Mme le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Madame la ministre, je m’associe aussi aux témoignages de reconnaissance pour tout ce qui a été fait pour la culture durant cette crise sanitaire, mais le patrimoine ne doit pas servir de variable d’ajustement face aux besoins suscités par celle-ci, alors que nos monuments et nos musées sont essentiels à la relance, à la fois en tant que vecteurs d’émancipation pour les citoyens, en tant que leviers de cohésion sociale et en tant que facteurs de rayonnement national et d’attractivité des territoires.
Certains monuments historiques ont ainsi subi des pertes de chiffre d’affaires de plus de 50 % sur un an. Le Gouvernement s’est engagé dans le cadre du loto du patrimoine ou du plan de relance pour la rénovation du petit patrimoine et des cathédrales.
Avant la crise sanitaire, les besoins de restauration du patrimoine protégé étaient déjà importants au regard de leur mauvais état.
Le manque d’ingénierie des petites communes et des propriétaires privés constitue d’ailleurs un frein à la réalisation de nombreux projets. Cette difficulté pose particulièrement problème à l’heure actuelle, où le temps presse pour lancer des projets susceptibles d’aider les entreprises de restauration du patrimoine à surmonter la crise.
Toutefois, les financements des monuments ne peuvent être pérennes avec la seule aide de l’État : les recettes touristiques sont essentielles pour leur survie, en particulier pour les propriétaires et gestionnaires privés.
Madame la ministre, comment promouvoir le tourisme pour leur assurer une fréquentation maximale cet été et les aider à surmonter la crise ? Afin d’assurer le respect des gestes sanitaires tout en garantissant la réouverture des monuments, comment comptez-vous, de manière pratique, limiter les files d’attente et, ainsi, respecter la jauge ? L’État pourrait-il financer la modernisation numérique du secteur en systématisant la pratique des billets horodatés pour accéder aux monuments ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Monsieur le sénateur, permettez-moi tout d’abord de rappeler le montant inédit des moyens qui ont été mobilisés pour le patrimoine, les 614 millions d’euros du plan de relance s’étant ajoutés aux 7,1 milliards d’euros de crédits courants du ministère de la culture. À ce titre, 1 milliard d’euros a été consacré à la préservation du patrimoine.
Cette mobilisation inédite rejoint d’ailleurs l’une des priorités de la présidence française de l’Union européenne, qui a inscrit parmi celles-ci, en accord avec les autres pays, la valorisation du patrimoine.
Je veux que les ponts qui existent entre le patrimoine et le spectacle vivant, entre le patrimoine et le tourisme, soient renforcés.
J’en donnerai un exemple. Dans le plan de relance, une ligne budgétaire de 30 millions d’euros est prévue pour la commande publique d’œuvres à de jeunes artistes. Bernard Blistène, qui pilote ce dossier, nous a proposé – nous l’avons accepté – que chacune des œuvres soit accueillie dans un site patrimonial, que ce soit un site patrimonial bâti ou un site naturel. À cette fin, il travaille, d’un côté, avec le Centre des monuments nationaux, et, de l’autre, avec le Conservatoire du littoral.
C’est ainsi que je conçois le patrimoine, un patrimoine vivant, qui diffuse de la culture et qui s’extraie ainsi d’une vision purement muséale.
Ces monuments ont été largement aidés selon les normes que nous avons fixées pour l’ensemble des autres structures et ils continueront bien sûr à l’être.
Mme le président. La parole est à Mme Sonia de La Provôté.
Mme Sonia de La Provôté. Ma question concerne les conséquences de la crise sanitaire sur l’éducation artistique et culturelle. Celle-ci est un pilier de la démocratisation de la culture. S’appuyant sur le réseau scolaire, elle a pour but de permettre à tous les jeunes un accès à la culture. Elle se traduit par le « 100 % EAC à l’école », dont on ne connaît pas vraiment les critères, mais qui a le mérite d’être un objectif pour tous.
Cet objectif a été fixé à 88 % en 2020, avant d’être abaissé à 75 % compte tenu du contexte sanitaire, les 100 % étant désormais attendus pour 2023.
La crise sanitaire a donc conduit à des retards dans le « 100 % EAC », liés aux mesures de confinement, aux protocoles sanitaires et aux fermetures de lieux culturels.
