitimes : comme vous le savez, l’industrie automobile est confrontée à une transformation technologique radicale et doit réaliser sa transition à marche forcée.
Nous savons que, d’ici à 2030, près de 50 000 emplois pourraient disparaître, notamment dans la sous-traitance. C’est pourquoi notre mobilisation est sans faille depuis maintenant quatre ans pour préparer et surtout garantir la reconversion.
C’est également tout le sens du plan de 8 milliards d’euros annoncé par le Président de la République l’été dernier. Celui-ci repose sur quatre piliers : les primes d’achat, les aides aux industriels en échange d’engagements en matière de relocalisation, le soutien à l’innovation et l’anticipation de la transition via des aides financières à la formation et à l’accompagnement des salariés.
Concernant le volet spécifique de la relocalisation, vous avez raison de souligner la bonne nouvelle que constitue la production de la nouvelle génération de moteurs EP, l’EP Gen 3, sur le site de Douvrin. Le Gouvernement, et plus particulièrement Bruno Le Maire, est résolu à accompagner la transformation de notre secteur automobile.
Les annonces du 26 avril 2021 relatives au contrat stratégique de la filière automobile et du plan d’action en faveur de la filière fonderie automobile le prouvent encore.
Le Gouvernement a toute confiance dans la capacité de la filière automobile à relever ce défi. Sachez, madame la sénatrice, que nous suivons avec beaucoup d’attention la situation de l’usine PSA de Douvrin.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Van Heghe, pour la réplique.
Mme Sabine Van Heghe. Je vous remercie pour votre réponse, madame la secrétaire d’État.
Si je vous ai posé cette question, c’est que nous ne cessons de subir les effets de l’abandon de notre industrie, des délocalisations à but économique d’entreprises pourtant florissantes et des fermetures de grands sites. Le dernier exemple en date, et non des moindres, est la fermeture du site de Bridgestone à Béthune.
Les projecteurs sont désormais braqués sur le Gouvernement : il doit montrer sa volonté de poser un garrot afin de mettre fin à l’hémorragie industrielle dont souffre notre pays, particulièrement la région des Hauts-de-France.
programme « new deal mobile »
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet, auteure de la question n° 1566, adressée à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.
Mme Nadège Havet. Madame la secrétaire d’État, ma question porte sur le programme « New Deal mobile » et, plus largement, sur les difficultés d’implantation d’antennes sur le littoral.
En janvier 2018, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) et le Gouvernement ont annoncé les différents engagements des opérateurs afin d’accélérer la couverture mobile des territoires.
Afin de répondre de manière adaptée à l’ensemble des attentes des citoyens et des territoires en matière de connectivité mobile, un dispositif de couverture ciblée a ainsi été mis en place.
C’est dans ce cadre que plusieurs collectivités, notamment dans le Finistère, ont été retenues pour l’implantation d’antennes de téléphonie.
Jusqu’à il y a peu, ces pylônes édifiés en discontinuité de l’urbanisation étaient autorisés : on considérait qu’il s’agissait d’installations techniques non constitutives d’une extension de l’urbanisation.
Le juge a cependant une vision de plus en plus restrictive sur ce point. C’est ainsi qu’il a annulé le 11 décembre 2019 un projet de téléphonie mobile, après avoir considéré que l’installation de cette antenne s’apparentait à une opération de construction isolée et qu’elle méconnaissait les dispositions de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme.
Compte tenu de ce jugement, il semble désormais difficile d’autoriser de tels projets en discontinuité de l’urbanisation en zone littorale. Cette situation paradoxale rend incompatibles les deux objectifs que sont la couverture en téléphonie mobile de l’ensemble du territoire et le respect de la loi relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, dite loi Littoral. Comment donc concilier protection environnementale et désenclavement territorial ?
En 2018, lors de l’examen de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ÉLAN, l’article L. 122-3 du code de l’urbanisme a été modifié. Désormais, les implantations d’antennes peuvent déroger au principe de continuité de l’urbanisation en zone de montagne.
Par cohérence avec cette disposition de la loi ÉLAN, il conviendrait d’appliquer également cette dérogation dans les zones littorales. Un article pourrait ainsi être inséré après l’article L. 121-5-1 du code de l’urbanisme, qui reprendrait les termes de l’article L. 122-3 du même code.
Le Gouvernement a fait de l’aménagement du territoire et de l’accès au numérique des enjeux prioritaires. Madame la secrétaire d’État, quelle est votre position sur cette proposition législative ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable. Madame la sénatrice Havet, je partage le constat précis que vous venez de dresser. La loi du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral impose en effet des contraintes fortes en ce qui concerne l’implantation de pylônes de téléphonie mobile.
Lors des débats sur la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, le sujet avait été soulevé : dans le contexte d’accélération et de densification de la couverture mobile demandée aux opérateurs par les pouvoirs publics, l’obligation de construire en continuité de l’urbanisation restreint la possibilité d’implanter des sites mobiles dans les communes littorales.
Des propositions similaires à la vôtre ont déjà été examinées. À titre d’exemple, le député Éric Bothorel avait proposé que les constructions destinées aux communications électroniques puissent déroger aux règles actuelles du code de l’urbanisme. La majorité des parlementaires avait toutefois considéré qu’il n’était pas opportun de remettre en cause cette règle de construction en continuité de l’urbanisation en zone littorale, si bien que tous les amendements de même nature avaient été rejetés.
Compte tenu de la réelle sensibilité de cette question et du fait que la majorité des parlementaires s’est prononcée clairement sur le sujet, le Gouvernement considère qu’il n’est pas opportun aujourd’hui de modifier l’équilibre trouvé dans la loi ÉLAN.
indemnisation des fonds de commerce pour les discothèques
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Le Houerou, auteure de la question n° 1561, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises.
Mme Annie Le Houerou. Madame la secrétaire d’État, depuis plus d’un an, les discothèques sont fermées. Leur réouverture en 2021 est incertaine pour l’instant.
D’après le syndicat national des discothèques et lieux de loisirs, près d’un quart des boîtes de nuit serait en train de disparaître. Le monde de la nuit représente à ce jour l’un des secteurs d’activité commerciale les plus touchés par les conséquences économiques de la pandémie.
Les chefs d’entreprise du secteur ont bénéficié de compensations financières en juillet 2020. Toutefois, ils n’ont pas pu compter sur toutes les mesures de soutien durant certaines périodes, ce qui a pénalisé les exploitants contraints d’honorer leurs charges fixes.
L’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie, qui est la première organisation professionnelle des cafés, hôtels, restaurants et établissements de nuit indépendants en France, a relayé l’inquiétude de ces chefs d’entreprise pour leur avenir, ainsi que l’urgence d’une prise en considération de leur situation face à la crise.
En décembre 2020, l’application aux discothèques des mesures de soutien économique dont bénéficient déjà les cafés et les restaurants n’a pas suffi à apporter une solution durable et adaptée à ce secteur spécifique.
En effet, les aides sont adaptées aux courtes situations d’urgence, mais elles ne conviennent pas aux établissements de nuit, qui sont actuellement totalement fermés pour une durée particulièrement longue. Ainsi, plus le temps passe, moins la clientèle se renouvelle et plus les habitudes de consommation changent.
Le Gouvernement a annoncé un plan de transformation des discothèques afin de les aider à réorienter leurs activités. Plusieurs unions représentatives du secteur demandent une indemnisation des fonds de commerce en raison de la perte de clientèle subie pendant et après la crise sanitaire.
Madame la secrétaire d’État, le Gouvernement envisage-t-il une indemnisation des fonds de commerce des exploitants de boîtes de nuit s’ils la demandent, en complément des mesures déjà en vigueur ? Comment le Gouvernement entend-il soutenir un monde de la nuit durement et durablement affecté par la pandémie ?
Plus largement, la ministre Élisabeth Borne a indiqué que les entreprises employant des travailleurs saisonniers récurrents pourront recourir au chômage partiel afin de les encourager à embaucher dès la reprise. Compte tenu des incertitudes liées au niveau d’activité des établissements de nuit, mais également des cafés, des hôtels et des restaurants, lequel est imprévisible, tous ces professionnels s’inquiètent du caractère très restrictif de l’application de cette mesure. Qu’en est-il ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable. Madame la sénatrice Annie Le Houerou, vous posez une question très importante, sur laquelle le Gouvernement est mobilisé, comme l’ensemble des parlementaires. Vous faites bien de rappeler à quel point les discothèques contribuent à la joie de vivre dans notre pays. Je comprends l’abattement actuel des professionnels du secteur : c’est pourquoi je vous remercie de mettre en avant un sujet qui me préoccupe beaucoup à titre personnel.
Les 1 600 établissements concernés ont en effet cessé toute activité depuis le premier confinement en mars 2020, il y a désormais plus d’un an. Afin d’assurer leur survie, le Gouvernement a permis dès juin 2020 aux exploitants de discothèques d’accéder au volet 2 du fonds de solidarité dans des conditions plus favorables que celles du droit commun, la prise en charge des charges fixes pouvant atteindre 15 000 euros par mois.
Par ailleurs, depuis le 1er décembre 2020, le fonds de solidarité a été renforcé pour soutenir les secteurs les plus exposés, comme celui des discothèques. L’aide mensuelle couvrant la perte de chiffre d’affaires constatée peut, au choix de l’exploitant, correspondre à une compensation de la perte du chiffre d’affaires jusqu’à 10 000 euros ou à une aide représentant 20 % du chiffre d’affaires de référence, plafonnée à 200 000 euros par mois et par groupe.
En outre, le 14 janvier 2021, une nouvelle aide a été créée : elle s’ajoute au fonds de solidarité et permet la prise en charge jusqu’à 70 % des coûts fixes des entreprises fermées administrativement et qui réalisent plus d’un million d’euros de chiffre d’affaires mensuel.
Enfin, les exploitants des discothèques peuvent bénéficier de l’aide exceptionnelle au titre des congés payés pris par leurs salariés entre le 1er janvier et le 7 mars 2021.
Toutes ces mesures permettent de compléter le dispositif global de soutien aux entreprises dont ont déjà fort légitimement bénéficié ces établissements. Je pense notamment aux prêts garantis par l’État, aux mesures de soutien à l’activité partielle ou aux exonérations de cotisations sociales.
Au-delà de ce soutien absolument nécessaire, plusieurs réflexions sont actuellement en cours : elles portent sur le protocole sanitaire, la modernisation des équipements, l’accès aux crédits, ou bien encore l’application de la réglementation relative aux établissements recevant du public.
Toutefois, à ce jour – je dis bien : à ce jour –, aucun mécanisme de soutien ne retient le fonds de commerce comme valeur à indemniser. D’une part, les réflexions se concentrent sur les indemnisations des pertes d’exploitation ; d’autre part, les fonds de commerce devraient à terme retrouver leur valeur normale.
Sachez en tout cas, madame la sénatrice, que le Gouvernement reste entièrement mobilisé pour accompagner ce secteur particulièrement touché.
fermeture de bases aériennes de la compagnie air france en province
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Arlette Carlotti, auteure de la question n° 1649, adressée à M. le ministre de l’économie, des finances et de la relance.
Mme Marie-Arlette Carlotti. Madame la secrétaire d’État, si la période est extrêmement difficile pour les entreprises, et ce dans tous les secteurs, la crise que traverse le transport aérien est sans précédent.
C’est dans ce contexte que nous avons appris, par la presse de surcroît, l’intention de la compagnie aérienne Air France de fermer ses trois bases en province à Nice, à Toulouse et à Marseille.
Cette décision, prise sans aucune concertation, donne le sentiment qu’Air France profite de cette période difficile, qui serait un effet d’aubaine en quelque sorte, pour procéder à des fermetures, lesquelles vont entraîner le transfert de centaines de personnels navigants commerciaux et de leurs familles vers Paris, avec les conséquences sociales et humaines que l’on sait. En outre, de telles fermetures auraient de lourdes répercussions économiques sur les nombreux sous-traitants de nos régions respectives.
Pourtant, l’annonce de l’arrivée de ces bases en 2012 nous avait tous satisfaits, car elles apportaient un plus en matière touristique et économique.
Madame la secrétaire d’État, le Gouvernement se félicite d’avoir obtenu de Bruxelles l’autorisation de recapitaliser Air France. L’État a d’ailleurs repris des parts dans le capital de cette entreprise prestigieuse qui, de surcroît, porte les couleurs de la France. L’aide accordée à Air France s’élève aujourd’hui à plusieurs milliards d’euros. En conséquence, nous pensons que vous êtes en droit d’intervenir pour sauvegarder les trois bases de Nice, Toulouse et Marseille.
Madame la secrétaire d’État, nous comptons vraiment sur votre aide !
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable. Madame la sénatrice Carlotti, je vous remercie de votre question, qui me permet de vous faire savoir qu’à cette heure aucune décision ferme n’a été prise concernant la fermeture des bases d’Air France, que ce soit à Nice, à Toulouse ou à Marseille. Je suis très claire à ce sujet.
Comme vous l’avez dit, ces questions sont dans l’air, si vous me permettez cette expression. Toutefois, même si le sujet a été évoqué et fait l’objet de discussions avec les partenaires sociaux, je le répète : aucune décision n’a été prise à cette heure.
Ouvrir ou fermer une base aérienne ne signifie pas qu’Air France se désengage de son rôle de desserte du territoire. Dans le cas très particulier de ces bases, qui sont assez récentes, puisqu’elles ont été ouvertes en 2012, il s’agit de réfléchir aux modalités d’organisation des différentes plateformes et de répartition des salariés.
Ces modalités tiennent notamment compte d’événements extérieurs, comme la création de liaisons ferroviaires ou les mesures visant à limiter les émissions de CO2 du transport aérien qui figurent dans le projet de loi Climat et résilience, lequel sera bientôt examiné dans cet hémicycle.
Par ailleurs, le groupe Air France-KLM a été fortement affecté par la crise sanitaire. Il doit faire face à une baisse durable de son activité, l’Association internationale du transport aérien ne prévoyant un retour du trafic au niveau d’avant la crise qu’à l’horizon 2024.
Dans ce contexte particulièrement difficile, Bruno Le Maire a annoncé un prêt spécifique de 7 milliards d’euros en 2020. De plus, comme vous l’avez souligné, l’État a confirmé sa participation au plan de recapitalisation annoncé par Air France-KLM, pour un montant pouvant atteindre 4 milliards d’euros.
Le Gouvernement veillera particulièrement à ce que l’entreprise se positionne sur les meilleurs standards mondiaux et garantisse sa soutenabilité économique et financière à moyen et à long terme. De même, il veillera à ce que les plans de compétitivité soient menés en pleine concertation avec les organisations syndicales, les élus locaux et nationaux, et à ce que les décisions soient prises dans la transparence.
Je tenais à vous rassurer et à vous dire que le Gouvernement est attentif et qu’il se tient à votre disposition pour assurer avec vous un suivi attentif de ce dossier important.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Arlette Carlotti, pour la réplique.
Mme Marie-Arlette Carlotti. Je vous remercie pour votre réponse, madame la secrétaire d’État. Vous avez parlé de vigilance : c’est précisément cette vigilance et votre soutien que je demande.
Au moment où les élus locaux réclament davantage de décentralisation, où ils préparent et affinent leurs projets économiques pour les régions ; au moment où ceux-ci ont particulièrement besoin qu’on les respecte, car ils sont au front dans la lutte contre l’épidémie de covid-19, relocaliser ces bases aériennes près de Paris, alors qu’elles garantissent une véritable dynamique économique dans les régions où elles se situent – celle-ci reste minime, mais elle est primordiale –, ne constituerait pas un bon signe.
Aujourd’hui, je suis seule à poser cette question, mais je devrais dire « nous », car je m’exprime au nom de tous les élus locaux concernés, notamment ceux des Bouches-du-Rhône.
Madame la secrétaire d’État, nous serons particulièrement vigilants sur ce dossier et nous vous solliciterons de nouveau afin de maintenir ces trois bases là où elles sont implantées actuellement.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État. Message reçu !
contribution à l’audiovisuel public appelée en avril 2021
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Bouloux, auteur de la question n° 1612, transmise à M. le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics.
M. Yves Bouloux. Madame la secrétaire d’État, je souhaite attirer votre attention sur la demande formulée par les entreprises des secteurs de la restauration, de l’hôtellerie et des loisirs nocturnes d’une annulation, à titre exceptionnel, de la contribution à l’audiovisuel public au titre de l’année 2021.
Pour faire face à la crise sanitaire, le Gouvernement a mis en place plusieurs dispositifs exceptionnels visant à soutenir les entreprises durement touchées.
En raison des restrictions sanitaires, les cafés-restaurants sont à ce jour fermés depuis six mois et ont souffert d’une sous-activité durant les cinq autres mois. Les discothèques sont, quant à elles, toujours fermées, sans aucune perspective de réouverture. Enfin, les rares hôtels-restaurants qui ont pu ouvrir ont affiché un taux moyen d’occupation de 15 %.
En avril, ces professionnels devaient en principe s’acquitter de la contribution à l’audiovisuel public, qui représente parfois plusieurs milliers d’euros – à titre d’exemple, 1 490 euros pour un café pourvu de trois téléviseurs, ou encore 3 877 euros pour un hôtel de quarante chambres.
Le 14 avril dernier, Bruno Le Maire et Olivier Dussopt ont annoncé le report de trois mois de l’échéance déclarative et du paiement de cette contribution pour les entreprises du secteur de l’hôtellerie, des cafés et des restaurants. Ce report permettra de ménager leur trésorerie quelques semaines de plus, mais les petites et moyennes entreprises concernées n’auront toujours pas, dans trois mois, les disponibilités suffisantes pour honorer le paiement de cette taxe.
Compte tenu du contexte très particulier et des difficultés de trésorerie de la grande majorité de ces PME, la contribution à l’audiovisuel public pour 2021 ne pourrait-elle pas, à titre exceptionnel, être annulée pour ces entreprises ?
Si cette annulation n’est pas retenue, ne peut-on pas faire bénéficier l’ensemble de ces entreprises de l’abattement de 25 % aujourd’hui réservé aux seuls hôtels touristiques ? C’est bien l’activité de l’ensemble des entreprises de ces secteurs qui est actuellement saisonnière.
La crise sanitaire s’inscrivant dans la durée, ne faut-il pas réfléchir à modifier, temporairement, le financement de l’audiovisuel public ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable. Je vous remercie de cette question sur la contribution à l’audiovisuel public appelée en 2021, monsieur le sénateur Bouloux.
Comme vous l’avez souligné très clairement, nous œuvrons depuis le début de la crise pour soutenir la trésorerie des entreprises, une préoccupation également au cœur de l’attention des parlementaires.
Dans le contexte actuel, il peut être extrêmement difficile de s’acquitter de la contribution à l’audiovisuel public pour les entreprises du secteur de l’hôtellerie, des cafés, de la restauration, ainsi que pour les salles de sport. C’est pourquoi Bruno Le Maire et Olivier Dussopt ont annoncé, le 15 avril dernier, le report de trois mois de l’échéance déclarative et du paiement de cette contribution, due au mois d’avril.
Pour en bénéficier, les entreprises relevant du régime réel normal devront déclarer et payer la contribution à l’audiovisuel public à l’appui de la déclaration mensuelle ou trimestrielle qu’elles déposeront en juillet 2021. Les entreprises relevant du régime simplifié d’imposition devront la déclarer et la payer à l’appui d’une déclaration annuelle complémentaire mentionnant uniquement cette contribution à l’audiovisuel public en juillet 2021.
Par ailleurs, les entreprises du secteur des hôtels de tourisme et assimilés dont la période d’activité annuelle n’a pas excédé neuf mois en 2020 ont la faculté d’appliquer directement, lors du calcul de la contribution à l’audiovisuel public, la minoration de 25 % prévue en cas d’activité partielle.
Pour être encore plus complète, je précise que ce dispositif s’applique également aux auberges collectives, aux résidences de tourisme, aux villages résidentiels de tourisme, aux meublés de tourisme et aux chambres d’hôtes, aux villages de vacances, aux refuges de montagne, aux habitations légères, aux résidences mobiles de loisirs et aux terrains aménagés comme les campings, les caravanages, les parcs résidentiels de loisirs.
Il s’agit donc d’une réponse immédiate, et tout de même relativement efficace, à l’inquiétude grandissante de nos entreprises.
Un dernier mot : je comprends le sens et la pertinence de votre question ; je sais aussi le souci d’adaptation permanente de Bruno Le Maire et Olivier Dussopt.
Nous aurons le plaisir, dans les prochains mois et, de manière certaine, au moment de l’examen du projet de loi de finances, de revenir sur ces sujets. S’il fallait envisager une nouvelle adaptation, si une véritable difficulté était constatée dans les prochains mois, je veux ici affirmer clairement que la position du Gouvernement – ce n’est pas une posture – est bien celle de l’adaptation permanente. Nous sommes à l’écoute, nous nous adaptons, nous essayons d’être agiles.
Je vous remercie de nouveau pour cette question pertinente, soulevant un vrai sujet pour de nombreux acteurs des secteurs du tourisme, mais aussi du sport et de la restauration.
communes rurales et plan de relance
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie Mercier, auteur de la question n° 1527, adressée à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Mme Marie Mercier. Madame la secrétaire d’État, je voudrais évoquer les mesures du plan de relance à destination des collectivités territoriales et les difficultés que rencontrent les maires des communes rurales.
En décembre 2020, le Gouvernement leur a transmis un guide pour expliquer les axes de ce plan. En Saône-et-Loire, j’ai échangé avec un grand nombre d’élus volontaires, qui se sont d’abord réjouis d’apprendre qu’une partie des fonds allait bénéficier à leur commune. Néanmoins, je dois vous le dire, la désillusion est vite arrivée, tant la mise en œuvre du plan est inadaptée à la réalité de nos territoires ruraux.
D’abord, l’abondement de la seule dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) suscite les interrogations des élus, puisqu’elle est orientée vers des priorités décidées par l’État. Or la détérioration de la capacité d’investissement des communes les a contraintes à retarder des projets trop coûteux pour elles. À cet égard, il est dommage que la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) n’ait pas bénéficié du même régime d’augmentation que la DSIL.
Ensuite, le pilotage est trop complexe. L’absence d’un guichet unique en préfecture apporte plus de confusion que de clarté – à tel point que les élus de mon territoire m’ont dit que le plan de relance devrait peut-être d’abord relancer la préfecture ! On peut le regretter, au moment où le Premier ministre annonçait vouloir redonner ses lettres de noblesse au couple maire-préfet, ce qui est une très bonne chose.
Enfin, les programmes développés sont multiples et marqués par des critères qui deviennent vite restrictifs. Ils traduisent une absence de souplesse, dont les élus de terrain ont pourtant désespérément besoin.
J’ai été sollicitée par plusieurs maires qui espéraient voir leur projet soutenu par le plan de relance. Tous m’ont expliqué avoir été redirigés vers la DETR, pourtant en baisse de 110 000 euros pour 2021 en Saône-et-Loire !
Madame la secrétaire d’État, pourquoi ne pas avoir prévu une augmentation substantielle de la DETR, avec une possibilité de bonification des subventions pour les projets qui auraient répondu aux exigences fixées par le Gouvernement ? Cela aurait été pragmatique, efficace et simple. Vous avez choisi une piste brouillée, alambiquée et rigide. Pourquoi ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable. Vous interrogez le Gouvernement, madame la sénatrice Mercier, sur le soutien de l’État à l’investissement des communes, notamment dans le cadre du plan de relance.
Je vais tout de même vous rappeler d’où nous partons. La dotation globale de fonctionnement (DGF) avait baissé de 10 milliards d’euros en 2017, avec en contrepartie des augmentations ponctuelles des fonds d’investissement. Nous avons décidé non seulement de mettre un terme à cette baisse dès 2017, mais aussi de pérenniser des crédits à l’origine exceptionnels.
Quand on parle de soutien à l’investissement local, soyons très concrets : en 2014, la Saône-et-Loire bénéficiait d’une DETR de 8,7 millions d’euros, et rien d’autre ; l’année dernière, le montant de cette DETR s’élevait à 14,2 millions d’euros et celui de la DSIL à 5,8 millions d’euros.
Ce soutien, nous avons décidé de l’accroître encore dans le contexte de la relance, premièrement en majorant de 950 millions d’euros la DSIL pour financer des projets s’inscrivant dans la transition écologique, l’accompagnement sanitaire et la préservation du patrimoine ; deuxièmement, en créant, en miroir du montant de la DSIL, une enveloppe de 950 millions d’euros supplémentaires pour financer des travaux de rénovation énergétique des bâtiments des collectivités, dont 650 millions d’euros pour le bloc communal, gérée de manière analogue à la DSIL.
Nous avons donc choisi d’avoir recours à un outil qui, me semble-t-il, est parfaitement connu et utilisé par les acteurs locaux. Il permet en outre de cibler la ruralité, mais aussi des villes de taille plus importante, ce qui aurait été impossible avec la DETR.
Cela ne signifie pas pour autant que les collectivités rurales n’ont pas accès à ces financements. Bien au contraire, le Gouvernement, par la voix de Jacqueline Gourault, a demandé aux préfets d’être vigilants à l’équilibre territorial des subventions accordées, par exemple en adaptant les délais de dépôt des dossiers pour tenir compte des spécificités des collectivités rurales.
On voit d’ailleurs, en pratique, que les territoires ruraux bénéficient de la majeure partie des subventions au titre de la DSIL. Je peux citer un exemple, me semble-t-il parlant : en Saône-et-Loire, 25 projets communaux ont d’ores et déjà été financés avec la DSIL exceptionnelle pour l’année 2020, dont 14 concernent des communes rurales.
Plus généralement, je ne pense pas que l’on puisse opposer, d’un côté, une DETR adaptée aux besoins des territoires et, de l’autre, une DSIL déconnectée des projets locaux. Comme vous le savez, tous les crédits sont déconcentrés et financent des opérations présentées par les élus.
Pour conclure, il ne me paraît pas choquant que l’État fixe de grandes orientations pour l’emploi de fonds qui, après tout, sont des crédits mobilisés par l’État sur son budget, sous le contrôle du Parlement, c’est-à-dire des Français.
En tout état de cause, madame la sénatrice Mercier, soyez assurée de l’engagement du Gouvernement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie Mercier, pour la réplique.
Mme Marie Mercier. Madame la secrétaire d’État, vous ne me parlez que de chiffres !
Mme Marie Mercier. Je ne peux pas revenir vers les maires avec ces seules informations ! Apportez de la facilitation, de la simplification ! (Mme la secrétaire d’État s’exclame.) Les maires sont les garants de la paix sociale. Ils sont là pour aménager leur territoire et favoriser la démocratie de proximité, une démocratie dont notre pays a besoin. Aidez-les en simplifiant les choses ! Ne les découragez pas !
dépenses liées aux documents d’urbanisme et fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cigolotti, auteur de la question n° 1567, adressée à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
M. Olivier Cigolotti. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Dans le cadre de la loi du 2 juillet 2003 urbanisme et habitat, le législateur avait rendu éligibles au Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) les dépenses réalisées par les collectivités locales concernant les frais d’études, d’élaboration, de modification et de révision des documents d’urbanisme. Or la loi de finances pour 2021 a mis fin à cette possibilité, à compter de l’exercice budgétaire en cours, à travers l’automatisation du FCTVA.
Les frais d’études, d’élaboration, de modification et de révision de ces documents d’urbanisme sont obligatoirement amortis sur une durée de dix ans, et les amortissements qui en découlent pèsent lourdement sur les dépenses des collectivités. L’éligibilité au FCTVA permettait jusqu’à présent d’atténuer significativement cette charge financière.
L’incidence de ces pertes d’éligibilité au FCTVA sera désormais extrêmement dommageable pour le bloc communal, tant sur les documents d’urbanisme indispensables au développement des territoires que sur l’aménagement des terrains, notamment des terrains consacrés au sport.
Cette situation inquiète les acteurs locaux, d’autant plus à la veille de l’examen du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dont certaines dispositions visent à rendre obligatoire la modification des documents de planification et d’urbanisme pour intégrer l’objectif de lutte contre l’artificialisation des sols.
Les élus locaux s’inquiètent également des conséquences de l’automatisation du FCTVA sur l’aménagement des terrains, plus particulièrement des terrains de sport.
Madame la secrétaire d’État, quelles mesures entendez-vous prendre pour rétablir l’éligibilité au FCTVA des documents d’urbanisme et rassurer les élus sur ses conséquences en matière d’aménagement des terrains, notamment, j’y insiste, des terrains de sport ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable. Monsieur le sénateur Cigolotti, la loi de finances pour 2021 automatise la gestion du Fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée, pour les dépenses exécutées à partir du 1er janvier 2021.
La logique antérieure d’éligibilité, qui reposait sur des critères juridiques, est remplacée par une logique comptable. Dorénavant, une dépense sera éligible à partir du moment où elle est imputée sur un compte éligible, dans le respect des règles d’imputation comptable.
Par construction, cette évolution implique une évolution du périmètre des dépenses éligibles.
Le Gouvernement s’est attaché à modifier l’assiette le moins possible, en concertation étroite et soutenue avec les élus locaux.
Vous l’avez clairement noté, monsieur le sénateur, certaines dépenses ne sont plus éligibles. C’est effectivement le cas des documents d’urbanisme, appartenant au compte 202, « Frais liés à la réalisation des documents d’urbanisme et à la numérisation du cadastre des documents d’urbanisme », qui n’a pas été retenu dans l’assiette automatisée. Il s’agit toutefois de montants modestes, voire très modestes – moins de 20 millions d’euros par an pour les documents d’urbanisme, c’est-à-dire 0,3 % du fonds, qui s’élève à plus de 6 milliards d’euros.
D’autres dépenses, en revanche, deviennent plus largement éligibles, comme les dépenses relatives à des biens que les collectivités confient à des tiers inéligibles au FCTVA et qu’elles n’utilisent pas pour leur usage propre.
La réforme est toutefois favorable aux collectivités : non seulement les élargissements et restrictions d’assiette ont été conçus pour s’équilibrer, mais le gain de la réforme pour les collectivités pourrait aussi aller jusqu’à 235 millions d’euros selon les années considérées du cycle électoral.
Par ailleurs, la nouvelle procédure fera gagner du temps et de l’argent aux collectivités locales, qui seront remboursées directement au lieu d’avoir à envoyer des dossiers papier à la préfecture.
Une vue d’ensemble sur la nouvelle assiette permet donc d’apprécier la portée exacte de la réforme, et la mise en œuvre progressive de cette dernière offrira la possibilité de procéder à une telle évaluation dans les prochains mois. Je ne doute pas, monsieur le sénateur Cigolotti, que vous serez au rendez-vous.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cigolotti, pour la réplique.
M. Olivier Cigolotti. Avec l’automatisation du FCTVA, les élus s’attendaient encore une fois à une mesure de simplification – ce qui me ramène, d’ailleurs, aux propos précédents de ma collègue Marie Mercier. Cette réforme est effectivement perçue aujourd’hui comme une sanction. Pour un certain nombre de communes, c’est même la double peine, leur DGF ayant subi une diminution difficilement explicable.
suppression de la taxe d’habitation et conséquences sur les politiques locales en matière de logement social
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, auteure de la question n° 1601, adressée à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Mme Marie-Claude Varaillas. La suppression progressive de la taxe d’habitation sur les résidences principales affecte les conditions de financement des collectivités, par la réduction de l’assiette de leur prérogative d’imposition directe.
On commence à constater un effet pervers de la réforme sur le terrain, dans nos communes. Il s’agit d’une conséquence négative indirecte sur les politiques locales en matière d’accueil de logements sociaux.
En effet, pour les maires assujettis aux obligations de l’article 55 de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU, l’implantation d’une proportion de logements conventionnés est non pas une option, mais une obligation légale. La particularité fiscale du secteur du logement social réside dans les exonérations de fiscalité foncière locale dont il bénéficie, et ce pour une période allant jusqu’à trente ans, et que l’État ne compense quasiment pas.
Avec la fin de la taxe d’habitation, les futures constructions de logements sociaux ne produiront donc quasiment plus de ressources fiscales pour les communes d’accueil. Ces dernières vivront donc un étonnant paradoxe : davantage de charges liées à la prise en compte éducative et sociale d’un public fragile et une privation de ressources liée aux exonérations de foncier bâti, cumulées à la disparition de la taxe d’habitation.
Enfin, dans les départements ruraux, moins denses, le logement social fait l’objet d’un surfinancement par les collectivités locales, car le plus souvent, en plus des subventions qu’elles allouent aux organismes au titre de leur politique locale de l’habitat, les communes fournissent le foncier, les dessertes, la viabilisation, l’entretien des espaces attenants, etc.
En définitive, les coûts assumés par les communes ou leurs groupements pour l’accueil du logement social s’avèrent essentiels au mode de financement du secteur. La réforme de la taxe d’habitation, si elle n’est pas corrigée sur ce point, risque de donner un véritable coup d’arrêt à la politique de construction d’un secteur déjà bien à la peine, après la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, la loi ÉLAN, et les ponctions financières qui l’ont suivie.
Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, de m’indiquer les modifications susceptibles d’être proposées pour corriger cette situation.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable. Le sujet que vous évoquez est complexe, madame la sénatrice Varaillas. Il fait intervenir deux facteurs : d’une part, la taxe d’habitation sur les résidences principales a été supprimée, ce qui fait – je ne vous apprends rien – que les logements sociaux, comme les logements privés ne produiront plus de recettes à ce titre à compter de 2021 ; d’autre part, grâce au nouveau schéma de financement entré en vigueur cette année, chaque collectivité a bénéficié de la compensation intégrale de sa perte de taxe d’habitation ou de taxe foncière, par l’intermédiaire d’un mécanisme fiscal pérenne et dynamique.
En matière de logements sociaux, précisément, il convient de distinguer ceux qui sont déjà construits – le stock – de ceux qui le seront prochainement – le flux.
Pour les logements sociaux déjà construits, la refonte de la fiscalité ne pénalise pas les communes. Comme je l’ai indiqué, celles-ci bénéficieront d’une compensation intégrale des pertes de taxe d’habitation liée à ces logements, grâce à un dispositif pérenne et dynamique.
Pour les futures constructions de logements sociaux, la loi de finances pour 2020 prévoit la remise d’un rapport du Gouvernement au Parlement en 2023. Il s’agira d’examiner un point particulier : la crainte, soulevée par certains observateurs, que les maires ne soient plus incités à construire ces logements sociaux au motif qu’ils ne percevront plus de taxe d’habitation, en plus de l’exonération de taxe foncière de longue durée dont bénéficient déjà les bailleurs sociaux.
Or la situation en matière de taxe d’habitation est la même pour toutes les catégories de logements et, pour la taxe foncière, l’exonération de longue durée existait déjà avant la refonte de la fiscalité locale et n’a pas été modifiée.
La difficulté provient davantage du caractère partiel de la compensation de cette exonération de taxe foncière pour les communes, question nécessitant une analyse approfondie et devant s’inscrire dans un cadre global.
On doit préciser, en premier lieu, que l’idée simple d’une meilleure compensation sur le foncier aurait un coût budgétaire certain pour l’État, pour un résultat incertain.
Dès lors, d’autres éléments doivent être pris en compte.
Il est désormais rare que les programmes immobiliers ne visent à construire que des logements sociaux. Généralement, ils intègrent logements sociaux et logements privés, et ces derniers produiront bien une recette de taxe foncière pour la commune.
Par ailleurs, si l’exonération de taxe foncière sur les logements sociaux est de longue durée, elle reste temporaire. Les logements sociaux construits créeront bien, à terme, une recette de taxe foncière pérenne.
Enfin, madame la sénatrice, la part de logements sociaux continue de jouer pour toute une série de dotations de l’État, notamment de péréquation, qui favorisent les communes accueillant des logements sociaux – dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU), dotation politique de la ville (DPV) – ou celles qui accueillent de nouveaux habitants – DGF.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, pour la réplique.
Mme Marie-Claude Varaillas. On aurait pu, me semble-t-il, prendre une mesure pour répondre à cette préoccupation, en prévoyant un plancher de taxe d’habitation imputé à chaque logement bénéficiant de l’exonération du foncier bâti, durant la période où cette exonération s’applique.
versement des subventions communales à des cinémas non ouverts au public dans le cadre de la loi sueur
Mme la présidente. La parole est à Mme Sylviane Noël, auteure de la question n° 1604, adressée à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Mme Sylviane Noël. En l’état actuel du droit, une salle de cinéma bénéficie de certains aménagements juridiques et fiscaux autorisant les municipalités à lui apporter une aide financière directe ou indirecte.
La loi du 13 juillet 1992 relative à l’action des collectivités locales en faveur de la lecture publique et des salles de spectacles cinématographiques, dite loi Sueur, autorise ainsi les collectivités locales à contribuer au fonctionnement ou aux investissements des salles de cinéma, étant entendu que le montant de subvention accordé, par année, ne peut excéder 30 % du chiffre d’affaires de l’établissement ou 30 % du coût du projet, si celui-ci porte exclusivement sur des travaux susceptibles de donner lieu à l’octroi d’un soutien financier.
Mais qu’en est-il pour les exploitants de cinéma qui n’ont pas encore pu ouvrir leur cinéma et qui n’ont donc aucune antériorité d’exploitation, se retrouvant dans l’impossibilité de présenter des comptes d’exploitation ?
Dans la pratique, certaines communes qui souhaitent subventionner l’exploitant de leur cinéma, alors que celui-ci n’est pas encore ouvert, se sont vu refuser le versement de ces subventions par le contrôle de légalité sur la base de l’article L. 1111-2 du code général des collectivités territoriales.
Pourtant, au regard du respect de la liberté du commerce et de l’industrie, leur intervention économique semble pleinement justifiée, conformément à la jurisprudence administrative actuelle qui fait prévaloir la double condition qu’il existe un intérêt public local – en l’occurrence, la revitalisation du centre-ville et le développement du lien social et de l’offre culturelle – et une carence de l’initiative privée.
C’était le cas, en l’espèce, pour les communes concernées.
Le secteur du cinéma, dont l’activité est suspendue depuis des mois, est tout particulièrement touché par la crise sanitaire inédite que nous traversons. Ces nouveaux établissements s’apprêtent donc à démarrer leur activité dans un contexte de crise très délicat. Empêcher les communes de leur apporter cette aide reviendrait à les condamner définitivement.
Je souhaiterais donc savoir si le Gouvernement est prêt à envisager une solution dérogatoire pour ce cas d’espèce particulier.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable. Les cinémas – faut-il le rappeler ? – sont au cœur de la vitalité culturelle, mais aussi sociale et économique de nos communes.
Même si la crise actuelle rend cette réalité d’autant plus visible, la loi donne déjà un cadre favorable à l’intervention des communes en faveur des exploitants de cinéma.
Premièrement, depuis la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux, les communes ont les moyens de préserver les petites salles indépendantes menacées de disparition. Ainsi, selon la loi, la commune peut aider des cinémas existants réalisant moins de 7 500 entrées par an ou classés « art et essai ».
Le Conseil d’État, dans un arrêt Société Le Royal Cinéma, en date du 10 mars 2021, a rappelé le périmètre de ces subventions, en précisant que celles-ci sont réservées aux entreprises existantes pour des cinémas existants. Il s’est appuyé dans sa décision sur les débats parlementaires de l’époque, qui visaient bien la préservation de petits cinémas menacés de fermeture, et non une politique de développement du cinéma municipal. C’est la raison pour laquelle le préfet a bloqué la délibération.
Pour aller plus loin dans le contexte actuel et soutenir la création de nouveaux cinémas, le projet de loi « 4D » prévoira une nouvelle possibilité de soutien, en autorisant expressément les collectivités à attribuer des subventions à des entreprises existantes pour le financement de nouveaux cinémas.
Deuxièmement, à court terme, les communes ou leurs groupements peuvent aussi favoriser la création de salles de cinéma en se fondant sur d’autres bases juridiques. Je pense notamment à l’article L. 2251–3 du code général des collectivités territoriales, qui permet de créer ou de maintenir un service nécessaire à la satisfaction des besoins de la population en cas de carence de l’initiative privée. Cette faculté peut être utilisée dans les communes situées en quartiers prioritaires de la politique de la ville ou en milieu rural.
Je signale aussi que certaines dispositions de droit commun permettent au bloc communal d’intervenir, à savoir l’article L. 1511-3 du code général des collectivités territoriales pour les aides à l’immobilier et l’article L. 1511-2 du même code pour les aides de droit commun, en passant une convention avec la région.
Quoi qu’il en soit, madame la sénatrice Noël, et dans le même état d’esprit que lors de ma réponse à la question sur les discothèques, je tiens à vous dire que je prends la pleine mesure – pour des raisons très personnelles, d’ailleurs – des problématiques qui se posent pour les cinémas. Je me mets donc, ainsi que les services concernés, à votre disposition pour examiner le dossier qui vous a été signalé et voir s’il entre dans l’un ou l’autre des cas de figure évoqués.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sylviane Noël, pour la réplique.
Mme Sylviane Noël. Je vous remercie de votre réponse, madame la secrétaire d’État. J’en prends acte et je vous transmettrai personnellement le dossier de la commune concernée, laquelle a réalisé des efforts importants pour l’implantation de ce cinéma. Franchement, cette aide est aujourd’hui indispensable pour permettre la survie de l’établissement.
plafonnement des frais pédagogiques pris en charge pour la formation des élus locaux
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia, auteur de la question n° 1632, adressée à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Mme Catherine Procaccia. J’ai souhaité interroger Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales sur les nouvelles modalités de formation des élus locaux.
Deux ordonnances prises en janvier dernier viennent, à la fois, combler certaines failles que présentait le droit individuel à la formation des élus (DIFE) et créer de nouveaux problèmes, alors que la complexité grandissante des normes rend encore plus indispensable cette formation.
Les élus locaux, qui bénéficiaient jusqu’alors de 20 heures de formation renouvelables et cumulables chaque année, doivent maintenant composer avec une enveloppe annuelle de 700 euros, sans possibilité de cumul d’une année sur l’autre en cas de non-utilisation.
Pis, l’arrêté du 16 février 2021 abaisse à 80 euros par heure et par élu le plafond des frais pédagogiques pouvant être engagés.
Pour moi, comme pour beaucoup d’élus, ces nouvelles restrictions limitent dangereusement la qualité des formations qui pourront être proposées.
En l’état, cette réglementation risque de dissuader les organismes agréés de proposer des formations individuelles de qualité personnalisées, faute de pouvoir rémunérer correctement leurs intervenants.
Dans ces conditions, madame la secrétaire d’État, le Gouvernement entend-il soutenir, à l’Assemblée nationale, la position du Sénat ? En effet, lors de l’examen du projet de loi de ratification de ces ordonnances, celui-ci avait réintroduit la possibilité de cumul. Comment comptez-vous permettre à nos élus d’accéder à davantage de formations avec toujours moins de moyens ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable. Madame la sénatrice Procaccia, je vous remercie de votre question sur un sujet qui a fait l’objet d’un important travail au Sénat, à l’occasion de l’examen du projet de loi de ratification des ordonnances portant réforme de la formation des élus locaux.
Vous le savez, ce texte a été adopté à l’unanimité des suffrages exprimés le 8 avril dernier, après avoir été utilement enrichi par votre assemblée.
La formation des élus locaux est structurée autour de deux sources de financement : les crédits des collectivités locales pour former leurs propres élus à l’exercice de leur mandat, d’une part, et le droit individuel à la formation des élus locaux, d’autre part. Ce DIFE est financé par les élus et son utilisation relève de leur initiative personnelle.
Les collectivités locales sont donc pleinement responsables de la formation de leurs élus.
S’agissant plus particulièrement du DIFE, ce dernier a fait face à d’importantes difficultés financières au cours des derniers mois. Certains organismes ont en effet fortement augmenté le coût de leurs formations, jusqu’à 450 euros par heure dans certains cas. En formant à des prix très élevés un nombre très réduit d’élus, ces pratiques assèchent les financements du fonds.
C’est précisément pour permettre à davantage d’élus de se former que le Gouvernement, après avoir consulté les associations d’élus et les organismes de formation, a créé un plafond de coût par heure de formation, d’abord fixée à 100 euros, puis à 80 euros par participant.
Ces mesures sont distinctes des ordonnances réformant la formation des élus locaux, mais resteront en vigueur à l’avenir. Il me semble qu’un montant de 80 euros par heure et par participant reste une rémunération raisonnable, indépendamment de la formation organisée.
S’agissant du remboursement des frais de déplacement ou de séjour des élus, les associations d’élus ont exprimé la volonté qu’ils continuent d’être pris en charge par le DIFE. Nous avons entendu cette demande et, donc, maintenu cette possibilité.
Par ailleurs, les ordonnances réformant la formation des élus visent un objectif beaucoup plus large. Elles prévoient en particulier la rénovation complète du DIFE, avec la création d’une plateforme numérique intégrée dans moncompteformation.gouv.fr, la plateforme qui gère le compte personnel de formation. C’est un gage d’accélération des démarches pour les élus.
Vous l’indiquez enfin, madame la sénatrice, les élus bénéficieront dorénavant de droits libellés en euros, et non plus en heures, ce qui leur permettra de se former plus longuement s’ils choisissent une formation moins coûteuse.
Ils pourront continuer à accumuler des droits d’une année sur l’autre, dans la limite d’un plafond. Le montant précis de ces droits n’a pas encore été fixé. Il sera déterminé dans la concertation, après consultation du Conseil national de la formation des élus locaux.
Plus généralement, cette réforme d’ensemble consolide la formation des élus et apporte, me semble-t-il, les garanties nouvelles qui permettront aux élus locaux de se former en plus grand nombre et dans des conditions permettant la transparence de l’activité de formation.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour la réplique.
Mme Catherine Procaccia. Effectivement, il était devenu indispensable de réformer la formation des élus locaux ; pour autant, le fait que certains organismes aient pu abuser ne justifie pas que l’on pénalise tous les autres.
J’espère en tout cas, comme vous l’affirmez, que la fixation d’un coût plafond par heure de formation permettra malgré tout à de nombreux élus de se former. En revanche, lors des débats au Sénat – peut-être y assistiez-vous ou en avez-vous lu le compte rendu –, la quasi-totalité des intervenants ont souligné les frais excessifs que perçoit la Caisse des dépôts et consignations, à savoir 25 % du coût de la formation, qui viennent amputer le crédit formation des élus.
