M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voilà déjà au huitième texte relatif à la crise sanitaire en quinze mois. Huit textes en quinze mois !
En mars 2020, monsieur le ministre, vous nous avez demandé de sacrifier nos libertés pour garantir la santé publique, ce que nous vous avons, bon gré mal gré, accordé. Mais depuis un an, pour ma part, je conteste la nécessité de proroger ces restrictions de liberté. Qu’elles soient permises juridiquement par un état d’urgence ou par un régime transitoire n’y change rien. À trop proroger, on finit par pérenniser !
C’est d’ailleurs la tentation de votre gouvernement. Le Premier ministre n’hésite plus à se confier, à confesser dans la presse que le masque « pourrait entrer dans les habitudes de l’Occident »… On le comprend bien, quand on envisage « La République En Masque » (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.), ce sont nos libertés fondamentales qui sont menacées.
La première lecture de ce texte à l’Assemblée nationale prouve néanmoins que, avec un peu de mobilisation et un minimum de courage parlementaire, il est encore possible de s’opposer efficacement aux projets funestes du Gouvernement.
Le Parlement est indépendant ; il n’est pas une chambre d’enregistrement servile. Faisons en sorte, mes chers collègues, que l’examen de ce texte, ici, au Sénat, soit une nouvelle occasion de le démontrer. Les Français en ont besoin. Ils étouffent depuis un an dans cette geôle sanitaire, qui les a coupés de tout.
Me vient alors une double question.
Monsieur le ministre, qu’avez-vous fait, vous et l’ensemble des membres du Gouvernement, de notre devise « Liberté, Égalité, Fraternité » ? Par l’instauration d’un pass sanitaire, nos libertés sont attaquées avec une violence inédite. L’égalité est piétinée par la discrimination en fonction de l’état de santé de chacun. La suspicion, la crainte, la peur même sont instillées jusqu’au sein des familles, condamnant tout geste de fraternité.
Qu’avez-vous fait de notre savoir-vivre, de notre savoir-être, de notre mode de vie à la française ? Nous voilà calfeutrés, isolés, esseulés ! Pour tenter d’échapper à vos responsabilités et, peut-être, aux tribunaux, vous avez offert pour seul horizon aux Français la peur, la tristesse, le contrôle, la culpabilisation.
Oui, un virus circule. Mais c’est une solution de facilité que de confiner et de recourir au pass sanitaire. Si certains de nos concitoyens, fatigués, s’y résignent, d’autres comme moi, et ils sont nombreux, continuent de le rejeter.
Nous connaissons l’appétit insatiable de l’administration et de l’État en matière de réglementation et de contrôle. Nous ne voulons pas leur abandonner nos libertés. Nous ne voulons pas les laisser nous noyer sous les contraintes administratives – attestation de vaccination, certificat de rétablissement, preuve de test PCR, amendes… – ni leur donner l’occasion de régenter nos activités du quotidien.
Le trans-monde que vous construisez est pavé de bonnes intentions. Il aboutit à l’enfer du contrôle numérique généralisé, aux restrictions de liberté et à la discrimination.
Préoccupé par ce glissement éthique grave, je vous invite, mes chers collègues, à prendre de la hauteur par rapport à ce texte et à l’examiner avec l’esprit qui a construit notre civilisation de liberté.
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le virus circule moins, le couvre-feu se réduit, les terrasses et les magasins rouvrent et les beaux jours arrivent avec les petits oiseaux. (Sourires.)
On pourrait s’attendre à ce que tout le monde se réjouisse, mais ce n’est pas du tout l’impression que l’on retire de la lecture de ce texte, voilà huit jours, à l’Assemblée nationale, et de certains discours ici même. Ce fut un concert de lamentations et de critiques ! Le pompon revient au dépôt de deux motions préalables, qui, si elles avaient été adoptées, nous auraient privés dès le 1er juin prochain de tout outil juridique pour continuer la lutte contre la pandémie.
