Mme le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Je vous préviens, mes chers collègues, que je serai intraitable sur le respect de votre temps de parole !
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Madame la ministre, « non essentiels », voilà comment ont été considérés les acteurs culturels durant de trop longs mois.
La reprise culturelle doit être l’occasion de montrer exactement l’inverse et de redéfinir les objectifs d’une politique culturelle. Le premier d’entre eux, selon nous, doit être l’accès de tous à la culture dans la proximité ; j’insiste sur ce point. Cela veut dire mieux soutenir les lieux à rayonnement régional, mais aussi des lieux et des équipes artistiques divers et à dimension plus locale.
Tous doivent être accompagnés pour mieux aller à la rencontre des publics les plus éloignés de la culture, dont certains se sont encore plus éloignés du fait de la période que nous venons de vivre.
Selon nous, cela passe notamment par une redéfinition de la distribution des subventions : aujourd’hui, par exemple, 85 % des compagnies conventionnées en Normandie n’y vivent pas et ne font pas travailler les artistes normands. Nous attendons un nouvel acte de la décentralisation de la culture vivante.
Les intermittents sont soutenus au travers de l’année blanche et des filets de sécurité que vous venez de rappeler, madame la ministre. Toutefois, il semble que ce qui est donné d’une main est repris de l’autre, avec la réforme de l’assurance chômage et les modifications des annexes 8 et 10, qui les priveraient du bénéfice du régime de l’intermittence s’ils effectuent des heures au régime général.
Enfin, je souhaite insister sur le lien entre lieux culturels, équipes artistiques et établissements scolaires. Ces derniers sont l’une des clés de l’élargissement de l’accès à la culture, mais les financements manquent. Je pense, par exemple, au projet d’orchestre de l’école de la ville d’Eu, dans mon département, qui se trouve menacé faute de financement.
Or, comme chacun le sait ici, des enfants qui dansent, qui jouent, qui peignent, qui chantent, fréquenteront beaucoup plus facilement les lieux culturels en grandissant.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Je veux vraiment répondre à l’accusation récurrente, madame la sénatrice, selon laquelle nous ne considérerions pas la culture comme essentielle.
Ce mot a été prononcé pour définir des commerces journaliers dont nous avons besoin pour assurer notre subsistance ; il n’a jamais été question de dire que la culture n’était pas essentielle. Au demeurant, comme le disait Pierre Reverdy – à moins que ce ne soit saint Paul –, « Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour ».
Or, ces preuves, nous les avons données : 12,4 milliards d’euros pour soutenir la culture. Observez ce qu’ont fait les nations comparables : l’Italie, pays ayant mobilisé le plus de crédits après la France, a débloqué un peu plus de 4 milliards d’euros ; l’Allemagne, 2 milliards d’euros ; la Grande-Bretagne, 1,7 milliard de livres ; l’Espagne, pays tant vanté pour avoir laissé quelques salles ouvertes à Madrid, 800 millions d’euros pour aider ses artistes…
Oui, pour le Gouvernement français, la culture est essentielle. Il en a apporté la preuve en soutenant massivement le secteur culturel, avec ses opérateurs et avec ses directions régionales des affaires culturelles, les DRAC. La crise a montré combien l’organisation territoriale de l’État était importante, et les DRAC ont été au plus près des acteurs de terrain.
J’ai mobilisé les structures de concertation autour des DRAC avec la création des CTC, les conseils des territoires pour la culture, régionaux. Je mène également une politique active de développement des comités régionaux des professions du spectacle, les Coreps ; en effet, beaucoup de régions n’en possèdent pas, alors que ce sont précisément les lieux où les acteurs de la culture et les décideurs locaux peuvent se rencontrer.
En ce qui concerne les intermittents, je ne vous réponds pas tout de suite, car j’ai épuisé mon temps de parole, mais j’y reviendrai à l’occasion d’autres questions. (Sourires.)
Mme le président. La parole est à Mme Annick Billon.
Mme Annick Billon. À compter du 9 juin, les grandes manifestations culturelles se verront appliquer une forme de double peine : pass sanitaire et jauge réduite.
La présentation du pass sanitaire sera exigée pour toute manifestation culturelle accueillant plus de 1 000 personnes. Et un maximum de 5 000 spectateurs devra être respecté, dès lors que ce seuil représente moins de 65 % de la jauge.
Or qui dit « pass sanitaire » dit « contrôles », donc « effectifs et coûts supplémentaires ». Qui dit « jauge » dit « moins de public », donc « moins de recettes ». Et qui dit « plus de coûts et moins de recettes » dit « absence de marge et déficit ».