J’ai cru comprendre – et j’espère avoir bien compris – que l’amendement adopté par le Sénat avait reçu l’assentiment du Gouvernement. C’est déjà un gros progrès, et je vous en remercie. Toujours est-il que j’espère qu’il sera possible d’aller plus loin, en particulier au regard de ces frais de gestion.
représentation au sein des syndicats mixtes de gestion forestière
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Gold, auteur de la question n° 1646, adressée à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
M. Éric Gold. Le syndicat mixte de gestion forestière est un syndicat mixte ouvert qui permet de regrouper la gestion de forêts communales et sectionales, notamment dans les territoires du Massif central, caractérisés par un morcellement important de la forêt publique. Ces syndicats assurent la gestion courante des forêts sans transfert de propriété, ainsi qu’une gestion durable et multifonctionnelle des forêts publiques.
Je suis sollicité par l’Association des communes forestières du Puy-de-Dôme, qui est en désaccord avec la préfecture sur l’application des textes.
Les services de l’État dans le département demandent dorénavant que seuls des conseillers municipaux siègent au syndicat mixte de gestion forestière en tant que délégués des sections sans commission syndicale.
Pour l’association, cette interprétation des textes va au-delà des objectifs législatifs initiaux.
La loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique ne prévoyant pas le cas des sections de commune, les services de l’État dans le département du Puy-de-Dôme demandent ainsi d’appliquer, par défaut, les règles valables pour les communes.
Cet état de fait soulève, selon les communes forestières, plusieurs questions, notamment sur l’intérêt qu’y trouverait un syndicat dont l’organe délibérant ne représente finalement qu’un seul des membres, la commune en l’occurrence, puisque tous les délégués sont issus du conseil municipal.
Un tel fonctionnement menacerait, selon elles, la gestion mutualisée centrée sur la valorisation des biens forestiers communaux et sectionaux comme la production de bois.
Outre la consigne des services préfectoraux en elle-même, l’Association des communes forestières du Puy-de-Dôme regrette également l’absence d’échange sur cette problématique.
La règle appliquée par les services préfectoraux, à savoir une gouvernance des syndicats mixtes de gestion forestière entièrement confiée aux élus municipaux, est-elle selon vous la bonne interprétation ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable. Monsieur le sénateur Gold, vous interrogez le Gouvernement sur la représentation, par les conseillers municipaux, des sections sans commission syndicale au sein d’un syndicat mixte de gestion forestière.
Cette question recouvre en réalité des enjeux essentiels de gouvernance et démocratie.
Le Conseil constitutionnel a rappelé, dans sa décision de mai 2019, qu’il ressort des travaux préparatoires de la loi du 9 janvier 1985, dite loi Montagne, et de celle du 27 mai 2013 modernisant le régime des sections de commune que le législateur a de manière constante entendu renforcer le lien qui unit les sections à leur commune pour favoriser une gestion des biens des sections compatible avec les intérêts de la commune.
Le législateur de 1985, au même titre que celui de 2013, a donc toujours tenu compte des réalités sociologiques locales et a prévu les cas dans lesquels une commission syndicale n’est pas constituée.
Lorsqu’il n’y a pas lieu à constitution de la commission syndicale, le principe est le suivant : ses prérogatives sont exercées par le conseil municipal. Ainsi, toutes les compétences attribuées à la commission syndicale par l’article L. 2411-6 du code général des collectivités territoriales sont exercées par le conseil municipal ; cela concerne notamment la désignation des délégués représentant la section de commune.
En effet, la désignation par le conseil municipal de ses délégués représentant la section de commune n’est pas régie par des dispositions spécifiques qui seraient dérogatoires au droit commun. Dans une telle hypothèse, la loi du 27 décembre 2019 prévoit que, pour l’élection des délégués des communes, des départements et des régions au comité de syndicat mixte, le choix de l’organe délibérant peut porter uniquement sur l’un de ses membres.
Cette règle, qui s’applique à l’ensemble des syndicats mixtes ouverts ou fermés, tient à la volonté du législateur de renforcer la légitimité démocratique au sein de ces syndicats en permettant aux seuls élus d’y siéger. Dès lors, il revient au conseil municipal de désigner en son sein les délégués représentant la commune, ainsi que les délégués représentant les sections de commune.
Enfin, le conseil municipal ne peut désigner des délégués que parmi les membres du conseil municipal. Il est à noter que les membres de la section demeurent associés en cas de changement d’usage ou de vente de tout ou partie des biens de la section.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Gold, pour la réplique.
M. Éric Gold. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse. On le voit bien, dans certains cas spécifiques, il y a encore place à interprétation. Afin que celle-ci ne crée aucune frustration au sein des organes de gouvernance, l’État doit accompagner et conseiller les communes forestières et l’ensemble des acteurs, qui ne sont pas obligatoirement des élus municipaux.
difficultés pour les collectivités de contrôler la conformité des collectes et des reversements de taxe de séjour
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, auteur de la question n° 1476, transmise à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
M. Max Brisson. Depuis le 1er janvier 2019, l’obligation de collecte de la taxe de séjour relève de la responsabilité de plateformes numériques, afin de prendre en compte les nouvelles spécificités de l’activité de location de courte durée.
De plus, le code général des collectivités territoriales impose aux plateformes l’obligation de transmettre, au moment du reversement de la taxe, un état déclaratif aux collectivités.
Madame la secrétaire d’État, si ces mesures vont dans le bon sens, elles n’apparaissent cependant ni suffisantes ni pleinement satisfaisantes pour des collectivités qui font état d’un certain nombre de difficultés.
Tout d’abord, en raison d’une normalisation insuffisante des états déclaratifs, les collectivités observent de nombreux manquements à ces obligations et de grandes disparités entre les états déclaratifs transmis, parfois peu exploitables et souvent erronés et incomplets.
Dans ce cas de figure, les plateformes ont tendance à se décharger de leur responsabilité sur les loueurs. Si la loi prévoit la possibilité de leur appliquer des amendes en cas d’omission ou d’inexactitude, il demeure un flou juridique à ce sujet, qui nécessite d’être clarifié.
Finalement, les plateformes échappent aux obligations auxquelles sont soumis les autres professionnels ou autres loueurs indépendants, qui, eux, dans un cas de figure similaire, sont susceptibles de se voir appliquer des sanctions. Il y a là une inégalité inacceptable.
Enfin, si le calendrier de reversement de la taxe de séjour est fixé par la loi, ce n’est le cas ni des conditions ni des modalités de transmission de l’état déclaratif. Celles-ci sont régies uniquement par la libre décision des plateformes. Résultat : les collectivités réceptionnent des documents via des canaux divers dans des délais non uniformisés et dans des formats différents. S’ensuit pour elles une problématique de recherche et de croisement des données qui complique lourdement l’exercice de leur mission.
Aussi, madame la secrétaire d’État, pour pallier les problèmes constatés tant sur la collecte que sur les états déclaratifs, le Gouvernement compte-t-il entamer une réflexion avec les acteurs concernés pour préciser un cadre réglementaire aujourd’hui insuffisant vis-à-vis des plateformes numériques ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable. Monsieur le sénateur Brisson, la taxe de séjour a connu de nombreuses évolutions législatives et réglementaires depuis 2015. Ces dernières années, chaque loi de finances a apporté son lot d’évolutions et, pourrait-on dire, de réjouissances…
Ainsi, la loi de finances rectificative pour 2017 a notamment introduit deux modifications majeures, applicables depuis 2019 : d’une part, pour les hébergements sans classement ou en attente de classement, la taxation proportionnelle au coût par personne de la nuitée, les autres hébergements restant assujettis à un tarif conforme au barème fixé par le législateur ; d’autre part, l’obligation de collecte imposée aux plateformes, celles-ci agissant en effet en qualité d’intermédiaire de paiement pour le compte de loueurs non professionnels.
Cette dernière obligation a constitué une avancée considérable pour les collectivités locales, qui ont pu récupérer des montants de taxe de séjour qui n’étaient en réalité pas collectés auparavant.
C’est ainsi que le produit de la taxe de séjour a progressé de 18 % en 2019 par rapport à 2018. Cette collecte obligatoire de la taxe de séjour a été accompagnée dans la loi de finances pour 2019 de nouvelles précisions sur les états déclaratifs que doivent communiquer les plateformes aux collectivités locales au moment du reversement de la taxe.
Par ailleurs, d’autres simplifications ont été adoptées récemment.
Premièrement, la loi de finances pour 2020 a modifié la périodicité de reversement de la taxe collectée par les plateformes. Elles doivent désormais la reverser avant le 30 juin, puis avant le 31 décembre. Cette même loi a supprimé la possibilité d’appliquer le régime forfaitaire aux hébergements non classés.
Deuxièmement, la loi de finances pour 2021 a avancé la date limite de délibération, précisément pour que l’administration fiscale soit en mesure de fournir plus rapidement les tarifs aux plateformes, afin que celles-ci puissent verser des montants de taxe de séjour plus réguliers aux collectivités locales.
À ces simplifications, qui sont autant de garanties techniques pour les collectivités, s’ajoutera une forme de garantie financière puisque le rendement de la taxe sera augmenté avec la modification du plafonnement applicable aux hébergements non classés, mesure adoptée dans la dernière loi de finances.
Par ailleurs, monsieur le sénateur Brisson, si certaines pratiques peuvent – je n’en doute pas – être encore améliorées – je pense par exemple à la transmission effective par les collecteurs de la taxe de toutes les informations prévues par la loi –, il semble au Gouvernement que la taxe de séjour a également besoin d’un cadre juridique stable pour donner de la visibilité à tous les acteurs.
C’est donc à l’aune de cet impératif que le Gouvernement examinera très favorablement toute nouvelle évolution en matière de taxe de séjour cette année.
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour la réplique.
M. Max Brisson. Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, de votre réponse. Je sais que le sujet est complexe, tout comme je sais la volonté de tous de réduire les distorsions avec les hébergeurs professionnels, ainsi que les progrès enregistrés et les efforts du Gouvernement. Pour autant, j’appelle de nouveau son attention sur le fait que les plateformes s’insèrent dans tous les interstices que la réglementation leur offre. Un cadre plus strict concernant les états déclaratifs – c’était le sens de ma question – réduirait les effets d’aubaine, qui créent des distorsions insupportables pour les hébergeurs professionnels.
Au-delà de la simple question de la taxe de séjour, il reste du travail à faire sur ces états déclaratifs insuffisamment normalisés.
maisons france services
Mme la présidente. La parole est à M. Édouard Courtial, auteur de la question n° 1576, adressée à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
M. Édouard Courtial. Il y a urgence, plus particulièrement dans les territoires ruraux, à inverser cette tendance dangereuse du désengagement physique de l’État, que les élus locaux ne cessent de dénoncer. Car l’accès à un service public de proximité et de qualité est un prérequis indispensable pour donner un avenir à nos campagnes.
Pour répondre à cet enjeu majeur, qui, faute de solution, remettrait en cause la liberté de choix de nos concitoyens de vivre à la ville ou en dehors, le Gouvernement promet le déploiement de 2 000 maisons France Services, une par canton, d’ici à 2022.
Mais, si nous pouvons partager approuver le développement de ce guichet unique, sa réussite repose sur trois conditions, qui, à l’heure actuelle, ne semblent pas remplies.
Tout d’abord, il faut choisir un maillage territorial efficace. Or l’échelle retenue est celle des cantons, tels que les définit la loi du 17 mai 2013. Ainsi, de très grands cantons, où les problématiques de mobilité sont amplifiées, qui, auparavant, étaient dissociées en unités plus petites, ne disposeront que d’un seul point, là ou des cantons plus petits ou urbains en auront un également.
Il serait bien plus pertinent de s’appuyer sur la répartition des anciens cantons pour s’assurer de l’efficacité du dispositif, faute de quoi, dans bien des cas, les services décentralisés seront lacunaires.
Deuxième condition : il faut un budget suffisant. Or l’État ne participe qu’à hauteur de 30 000 euros par an, soit le coût d’un seul agent. Cette dotation apparaît largement insuffisante pour répondre aux attentes et faire face aux besoins.
Ainsi, ce qui représente une plus-value pour les administrés ne doit pas, pour autant, engendrer une nouvelle prise en charge par les collectivités territoriales des missions incombant à l’État.
Cette inquiétude est aujourd’hui légitimement exprimée par les élus locaux : il faut donc, sans attendre, que le Gouvernement s’engage dans la durée et d’une manière plus significative.
Troisième et dernière condition : que le dispositif s’insère dans un plan global. Les maisons France Services ne peuvent être ni la réponse unique de l’État pour renforcer sa présence dans les territoires ni un jeu à somme nulle où l’on déshabille Paul pour habiller Jacques et qui justifierait la fermeture d’autres structures déconcentrées de l’État.
Madame la secrétaire d’État, il vous faut prendre garde de faire des maisons France Services un outil de communication politique, alors que le sentiment d’abandon dans nos territoires ruraux ne fait que croître.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable. Monsieur le sénateur Courtial, depuis l’annonce de sa mise en place par le Président de la République en avril 2019, le réseau France Services se déploie sur l’ensemble du territoire. D’importants moyens sont et seront engagés pour en assurer la pérennité.
Pour vous répondre, je me permets de soumettre à votre sagacité quelques éclaircissements.
D’abord, l’État et ses opérateurs accordent à chaque espace France Services un montant annuel de 30 000 euros pour contribuer aux dépenses de fonctionnement. En 2021, le montant total de ces contributions s’élève à plus de 61 millions d’euros ; il était de 40 millions d’euros en 2019 et de 46 millions en 2020.
À cette dotation de fonctionnement, il faut par ailleurs ajouter le financement de la formation des agents des maisons France Services et l’animation du réseau.
De plus, pour encourager la création de structures itinérantes et accompagner au mieux les porteurs de projets, l’État et la Banque des territoires ont également pris en charge, dans le cadre de deux appels à manifestation d’intérêt, 80 projets de France Services mobiles, dont un situé dans l’Oise, à hauteur de 60 000 euros en investissement pour chacun d’entre eux, soit un investissement total de 4,8 millions d’euros en 2020.
L’avancée du déploiement témoigne d’abord de l’engouement des porteurs de projets ainsi que des usagers pour France Services. À ce jour, 1 304 maisons France Services sont déployées en France métropolitaine et outre-mer, particulièrement dans des territoires désignés comme prioritaires que sont les zones de revitalisation rurale (ZRR) et les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV).
De janvier à avril 2021, monsieur le sénateur Courtial, ces structures ont réalisé près de 860 000 accompagnements d’usager, dont plus de 8 000 dans le département qui vous est cher. Ces données ne pourront que s’amplifier avec le déploiement des maisons France Services, qui se poursuit.
À la fin de 2022, d’après les projections transmises par les préfectures, la cible des 2 500 maisons France Services sera bel et bien atteinte.
Concernant très précisément le département de l’Oise, le déploiement de France Services et les concertations avec les acteurs locaux se poursuivent pour atteindre les objectifs fixés pour 2022. Le département dispose à ce jour de 12 maisons France Services, l’objectif étant d’en déployer 31. C’est la cible fixée pour chaque département par la circulaire du 8 juin 2020.
La préfecture prévoit déjà de labelliser 8 structures d’ici à la fin de 2021, et une d’ici à la fin de 2022, ce qui fera un total de 21 maisons France Services à la fin de 2022. Dix projets devront donc encore émerger pour atteindre la cible assignée.
Le travail se poursuit, en lien avec la préfecture, pour développer des projets sur les territoires aujourd’hui sans solution. Une attention toute particulière sera portée aux territoires les plus en retard.
Monsieur le sénateur Courtial, je demeure à votre disposition pour de plus amples informations sur ce sujet majeur.
enjeux liés à la création d’une régie publique de l’eau dans neuf communes du val-de-marne
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, auteure de la question n° 1564, adressée à Mme la ministre de la transition écologique.
Mme Sophie Taillé-Polian. La production et la distribution d’eau potable sont lourdes d’enjeux majeurs en matière de qualité de l’eau, de coût pour les usagers, de sécurité sanitaire et d’environnement. De tels enjeux relèvent de l’intérêt général et doivent être soustraits aux intérêts privés et à la logique de profit.
Un retour en régie publique de la distribution d’eau potable est de nature à permettre la mise en place d’une tarification sociale de l’eau et une réappropriation par les habitants de cette ressource essentielle.
Dans le Val-de-Marne, les maires d’Arcueil, de Cachan, de Chevilly-Larue, de Fresnes, de Gentilly, d’Ivry-sur-Seine, du Kremlin-Bicêtre, d’Orly et de Vitry-sur-Seine s’engagent depuis plusieurs mois pour évaluer les possibilités de gestion publique de la distribution d’eau potable sur leur territoire.
Pour ce faire, ils ont sollicité du Syndicat des eaux d’Île-de-France (Sedif), lui-même lié à Veolia par une délégation de service public, une reconduction pour une année supplémentaire de leur convention provisoire, afin d’engager une concertation avec leurs habitants. Après quelques difficultés, ils ont réussi à l’obtenir.
Dans la démarche qu’ils ont enclenchée pour la création d’une structure publique ad hoc, adossée aux compétences de leur établissement public territorial, le Sedif fait peser une pression inacceptable sur ces communes en refusant de travailler à une déconnexion virtuelle des réseaux, préférant imposer une solution lourde de travaux qui fera peser des coûts supplémentaires exorbitants et inutiles sur les usagers.
Or, dans un rapport remis en 2016, le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) a affirmé sa volonté que les collectivités locales privilégient un retour en régie publique de l’eau. En outre, il affirme que le service public de l’eau doit pouvoir s’appuyer sur les infrastructures existantes, sans que des travaux lourds, tant économiquement que techniquement, aient à être envisagés pour éviter les surcoûts résultant d’investissements inutiles.
Ces travaux de mise en œuvre d’une déconnexion physique des réseaux pèseraient lourdement sur la vie quotidienne des habitants, pendant de nombreuses années, et les coûts engendrés se chiffreraient en millions d’euros.
De plus, les infrastructures existantes ont été financées par les collectivités ou par les usagers eux-mêmes, selon le principe « l’eau paie l’eau ».
Madame la secrétaire d’État, quelle est la position du Gouvernement sur ce sujet de la rétrocession des biens aux collectivités territoriales dans le cas d’une sortie des collectivités du syndicat de distribution et de la création d’une entité indépendante ? Quelle est la position du ministère sur la technique de déconnexion virtuelle, qui permettrait de recourir à la régie publique en épargnant des coûts exorbitants aux habitants ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable. Madame la sénatrice, vous interrogez le Gouvernement sur l’opportunité du retour en régie des neuf communes du Val-de-Marne qui ne souhaitent plus adhérer au Syndicat des eaux d’Île-de-France.
Je vais vous apporter quelques éléments juridiques et ferai quelques commentaires, sans toutefois vouloir m’immiscer dans des décisions dont l’opportunité relève directement de l’appréciation des communes et de leurs groupements.
Le principe de subsidiarité régit le choix du mode de gestion du service public de distribution d’eau potable, et aucun obstacle juridique ne s’oppose à la création d’une régie si elle est décidée par délibération de l’autorité compétente.
Il faut veiller, comme l’indiquait le CGEDD dans son rapport Eau potable et assainissement : à quel prix ? publié en 2016, à ce que « la recomposition des nouvelles autorités organisatrices évite des coûts inutiles de restructuration de réseaux ou de comptages entre nouvelles autorités ».
Cette recomposition, madame la sénatrice, doit donc favoriser les interconnexions et les mutualisations d’ouvrages. Ainsi, les collectivités exerçant cette mission de service public doivent-elles être garantes d’un usage rationnel de la redevance perçue auprès de l’usager de l’eau pour financer ce service.
S’agissant de la rétrocession des biens, le code général des collectivités territoriales en organise les modalités. Ainsi, son article L. 5211-25-1 dispose bien que « les biens meubles et immeubles acquis ou réalisés postérieurement au transfert de compétences sont répartis entre les communes qui reprennent la compétence […] et le syndicat de communes ».
Quant aux biens nécessaires au fonctionnement du service public, ce sont des biens de retour qui peuvent revenir gratuitement en fin de contrat à l’autorité délégante, avec une possibilité d’indemnisation du délégataire pour les biens non amortis, sur la base de leur valeur nette comptable.
Enfin, madame la sénatrice, le préfet de la région d’Île-de-France est bien informé de la situation que vous avez évoquée et il veillera à accompagner les collectivités locales, comme leurs syndicats, dans la démarche en cours et à faciliter aussi le bon déroulement de ces changements importants de gouvernance, dans le respect des principes et des dispositions rappelés précédemment, ainsi que, bien évidemment, dans le respect des intérêts des usagers de l’eau du territoire.
report de la réforme grand âge et autonomie
Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, auteure de la question n° 1581, adressée à Mme la ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie.
Mme Jocelyne Guidez. Je souhaite attirer l’attention de M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles, sur le report de la réforme Grand Âge et autonomie.
Comme le rapport Libault l’avait démontré en 2019, les structures d’accompagnement des personnes âgées en situation de dépendance, celles qui pourvoient en aides à domicile, mais aussi les Ehpad, manquent tragiquement de moyens financiers et de personnel.
En effet, je suis inquiète, aujourd’hui, quant au fonctionnement des Ehpad ou des établissements accueillant des personnes handicapées. Un directeur pour diriger trois établissements, c’est peu ! Difficile de savoir ce qui s’y passe quand on n’y est pas ! Les directeurs deviennent hors sol et les chefs de service, des chefs d’établissement. Il n’y a plus de coordination hiérarchique.
Les familles me font part de ce problème régulièrement. Les professionnels de ce secteur travaillent dans des conditions critiques, alors que le nombre de seniors en perte d’autonomie va doubler d’ici à 2050.
Si je me félicite que le Gouvernement ait annoncé une loi Grand Âge et autonomie, le 13 janvier 2021, son porte-parole a précisé que cette réforme serait reportée à la fin de la crise sanitaire.
Alors que cette loi doit aussi permettre un meilleur financement de la cinquième branche de l’assurance maladie consacrée au risque de la perte d’autonomie, je vous demande de nous préciser ce que vous comptez faire pour garantir à nos aînés en situation de dépendance le droit à une fin de vie décente.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Madame la sénatrice Jocelyne Guidez, vous l’avez évoqué dans votre question, notre pays va faire face à un choc démographique important et le Gouvernement l’y prépare.
Vous mentionnez le rapport Libault, que nous avions commandé pour dresser un état des lieux précis à cet égard. Avec d’autres travaux de haut niveau du même ordre, il sert de base à l’action conduite, à titre principal, par la ministre Brigitte Bourguignon.
Depuis sa nomination, cette dernière s’attache à renforcer l’attractivité des métiers du secteur de l’autonomie et du grand âge. Parallèlement à la création de cette cinquième branche, que vous évoquiez, et au lancement du Ségur de la santé, sous l’impulsion d’Olivier Véran et après des décennies de manques, les premiers résultats sont là, unanimement salués, me semble-t-il.
Aux termes du Ségur de la santé, l’État finance une revalorisation historique des salaires des professionnels exerçant dans les Ehpad ainsi que dans les services de soins infirmiers à domicile (Ssiad). Cela représente, vous le savez, madame la sénatrice, entre 160 et 183 euros net par mois pour ces professionnels, financés par l’assurance maladie.
L’avenant 43 permettra également aux aides à domicile de retrouver leur attractivité en les hissant au niveau de rémunération des autres branches.
Cette revalorisation salariale est historique à deux titres.
D’une part, par son montant. L’État débloquera 200 millions d’euros pour aider les départements à financer des augmentations qui peuvent aller jusqu’à 15 % des salaires des aides à domicile du secteur associatif, lequel représente près des deux tiers du secteur.
D’autre part, parce que dans la main tendue aux conseils départementaux pour les aider à assumer cette belle compétence du soutien à domicile de nos concitoyens, qui souhaitent unanimement pouvoir vieillir chez eux, les structures ne sont pas en reste. En effet, le plan d’investissement du Ségur de la santé mobilise 1,5 milliard d’euros sur cinq ans pour les Ehpad de demain, des Ehpad plus ouverts, des Ehpad plus sûrs, des Ehpad plus adaptés.
Sur le plan financier, la loi du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l’autonomie a déjà permis de dégager des moyens importants, avec une montée en charge progressive. L’évolution des enjeux financiers fait évidemment l’objet d’un suivi particulièrement attentif.
Pour conclure, madame la sénatrice, vous savez que le Gouvernement saisit tous les moyens possibles pour susciter des vocations, attirer des jeunes vers ces emplois pérennes et non délocalisables par ailleurs. Ce n’est qu’une juste reconnaissance de leur engagement, grâce auquel il a été possible, pendant la crise sanitaire, d’éviter les situations d’isolement de nos aînés.
Nous continuerons dans cette voie, notamment via le chantier législatif en développement que vous évoquiez et que la ministre Brigitte Bourguignon vous présentera dès que les conditions le permettront.
Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, pour la réplique.
Mme Jocelyne Guidez. Je vous remercie de votre réponse, qui, malgré tout, ne me satisfait pas entièrement, dans la mesure où vous n’avez pas réagi au fait qu’on compte aujourd’hui un directeur pour trois établissements, ce qui est très problématique.
direction des établissements accueillant des jeunes enfants et politique en faveur de la petite enfance
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Boré, auteur de la question n° 1570, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Patrick Boré. Monsieur le secrétaire d’État, ma question porte sur les dérogations prévues par le code de la santé publique en matière de qualification des personnes dirigeant une crèche.
Ledit code retient trois cas de figure en fonction de la capacité d’accueil de l’établissement : les établissements d’une capacité supérieure à 40 places ; les établissements d’une capacité de 21 à 40 places ; enfin, les établissements d’une capacité inférieure ou égale à 20 places.
Pour chaque situation, des qualifications précises ont été retenues, mais pour les cas particuliers des personnes titulaires du diplôme d’État de sage-femme ou d’infirmier, la dérogation est possible seulement pour les crèches d’une capacité inférieure ou égale à 20 places et pour celles d’une capacité supérieure à 40 places.
Dans le cas des structures d’une capacité de 21 à 40 places, cette dérogation au profit des sages-femmes ou des infirmiers diplômés d’État n’est pas explicitement mentionnée, ce qui laisse accroire que ces professionnels ne sont pas qualifiés pour les crèches qui accueillent entre 21 et 40 enfants.
C’est sur ce critère que certains services départementaux de protection maternelle et infantile émettent un avis défavorable à la création et au fonctionnement d’une crèche.
Monsieur le secrétaire d’État, face aux carences généralisées de places en crèche, dans les Bouches-du-Rhône notamment, et face à la difficulté pour les employeurs de trouver un directeur d’établissement, une interprétation large de cet article du code de la santé publique devrait être de mise. Qui peut le plus peut le moins !
Pourriez-vous, je vous prie, rappeler les recommandations du ministère sur ce sujet précis, ainsi que les politiques mises en œuvre en faveur de la petite enfance pour répondre à la problématique de l’accueil des enfants ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Monsieur le sénateur Patrick Boré, je vous remercie de votre question sur une thématique qui, pour le coup, se situe au cœur de l’action qui est la mienne.
Cette problématique des carences de places en crèche est malheureusement bien connue, et ce n’est pas un phénomène nouveau. Depuis de nombreuses années, plusieurs plans successifs ont été établis pour relancer notamment la construction de nouvelles places, mais aussi pour valoriser et préserver l’existant, pour simplifier le travail des professionnels de la petite enfance et rendre les professions concernées plus attractives.
Le Gouvernement est à pied d’œuvre sur tous ces sujets. Vous n’êtes pas sans savoir, pour l’avoir débattue et votée, que la loi du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique, dite ASAP, habilitait, par son article 99, le Gouvernement à prendre les mesures nécessaires de clarification, d’harmonisation et de simplification du droit applicable aux services aux familles, en particulier aux modes d’accueil du jeune enfant, qu’il s’agisse des établissements comme les crèches, des assistants maternels ou des gardes d’enfants à domicile.
Les textes qui régissent les modes d’accueil du jeune enfant étaient en effet complexes, sources d’incompréhension, de difficultés d’application tant pour les parents que pour les professionnels. Ils contribuaient à freiner la création de nouvelles solutions de garde.
La méthode de travail que nous avions retenue – Christelle Dubos occupait alors mes fonctions – a consisté à prendre le temps d’un dialogue ouvert, approfondi, avec l’ensemble des parties prenantes pour essayer de trouver un compromis le plus large possible.
Nous avons mené deux ans d’échanges préparatoires et huit mois de concertations, contrairement à ce que certains acteurs ont pu prétendre ces derniers temps, rassemblant institutions nationales, collectivités territoriales et, évidemment, représentants des professionnels. Désormais, une réforme ambitieuse est sur le point de se concrétiser, via un projet d’ordonnance, un projet de décret et des projets d’arrêtés qui ont tous été ou seront soumis à la relecture des participants à la concertation : le processus arrive à son terme.
Ces textes vont notamment simplifier les règles d’accès aux fonctions de direction en supprimant l’empilement des conditionnalités et des dérogations actuelles. L’expérience acquise et la qualification professionnelle seront, demain, mieux prises en compte et c’est bien normal.
Cette action nécessaire se double d’autres initiatives : je pense en particulier au soutien accru de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), décidé il y a peu en faveur des projets de création ou de pérennisation des places de crèche. Il s’agit du fameux plan Rebond petite enfance de 200 millions d’euros, que le conseil d’administration de la CNAF a voté tout récemment et qui est en cours de déploiement.
Enfin, sachez que, cet après-midi, je lancerai officiellement le plan de formation des 600 000 professionnels de la petite enfance prévu par la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté.
Monsieur le sénateur, vous pouvez constater que le Gouvernement est au travail !
tests pcr pour les enfants en bas âge
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Lherbier, auteur de la question n° 1619, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.
Mme Brigitte Lherbier. Monsieur le secrétaire d’État, les écoles viennent de rouvrir, mais la circulation du virus et de nombreux variants arrivant de toutes parts continue d’inquiéter beaucoup de Français.
Quant aux parents d’élèves, ils sont en partie soulagés de pouvoir retrouver une vie professionnelle, mais la situation épidémique de notre pays les amène à s’interroger.
En février dernier, alors que la circulation du covid-19 s’intensifiait, le choix avait été fait de tester presque systématiquement les enfants dès lors qu’ils étaient cas contacts ou qu’ils présentaient des symptômes.
Toutefois, la plupart du temps, il s’agissait d’un test nasal, traumatisant pour les petits, et beaucoup de parents s’y opposaient. Une évolution vers le test salivaire, plus simple et plus acceptable pour les élèves des écoles maternelles, est souhaitable. Les plus jeunes garderont cependant un traumatisme de cette crise sanitaire.
En tant que secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles, vous êtes le garant de toutes les protections physiques et morales des plus petits. Le ministère de l’éducation nationale a indiqué qu’il fermerait immédiatement toute classe où un cas de covid a été diagnostiqué, ou au plus tard le lendemain de sa détection.
Ma question porte sur les mesures mises en place dans les écoles pour lutter contre l’épidémie. Pourriez-vous nous faire un point précis sur l’organisation des tests dans les écoles de notre pays ? Tous les enfants seront-ils systématiquement testés, à quelle fréquence et surtout avec quel type de test ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Madame la sénatrice Brigitte Lherbier, je vous remercie de votre question, qui me permet d’exposer la logique globale de l’action que nous menons pour protéger les enfants face au coronavirus.
Vous le savez : dès le 1er février dernier, le protocole « tester, alerter, protéger » a été renforcé, notamment dans les écoles, pour prévenir toute circulation du virus. En outre, comme vous l’avez rappelé, pour le retour des élèves en classe à compter du 26 avril, le protocole sanitaire a continué à s’appliquer avec une vigilance particulière pour l’aération des pièces et la limitation des brassages. Le plan de contact tracing a été maintenu et même renforcé. Désormais, un cas positif entraîne la fermeture de la classe.
Pour mettre en œuvre ce protocole, des milliers de médecins et d’infirmières scolaires ont été mobilisés : je tiens à saluer leur travail et leur investissement. Une politique ambitieuse de tests en milieu scolaire a également été déployée depuis la rentrée pour renforcer notre stratégie, qui vise à casser le plus rapidement possible les chaînes de contamination.
Une campagne de déploiement d’autotests vient ainsi compléter les tests déjà proposés aux enfants, en particulier aux élèves du premier degré et du collège. Les tests salivaires se déploient de plus en plus largement depuis la fin des vacances de février. Vous vous en souvenez : le ministre de l’éducation nationale avait fixé l’objectif d’en effectuer, à terme, 600 000 par semaine.
À compter du 10 mai prochain, les lycéens pourront réaliser, avec accord parental, un autotest par semaine dans leur établissement, sous la supervision des personnels de santé de l’éducation nationale volontaires et avec l’appui de médiateurs supplémentaires, dits « lutte anti-covid », qui s’ajouteront aux 1 700 médiateurs déjà recrutés.
Les professeurs volontaires pourront également prendre part à cet encadrement. La semaine de rentrée, qui est en train de se clore, a d’ailleurs été consacrée à cette organisation : le ministère de l’éducation nationale a notamment diffusé des documents d’information et des tutoriels à l’intention des élèves.
En effet, nous faisons nôtre cette préoccupation : ne pas imposer aux enfants des tests trop systématiques et, surtout, leur éviter des gestes qui peuvent être douloureux – certains d’entre nous en ont fait l’expérience. C’est bien pourquoi d’autres dispositifs que les tests PCR se sont développés pour les plus jeunes ; et c’est dans ce sens que, le 26 avril dernier, la Haute Autorité de santé (HAS) s’est prononcée en faveur d’une levée de la limite d’âge pour l’utilisation des tests antigéniques sur prélèvement nasal. Le Gouvernement a suivi cette recommandation en prenant, comme toujours, le soin d’en expliquer les tenants et les aboutissants.
Telle est la logique que nous continuerons de suivre tout au long de cette crise sanitaire !
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Lherbier, pour la réplique.
Mme Brigitte Lherbier. Monsieur le secrétaire d’État, merci de votre réponse rassurante. Je tiens à vous rappeler que vous êtes le garant de la protection de l’enfance. Je pense à toutes les démarches sanitaires qui concernent les petits, mais aussi aux cas de maltraitance familiale, qui se multiplient en cette période de crise sanitaire. Il ne faudrait pas que les départements fassent des économies sur le dos des jeunes enfants. Je suis particulièrement attentive à l’action que vous déployez en ce sens et je compte sur vous !
désertification médicale dans la loire
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, auteure de la question n° 1621, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le secrétaire d’État, depuis de nombreuses années, je suis, comme beaucoup d’autres, interpellée dans mon département par des maires désabusés de voir les services publics se retirer un à un de leur commune ; par des maires inquiets de devoir faire toujours mieux avec moins de moyens ; par des maires accablés de voir, année après année, des médecins partir à la retraite sans être jamais remplacés.
Les déserts médicaux se font de plus en plus nombreux et, au cours de mes visites communales, les élus me font part de leur désarroi quant au manque de médecins dans leur commune.
Aujourd’hui, le constat est clair : 41 % des communes de mon département, soit 134 d’entre elles, sont dans un désert médical.
Aujourd’hui, de nombreux Ligériens n’ont plus de médecin référent, les médecins en place n’acceptant plus de patients supplémentaires.
Aujourd’hui, je vous interpelle plus particulièrement au nom de Martial Fauchet, maire de Saint-Martin-la-Plaine, et de tant d’autres, rencontrés notamment après les élections municipales. Qu’ils soient nouvellement élus ou qu’ils aient été reconduits dans leurs fonctions, ces maires sont de plus en plus inquiets du remplacement des médecins qui font valoir bien légitimement leurs droits à la retraite, mais qui ne trouvent aucun successeur.
Dans la commune de Saint-Martin-la-Plaine, ce non-remplacement risque de déséquilibrer profondément l’accès aux soins. C’est même toute cette partie de la vallée du Gier qui est concernée : dans la ville voisine de Rive-de-Gier, six départs de médecins sont attendus dans les prochains mois et les prochaines années.
Pourtant, depuis 2018, la commune bénéficie d’un classement en zone de vigilance, reconnaissant un risque de désert médical à moyen terme. Nous y sommes déjà !
Cette commune, comme tant d’autres, est prête à s’investir y compris financièrement. Elle a fait appel à l’agence régionale de santé (ARS) afin d’être aidée dans cette démarche, mais sa demande reste sans réponse à ce jour.
Monsieur le secrétaire d’État, face à ce défi, nous devons faire preuve de détermination et travailler avec l’ensemble des acteurs locaux.
Ma question est simple : quelles solutions le Gouvernement entend-il apporter afin que l’État garantisse à chaque Français un accès aux soins digne de ce nom ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Madame la sénatrice Cécile Cukierman, le ministère des solidarités et de la santé est bien entendu particulièrement attentif aux enjeux de maillage territorial dans leur ensemble et, avec l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes, nous suivons avec attention la situation du département de la Loire.
Le zonage arrêté en 2018 confirme malheureusement les chiffres, qui traduisent une faible densité médicale. C’est pourquoi, en lien avec l’assurance maladie, l’ARS travaille à la structuration des soins de premiers recours : la jeune génération de professionnels de santé veut avant tout un exercice coordonné, ce qui suppose notamment de travailler en pluriprofessionnalité. En ce sens, elles se distinguent des anciennes générations.
C’est la raison pour laquelle, depuis plusieurs années, l’ARS accompagne différents projets de maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) et de centres de santé. Elle est soucieuse de proposer aux jeunes générations de soignants une offre diversifiée et plus attractive qu’un exercice en cabinet individuel.
Il en résulte que le département de la Loire compte aujourd’hui près de quarante MSP et centres de santé. Malgré le contexte, deux nouvelles MSP et deux communautés professionnelles territoriales de santé, dont l’ARS accompagne le déploiement, y ont vu le jour en 2020. D’autres structures sont en projet, pour apporter aux habitants l’offre médicale et paramédicale la plus complète possible. À cet égard, on veille à garantir des passerelles entre la médecine de ville et l’hôpital.
De plus, depuis plusieurs années, l’ARS a su travailler au développement de la maîtrise de stages, pour faire découvrir le département aux futurs médecins généralistes et leur permettre de nouer les contacts à même de faciliter, plus tard, leur installation.
Nous en sommes convaincus : la connaissance du territoire et la pratique professionnelle diversifiée que peut offrir un département semi-rural comme la Loire restent des leviers d’action pour de nouvelles installations.
L’ARS accompagne aussi financièrement les primo-installations des médecins généralistes dans les zones sous-dotées, en signant des contrats de praticien territorial en médecine générale ou de praticien territorial en médecine ambulatoire. Comme vous le savez peut-être, ces contrats assurent un certain chiffre d’affaires aux praticiens, le temps de la montée en charge de leur patientèle. Dans le département de la Loire, plusieurs dizaines d’entre eux ont déjà été signés et plusieurs dizaines d’autres le seront bientôt.
Enfin, le développement de la télémédecine est à même de renforcer l’offre de soins dans les territoires fragiles. L’ARS a ainsi fortement déployé la télémédecine dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Elle a piloté des appels à projets régionaux à cette fin et le taux d’appropriation par les généralistes est très bon.
Mme la présidente. Monsieur le secrétaire d’État, votre temps de parole est écoulé.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Voilà l’ensemble des efforts que nous faisons ; je transmettrai à l’ARS la demande du maire de Saint-Martin-la-Plaine et nous y donnerons suite !
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour la réplique.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le secrétaire d’État, on peut faire toutes les maisons de santé que l’on veut : sans le personnel nécessaire pour accueillir et soigner la population, les bâtiments resteront vides et se dégraderont peu à peu.
La question est urgente. Je vous le répète : aujourd’hui, dans mon département comme dans beaucoup d’autres, des milliers de personnes n’ont plus de médecin référent. C’est l’accès aux soins qui est mis en cause !
baisse tarifaire des prestations des prestataires de santé à domicile
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Bonne, auteur de la question n° 1622, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Bernard Bonne. Nous restons dans le département de la Loire (Sourires.), mais je vais parler plus généralement des prestataires de santé à domicile (PSAD).
Monsieur le secrétaire d’État, vous prévoyez une baisse tarifaire des prestations effectuées par les prestataires de santé à domicile, alors même qu’un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), publié en juillet dernier, soulignait leur rôle croissant.
Je rappelle que ces professionnels accompagnent quotidiennement, sur l’ensemble du territoire, plus de 2 millions de patients atteints de pathologies chroniques et aiguës, mais aussi des malades sous perfusion.
Ce faisant, les PSAD favorisent l’observance et la prévention et participent au maintien de l’autonomie des personnes âgées et en situation de handicap à leur domicile. Ils sont donc, à plus d’un titre, des acteurs essentiels du virage ambulatoire. Grâce à cette augmentation de la prise en charge à domicile, le système de santé évite des hospitalisations, lesquelles seraient plus coûteuses, tout en garantissant un niveau de qualité et de sécurité des soins auxquels nos concitoyens aspirent.
Pourtant, le Gouvernement refuse toute augmentation de la dépense induite mécaniquement, en contradiction avec les objectifs de prévention et de suivi. Ainsi, il semble vouloir étendre la politique de gestion comptable appliquée à l’hôpital – on en connaît les résultats … – au secteur de la santé à domicile. Aux mêmes causes, les mêmes effets !
Les acteurs des services de santé à domicile demandent, en conséquence, un moratoire sur les baisses de prix actuellement envisagées. Quelle est la position du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Monsieur le sénateur Bernard Bonne, vous m’interrogez au sujet des projets de baisses tarifaires dont font l’objet les prestataires de services et distributeurs de matériel (PSDM). Ces projets sont en train d’être négociés par le comité économique des produits de santé (CEPS).
Vous êtes bien placé pour le savoir : le montant des économies à réaliser, notamment, sur le secteur des produits de santé est débattu et fixé annuellement dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Chaque année, le comité fixe des montants d’économies par secteur en fonction de ce que les parlementaires ont acté. Ces montants dépendent notamment du niveau de croissance observé au cours des années précédentes dans l’ensemble des secteurs des produits de santé. Il paraîtrait en effet incohérent de faire reposer l’effort sur des secteurs en décroissance ou stables, qui plus est en cette période de crise sanitaire, qui a pour conséquence d’amplifier certaines baisses de chiffre d’affaires.
Il est important de le rappeler : le secteur des produits et prestations connaît habituellement une évolution assez dynamique – sa croissance annuelle est de 4 % à 5 % et la dépense remboursée était de quelque 9 milliards d’euros pour l’année 2020. En outre, la dépense afférente aux PSDM contribue pour plus de la moitié du total et constitue le principal poste de croissance. C’est donc à juste titre que ces secteurs sont inclus dans le plan d’économies.
Vous évoquez le rapport que l’IGAS a consacré à la question en 2019. J’en retiens tout d’abord qu’il justifie que les économies portent sur certains secteurs où l’on peut encore attendre d’importantes économies d’échelles. J’en retiens aussi, comme vous, qu’il souligne le rôle croissant des prestataires.
Cela étant, ce rapport pointe également une forte hétérogénéité de la qualité des pratiques. C’est ce qui a conduit le Gouvernement à proposer, au titre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, la mise en place d’une certification de la qualité des pratiques professionnelles. J’ajoute que la Haute Assemblée a voté cette mesure.
Nous avons un devoir commun envers nos concitoyens : assurer une équitable répartition des finances publiques. Cet effort passe notamment par la démonstration rigoureuse de la plus-value de tel ou tel secteur ou activité.
Je peux l’affirmer : à cet égard, le dialogue est constant avec les représentants des PSAD. Un moratoire sur les baisses de prix est une revendication annuelle de ces prestataires. Le plan d’économies a d’ores et déjà été revu en 2019 et suspendu en 2020 en raison de la crise sanitaire. Nous ne menons pas une gestion comptable, mais un encadrement qui me semble responsable, au plein bénéfice des patients, des professionnels et de la collectivité, qui finance leur activité !
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Bonne, pour la réplique.
M. Bernard Bonne. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse. Les prestataires insistent sur ce point : avec la crise du covid, le maintien à domicile d’un certain nombre de personnes, dont les pathologies exigent tout un appareillage, est plus important que jamais.
Nous débattions tout à l’heure des moyens de remédier à la perte d’autonomie, en évoquant le projet de loi Grand Âge. À mon sens, c’est un des éléments qui permettront de maintenir les personnes à domicile le plus longtemps possible. Il faut absolument avoir pour objectif d’éviter, autant que faire se peut, l’entrée en Ehpad.
En conséquence, il faut garantir une concertation permanente avec les prestataires de santé à domicile. Il faut effectivement garantir l’homogénéité de leurs interventions dans tous les départements. Surtout, il faut assurer le maintien à domicile le plus longtemps possible !
accès à des traitements innovants contre le cancer du sein
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, auteure de la question n° 1634, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.
Mme Anne-Catherine Loisier. Monsieur le secrétaire d’État, j’attire votre attention sur les difficultés d’accès aux traitements innovants pour les patientes souffrant de cancers du sein résistant aux chimiothérapies classiques.
Le « triple négatif » est l’une des formes les plus agressives de cancer du sein. Il touche chaque année plus de 10 000 femmes, souvent jeunes et sans antécédents. Lorsque les premières métastases sont décelées, leur espérance de vie ne dépasse pas quinze mois.
Jusqu’à présent, aucune chimiothérapie classique ne permet un traitement efficace : la plupart de ces patientes terminent leur parcours en soins palliatifs faute d’autre solution thérapeutique. Aujourd’hui, des cliniques privées allemandes leur redonnent espoir, mais le traitement qu’elles proposent coûte plus de 100 000 euros et il n’est pas remboursé par la sécurité sociale. Il repose sur un vaccin conçu individuellement, à partir des cellules des malades, couplé à une thérapie ciblée. À ma connaissance, cette option n’a pas été agréée en France, mais elle soulève le problème de l’inégalité d’accès à des traitements novateurs.