Il faut donc, une fois de plus, s’opposer aux producteurs de fake news, dont nous venons d’avoir une démonstration à l’instant, et en premier lieu à l’intox sur le pass sanitaire, qui a si bien réussi que les Français se demandent si celui-ci ne va pas attenter aux libertés ou entraîner des discriminations entre vaccinés et non vaccinés.
Soyons clairs, il ne s’agit pas d’un pass vaccinal. Il s’agit d’un pass sanitaire, avec trois options : soit un certificat de vaccination, soit un test PCR négatif, soit un test sérologique positif. Il n’y a donc pas de discrimination, pas non plus de nouveau fichier, et le code QR sera en possession du seul utilisateur et de personne d’autre.
Non seulement le pass n’est pas une atteinte aux libertés, mais il est le moyen de retrouver le plus rapidement possible toutes les libertés réduites depuis des mois, notamment celle d’aller et venir en France et dans toute l’Europe. C’est la raison pour laquelle le conseil scientifique, le Conseil d’État et la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL – excusez du peu ! – ont émis un avis favorable.
Monsieur le ministre, je n’ai qu’un conseil à vous donner : accélérez sa mise en place, travaillez avec tous nos partenaires européens, car l’urgence, comme les Français l’ont très bien compris, est de retrouver le plus vite possible nos habitudes, notre mode de vie et notre croissance, qui sont nos vraies libertés.
À ceux qui poussent des cris d’orfraie en disant qu’on les force à la vaccination, il faut rappeler qu’il y a en France onze vaccinations obligatoires ayant permis d’éradiquer des maladies souvent mortelles, que personne ne s’en plaint et que le vaccin anti-covid, lui, reste facultatif.
À ceux qui hurlent à la confiscation de leurs données de santé, il faut rappeler qu’il y a en France vingt-quatre maladies à déclaration obligatoire, que cela n’a jamais gêné personne et que personne ne propose un tel dispositif pour le covid.
À ceux qui rechignent au pass sanitaire aux frontières, il faut rappeler que nul ne peut aller en Afrique ou dans une grande partie de l’Amérique du Sud sans un certificat de vaccination contre la fièvre jaune et que, non seulement tout le monde trouve ça normal, mais ne pas le faire ferait courir des risques épidémiologiques majeurs.
Or, pour le covid, la moindre mesure est dénoncée par les offusqués professionnels, à grand renfort de réseaux antisociaux, comme un crime contre les libertés. Nous vivons dans un monde en train de perdre tout bon sens.
Les anti-pass sont ceux-là mêmes qui ont tout fait l’an dernier pour rendre les vaccins suspects et obliger le Gouvernement à ralentir le rythme initial, pour mieux lui reprocher, aujourd’hui, de ne pas aller assez vite.
Écoutez, mes chers collègues, le grand « pro » Dupont-Aignan… En décembre, il diffusait la peur sur le vaccin du laboratoire Pfizer, disant que les Français seraient, je cite, des « souris de laboratoire ». Aujourd’hui, son nouveau cri est : « Le #PasseportVaccinal se profile à l’horizon… […] Une infâme et sournoise contrainte à la vaccination ! Non au totalitarisme naissant ! Sauvons notre liberté ! »
Le 3 mars dernier, ce spécialiste du covid publiait une vidéo dénonçant « l’amateurisme dangereux pour les Français » du Gouvernement. Il avait revêtu pour l’occasion un masque FFP2. L’ennui, c’est qu’il le portait à l’envers ! (Rires.) La vidéo a été vue 500 000 fois sur YouTube par des internautes gondolés. Ne la manquez surtout pas ! Ce type est candidat à la Présidence de la République. (M. le ministre s’esclaffe.)
Il nous manquait l’avis du leader minimo, le professeur de la faculté de médecine de La Havane. Nous l’avons eu en janvier sur la chaîne BFM TV : « Un vaccin qui se fabrique à moins 60 degrés… Vous et moi, on n’y connaît rien en vaccin, mais on connaît au moins deux ou trois trucs sur le surgelé, puisqu’on en consomme ». (Rires.) Et d’ajouter que ce vaccin ne le rassurait pas.