L’EAC, dans sa forme d’échange, de visites et de rencontres, n’a pas eu lieu pendant un temps si long, pour tant d’écoles et pour tant d’enfants. Ce retard et cette raréfaction des actions, associés aux effets du confinement et du distanciel, nous le savons, vont creuser les inégalités culturelles liées au contexte socioéconomique et territorial. Si elle n’est pas corrigée, cette carence sera néfaste en matière d’accès à la culture, à la diversité culturelle et à l’ouverture à des propositions différentes.
L’EAC bien mené et accompagné constitue un moyen essentiel pour amener les jeunes et les enfants à s’ouvrir hors les murs de cette période difficile et si enfermante.
Dès lors, madame la ministre, à l’heure où les activités culturelles reprennent, comment comptez-vous rattraper le retard pris par ces jeunes générations, pour lesquelles les différences de capital culturel se ressentiront encore plus que les autres ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Madame la sénatrice, il est exact que le confinement et les difficultés rencontrées par le secteur culturel ont amené à freiner cet objectif de diffusion du « 100 % EAC » que nous nous étions fixé. À partir du moment où l’on ne peut pas emmener les élèves visiter un musée ou une exposition ou assister à un spectacle, cette ambition s’en trouve réduite. Toujours est-il que nous en sommes à 75 %, ce qui n’est pas si mal compte tenu des difficultés liées au confinement.
Pour autant, il ne faut pas baisser les bras ; au contraire, il faut accélérer pour atteindre cet objectif, et c’est ce que nous allons faire.
Ainsi, je signale tout d’abord la création de l’Institut national supérieur de l’éducation artistique et culturelle, qui sera inauguré à Guingamp en septembre 2021 et placé sous la direction d’Emmanuel Ethis. L’Institut sera donc un opérateur de référence dans la conduite de la politique en matière de formation initiale et continue, de recherche et de diffusion des ressources.
L’éducation artistique et culturelle ne peut être assurée en amateur ; elle requiert des professionnels pour ce faire.
Je veux tout de même souligner un élément : certes, cette période a été difficile pour les enseignants, mais certains d’entre eux, ce dont je les remercie, se sont sorti les tripes, si j’ose dire, pour mener ces opérations d’EAC.
Je remercie également les artistes qui ont accepté, bénévolement, durant ces derniers mois, de venir dans les écoles pour danser, pour jouer, pour lire des textes.
Ces activités sont à nouveau accessibles dans les lieux de culture. Avec le Premier ministre, nous sommes allés la semaine dernière au musée d’Orsay à la rencontre de jeunes élèves issus de quartiers prioritaires. Ce fut absolument extraordinaire : la façon dont ces jeunes avaient préparé cette visite et dont ils ont raconté ce qu’ils y ont vu montre à quel point nous avons eu raison d’évaluer l’action du ministère de la culture à l’aune de cette éducation artistique et culturelle, que je mène en parfaite collaboration avec Jean-Michel Blanquer.
Mme le président. La parole est à Mme Sonia de La Provôté, pour la réplique.
Mme Sonia de La Provôté. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre.
L’EAC nécessitera des moyens – vous en avez évoqué quelques-uns – pour une mise en place systémique et rapide dans tous les territoires. Vous comprendrez que cette question est d’autant plus cruciale à l’heure où le Président de la République a annoncé l’extension du pass culture jusqu’aux élèves de quatrième. Là, il y a des moyens !
Le pass ne peut ni ne doit à lui seul résumer la politique d’éducation culturelle. Vous avez répondu sur ce dispositif, mais il reviendrait tout de même, si on lui accorde la priorité, à donner un portefeuille sans avoir appris à s’en servir.
Le risque est grand de voir ainsi les inégalités se renforcer : le pass est un outil, en aucun cas une éducation à la culture. Les clés de la culture sont ailleurs que dans une application, fût-elle aimée.
Mme le président. La parole est à M. Lucien Stanzione.
M. Lucien Stanzione. Madame la ministre, je profite de ce débat pour aborder la question de la couverture sociale des intermittents du spectacle et de la situation particulière de toutes les professions discontinues, oubliées des aides.
Tout d’abord, comme vous le savez, les intermittents du spectacle qui n’ont pas effectué assez d’heures ne disposent pas de couverture maladie ou maternité. La plupart des intermittents n’ont pu effectuer un nombre d’heures suffisant pour rouvrir ces droits à congé maladie, cependant qu’ils ont perdu des droits acquis précédemment.