Un autre médicament existe. Ses effets sur le cancer triple négatif métastatique sont confirmés et il vient d’arriver en France. Il s’agit du Trodelvy, issu d’un laboratoire américain et délivré dans le cadre d’une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) nominative, donc au cas par cas, à la demande du médecin prescripteur.
Malheureusement, ce médicament connaît des difficultés d’approvisionnement, qui limitent aujourd’hui sa prescription. Or, pour de nombreuses patientes, il représente une dernière chance.
Qu’envisagez-vous pour rendre accessibles ces nouvelles thérapies du cancer du sein en France et élargir l’ATU à l’ensemble des patientes pour qui le temps est compté ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Madame la sénatrice Anne-Catherine Loisier, avant tout, soyez convaincue que l’ensemble du Gouvernement, à commencer par le ministre des solidarités et de la santé, éprouve la préoccupation que vous exprimez. Moi-même, j’ai été récemment saisi de ce dossier et je souhaite, comme vous, assurer les meilleurs traitements pour le cancer du sein dit « triple négatif ».
Vous l’avez rappelé : ces cancers touchent environ 10 000 personnes par an et sont difficiles à traiter par chimiothérapie ou par hormonothérapie. Ils nécessitent donc des réponses innovantes.
Vous formulez deux propositions : élargir l’accès à l’ATU pour le Trodelvy et permettre l’accès à des immunothérapies ciblées de façon précoce.
Le dispositif d’ATU est en cours de réforme, en application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021. Actuellement soumis à la concertation, les textes devraient être publiés d’ici à l’été.
J’en viens plus spécifiquement au Trodelvy, traitement de la biotech Immunomedics. Je rappelle qu’il est disponible depuis novembre dernier, via une ATU nominative : comme vous l’indiquez, le médecin doit valider et proposer le traitement pour un patient identifié.
À la fin de l’année 2020, à la suite du rachat d’Immunomedics par Gilead, la production de cette spécialité est devenue temporairement insuffisante pour couvrir les besoins globaux : vous l’avez également évoqué. Le laboratoire Gilead a donc informé l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) qu’il ne pouvait plus fournir d’ATU nominative en France et qu’il réservait sa production aux patientes résidant aux États-Unis, jusqu’à ce que ses capacités de production soient suffisantes pour permettre de nouveau un accès en France.
L’ANSM a dû prendre la décision de réserver les unités disponibles aux patientes qui en bénéficient déjà, afin de ne pas provoquer de rupture de traitement.
Le laboratoire Gilead a déposé une demande d’autorisation de mise sur le marché (AMM) en procédure accélérée auprès de l’Agence européenne du médicament le 4 mars dernier. Le dossier est en cours d’évaluation. En réponse à un courrier signé par Olivier Véran, le laboratoire a assuré mettre tout en œuvre pour augmenter la capacité de production du Trodelvy en vue d’une mise à disposition précoce du produit dans notre pays. C’est indispensable pour éviter aux patientes une perte de chance.
Pour conclure, je vous répondrai brièvement au sujet de l’accès à des immunothérapies ciblées dans des cliniques allemandes. Un certain nombre de praticiens ont souligné les difficultés éthiques que soulèvent de telles pratiques, aux coûts particulièrement élevés. La France est attachée au principe d’évaluation de l’efficacité et de la sécurité des traitements. L’objectif de la réforme des ATU est bien d’inciter les laboratoires à permettre l’accès aux traitements innovants efficaces le plus rapidement possible, sans faire courir de risques trop élevés aux patients.
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour la réplique.
Mme Anne-Catherine Loisier. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse. Vous l’avez compris : il est urgent d’agir. Aujourd’hui, un certain nombre de patientes sont dans une situation désespérée. Je vous remercie par avance de bien vouloir hâter la marche de l’administration !
banque alimentaire et dispositif national « chèques alimentaires »
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Micouleau, auteure de la question n° 1647, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.
Mme Brigitte Micouleau. Depuis mars 2020, la crise sanitaire a dramatiquement aggravé la précarité alimentaire de nombre de nos concitoyens.
Ainsi, le nombre de bénéficiaires de la banque alimentaire de Toulouse et de sa région a augmenté de 60 % : il s’agit là d’une hausse durable et inédite. Avec ses 100 associations partenaires, l’équivalent de 6 600 000 repas a été distribué en 2020.
Le Président de la République souhaite appliquer la proposition de la Convention citoyenne pour le climat portant sur les chèques alimentaires destinés aux plus fragiles. Or les modalités de ce projet interpellent les acteurs associatifs de l’aide alimentaire. Ces derniers sont même très inquiets.
L’expérience des associations a démontré l’importance fondamentale d’un accompagnement de l’aide alimentaire. Ainsi, la mission des banques alimentaires implique non seulement une aide alimentaire d’urgence, mais aussi un accès à une alimentation équilibrée et de qualité.
De nombreux autres appuis, souvent psychologiques, sont accordés par les associations de proximité, qui connaissent bien leurs bénéficiaires et les accompagnent dans leurs différentes problématiques.
Il s’agit de s’assurer que des populations fragilisées emploient ces chèques pour une alimentation saine. De surcroît, une aide strictement monétaire risquerait d’éloigner les bénéficiaires de toutes les formes d’aides complémentaires indispensables.
Forte de son expertise, la banque alimentaire est à même de recueillir les besoins des associations, de procéder à des commandes et à des achats adaptés, de gérer les flux et de distribuer des produits locaux de qualité, soutenant ainsi l’économie régionale et locale.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous confirmer que les banques alimentaires, notamment celle de Toulouse et de sa région, ainsi que les autres associations qui œuvrent sans relâche depuis le début de la crise sanitaire, seront inscrites au cœur du dispositif d’aide des chèques alimentaires ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Madame la sénatrice Brigitte Micouleau, vous avez raison de le rappeler : la crise sanitaire et sociale que nous traversons a malheureusement fragilisé un certain nombre de foyers, au point de les exposer à la précarité alimentaire.
En outre, vous indiquez à juste titre que, face à cette situation difficile, de nombreuses voix se sont légitimement élevées pour que se concrétise l’une des recommandations de la Convention citoyenne pour le climat, reprise par le Président de la République : la mise en œuvre des chèques alimentaires.
À ce titre, différentes options restent envisagées. Elles font l’objet d’une instruction approfondie de la part des services de l’État, car il convient de surmonter un certain nombre de contraintes financières, juridiques et opérationnelles.
Quoi qu’il advienne, quelle que soit l’option retenue, les associations dont vous portez la voix dans cet hémicycle, notamment la banque alimentaire de Toulouse, ont raison de le souligner : la notion d’accompagnement est centrale. Elle sera évidemment au cœur du dispositif déployé.
Par ailleurs, en 2018, la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi Égalim, a apporté cette clarification : la lutte contre la précarité alimentaire vise non seulement à favoriser l’accès à une alimentation sûre, diversifiée, de bonne qualité et en quantité suffisante aux personnes en situation de vulnérabilité économique ou sociale, mais elle participe également à la reconnaissance et au développement des capacités des personnes à agir pour elles-mêmes, dans leur environnement.
Vous avez donc raison : le déploiement d’un dispositif comme le chèque alimentaire doit répondre à ces enjeux, ce qui passe, très concrètement, par la possibilité d’effectuer des achats dans les commerces de proximité. Cet acte peut être perçu comme moins stigmatisant pour les personnes en situation de précarité que le fait de se rendre dans des lieux de distribution alimentaire spécifiques.
Je précise que le Gouvernement n’a pas misé sur ce seul dispositif pour répondre aux enjeux que soulève la crise sanitaire depuis maintenant plus d’un an. Nous avons mobilisé des moyens inédits pour faire face à l’urgence, soutenir les personnes ayant recours à l’aide alimentaire ainsi que les associations qui les accompagnent. Au total, près de 144 millions d’euros ont été consacrés au soutien de l’aide alimentaire, sans compter les 100 millions d’euros du plan France Relance pour le soutien aux associations de lutte contre la pauvreté.
En parallèle, nous avons renforcé notre rôle de coordination des différents acteurs et dispositifs, dès le mois de mars 2020. Les montants des fonds européens consacrés à l’aide alimentaire ont été récemment sanctuarisés, puis renforcés.
Madame la sénatrice, vous pouvez donc constater toute notre détermination. J’indique enfin que, grâce à l’opération Urgence premiers pas, que nous avons mise en place, les parents en difficulté ou en situation de précarité reçoivent des kits à destination des nourrissons,…
Mme la présidente. Merci, monsieur le secrétaire d’État !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. … comprenant des couches, des boîtes de lait maternisé et des petits pots !
modernisation de la route nationale 102
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne Ventalon, auteure de la question n° 1574, adressée à M. le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.
Mme Anne Ventalon. Classée grande liaison d’aménagement du territoire en 2003, la route nationale 102 traverse le département de l’Ardèche d’ouest en est. Elle en est au demeurant le seul axe structurant : de nombreux Ardéchois en dépendent pour tous leurs déplacements, notamment professionnels.
Or cette voie n’a pas le gabarit que son rôle devrait lui conférer. Pis, la RN 102 se distingue par de nombreux points très accidentogènes, connus et recensés par vos propres services.
Ce sont, par exemple, le carrefour de La Fayette à Coucouron ; la côte de Ville et le carrefour de Bernardy à Aubenas ; le virage de La Teyre à Thueyts, où un poids lourd et un véhicule léger ne peuvent se croiser – il s’agit pourtant, je le rappelle, d’une route nationale. Ce sont aussi des entrées et des traversées de villages – je pense à Lalevade, à Pont-de-Labeaume et à bien d’autres localités.
Malgré cela, vous avez répondu au député Fabrice Brun, très impliqué sur le sujet, que vous n’envisagiez pas l’installation de créneaux de dépassement, pourtant indispensables.
Je rappelle que, grâce à un amendement adopté sur l’initiative de mon collègue Mathieu Darnaud et de mon prédécesseur Jacques Genest, la loi d’orientation des mobilités dispose qu’« un effort particulier est effectué en faveur de l’aménagement et la sécurisation des routes nationales non concédées traversant tout département métropolitain dépourvu de desserte ferroviaire, autoroutière ou de route nationale non concédée à deux fois deux voies ».
La RN 102 répond en tout point à ces critères. À présent, il faut donc appliquer la loi. Il faut que l’État s’implique financièrement et considère réellement cette route comme une priorité. Le plan de relance est une occasion historique : pourquoi ne pas la saisir ?
Le contrat de plan État-région (CPER) 2021-2026 sera prochainement négocié et la région Auvergne-Rhône-Alpes s’est dite prête à y prendre toute sa part ; l’État jouera-t-il son rôle ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Madame la sénatrice Anne Ventalon, vous interrogez le ministre délégué chargé des transports à propos de la modernisation de la route nationale 102 qui traverse notamment votre département de l’Ardèche. Mon collègue ne peut être présent : il vous prie de l’excuser et m’a chargé de vous répondre en son nom et de vous assurer que la sécurisation et la modernisation de la RN 102 en Ardèche mobilisent activement l’administration de l’État et de son ministère ainsi que son budget.
Plusieurs aménagements situés entre Aubenas et le département de la Haute-Loire, ainsi que le contournement nord du Teil, sont étudiés ou en cours de réalisation.
S’agissant des quatorze aménagements que vous citez, certains d’entre eux sont déjà réalisés ou sont étudiés par les services de l’État ; c’est le cas du carrefour de La Fayette, dont les travaux sont programmés cet été, et de celui de Bernardy, à l’entrée d’Aubenas, dont les études se poursuivent en 2021 avec la commune.
Les travaux d’aménagement de ce carrefour ont vocation à être financés par le budget d’entretien du réseau routier national, avec l’appui des collectivités intéressées ; c’est également le cas de la rectification du virage de La Teyre, qui permettra le croisement des poids lourds et dont l’étude a été actualisée en fin d’année 2020 en vue de son inscription éventuelle dans la prochaine contractualisation sur les infrastructures à compter de 2023.
En plus de ces aménagements, une démarche relative à la sécurité des usagers sur les routes existantes, approuvée en septembre 2019, a identifié le traitement d’autres points accidentogènes, comme la sécurisation de la côte de Ville entre Aubenas et Lavilledieu, dont les études se poursuivront en 2021 ; différents aménagements ou équipements de sécurité sont également financés par l’État en 2021 pour assurer la sécurité des piétons, le traitement d’obstacles latéraux, le balisage de virages, la sécurisation d’accotements et la mise en conformité de la signalisation horizontale sur l’itinéraire.
Compte tenu de ces différents projets en cours pour l’aménagement de la RN 102 en Ardèche, une étude visant à identifier de nouveaux créneaux de dépassement pourrait être envisagée dans le cadre de la prochaine contractualisation entre l’État et les collectivités portant sur les infrastructures.
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne Ventalon, pour la réplique.
Mme Anne Ventalon. Monsieur le secrétaire d’État, ce n’est pas la première fois que la question de la modernisation de la route nationale 102 résonne dans cet hémicycle. Avec la généralisation discutable des quatre-vingts kilomètres par heure, le Gouvernement entendait faire baisser l’insécurité routière. Soit. Qu’il donne, dès lors, aux collectivités les moyens pour agir là où celles-ci déplorent des accidents et des drames humains !
projet de contournement routier de vitré
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon, auteur de la question n° 1618, transmise à M. le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.
M. Daniel Salmon. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite attirer votre attention sur le projet de contournement routier de Vitré, en Ille-et-Vilaine, qui suscite de nombreuses inquiétudes.
Ce projet, d’une emprise foncière de quarante hectares, dont douze hectares de zones humides, entre en contradiction avec l’objectif « zéro artificialisation nette », une proposition de la Convention citoyenne pour le climat, mais aussi avec les instructions gouvernementales aux services déconcentrés de l’État appelant à une vigilance accrue sur la consommation foncière.
S’agissant de la protection de la ressource en eau, ce projet risque d’impacter des captages d’eau potable, pourtant inscrits comme prioritaires dans le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage). Je rappelle que ces captages sont essentiels pour l’alimentation en eau potable de la population ainsi que pour l’économie locale, dont les besoins vont croître de 25 % dans les quatre années à venir.
J’ajoute que l’efficacité de ce contournement est contestable au regard des objectifs affichés : les modélisations du trafic routier sont largement surestimées, et la croissance démographique est estimée à 1,25 % par an alors que ce chiffre n’est qu’un objectif fixé par le schéma de cohérence territoriale (SCoT) et non une réalité statistique, comme le laissent pourtant penser les études.
Une chose, en revanche, est certaine : ce projet va entraîner une hausse de 15 % des émissions de gaz à effet de serre, qui entre en contradiction totale avec l’objectif de réduction de 25 % de ces émissions d’ici à 2030, pourtant fixé par le plan climat-air-énergie territorial (PCAET) de Vitré Communauté.
Monsieur le secrétaire d’État, un projet alternatif moins impactant et moins coûteux existe ; il a pourtant été balayé. Je souhaite donc savoir comment ce type de projet peut encore être justifié au regard de ses nombreux aspects négatifs et alors que le Gouvernement se donne pour objectif de faire face à la crise climatique.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Monsieur le sénateur Daniel Salmon, je vous prie d’accepter les excuses du ministre délégué chargé des transports et d’accueillir ma réponse en son nom. Le projet que vous évoquez a fait l’objet de plusieurs concertations entre 2018 et 2020.
S’agissant d’un projet relevant de la maîtrise d’ouvrage d’une collectivité territoriale, en vertu du principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales, il n’appartient pas à l’État de se prononcer, au stade des études d’opportunité, sur la réalisation du contournement. Il est bien évidemment indispensable que le projet satisfasse aux exigences réglementaires pour chacune de ses phases d’études, en particulier en ce qui concerne la participation du public.
À cet égard, les concertations organisées par le département d’Ille-et-Vilaine doivent respecter les dispositions du code de l’environnement et du code de l’urbanisme en matière d’information et de participation des citoyens. L’ensemble des solutions de rechange possibles sont bien évidemment à prendre en compte dans ce cadre.
S’agissant des impacts environnementaux du projet, si celui-ci était confirmé aux dépens des alternatives, l’État veillera à leur prise en compte exhaustive et au respect des procédures afin qu’aucune autorisation ne soit délivrée sans que l’ensemble des mesures et solutions suffisantes ait été prévu pour éviter, pour réduire ou pour compenser les impacts environnementaux, paysagers et sur le milieu humain. À ce titre, l’enjeu lié aux espèces protégées fera l’objet d’une attention particulière de la part des services de l’État.
Enfin, l’utilité publique est fondée sur l’analyse des avantages et des inconvénients d’un projet au titre de la théorie du bilan ; la lutte contre le changement climatique ne conduit donc pas, à elle seule, à interdire la poursuite de tout projet routier sans considération pour les besoins et les enjeux d’aménagement locaux auxquels celui-ci est censé répondre.
Il appartient donc au débat local d’apporter tout l’éclairage nécessaire sur ce projet, une éventuelle déclaration d’utilité publique ne pouvant intervenir qu’à l’issue d’une enquête publique. L’État fera preuve, quant à lui, de la plus grande vigilance lorsqu’il sera appelé à se prononcer sur les autorisations que pourraient solliciter les porteurs du projet que vous évoquez.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon, pour la réplique.
M. Daniel Salmon. Merci de votre réponse, monsieur le secrétaire d’État, j’entends bien que l’État sera vigilant et je compte sur lui pour faire appliquer la réglementation.
Nous ne sommes plus aujourd’hui dans les années 1970, quand il fallait adapter la ville à la voiture, nous sommes dans un moment crucial où il faut vraiment veiller à respecter nos engagements en matière de biodiversité et de préservation du climat.
Le tout routier a fait son temps, il faut aujourd’hui travailler à des alternatives : celles-ci existent. Il ne s’agit pas de tout figer dans le marbre et de ne plus rien faire, mais de trouver les projets les moins impactants, qui permettent la poursuite de ces mobilités dont nous avons besoin au quotidien grâce à des solutions alternatives et qui ne contredisent pas tous les engagements de la France.
moratoire sur la fermeture de classes maternelles et élémentaires dans les communes audoises
Mme la présidente. La parole est à Mme Gisèle Jourda, auteure de la question n° 1578, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
Mme Gisèle Jourda. En février dernier, plusieurs maires de l’Aude apprenaient de manière intempestive la fermeture de treize classes majoritairement situées en milieu rural.
Élus, parents, enseignants, nous considérons que ces annonces sont particulièrement inappropriées au regard, d’abord, des annonces récentes du ministre en faveur du renforcement des moyens pour l’enseignement primaire. Supprimer des classes reviendrait à prendre des mesures allant à l’encontre de ces objectifs.
Ensuite, dans le contexte sanitaire actuel, il est surprenant d’envisager une fermeture de classe avant de connaître l’évolution de la pandémie et ses conséquences à court, moyen et long terme.
De plus, les communes ont réalisé des investissements financiers pour assurer l’entretien, la modernisation des établissements scolaires et l’amélioration des conditions de travail pour les enfants et les enseignants.
Enfin, de nombreux enfants, notamment des enfants en situation de handicap assistés par les accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) rencontrent des difficultés, comme c’est le cas à l’école élémentaire Jean Jaurès de Carcassonne, où sept élèves ne bénéficient de l’accompagnement d’un AESH que deux heures par jour. C’est pitoyable et insuffisant !
La mobilisation audoise a permis, par la pression, d’obtenir quelques maintiens, mais trop peu. La problématique doit être considérée dans sa globalité ; je demande que soit décidé un moratoire sur ces fermetures de classe et que celles-ci soient conditionnées à l’accord des maires des communes concernées, comme c’est le cas pour les fermetures d’écoles.
À Salsigne, à Villasavary, le maintien de la classe dépend de l’arrivée de nouveaux enfants grâce aux programmes immobiliers en cours et est donc soumis aux aléas des chantiers. Ce n’est pas admissible !
Alors, monsieur le secrétaire d’État, quelle est la position du Gouvernement ? Maintiendrez-vous ces classes ouvertes ? Accepterez-vous d’observer un tel moratoire ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Madame la sénatrice Jourda, veuillez excuser l’absence de Jean-Michel Blanquer, qui s’est rendu dans l’Allier pour une cérémonie d’hommage à Samuel Paty.
L’école primaire est, vous le savez, une des priorités du Gouvernement. Entre les rentrées 2017 et 2020, nous avons créé 11 900 postes dans un contexte de forte baisse démographique dans le premier degré ; nous avons aussi dédoublé les classes de CP et de CE1 en éducation prioritaire et nous avons amorcé cette année le dédoublement des classes de grande section de maternelle.
Notre réforme est en cours pour plafonner les effectifs des classes de grande section, de CP et de CE1 à 24 élèves sur l’ensemble du territoire ; elle permet de consolider les apprentissages des savoirs fondamentaux que sont lire, écrire et compter.
À titre d’exemple, à la rentrée 2020, le nombre d’élèves par classe dans l’Aude atteint 21,5, contre 22,1 à la rentrée précédente. Dans ce département, comme dans tous les autres, le nombre de professeurs pour 100 élèves connaît aussi une amélioration significative, passant de 5,58 à la rentrée 2017 à 5,92 à la rentrée 2020, au-delà de la moyenne nationale qui s’établit à 5,74. La prochaine rentrée devrait voir ce nombre dépasser la barre des 6 professeurs pour 100 élèves.
La rentrée scolaire 2021 dans l’Aude se prépare donc dans un contexte de fléchissement des effectifs, d’une augmentation du schéma annuel d’emploi et d’une amélioration des taux d’encadrement. La rentrée verra aussi l’ouverture prévisionnelle d’une unité locale d’inclusion scolaire et la création d’un poste d’enseignant référent pour la scolarisation des élèves en situation de handicap.
L’évolution de la carte scolaire dans l’Aude, madame la sénatrice, répond aux besoins des territoires avec une préoccupation centrale : maintenir, dans les territoires isolés ou dans les territoires les plus fragiles, une école de proximité.
Vous connaissez l’engagement du Président de la République : aucune fermeture d’école en milieu rural sans l’accord du maire. Dans l’Aude, aucune classe ni aucune école n’a fermé en 2020 en milieu rural.
Le travail de préparation de la carte scolaire pour la rentrée 2021 ne laisse pour l’instant prévoir aucune fermeture d’école en milieu rural ; la concertation avec les élus se poursuivra jusqu’à la rentrée, afin de tenir compte des spécificités de chaque territoire et de chaque école.
Mme la présidente. La parole est à Mme Gisèle Jourda, pour la réplique.
Mme Gisèle Jourda. Monsieur le secrétaire d’État, je ne peux entendre de tels propos ! Vous me répondez par des statistiques quand je vous parle d’une couverture territoriale, là où des maires se sont engagés dans des regroupements pédagogiques, surtout en milieu rural. Lorsque l’on applique une règle mathématique, on se retrouve avec un contre-effet qui, par les fermetures annoncées dans les zones rurales, coupe la dynamique souhaitée par le ministre de l’éducation nationale : un cours préparatoire privilégiant la prise en compte des élèves au plus près.
Nous subissons des fermetures en milieu rural remettant en cause les investissements des communes qui ont voulu ces écoles, alors que les ouvertures de classes se font exclusivement dans le milieu urbain de mon département. Il faut revoir cela en privilégiant l’équité !
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures quarante-deux, est reprise à onze heures quarante-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
inégalités entre les étudiants dans l’accès au dispositif de deux repas par jour à 1 euro
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, auteur de la question n° 1625, adressée à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
M. Guillaume Chevrollier. Madame la ministre, la précarité des jeunes, en particulier des étudiants, en milieu rural est une réalité qui a pris de l’ampleur avec la crise sanitaire, entre les cours à distance, la perte des emplois étudiants, les difficultés à trouver un stage de fin d’études, l’augmentation des dépenses et une baisse des ressources pour la majorité des jeunes.
Toutes ces difficultés ont inévitablement conduit à la détérioration de leur santé psychologique et à l’augmentation de leur précarité économique. J’ai été très marqué par le nombre de jeunes qui fréquentent les épiceries sociales dans mon département de la Mayenne et que j’ai rencontrés sur le terrain.
Ces étudiants en zone rurale sont confrontés à un sentiment d’abandon, bien que l’État ait mis en place un certain nombre d’aides et de mesures d’accompagnement. Comme les deux repas par jour à un euro, ces aides sont conditionnées et ciblées. De nombreux services ont été offerts aux étudiants des métropoles, excluant ceux qui se trouvent en zone rurale et dans les petites villes, je pense notamment à la ville de Mayenne, avec ses 380 étudiants.
Les inégalités territoriales et sociales se creusent, accélérant ainsi le sentiment d’exclusion chez nombre d’entre eux. Les collectivités territoriales se sont mobilisées pour assurer le relais de l’État. Les villes de Mayenne et de Laval ont déployé de nombreuses initiatives, une aide alimentaire d’urgence a été mise en place avec le concours de la Croix-Rouge, de la banque alimentaire et avec le soutien essentiel du conseil départemental de la Mayenne.
Des espaces de coworking ont également été créés pour permettre aux étudiants de bénéficier d’une connexion fibrée ; la maison des adolescents et le centre médico-psychologique œuvrent aussi pour leur offrir un soutien psychologique ; enfin, les centres communaux d’action sociale interviennent dans l’orientation et dans l’aide au quotidien.
Madame la ministre, il n’est pas normal que les étudiants en zone rurale soient exclus des aides déployées par le Gouvernement. Quelles sont les mesures compensatoires que vous comptez mettre en place pour les soutenir et les accompagner ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le sénateur Chevrollier, vous attirez mon attention sur la situation des étudiants qui poursuivent leur scolarité dans l’enseignement supérieur dans des lieux qui ne disposent pas de restaurant universitaire ou de cafétéria, essentiellement en milieu rural. Ces étudiants ne peuvent donc accéder au repas à un euro qui a été mis en place.
Je voudrais tout d’abord réaffirmer que les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous) disposent de plus de 700 implantations de restauration, réparties dans plus de 221 villes du territoire, un maillage territorial essentiel qui permet d’offrir une réponse aux besoins de la très grande majorité des étudiants.
Bien que le système actuel ait démontré ses capacités d’adaptation et de modernisation, bien que, depuis le mois de janvier, plus de 7,6 millions de repas à un euro aient été servis, vous avez raison, il y a encore des lieux où l’on rencontre des difficultés. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement, en lien avec les collectivités, a proposé d’autres types de solutions.
Nous finançons les associations étudiantes qui participent à ces épiceries sociales et solidaires que vous mentionnez ; ensuite, les étudiants en brevet de technicien supérieur (BTS) ou dans les formations offertes par les classes préparatoires aux grandes écoles, peuvent bénéficier du repas à un euro, s’il existe des restaurants gérés par le Crous dans leur environnement. Malheureusement, ils ne le peuvent pas dans la structure de restauration de leur lycée, laquelle relève, pour son fonctionnement, de la compétence de la région et non de celle de l’État.
C’est pourquoi nous avons travaillé avec les collectivités territoriales ou avec les lycées : nous avons parfois passé des conventions afin que nous puissions accompagner localement ces étudiants et répondre à leurs difficultés financières.
Pour aller plus loin encore dans ce traitement équitable des étudiants dans les établissements relevant de la compétence de l’État, un effort particulier se porte sur les étudiants des formations délocalisées qui maillent les villes d’équilibre, je pense notamment à certaines formations des instituts universitaires de technologie (IUT). De plus, pour permettre à tous d’accéder à des lieux où les études sont facilitées, près de 90 campus connectés et plus de 55 implantations du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) « cœur de ville » qui sont aujourd’hui proposés à l’ensemble des étudiants partout sur notre territoire et nous irons plus loin.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour la réplique.
M. Guillaume Chevrollier. Merci, madame la ministre, de votre réponse. Les élus locaux sont, eux, engagés partout sur le territoire pour soutenir les étudiants quel que soit le lieu de leurs études et ils mobilisent des actions très concrètes.
À mon sens, l’État devrait être davantage engagé aux côtés des élus, notre jeunesse mérite d’être soutenue, les apprentis comme les étudiants.
carences de la réforme des études de médecine en première année
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi, auteur de la question n° 1557, adressée à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
M. Pierre-Antoine Levi. Madame la ministre, aux quatre coins de la France, le même constat vaut depuis des années : il est de plus en plus difficile pour nos concitoyens de trouver un praticien. C’est pourquoi le Gouvernement a entrepris de réformer les études de santé au moyen de la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé. Tous ici, nous saluons cet objectif, car il y avait véritablement urgence.
Pour autant, malgré la fin du numerus clausus et son remplacement par le numerus apertus, l’inversion de la courbe des médecins dans notre pays ne se fera pas sentir avant plusieurs années. Cependant, près de deux ans après le vote de cette loi, un constat peut déjà être fait : la réforme semble avoir été mal préparée, mal expliquée, et donc mal comprise par les étudiants.
Certes, l’année universitaire 2020-2021 est une année de transition où l’ancien système cohabite avec le nouveau, mais la situation n’est aujourd’hui plus tenable. En plus de la difficulté que constituent les cours en distanciel, les étudiants en médecine sont dans le flou le plus total. Les primants cohabitent avec les redoublants, alors qu’ils n’auront pas la possibilité de redoubler.
Il est normal, par équité, que la dernière promotion de première année commune aux études de santé (Paces) dispose du même nombre de places que les années précédentes. Par équité, toujours, il serait donc normal que les étudiants en parcours accès santé spécifique (PASS) et en licence accès santé (LAS) aient proportionnellement le même nombre de places. C’est ce point que beaucoup ne comprennent pas !
J’ai reçu les témoignages de nombreux étudiants des universités de Toulouse et même de Montpellier, qui m’ont fait part de leur désarroi, et de leurs craintes devant cette réforme. Leur détresse m’a fortement touché. Vous le savez, madame la ministre, s’engager dans des études de santé, épouser une carrière médicale, c’est une vocation, un objectif de long terme ; c’est un objectif de vie.
Pourtant, sans possibilité de redoublement et avec un nombre de places limité, ce sont autant de rêves qui s’écrouleront pour les étudiants qui resteront sur le carreau. Face à cette situation, beaucoup d’entre eux, leurs parents, et même des médecins, se mobilisent depuis plusieurs semaines pour critiquer cette réforme.
Le 28 avril dernier a eu lieu un coup de théâtre : le Conseil d’État a suspendu l’exécution de l’arrêté du 25 janvier 2021 fixant à 6 509 le nombre d’étudiants de Paces autorisés à poursuivre leurs études en médecines, odontologie, pharmacie et maïeutique pour la rentrée 2021. Cette décision du Conseil d’État est un coup dur pour cette réforme, de plus en plus contestée sur le terrain.
Il y a urgence à trouver une solution acceptable pour tous, d’autant plus que les étudiants ont déjà passé leurs examens les 19, 20 et 21 avril dernier. Il serait tout à l’honneur de votre ministère de réajuster cette réforme, et ce serait une bouffée d’oxygène pour ces milliers d’étudiants au bord de la crise de nerfs.
Votre ministère trouvera de nombreuses pistes d’ajustements et de solutions dans les conclusions de la mission d’information que notre collège Sonia de La Provôté rendra la semaine prochaine. Je vous remercie par avance au nom de tous ces étudiants en détresse.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le sénateur Levi, merci beaucoup de cette question, qui va me permettre, d’abord, de réaffirmer que cette réforme des études de santé répond à une volonté très forte et très partagée de diversifier les voies d’accès et les profils des étudiants tout en mettant fin à un système de sélection rigoureux fondé sur le numerus clausus.
Vous m’interrogez, plus spécifiquement, sur la notion de deuxième chance. Il s’agit de l’un des fondements de cette réforme. Jusqu’à présent, les étudiants étaient sélectionnés sur la base d’un échec : lorsqu’ils ne réussissaient pas le concours, ils devaient redoubler, alors que, parfois, leur moyenne était supérieure à 10 sur 20.
C’est cette injustice qui est aujourd’hui combattue, puisque, contrairement à la situation précédente, dans laquelle, au-delà du rang utile, on était exclu des études de santé, on permet aujourd’hui à tous les étudiants qui obtiennent la moyenne de continuer dans une filière qui leur permettra, à l’issue de la deuxième année ou, s’ils le souhaitent, de la troisième, de bénéficier d’une deuxième tentative. Ils seront donc dans un parcours de réussite et auront néanmoins deux tentatives possibles pour accéder aux études de santé.
Au-delà de cela, nous avons aussi tenu les engagements pris quant au nombre de places. Le numerus clausus, qui correspond à une situation transitoire, parce que nous devions tenir compte des étudiants redoublants dans l’ancienne version, atteint environ 6 000 places et c’est plus de 16 700 places qui sont offertes à l’ensemble des étudiants. Vous voyez donc que le nombre de places offertes aux primo-accédants, à ceux qui sont dans la première année de cette réforme, est bien supérieur au nombre de places qui leur étaient offertes les années précédentes : c’est quasiment 1 800 places de plus, 2 000, si l’on compte les études de kinésithérapie. Il s’agit d’une augmentation de plus de 12 %, ce qui ne s’est jamais vu.
Vous avez raison, il faut expliquer encore et rassurer, c’est pourquoi, mon collègue ministre de la santé et moi-même allons publier un arrêté qui permettra de sécuriser l’ensemble des étudiants et de leurs familles.
réforme des études de médecine
Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Lassarade, auteure de la question n° 1571, adressée à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
Mme Florence Lassarade. Madame la ministre, ma question porte également sur la réforme des études de médecine. En 2018, dans un rapport remis à la commission des affaires sociales, la Cour des comptes avait déjà révélé que la répartition des places dans les études de santé était inégale selon les territoires, et que tous les étudiants n’avaient pas la même chance d’accéder à la deuxième année selon leur lieu d’origine. Ce rapport soulignait des disparités importantes en termes de numerus clausus de médecine pour 100 000 habitants : en Aquitaine, à Bordeaux, le ratio était de 17 pour 100 000 habitants, là où, en Limousin, il était de 31 pour 100 000 habitants.
La réforme des études de santé a aggravé cette disparité chronique, en raison notamment du nombre d’étudiants autorisés à redoubler. Avec la réforme, ce sont les universités, en concertation avec les agences régionales de santé, qui proposent un nombre de places aux étudiants actuellement en parcours accès santé spécifique (PASS) et en licence accès santé (LAS).
Or cette année est une année de transition, durant laquelle les étudiants en PASS et en LAS doivent partager la capacité d’accueil avec les derniers redoublants de Paces, sans que celle-ci ait été significativement augmentée dans la majorité des universités.
Cette année, les étudiants en PASS ont l’obligation de suivre un double cursus avec une majeure de santé, qui correspond à l’ancien programme de la Paces allégé et une mineure d’une autre licence comme droit, sciences, etc. En cas d’échec à l’examen, ils ont interdiction de redoubler.
À l’université de Bordeaux, les modalités de contrôle des connaissances sont particulièrement dures pour la validation du PASS : il est ainsi impératif de valider toutes les unités d’enseignement (UE) santé, une par une, et sans compensation possible, avec la note plancher éliminatoire de 10 sur 20.
À titre de comparaison, les modalités de contrôle des connaissances des PASS des universités d’Aix-Marseille, de Nice, d’Amiens, de Rouen ou de Toulouse, permettent une compensation entre UE d’un même semestre ou d’un même bloc et, à Toulouse, la note plancher est à 8 sur 20.
En outre, le Conseil d’État vient de suspendre l’arrêté fixant le nombre d’étudiants admis à poursuivre en deuxième année de médecine, considérant que celui-ci « a pour effet de laisser un nombre de places résiduel » aux étudiants actuellement en PASS. Des mesures particulières auraient dû être mises en place pour accompagner cette année de transition afin de rétablir l’égalité des chances !
Madame la ministre, je souhaiterais savoir comment le Gouvernement envisage désormais de pallier ces inégalités, notamment à Bordeaux.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Madame la sénatrice Lassarade, l’objet de cette réforme – je tiens à le souligner – est de faire en sorte que des professionnels de santé soient présents dans tous les territoires.
Vous mentionnez les inégalités qui existaient auparavant. Effectivement, les étudiants ne pouvaient alors démarrer, poursuivre et terminer leurs études de santé que dans des villes dotées d’un centre hospitalier universitaire (CHU). Compte tenu des différences d’attractivité entre les différentes villes et les différents CHU, la répartition des étudiants était totalement concentrée dans les métropoles.
Depuis la rentrée 2020, l’accès aux études de santé s’effectue au travers des 35 parcours accès santé spécifique, mais aussi des 457 licences avec option accès santé réparties sur tout le territoire. Autrement dit, aujourd’hui un étudiant peut démarrer ses études de santé partout sur le territoire.
De plus, la réforme des deuxième et troisième cycles permettra d’augmenter le nombre des maîtres de stage susceptibles d’accueillir les externes et les internes partout sur le territoire.
Ainsi, les jeunes qui souhaitent devenir spécialistes ne devront plus passer douze à quatorze ans à proximité d’un CHU ; nous leur permettons désormais de garder des attaches dans leur territoire en y démarrant leurs études, pour les poursuivre ensuite après une phase de formation.
Les études de santé sont par définition extrêmement exigeantes. Je vous confirme que la sélection à l’entrée demeure très forte, et c’est bien normal, car c’est la santé de l’ensemble de nos concitoyens qui est en jeu.
J’en viens aux mesures qui ont été prises, madame la sénatrice. À ce jour, 16 700 places sont offertes pour accéder à la deuxième année d’études de santé. C’est du jamais vu ! Ces 16 700 places – soit presque 2 000 de plus que l’an dernier – ont été réparties sur le territoire en fonction des besoins arrêtés par les ARS et les facultés de médecine en lien avec les collectivités locales.
Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Lassarade, pour la réplique.
Mme Florence Lassarade. Celui qui est victime des statistiques échoue, et cet échec est définitif. Je suis triste pour ces jeunes qui étaient pleins d’espoir à l’annonce de la suppression du numerus clausus et auxquels on a coupé les ailes.
financement de la formation des orthoptistes en distanciel
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, auteur de la question n° 1654, adressée à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
Mme Nadia Sollogoub. Madame la ministre, en juillet dernier, votre ministère, en concertation avec le ministère des solidarités et de la santé, a annoncé que, au vu des résultats au baccalauréat, du nombre des candidatures et des besoins en professionnels de santé, le plan de relance comporterait un volet relatif à la création de places dans les formations du supérieur.
Un appel à candidatures a été lancé, en particulier pour les formations d’orthoptie. Seize places supplémentaires en formation d’orthoptie ont été créées – dix à Limoges et six à Nevers – pour des étudiants dépendant de l’université de Paris et réalisant un cursus délocalisé dans ces deux villes de province. Un financement de 6 000 euros par place a été annoncé pour la durée de la formation.
Ainsi, depuis septembre, six étudiants effectuent à Nevers leur formation dans des conditions optimales. Les cours à distance sont assurés avec l’encadrement de notre excellent campus numérique, grâce à la plateforme nationale d’enseignement d’orthoptie développée par le professeur d’ophtalmologie Dominique Brémond-Gignac.
Ces étudiants font leur stage en milieu hospitalier privé, chez des orthoptistes et ophtalmologistes qui les accueillent deux par deux, alors qu’il semblerait que, en région parisienne, jusqu’à vingt étudiants soient parfois accueillis pour ce stage.
Le seul bémol, madame la ministre, est qu’à ce jour le financement de ces places supplémentaires de formation, d’un montant de 96 000 euros, n’a pas été débloqué. Où en sommes-nous, madame la ministre ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Madame la sénatrice Sollogoub, à l’issue de la campagne Parcoursup 2020, un nombre important de candidatures pour les formations nouvellement intégrées aux diplômes d’orthophoniste, d’orthoptiste et d’audioprothésiste a été constaté. C’est la raison pour laquelle mon ministère a souhaité élargir le vivier d’étudiants dans ces trois formations.
Dans le cadre du plan de relance, le financement de capacités d’accueil supplémentaires à la rentrée 2020 a ainsi été acté. Les places supplémentaires ont été intégrées à Parcoursup, et l’arrêté fixant le nombre d’étudiants à admettre en première année de ces formations a été modifié en conséquence. De plus, les financements prévus portent sur la durée globale de formation de chaque place nouvellement créée. Nous avons ainsi augmenté de 5 % le nombre de places en orthophonie, de 6 % en orthoptie de 3,5 % en audioprothèse. Le financement afférent alloué s’élève à 6 000 euros par étudiant, soit un montant total de 522 000 euros.
Je vous confirme que l’université de Paris bénéficiera en 2021 d’une subvention supplémentaire de 96 000 euros pour la création de ces places en orthoptie. Je souhaite d’ailleurs remercier l’université de Paris d’avoir pensé ces parcours de façon délocalisée. Comme vous l’avez indiqué, cela démontre que l’on est parfaitement capable de dispenser des formations en santé partout sur notre territoire, et dans des conditions d’encadrement parfois meilleures que dans les métropoles.
Cet engagement a été confirmé au mois d’avril à l’université de Paris. Les crédits versés au titre du plan de relance sont en cours de notification et seront reçus prochainement par l’université. Comme vous, j’estime qu’il est très important que l’État tienne ses engagements et, une fois de plus, il les tiendra.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour la réplique.
Mme Nadia Sollogoub. Je vous remercie, madame la ministre, de cette réponse dont vous vous doutez qu’elle me réjouit. Vous avez évoqué l’année 2021, mais il s’agit bien de formations qui ont commencé en septembre 2020. En sommes-nous d’accord ? (Mme la ministre acquiesce.)
J’espère que nous aurons le plaisir de vous recevoir à Nevers pour vous présenter cette formation et vous montrer qu’il s’agit réellement d’un modèle « gagnant-gagnant », qui nous permet de proposer aux étudiants des terrains de stage d’excellence dans des territoires sous-dotés.
Je me permets d’ailleurs de vous suggérer de généraliser ce système à d’autres formations et, surtout, de le pérenniser à Nevers. Je vous demande donc de nouveau des fonds, cette fois pour demain et après-demain, car il serait vraiment dommage que cette expérience s’arrête en cours de route.
contrôles des exploitations agricoles dans le cadre de la politique agricole commune
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen, auteur de la question n° 1563, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Pierre-Jean Verzelen. Madame la ministre, ma question porte sur les contrôles effectués pour le versement des primes de la politique agricole commune (PAC) liées aux surfaces.
Un acompte de 70 % de la prime PAC des agriculteurs est versé au mois d’octobre. Dans certains territoires, des contrôles sont réalisés chaque année, et cela est bien normal. Toutefois, ces contrôles sont effectués au prisme de la présomption de culpabilité. Ainsi, dès lors qu’une ferme est contrôlée, le versement de l’acompte à hauteur de 70 % de la prime est gelé jusqu’à la fin du contrôle.
Un premier contrôle aérien est effectué autour du mois d’octobre. Si tout va bien, les agriculteurs contrôlés percevront l’acompte en fin d’année. En revanche, si le moindre problème est relevé, tout est bloqué : un contrôle physique est alors effectué, et l’agriculteur ne percevra ses primes PAC qu’à l’issue de l’instruction qui peut durer des mois, voire davantage.
Je souhaite que nous sortions de ce régime de présomption de culpabilité, et que le gel d’une partie des primes PAC soit uniquement lié aux lieux qui sont identifiés comme posant certaines difficultés. En effet, de nombreux agriculteurs doivent acquitter des annuités de remboursement, payer des salaires et des charges et s’approvisionner, notamment en matières premières. Beaucoup se retrouvent ainsi dans des situations très compliquées. Pourrait-on entamer des discussions avec les instances européennes afin de changer ce système ?
Par ailleurs, des améliorations pourraient être apportées quant à l’organisation des contrôles physiques effectués dans un second temps, qu’il s’agisse des délais ou de la méthode employée. Plutôt qu’une administration de la méfiance, offrons du conseil et de la bienveillance à nos agriculteurs !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le sénateur, vous interrogez le ministre de l’agriculture et de l’alimentation, Julien Denormandie, qui vous prie d’excuser son absence, sur la possibilité de payer un dossier d’aide PAC avant la finalisation des contrôles qui sont requis.
Le ministre de l’agriculture souhaiterait pouvoir vous donner satisfaction, mais il rappelle que c’est, hélas ! strictement interdit par la réglementation, qui impose la finalisation des contrôles avant le paiement de l’aide. Cette disposition permet d’assurer la bonne gestion des aides de la PAC, et donc, in fine, des impôts de l’ensemble de nos concitoyens ; il s’agit d’un gage de légitimité de la PAC vis-à-vis du citoyen, et donc, finalement, d’une disposition qui protège la PAC.
Pour autant, les services instructeurs français, les directions départementales des territoires (DDT), l’Agence de services et de paiement et les services centraux du ministère de l’agriculture sont pleinement mobilisés chaque année pour payer le plus rapidement possible le maximum d’agriculteurs. Ce fut d’ailleurs le cas également en 2020, malgré la crise du covid-19 : nous pouvons tous les remercier de cette implication.
Dès les premiers jours de décembre 2020, soit dès la date de paiement permise par la réglementation européenne, 99 % des agriculteurs ont reçu les principaux paiements découplés – le paiement de base, le paiement redistributif – et plus de 97,5 % avaient également reçu leur « paiement vert », sans compter l’indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) qu’une même proportion éligible avait également perçue.
Toutes les marges de manœuvre de la réglementation sont mobilisées au bénéfice des agriculteurs pour hâter les paiements. La France est ainsi l’un des États membres qui paie le plus rapidement les aides de la PAC aux agriculteurs.
Le ministre de l’agriculture militera dans la prochaine PAC pour la reconnaissance du droit à l’erreur et, plus généralement, pour la simplification de la PAC, parce qu’une PAC plus simple et plus juste permettra de faire mieux encore pour les agriculteurs qu’à l’heure actuelle.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen, pour la réplique.
M. Pierre-Jean Verzelen. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. Il est tout à fait logique que le versement des aides de la PAC soit contrôlé, puisque ces aides sont de l’argent public. En revanche, il ne paraît pas opportun de bloquer tout paiement pendant plusieurs mois pour un unique problème. Vous m’avez indiqué que nous étions tenus par la réglementation. Je l’entends, mais j’estime que le bon sens – qui serait par ailleurs susceptible de rapprocher les citoyens de l’Europe – voudrait que l’on fasse évoluer cette réglementation.