Après avoir mis ce gros bâton dans les roues, il dénonce aujourd’hui la lenteur de la campagne de vaccination et vote la motion de rejet contre le pass sanitaire. J’oubliais : lui aussi est candidat à la Présidence de la République. (M. le ministre et M. le secrétaire d’État rient.)
Si nous voulons que la sortie de l’état d’urgence se passe bien, il faut réussir l’immunité collective par le vaccin, et ce ne sont pas les spécialistes des fake news qui vont nous y aider.
Jusqu’à présent il fallait trouver les doses ; désormais il va falloir convaincre les 30 % de Français qui hésitent encore.
Aux États-Unis, une logistique impressionnante a permis de vacciner 40 % de la population. Mais, depuis quelques jours, le rythme s’effondre dans certains États, faute de candidats, et certains centres ont même dû fermer. La même question se posera en France dès cet été, comme dans toute l’Europe. Quant au reste du monde, il n’est tout simplement pas vacciné à ce jour, et l’arrivée de n’importe quel nouveau variant peut faire redémarrer la pandémie partout.
Convaincre chez nous les hésitants est le prochain défi de votre gouvernement, monsieur le ministre. Fournir des vaccins à tous les habitants des pays qui ne peuvent les payer est le prochain défi des gouvernements du monde entier. À ceux qui en doutent, les images de l’Inde ou du Brésil sont là pour le rappeler.
Au moment où les Français ont de vraies raisons de reprendre espoir, pour la première fois depuis le début de la pandémie, ne suivons pas l’exemple de Donald Trump ou de Jair Bolsonaro, sur le thème « Après moi, le déluge ». Au nom du bon sens et pour la sécurité des Français, nous voterons les mesures de sortie de la crise. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, Les Républicains et RDPI, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis plus d’un an, notre pays a subi les conséquences d’une pandémie que, certes, nous n’aurions pu prévoir, mais que, néanmoins, nous aurions pu gérer différemment à bien des égards.
Je l’ai déjà dit dans cet hémicycle et je ne cesserai de le répéter : les difficultés dont souffre l’hôpital public et que dénonce son personnel depuis des années, à savoir le manque de moyens financiers et humains, le manque de lits en réanimation et le manque de considération face à ces requêtes, ont été des facteurs aggravants de cette crise de la covid-19.
Comme nous l’avons également dénoncé à maintes reprises, les nombreux atermoiements du Gouvernement dans sa gestion de la crise, notamment sur la question du port obligatoire du masque ou des confinements et reconfinements, couplés à la lenteur de la mise en place de la vaccination sur tout le territoire et accessible à tous, n’ont fait que ralentir la sortie de crise.
Nos jeunes et nos étudiants ont souffert de l’isolement et du sentiment d’une jeunesse volée. Les Français les plus précaires ont connu la détresse sociale. De nombreux secteurs économiques, au premier rang desquels le monde de la culture et du divertissement, la restauration et les commerces non essentiels, se sont sentis lésés, et cela à juste titre.
À qui la responsabilité de cet échec ? Monsieur le ministre, je vous pose la question. Peut-être, d’ailleurs, ne connaissez-vous pas la réponse…
Même s’il nous apparaît important de faire, le moment venu, le bilan de cette gestion de la covid-19, l’heure n’est pas aux reproches. En effet, à l’approche de l’été et après plus d’un an de vie sociale et économique à l’arrêt, l’heure est à l’anticipation. Les Français attendent, et nous appelons tous de nos vœux, une sortie de crise estivale respectueuse des règles sanitaires, permettant de rendre à tous une vie normale.
Pour ce faire, nous entendons la volonté de mise en place d’un pass sanitaire, notamment dans la perspective d’une reprise des grands événements culturels et festifs, ainsi que des déplacements à l’intérieur de l’Europe. Pour autant, nous mettons un point d’honneur à ce que soit défini de façon très rigoureuse le cadre éthique dans lequel ce dispositif sera déployé.
En effet, il doit avant tout s’agir d’une mesure temporaire de gestion de sortie de crise. Nous ne pouvons concevoir une utilisation de ce dispositif au-delà d’une période où la France aura largement déployé sa politique vaccinale et atteint l’immunité collective sur son territoire.