Aussi, à l’instar de certains restaurants ou cafés qui font le choix de rester fermés, faute d’une surface de terrasse suffisante, cette spirale inflationniste a pu conduire certains organisateurs ou producteurs à annuler ou reporter une représentation, plutôt que de prendre le risque de perdre de l’argent. Nombreux sont les festivals qui, cet été encore, laisseront les artistes dans les loges, les techniciens au chômage et les prestataires à l’agonie.
Pourquoi donc imposer cette double peine ? Pourquoi imposer une jauge pour accueillir des spectateurs qui présentent la preuve qu’ils ne développent pas le virus de la covid-19 ? C’est bretelles et ceinture !
Madame la ministre, quel est l’intérêt de maintenir une jauge pour les événements exigeant un pass sanitaire ? Il semblerait que ce pass, tel qu’il est envisagé, ne soit pas satisfaisant. Prenons l’exemple du festival de Poupet, en Vendée : n’est-il pas dissonant d’imposer ce pass aux spectateurs quand on ne l’exige pas des organisateurs, des techniciens et des bénévoles ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Madame la sénatrice, je ne puis laisser parler de double peine. La double peine, ce serait celle que nous infligerions aux spectateurs qui n’auraient pas été suffisamment protégés. Nous comprenons tous que plus ils sont nombreux, plus le risque de contamination est important. C’est en cela que je parlais de reprise progressive et cohérente.
Je rappelle qu’il serait illégal d’imposer le pass sanitaire aux agents, que ceux-ci soient salariés ou bénévoles ; c’est une question de droit du travail, et je ne puis donc retenir votre remarque.
Ce pass nous permettra de tenir un agenda de réouverture plus soutenu. Il s’agit d’une solution pragmatique. Comme je l’ai déjà souligné lors de mes auditions en commission, je n’étais pas une fanatique du passeport vaccinal, mais une partisane du pass sanitaire avec des conditions très encadrées. Je crois savoir qu’il a été voté, et c’est une bonne chose. La France est d’ailleurs loin d’être le seul pays à faire ce choix.
Le pass sanitaire sera applicable du 9 juin au 30 septembre, dès que la jauge de billetterie est supérieure à 1 000. Il s’agit d’événements de grande ampleur. Les établissements recevant du public, les ERP, concernés sont donc les chapiteaux, les salles de théâtre ou de spectacle de plus de 1 000 places, les salles de spectacle sportif, les salles de conférence, les salons et foires d’exposition, les festivals debout et assis, notamment en plein air.
Vous connaissez les trois types de preuve qui seront opposables : le test négatif, le certificat de rétablissement et le certificat de vaccination. Ces différentes modalités de présentation de la preuve permettront de garantir l’accessibilité de tous aux activités.
Je compléterai mes propos à l’occasion des questions suivantes. (Sourires.)
Mme le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour la réplique.
Mme Annick Billon. À Poupet, comment pourra-t-on réaliser autant de contrôles et de tests, alors que 30 000 billets – donc potentiellement 30 000 tests – ont été vendus ? Que faire si le festivalier qui a acheté son billet depuis plus d’un an ne peut présenter un pass sanitaire ? Qui va payer ? (M. Roger Karoutchi s’exclame.)
Peut-être faut-il envisager un fonds de compensation pour les remboursements ?
Mme le président. La parole est à Mme Sabine Van Heghe.
Mme Sabine Van Heghe. Madame la ministre,, en cette période de reprise – seulement partielle, il est vrai – des activités culturelles, je souhaite vous alerter sur les très grandes difficultés éprouvées par les directrices et directeurs de festivals et par les intermittents qui y travaillent.
Vous avez annoncé, voilà quelques semaines, les conditions de tenue des festivals à compter du 1er juillet prochain : des festivals en configuration debout, en plein air avec une jauge de quatre mètres carrés par festivalier. Ces mesures suscitent des inquiétudes chez les professionnels, qui se demandent comment adapter ces contraintes à la particularité de leurs manifestations.
Certains festivals sont toujours dans l’incertitude quant à la tenue de leur édition de 2021, quand d’autres ont d’ores et déjà dû renoncer, comme le Main Square Festival d’Arras, qui a donné rendez-vous à ses habitués pour une édition 2022.