épandage des boues d’épuration
Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Deseyne, auteur de la question n° 1597, transmise à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Mme Chantal Deseyne. Madame la ministre, les articles 125 et 86 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire ont invité le Gouvernement à agir par voie réglementaire afin d’arrêter les nouveaux référentiels applicables aux boues d’épuration en vue de leur usage au sol, d’une part, et, d’autre part, les conditions dans lesquelles les boues pourront être compostées par ajout d’un coproduit structurant, notamment de type « déchets verts ».
Les options de traitement de la boue d’épuration en vue de son hygiénisation dépendent pour les territoires de considérations géographiques, techniques, historiques et financières diverses qu’une modification brutale et uniforme pourrait gravement fragiliser.
Les inquiétudes relatives à cette nouvelle réglementation sont très diverses. Il ressort notamment que les exigences de siccité sont susceptibles de rendre les boues impropres à l’usage agricole en deçà d’un certain seuil, qu’il sera nécessaire d’adapter la capacité de traitement des stations d’épuration ou encore que les exigences liées au seuil de structurants – les déchets verts – dans le cadre des procédés de compostage seront relevées.
Madame la ministre, comment le Gouvernement entend-il faire face aux difficultés concrètes qui ne manqueront pas de résulter de la mise en œuvre de cette nouvelle réglementation et qui, à juste titre, préoccupent de nombreux élus locaux ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Madame la sénatrice, l’article 125 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dite loi AGEC, a habilité le Gouvernement à transposer par ordonnance des directives européennes relatives aux déchets.
Ainsi, l’article 14 de l’ordonnance du 29 juillet 2020 relative à la prévention et à la gestion des déchets a complété le code rural et de la pêche maritime d’un article qui précise : « Un décret pris après consultation de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, fixe les critères de qualité agronomique et d’innocuité selon les conditions d’usage pour les matières fertilisantes et les supports de culture, afin de s’assurer que leur mise sur le marché et leur utilisation ne porte pas atteinte à la santé publique, à la santé animale et à l’environnement. » Ce décret dit « socle commun des matières fertilisantes et supports de culture » prendra en compte toutes les matières fertilisantes mises sur le marché ou utilisées en France, dont les boues d’épuration.
L’article 86 de la loi AGEC précise que les référentiels réglementaires sur l’innocuité environnementale et sanitaire applicables aux boues d’épuration en vue de leur retour au sol doivent être révisés au plus tard le 1er juillet 2021. À compter de cette date, l’usage au sol de ces boues, seules ou en mélange, brutes ou transformées, est interdit dès lors qu’elles ne respectent pas les normes ainsi définies.
Une période de transition est prévue entre le 1er juillet 2021 et l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation. Durant cette période, les dispositions des arrêtés du 8 janvier 1998 et du 2 février 1998 resteront applicables aux boues.
Les mesures exceptionnelles concernant les boues d’épuration adoptées dans le contexte de l’épidémie de covid-19 ne sont pas liées à la future réglementation mentionnée ci-dessus. Il n’est en effet pas prévu que celle-ci rende obligatoire l’hygiénisation des boues d’épuration avant leur épandage.
Le décret « socle commun des matières fertilisantes et supports de culture » devra répondre au double objectif de protéger les terres agricoles et de faire progresser l’économie circulaire. Les nouvelles dispositions relatives à l’innocuité comme à l’efficacité des matières fertilisantes seront mises en place progressivement, en fonction notamment des données scientifiques disponibles, de la nature de ces matières fertilisantes, des risques qu’elles peuvent présenter, des moyens existants pour les maîtriser et des délais d’adaptation pour les acteurs.
Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Deseyne, pour la réplique.
Mme Chantal Deseyne. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. J’ai bien compris que nous étions contraints de transposer une norme européenne. Pour autant, ces nouvelles mises aux normes qui s’imposeront très vite, dès 2021, seront à l’origine, pour les collectivités en charge des stations d’épuration, de coûts élevés qui seront reportés sur les usagers. Si la qualité des boues d’épuration n’est pas satisfaisante, celles-ci finiront dans des centres d’incinération, ce qui n’est ni économique ni écologique.
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quinze, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Pascale Gruny.)
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
vice-président
Mme le président. La séance est reprise.
3
Contrôle, régulation et évolution des concessions autoroutières
Débat sur les conclusions du rapport d’une commission d’enquête
Mme le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission d’enquête sur le contrôle, la régulation et l’évolution des concessions autoroutières, sur les conclusions de son rapport d’information.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes
Dans le débat, la parole est tout d’abord à M. Éric Jeansannetas, président de la commission d’enquête qui a demandé ce débat.
M. Éric Jeansannetas, président de la commission d’enquête sur le contrôle, la régulation et l’évolution des concessions autoroutières. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est avec une grande satisfaction que j’engage ce débat sur un sujet qui préoccupe nombre de nos concitoyens : les concessions autoroutières.
Depuis leur privatisation en 2006, les sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA) sont l’objet de controverses, parfois légitimes, qui débouchent aussi sur des débats stériles, voire caricaturaux.
Dans quelles conditions la privatisation a-t-elle été réalisée ? Comment les tarifs sont-ils fixés ? Comment les nombreux avenants ont-ils été négociés ? Doit-on, en somme, mettre fin aux concessions ?
C’est pour apporter un éclairage documenté et objectif sur ces questions récurrentes dans le débat public que la commission d’enquête que j’ai eu l’honneur de présider a été créée sur l’initiative du groupe Union Centriste.
Il s’agissait, d’une part, de faire la lumière sur l’idée selon laquelle l’État serait, en quelque sorte, floué par les concessions en cours au profit des groupes concessionnaires et, d’autre part, d’anticiper la fin des concessions, qui interviendra dans dix ans pour les premières, ainsi que de formuler des propositions cohérentes et équilibrées pour que la répartition des profits futurs soit juste pour l’État, les usagers et les exploitants.
Tout au long de nos travaux, nous nous sommes donc attachés à analyser les relations entre l’État et les sociétés concessionnaires d’autoroutes, et à retracer l’historique de la mise en place du réseau autoroutier.
Nous avons, par ailleurs, cherché à évaluer de manière rigoureuse le niveau réel de rentabilité de l’exploitation des autoroutes.
Enfin, nous nous sommes penchés sur l’effectivité des contrôles de l’État quant au respect des contrats en cours avec les concessionnaires.
Les autoroutes sont un bien commun. Elles constituent des infrastructures de grande ampleur et un outil d’aménagement du territoire. Pour réaliser de longs trajets en voiture, nos concitoyens sont quasiment obligés de les parcourir. On peut donc considérer qu’il s’agit à la fois d’un service public et d’un monopole économique. Était-il dès lors souhaitable de la part de l’État de les privatiser ?
Lorsque le Premier ministre Dominique de Villepin a décidé, en 2006, de privatiser les autoroutes, des ouvertures partielles du capital avaient déjà été réalisées depuis 2002. La situation budgétaire des SCA ne nécessitait pas d’intervenir en urgence et la majorité était d’ailleurs divisée sur le sujet – les auditions que nous avons menées nous l’ont confirmé.
Le choix qui a été fait à l’époque a été de récupérer en une fois un montant élevé – 14,8 milliards d’euros – pour réduire la dette de l’État et financer de nouvelles infrastructures. Il s’agissait alors d’une décision politique. L’autre option était de continuer à percevoir, année après année, la rente que constitue l’exploitation des autoroutes, en assumant les aléas économiques : niveau du trafic, coût des travaux d’entretien…
Il n’est pas question ici de refaire l’histoire, mais d’envisager l’avenir. Notre commission d’enquête a estimé que les concessions en cours étaient trop longues d’environ dix ans : au-delà de 2022, les dividendes versés devraient atteindre 40 milliards d’euros, à comparer avec les coûts d’acquisition des sociétés.
Il apparaît donc impensable de prolonger les concessions en cours et si le choix est fait de les renouveler, lorsqu’elles arriveront à échéance, il faudra a minima en réduire la durée.
Je n’entrerai pas dans le détail de nos conclusions, car je vais laisser mon collègue rapporteur Vincent Delahaye s’en charger. Je souhaite simplement dire que le but du débat que nous avons aujourd’hui est de faire vivre le travail que nous avons mené. Nous ne voulons pas que notre rapport termine, comme bien d’autres avant lui, au fond d’un tiroir.
Dès maintenant, nous devons préparer la fin des concessions et faire valoir notre rôle de parlementaires, qui consiste à peser dans la décision publique sur un sujet d’intérêt général.
Mme le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, rapporteur de la commission d’enquête.
M. Vincent Delahaye, rapporteur de la commission d’enquête sur le contrôle, la régulation et l’évolution des concessions autoroutières. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier le président Jeansannetas et tous les membres de la commission d’enquête sur les concessions autoroutières.
Je suis très heureux de ce débat, d’abord parce qu’il peut contribuer à faire en sorte que notre rapport ne finisse pas au fond d’un tiroir, comme c’est malheureusement trop souvent le cas en matière de rapports, ensuite parce qu’il nous donne l’occasion de vous accueillir, monsieur le ministre, et de débattre avec vous d’un sujet d’intérêt général, qui préoccupe nombre de nos compatriotes.
Notre but a toujours été d’aider le Gouvernement à mieux négocier avec les sociétés concessionnaires historiques pour favoriser l’intérêt général, celui de la collectivité et celui des usagers.
Dans cette affaire, le péché originel a consisté à ne pas modifier les contrats de concession des sociétés historiques d’autoroutes, conclus finalement entre l’État et lui-même. Ces contrats étaient assez mal ficelés et peu adaptés à une délégation de service public confiée au secteur privé. Ces contrats ont été modifiés, notamment en 2015, mais ces rectifications sont insuffisantes.
Nous aboutissons ainsi à une espèce de blocage juridique, que certains, il est vrai, contestent, notamment dans notre assemblée. Des juristes le contestent également. Néanmoins, le débat est légitime et il doit avoir lieu.
En tout état de cause, nous avons choisi d’adopter une autre stratégie, qui repose sur trois piliers.
Le premier pilier est la fin de la logique infernale consistant à compenser les travaux par un allongement de la durée des contrats. Les contrats, je viens de le souligner, sont mal ficelés et ne sont pas adaptés à des délégations de service public. Cessons donc de les proroger : tel est notre premier objectif. Nous avons pu constater lors de nos travaux que la rentabilité attendue par les groupes Vinci et Eiffage lors de la privatisation – et qui était d’un niveau considérable – était atteinte dix ans avant la fin des contrats. Cela signifie qu’il y a matière à négocier l’utilisation de ces surplus pour la réalisation de travaux complémentaires sans contrepartie, mais aussi pour des modulations tarifaires en fonction des usages – véhicules propres, covoiturage, etc.
Le deuxième pilier de notre stratégie est le sommet des autoroutes. Nous pensons qu’il faut inviter tous les protagonistes à s’asseoir autour de la table pour définir enfin l’équilibre économique et financier des contrats. C’est la pierre angulaire de toute discussion, c’est toujours sur ce sujet que l’on achoppe, il faut donc discuter.
Le troisième pilier, ce sont les pénalités. Le protocole de 2015 prévoyait en effet des pénalités pour le cas où le planning des travaux ne serait pas respecté, car des concessions ont été allongées à cet effet. Or le planning n’a pas été respecté pour les travaux prévus en 2015. Je précise par ailleurs que nous n’avons pas réussi à obtenir tous les détails que nous aurions voulu connaître sur ce point et que nous aimerions bien qu’ils nous soient communiqués. Les pénalités seront-elles appliquées ?
À mon sens, il ne faut pas oublier de préparer la fin des contrats et d’accélérer l’inventaire des biens de retour. Il importe également de s’assurer du maintien des investissements, notamment en matière d’entretien et de maintenance. Il convient aussi de réfléchir à des clauses visant à un meilleur équilibre des contrats de concession – revoyure et partage des gains – et impliquer les usagers, à travers leurs associations, sans oublier le Parlement.
Les parlementaires ne sont pas des empêcheurs de tourner en rond, mais peuvent être des aidants et des soutiens. C’est comme cela, monsieur le ministre, que nous serons ensemble plus utiles et plus efficaces !
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, les autoroutes font partie de la vie des Français.
Beaucoup, les empruntent chaque jour pour aller au travail ou pour faire leurs courses. D’autres, les empruntent seulement quelques fois dans l’année, pour partir en vacances. Mais tous les Français ont une expérience de l’autoroute. C’est parce qu’elles sont si ancrées dans leur vie, si indispensables à leurs déplacements, si structurantes pour nos territoires, qu’elles méritent toute notre attention. Elles méritent plus que des raccourcis et des débats simplistes.
Il faut d’abord le rappeler, nos autoroutes sont un modèle de modernité, de confort et de sécurité. Oui, la France peut se targuer d’avoir l’un des meilleurs, si ce n’est le meilleur réseau autoroutier du monde.
Nous pouvons être fiers de ce modèle façonné il y a près de soixante-dix ans. La loi de 1955 portant statut des autoroutes, conçue en plein « boom automobile » de l’après-guerre, répondait alors au besoin d’équiper rapidement le territoire. Mais, depuis, le monde a changé et nos besoins aussi. Le paysage des acteurs autoroutiers, leur relation avec l’État et les contrats de concession sont bien différents de ceux qui prévalaient alors.
Les contrats actuels, justement, doivent prendre fin de 2031 à 2036. C’est l’occasion de faire un bilan critique de notre modèle de financement et de gestion des infrastructures, sans complaisance ni démagogie. C’est l’occasion de le changer en mieux, de se demander quel est le modèle que nous voulons.
Le Sénat s’est de nouveau saisi de cette question l’an passé en lançant une commission d’enquête sur les concessions autoroutières, dont M. Jeansannetas était président et M. Delahaye rapporteur. Je tiens à souligner la qualité de ses travaux et la pertinence d’une grande partie des analyses de son rapport.
Celui-ci fournit des éléments d’éclairage précieux, tant sur les modalités d’amélioration des clauses contractuelles que sur les perspectives d’évolution du pilotage des contrats pour les années à venir. Nous avons examiné ses propositions avec attention et nous partageons un grand nombre de ses trente-huit recommandations.
Pour preuve, près de 60 % d’entre elles sont déjà appliquées ou en cours de mise en œuvre. Mais – car il y a un « mais » – nous avons un point de divergence, voire de désaccord, qui concerne vos estimations de rentabilité des concessions.
Nous avons d’abord relevé des biais méthodologiques, puisque l’analyse s’écarte de la doctrine retenue par le régulateur, dont les équipes d’experts travaillent depuis six ans sur la question.
Il y a aussi des écarts dans les projections. Certes, le sujet est complexe en cette période d’incertitudes liées à la crise sanitaire, mais entre la réalité des comptes des sociétés et les chiffres proposés par votre analyste, on passe du simple au double, voire du simple au triple !
Les résultats sont, là aussi, très éloignés de ceux du rapport quinquennal de l’Autorité de régulation des transports.
Enfin, je regrette que le rapport installe une fausse polémique sur la question du plan de relance autoroutier entériné par le protocole de 2015, dont l’équilibre économique a pourtant été expressément validé en 2014 par la Commission européenne, laquelle n’est pas spécialement laxiste sur ces sujets !
En d’autres termes, comme chaque fois qu’un rapport a été produit sur les concessions autoroutières, il n’existe aucun calcul ni aucune analyse qui prouverait de manière robuste une « sur-rentabilité » des sociétés concessionnaires.
Plutôt que d’entrer dans cette polémique qui ne fait pas progresser le débat, il me paraît plus utile de concentrer l’action de l’État sur deux priorités : un meilleur encadrement des contrats et la projection de l’avenir du modèle des concessions.
La première de ces priorités est de mieux encadrer les concessions existantes jusqu’à leur terme. L’année 2015 a marqué une étape décisive en la matière. Le plan autoroutier et la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron, ont permis de rééquilibrer les relations entre l’État et les SCA.
Un dispositif limitant les éventualités de surprofits a été introduit dans les contrats historiques : en cas de surprofit, les tarifs de péages sont revus à la baisse ou la durée de la concession est réduite.
L’État récupère toutes les économies faites par les SCA sur les investissements résultant des décalages de calendrier ou des abandons de projets.
Le Parlement a également vu ses moyens de contrôle, d’évaluation et d’information considérablement renforcés. C’est ainsi au législateur qu’il revient d’autoriser l’allongement de la durée des contrats de concession.
Les pénalités en cas de défaillance d’une société sur la sécurité, la performance ou l’état du réseau sont continûment renforcées.
Enfin, la loi du 6 août 2015 a créé une autorité de régulation indépendante en matière autoroutière. L’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer), devenue depuis l’Autorité de régulation des transports (ART), rend des avis publics sur les projets de nouveaux contrats de concession, mais aussi sur tous les projets d’avenants ayant une incidence sur les tarifs de péage. Elle produit annuellement une synthèse des comptes des sociétés concessionnaires et tous les cinq ans un rapport sur la rentabilité des contrats. Le premier rapport quinquennal de l’autorité a ainsi été publié à la fin de juillet 2020.
Certes, les contrats historiques représentent la majorité du réseau, mais l’État a aussi passé de nouveaux contrats de concessions bien plus stricts. Tous ceux qui ont été passés depuis les années 2000 respectent globalement les recommandations de votre rapport.
Notre deuxième priorité est de nous projeter, d’anticiper et de réfléchir à l’avenir des contrats de concessions.
Je l’avais déjà rappelé en tant que député, je reste constant sur la question : l’enjeu principal est de penser à ce que nous en ferons demain de nos concessions. Nous devons nous y atteler avec méthode, sans préjugé ni précipitation. Pour cela, il nous faut commencer par cadrer les grands termes du débat.
Faut-il interrompre les contrats avant qu’ils n’arrivent à leur terme, c’est-à-dire renationaliser ? Très clairement, non. Ce serait une gabegie financière de plus de 47 milliards d’euros, une entrave au droit des contrats et, ce faisant, un affaiblissement de l’État de droit.
Faut-il, à l’inverse, les prolonger ? Je sais que certains d’entre vous y sont favorables. Je sais qu’intégrer de nouveaux projets locaux par adossement pourrait être intéressant pour certains territoires, le cadre européen étant, là aussi, particulièrement strict.
Mais je le disais, le monde a changé et nos besoins aussi. À trop vouloir prolonger les contrats du passé, nous risquerions d’accroître leur déconnexion avec les attentes des Français.
Assurément, les contrats anciens doivent être modernisés. Les moderniser, oui, mais comment ? Comment favoriser les nouvelles énergies peu émissives et mieux prendre en compte les questions environnementales ? Comment trouver des mécanismes pour une plus grande modération tarifaire ?
Je n’ai pas de vision arrêtée ou dogmatique sur le sujet. Ma conviction est que nous ne devons pas brider nos réflexions : nous avons eu l’occasion au cours des débats en commission d’évoquer les concessions multimodales, les concessions régionalisées, les tarifs segmentés. Bref, un nouveau modèle pourrait se construire de façon consensuelle.
Le « concession bashing » ne fera pas progresser le débat. N’oublions pas que les sociétés concessionnaires ont produit 50 milliards d’euros de recettes fiscales entre 2006 et 2018. En plus de cela, sur la même période, elles ont investi 20 milliards d’euros dans le patrimoine autoroutier. Sans le modèle concessif, des dizaines de projets d’infrastructures, au service des Français, n’auraient pu voir le jour.
Pour aborder toutes ces questions et définir les aménagements à réaliser d’ici là, vous plaidez, monsieur le rapporteur, pour l’organisation d’un sommet des autoroutes. Sur le principe, j’y suis favorable.
Il doit nous permettre de trouver comment gérer la « fin de vie » des contrats, sans les plonger dès maintenant dans un coma artificiel. Il me semblerait en effet insoutenable de ne procéder à aucun aménagement complémentaire dans les dix à quinze prochaines années. Nous avons déjà commencé à y travailler, en intégrant le déploiement de bornes électriques, les nouvelles mobilités ou l’expérimentation de péages en flux libre.
Par ailleurs, nous avons besoin d’un cénacle où débattre des perspectives de gestion du réseau concédé. Nous aurons ces débats aujourd’hui et je m’engage à ce que nous puissions les poursuivre dans un horizon qui reste à définir. Le Parlement sera évidemment associé à ces réflexions.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cette question de l’avenir des concessions autoroutières engage le pays pour les prochaines décennies…
Mme le président. Il faut conclure, monsieur le ministre !
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. Le débat doit donc impliquer toutes les parties prenantes : les usagers particuliers, les entreprises, les collectivités territoriales et l’État, bien sûr. Nos autoroutes doivent rester un atout pour la France, pour les Français, pour leurs déplacements. Elles doivent, mieux qu’avant, embrasser les enjeux écologiques et sociaux de notre temps.
Débat interactif
Mme le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires à condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Christine Lavarde.
Mme Christine Lavarde. Monsieur le ministre, les travaux de la commission d’enquête ont montré que la rentabilité pour les actionnaires serait atteinte autour de 2022. J’entends que vous contestez ces chiffres.
Certes, comme vous l’avez souligné, les nouveaux contrats sont mieux conçus puisqu’ils comportent des clauses de retour et de partage cette sur-rentabilité.
Pour autant, ce n’est pas le cas des contrats historiques puisque rien n’a été prévu lors de la privatisation de 2006. Il a fallu attendre le plan de relance autoroutier de 2015 pour y insérer des clauses, mais elles sont beaucoup moins nombreuses – deux pour les contrats historiques contre quatre pour les nouveaux contrats. De surcroît, ces clauses ne sont applicables qu’à partir de seuils de déclenchement.
Or l’Autorité de régulation des transports, puisque vous donnez foi à ses documents, qualifie dans son rapport de juillet 2020 le seuil de déclenchement de « hautement improbable ». Cela m’amène à vous poser un certain nombre de questions, notamment afin de trouver des solutions pour parvenir à rééquilibrer le partage de cette sur-rentabilité.
Le Gouvernement va-t-il donner à l’ART les moyens de collecter auprès des sociétés d’autoroutes les informations nécessaires à l’analyse des variations de la rentabilité depuis 2002 ?
Le Gouvernement va-t-il soutenir la proposition de loi déposée par le président du groupe Les Républicains, qui vise à durcir les clauses prévues pour les contrats historiques, à savoir les clauses de « péage endogène » et de « durée endogène » ? Si tel n’était pas le cas, quelles sont les solutions du Gouvernement ?
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Madame la sénatrice Lavarde, je vous répondrai en quelques points.
Je reviendrai d’abord sur l’hypothétique sur-rentabilité des concessions et citerai plus précisément les chiffres du rapport quinquennal de l’ART remis à l’été 2020, qui paraissent diverger avec les conclusions des travaux de la commission. Selon l’ART, les rentabilités des contrats des sociétés historiques, puisque c’est souvent à elles que l’on fait référence, sont estimées autour de 7,8 %, dans une fourchette oscillant entre 6,4 % et 9,2 %. Il est aussi indiqué que les taux de rentabilité interne ont enregistré une évolution favorable, mais modérée depuis 2007 en raison de la situation macroéconomique.
Par ailleurs, et vous le savez, le plan de relance autoroutier de 2015 n’a pas engendré de surcompensation. Les investissements prévus, à hauteur de 3,2 milliards d’euros, ont essentiellement porté sur des élargissements de sections et sur la construction ou la modification d’échangeurs. L’équilibre de la compensation dans le plan de relance autoroutier a été confirmé, je le soulignais dans mon propos liminaire, par la commission lors de sa décision du 24 octobre dernier.
C’est la sous-estimation du taux de rentabilité interne (TRI) par le rapport qui conduit à conclure à une surcompensation chiffrée à 4 milliards d’euros, soit plus que la valeur des investissements du plan, ce qui n’est pas compréhensible.
En ce qui concerne les mécanismes limitant les surprofits dans les contrats historiques, en cas de surperformance économique sur la période d’allongement du contrat soit les tarifs de péage sont revus à la baisse, soit la durée de la concession est réduite.
Par ailleurs, le gain financier issu de tout décalage dans l’exécution des investissements par ces sociétés est également et intégralement restitué au concédant. Nous avons donc là un dispositif qui nous permet de bien encadrer l’équilibre économique des contrats.
En ce qui concerne les moyens de l’ART, cette autorité embrasse aujourd’hui des compétences beaucoup plus larges et est tout à fait à la hauteur des missions qui lui sont assignées.
Mme le président. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour la réplique.
Mme Christine Lavarde. En préambule, j’avais pris la peine de souligner que M. le ministre ne partageait pas notre constat sur la sur-rentabilité, mais je l’ai invité à nous dire ce qu’il envisageait pour le futur. J’avoue que je n’ai eu absolument aucune réponse. Mes questions étaient pourtant assez précises, d’autant que je donnais des outils pour demain, qu’il s’agisse du renouvellement des concessions ou s’il s’avérait que les chiffres de la commission d’enquête soient exacts.
Je me suis appuyée sur le rapport de l’autorité de régulation de juillet 2020. Sur les clauses que vous nous avez décrites comme devant permettre de prévoir « un retour à meilleure fortune » du concédant et surtout de l’usager, l’autorité écrit elle-même que « le déclenchement des clauses de “péage endogène” apparaît plausible […] tandis que celui des clauses de “durée endogène” semble hautement improbable, c’est-à-dire qu’il se produit uniquement dans des cas que l’Autorité juge invraisemblables ». Il me semble donc que la lecture était perfectible !
Mme le président. La parole est à M. Pierre Médevielle.
M. Pierre Médevielle. Monsieur le ministre, mes chers collègues, l’évolution des concessions autoroutières est régulièrement évoquée en France depuis des décennies par des représentants de tous les bords politiques.
En 2015, alors membre du groupe de travail sur les sociétés concessionnaires d’autoroutes, j’ai refusé de signer les conclusions présentées par ce groupe pour une raison simple. Le calcul virtuel de la rentabilité à l’instant t par l’Autorité de la concurrence omettait deux éléments essentiels : le montant du rachat autour de 22,5 milliards d’euros et la reprise de la dette pour plus de 17 milliards d’euros – excusez du peu ! Cette présentation était donc erronée et ne permettait pas d’évaluer la rentabilité réelle des concessions.
Je ne remets, bien sûr, pas en cause la rentabilité de ces dernières, mais je remets en cause les montants de cette manne financière. Le rapport de la commission d’enquête ne tient pas compte non plus de l’inflation depuis 2006. Doit-on rappeler que la privatisation date d’il y a quinze ans ? Il ne fait également pas référence aux pertes engendrées par les confinements successifs.
Je rappelle que le prolongement des concessions si décrié est dû à une volonté de l’État qui n’a pas pu honorer ses engagements en matière d’investissements pour l’extension du réseau.
Comme toujours on se pose la question de la fin des concessions et du retour de l’État dans la gestion des autoroutes. Le rapport d’enquête est clair : le rachat des concessions, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, s’élèverait à environ 50 milliards d’euros !
Outre le fait que nous traversons une crise majeure, qui demande des moyens financiers importants, j’identifie deux problèmes supplémentaires : celui des recettes et celui du risque de non-affectation à l’entretien de notre réseau, qui est l’un des meilleurs d’Europe.
Rappelons que l’État, avant la privatisation, percevait une manne très faible de la part des sociétés publiques qui exploitaient ce réseau. La réflexion autour de contrats plus équilibrés me paraît ainsi être la proposition la plus juste. La crédibilité de l’État français et de sa parole est en jeu…
Mme le président. Vous avez épuisé votre temps de parole, mon cher collègue.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Monsieur le sénateur, un point d’abord sur le bilan objectif que vous avez partiellement tracé, mais qui est un bilan positif du modèle concessif. Nous sommes quand même passés en soixante-dix ans en France de 80 kilomètres d’autoroutes à plus de 9 000 kilomètres qui sont bien entretenus, sécurisés et qui ont permis de désenclaver et de moderniser avec succès un certain nombre de territoires au moment où la route était le moyen de transport plébiscité.
En ce qui concerne l’équilibre économique des contrats, je n’y reviendrai pas, car nous en avons discuté préalablement. Par ailleurs, j’ai essayé de dresser un bilan le plus complet possible lors de mon intervention liminaire. En plus de l’encadrement, le confinement et l’époque récente nous apprennent – mais nous savions déjà depuis 2008 – que le risque lié aux fluctuations du trafic est bien réel, y compris pour les concessions autoroutières.
Vous avez évoqué des points positifs comme la plus faible inflation ou l’environnement de taux bas. Mais des risques avaient également été soulignés, qui se sont révélés bien réels : c’est le cas du risque « trafic » qui a fait perdre aux sociétés plusieurs milliards d’euros à la suite du confinement.
Je veux redire combien nous sommes ouverts à la réflexion sur un futur modèle moderne de gestion des autoroutes concédées et des réseaux au sens large, ainsi que sur la place de l’État. Nous parlons là d’infrastructures à l’horizon de 2040 ou de 2050, avec un très grand rééquilibrage de la route et l’émergence d’autres modes de transport. Il n’est pas tout à fait impossible de concevoir de nouvelles concessions qui seraient davantage multimodales, et tournées vers les enjeux écologiques et sociaux auxquels j’ai fait référence.
Mme le président. La parole est à M. Jacques Fernique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Jacques Fernique. Monsieur le ministre, mes chers collègues, le verdissement de nos autoroutes est une nécessité qui, loin d’être nouvelle, s’impose aujourd’hui fermement.
Il est essentiel que les concessionnaires encouragent les mobilités à faible empreinte carbone, mais sans reproduire les erreurs passées. Le soutien à des mobilités écologiquement vertueuses doit se faire sans contreparties financières supplémentaires, car personne ne contestera la rentabilité économique des sociétés d’autoroutes. Ce n’est pas faire du concession bashing démagogique que de dire que la hausse de leurs profits pour la décennie à venir est indéniable. Selon les projections du rapport, la rentabilité « actionnaires » serait atteinte dès 2022. Les dividendes distribués pourraient atteindre la somme de 40 milliards d’euros d’ici à 2036.
Voilà l’argument que le concédant doit avancer au cours de la prochaine négociation pour « verdir » les tarifs et orienter les investissements vers la décarbonation sans compensation nouvelle. La prise en compte des enjeux environnementaux doit être une obligation contractuelle. C’est le principe même de l’écoconditionnalité.
Pour préparer l’avenir, il faut rééquilibrer les contrats en faveur de l’intérêt public. Il s’agit de définir concrètement la responsabilité sociale et environnementale des concessionnaires.
Dans le prolongement de la loi d’orientation des mobilités, le déploiement des bornes de recharge électrique doit passer à la vitesse supérieure. L’aménagement de voies réservées au covoiturage et aux transports collectifs doit nettement progresser, et des incitations tarifaires significatives être proposées aux véhicules les plus vertueux, en particulier pour les poids lourds. Sur les tronçons autoroutiers publics, une réduction tarifaire importante est d’ores et déjà proposée aux véhicules électriques.
Ma question est donc la suivante : comment amener les concessionnaires à un cahier des charges ambitieux de décarbonation pour garantir que ces acteurs incontournables prennent réellement en compte l’objectif de l’accord de Paris ?
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. En matière d’enjeu écologique, le tournant a été pris au début des années 2000 avec le paquet vert autoroutier. Dans les plans de relance de 2015 et l’avenant de 2018, plus de 400 millions d’euros cumulés ont été consacrés à ces investissements, qui étaient à l’époque historiques : ils ont permis de réaliser des ouvrages protégeant la biodiversité, d’améliorer l’assainissement ou encore de supprimer des points noirs du bruit.
Pour autant, vous avez raison de le dire, il faut aller plus loin. Des expérimentations sont aujourd’hui pleinement satisfaisantes : je pense notamment à celles sur les flux libres. Nous avons lancé, en lien avec les concessionnaires, un grand plan de déploiement des bornes de recharge électrique. À la fin de l’année, plus de 60 % des aires de recharge sur le réseau concédé seront dotées de bornes à grande puissance, à périmètre constant des contrats. Ce dispositif matérialise bien le co-investissement équilibré entre l’État et les sociétés concessionnaires dans cette grande transformation écologique que nous accompagnons aujourd’hui.
L’ensemble des propositions que nous avons reçues, tout comme les débats que nous avons pu avoir avec les élus, intègrent pleinement la dimension environnementale, et je sais les concessionnaires parfaitement engagés sur le sujet.
Mme le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Avec un maillage autoroutier de près de 9 500 kilomètres, la France se situe, avec son voisin allemand, en pole position des pays européens en termes de longueur du réseau. Symbole du modernisme des Trente Glorieuses, ce réseau, concédé à 90 % à des sociétés à capitaux privés, a perdu de sa superbe.
En effet, notre parc autoroutier, s’il est nécessaire et performant pour nos usagers, doit se réinventer, notamment pour se conformer aux nouvelles exigences environnementales.
Pour autant, nous sommes défavorables à la renationalisation de nos autoroutes. L’État ne pourrait se permettre de gonfler son déficit de 50 milliards d’euros supplémentaires en rachetant les concessions, dont les premières arrivent à échéance en 2031.
Nous sommes en revanche favorables à un rééquilibrage des relations entre l’État et les sociétés concessionnaires, notamment en termes d’accompagnement vers les nouvelles mobilités.
Des investissements importants pourraient être mis en place en faveur du covoiturage, des parkings relais et des transports collectifs. Le projet de loi Climat et résilience, que nous examinerons prochainement, sera un véhicule pertinent pour proposer ces nouvelles alternatives durables.
Monsieur le ministre, comment comptez-vous accompagner les sociétés concessionnaires d’autoroutes pour qu’elles puissent se conformer à ces exigences ?
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Madame la sénatrice, ce que nous faisons en matière de véhicules électriques est un bon exemple des exigences réciproques de l’État et des sociétés concessionnaires et du respect du droit des contrats.
Vous le savez, nous avons lancé un grand plan de déploiement des bornes électriques – je le disais à l’instant – à la fois sur les réseaux concédés et non concédés et, plus largement, partout en France, de manière à permettre l’itinérance, qui est un élément essentiel de la confiance des consommateurs.
D’ici à la fin de l’année, 60 % des aires des réseaux concédés seront couvertes et 100 % le seront d’ici à la fin de 2022. Dans le même temps, nous menons ce chantier sur le réseau routier non concédé. J’évoquais l’équilibre économique parce que, dans cette « petite affaire », l’État investit 100 millions d’euros du plan de relance, ce qui est important, et les sociétés concessionnaires 500 millions d’euros, et ce dans une durée très courte. Comme vous pouvez l’imaginer, cet investissement implique des textes réglementaires, la mise en place du raccordement physique de la distribution énergétique, etc.
Ce plan est vraiment, je le crois, l’illustration d’un équilibre contractuel opérationnel et d’une vision partagée avec les sociétés concessionnaires au service des Français et dans une temporalité très réduite. Cet équilibre augure de belles choses pour l’avenir.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.
M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le ministre, le rapport de la commission d’enquête indique que les dividendes versés aux actionnaires des concessions autoroutières devraient atteindre 40 milliards d’euros au-delà de 2022, chiffre que vous contestez.
La privatisation de 2006 dont vous et nous héritons aujourd’hui s’est donc faite au détriment des contribuables, des usagers des autoroutes concédées, mais aussi des usagers des autres infrastructures de transport et du désenclavement des territoires. Cette manne aurait pu servir à financer une bonne partie du réseau routier national non concédé, à désengorger certains axes, à entretenir et développer nos infrastructures ferroviaires et à assumer des investissements qui nous ont fait tant défaut ces dernières années.
Dans son référé en date du 23 janvier 2019, la Cour des comptes a affirmé que les divers plans de relance autoroutiers décidés en faveur du réseau concédé présentaient un risque de surinvestissement qui contrastait « avec le sous-investissement constaté sur le réseau non concédé ». Aussi, j’adhère totalement à l’axe 3 du rapport de la commission qui vise à négocier une amélioration du service rendu aux usagers. La réflexion porte sur le verdissement des tarifs des péages, les véhicules les plus propres, les bornes de recharge électrique, auxquels j’aimerais inclure les points de ravitaillement en hydrogène.
En outre, il serait souhaitable que les sociétés concessionnaires d’autoroutes contribuent davantage au financement des autres infrastructures de transport, comme cela avait été décidé timidement en 2015 après l’abandon de l’écotaxe poids lourds, qui a engendré un manque à gagner de plus de 500 millions d’euros par an pour l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf).
Monsieur le ministre, comment le Gouvernement entend-il optimiser l’allocation des investissements dans les infrastructures de transport, en les réorientant prioritairement vers celles qui sont structurantes pour l’aménagement du territoire et en encourageant la transition écologique dans le domaine des transports ?
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Monsieur le sénateur, je répondrai sur deux points.
D’abord, sur la contribution financière des sociétés concessionnaires au financement des infrastructures. Je l’ai rappelé dans mon propos liminaire, l’activité des concessions autoroutières a produit 50 milliards d’euros de recettes fiscales entre 2006 et 2018. Par ailleurs, une contribution de plus de 10,5 milliards d’euros a été versée à l’Afitf, ce qui représentait un tiers du budget de l’agence, au bénéfice de nombreux autres projets, y compris ferroviaires.
Nous voyons bien là le caractère vertueux du financement du mode routier, autoroutier en l’occurrence, au bénéfice d’autres modes de transport, comme nos petites lignes ferroviaires, nos routes non concédées ou nos ponts.
Ensuite, le deuxième sujet que vous avez, à raison, abordé est le sous-investissement chronique qu’ont subi les réseaux dits secondaires ou le réseau non concédé s’agissant de la route. Or, depuis 2017 et de façon constante, nous avons progressivement, tant sur les nouveaux investissements que sur la régénération et l’entretien, augmenté ces budgets pour passer approximativement de 700 millions à 1 milliard d’euros. Nous avons lancé, il y a quelques semaines à peine, un grand appel à projets « Ponts connectés » afin de nous assurer que nous avons les capacités de connaître notre patrimoine et de veiller à ce qu’il soit bien entretenu.
Monsieur le sénateur, depuis 2017, nous avons adopté une loi d’orientation des mobilités qui est équilibrée et financée. Vous avez parlé du trou de 500 millions d’euros : il a été comblé depuis. Vous le savez, 11 milliards des 100 milliards d’euros du plan de relance ont été consacrés aux transports pour répondre à l’ensemble des enjeux de transition écologique et d’équité dans nos territoires. Je crois que nous avons répondu là précisément et de façon très volontaire à votre questionnement.
Mme le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Le Sénat a fait œuvre utile avec cette commission d’enquête sur la régulation des concessions autoroutières, et j’en remercie son rapporteur et son président.
Mieux qu’un rapport, ces travaux constituent un point d’appui utile et étayé pour mener le combat permettant le retour d’un État stratège en matière d’infrastructures d’intérêt national et d’aménagement du territoire.
Depuis de trop nombreuses années, ce scandale perdure sans que rien s’oppose aux mastodontes privés. Les sociétés concessionnaires sont de véritables machines à cash puisque, même en temps de crise, même en 2020, les dividendes s’élèvent à 2 milliards d’euros.
Entre 2006 et 2019, ce sont 24 milliards d’euros qui ont été distribués. Un « pognon de dingue » qui aurait été plus utile à la solidarité nationale…
Pourtant, les pouvoirs publics ne sont pas démunis.
Je souhaiterais attirer votre attention, monsieur le ministre, et avoir votre avis sur un point précis. Il s’agit des obligations reposant normalement sur le concessionnaire au titre de l’article L. 3131-5 du code de la commande publique relatif notamment à l’inventaire du patrimoine. À ma connaissance, ce rapport n’a jamais été remis à l’autorité concédante, donc à l’État. Comment justifier cette opacité ? Comment, dans ce cadre, travailler à une reprise des concessions ? Comment comprendre que l’État, encore une fois, ne fasse pas respecter ses droits, au nom de l’intérêt public ?
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Monsieur le sénateur, je vais essayer de répondre le plus précisément possible à cette question technique. Vous avez raison de dire que l’établissement de l’inventaire du réseau est un enjeu clé, indispensable, lié à la définition du bon état cible du réseau en fin de concession sur lequel je reviendrai.
Je tiens à rappeler un chiffre important, que nous avons déjà évoqué : celui de 150 milliards d’euros, qui représente la valeur du patrimoine autoroutier français. À défaut d’un entretien soigné et régulier, ce patrimoine se détériore sous l’action du trafic et des agressions naturelles et nécessite alors des travaux de régénération considérables.
La rénovation et le renouvellement de ce patrimoine se planifient et requièrent des travaux s’étalant sur plusieurs années dont les concessionnaires ont la responsabilité. En amont des fins de concession, l’action du concédant, c’est-à-dire l’État, en matière de contrôle du patrimoine et de politique d’entretien doit s’intensifier – c’est la fameuse clause des sept ans – afin d’éviter qu’un sous-investissement ne se traduise par une dégradation du patrimoine en fin de contrat.
Depuis plusieurs années, l’État élabore une stratégie et un plan d’action pour structurer et renforcer l’efficacité de son intervention dans ce domaine. Trois chantiers ont ainsi été engagés avec les concessionnaires. Il s’agit d’abord de dresser un inventaire du patrimoine autoroutier concédé, ensuite de définir les outils et les méthodes permettant de mieux connaître, contrôler et suivre l’état fonctionnel du patrimoine, et enfin d’établir le bon état cible de ce patrimoine en vue de la préparation de la fin de contrat.
Comme je l’évoquais précédemment, cet inventaire a été réalisé pour les ponts de Tancarville et de Normandie qui arriveront à échéance en 2027 et pour lesquels les échanges et les expertises techniques entre concédant et concessionnaire se sont déroulés sur près de deux ans entre la fin de 2018 et la mi-2020. La discussion n’a pas encore été engagée sur les contrats historiques puisque la clause des sept ans s’appliquera, par définition, sept ans avant les échéances de 2031 à 2036.
Je souhaite que mon ministère, qui dispose de compétences et de moyens propres, continue d’assurer ces missions, en s’appuyant le cas échéant sur les équipes techniques du Centre d’études des tunnels (CETU) et du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema). Je suis comme vous particulièrement attaché à ce sujet important.
Mme le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour la réplique.
M. Éric Bocquet. Monsieur le ministre, je ne pense pas avoir entendu de réponse précise concernant le défaut de transmission du rapport annuel par les concessionnaires à l’autorité concédante, donc à l’État. En fait, tout dans ce dossier est ubuesque, de la conclusion des contrats aux sous-délégations qui favorisent les ententes en passant par la définition du niveau des péages.
Dans une étude de 2020, deux universitaires français rappellent l’illégalité des surcompensations ainsi que celle du décret de 1995 indexant les péages sur l’inflation. Ces dispositifs pourraient être considérés soit comme des aides d’État au sens du droit européen, soit comme contraires aux règles définies par le code monétaire et financier, ce qui pourrait justifier une rupture anticipée. Pour cela, il faudrait une vraie volonté politique, dont je constate qu’elle est malheureusement absente.
Mme le président. La parole est à M. Jean-François Longeot.
M. Jean-François Longeot. Les conclusions de la commission d’enquête doivent permettre de préparer l’avenir, et c’est sur ce point que je souhaite vous interroger, monsieur le ministre.
À l’heure de la transition écologique, on peut regretter que notre pays soit en retard sur le passage au péage sans barrière, qu’il est coutume d’appeler « flux libre ». En effet, l’intérêt d’un tel modèle est d’abord écologique : un poids lourd consomme deux litres de carburant supplémentaires en s’arrêtant et en redémarrant aux barrières de péage. Et ce sont de surcroît autant de surfaces imperméabilisées qui pourront être rendues à la nature.
Monsieur le ministre, quels objectifs relatifs à ce modèle de péage du futur ont été fixés aux concessions autoroutières ?
Dans un second temps, comme vous le savez, de nombreux poids lourds en transit évitent les autoroutes et empruntent des itinéraires parallèles via les routes nationales ou départementales en raison de leur gratuité.
Or la surfréquentation induite par une telle pratique pose des problèmes de sécurité parfois dramatiques, de dégradation évidente des infrastructures ou encore de nuisances sonores, sans parler d’une pollution de l’air accrue, quand les autoroutes sont mieux adaptées pour accueillir ces poids lourds.
Alors qu’une mission d’information créée sur l’initiative de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable doit prochainement rendre ses conclusions sur le transport de marchandises face aux impératifs environnementaux, quelles sont vos propositions pour éviter ce report de trafic sur le réseau secondaire ? Pourquoi ne pas imaginer un dispositif sur le modèle des zones à faibles émissions pour les poids lourds ? Pensez-vous qu’il faille renforcer davantage les dispositifs réglementaires en confortant les arrêtés préfectoraux ou bien recourir à une écocontribution régionale, telle qu’elle est prévue dans le projet de loi Climat et résilience prochainement examiné par notre assemblée ?
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Monsieur le sénateur Longeot, je répondrai à vos deux questions.
Sur les flux libres d’abord, nous ne sommes pas en retard. Vous connaissez bien les expérimentations menées sur trois diffuseurs – l’A4, l’A837 et l’A10 : elles montrent, je le crois, la pertinence d’un tel dispositif. Le flux libre, pour les raisons écologiques que vous avez parfaitement citées, sera déployé à grande échelle, vous le savez, en 2022 à l’occasion de la mise en service de l’A79 et, plus tard, dans le cadre des nouvelles concessions et de la conversion de sections du réseau actuellement concédées. Ces expérimentations qui portent leurs fruits nous ont permis d’atteindre un bon niveau.
Sur le deuxième sujet, très large, que vous avez abordé, celui du report modal notamment des poids lourds, je citerai nos actions en faveur du report vers des modes par nature plus vertueux : je pense notamment au fret ferroviaire, sur lequel je ne reviendrai pas. Des zones à faibles émissions (ZFE) sont mises en place pour les véhicules légers, et un grand nombre de territoires seront bientôt couverts.
L’article 32 du projet de loi Climat et résilience permet de donner la possibilité aux régions d’instituer une contribution sur le transport routier de marchandises. C’est une demande des régions, notamment du Grand Est et de l’Île-de-France, à laquelle nous avons répondu. Les départements pourront également demander à l’appliquer sur certaines routes départementales pour éviter les reports de trafic. Les équipes de mon ministère travaillent actuellement à l’inventaire de ces routes au vu des demandes actuelles des élus.