En outre, quels lieux seront concernés par la mise en place de ce pass ? Malgré les précisions de la commission, les contours de la notion de « grands rassemblements de personnes » sont encore trop flous dans la version actuelle du texte.
Enfin, qu’en est-il des données de santé à caractère personnel qui seront collectées par ce dispositif ? Quid de leur durée de conservation ? Bien que la commission des lois ait souhaité strictement encadrer l’accès à ces données, nous ne nous satisfaisons pas de leur intégration au système national des données de santé, permettant de fait une conservation pouvant aller jusqu’à vingt ans. Pour prévenir tout risque de dérive, nous considérons que la conservation de ces données ne doit pas dépasser trois ans.
Disons-le clairement, la sortie de crise doit promptement avoir lieu. Mais elle doit se faire en gardant à l’esprit que les mesures qui la permettent sont circonscrites dans le temps et ne peuvent être mises en place au mépris du respect des droits et libertés des Français.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires exprimera un vote diversifié face au pass sanitaire. S’agissant du texte même, notre vote dépendra de l’évolution de la discussion, ainsi que de l’adoption ou non des amendements que nous défendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous entrons dans la discussion d’une transition opportune face à un horizon encore incertain.
Nous devons, je crois, avoir conscience de l’importance des risques qui continuent de se développer ailleurs qu’en Europe et en Amérique du Nord. L’été prochain sera une période de déplacements à l’échelle internationale. La vigilance et l’attention restent donc de mise.
C’est pourquoi il faut saluer l’équilibre, que nous allons essayer de parfaire encore, dans l’organisation du retour progressif à la vie sociale, humaine et économique proposé par le présent texte.
C’est le moment, bien sûr, d’exprimer une gratitude particulière à l’égard de tous ceux qui ont contribué à la lutte contre la pandémie en suivant des règles collectives élaborées de manière progressive et dans la liberté de débat, aidant ainsi le pays, notre société, à s’en sortir dans les meilleures conditions.
Le projet de loi comprend d’abord le maintien d’une capacité d’encadrement, certes plus limitée, des activités à risque de propagation.
Certaines mesures sont supprimées pour la période à venir, notamment le confinement et le couvre-feu généralisé, mais il est encore nécessaire, et le texte le prévoit, de réglementer certains déplacements ou les activités entraînant des rassemblements ou les activités économiques.
À cet égard, nous rejoindrons la position exprimée au sein de la commission : il faut éviter, autant que faire se peut, les interdictions complètes. Mais, sous cet angle, le texte semble désormais atteindre son équilibre.
Nous défendrons les mesures localisées de fermeture ou de couvre-feu lorsqu’elles sont justifiées de façon argumentée, avec, évidemment, une intervention du conseil scientifique ou de l’ARS sur le plan local. Il y aura discussion sur les conditions et délais de ratification pour l’acceptation parlementaire…
Je préfère augurer que la commission mixte paritaire, avec la contribution bénévolente du Gouvernement, nous permettra de trouver un bon compromis sur ce dispositif.
M. Loïc Hervé. Espérons-le !
M. Alain Richard. Ce texte tend aussi à introduire un pass sanitaire dont je voudrais souligner, comme l’a très justement fait Philippe Bas, hier, en commission, qu’il est la condition pour le rétablissement des grands événements.
Même si nous la souhaitons intensément, il n’est pas raisonnable d’envisager, cet été, la multiplicité des festivals et des activités de loisirs dans les zones de vacances, en particulier les zones balnéaires où l’on trouve les plus grands regroupements de personnes, sans un mécanisme de protection collective. Le choix se situe bien entre l’absence de reprise de ces événements ou de ces occasions de rassemblement et le recours imposé au pass sanitaire qui les sécurise ; il n’y a pas de troisième voie possible !
Il faut donc défendre ce système, car certains lieux et types de rassemblement sont par nature porteurs de risques, et nous n’aurons pas encore atteint cet été un effectif de personnes vaccinées suffisant pour pouvoir nous en passer.