Même si les acteurs culturels tentent, tant bien que mal, de conserver le lien privilégié tissé avec nos concitoyens, les difficultés sont encore très grandes. Le fonds de compensation billetterie ne peut malheureusement tout résoudre.
C’est en effet tout un écosystème qui est touché, de nombreux commerçants et sous-traitants souffrent. Les difficultés des acteurs culturels, tout comme celles des intermittents du spectacle, vont malheureusement perdurer de longs mois.
Nombre d’intermittents ne partagent pas l’optimisme du Gouvernement : la reprise des activités culturelles depuis le 19 mai, aussi bienvenue soit-elle, est pour bon nombre d’entre eux un leurre. Ils sont en effet un très petit nombre à avoir pu reprendre le travail.
L’annonce du prolongement de l’année blanche jusqu’au 31 décembre 2021 et la mise en place de filets de sécurité pour 2022 n’ont pas rassuré les intermittents, qui craignent une baisse sensible de leurs revenus à partir de janvier 2022.
Comptez-vous mettre en place une indispensable clause de rendez-vous en fonction des évolutions et prendre l’engagement de la plus grande vigilance dans les prochains mois face à la prévisible persistance des difficultés affectant le monde culturel ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Vous avez raison, madame la sénatrice : ce n’est pas parce que les restrictions ont été levées que tous les événements culturels pourront reprendre.
Les uns et les autres sont soumis à des contraintes différentes. Je viens d’apprendre, par exemple, que mon cher festival de Baugé, en Maine-et-Loire, ne reprendra pas en 2021, parce qu’il collabore habituellement avec de nombreux artistes originaires de Grande-Bretagne, qui ne pourront venir exercer leur art cette année. Il s’agit d’un tout petit festival, en milieu rural, qui doit faire face à de nombreuses contraintes, à des problèmes de répétition… Certains spectacles vivants ne reprendront que le 1er septembre : la saison se terminant en juin, ils ne veulent pas relancer les équipes.
Nous allons accompagner ces transformations et les pertes de billetterie. J’ai annoncé, le 18 février dernier, un fond festival exceptionnel de 30 millions d’euros, dont 20 millions d’euros dédiés à la musique et gérés par le Centre national de la musique, le CNM, et 10 millions mis en œuvre par les DRAC pour les petits festivals et manifestations dans d’autres disciplines artistiques.
Nous aiderons aussi les festivals qui s’adaptent. Je pense, par exemple, aux Vieilles Charrues, en Bretagne, qui se tiendront cette année en mode assis. Cela entraîne bien évidemment une perte de billetterie et des frais supplémentaires.
Grâce à cette enveloppe de 38 millions d’euros mobilisée par la culture, de nouvelles commissions vont être mises en place pour soutenir la reprise des représentations du printemps et de l’été. Nous serons aux côtés de ces structures.
Avec les dispositifs que nous mettons en œuvre – à commencer par les quatre mois supplémentaires qui permettront d’accompagner cette phase de reprise –, les intermittents vont profiter d’une protection spécifique en 2022 que je vous détaillerai dans quelques instants.
Mme le président. La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des propositions que la mission d’information du Sénat sur les effets des mesures en matière de confinement a formulées pour ce qui concerne la réouverture des lieux culturels. Nous vous avions auditionnée et nous sommes à peu près sur la même ligne.
Je suis rarement généreux à l’égard du Gouvernement, mais il faut être un peu raisonné et raisonnable : il est certain que la France a bien plus aidé son secteur culturel que ses voisins (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.),…
M. Julien Bargeton. Absolument !
M. Roger Karoutchi. … et c’est tant mieux. À certains moments, il faut dire les choses ; je veux bien entendre que blanc c’est gris et gris c’est blanc, mais la vérité est là.
Nous vous le devons en grande partie, madame la ministre, car vous avez obtenu des arbitrages budgétaires plutôt positifs pour le milieu culturel. Je vous en remercie.
Pour ma part, je suis pour le maintien de la jauge et pour le pass sanitaire, tel qu’il a été voté par le Sénat. En effet, il serait insupportable à tous les Français d’affronter une quatrième vague au mois de septembre prochain. Qui l’accepterait ? Prendre des précautions me paraît donc tout à fait normal.
Toutefois, madame la ministre, même si les jauges vont être progressivement allégées, le monde du spectacle vivant craint que la dégressivité des aides ne soit de plus en plus forte et qu’ils ne puissent passer le cap de 2022. Avez-vous obtenu des arbitrages budgétaires favorables à cet égard ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Timeo Danaos et dona ferentes – cela dit pour les amateurs des pages roses du Larousse ou d’Astérix… (Sourires.)