Mme le président. La parole est à M. Olivier Jacquin.
M. Olivier Jacquin. J’ai deux questions sur ce sujet passionnant. Je salue la qualité des travaux de notre commission d’enquête, qui a bien mis en évidence un certain nombre de déséquilibres existant entre concédant et concessionnaires.
Ma première question est courte : le décret de 1995 relatif à la fixation annuelle du prix des péages est-il bien légal ? Dans l’hypothèse d’une abrogation, les conséquences seront importantes. Notre collègue députée Christine Pires Beaune attend toujours votre réponse à ses questions écrites : je ne doute pas que je vais l’obtenir.
Ma deuxième question vient d’être posée par mon collègue Éric Bocquet. Elle est relative à l’article L. 3131-5 du code de la commande publique aux termes duquel le concédant doit publier chaque année un rapport contenant un inventaire précis et actualisé des biens concédés. Or cette obligation n’est pas respectée. Pis, monsieur le ministre, dans votre courrier du 5 avril adressé au rapporteur, vous écrivez que « l’enjeu pour le concédant n’est pas de disposer au cours de la concession d’un inventaire précis à un instant donné ». Cette phrase est totalement contraire à la doctrine législative et réglementaire.
Vous n’avez pas répondu à mon collègue et ami Éric Bocquet, mais je ne doute pas que j’obtiendrai une réponse. Vous avez commencé votre propos introductif en déclarant que vous vouliez un meilleur encadrement des contrats. Pourtant, sur cette question qui n’est pas que technique, on donne les clés au concessionnaire et on ne le contrôle pas. Je ne veux pas d’un modèle concessif non contrôlé. Je vous remercie d’apporter des réponses à mes deux questions précises. (M. Jacques Fernique applaudit.)
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué, qui est très attendu !
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Je vois cela, madame la présidente ! Je vais donc essayer d’être précis, monsieur le sénateur, car je vous sais expert sur ces sujets.
Sur l’abrogation du décret de 1995 d’abord, vous savez qu’il est prévu, par dérogation aux dispositions du droit commun, que les rémunérations des cocontractants de l’État au titre des contrats de concession puissent être indexées sur le niveau général des prix. Les travaux parlementaires ayant conduit à l’adoption de ces dispositifs établissent clairement qu’il s’agissait surtout de conforter juridiquement la pratique contractuelle de l’État et des sociétés concessionnaires de recours à un indice d’évolution plutôt favorable soit à l’État, soit aux usagers.
En outre, cette modification du code monétaire et financier avait le mérite de donner une accroche législative au décret de 1995 sur les péages autoroutiers. Cette dérogation ne nécessite pas forcément de décret d’application pour ces contrats administratifs. Il n’existe donc aujourd’hui plus de motif pertinent qui justifierait de remettre en cause le décret de 1995.
Sur le sujet du bon état des infrastructures en fin de concession, j’ai répondu à M. Bocquet que la stratégie de l’État en la matière était de structurer et de renforcer son intervention. Il s’agit de définir les bons outils et les bonnes méthodes qui permettent d’abord de connaître, puis de contrôler et de suivre, l’état fonctionnel du patrimoine afin d’établir le bon état cible en fin de concession. Je n’entre pas dans le détail, mais une grille des critères a été établie sur le sujet. Je le disais, nous avons déjà fait l’exercice pour les ponts de Tancarville et de Normandie, dont les concessions arrivent à échéance en 2027. J’ai évoqué la butée calendaire qui nous permet de préparer la fin de contrat sept ans avant.
De manière générale, la philosophie du ministère, monsieur le sénateur, est de connaître en tout temps l’état de santé des ouvrages. Je l’ai évoqué, nous avons lancé le plan « Ponts connectés », qui concerne les ponts du réseau concédé ou non concédé : il consiste à instrumenter les ponts, à connaître leur état de santé à l’instant t et à prévoir les travaux de façon beaucoup plus prédictive, en fonction de l’état des ponts et des sollicitations qu’ils subissent.
Mme le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour la réplique.
M. Olivier Jacquin. Je vous remercie, monsieur le ministre, mais c’est un demi-remerciement. Je prends acte de la réponse à la première question relative à la légalité du décret de 1995, mais je n’ai pas eu plus de succès qu’Éric Bocquet sur le bon état des infrastructures, puisque vous avez répondu à côté.
Je vous ai affirmé que, dans le code de la commande publique auquel nous sommes soumis, un rapport doit être remis chaque année. Nous n’avons pas ce rapport : comment contrôler alors le concédant et le bien public ? Vous ne m’avez pas contredit sur ce point. Vous avez parlé des ponts et d’autres sujets, mais, j’y insiste, vous ne disposez pas de ce rapport annuel. Comment voulez-vous améliorer la relation avec les concessionnaires ? (MM. Jacques Fernique et Éric Bocquet applaudissent.)
Mme le président. La parole est à M. Louis-Jean de Nicolaÿ.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. Plus que le modèle concessif, son économie générale et son analyse, que mes collègues ont largement évoqués, je m’attarderai, pour ma part, plus particulièrement sur des considérations environnementales en écho à l’urgence dans laquelle nous nous trouvons actuellement et qui in fine s’insère dans l’axe 3 développé dans le rapport de la commission d’enquête, à savoir négocier une amélioration du service rendu aux usagers compte tenu de la rentabilité indiquée dans le rapport.
En 1970, la France était confrontée à un défi de développement économique des territoires : il s’agissait alors de « rattraper notre retard en matière de desserte des territoires par le réseau autoroutier », et le gouvernement d’alors avait fait appel au secteur privé. Dans la Sarthe, ce fut un succès, et nous l’avons constaté depuis les années 1970 avec l’A11 et depuis une vingtaine d’années avec l’A28. Cinq branches d’autoroute irriguent notre département et ont largement contribué à sa – modeste ! – prospérité économique.
Aujourd’hui, nous sommes confrontés à l’urgence climatique et à l’impérieuse nécessité de décarboner le secteur des transports, mais il faut rappeler que la route assure en France 87 % des déplacements de personnes et 86 % du transport de marchandises.
Par conséquent, décarboner le secteur des transports signifie tout simplement qu’il faut décarboner la route : c’est urgent et nous ne pouvons pas attendre encore dix ans pour agir.
Il me semble que nous sommes confrontés là aux exigences de nécessité et d’utilité prévues par l’article L. 122-4 du code de la voirie routière et la jurisprudence y afférente.
Ma question est donc la suivante : pensez-vous que les contrats de ces sociétés autoroutières qui avaient été au départ pensés dans un objectif de développement économique pourraient être rapidement réorientés vers cet objectif stratégique de décarbonation ? Et si oui, comment ?
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Monsieur le sénateur, vous avez raison de dire que les contrats historiques correspondaient à des enjeux quelque peu différents. L’objectif, dans les années 1970, était de désenclaver les territoires avec des réseaux qui étaient peu construits et d’offrir des infrastructures adaptées pour un transport rapide et sûr. Je crois que, de ce point de vue, le bilan est objectivement bon cinquante ans plus tard.
Les enjeux d’aujourd’hui sont donc différents : préserver la cohésion de nos territoires, procéder à des investissements utiles pour les usagers, mais aussi décarboner nos routes, qui engendrent, vous l’avez dit, tant pour les passagers que pour les marchandises, l’essentiel des émissions de gaz à effet de serre.
Je les ai cités précédemment, les véhicules électriques sont un bon sujet non seulement d’étude, mais de déploiement d’une action de décarbonation. D’abord, parce que les véhicules concentrent la plus grande partie des émissions. Ensuite, parce que l’État doit définir les niveaux d’aide pour accompagner le secteur de la construction automobile. Je le redis ici, 16 % des véhicules vendus cette année sont électriques ou hybrides rechargeables : ce pourcentage montre la forte dynamique de ce secteur. Vous le savez, les États ont pris des engagements extraordinairement forts, et on estime que 50 % des véhicules vendus seront électriques en 2030.
Pour ce faire, il faut déployer des infrastructures, notamment des bornes de recharge rapide. C’est l’enjeu des 100 millions d’euros consentis ou investis par l’État dans ces infrastructures, qui seront complétés par les 500 millions d’euros des sociétés concessionnaires. Cela montre l’ambition conjointe de l’État et des sociétés concessionnaires en la matière.
Évidemment, le sujet est plus large. Le report modal du transport des marchandises, c’est aussi le report vers les modes les plus vertueux sur le plan environnemental. Je pense au fret ferroviaire ; je n’irai pas plus loin, mais comprenez que notre action est large et totalement engagée sur le sujet.
Mme le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez.
Mme Jocelyne Guidez. Monsieur le ministre, j’attire votre attention sur la question des péages périurbains et de l’injustice que leur existence induit.
Je pense en particulier à certains péages de la région Île-de-France, comme celui de Saint-Arnoult qui fut l’un des symboles de la crise des « gilets jaunes », ou encore celui de Dourdan que je connais bien.
Notre réseau autoroutier a été construit à une époque où le développement périurbain n’avait pas encore atteint son niveau actuel, et où le recours à l’autoroute pour les trajets quotidiens entre le domicile et le travail était rare.
Depuis, l’économie de services, c’est-à-dire des emplois urbains, s’est considérablement développée. Paris comme sa petite couronne ont attiré de plus en plus de travailleurs, de plus en plus éloignés, en raison notamment de l’explosion des prix de l’immobilier.
Résultat, ce qui était hier l’exception est devenu la norme. Des dizaines de milliers de Franciliens prennent quotidiennement l’autoroute pour aller travailler. Un grand nombre d’entre eux sont contraints de payer les péages périurbains à chaque trajet. Cette obligation de payer pour aller travailler ne touche pas nécessairement les plus aisés.
Devant la commission d’enquête, Jean-Claude Lagron, président de l’association « A10 gratuite » dont je salue l’engagement, indiquait qu’un travailleur régulier déboursait 1 300 euros par an.
Lorsqu’ils ne veulent, ou ne peuvent, pas supporter ce coût, les travailleurs pendulaires se reportent sur le réseau routier secondaire, ce qui n’est pas sans conséquence en matière d’accidentalité et de congestion.
Votre prédécesseur, Mme Borne, avait certes obtenu un geste des sociétés d’autoroutes : une réduction de 30 % pour plus de dix allers-retours par mois sur le même tronçon.
Si l’intention était bonne, l’opération a été un échec. Sur un million d’automobilistes prévus, à peine 100 000 ont finalement souscrit l’abonnement. Les concessionnaires ont peu communiqué sur cette offre et le geste n’était pas suffisant.
Monsieur le ministre, la réponse doit être plus ambitieuse. La suppression de certains péages urbains, en particulier celui de Dourdan, serait une réponse appropriée. Comme le soulignait la commission d’enquête, cela n’aboutirait d’ailleurs pas à remettre en cause l’équilibre économique et financier de la concession Cofiroute.
Négocier cette gratuité sans contrepartie tarifaire répondrait à une demande légitime d’équité.
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Madame la sénatrice, vous évoquiez au fond le sujet bien connu des péages périurbains, fruit de la densification des aires urbaines et de leur impact sur le quotidien de leurs usagers.
Je vous ferai deux réponses.
Sur le pouvoir d’achat, vous avez très justement rappelé le dispositif demandé par l’État aux sociétés concessionnaires qui a permis de baisser de 30 % les tarifs des usagers effectuant plus de dix allers-retours par mois. Ce dispositif a connu un début de succès : 130 000 abonnements ont été répertoriés, avec une hausse significative de 60 % entre septembre 2019 et septembre 2020. Mais il est vrai que le confinement, qui a été propice au télétravail, ne lui a pas permis de prendre pleinement son envol.
J’ai donc demandé aux sociétés concessionnaires de relancer une opération de communication sur ce dispositif, afin de soutenir le pouvoir d’achat des usagers de la route.
Pour ce qui concerne, plus précisément, le péage de Dourdan, je rappelle ce que j’ai déjà indiqué : le tarif de 1,70 euro TTC, est stable et relativement faible par rapport à d’autres axes routiers. En outre, des formules d’abonnement préférentiel sont proposées ; enfin, des aménagements, notamment en places de parking destinées à améliorer l’offre de transport collectif sur l’A10, ont été mis en place.
La suppression, ou le rachat, de ces péages ne peut être envisagée, car cela fragiliserait le modèle concessif. Par ailleurs, la section de l’A10 considérée, située entre Dourdan et La Folie Bessin, est empruntée par d’autres usagers effectuant des trajets en transit, en provenance ou à destination de l’A11. Ce scénario ne paraît donc pas aujourd’hui envisageable, d’autant qu’il risquerait d’entraîner le report d’une partie de la circulation sur la voirie locale, ce qui engendrerait d’importantes nuisances et, éventuellement, de l’insécurité.
Mme le président. La parole est à M. Michel Dagbert. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. Michel Dagbert. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens d’abord à remercier le président de la commission d’enquête, Éric Jeansannetas, et son rapporteur, Vincent Delahaye, pour la qualité du travail accompli. Nous ne pouvons que nous féliciter de la production de ce rapport, qui a permis de mettre en évidence un assez grand nombre de points qui attestent des conditions, pénalisantes pour l’État, de la rédaction des conventions de concession.
Le rapport met en effet en évidence bien des insuffisances, observables au moment de la cession des sociétés concessionnaires d’autoroutes. Il semble notamment que celle-ci n’ait été précédée ni d’une révision des contrats dits « historiques » ni d’une définition de l’équilibre économique et financier des concessions. Ce rapport permet également de noter que les relations entre les concessionnaires et l’État concédant n’ont pas fait l’objet d’une révision.
Au-delà de la perte des recettes résultant, pour l’État, de la privatisation et du déséquilibre financier de la gestion de ces concessions autoroutières au profit des entreprises attributaires, le rapport souligne aussi la permanence des disparités dans les relations entre les sociétés concessionnaires du réseau autoroutier et la puissance publique, au détriment de cette dernière.
Cela étant dit, ces concessions ont été validées ; dont acte. En outre, la réaction et les mesures qui en ont découlé attestent que, d’un point de vue juridique, il serait hasardeux d’y mettre un terme de façon anticipée.
Pour autant, il faut nous donner l’assurance que vous serez en mesure, au terme de ces concessions, de mener l’analyse juridique, technique et financière permettant d’éclairer les choix qui seront à faire. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous donner la garantie que vous disposerez des moyens nécessaires pour ce faire, au sein des organismes d’ingénierie de l’État, notamment au Cerema ?
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Je répondrai en deux points succincts, monsieur le sénateur, pour essayer de clarifier ce débat.
D’abord, l’État connaît l’état de son patrimoine,…
M. Olivier Jacquin. Ah ?
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. … de ses routes, de ses ponts. Nous avons eu, ici, des débats sur certains ouvrages ou éléments moins connus du patrimoine ; c’est pour cette raison que j’évoquais les ponts, puisque nous faisons un effort sur le patrimoine des collectivités territoriales, afin de procéder à son inventaire et d’en assurer un meilleur entretien. L’État connaît donc son patrimoine, dont l’inventaire est disponible.
Par ailleurs, l’État connaît, au travers des concessions, l’état du patrimoine routier concédé. À cet égard, l’enjeu était, à l’approche de la fin des concessions – d’où la clause des sept ans –, de bien connaître les ouvrages et le patrimoine concédés et d’exercer un contrôle renforcé. En gros, le but est – je le dis très directement – de ne pas avoir, pendant les sept dernières années de la concession, un sous-investissement qui ferait supporter par les finances de l’État d’éventuels travaux de régénération.
Je prenais ainsi l’exemple des ponts de Tancarville et de Normandie puisque, ces concessions arrivant à échéance en 2027, les travaux visant à bien appréhender l’état de ce patrimoine ont été conduits sept ans avant, entre 2018 et 2020.
Pour finir, monsieur le sénateur, je vous confirme que l’État – les services de mon ministère, appuyés par d’autres organismes disposant de compétences d’ingénierie technique et financière de très haut niveau, comme le Cerema – a les moyens de mener à bien les travaux destinés à établir l’état cible du patrimoine en fin de concession.
Mme le président. La parole est à M. Didier Mandelli.
M. Didier Mandelli. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat autour des concessions autoroutières ne cesse de nous mobiliser.
Quinze ans après la privatisation des sociétés autoroutières, notre collègue Vincent Delahaye l’a rappelé, les résultats de ces entreprises atteignent un niveau élevé. Cela est lié à leur professionnalisme, à la qualité des services proposés, notamment en matière de sécurité, et à leurs capacités reconnues de gestion, mais cela est sans doute également dû aux conditions de la privatisation et aux négociations, qui apparaissent aujourd’hui assez avantageuses pour elles.
Si le rapport de la commission d’enquête rappelle que les clauses introduites en 2015 ont pu rééquilibrer les rapports entre l’État et les nouvelles SCA, il souligne néanmoins que ces clauses restent pour le moins inopérantes pour les SCA historiques.
Cette situation de défiance menace directement les projets d’investissement de ces sociétés et les éventuels partenariats avec l’État ; ce sont nos territoires et les usagers qui pâtissent le plus de cette situation. Six ans après ces négociations, vu le contenu du rapport de la commission d’enquête, il devient urgent de réunir tous les acteurs et de négocier des clauses solides et durables, en toute transparence.
Nous examinerons prochainement le projet de loi Climat et résilience ; à ce titre, il paraît indispensable – un certain nombre de collègues l’ont souligné – d’exiger davantage d’implication des SCA dans le développement durable, comme une contrepartie essentielle des contrats de concession : bornes de recharge des voitures électriques – vous venez de rappeler les engagements pris –, voies réservées, offres de covoiturage, plateformes multimodales.
Monsieur le ministre, de nouvelles négociations sont-elles envisagées pour instaurer des clauses portant tant sur la question financière que sur les exigences environnementales ?
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Monsieur le sénateur Mandelli, votre question porte sur plusieurs points distincts.
D’abord, vous avez rappelé avec objectivité le bilan, notamment en matière de sécurité, de confort et d’aménagement du territoire, de ces sociétés concessionnaires d’autoroutes. Vous avez également souligné leur meilleur encadrement depuis 2015, avec notamment la création de l’ART, qui permet d’exercer un contrôle très précis sur l’équilibre économique des contrats. Je n’y reviens pas.
Ensuite, en ce qui concerne les partenariats entre l’État, les sociétés et les collectivités, je répondrai en deux points. Vous avez cité le sujet des bornes électriques, qui montre bien, me semble-t-il, que l’on sait mettre en œuvre des actions concrètes avec des volumes financiers importants : je le rappelais, en cumulé, 600 millions d’euros sont investis sur trois ans, partout sur le territoire, avec l’objectif de ne pas recréer les zones grises de la mobilité que nous avons pu connaître par ailleurs.
En outre, quand les collectivités se sont montrées motrices en la matière, nous avons pu signer des pactes localisés de relance autoroutière ; je pense notamment au pacte signé avec Renaud Muselier, il y a maintenant quelques mois, en plus du pacte portant sur les petites lignes ferroviaires.
Pour ce qui concerne l’avenir à moyen et à long terme, j’ai dit que nous étions disposés à organiser un sommet des autoroutes, qui permettra d’aborder justement les grands sujets structurants, les modalités de gestion – pilotage public ou délégation au privé – et de voir comment nous pouvons nous attaquer très concrètement aux grands enjeux écologiques et sociaux que vous venez de souligner.
Le Gouvernement est bien évidemment à la disposition du Parlement pour continuer d’avancer sur ce sujet important.
Mme le président. La parole est à M. Didier Mandelli, pour la réplique.
M. Didier Mandelli. Évidemment, monsieur le ministre, nous sommes très intéressés par l’organisation d’un tel sommet des autoroutes. Je souhaiterais que vous y intégriez la représentation nationale, indirectement, au travers du Conseil d’orientation des infrastructures et de l’Afitf, mais également directement, afin que les parlementaires puissent participer à ces travaux en toute transparence.
Cela me paraît indispensable pour restaurer la confiance entre l’État et ses partenaires, mais aussi celle des usagers et de tous ceux qui sont intéressés par l’aménagement du territoire. Ces infrastructures sont essentielles pour l’ensemble du territoire national et il me paraît important que nous soyons associés de très près à cette réflexion.
Mme le président. La parole est à M. Éric Jeansannetas.
M. Éric Jeansannetas. Mon interrogation est double et porte sur les sous-concessionnaires, c’est-à-dire sur les aires de services.
En premier lieu, si les recommandations de l’ART ont permis, au cours des dernières années, d’éclaircir quelque peu les conditions d’attribution des sous-concessions par les SCA, quelques zones d’ombre subsistent. Des progrès ont été réalisés pour renforcer l’effectivité de la modération tarifaire sur le prix des carburants, mais la commission d’enquête préconise un renfort des contrôles des sous-concessions.
Deux mesures nous semblent souhaitables.
La première serait de prévoir explicitement que l’ART puisse collecter directement auprès des sous-concessionnaires toute information utile pour contrôler le respect des engagements des titulaires concernant la fixation des prix ou la durée des sous-concessions.
La seconde serait d’étendre l’obligation de modération tarifaire aux carburants alternatifs et de prévoir un suivi régulier, par les SCA, des prix réels du carburant. Un contrôle de second niveau, assorti d’un pouvoir de sanction, serait réalisé par l’ART. Cela permettrait à la fois de favoriser le recours aux carburants alternatifs et de contrôler le niveau des prix.
Ma première question, monsieur le ministre, est donc simple : comptez-vous appliquer ces deux recommandations ?
En second lieu, la crise sanitaire a mis en lumière le rôle des aires de services au sein du réseau autoroutier. Ce sont les sous-concessionnaires qui, par exemple, ont accueilli les routiers, les commerciaux et les autres usagers pour que ces derniers puissent se restaurer, se reposer et bénéficier de structures de confort, notamment en ce qui concerne l’hygiène.
La crise a toutefois causé des pertes importantes pour les magasins, la distribution de boissons chaudes et la restauration.
J’ai ainsi été alerté – vous aussi, monsieur le ministre – par une société creusoise, donc limousine – Picoty Autoroutes –, qui compte vingt-cinq sous-concessions. Cette entreprise a perdu 1,2 million d’euros sur l’année 2020. Dans le même temps, les principaux concessionnaires ont enregistré 2 milliards d’euros de résultat net et de dividendes. Pourtant, ces derniers refusent de compenser le manque à gagner des sous-concessionnaires par des mesures économiques significatives.
Voici donc ma seconde question : est-il envisageable d’instaurer un mécanisme de solidarité exceptionnel entre concessionnaires et sous-concessionnaires, dans le contexte de la crise sanitaire ?
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Monsieur le sénateur, allons droit au but : ma réponse aux deux volets de votre première question est « oui », puisque nous avons bien noté la recommandation, figurant dans le rapport, consistant à renforcer le rôle de l’ART dans le contrôle des sous-concessions. Je vous confirme donc que, à propos des deux sujets que vous avez évoqués, des discussions sont en cours avec l’Autorité, qui donneront lieu, le cas échéant, à des décrets destinés à organiser tout cela. La réponse est donc « oui ».
En ce qui concerne votre deuxième question, vous avez raison de dire que les sous-concessions ont joué un rôle clé au moment le plus aigu de la crise, puisque les transporteurs routiers ont fait face, lors des premiers jours, à des pénuries de services essentiels – je pense notamment aux douches, aux toilettes, aux services de restauration – et, tous ensemble, nous nous sommes mobilisés pour les rouvrir le plus rapidement possible. Cela avait permis la réouverture, au cours des jours suivants, de quelque 400 services de restauration un peu partout sur le territoire.
Par ailleurs, nous avons bien conscience des difficultés financières de ces sociétés. J’ai demandé à mes services, notamment à Marc Papinutti, qui œuvre sur tous ces sujets, d’organiser plusieurs réunions de concertation entre l’Association des sociétés françaises d’autoroutes et d’ouvrages à péages (ASFA) et l’Association des sous-concessionnaires d’autoroutes (ASCA), dont Picoty Autoroutes est membre, et ces réunions ont permis de définir les demandes et les contraintes de chaque secteur. Elles doivent maintenant permettre de faciliter les négociations contractuelles entre concessionnaires et sous-concessionnaires. J’ai bon espoir que cette situation s’assainira dans les semaines ou mois qui viennent.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de contournement ouest de Montpellier, c’est-à-dire le chaînon de six kilomètres manquant entre les autoroutes A750 et A709, présente un caractère hautement prioritaire.
L’enquête publique s’est déroulée en 2020 ; le commissaire enquêteur a rendu, le 22 décembre dernier, un avis favorable à la déclaration d’utilité publique de ce projet, sous réserve du financement de ce dernier, qui reste à finaliser.
Vous m’avez entendu défendre plusieurs fois, ici même, le principe du financement de ce projet par un adossement à la concession des Autoroutes du Sud de la France (ASF). Ce mode de financement présente un triple avantage : il ne coûte rien à l’État, rien aux collectivités locales, qui n’auraient de toute façon pas les moyens de le financer, et rien à l’usager, puisque le tronçon sera gratuit.
Dans ce dossier, mon interrogation est grande sur notre capacité et notre volonté à dépasser les polémiques infondées et les dogmatismes archaïques, afin de regarder la vérité en face et de prendre les bonnes décisions. L’importance économique de la mise en œuvre de ce projet de plus de 300 millions d’euros me semble s’intégrer parfaitement dans le plan de relance et l’aménagement de notre territoire.
Nous pourrions partager la conviction que, pour sortir de la crise actuelle, aux conséquences terrifiantes pour les finances publiques, notre pays aura besoin de recourir à l’investissement privé, afin de faire aboutir des projets d’infrastructures, en particulier routières. La concession est un cadre qui a largement démontré ses avantages.
La déclaration d’utilité publique du contournement ouest de Montpellier doit être signée au début du mois de septembre 2021. D’ici là, monsieur le ministre, aurez-vous acté son adossement à la concession d’ASF, seule et unique solution pour son financement et donc sa réalisation ?
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Monsieur le sénateur Grand, vous avez rappelé les principaux éléments du projet du contournement ouest de Montpellier. Le coût total du projet est estimé, à ce stade, à 280 millions d’euros et des crédits ont été engagés à hauteur de 25 millions d’euros dans le contrat de plan État-région 2015-2020.
Ce projet est connu ; il a fait l’objet de nombreux échanges depuis de nombreuses années, mais la métropole de Montpellier a décidé de se désengager de son financement, demandant un adossement total à la concession autoroutière existante. Par conséquent, nous avons lancé, à la demande du Premier ministre, une étude fine des conditions de l’adossement du contournement ouest, qui pose de véritables questions de droit et qui rendra vraisemblablement nécessaire une saisine du Conseil d’État pour résoudre celles-ci.
Je connais bien votre position ; j’ai bien pris connaissance des éléments que vous nous avez transmis, ce dont je vous remercie. De notre côté, les travaux se poursuivent assidûment et l’ensemble des acteurs locaux seront informés, au cours des semaines qui viennent, afin de tenir compte de l’échéance que vous avez rappelée, se situant au mois de septembre, pour la déclaration d’utilité publique.
Soyez donc assuré, monsieur le sénateur, de notre plein investissement sur ce sujet.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Grand, pour la réplique.
M. Jean-Pierre Grand. Ce dossier ne me paraît pas devoir poser de problème.
Six kilomètres, cela ne bouleversera pas l’équilibre de la concession de l’autoroute A9, qui se termine en 2031. Il n’y a pas d’autre solution pour le Gouvernement que de signer la déclaration d’utilité publique avant le début du mois de septembre.
Je vous remercie, monsieur le ministre ; je suppose que le Conseil d’État manifestera toute la sagesse que nous lui connaissons pour aller dans le sens de l’intérêt général.
Mme le président. La parole est à M. Patrick Chaize.
M. Patrick Chaize. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les concessions autoroutières ont fait l’objet d’une contractualisation entre l’État et des sociétés privées, en prenant en compte des prévisions de dépenses et de recettes sur la durée du contrat ; c’est d’ailleurs la règle de base de tout contrat concessif. La règle est également de faire en sorte que le risque soit assumé par l’entreprise privée.
Néanmoins, nous avons pu regretter la pratique de l’adossement, qui a consisté à ajouter des investissements non prévus initialement au contrat, en les compensant par un allongement de la durée de la concession initiale. Ce principe a pour inconvénient majeur de transformer le contrat, pourtant très précis ab initio, en un sentiment de concession perpétuelle, difficilement explicable à nos concitoyens et de moins en moins acceptable par eux.
Si les extensions de réseau peuvent être mieux maîtrisées et faire l’objet de procédures spécifiques, certains autres investissements nécessaires ne peuvent pas être dissociés du contrat. Je pense notamment à l’intégration des évolutions technologiques, telles que le développement des véhicules électriques et l’impérieuse nécessité de disposer, sur le réseau autoroutier, de bornes de recharge rapide. Plus encore, comment pourra-t-on intégrer les investissements nécessaires au déploiement des véhicules connectés ? Outre le besoin de choix technologiques partagés entre tous les acteurs, le montant des investissements nécessaires est loin d’être négligeable.
L’urgence est pourtant là ; il serait irresponsable de repousser au terme des contrats les décisions d’investissement correspondantes. Aussi, je souhaiterais que vous puissiez m’éclairer sur ces points, monsieur le ministre.
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Monsieur le sénateur Chaize, je vous remercie de cette question.
Je ne reviendrai pas sur la première partie de celle-ci ; je crois que nous avons déjà très largement débattu du modèle de la concession et de son équilibre économique. Nous sommes maintenant en mesure de nous projeter sur l’avenir des concessions.
Revenons toutefois sur un sujet important. Tout d’abord, j’ai précédemment dit un mot sur les bornes électriques. Je crois pouvoir dire que nous sommes au bon niveau de financement et d’avancement, ce qui est important pour accompagner le secteur automobile français et européen.
Pour ce qui concerne l’intelligence et la possibilité de faire advenir le véhicule connecté, en nous dotant des infrastructures de connectivité le long de nos routes, nous ne sommes pas en retard ; depuis 2014, plusieurs projets pilotes ont été lancés. Le ministère des transports a ainsi investi 14 millions d’euros dans différents projets qu’il coordonne et, au total, pour la France, 44 millions d’euros ont été investis en sept ans. Cela nous permet d’avoir, actuellement, 3 000 kilomètres de réseau routier équipé d’unités de bord de route pour échanger des données. L’idée est d’avoir, à l’horizon de 2024, environ 5 000 kilomètres de routes équipées.
Par ailleurs – c’est important –, la France préside la plateforme C-Roads Europe, qui pilote le groupe technique visant à définir les principales spécifications techniques. Jusqu’à présent, 95 % des spécifications françaises sont reprises à l’échelon européen, ce qui est une satisfaction ; nous sommes face à une « terre d’opportunités ». Ces projets sont mis en place dans le cadre des concessions actuelles, sans prolongation. À la fin des concessions, nos autoroutes continueront d’être à la pointe de l’innovation.
Nous pouvons donc nous retrouver, je crois, autour de cette ambition conjointe, monsieur le sénateur.
Mme le président. La parole est à M. Patrick Chaize, pour la réplique.
M. Patrick Chaize. Je vous remercie, monsieur le ministre, de ces informations importantes.
Vous l’aurez compris, je suis très sensible à cette évolution technologique qui aura des conséquences du point de vue environnemental, mais encore faut-il que l’on puisse disposer d’informations permettant que, en fin de contrat, les choses soient transparentes. Il s’agit d’une demande unanime que vous avez pu entendre lors de ce débat. La transparence est la règle de base et le gage même de la confiance.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet.
M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le ministre, je suis, comme ma collègue Jocelyne Guidez, qui s’est exprimée précédemment, et le rapporteur de notre commission d’enquête, Vincent Delahaye, sénateur du département de l’Essonne, et notre présence commune dans l’hémicycle ne doit certainement rien au hasard.
En effet, depuis de nombreuses années, nous militons pour la gratuité des tronçons franciliens des autoroutes A10 et A11. Le périmètre de notre action est certes limité, mais parfaitement caractéristique et solidaire d’une problématique de dimension nationale.
Depuis près de vingt ans, de multiples études ont dressé un constat, souvent accablant, des rapports entre l’État et les sociétés concessionnaires d’autoroutes. Pourtant, rien n’a bougé, ou presque.
Heureusement, le rapport de cette commission d’enquête sénatoriale confirme avec pertinence une situation de plus en plus inacceptable et esquisse de potentielles réponses, car ce débat doit déboucher enfin sur des mesures significatives !
En quarante ans, dans les territoires périphériques franciliens, l’étalement urbain a provoqué un triplement de la population. Durant la même période, les investissements en transports collectifs ont été quasi exclusivement concentrés dans le cœur de l’agglomération. Or l’offre de transports collectifs s’est dégradée inexorablement dans la deuxième couronne francilienne, dans laquelle la funeste loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR, veut continuer d’entasser, de façon aveugle et kafkaïenne, toujours plus de logements…
De ce fait, les autoroutes périurbaines ont dorénavant un rôle structurant pour les déplacements du quotidien, notamment les trajets domicile-travail. Pourquoi, alors, ne pas supprimer les péages sur les tronçons concédés des autoroutes périurbaines, à commencer par les plus iniques d’entre eux, sur l’A10 et l’A11, en Île-de-France ?
Deux propositions pour financer cette disposition, monsieur le ministre : l’application de la clause de plafonnement de la rentabilité des concessions, issue du protocole de 2015, mais jamais mise en œuvre, et l’instauration d’une taxe sur les copieux dividendes versés par les sociétés concessionnaires. Que pensez-vous de ces deux propositions ?
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Nous connaissons bien ce sujet, que nous avons eu l’occasion d’évoquer à de nombreuses reprises. Je ne répéterai pas dans le détail ce que j’ai répondu à votre collègue précédemment. Simplement, nous avions évoqué les problèmes – la fragilisation du modèle concessif – qu’entraînerait l’emprunt, par d’autres usagers que ceux qui habitent ou qui travaillent à proximité du péage de Dourdan, de cette autoroute et nous étions également convenus du risque de report sur la voirie locale d’un trafic de contournement qu’engendrerait cette suppression.
Peut-être pouvons-nous tout de même nous projeter dans l’avenir. Des pistes d’amélioration sont évidemment à étudier ; je ne suis pas en mesure de répondre à votre question aujourd’hui, mais nous continuerons ces débats. Ainsi, des améliorations doivent être envisagées quant au trafic des poids lourds, qui pourrait se reporter sur la voirie locale. Je l’ai également évoqué, la contribution poids lourd régionale, que nous proposons dans le cadre de l’article 32 du projet de loi Climat et résilience, permettrait aux départements de se saisir de la possibilité d’étendre la contribution aux axes départementaux sujets au report de trafic. Je crois savoir que cette possibilité est étudiée en Île-de-France.
Par ailleurs, des aménagements sur les voiries départementales sont aussi envisageables pour améliorer la sécurité et la fluidité des circulations qui traversent les zones habitées.
Sur tous ces sujets, je reste évidemment à votre disposition, monsieur le sénateur, pour échanger et trouver les voies d’un avenir plus ensoleillé.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour la réplique.
M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le ministre, depuis vingt ans que je suis élu, vous êtes le neuvième à occuper ces fonctions.
Je vous remercie de votre disponibilité et de vos réponses ; je souhaite néanmoins donner quelques chiffres : le taux de profitabilité des sociétés concessionnaires s’établit à plus de 30 % et les dividendes versés à leurs actionnaires dépassent amplement leur résultat net. La crise sanitaire ne les affecte que marginalement, puisque, entre 2019 et 2020 la profitabilité de Cofiroute est passée de 31,6 % à 35,9 % ; le versement de dividendes a correspondu, pour cette société, à 115 % du résultat net.
Aussi, de grâce, monsieur le ministre, soyez celui qui fera bouger les choses ; nous vous en remercions par avance !
Conclusion du débat
Mme le président. Pour conclure le débat, la parole est à M. le rapporteur de la commission d’enquête.
M. Vincent Delahaye, rapporteur de la commission d’enquête sur le contrôle, la régulation et l’évolution des concessions autoroutières. Monsieur le ministre, je vous remercie d’avoir consacré une heure et demie à notre rapport.
Je regrette quelque peu que le format du débat dans l’hémicycle ne permette pas d’aller au fond des choses ; on l’a constaté sur un certain nombre de questions. Pour ma part, j’avais demandé au président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, Jean-François Longeot, de vous solliciter pour organiser une audition en commission, afin que nous puissions échanger de façon un peu plus approfondie autour de ce rapport. Je reste demandeur de cette audition.
Au cours de ce débat, il y a des choses que l’on a entendues, des choses que l’on n’a pas entendues et des choses que l’on aurait aimé entendre.
J’ai entendu de votre part une forme de « ni-ni » : ni renationalisation ni prolongation, même si le « ni prolongation » était un peu plus timide que le « ni renationalisation ». J’ai également entendu parler de préparation du futur, d’un meilleur encadrement des contrats, d’une modernisation de ceux-ci, et c’est tant mieux !
En effet, il n’y a, ici, aucun concession bashing, en tout cas pas dans notre rapport. Je ne suis absolument pas opposé, comme la majorité de mes collègues, au principe de la concession de délégation de service public, qui a une efficacité. Nombre de sociétés, parmi les sociétés d’autoroutes, sont des sociétés françaises importantes, qui sont compétentes et qui font un travail de qualité. Par conséquent, il n’y a pas de raison de faire du concession bashing. Cela dit, quand on concède un service, il faut bien en suivre l’exécution, c’est très important.
Des progrès considérables ont été accomplis depuis 2015, mais beaucoup reste à faire. Nos collègues Éric Bocquet et Olivier Jacquin ont eu raison de poser la question des rapports d’inventaire. Ces rapports d’inventaire sont prévus dans les contrats, mais on ne les a pas – vous-même l’avez reconnu –, or ils doivent être mis à jour tous les cinq ans. Il n’est pas normal que l’on ne puisse pas avoir ces rapports d’inventaire, prévus dès le départ ! Donc, d’accord pour la concession, mais il faut la contrôler rigoureusement.
Ensuite, au-delà de la question de l’inventaire se pose un deuxième problème : les sous-concessions. Il y a une grande faiblesse du suivi en la matière. Notre commission d’enquête n’a pas eu le temps d’aller suffisamment loin dans ce domaine, mais il faudrait en approfondir l’analyse. Nous avons entendu des sociétés qui avaient du mal à obtenir l’attribution d’une ou l’autre de ces sous-concessions et nous nous demandons pourquoi. Il faudrait plus de transparence sur ce sujet.
En revanche, les études sur la rentabilité des concessions d’autoroute – celle de l’Autorité de la concurrence de 2013, celle de la Cour des comptes, celle du Sénat – font vraiment l’objet d’un dénigrement de la part des sociétés d’autoroutes. On se demande d’ailleurs si ces sociétés ont réellement lu notre rapport, parce que nous n’avons obtenu qu’une réponse, celle d’Eiffage ; les autres ne nous ont même pas répondu. Nous avons tenu compte des observations d’Eiffage et nous avons refait nos calculs sur ce fondement.
Notre méthode est fondée sur la rentabilité interne par rapport aux actionnaires, donc à l’investissement initial ; nous avons bien recouru à cette méthode, cher Pierre Médevielle. De son côté, l’ART étudie la rentabilité par projet, mais elle ne fournit pas d’éléments permettant de contrôler son travail. J’en suis désolé, j’aime beaucoup cette autorité, mais j’aimerais bien qu’elle soit plus transparente, que les valeurs d’actifs qu’elle évalue soient communiquées, car on ne les a pas. Nous avons donc des taux de rentabilité calculés sur une base que l’on ne connaît pas…
Pour ma part, j’apprécie la transparence et je pense que l’ART a un rôle à jouer dans le domaine des sociétés concessionnaires d’autoroutes, mais il faut travailler tous ensemble.
Ainsi, monsieur le ministre, si vous souhaitez – c’est ce que j’ai compris de vos propos – organiser un sommet des autoroutes, je voudrais que l’on aborde la question de la rentabilité des contrats, et non uniquement des futurs contrats. Il est important de travailler sur les futurs contrats, sur l’évolution et le verdissement des tarifs, mais la rentabilité est un sujet fondamental. Notre collègue Jean-Pierre Grand évoquait le contournement de Montpellier : mon cher collègue, la concession d’ASF prendra fin non en 2031, mais en 2036, c’est-à-dire dans quinze ans !
Nous avons finalement publié nos prévisions de rentabilité, mais, si j’avais écouté les sociétés d’autoroutes, nous n’en aurions publié aucune ; ces sociétés ont donné les leurs à l’ART et j’en ai eu communication, mais ces documents étaient couverts par le secret des affaires. Néanmoins, je peux vous le dire en toute confidence, monsieur le ministre, les prévisions que nous publions sont en ligne avec celles des sociétés d’autoroutes…
M. Jérôme Bascher. Très bien !
M. Vincent Delahaye, rapporteur. Je remercie tous les participants à ce débat ; j’espère que nous en aurons d’autres pour poursuivre notre discussion et notre travail. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes RDPI et SER.)
Mme le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport de la commission d’enquête sur le contrôle, la régulation et l’évolution des concessions autoroutières.
Nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures cinq.)
Mme le président. La séance est reprise.
4
Écriture inclusive : langue d’exclusion ou exclusion par la langue
Débat organisé à la demande du groupe Les Indépendants – République et Territoires
Mme le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Indépendants – République et Territoires, sur le thème : « Écriture inclusive : langue d’exclusion ou exclusion par la langue. »
Dans le débat, la parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour le groupe auteur de la demande.
M. Jean-Pierre Decool, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, pour autant qu’il m’en souvienne, lorsque j’étais au collège et que j’apprenais les différentes règles de l’orthographe de notre belle langue, je me demandais souvent : « Mais pourquoi ? » Alors, je prenais mon courage à deux mains et je demandais à mon professeur : « Pourquoi dit-on le soleil et la lune alors qu’en allemand le soleil est un terme féminin et la lune un mot masculin ? » Mieux encore, je lui demandais pourquoi les mots « orgue », « délice » et – plus tard – « amour » étaient masculins au singulier, mais féminins au pluriel. Mon professeur me répondait : « Parce que c’est comme ça ! »
La vérité, c’est qu’il ne le savait pas plus que moi. Personne ne le sait en définitive. Les grammairiens font un travail de fourmi et avancent des théories plus ou moins proches de la réalité, mais notre langue est ainsi faite. Oui, c’est ainsi. En revanche, je ne dis pas qu’il devait en être ainsi. En effet, une langue est la résultante d’un travail lent et laborieux, de son usage par ceux-là mêmes qui la pratiquent, l’idéalisent et la malmènent. Elle n’est pas créée théoriquement ; elle est l’osmose plus ou moins parfaite des usages. Une langue n’est pas un bloc de marbre froid. Elle est un corps, une glaise qui se modèle, se sculpte, se transforme, se patine au gré du temps et de ses évolutions.
Je ne suis ni linguiste ni philosophe. Je suis un humble sénateur inspiré par le bon sens. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, je veux dire ici qu’une langue n’est pas le fruit de revendications identitaires et partisanes animées par une forme de militantisme bien désuet. Alors, quand j’ai découvert, indépendamment de toute idéologie, le sujet de l’écriture inclusive, j’ai cru à une fantaisie, à une sorte de caprice de l’esprit. Je vous le confie, tout cela me semblerait dérisoire s’il ne révélait pas l’expression d’une fracture de la société, raison pour laquelle notre groupe vous invite aujourd’hui à réfléchir sur l’écriture inclusive.
Avant tout, revenons aux réponses, loin d’être satisfaisantes, de mon professeur. Nombre d’entre vous ont dû entendre les mêmes de la bouche de leurs enseignants. Pourtant, cela ne vous a pas empêchés d’acquérir les rudiments de l’orthographe française.
Malheureusement, nous ne sommes pas tous égaux face à la langue. Je ne pense pas me tromper en observant une lente et pernicieuse dégradation de l’apprentissage de notre langue parmi les jeunes générations. Avant de s’intéresser à l’écriture inclusive, comme notre groupe vous y invite, commençons par apprendre la langue française à nos enfants !
Interrogez nos universitaires et nos enseignants : ils sont désespérés. Je veux vous lire le témoignage que j’ai recueilli auprès d’une professeure de faculté : « Mes étudiants comprennent un raisonnement, une démonstration, mais ils sont, pour la plupart, dans l’incapacité de retranscrire ce raisonnement, faute de savoir construire une phrase simple, avec un sujet, un verbe et un complément, voire, parfois, ne disposant que d’un vocabulaire d’une pauvreté abyssale. » Le linguiste Alain Bentolila corrobore ces propos avec un chiffre effrayant : « 20 % des jeunes possèdent moins de 500 mots pour dire le monde. »
Je crains que nous ne puissions parler de générations sacrifiées. Je présume que les nouvelles technologies, avec les « réseaux antisociaux », pour citer le président de notre groupe, Claude Malhuret, ne vont pas contribuer à améliorer les choses…
Même si notre ministre a décidé de réformer la pédagogie, il faudra des décennies pour rattraper le temps perdu et les dégâts occasionnés. Si les tentatives de pratique de l’écriture inclusive prêtent à sourire, cette vérité n’a rien d’amusant.
Revenons à nos moutons et tentons de comprendre l’origine du phénomène de l’écriture inclusive. Le mouvement est d’origine anglo-saxonne et serait l’initiative d’associations féministes dénonçant une masculinisation à marche forcée de la langue française ainsi que l’invisibilité de l’appartenance sexuelle et, bien entendu, celle du sexe féminin.
Le cœur de cette graphie se résume dans la mise en cause de la règle, datant du XVIIe siècle, selon laquelle « le masculin l’emporte sur le féminin ». Le grammairien et académicien Nicolas Beauzée précisait : « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin, à cause de la supériorité du mâle sur la femelle. »
Mme Laurence Rossignol. Bah voyons !