Si vous avez annoncé, à la mi-mai, avoir pris des mesures, il semble qu’aucune traduction juridique de ces dernières n’ait vu le jour, ce qui est tout à fait problématique pour les acteurs de la culture. Ils ne disposent d’aucune base légale justifiant la prise en charge de leurs soins ou de leur grossesse et entrent parfois en conflit avec la sécurité sociale, qui n’est toujours pas au courant des annonces faites.
Ma première question est donc la suivante : un décret est-il prévu pour combler ce vide juridique ? Quelle sera sa date d’effet et quelle sera sa date de signature ?
Par ailleurs, toutes les professions à interventions discontinues, qui n’entrent pas du tout dans le champ de l’intermittence – je pense aux créateurs, aux artistes acteurs ou musiciens, aux techniciens son ou lumière, aux pigistes, aux prestataires en restauration ou autres, à tous les autoentrepreneurs ou travailleurs libéraux – éprouvent aujourd’hui de grandes difficultés, comme ils en éprouveront à l’avenir, sans qu’aucune aide leur soit attribuable.
Avez-vous prévu des mesures financières spécifiques pour protéger ces professionnels tout au long de la crise sanitaire créée par la covid-19 ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Monsieur le sénateur, j’espère que nous aurons l’occasion de nous voir au festival d’Avignon, où je me rendrai bien évidemment, ce festival qui est tellement emblématique que ses aficionados, si j’ose dire, l’attendent tous les ans avec un grand plaisir, qu’il s’agisse du in ou du off.
Rassurez-vous, les textes promis sont en cours d’élaboration. Je ne puis vous indiquer la date précise à laquelle ils seront signés, mais ils le seront en temps et en heure de manière à protéger les artistes, puisque tel est l’objectif. Il n’y aura aucun retard à l’allumage ; je suis cela de très près.
Dernièrement, André Gauron nous a remis, à Élisabeth Borne et à moi-même, le rapport que nous lui avions conjointement commandé sur les suites de l’année blanche en faveur des intermittents du spectacle et de l’audiovisuel – le statut de l’intermittence relève du ministère du travail en tant que mode de protection de l’emploi. (Mme la ministre est essoufflée.) Pardonnez ces petits problèmes respiratoires, dont mon amie la covid est la cause…
Ce travail d’évaluation montre clairement que, dès avant la reprise du 19 mai, quelque 75 % des intermittents – 100 000 sur 120 000 – avaient recouvré leurs droits. Au fil des semaines, et à mesure que les activités reprendront, ce chiffre ira croissant et les choses s’amélioreront.
Pour ceux qui pourraient ne pas avoir travaillé suffisamment d’heures pour bénéficier de ces droits, nous avons déployé des dispositifs qui permettront de les recouvrer : je pense en particulier à la clause de rattrapage, qui s’appliquait jusqu’à présent à la condition de disposer de cinq années complètes de couverture à l’intermittence, condition que nous avons supprimée.
Nous avons ainsi permis à des jeunes qui n’avaient pas la possibilité de disposer de ces 338 heures nécessaires d’émarger néanmoins à ces six mois supplémentaires de protection, et même à une seconde période de six mois. Ce sont donc bien douze mois de couverture qui sont assurés.
Véritablement, nous avons veillé à ce que tous les intermittents puissent être protégés tout au long de l’année 2022.
Mme le président. La parole est à M. Lucien Stanzione, pour la réplique.
M. Lucien Stanzione. Madame la ministre, vous ne m’avez pas tout à fait répondu s’agissant de ceux qui ne relèvent pas du statut de l’intermittence.
Or c’est un problème important. En effet, de nombreux artistes ou créateurs – je les ai cités tout à l’heure – relèvent non pas de ce statut, mais de celui de l’autoentrepreneuriat. Négociant directement avec les collectivités locales pour produire leurs spectacles, ils ne bénéficient pas des dispositifs que vous avez évoqués. J’espère donc que vous trouverez une solution pour leur venir en aide.
Mme le président. Madame la ministre, souhaitez-vous que nous marquions une pause de quelques minutes ?
Mme le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-deux heures trente-cinq, est reprise à vingt-deux heures quarante.)
M. Max Brisson. Avec le confinement, la fermeture des salles a profondément affaibli le cinéma français : chute de 70 % du nombre d’entrées, chute d’autant des recettes, baisse de 30 % des investissements dans la production cinématographique.