Nous espérons, monsieur le ministre, que nous pourrons clarifier davantage les conditions d’entrée en vigueur de ce pass sanitaire.
D’une part, s’agissant des conditions dans lesquelles chaque événement donnera lieu à une acceptation, nous préférerions de loin que le Gouvernement, dans le décret, fixe des catégories de lieux ou d’activités, afin qu’il n’y ait plus besoin, ensuite, d’une autorisation individuelle. D’autre part, nous demanderons que des précautions particulières soient prises en matière d’exercice du contrôle.
En effet, celui-ci sera mis en œuvre pour les grands rassemblements, et ce à l’échelle du territoire, par des personnes chargées du contrôle d’accès plus ou moins préparées à cela. J’insisterai donc, et je ne serai certainement pas le seul à le faire, pour que nous soit montré le projet de décret déclinant en détail les conditions dans lesquelles ces contrôles – éléments clés de l’efficacité de la mesure, de son équilibre et de son équité – auront lieu.
Le projet de loi prévoit en outre une mesure très favorable à la poursuite des activités de recherche épidémique.
J’entends des critiques sur l’inscription des résultats du traitement et de la prévention du covid dans le système national des données de santé.
Néanmoins, il faut ne pas avoir discuté une fois dans sa vie avec un chercheur en épidémiologie ou en santé publique pour ignorer que le suivi des cohortes, c’est-à-dire de l’évolution de groupes humains témoins, sur une longue durée, nécessite des fichiers de données efficaces et durables. Si nous écartons cette solution, nous privons les chercheurs en santé publique de travailler efficacement et de nous protéger contre d’autres pandémies.
Enfin, ce texte comporte quelques mesures – assez nombreuses tout de même – d’adaptation des règles et obligations administratives et procédurales.
Dans l’ensemble, on peut tout à fait approuver ces mesures. En tout cas, et ce sera un point de divergence avec notre rapporteur, qui propose un certain nombre de suppressions, il ne faut pas faire obstacle aux changements de méthodes ayant amélioré l’efficacité de la justice. Je pense notamment à l’autorisation, hors procédure pénale, des comparutions par visioconférence, qui permettent d’éviter des renvois incessants de procès. Sur ce sujet, je crois, nous devons trouver une issue constructive au débat.
Ce texte est un rendez-vous avec les Français. L’application de cette période de transition donnera lieu, aussi, à un rendez-vous avec le Parlement… Nous en reparlerons, mais permettez-moi déjà, monsieur le rapporteur, de regretter la date du 15 septembre. Il se passera des choses durant l’été…
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Alain Richard. Si nous n’avons plus de loi au 15 septembre, nous serons bien ennuyés. Il vaut donc mieux, à mes yeux, attendre un peu plus longtemps. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Le Rudulier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, plus d’un an après le premier déclenchement de l’état d’urgence sanitaire, ce projet de loi constitue le huitième texte d’urgence consacré à cette crise d’une ampleur inédite. Comme l’année dernière à l’été 2020, il matérialise l’espoir de la sortie de crise et devrait marquer le début d’un retour progressif à la normale.
Certes, l’impatience des Français est grande, mais nous devons prendre conscience que la situation reste très préoccupante.
Le contexte sanitaire, même s’il s’améliore de jour en jour, appelle tout de même à la prudence et à la progressivité des mesures de sortie de crise. Les derniers chiffres en notre possession justifient de ne pas abandonner totalement et brutalement un certain nombre de mesures et de contraintes.
Néanmoins, ce texte met en place une sorte de régime hybride apportant beaucoup de confusion. Le Sénat avait d’ailleurs déjà déploré cette confusion à l’occasion de l’examen des textes précédents, dénonçant le manque de clarté entre les frontières du droit commun et de l’état d’urgence sanitaire.
En effet, à bien y regarder, le texte proposé semble relever davantage d’un effet d’annonce, d’une volonté de faire jouer des ressorts psychologiques dans l’opinion publique, plutôt que d’une véritable nécessité juridique.