M. Jean-Pierre Decool. C’était en 1767 !
Vous le savez aussi bien que moi, mes chers collègues, l’écriture de l’histoire ne se regarde pas avec les yeux d’aujourd’hui, mais nous pouvons comprendre la colère que de tels jugements peuvent entraîner et tenter, à la demande de certains mouvements féministes, de corriger ce prétendu déséquilibre. Il n’est pas question d’interdire d’interroger l’orthographe.
Toutefois, l’écriture inclusive ne s’arrête pas là. Si j’ai bien compris, elle consiste à insérer des points médians à la fin des noms pour féminiser l’écriture. Cette pratique, loin d’être intuitive, peine à s’imposer. En mars 2017, un premier ouvrage destiné à des élèves de CE2 en écriture inclusive a été publié. Certaines écoles ou universités et même des collectivités territoriales auraient également lancé des initiatives destinées à encourager cette écriture. La polémique est désormais engagée.
Tout viendrait de la bien regrettable confusion, que certains entretiennent complaisamment, entre marques de genre grammatical et identificateurs de sexe : pour certains, la langue française a trouvé et trouve commode de détourner l’usage arbitraire des marques de genre pour obtenir une distinction entre les femmes et les hommes.
On peut discuter des règles, tenter de les comprendre. Mais, je le répète, seuls l’usage et le temps font finalement évoluer notre langue.
Cela me conduit à une réflexion : depuis combien de temps les partisans du langage inclusif n’ont-ils pas discuté avec nos concitoyens ? Il me semble que leurs préoccupations, aux allures superfétatoires, dépassent l’immense majorité des francophones, qu’ils n’effleurent aucunement. Quand je parle de cette graphie, on me regarde avec des yeux ronds, avant de balayer le sujet de la conversation pour se concentrer sur ce qui est important.
Ce débat semble s’autoalimenter dans des sphères dites « bien-pensantes », politiquement correctes, aussi appelées, à l’américaine, « éveillées ». Cette graphie, plus qu’une réelle revendication, serait devenue une sorte de marqueur idéologique, un signe extérieur de richesse culturelle, la Rolex de la bien-pensance. Comme le montre si bien Rachel Kahn dans son dernier ouvrage, c’est une manière d’écrire son curriculum vitae pour montrer patte blanche avant d’entrer dans des cercles, où des parangons de vertu prônant la diversité et l’inclusion font preuve d’une remarquable homogénéité de pensée, de genre ou de pigmentation de la peau.
Contrairement à ces derniers, je me refuse à parler de race ou même à réduire mes compatriotes à leur couleur de peau, leur genre ou leurs origines.
Quand Jacques Derrida disait « je n’ai qu’une langue, ce n’est pas la mienne », il mettait en avant un caractère essentiel de la langue : le fait qu’elle n’appartient à personne, qu’elle n’est donc pas un outil idéologique et qu’elle ne doit pas l’être.
La question de l’égalité entre les femmes et les hommes est, bien entendu, première. Dès lors, pourquoi ne pas poser cette question directement ? Reléguer la gent féminine à un « e » final séparé par un point ne serait-il pas aussi une manière de mettre un point, final cette fois, à la discussion ? J’y lis, entre les points, un violent renoncement à l’égalité. Je ne sais pas si je dois m’en offusquer ou m’en attrister.
Il est dit que l’écriture inclusive consiste à inclure toutes les personnes pouvant ne pas se sentir représentées, sur le plan du genre, de l’ethnicité ou de la religion. Est-ce à dire que, après avoir satisfait à la demande de certains groupes féministes, nous aurons à modifier notre langue sous la pression d’autres groupes de revendication ?
Mes chers collègues, voulons-nous nourrir cette archipélisation de la société française qu’a si bien décrite Jérôme Fourquet et qui amène Jacques Julliard à observer « le passage de la République des citoyens à la société des individus », inspirée par certains courants outre-Atlantique, que certains exportent ici ?
Nous ne pouvons pas admettre cette volonté d’asservir les droits de l’Homme au profit d’une dictature de minorités défendant des intérêts particuliers.
Je n’ai pas oublié, pour ma part, que les valeurs qui nous animent sont les principes de la République, de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, quatre termes féminins dont je ne revendique pas la masculinisation ! Ces valeurs sont trop précieuses, lumineuses et universelles. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE et Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’écriture inclusive alimente régulièrement les polémiques en se faisant l’écho d’un sujet sociétal majeur : l’égalité entre les femmes et les hommes. Pour autant, l’écriture inclusive caricature ce combat et, à mon sens, porte plusieurs dérives, que je veux rappeler ici.
La première est issue d’un présupposé : la pratique de la langue doit être une déclinaison des politiques sociales inclusives, donc inclure toutes les personnes qui peuvent se sentir non représentées. La langue refléterait ainsi fidèlement l’ordre du monde, la façon de penser d’une société. De facto, une langue qui invisibilise le féminin au profit du masculin serait celle d’un monde où les femmes sont cachées.
Aujourd’hui, l’écriture inclusive servirait donc les luttes féministes. Qu’en sera-t-il demain lorsque la langue devra servir une autre cause ? Faudra-t-il changer de langue au gré des combats sociétaux ?
Erik Orsenna, dans La Fabrique des mots, nous alerte sur les dangers de la confusion entre ordre linguistique et ordre social. Dans ce conte, il narre les aventures d’un dictateur qui, voulant lutter contre les bavardages pour hisser son pays au rang de puissance mondiale, bannit les mots inutiles. « Évidemment, c’était plus facile de déclarer la guerre aux mots que d’affronter le chômage ! », déclare son héroïne…
La deuxième dérive de l’écriture inclusive est sa vision de la masculinité dans le langage. Comme nombre d’entre vous, j’ai appris, dans les leçons de grammaire, que « le masculin l’emporte sur le féminin ». Cette règle concentre les attaques des partisans de l’écriture inclusive. Toutefois, les linguistes déconstruisent la thèse selon laquelle elle aurait été instaurée afin de soumettre les femmes. Depuis la première moitié du XVIIe siècle, ils débattent sur l’accord de voisinage, tel que « le cœur et la main ouvertes », qui, jusqu’au début du XXe siècle, est enseigné dans les manuels de grammaire.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est vrai !
M. Max Brisson. Cette chronologie démontre qu’il n’y a pas de lien entre grammaire et place de la femme dans la société.
En fait, le masculin fonctionne en français comme le genre de base, portant la généralité. C’est au masculin qu’est formé le participe dans « j’ai écrit », même si le sujet « je » représente une femme.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est l’accord du participe passé ! Ça n’a rien à voir !
M. Max Brisson. C’est au masculin que l’on substantive les différentes catégories grammaticales, comme dans le froid, monsieur Sueur, le chaud, le pour, le contre et même le qu’en-dira-t-on. Il s’agit d’un principe d’organisation de la langue et non d’une vision de la société.
Dernière dérive : l’écriture inclusive entraîne l’exclusion. La multiplication des lettres muettes, la révision de la ponctuation, la complexité des règles d’accord, la fin de la linéarité de la chaîne écrite sont autant de difficultés nouvelles qui entraînent une perte de compréhension. Quel en sera le coût social ? Quels en seront les bénéfices ? Surtout, quels en seront les bénéficiaires ?
Au reste, lorsque l’on nous dit que l’écriture inclusive n’a pas vocation à être imposée aux écoliers, en particulier à ceux qui éprouvent des difficultés à entrer dans l’écrit, n’est-on pas à même de s’interroger sur la prétendue inclusivité de l’écriture inclusive ?
Pour ma part, je crois profondément que l’écriture inclusive ne répondra pas aux enjeux de l’égalité entre les femmes et les hommes. Au contraire, elle créera un fossé entre ceux qui la maîtrisent et ceux qui n’auront pas accès à cette complexité coupée du monde réel.
La langue est un vecteur de partage et de rassemblement. J’en veux pour preuve le rôle joué par notre école depuis près de cent cinquante ans, qui a permis à des enfants non francophones arrivés en France de parler français et, ainsi, de s’intégrer dans notre société et de faire Nation. La langue est bien l’un des facteurs premiers d’intégration.
En août 1539, l’ordonnance de Villers-Cotterêts, en rendant obligatoire l’usage du français dans les actes publics de justice et d’administration du royaume, précisait que les arrêts devaient être clairs et compréhensibles, afin qu’il n’y ait pas de raison de douter sur leur sens.
Dans une langue, les objectifs de clarté et de compréhension sont des défis perpétuels. Ils le sont particulièrement aujourd’hui. Il me paraît dangereux de sacrifier l’apprentissage de l’écriture et de la lecture sur l’autel de l’instrumentalisation de notre langue à des fins idéologiques.
Sans fondement historique, sans pertinence linguistique, loin d’être inclusive, cette écriture est, au contraire, facteur d’exclusion entre ceux qui maîtrisent et ceux qui subissent. Ni notre langue ni notre société n’en ont besoin. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)
Mme le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, chers collègues, l’idée selon laquelle le pouvoir des hommes et, en l’occurrence, le pouvoir des femmes se refléteraient dans le choix des mots n’est pas nouvelle. La volonté de réformer une langue pour marquer un changement sociétal ne l’est pas non plus.
Jamais la langue française n’aura connu autant de changements que sous la Révolution française. Le français a été érigé comme langue nationale, arme défensive pour prémunir la République de tout morcellement. Trait d’union entre tous les citoyens, elle a contribué à cimenter l’identité républicaine, en offrant à chacun un égal accès aux lois, au droit, à l’instruction.
Dans le même temps, le français s’est considérablement enrichi et n’a jamais cessé de le faire, en intégrant des mots en patois, des mots étrangers, des innovations lexicales. La langue française est avant tout une langue vivante, à la fois chargée d’histoire et évolutive. L’écriture inclusive a déjà imprimé son empreinte à travers la féminisation des métiers et des fonctions, la suppression du « mademoiselle » dans les documents administratifs ou encore le choix spontané de certains mots neutres pour inclure l’ensemble des interlocuteurs, comme je l’ai d’ailleurs fait au début de mon discours en préférant le mot « collègues » à « sénateurs » ou « sénatrices et sénateurs ».
En la matière, le mieux est l’ennemi du bien, et il ne faudrait pas confondre les évolutions naturelles de la langue, partagées par la majorité des Français, et sa confiscation par une petite minorité porteuse de revendications égalitaristes.
Cette offensive lexicale se cristallise dans l’usage du point médian, qu’une poignée de militants tentent d’imposer dans les universités, certaines mairies ou dans les écoles. Cette écriture prétendument inclusive se révèle en pratique inaccessible pour un grand nombre de nos concitoyens, aveugles, déficients visuels, dyslexiques ou autistes.
J’ai auditionné hier, avec mon collègue Jean-Pierre Decool, l’Association pour la prise en compte du handicap dans les politiques publiques et privées, présidée par Matthieu Annereau. Les témoignages que nous avons recueillis soulignent que, en modifiant la graphie des phrases, l’écriture inclusive rend les textes absolument incompréhensibles pour toute personne qui utilise la lecture d’écran par synthèse vocale. En cherchant à dégenrer la langue, nous fabriquons une langue d’exclusion, une langue discriminante.
Nous devons faire usage de bon sens et veiller par-dessus tout à l’accessibilité de la langue pour tous, avant de chercher à la rendre conforme à nos revendications idéologiques, justifiées ou non.
À l’heure où nous débattons de la symbolique des mots, des millions de femmes dans le monde sont prisonnières de sociétés profondément machistes, sexistes et violentes à leur égard. Alors que certains se hérissent au nom de la théorie du genre, des femmes sont lapidées, brûlées à l’acide au nom de la tradition ou pour avoir refusé une demande en mariage. Il faut choisir ses combats, ceux qui en valent la peine.
La journaliste d’origine turque, Claire Koç, a choisi la France précisément pour les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité que notre pays incarne et défend. Je dis bien « fraternité », mot féminin qui désigne le lien existant entre les membres de la famille humaine, que les mêmes défenseurs du point médian voudraient doubler du mot « sororité », quitte à modifier la devise républicaine au nom d’un faux féminisme revanchard. La différence, c’est que la sororité n’inclut pas les hommes, alors que la fraternité inclut les femmes et les hommes.
La galanterie est-elle toujours permise ou allons-nous bientôt chercher à en faire une marque de sexisme insupportable ? L’historienne Mona Ozouf plaide pour l’apprentissage de la nuance et défend l’idée qu’il existe un féminisme à la française, où la galanterie reste l’expression d’une élégance.
Vous l’aurez compris, chers collègues, je suis pour une société inclusive et une langue française universelle, qui facilite la lecture et la compréhension. C’est la raison pour laquelle je suis contre cette écriture d’exclusion que représente l’usage du point médian. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à remercier le groupe Les Indépendants – République et Territoires de nous avoir proposé ce débat, d’une importance capitale pour traiter d’un péril civilisationnel aussi majeur que l’écriture inclusive, ou, plus exactement, le terrifiant point médian. Malgré la pandémie, l’explosion des inégalités, la crise sociale, malgré l’effondrement de la biodiversité et la catastrophe climatique qui s’annoncent, vous avez su garder la tête froide et remettre au cœur de la Haute Assemblée les vrais débats qui comptent. Cela doit être salué. (Sourires sur les travées du groupe SER.)
Puisque nous devons débattre, faisons-le sérieusement.
La langue est une construction culturelle et sociale. Elle reflète notamment les évolutions et les rapports de force dans la société. À son tour, elle forge les esprits : elle détermine en partie la manière dont nous pensons et envisageons le réel.
Le langage porte en lui des questions politiques. Il est forcément l’objet d’évolutions et de tensions. L’écriture inclusive, ou plutôt le souci d’une communication inclusive, est une forme de travail sur ce langage. C’est un processus de réappropriation de la langue, pour plus d’égalité.
En France, ce débat s’est focalisé sur le point médian, comme nous le voyons aujourd’hui. Pourtant, celui-ci n’est pas l’alpha et l’oméga d’une communication inclusive. (Mme Marie-Pierre Monier applaudit.)
Mme Claudine Lepage. Bravo !
M. Thomas Dossus. Mais le niveau de débat actuel, qui ne permet aucune nuance ou réflexion, passe désormais par un processus bien rodé : des personnes, des chercheuses ou des militantes, réfléchissent sur un sujet, font une proposition, qui rompt parfois avec une forme d’ordre établi ; puis, les réactionnaires ou les conservateurs, paniqués par toute forme de progrès, montent le sujet en épingle pour nier l’exigence d’égalité. Les polémiques se cristallisent sur de faux problèmes et l’on finit par disserter ici sur de la typographie.
Oui, nous pouvons questionner notre communication, y compris dans nos administrations, quand elle invisibilise parfois 50 % de la population ! Non, le point médian, celui qui coupe les mots pour leur ajouter un suffixe, n’est pas le seul outil d’écriture inclusive ! Non, ce n’est ni un « péril mortel » ni un « risque civilisationnel », contrairement à ce que j’ai pu lire !
Comment diminuer les inégalités qui se trouvent au cœur même de notre manière de nous exprimer, donc de rendre compte du réel ?
La langue française est une langue vivante. Elle évolue avec les femmes et les hommes qui la parlent. Il en a toujours été ainsi. Il serait illusoire de vouloir inscrire dans le marbre des règles immuables et de fixer définitivement les usages. Les seules langues ainsi figées sont les langues mortes, comme le grec ou le latin. J’espère que personne ici n’a cette ambition pour notre langue nationale.
Parmi les arguments souvent cités à l’encontre du point médian, nous venons de l’entendre, un argument revient sans cesse, qui s’avère tout à fait exact : son usage rend la lecture difficile pour les personnes souffrant d’un handicap de lecture. C’est même en raison de cette difficulté que Jean-Michel Blanquer souhaite interdire son usage à l’école. C’est le bal des tartuffes ! Cette soudaine passion pour les enfants en situation de handicap disparaît soudainement quand il s’agit de revaloriser le salaire des accompagnants des élèves en situation de handicap, les AESH, qui sont mobilisés depuis des mois pour la reconnaissance de leurs missions. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. Max Brisson. Démagogie !
M. Thomas Dossus. Au-delà du point médian, le fond du problème est la prédominance du masculin dans notre langue. Cela s’explique par l’histoire, par une évolution lente, depuis un latin qui reconnaissait trois genres – féminin, masculin et neutre – jusqu’à la progressive disparition du genre neutre au profit d’un masculin qui devint générique.
Force est toutefois de constater que cette histoire n’est pas linéaire. Au Moyen Âge, la langue, alors plus libre dans son usage, était habituellement épicène : elle faisait à de nombreuses occasions la part belle au féminin et au masculin de manière égale. Même lors de la fondation de l’Académie française par Richelieu et alors que les règles que nous connaissons aujourd’hui se sont stratifiées peu à peu, la règle de prédominance du masculin n’a jamais été aussi fortement affirmée qu’elle ne l’est aujourd’hui. On préférait ainsi, par exemple, l’accord de proximité, qui consiste à accorder le genre de l’adjectif avec le nom le plus proche qu’il qualifie.
Mes chers collègues, sachez ainsi que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui, je le rappelle, a valeur constitutionnelle, mentionne : « Tous les Citoyens […] sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics. » L’usage exigerait aujourd’hui que l’on emploie « tous » au lieu de « toutes » ! Ce texte, malgré son intitulé, était donc déjà plus souple que certains dans son usage de notre langue.
Il n’y a donc pas, d’un côté, un usage pur et traditionnel de la langue, qui s’opposerait, d’un autre côté, aux prétendus délires séparatistes d’une partie de la population. Il s’agit d’un processus d’évolution de la langue, nourri par un questionnement. Ce processus interroge et nous élève.
Oui, il est possible de communiquer en incluant toute la diversité de notre société ! Non, vous n’êtes pas et vous ne serez jamais obligés d’utiliser le point médian ! Notre langue est riche quand elle se réinvente. Soyez donc inventives et inventifs !
Pour conclure, je tiens à faire remarquer à cette assemblée que le discours que je viens de prononcer, comme tous ceux que prononcent les sénatrices et sénateurs de mon groupe, a été réalisé en suivant dans la mesure du possible les règles de cette langue épicène que vous fustigez tant. Chacun sera libre de constater si celui-ci a mis en danger la langue française ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Mme le président. La parole est à M. Julien Bargeton.
M. Jean-Pierre Sueur. Jusque-là, ça va !
M. Julien Bargeton. … c’est un débat piège : on se sent pris en tenailles entre, d’un côté, les partisans d’une forme d’hypermodernité à la mode, consistant à défendre l’écriture inclusive partout, tout le temps, et, de l’autre, les tenants d’une croisade réactionnaire visant à l’interdire par la loi. C’est un débat de talk-show, de chaîne d’information en continu, dont on imagine bien les invités s’étriper durant une heure sur l’écriture inclusive
Je crois qu’il y a d’autres façons de faire avancer l’égalité entre les femmes et les hommes, grande cause du quinquennat. Celle-ci est déjà passée par la langue, avec la féminisation des fonctions. Pour ma part, je suis choqué que l’on y résiste encore, notamment dans cet hémicycle, mais pas seulement. Quand j’ai commencé la politique à Paris, voilà longtemps, le maire commençait ses allocutions par « Parisiennes, Parisiens ». Que l’on dise aujourd’hui « Mme la présidente » et « Mme la maire » me semble bien évidemment indispensable et aller dans le bon sens.
Ces débats sont anciens et ne viennent pas seulement de l’étranger. Les théories qui conduisent à promouvoir l’écriture inclusive ont aussi été construites par des philosophes français. Sans vouloir faire de provocation, je citerai le début de l’allocution de Roland Barthes au Collège de France, en 1977, lors de sa leçon inaugurale : « La langue, comme performance de tout langage, n’est ni réactionnaire ni progressiste ; elle est tout simplement fasciste ; car le fascisme, ce n’est pas d’empêcher de dire, c’est d’obliger à dire. » Plus tard, Roland Barthes aura cette formule fameuse : « Tout d’un coup, il m’est devenu indifférent de ne pas être moderne. » Lui-même était traversé de ces contradictions…
Des raisons pratiques viennent compliquer, dans certaines circonstances, l’utilisation de cette écriture inclusive. Ces raisons ont été rappelées par différents orateurs, y compris parmi les promoteurs de l’écriture inclusive. À cet égard, je remercie M. Dossus d’avoir souligné que les associations défendant les personnes en situation de handicap mettaient en avant les difficultés liées à l’utilisation de l’écriture inclusive – notamment le point médian pour les personnes ayant recours aux synthèses vocales.
Certains linguistes, à l’instar de Bernard Cerquiglini, montrent que, sous prétexte de progressisme, on se dirige vers quelque chose qui complique. Paradoxalement, l’écriture inclusive vient ralentir le mouvement observé depuis le XVIe et le XVIIe siècle vers une plus grande lisibilité démocratique de la langue et la rend moins compréhensible. On voit combien le débat est complexe.
Comme cela a été rappelé, 10 % des élèves arrivant en sixième ont une maîtrise insuffisante du français. L’utilisation de l’écriture inclusive dans les apprentissages viendrait donc compliquer une situation déjà loin d’être parfaite en termes de maîtrise de la langue.
Par ailleurs, depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts, on essaie d’établir une norme la plus partagée, la plus simple et la plus compréhensible possible. La circulaire de 2017 va également dans ce sens.
Enfin, le français est aussi un facteur de rayonnement, un outil de promotion de notre pays, dont l’écriture inclusive pourrait réduire la portée.
Je ne veux pas tomber dans le piège qui tendrait à dire qu’il faut voter des lois pour interdire à tous d’utiliser cette écriture. Même si c’est particulièrement difficile dans le cadre d’un tel débat, il me semble possible d’adopter une position un peu modérée – « Je veux vivre selon la nuance », disait Roland Barthes. À titre personnel, je ne suis ni favorable à l’utilisation maximaliste de l’écriture inclusive ni particulièrement favorable à l’adoption d’une loi visant, par exemple, à interdire de l’utiliser.
Mme Laurence Rossignol. En même temps…
M. Julien Bargeton. Regardons les difficultés que soulève cette question. Il y a d’autres façons de mieux répondre à l’objectif sous-jacent d’égalité entre les femmes et les hommes que poursuivent celles et ceux qui promeuvent l’écriture inclusive.
Mme le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes, inscrit à l’article 1er de notre Constitution, est une juste cause. Il mérite une action résolue, ambitieuse et ininterrompue. En parallèle, l’article 2 de notre Constitution dispose que « la langue de la République est le français ». Il s’agit d’un facteur d’intégration, d’appartenance et de rayonnement de la culture française. Notre langue nationale constitue le socle fondamental de notre fraternité républicaine.
Le débat sur l’écriture épicène, dite « inclusive », met en jeu ces deux exigences constitutionnelles. Au-delà, elle interroge notre façon de « faire société » à travers le langage.
L’écriture inclusive repose sur deux grands principes. D’une part, il s’agit d’accorder les grades, fonctions, métiers et titres en fonction du genre – on écrira ainsi « une autrice », « une pompière » ou « une sénatrice ». Ce principe ne rencontre pas d’opposition, et l’Académie française en a d’ailleurs fait la promotion. Il s’agit de lutter contre l’invisibilisation des femmes. D’autre part, il s’agit d’inclure les deux sexes grâce à l’utilisation du point médian pour éviter que le masculin « ne l’emporte » sur le féminin – on écrira ainsi « les électeur.rice.s » ou « les citoyen.ne.s ». C’est ce principe qui attise aujourd’hui les passions.
Albert Camus disait : « J’ai une patrie : la langue française. » Or non seulement l’écriture inclusive conduit à une dénaturation de la langue française, mais le désir d’égalité n’excuse pas le façonnage des consciences. Cette écriture s’accompagne en effet d’une politisation du langage de la part d’une minorité loin d’être consensuelle. Elle n’est utilisée que dans des cercles militants très restreints, et sa généralisation semble au moins prématurée, au pire peu souhaitable.
Comme notre collègue Bargeton, je citerai Roland Barthes : « Dès qu’elle est proférée, fût-ce dans l’intimité la plus profonde du sujet, la langue entre au service d’un pouvoir. » Oui, la langue entre au service d’un pouvoir, celui de la culture et de l’histoire dont nous sommes héritiers ! Le français est riche d’un passé glorieux. Nos écrivains, nos diplomates, nos figures illustres ont pensé dans cette langue prestigieuse dont l’influence est forte dans les pays de la francophonie.
Mais la langue française ne doit pas être instrumentalisée au service d’une repentance anachronique. L’écriture inclusive relève d’une idéologie militante dont ne doivent pas souffrir les élèves. Alors que ces derniers ont de plus en plus de mal à savoir lire et écrire, comme nous le démontrent les classements PISA, nous ne pouvons nous permettre d’alourdir et de complexifier l’apprentissage de la langue française.
M. Jean-Claude Requier. Tout à fait !
M. Bernard Fialaire. L’Académie française a déjà alerté sur le risque d’aboutir à une langue désunie, disparate dans son expression et créant une confusion qui confine à l’illisibilité.
M. Jean-Claude Requier. Très bien !
M. Bernard Fialaire. L’écriture inclusive consacre une rupture sans précédent entre la langue parlée et la langue écrite.
Si chacun est libre d’utiliser divers moyens de communication dans son espace privé, les services publics, ainsi que leurs agents, ne doivent pas communiquer par écrit dans une langue aussi incomprise que discriminante.
Mme Laurence Cohen. Oh !
M. Bernard Fialaire. À cet égard, je ne peux que soutenir la décision du ministre de l’éducation nationale de rejeter l’usage de l’écriture inclusive dans les manuels scolaires.
Il s’agit d’un barrage à la transmission de notre langue pour tous, raison pour laquelle je m’inscris en opposition, ainsi que l’ensemble de mon groupe, avec cette écriture compliquée. Loin de tout discours réactionnaire, je ne peux me résoudre à lire un « roman épicène » – de grâce, épargnez-moi l’allongement des fameuses phrases de Proust ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP.)
Mme le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mesdames les sénatrices, mesdames les sénateurs, messieurs les sénateurs, chères collègues, chers collègues, « nous voulons que doressenavant tous arrestz ensemble toutes autres procedeures soient […] enregistrez & delivrez aux parties en langage maternel francoys, et non autrement ».
Vous avez reconnu, chers collègues, l’une des prescriptions de l’ordonnance sur le fait de la justice, prise en 1539, à Villers-Cotterêts, par François Ier en un château où il reçut François Rabelais et Clément Marot.
Quatre siècles plus tard, l’article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958 déclare toujours que « la langue de la République est le français », mais, pas plus que l’ordonnance de 1539, la Constitution ne précise de quel français il s’agit. Toutefois, dans sa sagesse, le procureur général du roi avait précisé, en 1539, qu’il s’agissait du français comme langue maternelle, c’est-à-dire de la langue telle qu’elle est parlée dans la diversité de ses pratiques, de ses emprunts et de ses assimilations. Cette langue a beaucoup évolué depuis le XVIe siècle, et ses transformations successives ont accompagné celles de nos sociétés pour qu’elle demeure, en ce début du XXIe siècle, « ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre ».
Dans le monde, le français est aujourd’hui la langue de près de 300 millions de personnes, qui l’utilisent, la font évoluer et l’adaptent à des réalités sociales en perpétuelles mutations. Ces locuteurs, peut-être parce qu’ils ont une relation avec la langue française moins sacramentelle que la nôtre, lui apportent beaucoup pour qu’elle demeure vivante.
Ainsi, le 28 juillet 1979, la Gazette officielle du Québec publiait une instruction de l’Office de la langue française qui recommandait l’utilisation des formes féminines dans tous les cas possibles, soit à l’aide du féminin usité – une infirmière –, soit à l’aide du seul déterminant – la ministre –, soit par un néologisme – une chirurgienne –, soit par l’adjonction du mot femme : une femme-ingénieur.
On sait qu’une circulaire gouvernementale du même esprit, proposée par Mme la ministre Yvette Roudy en 1986, suscita une vive réaction des geôliers de la langue, qui lui reprochèrent de vouloir « enjuponner le vocabulaire ». Pourtant, l’usage a tranché, et je note que notre assemblée compte quatre-vingt-dix femmes qui ont souhaité se faire appeler « sénatrices », alors que vingt-huit autres demandent qu’on leur donne du « sénateur ». En revanche, je n’ai pas trouvé d’homme revendiquant le titre de « sénatrice ». (Rires sur quelques travées.)
Cette liberté donnée à la pratique de la langue doit être préservée, car elle fait toute sa richesse. Je note, avec malice, que la direction de la séance de notre assemblée n’applique pas à la lettre les rectifications orthographiques du français recommandées par l’Académie française en 1990. Ainsi, dans nos comptes rendus, le mot « événement » garde fièrement ses deux accents aigus, alors que l’Académie préconise de changer le second par un accent grave.
M. Jean-Pierre Sueur. L’Académie laisse la liberté d’utiliser cette orthographe !
M. Pierre Ouzoulias. Néanmoins, ces franchises linguistiques doivent s’exercer dans le respect de l’esprit de la langue et de ses usages afin qu’elle demeurât…
M. Antoine Lefèvre. Oh ! Il fallait le placer !
M. Pierre Ouzoulias. … intelligible et maîtrisable par le plus grand nombre.
S’agissant de l’utilisation typographique du point médian, il nous faut écouter un autre Conseil de la langue française, celui de la communauté francophone de Belgique, qui recommande un « emploi parcimonieux de ces formules » afin de ne pas trop entraver la lecture et l’écriture.
Sans dénier tout intérêt à ce débat, nous eussions préféré qu’il portât plus largement sur le recul de l’emploi du français dans de nombreux domaines de nos activités. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.) Je pense notamment à celui de la recherche, pour lequel les organismes nationaux obligent autoritairement leurs agents à publier dans un volapük vaguement dérivé de l’anglais. Pour la défense et illustration du français, il serait nécessaire, madame la secrétaire d’État, que votre gouvernement appliquât la loi dite Toubon du 4 août 1994.
M. Max Brisson. C’est vrai !
M. Pierre Ouzoulias. Enfin, protéger et promouvoir avec intelligence le français impose de ne point figer son usage par des règles désuètes qui en réserveraient la pratique à une petite caste de scribes.
Sur ce point, je conclus par cette citation d’Ernest Renan dont l’intelligence des relations d’une langue avec la Nation demeure d’une grande actualité : « Les langues sont des formations historiques, qui indiquent peu de choses sur le sang de ceux qui les parlent. » Il ajoute qu’une considération exagérée donnée à la langue a ses dangers : « On se renferme dans une culture déterminée, tenue pour nationale ; on se limite, on se claquemure. On quitte le grand air qu’on respire dans le vaste champ de l’humanité pour s’enfermer dans des conventicules de compatriotes. » (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER, ainsi que sur des travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à Mme Annick Billon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Annick Billon. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues sénatrices et sénateurs, depuis les années 1960 et particulièrement depuis le début des années 2000, nos sociétés connaissent une évolution de la place des femmes en ce qui concerne leurs carrières professionnelles, les métiers et les fonctions auxquels elles accèdent sans que l’appellation correspondant à leur activité et à leur rôle réponde pleinement à cette situation nouvelle.
L’égalité entre les hommes et les femmes ainsi que la reconnaissance du rôle de ces dernières dans la société est un combat juste, qui me tient particulièrement à cœur en tant que présidente de la délégation aux droits des femmes.
L’écriture inclusive, dont nous débattons aujourd’hui, se présente comme un des outils permettant d’offrir une meilleure visibilité aux femmes. Par l’écriture inclusive, on entend un ensemble de pratiques et d’annotations qui vise à donner une représentation égale des femmes et des hommes dans la langue écrite. Mais devons-nous penser qu’une modification des règles grammaticales de la langue française écrite sera un moyen de parvenir à une égalité entre les femmes et les hommes ? Je ne le crois pas.
Au-delà de l’objectif qu’elle poursuit, l’écriture inclusive pose plusieurs problèmes. Le premier est une réelle difficulté d’apprentissage : l’écriture inclusive rompt avec les règles de prononciation et de ponctuation, ainsi qu’avec les règles morphologiques que les jeunes élèves sont en train d’acquérir. De nombreuses associations de parents d’élèves ainsi qu’une large partie du corps enseignant se sont montrées hostiles à son application dans l’enseignement. Le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, s’est d’ailleurs prononcé contre cette pratique dans l’éducation nationale en octobre 2017. Simultanément, l’Académie française alertait sur le risque d’aboutir à « une langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l’illisibilité ».
L’écriture inclusive pose ensuite un problème majeur pour les personnes souffrant de handicap, comme cela a déjà été souligné. Je pense, par exemple, aux personnes malvoyantes et aux élèves dyslexiques ou dyspraxiques.
Pour les personnes malvoyantes, le problème est insoluble : tous les systèmes d’écriture connus ont vocation à être oralisés. Or il est impossible de lire l’écriture inclusive : « cher.e.s » ne se prononce pas. Le décalage graphie-phonie ne repose plus sur des conventions d’écriture, mais sur des règles morales que les programmes de synthèse vocale ne peuvent traiter et qui rendent les textes inaccessibles aux malvoyants.
Mme Laurence Rossignol. Y a-t-il des études le montrant ?
Mme Annick Billon. L’écriture inclusive devient donc, de fait, excluante pour une partie de la population. Elle se transforme en pratique complexe et élitiste.
Offrir une meilleure visibilité aux femmes dans nos sociétés est un but à poursuivre avec force et détermination, mais il ne me semble pas que l’écriture inclusive soit le meilleur moyen d’y parvenir. Je ne crois pas qu’une mutation d’ordre syntaxique puisse permettre d’accélérer une mutation sociale. C’est le sort fait aux femmes et l’usage de la langue qui doivent évoluer et non la langue elle-même.
Puisqu’il est question d’égalité au travers de ce débat, permettez-moi un hors sujet : ayons une pensée pour Chahinez Boutaa et les trente-huit victimes de féminicides depuis le début de l’année. Ces crimes inqualifiables démontrent notre incapacité à protéger ces femmes. C’est le triste constat d’une société inégalitaire au sein de laquelle, en termes de violences subies, le féminin l’emporte sur le masculin. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Marie-Pierre Monier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, « ce qui n’est pas nommé n’existe pas », écrivait le poète turc Ilhan Berk.
C’est incontestable : la langue que nous écrivons, que nous parlons, joue un rôle essentiel dans notre représentation du monde. Au cours des derniers siècles, elle a éludé, invisibilisé les femmes. Leur redonner leur juste place et ainsi ouvrir le champ des possibles, c’est tout le projet de l’écriture inclusive, que je préfère pour ma part qualifier d’écriture « égalitaire », et qui englobe en réalité un éventail de techniques.
Je nous invite, pour avoir un débat constructif, à la regarder telle qu’elle est, loin de toute caricature : accord de proximité, féminisation des noms de métiers, titres et fonctions, mots dits « épicènes », formes féminines et masculines pour parler d’un public mixte – abrégées ou non par le recours au point médian… Autant d’outils dont peuvent se saisir celles et ceux qui souhaitent encourager dans la langue une égalité de représentation entre les femmes et les hommes.
Parmi ces techniques, c’est le point médian, dernier symbole d’une logique typographique visant à faire ressortir les formes féminines, qui polarise le plus les critiques. Ce point médian suscite des troubles, des inquiétudes, quant à son maniement et à sa lisibilité, y compris au sein de mon groupe. Ces doutes, je les entends d’autant plus qu’ils peuvent être alimentés par de mauvais usages. Toutefois, lorsqu’on pratique bien l’écriture inclusive, on choisit ses formulations avec un souci permanent de lisibilité. Elle doit être pensée comme un outil pédagogique qui s’adresse à tout le monde.
Il est intéressant de constater que certains arguments qui lui sont opposés étaient déjà invoqués contre la féminisation des noms de métiers et fonctions. Je pense à l’argument subjectif de l’esthétisme, qui semble méconnaître la part que joue l’habitude dans notre appréhension des mots. Des termes comme « autrice » ou « poétesse » étaient encore d’usage jusqu’au XVIIe siècle : pourquoi ne pas se les réapproprier ? Je pense également à l’argument de la neutralité du masculin, qui repose sur l’idée qu’il y aurait une dualité : d’un côté, un masculin neutre générique ; de l’autre, un masculin spécifique désignant l’homme. Or les psycholinguistes qui se sont penchés sur cette question soulignent que le masculin dit « générique » s’efface toujours devant le masculin « spécifique » – lorsqu’on prononce le mot « sénateur », on se représente en premier lieu un homme.
La féminisation des noms de métiers et fonctions a longtemps été vivement décriée ; elle rencontre d’ailleurs toujours des résistances sur certaines travées de notre hémicycle. Appelée des vœux d’Édouard Philippe dans sa circulaire aux administrations de novembre 2017, elle apparaît désormais comme largement consensuelle, ce dont témoigne l’évolution récente de la position de l’Académie française sur le sujet. Cela sera peut-être l’avenir d’autres techniques d’écriture égalitaire – l’histoire en jugera.
Je souhaiterais préciser qu’il n’a jamais été question, ni pour moi ni pour la plupart de celles et ceux qui la défendent, d’obliger de recourir à l’écriture inclusive. Il ne s’agit pas de l’imposer, mais simplement de garantir la liberté de s’en emparer. A contrario, celles et ceux qui souhaitent l’interdire s’inscrivent dans une démarche coercitive rigide, se heurtant parfois à la réalité des usages. (Mmes Laurence Cohen et Michelle Meunier applaudissent.)
Mme Michelle Meunier. Tout à fait !
Mme Marie-Pierre Monier. Je conclurai par une citation d’Éliane Viennot, professeuse émérite de littérature, dont la réflexion sur ces sujets est bien connue : « Réfléchir aux meilleures pratiques de l’écriture inclusive et aux moyens de la diffuser, mesurer sérieusement ses effets psychosociaux et son impact sur les inégalités, n’est-ce pas un programme plus utile que de la peindre, encore et encore, en péril mortel ? La langue est le ciment de notre culture. Réjouissons-nous de la voir pensée, discutée, négociée. » (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, « la langue française est une femme. Et cette femme est si belle, si fière, si modeste, si hardie, touchante, voluptueuse, chaste, noble, familière, folle, sage, qu’on l’aime de toute son âme, et qu’on n’est jamais tenté de lui être infidèle », écrivait Anatole France.
Existe-t-il une langue, mes chers collègues, qui incarne mieux le respect de la féminité, le romantisme et la poésie que le français ? Cette langue magnifique, aussi présente dans la littérature que dans la diplomatie, est l’une des racines les plus profondes de notre civilisation et de notre culture. Être Français, c’est d’abord parler français, comme nous le rappelle l’article 2 de notre Constitution. C’est notamment ce qui faisait dire à Albert Camus : « Ma patrie, c’est la langue française. »
Aujourd’hui, fini les grands esprits et place aux idéologues et à la déconstruction de ce que nous sommes. Emmanuel Macron veut déconstruire notre histoire ; dans le même élan, on cherche à déconstruire la langue qui fait notre socle commun, qui protège le cœur de notre nation et relie, à travers la francophonie, ceux qui l’aiment et ceux qui s’y retrouvent.
Mme de La Fayette, la comtesse de Ségur et George Sand n’étaient pas au courant qu’elles utilisaient une langue sexiste. De cette idiotie est née – et maintenant prospère – l’écriture inclusive, qui n’est rien d’autre qu’une écriture de l’exclusion. En prétendant combattre les inégalités, cette nouvelle dérive met la langue française en grand péril et crée de nouvelles disparités : par la succession des points et des ruptures de mots, les malvoyants, les dyslexiques et les étudiants étrangers sont les premières victimes de ces saccades qui sont autant de saccages.
L’abolition du genre, l’obsession sexiste et l’apparition du neutre sont les fossoyeurs du français, alors que le niveau en orthographe des écoliers est déjà affligeant. Interdire l’écriture dite « épicène », que je qualifierai d’obscène,…
M. Jean-Pierre Sueur. C’est totalement ridicule !
M. Stéphane Ravier. … dans les écoles est donc une évidence absolue. Elle doit également être bannie des universités et de toutes les institutions publiques.
Ces militants « linguicides » sont les mêmes qui refusent de commémorer le bicentenaire de la mort de l’empereur Napoléon Ier, les mêmes qui travestissent la réalité de notre histoire pour imposer aux Français le poison de la repentance perpétuelle, les mêmes qui veulent faire table rase du passé, de notre identité pour nous priver du futur commun. Tous sont porteurs de la même motivation, du même virus mortel : la haine de la France. Leur volonté de la combattre, de l’abattre, passe aussi par la destruction de sa langue, étape décisive pour nous plonger dans le chaos culturel et identitaire.
Certains d’entre vous connaissent peut-être L’Albatros de Charles Baudelaire,…
Mme Laurence Rossignol. Un grand féministe !
M. Stéphane Ravier. … dont voilà un passage façon écriture inclusive :
Le.a poète.sse est semblable au.à la prince.sse des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer.ère ;
Exilé.e sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant.e l’empêchent de marcher.
Inutile de torturer davantage cette œuvre, ces quelques mots ainsi défigurés suffisent à démontrer toute l’absurdité et le danger que représente l’écriture inclusive pour la beauté et la compréhension de dame ou damoiselle langue française.
M. Jean-Pierre Sueur. Albert Camus n’aurait pas applaudi. Le citer est une imposture !
M. Julien Bargeton. Posture et imposture…
Mme le président. La parole est à Mme Micheline Jacques. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Micheline Jacques. Madame le président, madame la secrétaire d’État, chers collègues, les difficultés supplémentaires introduites par l’écriture inclusive dans l’apprentissage et l’appropriation de la langue française, à l’écrit comme à l’oral, auraient dû, à elles seules, clore le débat. En effet, pour les personnes « dys » – dyslexiques, dyspraxiques, dysorthographiques – et pour les non-voyants et les malvoyants, elle est sans aucune ambiguïté facteur d’exclusion.
La place des femmes dans la société constitue certes un défi éducatif, mais qui ne saurait occulter l’autre défi majeur que représente l’apprentissage de la lecture chez les jeunes enfants. Ce n’est pas faire injure aux immenses, mais inégales, capacités d’apprentissage des enfants que de reconnaître que la déconnexion entre la logique de la langue écrite et celle de l’oral rendra son appropriation moins fluide.
De ce point de vue, et forte de mon expérience d’enseignante, je dois dire d’emblée que j’approuve la ferme position du ministre de l’éducation en faveur de l’interdiction de l’écriture inclusive dans l’enseignement.
De fait, si une langue a vocation à évoluer avec la société, sa structure ne devrait ni se déconstruire ni se dénaturer pour s’enrichir. Par surcroît, jusqu’ici, la langue française a plutôt suivi un mouvement naturel, et inclusif, de simplification. Sa complexification conduira, au contraire, à renforcer le caractère élitaire de sa maîtrise.
Les femmes étant majoritaires au sein des populations illettrées, l’accès à la lecture et à l’écriture leur serait rendu encore plus difficile par un procédé qui ambitionne paradoxalement de les rendre plus visibles.
En outre, le recours au point médian vient détourner l’usage de ce signe de ponctuation qui indique la fin d’une phrase selon la règle « une phrase commence par une majuscule et se termine par un point » et qui sert la compréhension des textes. En détournant la ponctuation, l’écriture inclusive ne féminise pas seulement les mots, elle modifie les structures grammaticales et orthographiques de l’écriture.
J’observe d’ailleurs que l’effet dominateur des hommes sur les femmes, lequel résulterait de la règle selon laquelle « le masculin l’emporte sur le féminin », ne sera pas entièrement gommé : à bien y regarder, avec l’écriture inclusive, la féminisation procède généralement de l’adjonction du point médian et du « e » après un mot dans sa forme masculine. On pourrait dès lors en déduire la règle selon laquelle « le féminin vient après le masculin », ce qui nous fait revenir au point de départ !
Pourquoi, dès lors, ne pas faire évoluer la formulation de la règle ? Si l’on veut transformer les mentalités avec l’écriture, ce même objectif peut être atteint par l’enseignement de la distinction entre le genre des mots et le sexe des personnes, moins complexe et permettant d’éviter l’assignation au sexe de la personne.
De fait, un autre grand risque de l’écriture inclusive est à mon sens celui de l’essentialisation des femmes. Dans cette logique, la facteure, l’autrice, les défenseures, les actrices sont distinguées d’abord en tant que femmes, ce qui conduirait à terme au même effet pour les hommes. Mais à l’heure où notre époque refuse les déterminismes de genre, afin de permettre aux transgenres ou encore aux personnes qui ne souhaitent pas être déterminées de trouver pleinement leur place, il me semble qu’une reconfiguration de l’écriture à partir d’un axe binaire masculin/féminin irait à rebours de la société. Visuellement, le point n’inclut pas, mais établit une séparation entre la forme masculine et la marque du féminin.
De nombreux linguistes ont démontré le caractère en réalité « excluant » de ce mode d’écriture, qui déplace un sujet sociétal sur le terrain de la grammaire. Trente-deux d’entre eux ont ainsi publié une tribune collective pointant « outre les défauts fonctionnels » de l’écriture inclusive, l’absence de lien linguistique exclusif entre la féminisation des mots et la féminisation de la société et confirmant, en tout état de cause, l’effet d’éviction pour les personnes présentant des difficultés d’apprentissage.
Dans son ouvrage Le Sexe et la langue, l’un des signataires, Jean Szlamowicz, rappelle que l’expression « écriture inclusive » n’est pas née d’une évolution spontanée de la langue. Il s’agit d’un nom de domaine déposé en 2016 par une agence de communication, qui conduit à établir une distinction entre genre des mots et sexe des personnes.
Ce sont donc toutes ces raisons qui conduisent à considérer que l’écriture inclusive exclut plus qu’elle n’inclut. Dans cette optique, notre attention doit être concentrée sur les enfants. Nous devons nous garder de leur ajouter une contrainte supplémentaire, alors que les positions de la France au classement PISA nous éclairent sur les enseignements à conforter.
La féminisation des mots ou l’écriture épicène, qui privilégient les genres neutres, sont des vecteurs de visibilité pour les femmes, laissant à chacun le choix de les utiliser selon son appréhension de la langue. Le français est suffisamment riche pour offrir cette liberté, et l’esthétique particulière de la langue française dans l’imaginaire mérite d’être préservée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Pierre-Antoine Levi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant d’entamer mon propos, je tiens à saluer le travail remarquable de ma collègue Annick Billon en tant que présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité entre les hommes et les femmes.