Si le Centre national du cinéma estime avoir évité une hécatombe, notamment grâce au soutien de plus de 400 millions d’euros déployé par l’État, les plaies demeurent vives pour le secteur.
Elles demeurent vives, car les relations entre les différents médias et le cinéma français ont également été bousculées.
Depuis 1946, le financement du cinéma français repose sur le principe de solidarité entre les supports de diffusion, qui n’ont cessé de se diversifier, et la protection de fenêtres d’exploitation en salle pour la projection première de la production cinématographique.
Néanmoins, au moment de la réouverture des salles, un défi majeur resurgit : celui de la chronologie des médias.
Les pressions se font en effet de plus en plus vives pour réduire les fenêtres d’exploitation en salle et accélérer la diffusion des films sur les médias à la demande. Ainsi, la fenêtre de ces derniers pourrait passer d’un délai de trente-six à douze mois, voire, pour certaines chaînes, de huit à six ou cinq mois.
Alors que les Français retrouvent avec plaisir et attachement leurs salles de cinéma, cette réduction des fenêtres d’exploitation de ces dernières constitue un péril nouveau pour un secteur en grande difficulté. Elle pourrait remettre en cause la découverte première de films en salle, qui, pourtant, participe de notre mode de vie et constitue tout autant un fait social qu’un mode d’accès à la production cinématographique.
Madame la ministre, dans un contexte où le cinéma est affaibli, l’État doit réaffirmer haut et fort sa détermination à le soutenir.
Quelle est donc votre position face aux pressions qui s’exercent sur la profession pour réduire les fenêtres d’exploitation en salle ? Êtes-vous prête à sanctuariser la fenêtre d’exploitation des films en salle, qui en ont plus que besoin ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Vous avez raison, monsieur le sénateur Max Brisson, de dire que le cinéma français est une exception en Europe : notre industrie cinématographique se situe à la troisième place dans le monde, et elle est la seule en Europe. Si nous avons pu ainsi la conserver, c’est grâce à l’aide constante de l’État, qui a survécu à tous les aléas liés aux changements des majorités politiques.
Nous disposons également d’un réseau sans égal en Europe : 2 000 salles et 6 000 écrans. Je signale d’ailleurs que la crise a laminé nombre de réseaux de cinémas dans d’autres pays, cependant que nous avons su conserver le nôtre.
Ce ne sont pas 400 millions d’euros qui ont été mobilisés : en effet, à ces 400 millions d’euros d’aides spécifiques, il faut ajouter les aides transversales de près de 1 milliard d’euros, dont le cinéma a largement profité.
Pour accompagner la reprise de l’industrie cinématographique et la réouverture des salles de cinéma, j’ai proposé une enveloppe de 80 millions d’euros, dont 60 millions seront consacrés justement à la perte de recettes du fait de la limitation des jauges : 60 millions d’euros pour les exploitants de salles, 10 millions d’euros pour les distributeurs et 10 millions d’euros pour les producteurs. Nous sommes donc encore à la manœuvre pour aider le cinéma.
Dès le mois de décembre dernier, les professionnels ont été invités par le Centre national du cinéma, afin d’entamer une négociation en vue d’aboutir à un nouvel accord professionnel.
Ces discussions sont encadrées dans le temps par une disposition de l’ordonnance transposant la directive européenne relative à la fourniture de services de médias audiovisuels, disposition autorisant le Gouvernement, en cas d’échec, à adopter provisoirement une nouvelle chronologie. Certains représentants des producteurs et ayants droit se sont rapidement accordés sur une proposition de nouvelle chronologie, autour de laquelle se sont cristallisées les réactions des différents diffuseurs.
C’est à partir de ces échanges que le CNC proposera prochainement un projet d’accord, qui servira de base à la seconde phase de la concertation, avec pour objectif d’aboutir d’ici au 1er juillet prochain.
Je puis vous dire que, s’agissant de la protection de la distribution du cinéma et de la fenêtre de quatre mois pour la diffusion en salle, je serai intraitable.
Mme le président. La parole est à M. Max Brisson, pour la réplique.
M. Max Brisson. Madame la ministre, vos propos sont forts, et je vous en remercie. Il s’agit bel et bien d’une exception française, reposant notamment sur le maillage territorial des cinémas. On trouve ainsi des salles dans les bourgs centres, les petites villes et les villes moyennes : c’est véritablement exceptionnel.