En réalité, sans que cela soit clairement exprimé, le Sénat est invité à reconduire après le 1er juin l’autorisation donnée au Gouvernement d’exercer la quasi-totalité des pouvoirs énumérés par la loi du 23 mars 2020. Ce texte s’apparente donc à un texte de prolongation de l’état d’urgence sanitaire, plutôt qu’à un texte de sortie de crise, dont il ne porte que le nom.
Aussi, au-delà de ces remarques d’ordre général, je souhaite articuler mon propos autour de quatre points, qui me paraissent essentiels.
En premier lieu, tel qu’il a été modifié par l’Assemblée nationale et renforcé en commission au Sénat, le texte tend à ramener la période de ce nouveau régime sanitaire du 1er juillet au 15 septembre 2021, afin d’éviter toute confusion entre état d’urgence et sortie de l’état d’urgence, sortie qui doit permettre d’apporter des restrictions aux libertés sans pour autant poser des interdits généraux comme le confinement – généralisé ou territorialisé – et le couvre-feu.
Cela constitue une véritable clarification par rapport au projet de loi initial, qui prévoyait cinq mois consécutifs de ce régime d’exception qu’est l’état d’urgence, sans consultation du Parlement. Une fois de plus, les exigences d’un contrôle parlementaire ne sont pas respectées. Cela aura été jusqu’au bout une constante dans la gestion de crise du Gouvernement, une constante que nous déplorons et que nous désapprouvons.
En deuxième lieu, la question du pass sanitaire est au cœur du débat pour tous les Français, comme en témoignent les nombreuses sollicitations dont nous avons fait l’objet au cours des derniers jours.
Le dispositif a été inséré tardivement, par voie d’amendement gouvernemental, évitant ainsi l’examen devant le Conseil d’État qu’une telle mesure méritait amplement.
Si des garanties pour les « activités de la vie quotidienne » ont pu être apportées, sur l’initiative des députés, les conditions d’application du pass sanitaire n’en demeurent pas moins assez floues. Nous vous proposons de les encadrer plus rigoureusement, car, à l’intérieur de ce document, ce sont bel et bien des informations médicales, même si elles ne sont que partielles, qui relèvent de la vie privée.
Ainsi le pass sanitaire doit être expressément limité dans le temps et accompagné de garanties suffisantes, afin de protéger les droits et libertés de chacun.
C’est d’ailleurs pour cette raison que la CNIL, dans son avis rendu après l’adoption du projet de loi à l’Assemblée nationale, recommande l’intégration de garanties pour la protection de ces données, mais préconise aussi, et surtout, « que la loi [définisse], de manière précise, les finalités, la nature des lieux, établissements et événements concernés, ainsi que le seuil de fréquentation minimal envisagé ».
En troisième lieu, le texte proposé par le Gouvernement soulève une interrogation autour de la possibilité de décider des confinements locaux sans consulter le Parlement avant deux mois. Ce dispositif permettrait à l’exécutif de mettre en œuvre l’état d’urgence sanitaire, donc de reconfiner, dans des territoires représentants moins de 10 % de la population nationale, sans avoir à demander la prorogation au Parlement pendant deux mois, contre un mois en l’état actuel du droit.
S’il est possible d’arguer de son intérêt pratique et de la rapidité de sa mise en place, cette mesure n’en est pas moins en totale opposition avec la position défendue par le Sénat depuis un an, c’est-à-dire l’établissement d’un contrôle parlementaire étroit de l’action du Gouvernement pendant la crise sanitaire.
C’est la raison pour laquelle la commission des lois a maintenu l’intervention du Parlement au bout d’un mois, en cas de réinstauration de l’état d’urgence sanitaire dans certaines circonscriptions, considérant que c’est un motif suffisamment grave pour justifier cette intervention.
En quatrième lieu, et enfin, un point d’attention majeur concerne le dispositif prévoyant la conservation pseudonymisée des données de santé collectives dans le système d’information sur le covid créé par la loi du 11 mai 2020.
La pseudonymisation de ces données, plutôt que leur anonymisation, fragilise considérablement leur sécurisation, puisqu’il est possible, sous certaines conditions, d’avoir accès à l’identité de leurs détenteurs. Par ailleurs, celles-ci seraient reversées dans le système national des données de santé, ce qui reviendrait à prolonger considérablement – jusqu’à vingt ans – la durée de conservation d’informations initialement censées être enregistrées pour la seule durée de vie – quelques mois – du système d’information spécifique au covid.