La reconnaissance des droits des femmes est un sujet universel, qui ne doit pas seulement être porté par les femmes. Ce combat nous concerne tous et doit aussi être mené dans la langue française. Par exemple, les titres et les fonctions se féminisent, car de plus en plus de femmes occupent des postes qui étaient autrefois détenus par les hommes.
La langue n’est pas figée et s’adapte à l’évolution de la société. Cependant, l’évolution de la visibilité des femmes ne doit pas se faire au prix d’une dénaturation de la langue. L’écriture inclusive est à ce titre une aberration.
Les défenseurs de l’écriture inclusive se fondent sur la règle du « masculin l’emporte sur le féminin » pour prouver que les femmes ont été exclues de la langue française. Or il ne s’agit ici que d’un masculin grammatical. Personne ne peut voir dans cette règle la transposition d’une supposée prédominance de l’homme sur la femme, comme ils voudraient nous le faire croire.
Il faut arrêter de voir dans la langue française la retranscription d’une société patriarcale où le mâle dominant l’emporterait sur la femelle dominée.
Mme Laurence Rossignol. Et les féminicides ?
M. Pierre-Antoine Levi. Si nous n’écrivons plus comme au XVIe siècle, à la manière du poète Ronsard, « la rose qui ce matin avait déclose », c’est parce que le peuple, dans sa sagesse, a fait prévaloir le masculin, à la manière d’un genre neutre, car le féminin était trop difficile à prononcer.
L’écriture inclusive constitue une atteinte à la mémoire collective et à la construction de notre langue, qui a été façonnée par le peuple français au fil des siècles.
Ceux qui croient que notre langue est misogyne parce qu’elle serait « genrée » oublient que c’est la marque des langues latines comme l’italien ou l’espagnol. D’ailleurs, les genres ne sont qu’arbitraires : les mots « une girafe », « un zèbre » ou « un éléphant » désignent aussi bien le mâle que la femelle.
Si le français exclut le féminin, comment expliquer que notre langue ait féminisé les piliers de notre société : la liberté, la démocratie, la République, la fraternité ? Il y en aurait tant d’autres à citer ! Les hommes devraient-ils à leur tour s’émouvoir et se sentir exclus lorsque les mots qui les caractérisent ont un genre féminin ? Un homme peut très bien être « une sentinelle », « une sage-femme » ou « une nouvelle recrue ». Cette écriture inclusive n’est pas seulement illisible et imprononçable ; elle est aussi un « péril mortel » aux yeux de l’Académie française. Dans la mesure où le parler sera différent de l’écrit, il n’y aura plus d’unité, car l’écriture ne retranscrira plus le langage.
Cette déconstruction par pure idéologie entraîne également de nombreuses difficultés pour l’apprentissage. Quand on sait que 25 % des élèves qui arrivent en sixième ont des difficultés pour lire et écrire, on se demande pourquoi il faudrait ajouter de la complexité à l’une des langues les plus difficiles au monde.
Ainsi, la députée Clémentine Autain écrivait le 29 mai 2018 sur Twitter : « Nous refusons que les droits de nos enfants, étudiant.e.s, élèves, soient à ce point bafoué.e.s. » « Bafoué » se rapporte ici à « droits » : c’est donc une erreur que de l’écrire au féminin. Si même les chantres de l’écriture inclusive se mettent à faire des fautes, comment voulez-vous que nos enfants s’y retrouvent ? (M. Stéphane Piednoir s’esclaffe.)
Pensons également à nos amis francophones ! Si les pays du Maghreb, d’Afrique ou le Canada rejetaient l’écriture inclusive, il y aurait alors une rupture de la francophonie. Notre langue s’en trouverait désunie et de moins en moins parlée dans le monde.
Il y a donc une différence fondamentale entre une évolution imposée par l’idéologie politique et une évolution naturelle tenant compte des mutations de la société. En 2021, près de 150 mots sont entrés dans le dictionnaire, comme « black bloc », « dégagisme » ou « féminicide ». Greta Thunberg a même fait son entrée dans la catégorie des noms propres !
Ces mêmes idéologues nous expliquent depuis des années que le sexe ne doit pas être assimilé à l’identité de genre. Et voilà que, à propos de l’écriture, ils considèrent que le genre grammatical est le reflet de leur vision de la société, où la femme serait dominée par l’homme.
Pour terminer, je reprendrai un extrait de la tribune écrite par trente-deux linguistes dans le journal Marianne en septembre 2020 : « En introduisant la spécification du sexe, on consacre une dissociation, ce qui est le contraire de l’inclusion. En prétendant annuler l’opposition de genre, on ne fait que la systématiser. »
L’écriture supposément « inclusive » entraîne, en réalité, une exclusion réciproque entre les hommes et les femmes. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe INDEP.)
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol. (Mme Marie-Pierre Monier applaudit.)
Mme Laurence Rossignol. Madame le président, madame le secrétaire d’État, chers collègues sénateurs…
Une telle introduction a dû vous faire dresser l’oreille. Vous vous êtes dit que la manière dont je m’adressais à notre assemblée en cet instant ne correspondait pas à la réalité de sa composition. Dans cette assemblée, en effet, il y a Mmes les sénatrices, Mme la présidente, Mme la secrétaire d’État et MM. les sénateurs. Or, il y a une quinzaine d’années, c’est ainsi que nous nous exprimions dans cette maison. Celles et ceux qui choquaient étaient celles et ceux qui féminisaient nos fonctions. Je fais ce rappel pour apaiser mes collègues.
Aujourd’hui, tout le monde trouve cette féminisation normale. Pourtant, au moment où cette évolution a eu lieu, elle a rencontré d’énormes résistances. Voilà seulement trois ans, à l’Assemblée nationale, un député a été sanctionné parce qu’il s’obstinait à dire « madame le président » à la femme qui présidait la séance. La langue évolue, parce que la société évolue.
En disant « mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs », je m’exprime en langage inclusif.
M. Stéphane Piednoir. Ce n’est pas pareil !
Mme Laurence Rossignol. Le langage inclusif, c’est beaucoup de choses. C’est d’abord la féminisation des noms de métiers, de fonctions et de personnes. L’écriture inclusive ne concerne jamais ni les choses ni les concepts. Par exemple, on ne dit pas la balai, au prétexte que ce sont toujours les femmes qui le manient ! (Rires sur les travées du groupe SER.) On n’utilise donc le langage inclusif que pour désigner les hommes, les femmes et les fonctions.
Le langage inclusif consiste aussi à rechercher les mots qui n’excluent pas les femmes. Le meilleur exemple est celui de l’expression « droits de l’homme ». On me dit que le masculin est générique avant d’être masculin et, donc, tout le monde devrait être bien content ! Or les femmes ne se reconnaissent pas quand on parle de « droits de l’homme ».
Je pourrais éventuellement suivre ceux qui me disent que les droits de l’homme concernent aussi les femmes. Ce serait vrai si les droits de l’homme avaient concerné les femmes. Or, dans la mesure où ils n’étaient pas les mêmes pour les hommes et pour les femmes, j’en déduis que ce n’est pas totalement un hasard si on préfère parler de droits de l’homme, lesquels excluaient effectivement les femmes, qui n’avaient pas les mêmes droits.
M. Max Brisson. Réécriture !
Mme Laurence Rossignol. Monsieur Brisson, je ne vous ai pas interrompu ! Pourtant, vous avez dit des choses qui m’ont écorché les oreilles !
Je préfère donc parler des droits humains, qui concernent les hommes et les femmes, sans exclure qui que ce soit.
Sur quoi porte le désaccord ? D’abord, peut-être, sur notre constat de l’effet du masculin générique. Je pense que le masculin générique, et des linguistes le pensent avec moi, excluent les femmes. Il ne permet pas de représenter et de visibiliser les femmes. Nous travaillons les uns et les autres à permettre une meilleure visibilité des femmes dans la langue. Nous avons les mots épicènes, qui ont été évoqués. Nous avons aussi le point médian.
M. Stéphane Piednoir. Quelle horreur !
Mme Laurence Rossignol. J’ai entendu que le point médian était défendu par des féministes radicales et excessives. Je le souligne, les féministes du moment sont toujours radicales et excessives. Les bonnes féministes, celles qui ont eu raison, sont celles d’avant. Pourtant, à leur époque, elles étaient aussi qualifiées de radicales. Ainsi, les féministes radicales d’aujourd’hui seront les féministes dont tout le monde louera l’apport dans une dizaine d’années. Au reste, les féministes ne sont pas celles qui parlent le plus du point médian.
Il existe quatre propositions de loi visant à interdire l’écriture inclusive, nous avons ce débat aujourd’hui, il y a une circulaire du Premier ministre et une déclaration du ministre de l’éducation nationale… Ce n’est pas sérieux ! La bataille contre le point médian est devenue une bataille politique. C’est une bataille de résistance à l’évolution de la société.
Mes chers collègues, je conclurai sur ce point, qui, je le sais, va vous fâcher : il s’agit de la même résistance que celle de 2014 contre le mariage pour tous et la théorie du genre, contre la PMA pour toutes, contre l’allongement des délais d’IVG. Dans la mesure où ces batailles sont derrière nous et qu’elles ont été gagnées par le pays, les mêmes se retrouvent aujourd’hui sous une nouvelle bannière, celle du point médian. Bonne croisade, bonne bataille ! Pendant ce temps, la langue évolue. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Laurence Cohen et M. Thomas Dossus applaudissent également.)
Mme le président. La parole est à Mme Anne Ventalon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Anne Ventalon. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, si les langues ont vocation à permettre aux hommes de communiquer entre eux, il est permis de convenir que le français a poussé assez loin cette logique, jusqu’à l’universel. Après avoir été la langue de la diplomatie européenne, il a été celle de l’olympisme, et la France détient toujours le record du nombre de prix Nobel de littérature. En cela, c’est un bien collectif. Aucune faction ne devrait pouvoir le confisquer pour servir ses intérêts.
Le français est une langue syllabique, qui implique de pouvoir lire à haute voix sa forme écrite. C’est aussi une langue irrégulière, dont l’apprentissage est réputé difficile. Malgré cela, nous observons que certains militants s’activent pour la complexifier en ajoutant un nouveau mode grammatical : l’inclusif. Ils la parasitent de déclinaisons imprononçables et de pronoms fantaisistes, non pas pour la nourrir, puisque, après tout, la langue est un organe vivant, mais pour la refonder et substituer au français un idiome seulement compréhensible d’un groupe de locuteurs, qui, sous le masque de l’égalité, cultive l’entre-soi d’une avant-garde éclairée.
Un tel sabir visant à se démarquer pourrait nous divertir, comme le faisaient les vieux jargons français d’autrefois, tels le javanais, le louchébème ou même le verlan, qui remonte au XIIe siècle. Sauf qu’aujourd’hui les facéties des promoteurs de l’écriture dite inclusive ne nous amusent plus : nous sommes passés de Queneau à Orwell, de l’argot à la novlangue !
Du camp de ses partisans, j’entends monter le contentement de renverser les statues de linguistes distingués disparus il y a trois ou quatre siècles. Ce ne sont pas eux qu’ils touchent. En imposant leurs écrits indéchiffrables, ils sapent en réalité le patient travail de nos instituteurs et de nos professeurs de français, qui s’efforcent de transmettre à leurs élèves, dont le français n’est parfois pas la langue maternelle, l’autonomie dans la lecture et l’écriture, donc dans la vie.
Malgré cela, en fin de troisième, 15 % des collégiens ne maîtrisent pas le français ou le maîtrisent mal. En outre, 27 % des entreprises ou administrations interrogées déplorent régulièrement des problèmes causés par l’incompréhension de la langue écrite. Les orthophonistes nous alertent sur les difficultés bien réelles engendrées par l’inclusif pour la lecture des dyslexiques, sans parler de celles qui sont rencontrées par les malvoyants et les personnes âgées.
Alors, c’est vrai, en français, le genre neutre est porté par le masculin. Cette règle date du XVIIe siècle, époque à laquelle l’Académie a voulu encadrer l’usage d’une langue encore adolescente. Mais est-ce vraiment la grammaire qui a mis les femmes en état de minorité ? Lui faire porter cette responsabilité au nom de la « représentation mentale » induite ne me semble guère étayé. A contrario, le persan, le chinois ou le turc ne distinguent pas les genres : sont-ils pour autant des facteurs de libération pour leurs locutrices ?
Cependant, et par définition, une langue vivante n’est pas inerte. Je me réjouis en cela de la féminisation des métiers et des fonctions qui ont tant tardé à être exercés par des femmes. Mais n’embrigadons pas notre langue ! N’en faisons pas un ferment de division, alors qu’elle doit rester ce terrain d’entente et, donc, de dialogue.
Miner la structure même de la langue, c’est signifier aux individus d’une société qu’ils n’ont plus d’essence commune, qu’ils n’ont plus vocation à s’adresser les uns aux autres, qu’ils n’ont finalement plus rien à faire ensemble. Or, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, aujourd’hui, notre société a davantage besoin de traits d’union que de points médians. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de l’éducation prioritaire. Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je suis heureuse, après vous avoir attentivement écoutés, de m’exprimer au nom du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports sur la question de l’écriture inclusive.
Si le sujet est aujourd’hui débattu dans cet hémicycle, c’est bien, et cela a été rappelé à plusieurs reprises, parce que nous ne parlons pas d’un petit sujet, d’une lubie de quelques personnes isolées qui se seraient prises de passion pour un nouveau jeu littéraire. L’écriture inclusive n’a rien à voir avec un exercice de style. Elle est un enjeu de société, un enjeu à la fois éducatif et politique, c’est-à-dire un enjeu qui nous préoccupe tous.
Que l’on ne s’y trompe pas. Je ne parle pas ici de l’évolution nécessaire de la langue et des usages consistant à accorder les métiers et les fonctions selon le genre. Cette évolution est un progrès évident, que nous saluons, salutaire pour les femmes et pour la société dans son ensemble. Je ne parle pas de la féminisation des noms, mais bien de l’écriture dite « inclusive », au sens où l’entend la circulaire du Premier ministre Édouard Philippe du 21 novembre 2017, à savoir en tant que « pratiques rédactionnelles et typographiques visant à substituer à l’emploi du masculin, lorsqu’il est utilisé dans un sens générique, une graphie faisant ressortir l’existence d’une forme féminine ». En clair, nous parlons bien aujourd’hui du point médian et des néologismes dits neutres, comme le pronom non binaire « iel », censé remplacer à la fois le « il » et le « elle ».
Cette écriture dite « inclusive » prend de l’essor et dépasse aujourd’hui très largement la sphère militante ou associative. On la retrouve désormais dans certains journaux, on la voit exploser sur les réseaux sociaux, on ne s’en étonne plus dans la communication des entreprises ni dans les publicités de marques grand public.
Nul n’ignore aussi combien son usage s’est répandu à l’université, dans certains intitulés de cours, de travaux dirigés ou de publications. Certains professeurs, que je crois volontiers peu nombreux, approuvent de telles pratiques et l’encouragent même, au détriment d’élèves ou d’étudiants qui ne voudraient ou, tout du moins, ne sauraient en faire usage.
De même, à l’université, et désormais à l’école, de plus en plus d’élèves l’emploient dans leurs copies, et nos professeurs se trouvent bien en peine de les corriger, souvent désemparés et dépassés par l’ampleur du phénomène. Leur embarras est légitime. Comment, en effet, s’opposer à une écriture qui prétend lutter pour l’égalité entre les femmes et les hommes et manifester la diversité du genre humain ? Pourquoi prendre le risque de se mettre à dos un, sinon plusieurs, élève ou collègue ? Comment ne pas plier face aux pressions, aux intimidations parfois, car elles existent, sommant d’y avoir recours ?
Face à cela, il est une réponse : l’institution. L’institution, c’est-à-dire l’État, doit se prononcer avec clarté et fermeté sur un tel sujet, car elle est la seule à pouvoir fixer la norme à laquelle chacun peut se référer en toutes circonstances.
Quatre ans après la circulaire de 2017 et l’avertissement de l’Académie française, je veux donc le redire avec la force et avec la conviction que seule donne l’évidence : l’écriture inclusive est un danger pour notre école ; elle est un danger pour notre langue ; elle est un danger pour les principes mêmes de notre République ; elle est donc un danger pour notre pays.
Mme Laurence Rossignol. Pas l’écriture inclusive : le point médian !
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État. Je ne vous ai pas interrompue, madame la sénatrice !
Je commencerai par parler de l’école. L’écriture dite « inclusive » vient battre en brèche la mission première de tout système éducatif : apprendre à lire.
Nul ne peut contester les difficultés de lecture qu’entraîne déjà pour l’adulte une telle graphie. L’écriture inclusive nous fait buter sur les mots, nous contraint au bégaiement. Elle rend la marche d’un texte chaotique, elle disloque les mots en les fendant en deux. L’écriture inclusive nous contraint à la myopie : on ne voit plus que le mot écrit, on ne voit pas plus loin que le mot, on oublie le sens de la phrase, on perd finalement le sens tout court. L’écriture inclusive marque le retour au stade du déchiffrage ; elle est une régression de l’acte de lire.
Mme Laurence Cohen. Oh là là !
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État. Chacun peut donc imaginer combien ces difficultés de lecture sont décuplées chez le jeune enfant qui apprend à lire. Vous le savez sans doute, madame la sénatrice, en classe de CP, les élèves apprennent à associer les lettres, dont la combinaison produit des sons, qui se combinent en mots. Ces mots font ensuite des phrases, dont l’enfant comprend enfin le sens. Il ne faut pas moins que l’association de cinq étapes successives pour apprendre à lire.
Tous les enfants ont besoin de règles claires. Aucun élève n’apprend dans le flou. Pour l’apprentissage de la langue française, les programmes scolaires se réfèrent aux normes orthographiques et grammaticales en usage, et les mêmes règles sont enseignées à tous. La clarté de la norme est la condition indispensable de la transmission.
À l’opposé exact de cela, les militants de l’écriture inclusive font évoluer leurs propres règles syntaxiques au gré des semaines. On ne compte plus les querelles intestines pour décider à quel endroit exactement placer le point médian, quels accords privilégier, jusqu’où aller dans le démembrement de la phrase. L’écriture inclusive a ses radicaux et ses modérés, ses pacifistes et ses jusqu’au-boutistes.
Mme Laurence Cohen. Quelle caricature !
Mme Laurence Rossignol. Indigne d’une ministre !
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État. En vérité, la question est simple : peut-on se payer le luxe, en France, d’aggraver les difficultés de lecture de nos élèves ?
M. Joël Guerriau. Non !
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État. Il suffit de regarder les résultats des évaluations nationales pour se convaincre du contraire.
Moi qui suis, semaine après semaine, au contact des élèves de l’éducation prioritaire,…
Mme Laurence Rossignol. Et nous, non ?
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État. … je vous alerte sur ce point. En dépit d’un progrès indubitable depuis 2018, à l’entrée en sixième, un nombre encore trop important d’élèves présente des difficultés de déchiffrage manifestes, qui sont inquiétantes.
Mme Laurence Cohen. Ce n’est pas l’écriture inclusive la responsable !
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État. De fait, l’écriture inclusive constitue bien un obstacle pour l’acquisition de la langue et de la lecture pour la très grande majorité des enfants, sinon pour tous.
Mme Laurence Rossignol. L’écriture inclusive fait tourner la mayonnaise…
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État. Comme l’a écrit récemment le professeur émérite Bernard Cerquiglini, l’écriture inclusive rompt avec le courant progressiste, qui, depuis le XVIe siècle, milite en faveur d’une lisibilité démocratique de l’écrit. Il est donc tout à fait exact de parler d’écriture excluante.
M. Max Brisson. Très bien !
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État. L’écriture inclusive est excluante au moins à un autre titre : elle est inadaptée aux élèves présentant des troubles d’apprentissage. Je pense en particulier aux enfants atteints de dyslexie, de dyspraxie ou de dysphasie.
Mme Laurence Cohen. N’importe quoi !
M. Joël Guerriau. Si, c’est vrai !
Mme Laurence Cohen. La dyslexie et la dyspraxie, ce n’est pas ça !
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État. Je pense aussi à tous les enfants en situation de handicap, enfants autistes, enfants malvoyants, qui dépendent de logiciels d’aide à la lecture incapables de reconnaître l’écriture inclusive et, donc, de restituer le texte lu.
Aussi, la typographie de l’écriture inclusive – une typographie qui ne se lit pas et ne se dit pas, une typographie instable, qui dépend du bon vouloir créatif de chacun, une typographie incapable de se choisir une règle orthographique plutôt qu’une autre – n’a en vérité aucunement sa place dans notre école.
M. Antoine Lefèvre. Et aucun avenir !
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État. Par conséquent, parce que nous défendons une école véritablement inclusive,…
Mme Laurence Cohen. Ça ne se voit pas !
Mme Laurence Rossignol. Commencez par payer les AESH !
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État. … parce que nous mettons l’intérêt supérieur de l’élève au-dessus de tout, et parce qu’enfin nous croyons, comme l’a écrit Jean Zay…
Mme Laurence Cohen. Encore un exemple masculin !
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État. … en 1936, que « l’école doit rester l’asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas », le ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports vient de publier une circulaire proscrivant son usage dans les enseignements.
M. Joël Guerriau. Très bien !
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État. Elle viendra conforter nos élèves dans leurs apprentissages et conforter nos professeurs dans leur travail.
M. Max Brisson. Très bien !
Mme Laurence Rossignol. Mesdames, messieurs les sénateurs ?
Mme le président. S’il vous plaît !
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État. … nous pourrions nous en tenir à souligner l’inadéquation fondamentale entre écriture inclusive et apprentissage de la lecture.
Mme Laurence Cohen. Caricature !
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État. Autrement dit, nous pourrions nous en tenir à l’école. L’école est le creuset de la République. L’école a tout à voir avec la République, et ce qui touche aux principes fondamentaux de notre République touche nécessairement à notre école.
Mme Laurence Rossignol. Blablabla !
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État. Beaucoup a déjà été dit cet après-midi sur les dangers que constitue l’usage de l’écriture inclusive pour notre langue et pour notre pays.
Vous avez ainsi parlé de la francophonie. En effet, comme s’en est inquiétée l’Académie française, je suis convaincue que la généralisation de l’écriture inclusive, qui complexifie abusivement notre grammaire et notre orthographe, qui ne sont déjà pas si simples, marquerait la mort annoncée de la pratique de la langue française dans le monde. Rappelons qu’il n’y a pas d’accord des adjectifs en anglais et quasiment pas d’accord des verbes non plus. Cette simplicité est un avantage compétitif évident pour la diffusion de l’anglais dans le monde. Tout autre est le cas des langues romanes, qui nécessitent connaissance du masculin et du féminin de chaque nom et accord des adjectifs.
Dans cet environnement linguistique déjà complexe, les tenants de l’écriture inclusive, en refusant d’accorder au masculin sa fonction de neutre, font le choix assumé d’accroître considérablement les difficultés préexistantes de notre langue par l’excroissance artificielle des mots.
M. Max Brisson. Absolument !
Mme Laurence Rossignol. C’est tellement réac !
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État. Par conséquent, avec l’expansion de l’écriture inclusive, la langue anglaise, déjà en situation quasiment hégémonique à travers le monde, gagnerait à coup sûr et probablement définitivement sur la langue française. Je parle de l’anglais, mais je pourrais parler de bien d’autres langues. Mesdames, messieurs les sénateurs, l’écriture inclusive, je le crois, signe le déclin du français parlé dans le monde.
Vous avez aussi parlé du lien irréductible qui lie notre pays à sa langue. « L’histoire de France commence avec sa langue », nous dit Michelet. Nous sommes les dépositaires temporaires des mots, des voix, des âmes qui ont sculpté la langue française par le passé. Par nos vies, nous sommes les bâtisseurs de la langue que, à notre tour, nous devons transmettre. Notre langue ne s’est pas faite en un jour.
Mme Laurence Rossignol. Ah bon ?
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État. Elle est le résultat d’une longue histoire, d’une longue tradition faite d’enrichissements progressifs et d’apports successifs.
Mme Laurence Rossignol. On en apprend des trucs…
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État. J’en suis heureuse, madame la sénatrice.
La langue est une chaîne de vie, dont nous ne sommes qu’un maillon.
Cette vérité appelle l’humilité et doit tempérer l’hubris de quelques-uns. Cette vérité doit aussi nous pousser à réfléchir par deux fois avant d’accepter des évolutions moins dictées par l’usage courant que par la nouvelle doxa du temps présent.
Cela a été dit, l’écriture inclusive participe d’une idéologie qui, comme toute idéologie, ne souffre pas la contestation et dont les partisans cherchent au contraire à imposer leurs vues à tous. Cette idéologie oppose les hommes et les femmes, les dominants et les dominés. Elle fait du terrain linguistique un champ de bataille où deux camps combattent face à face.
Sans doute vaudrait-il mieux éviter dans un cours de grammaire de dire que « le masculin l’emporte sur le féminin ». En revanche, on peut tout simplement dire qu’au pluriel le mot s’accorde au masculin, qui, dans la langue française, fait office de neutre.
L’écriture inclusive est donc le refus du neutre, c’est-à-dire de l’universel. L’écriture inclusive, c’est rendre visible le genre et rendre invisible l’universel. Ce mouvement d’inversion de la norme est en contradiction totale avec les principes mêmes de notre République, qui rassemble avant d’exclure, qui unit avant de séparer. Par conséquent, l’écriture inclusive n’est pas seulement illisible, inintelligible, impraticable et préjudiciable aux apprentissages, pas uniquement le choix délibéré d’exclure une partie de nos concitoyens,…
Mme Laurence Cohen. Insupportable !
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État. … elle est une méconnaissance absolue et, je crois, voulue de notre langue et de son histoire, une tentative d’appauvrissement de notre manière de penser et, plus encore, de nous penser.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’école de la République apprend à chaque élève à habiter sa langue, c’est-à-dire à être porté par une littérature qui a toujours célébré cet esprit de liberté et de partage qu’est l’esprit français.
Notre langue est davantage qu’un trésor : elle est notre destinée commune. C’est par la langue que nous devenons nous-mêmes et que nous nous projetons au-delà, vers cet universel qui caractérise le rapport si singulier que les Français entretiennent avec le monde.
Mme Laurence Cohen. Quelle prétention !
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État. Sachons donc la garder belle et l’énoncer clairement sans jamais cesser de l’enrichir. Les générations à venir nous en sont tributaires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)
Mme Laurence Rossignol. Les Républicains applaudissent… Ici, c’est la PACA permanente !
Mme le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Écriture inclusive : langue d’exclusion ou exclusion par la langue. »
5
Association de Taïwan aux travaux de plusieurs organisations internationales
Adoption d’une proposition de résolution
Mme le président. L’ordre du jour appelle, à la demande des groupes Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants et Les Indépendants – République et Territoires, l’examen de la proposition de résolution, en application de l’article 34-1 de la Constitution, en faveur de l’association de Taïwan aux travaux de plusieurs organisations internationales, présentée par MM. Alain Richard, Joël Guerriau et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 493).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Alain Richard, auteur de la proposition de résolution.
M. Alain Richard, auteur de la proposition de résolution. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite vous présenter brièvement le contexte et l’objet de notre proposition de résolution.
Nous sommes dans une situation marquée par la séparation de Taïwan et de la Chine continentale depuis 1949, à l’issue d’une guerre civile de plus de vingt ans qui s’est conclue par la prise de pouvoir du parti communiste chinois et l’instauration de la République populaire. La France, puis les États-Unis et, à leur suite, la plupart des États de la communauté internationale ont reconnu le régime de Beijing comme le représentant de toute la Chine. La République populaire de Chine a repris en 1971 le siège de cette puissance au Conseil de sécurité de l’ONU.
En conséquence, Taïwan a été ramenée à une entité non étatique, bien que l’île soit en fait dotée de tous les attributs d’un État sur son territoire de 36 000 kilomètres carrés – l’équivalent de la superficie des Pays-Bas – et peuplé de 23 millions d’habitants – une population comparable à celle de l’Australie.
Depuis lors, Taïwan a évolué de son côté en devenant, d’une part, une puissance économique significative qui prend toute sa part dans le décollage de l’Asie de l’Est et, d’autre part, une société de plus en plus libre et ouverte, avec des élections réellement libres et pluralistes, une presse libre, un développement scientifique et culturel débarrassé des censures. Du côté de la Chine continentale, nous savons que l’évolution est différente.
Les autorités de la Chine populaire ont toujours affirmé leur volonté de faire revenir Taïwan dans leur souveraineté. À cette fin, elles ont formulé dès les années 1980 la doctrine « un pays, deux systèmes », qui, on le sait, a été appliquée ensuite à Hong Kong, avec l’évolution ultérieure que nous observons.
À des périodes diverses, ces autorités ont exercé des pressions militaires à proximité de Taïwan, soutenues par des lois prévoyant l’emploi de la force au cas où Taïwan déclarerait formellement son indépendance. Ces pressions militaires se sont renforcées au cours des deux dernières années en cohérence avec la montée très prononcée des capacités de défense de la Chine populaire.
La France conduit toute son action internationale dans le cadre du multilatéralisme organisé et, donc, des institutions internationales où les États prennent ensemble des mesures de régulation ou de promotion destinées à améliorer le sort des citoyens du monde, au sein duquel priment leur sécurité et leur santé. Notre pays souhaite logiquement qu’une entité comme Taïwan, dont la contribution à la vie internationale est importante dans de nombreux domaines, puisse y être entendue.
Dans leurs textes organiques, les organisations que nous mentionnons dans la proposition de résolution autorisent la participation d’entités non étatiques dont l’intervention est utile à leur mission. Il est évident que c’est le cas de Taïwan dans bien des champs d’action, le plus emblématique étant bien sûr celui de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), compte tenu de l’expérience éclatante de l’île en ce qui concerne la gestion de la pandémie mondiale sur son sol. Mais cela est vrai aussi pour Interpol, pour l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) et pour la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.
Les autorités françaises ont régulièrement réalisé des démarches au sein de ces enceintes internationales pour obtenir qu’elles consentent à la participation de Taïwan, certes avec un statut d’observateur, mais avec un accès aux informations et aux réflexions produisant un effet utile. Notre proposition de résolution se veut donc, monsieur le secrétaire d’État, une approbation et un encouragement adressés à notre exécutif pour qu’il continue ses interventions en partage avec d’autres puissances.
Le point saillant relevé dans notre texte est que les autorités de la République populaire de Chine ont accepté que Taïwan participe aux travaux de l’OMS pendant plusieurs années, estimant que ce concours ne contrevenait pas à leur politique nationale, qui a comme but ultime la réunification.
La position de Beijing a changé en 2016 à la suite de l’élection et de l’entrée en fonction de Mme Tsai Ing-wen. Celle-ci a pourtant bien déclaré qu’elle entendait respecter le statu quo entre les deux rives du détroit, ce qui se confirme dans les faits depuis cinq ans.
Nous sommes donc fondés à estimer respectueusement que la République populaire de Chine pourrait, sans infléchir ses positions de fond, accepter à nouveau une collaboration des représentants de Taipei à l’Assemblée annuelle de l’OMS et, par conséquent, aux outils concrets de coopération en faveur de la santé mondiale qui y sont discutés.
En sollicitant de tous nos collègues un soutien à cette proposition de résolution dont l’inspiration est constructive et conciliatrice, nous entendons – je veux le dire très clairement – respecter la loi internationale…
Mme le président. Il faut conclure, cher collègue !
M. Alain Richard. … et n’engager aucune initiative visant à perturber l’équilibre fragile qui prévaut dans cette région soumise à des tensions graves.
Mme le président. Il faut vraiment conclure !
M. Alain Richard. Je conclus, madame la présidente.
En cohérence avec la conduite constante de la France sur cette question, nous ne pouvons que recommander la retenue et la recherche de solutions pacifiques et négociées.
La proposition de résolution soumise à votre approbation, mes chers collègues, s’inscrit sans équivoque dans cette ligne. Nous vous la soumettons par conséquent avec confiance. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, SER, INDEP, UC et Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Joël Guerriau, auteur de la proposition de résolution.
M. Joël Guerriau, auteur de la proposition de résolution. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de résolution que nous présentons est conforme aux engagements de notre pays, qui consistent à défendre le bon fonctionnement de la santé pour tous dans le cadre de l’Organisation mondiale de la santé, à lutter contre la criminalité transnationale via Interpol, à assurer la sécurité aérienne civile internationale sous l’égide de l’Organisation de l’aviation civile internationale et, enfin, à trouver des solutions viables pour le changement climatique grâce à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.
Tous ces sujets impliquent nécessairement des efforts concertés de la part de toutes les nations et la participation de tous les citoyens du monde vivant sur notre planète. Les différences d’opinions politiques doivent être mises de côté, car ces questions essentielles dépassent les frontières.
S’agissant de la santé, cet état d’esprit est d’ailleurs bien retranscrit dans la Constitution de l’OMS : « La possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soient sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale. » Pourtant, Taïwan ne peut pas participer aux travaux de l’OMS ni à ceux des autres instances internationales spécialisées, ce qui ne se justifie pas.
La superficie de Taïwan est proche de celle des Pays-Bas et sa population équivalente à celle de l’Australie. L’île a un PNB légèrement supérieur à celui de la Suède ou de la Turquie.
Taïwan importe plus que la Russie, l’Australie ou le Brésil et exporte davantage que l’Espagne ou l’Inde. Les relations commerciales de Taïwan atteignent un niveau proche de celles de la Norvège, et, si l’on considère le volume d’échanges avec la France, ce pays est un partenaire plus important pour nous que la Thaïlande, le Nigéria, la Malaisie, l’Indonésie ou l’Australie.
La France a des intérêts dans cette partie du monde. Taïwan produit 84 % des semi-conducteurs les plus sophistiqués utilisés sur la planète. Comme vous le savez, mes chers collègues, notre industrie automobile en dépend.
En raison de l’importance des échanges internationaux que ces activités économiques engendrent, il est anormal que Taïwan, qui dispose de deux compagnies aériennes réputées mondialement, ne puisse pas participer aux débats concernant la sûreté aérienne, les services de navigation, la protection de l’environnement et les questions économiques.
De même, avec l’augmentation constante des passagers qui transitent par Taïwan, il est regrettable que ce pays soit exclu d’Interpol, alors que nous souhaitons accentuer nos efforts pour lutter contre le terrorisme, le trafic de drogue et toutes les formes de criminalité.
S’appuyant sur des valeurs démocratiques profondément ancrées, Taïwan a été largement saluée à travers le monde pour son excellente gestion de la crise sanitaire liée à la covid-19. À ce jour, on dénombre un petit millier de personnes infectées et on déplore seulement une dizaine de décès. Il convient de souligner que Taïwan a offert 54 millions de masques chirurgicaux et des fournitures destinées à contrer la pandémie à plus de 80 pays.
En effet, ce pays partage avec la France un attachement fondamental à la démocratie et aux valeurs universelles. Les principes démocratiques qui prévalent à Taïwan sont une source d’inspiration. À Taïwan, toute personne peut librement s’exprimer, et les journalistes ne connaissent pas la censure. Taïwan est considérée comme le pays le plus libre d’Asie, au même niveau que la France.
Les femmes ont un statut égal à celui des hommes. Non seulement c’est une femme qui a été élue à la présidence et qui dirige le pays depuis cinq ans, mais 42 % des sièges à l’Assemblée nationale taïwanaise sont occupés par des femmes.
Taïwan est tout à fait à même d’apporter une contribution efficace dans les domaines que j’ai évoqués. Encore faut-il laisser ce pays occuper la place qui lui revient dans les instances internationales.
Malgré la prospérité et la stabilité de cet État, le célèbre hebdomadaire britannique The Economist vient d’illustrer sa couverture du 1er mai 2021 en soulignant que Taïwan était l’endroit le plus dangereux de la planète en raison de la menace militaire de la Chine qui pèse sur l’île !
La paix et la prospérité de cette région sont importantes pour l’ensemble du monde. Nous devons travailler ensemble à les préserver. La question du bien-être de l’humanité est au cœur de nos préoccupations. C’est tout le sens de notre démarche aujourd’hui.
En 1965, André Malraux a dit à propos de l’établissement des relations diplomatiques avec la Chine populaire : « Marchons ensemble, mais sans mélanger nos drapeaux ! » Alors, oui, marchons, travaillons, coopérons avec la Chine, mais sans nous écarter de nos valeurs essentielles et en respectant chaque drapeau. Il convient de tous les inclure, celui de Taïwan compris, car il s’agit d’une question majeure qui concerne notre avenir commun. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, SER, UC et Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à remercier nos collègues Alain Richard et Joël Guerriau de nous permettre de débattre de la situation de Taïwan.
Depuis que les forces communistes chinoises ont remporté la guerre civile et pris le contrôle du continent en 1949, ce pays essaie de préserver son autonomie.
Le développement économique de ce territoire a été et reste particulièrement remarquable. Avec un PIB comparable à celui de la Suisse ou de la Suède, Taïwan fait partie des premières puissances économiques asiatiques.
Taipei est en outre un acteur incontournable de la production mondiale des semi-conducteurs les plus avancés. Ces puces sont nécessaires aussi bien à l’industrie automobile qu’à celle du numérique ou à celle de l’armement. Ses entreprises conservent, dans ce domaine, une avance de près d’une décennie sur leurs concurrents.
Le miracle taïwanais a fait de l’île l’un des quatre dragons asiatiques et a permis à la population de bénéficier d’un niveau de vie équivalent à celui de la population de l’Union européenne.
Dans le domaine de la santé, l’île a démontré des compétences indéniables. Elle a fait face avec succès à plusieurs épidémies, dont celle de la covid-19. Alors que Taïwan compte plus de 23 millions d’habitants, le pays a su limiter les contaminations tout en préservant son économie : elle ne déplore ainsi qu’une dizaine de décès liés au coronavirus.
La communauté internationale aurait beaucoup à gagner à davantage coopérer avec ce territoire riche de savoir-faire.
La proposition de résolution que nous vous proposons de voter a pour objet d’inciter le Gouvernement à poursuivre ses efforts tendant à renforcer l’intégration du pays au sein de différentes instances internationales. Cette initiative a été saluée par la Présidente de Taïwan, Tsai Ing-wen, qui a souligné la pertinence de telles coopérations. Le gouvernement français, par la voix du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, a déjà eu l’occasion de témoigner de son soutien à ce texte.
Nous pensons qu’il est important que Taïwan puisse faire bénéficier la communauté internationale de ses compétences dans des matières aussi diverses que la santé, la coopération policière, le dérèglement climatique ou encore l’aviation civile.
Cette proposition de résolution est également l’occasion de réaffirmer notre attachement aux principes du multilatéralisme, du dialogue et de la coopération au sein de la communauté internationale. Ces principes sont au fondement d’une paix et d’une stabilité durables. Taïwan est en effet l’objet de vives tensions géopolitiques impliquant la Chine et les États-Unis. La région assiste depuis quelque temps à une importante montée en puissance des forces armées, et singulièrement des forces navales.
Ce climat de course aux armements laisse craindre l’éclatement d’un conflit ouvert dans les prochaines années. Un tel conflit serait bien entendu tragique pour les acteurs de la région. En outre, les effets néfastes de celui-ci s’étendraient certainement à l’ensemble de la communauté internationale.
Nous sommes convaincus que la paix et la coopération ont fortement contribué à la prospérité des pays de la zone. Il nous semble qu’il est donc dans l’intérêt de tous de veiller à les préserver.
Cette voie constitue également la suite logique des relations pacifiques qui prédominent jusqu’à présent et qu’il importe de perpétuer. Dans la mesure où cette proposition de résolution ne comporte aucune reconnaissance de l’indépendance de Taïwan, elle ne constitue pas une remise en cause de la position française.
Par ailleurs, ce texte nous semble tout à fait compatible avec la situation de Taïwan : les organisations internationales concernées acceptent en effet la participation d’entités n’ayant pas le statut d’État.
Renforcer l’intégration de Taïwan dans les instances internationales permettra de faire profiter de précieuses synergies. C’est aussi l’occasion d’éloigner un peu plus la perspective d’un conflit qui ne profiterait à personne.
Le dialogue et la coopération fourniront des réponses durables aux nombreuses tensions qui pèsent sur cette région.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants espère que ce texte recevra un large soutien de notre assemblée. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, SER, UC et Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis 1964, la France a rompu ses relations diplomatiques avec Taïwan en reconnaissant la République populaire de Chine. Depuis, elle ne conteste plus le principe d’une seule Chine imposé par Pékin, principe au cœur d’une politique qui a mené à l’isolement de Taïwan au sein de la communauté internationale.
En 1971, l’île perdait son siège à l’ONU. En 1980, elle était exclue du FMI. Depuis 2016, elle ne dispose plus de sa place d’observateur à l’Assemblée mondiale de la santé, en conséquence de quoi elle ne peut plus être associée aux réunions de l’Organisation mondiale de la santé.
Rien ne peut légitimer la mise à l’écart d’un système politique dont nous connaissons tous ici les mérites, tant en termes de vie démocratique que de politique sociale et éducative et de protection de l’environnement.
Le contexte pandémique actuel jette toutefois une nouvelle lumière sur l’exclusion de Taïwan des différentes instances de la communauté internationale. La gestion de la crise sanitaire par Taïwan est en effet un modèle pour bon nombre de gouvernements à l’échelon mondial. La densité de la population y est exceptionnellement élevée. Aussi peuplée que l’Australie, le risque d’une forte circulation du virus y était d’autant plus important.
Taïwan a toutefois tiré les leçons des épidémies liées au SRAS en 2003 et à la grippe H1N1 en 2009. Son gouvernement a géré cette pandémie de façon exemplaire, en exerçant un contrôle fondé sur l’anticipation et la réactivité. À cette date, seuls douze décès ont ainsi été enregistrés sur l’île.
Par ailleurs, la gestion taïwanaise de la pandémie a permis de démontrer, une fois de plus, l’inclination du pays à coopérer activement au niveau international, ce que rappellent les auteurs de cette proposition de résolution. Le pays avait ainsi alerté l’OMS dès décembre 2019 sur les risques d’une transmission humaine du virus. Début 2020, elle faisait un don de 5 millions de masques chirurgicaux à l’Europe, soit l’équivalent de la moitié des dons réalisés à l’échelon mondial, et ce à un moment crucial, c’est-à-dire quand nous en avions le plus besoin.
Nous considérons que cette attitude coopérative et pacifique, tournée vers le monde, est représentative de la volonté constante de Taïwan de participer aux organisations internationales en matière de santé, mais aussi à l’Organisation de l’aviation civile internationale, à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et à Interpol. Il nous semble évident que cette participation, qui est autorisée pour certaines entités non étatiques, serait éminemment profitable aux différentes organisations. Nous nous prononçons donc en faveur de la présente proposition de résolution.
Nous comprenons que cette perception est aussi celle qui sous-tend la position française à l’égard de Taïwan, comme l’a rappelé à plusieurs reprises le ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Nous sommes donc confiants dans l’accueil qui sera réservé à cette proposition de résolution et dans les démarches que la France poursuivra en ce sens, en amont de la soixante-quatorzième réunion de l’Assemblée mondiale de la santé qui se déroulera à partir du 24 mai. Nous resterons bien entendu vigilants sur ce point.
Toutefois, nous sommes tous conscients ici que ce sujet ne peut être débattu sans que nous abordions la question de l’attitude française vis-à-vis de la Chine et sans que nous nous interrogions sur la manière dont nous souhaitons la voir évoluer.
Le soutien français à l’association de Taïwan aux instances internationales, bien qu’il n’ait pas pour objectif de reconnaître un statut d’État à ce pays ou de remettre en cause le principe d’une seule Chine, ne sera pas sans conséquences sur nos relations avec Pékin, comme l’atteste la récente réaction de l’ambassade de Chine à un projet de voyage de sénateurs français à Taïwan.
Aujourd’hui, pourtant, l’objectif de préserver à tout prix une entente avec un régime qui, selon les termes employés par notre ministre des affaires étrangères fin février, exerce un « système de répression institutionnalisé » sur le peuple ouïghour, ne peut plus être défendu.
Alors, pour sauvegarder l’approche multilatérale et les valeurs démocratiques et humaines qui sont au fondement de notre politique étrangère, quel poids devons-nous accorder aux exigences de Pékin ?
Aujourd’hui, le refus de transiger sur nos propres exigences n’est plus une proposition idéaliste, mais une nécessité reconnue comme telle par l’Union européenne qui, après de premières sanctions, a annoncé avant-hier la suspension de la ratification de l’accord d’investissement avec la Chine.
C’est aussi un devoir pour la France, aux côtés d’une administration Biden qui fait preuve de fermeté à l’égard de la Chine et de la Russie, de replacer les droits humains et les valeurs démocratiques au cœur de son action diplomatique.
Après une présidence Trump tendue et conflictuelle, la responsabilité de notre pays est de s’associer à cette entreprise de reconstruction d’une culture démocratique internationale.
Pour toutes ces raisons, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires soutiendra cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, RDPI, INDEP et UC.)
Mme le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, tout d’abord, je tiens à remercier chaleureusement les présidents des différents groupes politiques du Sénat d’avoir facilité l’inscription de ce texte à l’ordre du jour de notre assemblée dans des délais très brefs. Ils témoignent ainsi de tout l’intérêt porté de longue date par notre assemblée à ce lointain territoire insulaire.
Située à quelque cent trente kilomètres des côtes chinoises, l’île de Taïwan est un carrefour stratégique qui entretient, depuis plusieurs siècles, des liens d’importance avec l’Europe et la France. C’est au nom de ces liens étroits que notre assemblée a, au milieu des années 1980, autorisé la création d’un groupe d’échanges et d’études entre le Sénat et Taïwan, groupe qui n’a cessé depuis d’être particulièrement actif. C’est d’ailleurs sur l’initiative de ce groupe que la proposition de résolution à l’étude aujourd’hui a été déposée par vingt-deux de nos collègues, issus de la plupart des familles politiques.