M. Roger Karoutchi. D’Astérix, bien sûr !
Mme Roselyne Bachelot, ministre. À chacun ses références ! Je vous remercie, monsieur le sénateur, cher Roger Karoutchi, de vos propos.
Pourquoi les Français ont-ils accepté de voir le secteur culturel être autant aidé, parfois bien davantage que d’autres domaines d’activité ? C’est que les Français y sont attachés, même ceux qui ne le fréquentent pas. Un jeune homme me disait récemment ne jamais aller au théâtre, mais vouloir que les théâtres restent ouverts. Cette phrase peut paraître ridicule, mais elle ne l’est pas : nous vivons dans un pays qui permettra peut-être à ce monsieur, qui n’est jamais allé au théâtre, de s’y rendre un jour. Et c’est extrêmement important.
Bien évidemment, les dispositifs que nous mettons en place sont sous surveillance. Nous prévoyons clauses de rendez-vous et bilans. Je me suis engagée, voilà quelques semaines, devant le Conseil national des professions du spectacle, à nous retrouver à la fin de la période estivale pour faire le bilan : comment les choses se sont-elles passées, combien d’intermittents ont repris, pendant combien d’heures ont-ils travaillé…
Ce ne sera pas pour solde de tout compte. Tout au long de l’année, nous n’avons eu de cesse d’être réactifs, de tricoter les dispositifs pour éviter les trous dans la raquette et de prendre en compte la situation des uns et des autres. Ce monde est si divers, avec des rémunérations qui empêchent parfois les indemnisations ou les rendent difficiles. Nous suivrons bien entendu toutes ces questions, monsieur le sénateur.
Mme le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour la réplique.
M. Roger Karoutchi. Je ne doute pas de votre volonté, madame la ministre, mais j’entends d’autres membres du Gouvernement remettre en cause le « quoi qu’il en coûte »…
Le déficit 2021 sera nettement supérieur aux prévisions de début d’année. Le moment arrivera où la contrainte financière sera tellement rude que je ne sais pas si vous obtiendrez toujours des arbitrages favorables.
En tout cas, qu’il s’agisse de la bonification ou de la prolongation de l’exonération de taxes, le spectacle vivant a besoin de l’État pour revivre.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
M. Jean-Pierre Decool. Après les longs mois de fermeture et la longue léthargie de la vie culturelle française, les salles de concert, les théâtres, les cinémas font leur timide retour, pour le plus grand bonheur des artistes et du public.
Les salles s’adaptent aux conditions imposées par la pandémie, avec une jauge réduite à 35 %. Ces limitations imposent l’adaptation du budget de chaque événement, ce qui implique de revoir entièrement la programmation.
Certaines salles en configuration debout ou trop petites ne sont pas adaptées aux nouvelles règles sanitaires et n’envisagent pas de rouvrir avant l’automne 2021. En effet, le concert test réalisé à Paris le 29 mai dernier, avec un protocole sanitaire extrêmement lourd, reste peu représentatif de la réalité des situations observées localement.
Les associations culturelles sont fortement pénalisées par la crise. Nombre d’entre elles font part de leurs inquiétudes à trouver les financements nécessaires auprès des collectivités locales pour relancer la vie culturelle. Or, nous le savons, l’organisation d’un événement nécessite des mois de préparation en amont.
La réouverture des salles de répétition et des conservatoires municipaux est également une question sensible pour de nombreux maires qui restent dans l’incertitude.
À l’école, le ministre de l’éducation nationale avait encouragé la pratique du chant choral. Or la crise sanitaire a entraîné une grande déperdition de bénévoles et la démobilisation des enfants ou des parents.
Dans un tel contexte, madame la ministre, quels sont les moyens envisagés par le Gouvernement pour favoriser une reprise progressive, mais pérenne, de la vie culturelle sur l’ensemble du territoire ? Je pense en particulier aux communes rurales.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Cher Jean-Pierre Decool, après les lois de 1983, la décentralisation a mis du temps à s’installer dans les collectivités territoriales. Il a peut-être fallu une génération pour qu’elles s’emparent de l’ensemble des pouvoirs qui leur avaient été donnés.
Toutefois, les crédits pour la culture pilotés par les collectivités territoriales sont aujourd’hui plus importants que ceux de l’État, il faut l’avoir en tête. Les opérations qu’elles mènent sont extrêmement importantes et permettent de mailler le territoire. Nous avons conclu ensemble des partenariats cruciaux et tout à fait signifiants.
La crise sanitaire nous a peut-être permis de mieux comprendre l’importance des collectivités territoriales : je les ai toujours trouvées à mes côtés ces derniers mois. Elles m’ont souvent sollicitée, et j’ai essayé de leur répondre de la meilleure façon, sans esprit de système et sans arrogance. Je les ai associées à tous les moments de la discussion pour bâtir ensemble. En arrivant rue de Valois, mes premiers mots ont été : « Je serai la ministre des artistes et des territoires », car rien ne peut se faire sans ces derniers.
Nous avons mis en place des mesures. Je pense notamment à l’enseignement artistique, auquel vous êtes très attaché, et aux conservatoires. Les enseignements ont repris dès le 19 mai pour les publics qui étaient déjà accueillis antérieurement ; ainsi de la danse sans contact pour les mineurs et du chant lyrique individuel. L’enseignement de la danse pourra reprendre à partir du 9 juin. La reprise sera totale à compter du 1er juillet, ainsi que pour le chant lyrique en pratique collective.
Il n’y aura alors plus de restrictions. Ce sera un moment très important pour nos territoires.
Mme le président. La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Madame la ministre, les Français danseront-ils cet été ?
La reprise des festivals est une véritable bouffée d’air frais pour beaucoup ; la joie de celles et ceux qui ont pu assister à l’ouverture des Nuits de Fourvière hier à Lyon en témoigne.
Toutefois, la musique ne s’écoute pas uniquement assis. Qu’il s’agisse des festivals debout de musiques actuelles ou des clubs, tout un pan de la culture est encore à l’arrêt. La question est celle non pas des aides, mais de la reprise.
Pour les clubs ou discothèques, qui sont souvent des établissements à vocation culturelle, depuis plus d’un an, à chaque déconfinement, à chaque allégement des contraintes sanitaires, c’est la même déception, les mêmes frustrations : « pas maintenant », « plus tard », « soyez patients »…
Le 1er juillet aurait dû marquer la reprise pour les festivals ou concerts debout, mais les règles sont encore floues avec cette jauge d’un festivalier pour quatre mètres carrés et l’appréciation laissée au préfet. De nombreux festivals ont donc été contraints d’annuler pour la seconde année consécutive.
Madame la ministre, le monde de la culture électronique et des musiques actuelles a été patient et inventif. Comme celui des Vieilles Charrues, le festival Nuit Sonores, par exemple, a su se réinventer en configuration assis.
Aujourd’hui, les terrasses se remplissent et les Françaises et les Français sortent de chez eux. Partout en France, on ressent cette même aspiration à la fête, à se retrouver, à la danse, à la musique, à déconfiner le corps et l’esprit.
Rappelons que cette culture des musiques électroniques, née dans la clandestinité, n’a jamais attendu aucune reconnaissance de l’État et sait s’organiser. Nous avons déjà eu l’occasion de le constater ces derniers temps, avec les raves et les soirées spontanées qui ont parfois rassemblé des centaines de jeunes danseurs. Laisser le monde de la nuit et des musiques actuelles se diriger vers la clandestinité risque de donner lieu à un été de répression.
Le 5 mai dernier, le Parlement allemand a reconnu les clubs comme lieux de culture. Pour eux, cela change tout : reconnaissance d’un rôle évident dans la création artistique, relation privilégiée avec l’État, changement de regard du public… Les conséquences positives de cette décision enrichissent tout le secteur.
Madame la ministre, vous nous aviez dit, lors de votre audition par la commission, que vous teniez encore des réunions sur la question des quatre mètres carrés par festivalier. Avez-vous avancé depuis lors ?
Par ailleurs, envisagez-vous d’accorder le statut de lieu culturel à certains établissements de nuit, pour éviter de les laisser tantôt entre les mains de Beauvau, tantôt entre celles de Bercy, et leur accorder enfin la reconnaissance de votre ministère ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Loin de moi l’idée de dire que les discothèques et autres night-clubs ne sont pas des lieux de culture : ils peuvent l’être, comme ils peuvent ne pas l’être ; cela dépend.
En tout cas, sur le plan des attributions qui sont les miennes, les discothèques ne relèvent pas du ministère de la culture. On peut le regretter, mais c’est ainsi.
Effectivement, et il n’est pas très compliqué de le comprendre, les discothèques, dans leur mode de fonctionnement, posent des problèmes de sécurité sanitaire évidents. Il n’est pas besoin d’être épidémiologiste, infectiologue ou virologue pour s’en rendre compte.
Du concert test qui a été organisé à l’Accor Arena selon des modalités définies scientifiquement – chaque spectateur se tenait debout –, on peut tirer des enseignements intéressants pour une reprise de l’activité des discothèques.
En tout cas, n’allez pas imaginer que ce concert test puisse servir de modèle de fonctionnement pour les concerts ; c’est une expérimentation menée, d’un côté, par une organisation professionnelle spécialisée dans le spectacle de musiques actuelles, le Prodiss, et de l’autre, par l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, selon des modalités définies scientifiquement.
Cette expérimentation a fait appel à des êtres humains, lesquels pourraient d’ailleurs se retourner contre les autorités sanitaires ou politiques s’il était avéré qu’ils n’avaient pas été protégés.
Cette expérimentation lourde nous permettra de tirer des enseignements extrêmement précis. En réponse à d’autres questions, je reviendrai sur les conditions d’organisation de ces concerts pour bien faire comprendre ce qu’est un concert test.
Mme le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour la réplique.
M. Thomas Dossus. Il n’a pas été répondu à ma question portant sur les modalités concrètes de mise en œuvre de la jauge d’un festivalier pour quatre mètres carrés. Cela nous aurait permis de les comprendre un peu mieux.
Mme le président. La parole est à M. Julien Bargeton.
M. Julien Bargeton. Madame la ministre, lorsque l’on parle de reprise des activités culturelles, on pense souvent, ce qui est bien normal, aux lieux – aux salles de spectacle, aux cinémas, etc.
Par ailleurs, il a été souligné ici que la France avait aidé, comme nul autre pays, son secteur culturel.
La culture sous toutes ses formes doit redémarrer partout, dans tous les territoires. De fait, madame la ministre, vous avez annoncé, à la suite de l’été 2020, la reprise de l’été culturel en 2021.
Mes questions sont donc les suivantes : quel bilan tirez-vous de l’été culturel 2020 pour pouvoir affirmer qu’il faut le reprendre en 2021 ? Quels moyens financiers y seront consacrés ? Comment faire pour qu’il soit le plus ouvert possible, le plus large possible, le plus inclusif possible, comme l’on dit parfois aujourd’hui, afin notamment qu’il prenne en compte les questions d’égalité entre les femmes et les hommes ou bien la valorisation des jeunes talents et des jeunes artistes ?
Cette déclaration va dans le bon sens. Nous souhaiterions en savoir davantage sur ce que sera l’été culturel 2021.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Monsieur le sénateur Julien Bargeton, votre question sur l’été culturel répond finalement à deux préoccupations précédemment évoquées. D’une part, comment aider les jeunes, à la fois les artistes qui créent, qui jouent, et les jeunes désireux d’assister aux spectacles ? D’autre part, comment mailler le territoire par des manifestations artistiques facilement accessibles ?
Le bilan de l’été culturel 2020 est extrêmement positif. Quelque 10 000 manifestations ont rassemblé plus de 1 million de spectateurs et participants et permis à 8 000 artistes de travailler. Cela a donc été un vrai succès, d’autant que ces manifestations se sont déroulées principalement dans des secteurs prioritaires, des secteurs confrontés à des difficultés sociales considérables.
Cette initiative a permis de renforcer le partenariat avec les collectivités territoriales, de découvrir de nouveaux partenariats avec des équipes indépendantes et des collectifs qui n’étaient pas nécessairement connus des services. Les DRAC, les directions régionales des affaires culturelles, ont ainsi découvert de petites compagnies, de petites structures qui se sont mobilisées et qui ont pu trouver du travail.
Tous les lieux ont été investis, qu’il s’agisse des zones difficiles, des zones très rurales, des Ehpad, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, ou des centres de vacances.
La sphère culturelle demeurant très touchée cette année, j’ai décidé de reconduire le budget de l’été culturel pour l’année 2021, à hauteur de 20 millions d’euros.
Les DRAC assureront la répartition de ces fonds au plus près des territoires, avec un focus particulier, cette année, sur les jeunes artistes récemment sortis des écoles, l’attractivité de ces territoires, un partenariat affirmé avec le pass culture, une volonté de développer des projets associant sport et culture en préparation de l’Olympiade culturelle, enfin, comme vous l’avez souhaité, l’égalité entre les hommes et les femmes et l’ouverture à la diversité – c’est l’un de mes mantras.