Ainsi, il était indispensable d’assortir la bascule de ces données dans le SNDS de garanties supplémentaires s’agissant de l’accès à ces informations, de la finalité de leur traitement ou de l’information des personnes concernées.
Pour conclure, je voudrais saluer le travail précis et rigoureux, d’un point de vue juridique, de notre rapporteur, qui, une nouvelle fois, a démontré sa grande expertise.
Notre groupe sera vigilant quant à l’évolution de la discussion en séance, veillant à ce qu’elle permette de concilier les libertés individuelles et collectives avec la nécessaire protection de la santé publique, équilibre qui faisait cruellement défaut dans le texte initial. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Sylvie Robert. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le célèbre mot de Churchill à propos de la démocratie pourrait être parfaitement transposable au pass sanitaire : celui-ci est un mauvais système, mais il est peut-être le moins mauvais de tous, s’il s’agit de concilier notre aspiration unanime à retrouver davantage de libertés avec la prise en compte des impératifs sanitaires.
En ce sens, il revient à se confronter à la dialectique permanente entre responsabilité et liberté, sans tomber dans l’écueil du manichéisme.
Ainsi, le caractère a priori nécessaire, mais exceptionnel, du pass sanitaire, lequel s’inscrit aussi dans une perspective européenne, ne signifie aucunement que le Parlement doive accorder son blanc-seing au Gouvernement sur ses modalités de mise en œuvre.
La fin ne justifie pas les moyens, surtout au regard de son caractère inédit et attentatoire aux libertés publiques et du risque de rupture d’égalité. Comme le relève l’avis du conseil scientifique, les conditions de son application conditionnent son acceptabilité et, partant, le soutien ou le rejet de notre groupe politique.
En urgence, c’est vrai, la CNIL s’est prononcée la semaine dernière sur le pass sanitaire. En tant que commissaire, avec mon collègue Loïc Hervé, je puis vous dire que nous en avons largement débattu. La CNIL est claire : parmi ses nombreuses réserves, elle demande que la loi soit précisée et que des garanties supplémentaires soient apportées.
Aussi, la commission des lois a commencé à encadrer le dispositif et, dans son prolongement, nous souhaiterons aller plus loin : d’une part, en inscrivant dans la loi la jauge à partir de laquelle le pass sanitaire sera requis – fixée à 1 000 personnes à l’intérieur et à 5 000 en extérieur –, l’objectif étant bien sûr d’exclure explicitement les activités dites « du quotidien » – il s’agit de l’une des recommandations de la CNIL ; d’autre part, en plus des garanties apportées en commission en matière de protection des données personnelles, en évaluant le pass sanitaire, qui constitue une forme d’expérimentation, sera indispensable.
Vous l’aurez compris, comme les professionnels des secteurs à l’arrêt depuis plus d’un an maintenant – je pense singulièrement au monde culturel, au monde sportif, mais aussi au monde de l’événementiel –, nous attendons des précisions et nous demandons un encadrement législatif vigoureux de ce pass sanitaire.
N’oublions pas non plus que la traduction opérationnelle de ce dispositif interroge fortement, en particulier les organisateurs des événements.
Les lourdes contraintes menacent leur tenue, tandis que des problématiques concrètes sans réponse demeurent légion, par exemple la responsabilité en matière de vérification des justificatifs, le soutien logistique, les soutiens financiers, l’articulation : quelle cohérence d’ensemble avec d’autres impératifs, notamment sécuritaires ?
Vous savez, le risque de décourager et d’asphyxier ces organisateurs est réel. Aussi, il nous faut préciser le dispositif : le pass sanitaire ne peut être que transitoire, exceptionnel, le temps d’un été, car, souvenez-vous, comme disait Simone Weil : « La vérité, c’est […] que la liberté n’est précieuse qu’aux yeux de ceux qui la possèdent effectivement. » (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRC.)