C’est la chronologie des médias qui a construit l’exception du cinéma français et qui doit permettre de la préserver : nous comptons sur vous pour la protéger. Sachez que le Sénat vous soutiendra dans cet effort !
Mme le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier.
Mme Marie-Pierre Monier. Madame la ministre, je m’exprime au nom de David Assouline, que je vous prie d’excuser.
Après des mois d’attente, la culture se déconfine enfin, progressivement, pour le plus grand bonheur des Françaises et des Français.
On ne peut pas nier l’ampleur du travail accompli par le ministère pour soutenir la culture. Néanmoins, nous pouvons déplorer plusieurs trous dans la raquette.
Tout d’abord, je pense aux intermittents. Si l’année blanche a été bénéfique pour beaucoup, un très grand nombre de jeunes diplômés du milieu artistique ont été coupés dans leur élan par la fermeture des lieux culturels. Ils se retrouvent sans ressources et ne reçoivent que peu d’aides de l’État.
De surcroît, tous ces diplômés formés vont subir une double peine : non seulement ils auront davantage de difficultés à être engagés, mais la saison 2021-2022 sera une année blanche de création à cause d’un trop-plein de spectacles.
Trop d’interprètes, trop de créations, pas assez de diffusion : ce triangle infernal risque d’aggraver la précarité de ces jeunes artistes qui, s’ils ne sont plus étudiants, ne sont pas encore intermittents. En parallèle, il serait bon qu’une clause de rendez-vous soit discutée à la fin de l’année pour toutes les aides des intermittents.
Ensuite, le ministère a concentré ses plans de relance sur des structures et des compagnies traditionnellement subventionnées par l’État. Cet effort budgétaire est louable, mais incomplet, puisqu’il ne bénéficie pas aux établissements subventionnés par les communes, des musées aux théâtres en en passant par les salles de spectacles ou encore les établissements publics de coopération culturelle, les EPCC.
Les répercussions financières de cette crise sont très lourdes. Faute d’un meilleur accompagnement de l’État, il revient aux territoires de supporter l’intégralité du soutien de ces établissements, alors même que leurs finances sont dans le rouge.
La ville de Paris n’est pas plus épargnée que les autres collectivités : à ce jour, aucun mécanisme de soutien budgétaire direct et de compensation des pertes de recettes n’a été prévu pour la capitale. Ainsi, la réaction de l’État n’est toujours pas à la hauteur des enjeux soulevés par cette crise inédite.
Madame la ministre, les prochains plans de relance de l’État cibleront-ils bien tous les établissements culturels, sur l’ensemble du territoire national ? Que comptez-vous faire aider les jeunes artistes ? Il faut rectifier le tir et combler les trous dans la raquette.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Madame la sénatrice, je l’ai dit : nous sommes maintenant dans un État décentralisé. Les crédits mobilisés en masse par les collectivités territoriales et leurs groupements – communes et intercommunalités, départements, régions, structures informelles au sein desquelles elles sont rassemblées – sont maintenant plus importants que les crédits de l’État.
Dès lors, chacun doit se recentrer sur ses responsabilités. Vous parlez des difficultés financières des collectivités territoriales : que dire de celles de l’État ? Ce dernier a consenti un effort budgétaire massif, et même sans précédent.
Dans le cadre d’une politique culturelle territorialisée, on ne saurait partir du principe que l’État va aider toutes les structures existantes. Certaines d’entre elles ont été créées par des acteurs locaux, en particulier par des collectivités territoriales, qui se sont engagées à les soutenir et à les financer : face aux difficultés de l’heure, ils ne peuvent pas tendre la sébile vers l’État. Chacun doit trouver les ressources en soi.
Le rôle de l’État sera de piloter des têtes de réseau ; de faire en sorte que les têtes de réseau déjà financées acceptent des diffusions et des partenariats et agissent avec davantage de responsabilité dans les territoires. Je pense en particulier aux grands vaisseaux amiraux qui assurent la structuration culturelle du pays.
Si, demain, les dizaines de milliers de structures culturelles que la France dénombre étaient aidées par l’État, nous en serions réduits à une politique de Gribouille. Véritablement, nous devons réfléchir ensemble à ce qu’est une politique territorialisée, impliquant les responsabilités des collectivités territoriales et le rôle éminent de l’État !
Mme le président. La parole est à Mme Else Joseph.
Mme Else Joseph. La reprise des activités culturelles accompagne celle de la vie tout court, car la culture, c’est la vie : tout ce qui affecte l’une rejaillit sur l’autre.
Toutefois, à ce jour, malgré les éclaircies, il y a encore trop de brouillard, comme on le voit dans plusieurs secteurs sérieusement affectés.
Le spectacle vivant rassemble de nombreux acteurs. Il est indispensable à la vitalité de nos territoires. Il est pourtant à l’arrêt depuis un an, et la reprise engagée depuis deux semaines se fait à un rythme modéré.
Le secteur du spectacle musical et de variétés joue un rôle essentiel : son chiffre d’affaires et le nombre d’emplois qu’il regroupe en témoignent. Sa fragilité peut entraîner un effet domino sur d’autres activités. Il faut donc de la prévisibilité quant aux règles et aux protocoles applicables.
Comment appliquer la jauge de quatre mètres carrés par personne ? Quel sera le protocole pour les festivals de rue, où les gestes barrières ne sauraient faire oublier qu’il n’existe justement pas de barrière ? Les critères retenus ne sauraient être trop éloignés de leur identité, de leur public ou de leur modèle économique. Comment aider un festival pour lequel les buvettes et la restauration constituent un appui indispensable ?
Madame la ministre, vous avez annoncé la création d’un fonds de 30 millions d’euros pour accompagner les festivals qui s’adaptent, afin de compenser les pertes d’exploitation. C’est à la fois beaucoup et trop peu.
Les ressources des entreprises privées du spectacle vivant dépendent uniquement de la billetterie. Or, pour certains organisateurs, 2021 sera la seconde année consécutive sans festival. Les collectivités territoriales vont être sollicitées, mais elles n’ont guère de moyens.
Comment sera organisé le fonds de compensation de billetterie que vous avez annoncé ? Comment le pass culture sera-t-il mis en œuvre et associé à la reprise culturelle ?
Comment s’orienter vers un nouveau modèle économique pour l’activité culturelle ? Peut-on envisager comme piste la bonification du crédit d’impôt pour le spectacle vivant musical, le CISV ? Essayons d’être encore plus ambitieux et audacieux !
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Madame la sénatrice, je n’aurai sans doute pas le temps de répondre à toutes vos questions en deux minutes ! Je ne pourrai en aborder que quelques-unes.
Vous avez raison de le souligner : les festivals de musique, en particulier de musique actuelle, sont un élément tout à fait majeur de structuration des territoires : toute mon action tend à les préserver, car je veux qu’ils puissent continuer.
Il suffit de regarder comment s’est déroulé le concert organisé à l’Accor Arena pour mesurer le défi sanitaire que nous devons relever : cette expérience a une véritable valeur pédagogique. En effet, les concerts de musique actuelle se caractérisent par une très grande proximité, des cris et beaucoup de transpiration : le public danse et se masse au pied de la scène.
Je tiens également à revenir sur la jauge des quatre mètres carrés, qui a provoqué un certain nombre d’interrogations. Certains semblent croire que chaque spectateur doit rester dans une sorte de petit espace de quatre mètres carrés où personne ne peut pénétrer. (Sourires.) Bien sûr, il ne s’agit pas de cela ! Il convient simplement de diviser par quatre la surface des salles, calculée en mètres carrés, pour obtenir la jauge en question.
Nous allons retravailler ce point, car il a fait l’objet d’un véritable problème de communication : je comprends qu’une telle interprétation ait pu prêter à confusion.
Quant aux festivals, ils constituent eux aussi une question majeure. J’ai lancé les premiers États généraux des festivals. Nous avons établi un diagnostic en octobre dernier à Avignon. Je serai également au printemps de Bourges, qui organise sa seconde édition depuis le début de la pandémie, et je vous invite à participer à la concertation qui se tiendra dans ce cadre à la fin du mois de juin : nous devons déterminer, ensemble, comment ces festivals doivent évoluer et quelles solutions nous pouvons trouver pour eux.
Mme le président. La parole est à Mme Else Joseph, pour la réplique.
Mme Else Joseph. Madame la ministre, j’y insiste, la jauge des quatre mètres carrés est un réel problème pour les festivals de rue.
J’ajoute qu’il faut donner des signes aux organisateurs de festivals. Il est difficile de mettre sur pied de telles manifestations en quinze jours.