Au printemps de l’an passé, lors du confinement strict qu’a connu notre pays, nous étions déjà cinquante et un sénateurs à signer un appel international demandant à l’Organisation mondiale de la santé de collaborer pleinement avec Taïwan, une manière de reconnaître l’exceptionnelle maîtrise dont ce territoire a fait preuve face à la pandémie de covid-19. En un an et demi, cette île peuplée de plus de 23 millions d’habitants n’a en effet enregistré qu’une dizaine de décès liés à ce terrible virus, un exploit obtenu grâce à des mesures sanitaires rigoureuses et une expertise hors pair. Durement affectée par la crise du SRAS en 2003, Taïwan était certainement le pays le mieux préparé pour affronter cette nouvelle pandémie.
C’est en des termes parfaitement respectueux des équilibres diplomatiques que cette proposition de résolution vise à accorder à Taïwan un statut d’observateur au sein de l’Assemblée mondiale de la santé qui se tiendra prochainement. En effet, il n’y a là rien qui déroge au règlement de l’OMS, puisque Taïwan jouissait déjà d’un tel statut avant 2016.
Nous sommes persuadés que la communauté internationale ne peut que tirer avantage d’une telle efficience, car l’excellence sanitaire de Taïwan ne concerne pas seulement la lutte contre le covid-19, tant s’en faut. Pour la troisième année consécutive, Taïwan occupe le premier rang mondial selon l’indice des soins de santé publié par le site numbeo.com.
De nombreux pays, dont la France, ainsi que 1 700 parlementaires de plus de 80 pays se sont déjà exprimés en faveur d’une telle coopération avec les autorités de Taïwan.
C’est avec le même respect des cadres institutionnels internationaux que les auteurs de la proposition de résolution appellent à la participation de Taïwan aux travaux de l’Assemblée mondiale de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), instance placée sous l’égide des Nations unies. Taïwan en a été l’un des membres fondateurs de 1944 à 1971.
Là encore, il est possible de lui accorder un statut d’invité spécial puisque, en 2013, Taïwan a été autorisée à participer à la trente-huitième Assemblée de l’OACI. Ce n’est pas accessoire, car l’aéroport de Taoyuan à Taïwan se place au dixième rang mondial pour le trafic de passagers et au sixième rang pour le fret.
Pourtant, Taïwan demeure exclu des débats sur les questions de sûreté aérienne, de protection de l’environnement et les questions économiques. Or, parce qu’on lui refuse tout accès en temps réel aux informations globales et aux actualisations régulières de l’OACI, Taïwan met plus de temps que les autres pour se conformer aux standards et aux recommandations de l’Organisation.
Toujours dans le but de renforcer la coopération internationale, les auteurs de la proposition de résolution suggèrent de donner à Taïwan un statut observateur au sein d’Interpol, organisation qui compte 194 pays membres, soit la quasi-totalité des États de la planète, et qui vise à prévenir et à combattre la criminalité grâce à une coopération policière renforcée.
Taïwan accueille chaque année un nombre croissant de voyageurs : le pays est la trente-sixième destination la plus prisée au monde. Il s’agit en outre de la vingt et unième économie de la planète et du dix-huitième exportateur mondial. L’île est donc un maillon indispensable du système de sécurité globale, tant pour le combat contre la criminalité et la fraude internationales que pour la lutte contre les trafics illicites et la cybercriminalité. Pourtant, Taïwan n’a toujours pas accès au réseau mondial permanent de communication policière d’Interpol ni à ses dix-huit bases de données criminelles. C’est là un trou de taille dans la raquette sécuritaire internationale qu’il est urgent de combler.
Enfin, les auteurs du texte suggèrent que Taïwan puisse également participer aux travaux de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.
Depuis 2015, Taïwan s’est fixé des objectifs ambitieux en matière de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre. Le pays investit beaucoup dans le secteur des technologies vertes et soutient activement les actions en faveur de la transition écologique, en particulier dans les pays en voie de développement. La participation de Taïwan aux prochaines sessions de la Conférence des parties serait, à n’en pas douter, bénéfique à tous.
Mes chers collègues, c’est parce que ses auteurs incitent à élargir le champ actuellement trop restreint des relations entre Taïwan et le reste de la communauté internationale que cette proposition de résolution s’inscrit pleinement dans la continuité d’un renforcement impérieux de la coopération internationale au service du bien-être de toutes les populations. C’est la raison pour laquelle l’intégralité des membres du groupe RDPI votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes SER et Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nos collègues auteurs de la proposition de résolution souhaiteraient voir relancées les démarches visant à faire participer Taïwan à de nombreuses organisations internationales. Comment ne pas souscrire à cet objectif ?
Oui, nous avons besoin de Taïwan à l’Assemblée mondiale de la santé de l’OMS, eu égard à sa gestion exemplaire de la pandémie de covid-19.
Oui, nous avons besoin d’intégrer le plus grand nombre possible de pays à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. La lutte contre le réchauffement climatique est un défi mondial qui doit agréger toutes les démarches volontaires. Comme vous le savez, bien que l’île n’ait pas de représentation légale dans le système onusien, elle s’est unilatéralement engagée à respecter les termes du protocole de Kyoto, ainsi que ceux de la COP21, avec une définition d’objectifs très ambitieuse. Il faut le saluer.
Ne faudrait-il pas également associer Taïwan à l’Assemblée de l’Organisation de l’aviation civile internationale, au bénéfice général de la sécurité et du fret ? Elle occupe une position clé dans la région de l’Asie-Pacifique et contrôle un trafic important avec plus de 1 750 000 vols répertoriés en 2018, partis de dix-sept aéroports taïwanais.
Enfin, l’Organisation internationale de police criminelle, Interpol, ne doit souffrir d’aucune brèche. Comme souligné dans le texte de nos collègues, associer Taïwan à la lutte contre la criminalité organisée serait profitable à l’ensemble de la communauté internationale, grâce au partage des dix-huit bases de données policières que gère Interpol.
D’une façon générale, il est évident qu’il faut rassembler le plus largement au sein des grands outils de coopération internationale. On connaît les vertus du multilatéralisme : il fait progresser de grandes causes comme celles que je viens de décliner. Mais pas seulement ! Il fédère des pays autour d’objectifs communs : c’est aussi construire un monde de dialogue et d’échanges plus propice à la paix que les postures d’isolement.
Toutefois, soyons clairs, dans le cas qui nous occupe aujourd’hui, il nous faut trouver un équilibre pour préserver les relations de notre pays avec les deux côtés du détroit de Formose. Nous connaissons l’enjeu géopolitique régissant les relations complexes et passionnelles entre Taïwan et la Chine.
Taïwan a un statut particulier. Elle est cependant un interlocuteur fiable pour l’Occident et un acteur économique de premier plan. Je rappellerai juste que son économie est classée au vingt-deuxième rang mondial. Pour la France, Taïwan a représenté un marché à l’exportation de 1,8 milliard d’euros en 2019. Nous lui vendons des biens d’équipement, mais aussi de l’agroalimentaire, bien que Taipei impose à nos viticulteurs de regrettables et lourdes taxes sur le champagne – je tenais à le signaler !
De l’autre côté, mes chers collègues, il n’est pas besoin de démontrer que la Chine est un partenaire économique incontournable à l’échelle mondiale. Le Gouvernement l’a rappelé ici même en mars dernier.
Ce constat invite donc au compromis sans pour autant laisser tout passer. C’est ce que l’Union européenne a fait, le 22 mars dernier, en décidant de sanctions contre la Chine sur le dossier ouïghour, alors même que nous discutons de l’accord d’investissement.
Comme je l’ai dit, la diplomatie est l’art de l’équilibre ; c’est aussi celui de la désescalade. Dans ces conditions, il me semble – autant que faire se peut – que nous devrions trouver un juste milieu en activant les dispositions qui permettent d’associer Taïwan, en tant qu’entité, aux grandes organisations sans pour autant engendrer de provocations.
Mes chers collègues, à ce stade, le groupe du RDSE estime qu’il faut encore laisser du temps à la diplomatie et aux discussions. Un temps nécessairement plus long que celui du Parlement. C’est pourquoi nous ne prendrons pas part au vote.
Mme le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de résolution nous invite à soutenir la décision du Gouvernement d’appuyer le retour de Taïwan au sein de l’Organisation mondiale de la santé, son entrée à l’Organisation de l’aviation civile internationale, ainsi que dans la Convention des Nations unies contre la corruption et Interpol, dans un contexte de pressions internationales importantes de quelques pays.
L’île, qui, pour rappel, a joui du statut de membre observateur de l’OMS de 2009 à 2016, n’a plus été invitée par l’organisation onusienne depuis l’élection à sa tête de l’indépendantiste Tsai Ing-wen. Le problème qui semblerait se poser aujourd’hui est de savoir sous quelle forme se ferait le retour de Taïwan… En tant que région rattachée à la Chine ou en tant que pays souverain ? Sans même s’interroger sur les revendications territoriales de l’île ?
En 1964, la France avait su se distinguer des autres pays occidentaux en reconnaissant diplomatiquement la République populaire de Chine et en entretenant des relations privilégiées avec Pékin. C’était sept ans avant que l’Organisation des Nations unies ne reconnaisse la République populaire de Chine et lui réserve le siège au Conseil de sécurité occupé depuis 1950 par Taïwan. Des relations parfois difficiles, certes, mais tout de même suffisamment suivies pour que Paris fasse office d’interlocuteur exigeant et respecté.
Il convient de rappeler la participation de Taïwan sous la dénomination « Taipei-Chine » à de grands événements internationaux comme les jeux Olympiques et Paralympiques ou à des instances multilatérales comme l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, le GATT, ou la Banque asiatique de développement.
Il existe donc un espace politique de dialogue et de discussion avec Pékin, et non contre elle, qui doit être approfondi.
Il est vrai que Taïwan, de fait, existe et dispose d’un organe législatif, exécutif et administratif. De plus, le renouvellement des générations renforce la distance prise avec Pékin. En effet, 85,6 % des Taïwanais sont nés après la séparation de l’île et du continent.
Cependant, je me permets de rappeler que, sur cette île, la Constitution de la République de Chine est toujours applicable et intègre dans son territoire la Chine continentale et des territoires russes, indiens ou encore mongols.
Le contexte de confrontation déclenchée par Donald Trump est stratégique, politique et commercial. Ce contexte n’est d’ailleurs pas étranger au regain des mobilisations sur Taïwan, à l’enjeu de la rivalité stratégique.
Toutefois, nous ne pouvons pas omettre non plus que la situation actuelle laisse craindre une escalade pékinoise qui pourrait aboutir à un conflit. Que gagnera la France à s’impliquer dans cette stratégie de confrontation ? La réponse occidentale doit-elle être de mettre de l’huile sur le feu ou d’apaiser la situation ?
Cette proposition de résolution, malheureusement, s’inscrit par ailleurs dans un alignement inquiétant de la France dans la roue des États-Unis. Son siège au Conseil de sécurité de l’ONU mais aussi son histoire avec Pékin lui donnent pourtant la responsabilité de se placer en conciliatrice. Les exemples du GATT ou du Comité international olympique montrent qu’un espace existe, d’autant plus que l’île et le continent sont particulièrement dépendants.
L’adoption d’une telle proposition de résolution serait-elle de nature à aplanir les tensions ou, au contraire, à les exacerber jusqu’à un point de non-retour ?
Au vu des réactions officielles de Pékin, on peut craindre une rupture franco-chinoise, qui à bien des égards nuirait à Paris.
M. Bernard Jomier. Ah, si le PCC n’est pas d’accord…
Mme Michelle Gréaume. Soutenir cette proposition de résolution serait s’inscrire dans l’agenda stratégique porté par les États-Unis et sortirait la France de sa position de neutralité dans le dossier. C’est pourquoi notre groupe s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme le président. La parole est à M. Olivier Cadic. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Olivier Cadic. Madame la présidente, mes chers collègues, le 1er janvier 2020, à Wuhan, en Chine, le docteur Li Wenliang de l’hôpital central était incarcéré avec sept de ses collègues. Deux jours plus tôt, il avait lancé l’alerte sur le fait que sept personnes travaillant sur le marché aux animaux de la ville avaient contracté un virus proche du SRAS. Le docteur Li Wenliang a été contraint de reconnaître qu’il perturbait l’ordre social. Le 7 février 2020, il comptera parmi les premiers morts du covid.
Fort de son expérience du SRAS en 2003, Taïwan a su anticiper l’épidémie.
Dès le 31 décembre 2019, elle alertait l’OMS sur la possibilité d’une transmission interhumaine du virus apparu à Wuhan. Elle n’a pas été entendue.
Il faudra attendre le 20 janvier 2020 pour que Pékin se résigne à reconnaître que le virus était transmissible entre humains, date à laquelle l’OMS a qualifié la situation « d’urgence de santé publique de portée internationale ».
Nous savons aujourd’hui que ces trois semaines perdues en janvier ont eu des conséquences tragiques pour la planète.
La mise à l’écart de Taïwan des réflexions et actions conduites par l’OMS nuit aux intérêts de la communauté internationale. C’est précisément ce qui apparaît dans l’exposé des motifs de la proposition de résolution que nous présentent aujourd’hui nos collègues Alain Richard et Joël Guerriau, que je remercie chaleureusement.
Le 20 février 2020, je déposais une question écrite interrogeant notre gouvernement sur les initiatives qu’il pourrait prendre afin d’intégrer Taïwan dans les discussions internationales sur le nouveau coronavirus. Des milliers de Français vivent à Taïwan ; je voulais éviter que ces compatriotes se retrouvent en dehors de la protection de l’OMS.
Ce 20 février, le monde dénombrait alors 2 012 morts du covid, dont 2 008 en Chine, un à Hong Kong, un à Taïwan et un en France. Un mois plus tard, le 31 mars 2020, avec quatre-vingt-quatre parlementaires, nous cosignions une tribune appelant à l’intégration de Taïwan au sein de l’OMS, sur l’initiative de notre collègue André Gattolin.
L’épidémie s’est répandue sur la planète, rebondit avec ses variants – britannique, brésilien, maintenant indien. Les ravages se poursuivent.
Le 20 février 2020, Taïwan comptait vingt-trois cas de covid et, je vous l’ai dit, un seul décès. À ce jour, l’île totalise 1 121 cas confirmés et seulement douze décès, pour 23 millions d’habitants.
Taïwan est le territoire qui compte le moins de cas et de décès recensés dans le monde.
Dès l’origine de l’épidémie, l’industrie taïwanaise a produit 13 millions de masques par jour. Résultat : pas de confinement et une vie sociale, scolaire et économique qui se poursuit normalement, mais sous précautions.
En juin 2020, en réponse à ma question écrite posée quatre mois plus tôt, Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, m’indiquait qu’il souhaitait que Taïwan puisse être associée aux travaux de l’Organisation mondiale de la santé afin d’éviter de créer un vide sanitaire. Force est de constater que, depuis, rien n’a changé. Taïwan ne sera même pas conviée en tant que membre observateur de la prochaine assemblée générale de l’OMS et se trouve au ban de nombreuses organisations internationales.
Voilà pourquoi il nous est apparu, au sein du groupe d’échanges et d’études avec Taïwan, présidé par notre collègue Alain Richard, que l’heure était venue de déposer une proposition de résolution en faveur de l’association de Taïwan aux travaux de plusieurs organisations internationales. En effet, l’île est également exclue d’Interpol, ce qui crée des brèches considérables à l’heure où elle fait partie intégrante de la mondialisation et joue un rôle majeur dans la lutte contre les criminalités transnationales.
Taïwan n’est également plus en mesure de participer à l’OACI, alors qu’elle en a été membre fondateur et qu’elle occupe une position clé pour le transport et le contrôle aériens en mer de Chine.
En matière d’environnement, enfin, Taïwan ne peut pas participer aux réunions de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, et ce bien que la société taïwanaise soit à la pointe de la lutte contre le réchauffement climatique.
Tous ceux qui nous écoutent doivent s’interroger : pourquoi Taïwan ne fait naturellement pas partie de l’OMS, d’Interpol, de l’OACI et de tant d’autres instances de coopération internationale ? Comment en sommes-nous arrivés là ? La réponse se trouve de l’autre côté du détroit : la dictature du parti communiste chinois n’aime pas le régime démocratique en place à Taïwan.
Malgré l’animosité entretenue par le régime communiste de Pékin, la société taïwanaise s’est émancipée dans le progrès, la liberté d’expression et les valeurs démocratiques occidentales. L’évolution de la société taïwanaise, affranchie et connectée, avec un pouvoir d’achat équivalent aux régions les plus développées du monde, ne peut être compatible avec les pratiques du régime totalitaire chinois, dont le « système de répression institutionnalisé » à l’encontre des musulmans ouïghours dans la région du Xinjiang révolte le monde.
Comme nous, les Taïwanais observent avec effroi l’emprise du régime de Pékin sur tout le peuple chinois : un contrôle de masse, un contrôle de chaque instant que les nouvelles technologies permettent de perfectionner à l’infini, au point de vous retirer toute intimité.
Le pourcentage d’individus se définissant comme taïwanais est passé de 17,6 % en 1992 à 67 % en 2020, avec une progression de 10 % l’an passé.
En octobre 1989, à l’occasion d’une visite en RDA, Mikhaïl Gorbatchev déclarait à son homologue est-allemand, ardent opposant aux réformes, « celui qui est en retard sur l’histoire est puni par la vie ». Quelques semaines plus tard, le mur de Berlin tombait. En clamant que Taïwan est une province intégrante de son pays, Xi Jinping est en retard sur l’histoire !
Taïwan, c’est un quart du PIB de la France. Avec 110 postes diplomatiques répartis dans 75 pays, c’est le trente et unième réseau diplomatique mondial, devançant des pays comme la Suède ou Israël. C’est la vingtième armée du monde, à niveau équivalent du Canada.
L’île est souveraine. Taïwan est indépendante de fait.
Certains diplomates soucieux de plaire à Pékin disent : « Moins on parlera de Taïwan, mieux cela vaudra. » Je pense tout le contraire. En effet, si, comme l’a indiqué mon collègue Joël Guerriau, la menace d’invasion militaire de la Chine fait titrer cette semaine à The Economist que c’est le lieu le plus dangereux de la Terre, il apparaît que l’île de Taïwan devient plus importante pour l’équilibre du monde que ne l’était Berlin-Ouest pendant la guerre froide.
M. Joël Guerriau. Bravo !
M. Olivier Cadic. Dix-huitième puissance commerciale et onzième économie la plus libre du monde, Taïwan agit conformément aux conventions des Nations unies sur les droits de l’homme. En matière de démocratie, elle en a fait autant que n’importe quel autre pays pour faire avancer l’égalité.
L’ONU a été créée pour les êtres humains. Je vous le demande, mes chers collègues, pourquoi l’universalité des droits de l’homme proclamée par les Nations unies ne s’appliquerait pas à Taïwan et à ses 23 millions d’habitants ?
« Unissons-nous dans une pensée commune, et répétez avec moi ce cri : Vive la liberté universelle ! », lançait Victor Hugo. En débattant de cette proposition de résolution, au moment où, à Londres, le G7 déclare dans un communiqué son soutien affirmé à la participation de Taïwan aux organisations internationales comme l’OMS, nous envoyons un signal fort à nos alliés, à tous les peuples libres du monde. Ensemble, ils doivent s’unir pour réintégrer Taïwan dans nos organisations internationales. C’est pourquoi je voterai cette proposition de résolution avec fierté, comme tous les membres du groupe Union Centriste.
Mes chers collègues, le jour où la Chine s’éveillera à la démocratie, la Chine sera Taïwan ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDPI et INDEP.)
M. Joël Guerriau. Bravo ! Excellent !
Mme le président. La parole est à M. André Vallini.
M. André Vallini. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’inquiétude va grandissante quant à la manière dont la diplomatie chinoise développe son influence dans le système onusien, notamment au détriment de Taïwan. La proposition de résolution qui nous est soumise cet après-midi est donc la bienvenue.
Je souhaite profiter de ce débat pour élargir mon propos à la problématique de Taïwan sur la scène internationale.
Après de longues années de bienveillance au nom d’un prétendu « partenariat stratégique », la diplomatie européenne commence à ouvrir les yeux sur la réalité chinoise. La crise du covid, bien sûr, mais aussi la répression de Hong Kong et des Ouïghours ont accéléré ce réveil de l’Europe. Alors qu’elle était restée jusqu’alors très mesurée dans ses réponses aux provocations chinoises, elle commence enfin à hausser le ton. Sa nouvelle stratégie sur la zone indopacifique et ses nouveaux projets de coopération avec l’Inde et l’Australie vont dans le bon sens, celui d’une lucidité sur la réalité chinoise. Je salue donc à mon tour la suspension par la Commission européenne, voilà deux jours, des négociations en cours sur l’accord d’investissement global entre l’Union européenne et la Chine.
Alors que la Chine remet en cause les intérêts économiques européens et qu’elle n’hésite pas à poursuivre son travail de proximité avec certains pays d’Europe centrale et orientale pour essayer de les détacher de la solidarité européenne, la prudence concernant Taïwan n’est plus de mise.
Aujourd’hui, Pékin s’éloigne manifestement d’une résolution pacifique, et le Président Xi se montre de plus en plus menaçant. À cet égard, l’omission des termes « réunification pacifique » dans le discours de mai 2020 du Premier ministre chinois à l’Assemblée nationale populaire ne fut pas accidentelle.
Outre ses déclarations agressives, la Chine multiplie les manœuvres militaires, maritimes notamment, et l’armée chinoise pratique l’escalade, aussi bien par l’ampleur et la fréquence de ses manœuvres qu’en termes d’incursion spatiale en mer de Chine méridionale. Cela ne signifie pas que la guerre sera déclenchée demain, mais une chose est sûre : la Chine se comporte comme si elle s’y préparait.
La puissance navale chinoise augmente, celle des États-Unis diminue. C’est la première fois depuis la chute de l’Union soviétique qu’une grande puissance est en mesure de rivaliser avec l’US Navy. Certes, les États-Unis ont commencé à réagir avec un plan de réarmement naval massif, mais, dans les simulations opérationnelles, ils semblent avoir de plus en plus de mal à pouvoir s’opposer militairement à une opération chinoise contre Taïwan.
De façon plus générale, et avec tous ses défauts, l’horrible Donald Trump a eu au moins un mérite : il a ouvert les yeux de l’Amérique, et les nôtres aussi, sur la réalité de la menace chinoise, menace économique et commerciale, bien sûr, mais aussi diplomatique et de plus en plus militaire.
Je reprendrai le parallèle de notre collègue Cadic, en comparant Taïwan des années 2000 à Berlin des années 1950. Pendant la guerre froide, Berlin avait une signification symbolique forte, mais ce n’était qu’un symbole ; en plus de sa portée symbolique, Taïwan a une véritable valeur économique et stratégique.
L’Europe doit donc modifier sa politique en exigeant que les relations entre les deux rives de la mer de Chine respectent le droit à l’existence de Taïwan. Nous devons clairement signifier à la Chine qu’elle encourrait de graves risques si elle s’orientait vers le recours à la force.
Face à la Chine, mes chers collègues, la naïveté n’est donc plus permise, et, nous le savons tous, la pusillanimité ne mène à rien, sauf à l’impuissance.
Soyons lucides : la Chine est un régime fort, qui ne respecte que la force et qui ne croit qu’aux rapports de force. Face à de tels régimes, on sait d’expérience, hélas, où conduit l’esprit munichois. Quand on croit éviter la guerre au prix du déshonneur, on finit toujours par avoir et la guerre et le déshonneur. (M. André Gattolin applaudit.)
Alors, certes, personne ne veut la guerre avec la Chine, mais, si nous voulons sauver l’honneur, il faut soutenir Taïwan. C’est pourquoi nous devons soutenir la participation de Taïwan – démocratie exemplaire – à toutes les organisations multilatérales et voter la proposition de résolution qui nous est soumise. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me réjouis que cette proposition de résolution sur Taïwan ait été inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée. Je m’en réjouis d’autant plus que j’avais déposé une question écrite sur cette thématique en janvier 2020. C’était, autant que je le sache, la toute première question sur le sujet, plusieurs autres ayant été déposées ensuite sur le même thème par mes collègues de l’Assemblée nationale et du Sénat, dont certains se sont exprimés précédemment.
Outre une demande d’état des lieux sur les excellentes relations bilatérales entre nos deux pays, je m’interrogeais sur le bien-fondé de l’isolement imposé à Taïwan depuis la résolution 2758 de 1971, alors même que Taïwan, sous la direction de la Présidente Tsai Ing-wen, est un modèle de démocratie, applique à la lettre les recommandations de l’ONU, a un comportement et un bilan exemplaires – notamment en matière de protection de l’environnement, d’énergie verte, de soins médicaux, d’éducation, de lutte contre la pauvreté –, un PIB équivalent à celui de la France ou du Japon et un taux d’alphabétisation de 98,7 %. J’y indiquais également qu’à l’heure de l’apparition en Chine de virus rappelant le SRAS de 2003 – ma question, j’y insiste, a été publiée en janvier 2020 –, une participation de Taïwan à l’OMS, ne serait-ce qu’avec un simple statut d’observateur, pouvait s’avérer très utile pour aider à juguler les risques d’épidémie.
Le jour même où je déposais ma question au Sénat, ce 20 janvier 2020, l’OMS se décidait enfin à qualifier l’épidémie de covid d’« urgence de santé publique de portée internationale ».
Seize mois plus tard, au regard des douze décès dus au covid-19 à Taïwan depuis le début de la pandémie, sur une population de près de 24 millions d’habitants, on ne peut que déplorer que la voix de Taïwan, voix de l’expérience, de la science et de la sagesse n’ait pas été entendue. Rappelons aussi que Taïwan a été exemplaire pendant toute cette pandémie et a fait don, avec beaucoup de générosité, de matériel médical et de masques. On l’a déjà souligné, ce sont 54 millions de masques qui ont été donnés à 80 pays, quand nous subissions une pénurie, notamment en Europe.
Aujourd’hui même, un laboratoire taïwanais a annoncé avoir mis au point un vaccin contre l’entérovirus 71, efficace notamment chez les enfants de moins de six ans et qui pourrait être extrêmement utile à toute l’Asie. De même, le transfert de technologie et le partage d’expérience en recherche et développement – je pense notamment aux tests rapides de diagnostic de covid-19 avec résultat en quinze minutes – pourraient nous être bénéfiques à tous.
Mais cette année encore, Taïwan ne sera pas représentée au sein de l’Assemblée mondiale de la santé qui se tiendra à la fin de ce mois à Genève. Ce n’est pas tolérable, d’autant moins que Taïwan avait été acceptée comme observateur à l’OMS de 2009 à 2016 et que refuser la participation de Taïwan à cette organisation, au regard des 150 millions de cas de covid aujourd’hui dans le monde et des 3,5 millions de morts, serait criminel.
Si la France a toujours tenu une même position d’ouverture, le ministre Le Drian me répondant en 2020, ainsi qu’à tous ceux qui avaient posé les mêmes questions par la suite, que la France était favorable à la participation de Taïwan aux organisations internationales quand cette participation répondait aux intérêts de la communauté internationale – c’est le cas pour l’OMS –, la voix de la France est restée quelque peu isolée. Il est donc de notre devoir, bien sûr, d’appuyer cette démarche.
Aujourd’hui, la situation commence à évoluer. Ainsi, le G7 réuni à Londres a annoncé, hier, dans sa déclaration des ministres des affaires étrangères et du développement, son souhait que Taïwan puisse participer de manière significative au Forum de l’OMS et de l’Assemblée mondiale de la santé, car « la communauté internationale doit pouvoir bénéficier de l’expérience de l’ensemble des partenaires, y compris la contribution réussie de Taïwan dans la lutte contre la pandémie de covid-19 ». Votre portefeuille comprenant la francophonie, monsieur le secrétaire d’État, cher Jean-Baptiste Lemoyne, permettez-moi au passage de vous suggérer de faire en sorte que cette déclaration figure en français sur le compte Twitter du ministère des affaires étrangères – on ne la trouve pratiquement qu’en anglais !
Le problème reste évidemment l’opposition de la Chine et sa réaction, qui, suite à ce communiqué, ne s’est pas fait attendre. En effet, comme nous le savons tous, elle veut, en invoquant un principe de souveraineté nationale, contraindre Taïwan à un isolement diplomatique et multiplie les déclarations agressives, voire les menaces. Certains nous ont même conseillé d’être prudents pour éviter les foudres du pays et de son représentant à Paris, qui ne s’est pas privé, dans un passé récent, d’abreuver d’insultes les parlementaires français. Nous ne pouvons pas et nous ne devons pas nous laisser intimider.
Je sais combien nos intérêts, notamment économiques, avec ce grand pays qu’est la Chine sont imbriqués, combien nos liens sont forts. J’aime, je respecte la Chine et son peuple. La Chine continentale est un partenaire extrêmement important, comme l’est d’ailleurs Taïwan. La diplomatie est l’art de la prudence, du compromis et des tout petits pas. Nous ne saurions attendre de la France qu’elle avance seule contre ses propres intérêts économiques. Il serait trop facile d’agiter les bras pour faire des effets à cette tribune, et je m’en garderai.
Pour autant, je pense vraiment que ce serait tout à l’honneur de ce grand pays qu’est la Chine et de ce grand peuple de 1,4 milliard d’habitants de faire preuve de magnanimité et de respecter les plus petits que lui. Je pense à Hong Kong ; je pense bien sûr à Taïwan, et ses 24 millions d’habitants, qui n’aspire qu’à vivre en paix et en bonne intelligence avec son grand voisin.
Les avancées et les richesses de Taïwan, avec un PIB en prévision de croissance de 4,6 % pour 2021 – près de 8,2 % de plus au premier trimestre par rapport à l’année dernière –, ses innovations technologiques et sa politique industrielle dynamique peuvent susciter envies, appétits, voire craintes chez ceux qui ne partagent pas notre vision de la démocratie et des droits de l’homme.
Cette semaine, cela a déjà été dit, The Economist titrait en couverture : « Taïwan, l’endroit le plus dangereux du monde. » Oui, les bruits de bottes se font entendre de plus en plus fortement ; oui, la Chine se réarme. Mais je crois profondément que l’honneur d’un parlementaire, c’est aussi de savoir faire preuve de courage et d’affirmer haut et fort ses convictions.
Alors, oui, madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux le dire haut et fort : c’est notre devoir d’aider Taïwan à retrouver la place que ce pays mérite sur la scène internationale.
L’équilibre géopolitique mondial implique que nous soutenions Taïwan, car, pour que nous puissions atteindre une paix, même relative, sur notre planète, pour que nous puissions travailler enfin à l’amélioration du climat, de la sécurité, des conditions de vie des citoyens du monde dans leur ensemble, nous devons développer notre coopération internationale et, surtout, nous devons inclure tous les acteurs dans les organisations internationales.
Pour nous, parlementaires, c’est aussi une question de courage.
Alors, oui, mes chers collègues, ayons le courage d’aller de l’avant, ayons le courage de ne pas nous laisser intimider par les gesticulations et les invectives, ayons le courage de dire ce que nous pensons être juste.
Renforcer nos partenariats en matière sanitaire et médicale est indispensable, mais Taïwan doit aussi avoir le droit de participer à toutes les organisations internationales où son expertise pourrait être utile. Je pense notamment à Interpol, à l’Organisation internationale de l’aviation civile, au débat sur le climat.
Je voudrais aussi dire à tous ceux qui, ici ou ailleurs, auraient la tentation de Munich qu’on ne respecte jamais un adversaire qui s’aplatit, mais que l’on craint et respecte celui qui, même s’il sait qu’il ne gagnera pas, a le courage de se battre pour ses convictions lorsqu’il les sait justes.
Je souhaiterais aussi m’adresser à mes amis chinois, parce que, nous le savons, ils nous écoutent ou ils nous liront.
Mais de quoi avez-vous peur ? Vous êtes un grand, vous êtes un magnifique pays, vous n’avez rien à craindre de Taïwan, qui ne veut que la paix ! Vous avez tout à gagner, au contraire, d’une coopération pacifique dans l’intérêt de vos peuples. Alors, s’il vous plaît, aidez Taïwan à vous aider, aidez-nous à vous aider, aidez-les à vous aider, ne serait-ce qu’en matière médicale ! Parlez-leur, écoutez-les, et le monde n’en sera que meilleur : il sera plus sûr, plus stable. Et c’est aussi votre intérêt, c’est l’intérêt de la Chine dans son ensemble. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI et INDEP.)
Mme le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret.
Mme Hélène Conway-Mouret. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, étant la dernière intervenante, je crains que mon propos ne soit pas très original et reprenne de nombreux points déjà soulevés. Voyez-y finalement, monsieur le secrétaire d’État, la convergence de nos points de vue et l’expression d’un certain consensus qui règne sur ces travées.
La démocratie taïwanaise se construit à l’ombre de la Chine. Situé à moins de 200 kilomètres des côtes chinoises, ce territoire de près de 24 millions d’habitants dispose de son propre drapeau, de son hymne, de sa langue, de ses institutions judiciaires et de son Parlement, mais n’est reconnu que par seize pays et connaît un isolement diplomatique croissant. Pourtant, sa Présidente promeut une démocratie transparente que notre groupe sénatorial d’échanges et d’études a pu observer lors de sa visite en décembre 2019. Il est donc temps, deux ans plus tard, qu’une nouvelle délégation sénatoriale s’y déplace, d’autant que Taïwan représente un modèle d’acteur responsable dans de nombreux domaines, par exemple la lutte contre le changement climatique, comme le montre son adhésion aux principes fixés par la COP21.
Les progrès scientifiques de Taïwan en matière de technologies vertes sont remarquables et méritent d’être reconnus, tout comme son centre national des technologies et des sciences pour la prévention des sinistres, que nous avons visité.
Taïwan est un partenaire solide dans les domaines économique et de sécurité, et les plus de 2 300 Français qui y vivent dynamisent nos relations commerciales et nos actions de coopération.
Enfin, la loi sur le mariage pour tous, votée en mai 2019, ou la « révolution des tournesols », menée en 2014 par les jeunes étudiants du numérique contre l’ingérence chinoise, sont des marqueurs d’une démocratie bien vivante.
Son succès réside également dans sa gestion de l’épidémie de la covid-19. Taïwan, cela a été rappelé, a été le premier pays à prévenir l’Organisation mondiale de la santé des dangers d’une contamination humaine, alors même que ce pays reste exclu de cette organisation.
Dans sa réponse à mon courrier du 18 mars 2020, le ministre Le Drian précisait que la France soutenait la participation de Taïwan aux travaux de l’OMS et de l’Assemblée mondiale de la santé, une reconnaissance de fait de sa maîtrise exceptionnelle de la crise sanitaire. En effet, sa gestion épidémique est un modèle pour le monde entier. Le système de traçage a été consenti par la population sans obligation étatique. Cette responsabilisation collective alliée à la présence de masques chirurgicaux, à des quatorzaines ciblées et à un système de santé performant a permis de maîtriser très vite la diffusion du virus. Le pays n’a pas eu recours à un seul confinement ni couvre-feu et n’a pas mis son économie à l’arrêt.
Cette efficacité a aussi été rendue possible grâce à la transparence et à la confiante participation de la population dans sa gestion de la crise. Un exemple dont nous pourrions d’ailleurs utilement nous inspirer…
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le partage de son expérience et sa contribution ne peuvent qu’être bénéfiques à la communauté internationale dans tous les domaines cités par les auteurs de cette proposition de résolution, Alain Richard et Joël Guerriau. Comme l’a annoncé mon collègue André Vallini, tous les membres de notre groupe voteront cette proposition de résolution, pour que la France apporte un soutien clair à l’intégration de Taïwan au sein des instances internationales. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, RDPI, INDEP et UC. – Mme Joëlle Garriaud-Maylam applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie. Madame la présidente, monsieur le président Richard, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, nous voici réunis autour de cette proposition de résolution en faveur de l’association de Taïwan aux travaux de plusieurs organisations internationales, présentée par Alain Richard, Joël Guerriau et nombre d’entre vous ici présents, que je ne saurais tous citer. C’est un moment effectivement utile et important.
Vous connaissez la politique constante de la France sur la question de Taïwan : elle reconnaît le gouvernement de la République populaire de Chine comme seul représentant de la Chine depuis 1964 et n’entretient pas de relations diplomatiques avec Taïwan. Cependant, la France développe des coopérations avec ce pays dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler « la politique d’une seule Chine ». Elle considère en outre que les relations entre les deux rives doivent reposer sur un dialogue constructif, dans la mesure où il est dans l’intérêt de tous que la voie du dialogue soit privilégiée, afin que la paix et la stabilité puissent être préservées dans le détroit de Taïwan.
Des échanges dynamiques, des coopérations riches se développent entre nos deux territoires, qui font de Taïwan un partenaire important de la France en Asie. Vous avez été nombreux à signaler la place dans l’économie mondiale de l’île – vingt et unième économie mondiale –, sa place dans les chaînes de valeur mondiales, en particulier dans l’industrie des semi-conducteurs. Ce pays est un membre actif dans les travaux de l’OMC.
Cette coopération tient compte aussi de la vitalité de la société civile taïwanaise, vous l’avez relevé les uns et les autres, de la remarquable réussite de la transition démocratique de l’île initiée dans les années 1980.
Taïwan accueille de surcroît une importante communauté française, évaluée à 4 000 personnes, qui font l’objet d’une attention de tous les instants de notre part.
À travers en particulier le bureau français de Taipei et le bureau de représentation de Taipei en France, la France et Taïwan entretiennent et développent des échanges soutenus dans les domaines économique, industriel, scientifique, de l’innovation et de la technologie, mais également en matière culturelle et éducative. Nous partageons avec l’île des valeurs démocratiques, une ambition commune pour la promotion des droits de l’homme. D’ailleurs, notre ambassadeur pour les droits de l’homme s’y est rendu en janvier 2020.
En matière culturelle, la France et Taïwan entendent poursuivre et approfondir leurs coopérations déjà très denses. Taïwan fait partie des trente-sept territoires identifiés en 2019 par le ministère comme prioritaires pour l’export des industries culturelles et créatives françaises.
J’ajoute que la coopération éducative et universitaire a pris une tournure significative : le nombre d’étudiants français à Taïwan a tout simplement triplé en dix ans ! Ils sont à ce jour 1 500. Ils sont donc une composante essentielle de la communauté française de Taïwan.
Bien que n’étant aujourd’hui reconnue sur le plan diplomatique que par quinze États, l’île développe une politique active sur la scène internationale, y compris auprès des pays avec lesquels elle n’entretient pas de relations diplomatiques. Parallèlement, Taïwan est membre d’une trentaine d’organisations intergouvernementales ; j’évoquais l’OMC, mais on pourrait citer l’APEC, la Banque asiatique de développement et tant d’autres. Elle participe, en tant qu’observateur ou membre associé, aux travaux d’une vingtaine d’organisations intergouvernementales ou d’organes subsidiaires ; je pense à l’OCDE, à la BERD ou à la Banque interaméricaine de développement.
S’agissant spécifiquement de l’objet de votre proposition de résolution et de la participation de Taïwan aux organisations internationales, notre position est claire et constante : nous y sommes favorables lorsque le statut des organisations le permet et que cette participation répond aux intérêts objectifs de la communauté internationale. Il y a donc là une convergence très claire. C’est manifestement le cas pour les organisations internationales que vous avez citées dans la proposition de résolution : l’OMS, la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, mais également l’OACI, Interpol.
Je crois que la pandémie de covid rappelle chaque jour, cruellement, depuis plus d’un an, que la santé des femmes et des hommes du monde entier requiert l’engagement et la coopération. Sans la coopération, nous ne vaincrons pas cette épidémie.
Il en est de même pour les questions climatiques, pour les transports, pour la sécurité : soit nous réussissons ensemble, soit nous échouons ensemble. Cela appelle donc une réponse collective.
S’agissant plus spécifiquement de la santé mondiale, puisque nous sommes à quelques jours de cette réunion importante à l’OMS, les chiffres parlent d’eux-mêmes : Taïwan a remarquablement contenu l’épidémie. C’est pourquoi sa contribution et le partage de son expérience sont essentiels à l’ensemble de la communauté internationale, à l’heure où il faut œuvrer collectivement.
Vous avez rappelé les uns et les autres les chiffres : douze morts seulement sur une population de plus de 23 millions d’habitants. Indéniablement, Taïwan a su tirer tous les enseignements de l’épidémie de SRAS en 2003 pour réagir rapidement et efficacement dès les premiers signes d’apparition de la maladie.
Nous n’oublions pas qu’au printemps 2020 Taïwan a fait don d’équipements médicaux – masques, appareils respiratoires – à plusieurs de ses partenaires dans le monde, dont l’Union européenne et la France.
Jean-Yves Le Drian, qui, hélas ! ne pouvait être présent aujourd’hui dans l’hémicycle – il est au Liban –, a eu l’occasion de dire lui-même, en novembre dernier, que nous étions favorables à ce que Taïwan participe aux réunions de plusieurs organismes internationaux, dont l’OMS, car il est essentiel que tous les acteurs qui peuvent prendre part à la lutte contre les pandémies le fassent. Il déclarait : « Nous avons d’ailleurs regretté que Taïwan ne puisse pas participer aux travaux de la soixante-treizième Assemblée mondiale de la santé, qui s’est tenue du 9 au 13 novembre, et nous continuerons d’appeler à un accord entre Pékin et Taipei en vue de la participation de Taïwan à la prochaine Assemblée mondiale de la santé. […] Il ne doit pas y avoir de vide sanitaire dans la lutte contre la pandémie. »
Nous continuons donc à plaider pour que Taïwan soit associée aux travaux de l’OMS. Nous le ferons à titre national, nous l’encourageons au niveau européen, nous l’avons fait encore il y a quelques jours avec nos partenaires du G7.
Compte tenu de ces différents éléments, permettez-moi de souligner que la proposition de résolution portée par les membres du groupe d’échanges et d’études Sénat-Taïwan, sous votre conduite, monsieur le président Richard, présente de réelles convergences avec la position du Gouvernement que je viens d’exprimer. Je salue ici l’esprit constructif de votre initiative.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, la France ne veut pas que la question de la participation de Taïwan aux organisations internationales devienne un enjeu politique. L’enjeu est tout autre : répondre aux intérêts objectifs de la communauté internationale. C’est dans cet esprit que la France soutient cette participation de Taïwan aux organisations internationales lorsque leurs statuts le permettent. Je le souligne à nouveau : le fonctionnement optimal de ces organisations appelle une approche inclusive, condition d’un multilatéralisme efficace pour apporter des solutions aux grands défis de notre monde.
Au-delà de l’examen de cette proposition de résolution, vous me permettrez, puisque le sujet est au cœur des travaux de votre groupe d’études, monsieur le président Richard, de souligner que nous suivons de façon extrêmement précise l’évolution de la situation dans le détroit de Taïwan. Nous avons noté à cet égard que les incursions militaires dans la zone d’identification et de défense aérienne de Taïwan se sont multipliées depuis l’an dernier, jusqu’à devenir presque quotidiennes. Je le redis : la stabilité dans le détroit est essentielle pour la sécurité de la région ; c’est la raison pour laquelle nous réprouvons toute tentative de remise en cause du statu quo de même que toute action susceptible de provoquer un incident et de conduire à une escalade dans le détroit. Je crois pouvoir vous dire que nous partageons cette préoccupation avec l’ensemble de nos partenaires de l’Union européenne.
Voilà, madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, l’appréciation du Gouvernement sur ce sujet important. Encore une fois, permettez-moi de me réjouir du travail conduit cet après-midi dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC, Les Républicains et SER.)
Mme le président. La discussion générale est close.
Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
proposition de résolution en faveur de l’association de taïwan aux travaux de plusieurs organisations internationales
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu le chapitre XVI du Règlement du Sénat,
Vu l’article 7 de la Convention-cadre du 09 mai 1992 des Nations Unies sur les changements climatiques (CNUCC),
Vu la règle 5 du Règlement intérieur permanent de l’Assemblée de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI),
Vu l’article 4 des statuts de l’Organisation internationale de police criminelle (Interpol),
Vu l’article 8 et le h de l’article 18 de la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé (OMS),
Considérant que la France place le multilatéralisme au centre de sa politique étrangère et de la défense de ses intérêts ;
Considérant que la contribution de Taïwan à l’économie et aux échanges mondiaux de toute nature s’est amplement développée au cours des dernières décennies ;
Considérant que Taïwan observe de manière constante une attitude pacifique et coopérative à l’échelle mondiale et que ce territoire a développé une vie démocratique pluraliste reconnue ;
Considérant que les statuts de l’OMS, de la CNUCC, d’Interpol et de l’OACI offrent aux entités dépourvues de statut étatique des possibilités de participation ne portant pas atteinte aux droits des États membres ;
Considérant que Taïwan a bénéficié de ces modalités de participation à plusieurs reprises ;
Considérant que la participation de Taïwan à l’OMS, à la CNUCC, à Interpol et à l’OACI présente une utilité majeure au bénéfice de la coopération d’intérêt mondial que ces organisations soutiennent et que cette utilité est particulièrement confirmée à l’Assemblée mondiale de la santé de l’OMS ;
Souhaite la poursuite des démarches diplomatiques engagées par la France depuis plusieurs années en faveur de la participation de Taïwan à l’Assemblée mondiale de la santé de l’OMS et à l’OACI, ainsi que leur élargissement à la CNUCC et à Interpol, selon les modalités que prévoient leurs règles respectives ;
Constate que cette démarche constructive est rigoureusement conforme à la position constante de la France au regard des relations qu’elle entretient avec la République populaire de Chine depuis 1964 ;
Observe avec satisfaction que ce souhait est partagé par de très nombreux États membres des organisations précitées.
Vote sur l’ensemble
Mme le président. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 116 :
Nombre de votants | 323 |
Nombre de suffrages exprimés | 304 |
Pour l’adoption | 304 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, SER, UC et Les Républicains.)
6
Ordre du jour
Mme le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 10 mai 2021 :
À dix-sept heures trente et le soir :
Projet de loi constitutionnelle, adopté par l’Assemblée nationale, complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement (texte n° 449, 2020-2021).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures cinquante-cinq.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER