M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier. (M. Joël Guerriau applaudit.)
M. Martin Lévrier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, la santé au travail doit trouver toute sa place dans la réalisation des objectifs de notre politique nationale de santé publique.
Elle trouve ses racines dans la loi Villermé de 1841. Depuis lors, le cadre législatif l’encadrant n’a cessé de croître, afin de protéger davantage les salariés ; je pense notamment à la loi du 9 avril 1898 qui prévoyait l’indemnité des salariés en cas d’accident survenu au travail. Quant aux lois de 2002, de 2011 et de 2016, elles furent autant d’étapes renforçant le droit à une protection de la santé au travail.
En 2019, en France, quelque 16 millions de travailleurs relevaient d’un service de santé au travail interentreprises, ou SSTI. On estime à 7 millions le nombre de visites réalisées chaque année. Mais les médecins du travail et les collaborateurs médecins ont perdu près de 10 % de leurs effectifs entre 2015 et 2019.
Démographie médicale en peine, contenu et qualité hétérogène de l’offre des SST, difficile développement de la prévention primaire en entreprise : voilà les défis que notre système doit relever.
Aussi, de la stratégie nationale de santé 2018-2022 mise en place par le Gouvernement aux réflexions menées par l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, en passant par les rapports parlementaires, nombreux sont les travaux qui ont clairement identifié les problématiques de ce système ces dernières années.
Les rapporteurs de ce texte, ici, au Sénat, ont rédigé un rapport proposant des évolutions destinées à garantir un service universel de la santé au travail de qualité pour tous les travailleurs. Les auteurs de la proposition de loi, à l’Assemblée nationale, se sont quant à eux penchés sur la manière de moderniser la santé au travail en France, via la rénovation de sa gouvernance.
Je me réjouis que les parlementaires se saisissent d’un sujet plus que jamais déterminant, à la faveur de la crise sanitaire. Leurs travaux auront, entre autres, permis d’alimenter les réflexions des partenaires sociaux qui, dans l’ANI, ont repris plusieurs des propositions formulées.
Oui, il aura fallu de longues discussions et de nombreuses négociations avant de parvenir, le 9 décembre 2020, à la conclusion de l’ANI pour une prévention renforcée et une offre renouvelée en matière de santé au travail et conditions de travail, signé par la quasi-totalité des partenaires sociaux, excepté la CGT.
Mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui est le fruit d’un long processus de démocratie sociale et parlementaire et, à l’instar des députés, il nous faut veiller à ce que la transcription de l’ANI dans la loi respecte aussi bien son contenu que son équilibre.
La proposition de loi s’articule autour de quatre axes. Premièrement, renforcer la prévention au sein des entreprises et décloisonner la santé publique et la santé au travail. Deuxièmement, améliorer la qualité du service rendu par les SST. Troisièmement, renforcer l’accompagnement de certains publics, notamment vulnérables, et lutter contre la désinsertion professionnelle. Quatrièmement, et enfin, réorganiser la gouvernance de la santé au travail, que celle-ci soit interne aux SST ou concerne le pilotage national et territorial de celle-ci.
À l’instar de l’ANI, cette proposition de loi renomme les missions des SST en services de prévention et de santé au travail, offre un socle pour ces derniers et crée un passeport prévention.
La commission des affaires sociales, saisie au fond, s’est réunie le mercredi 23 juin 2021 pour examiner le rapport de nos collègues Stéphane Artano et Pascale Gruny – je loue le travail d’enrichissement qu’ils ont fourni.
Bien que la commission partage les principaux objectifs de la proposition de loi, elle a veillé à garantir le caractère opérationnel de plusieurs de ses dispositions phares et à réunir les conditions d’un développement effectif de la prévention au sein des entreprises.
La commission a précisé la définition de l’offre socle de services proposée par les services de prévention et de santé au travail interentreprises, les SPSTI ; elle a réaffirmé le rôle du médecin du travail dans l’animation et la coordination d’une équipe pluridisciplinaire, qui a vocation à se diversifier ; elle a étendu aux services de prévention et de santé au travail des obligations de mise en conformité aux référentiels d’interopérabilité et de sécurité, en faveur d’une meilleure protection et d’une exploitation plus efficace des données en santé au travail.
Néanmoins, certaines dispositions qui nous semblaient importantes ont été supprimées ou modifiées lors de l’examen du texte en commission : à l’article 17 bis, la mutualisation du suivi de l’état de santé des salariés en cas de pluralité d’employeurs a été supprimée et, à l’article 20, des modifications ont été apportées à la désignation des représentants. Nous proposerons donc de rétablir ces articles dans leur rédaction issue de l’Assemblée nationale.
Enfin, nous entendons nous assurer du rôle central des acteurs de la santé au travail au sein des conseils locaux de santé mentale, dont nous savons l’importance.
Mes chers collègues, la transcription dans la loi de l’ANI respecte aussi bien son contenu que son équilibre. Concours de circonstances, elle intervient au moment où la Commission européenne a publié, il y a quelques jours, le cadre stratégique qui viendra orienter sa politique en matière de santé et de sécurité au travail.
À l’échelle nationale, nous pouvons collectivement nous réjouir d’un texte qui, demain, protégera davantage les travailleurs français. Ainsi, si toutes les orientations de cette proposition de loi ne sont pas dénaturées ou modifiées durant nos débats, notre groupe votera en sa faveur. (M. Joël Guerriau applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi visant à renforcer la prévention en santé au travail transcrit dans la loi l’ANI signé le 10 décembre 2020 par le patronat et par une partie des organisations syndicales de salariés.
Cet accord sur de nouvelles mesures pour la santé au travail est déconnecté de la réalité de la situation des travailleuses et des travailleurs. Alors que la crise sanitaire a profondément bouleversé les organisations de travail, le texte ne prévoit aucune mesure sur l’encadrement du recours au télétravail.
Pourtant, les conséquences physiques et psychiques de l’isolement du télétravail, imposé et généralisé, ont été largement dénoncées. Aux fins de compléter le texte, notre groupe a déposé des amendements visant à conditionner le recours au télétravail à la signature d’une convention collective, à garantir un droit à la déconnexion et à assurer le financement des dépenses liées au télétravail.
Avec ce projet de loi déguisé, le Gouvernement veut faire oublier la suppression des CHSCT en 2017, profond recul pour les représentants du personnel et pour la santé et la sécurité des travailleurs – la pandémie a pourtant montré combien ils étaient essentiels.
Ce texte ne prévoit rien sur la mise en place d’une véritable politique de prévention primaire des risques professionnels prenant en compte la pénibilité des postes et l’usure professionnelle.
En réalité, la proposition de loi ne s’attaque qu’à une partie extrêmement réduite de la santé au travail. De nombreux sujets ne sont pas abordés, tels que la prise en compte de la pénibilité, la question du temps de travail, du travail de nuit et de la prévention des violences sexistes et sexuelles, ou encore la multiplication des licenciements pour inaptitude au poste de travail.
La proposition de loi se limite à renommer les SST en services de prévention en santé au travail, sans fournir de moyens supplémentaires ; elle crée un passeport prévention, mais celui-ci renvoie la responsabilité de la santé et de la sécurité sur chaque salarié, sans prendre en compte le travail réel et son organisation.
En outre, le texte introduit un rendez-vous de liaison entre le salarié et l’employeur, qui remet en cause la visite de préreprise en court-circuitant le médecin du travail. Ces rendez-vous sont pourtant fondamentaux dans la prévention des inaptitudes et permettent d’éviter les pressions managériales.
Face à la pénurie de médecins du travail, le Gouvernement a choisi de créer des médecins praticiens correspondants et de déléguer les fonctions et les missions du médecin du travail aux infirmières. Nous pensons, au contraire, que la situation exige d’augmenter le nombre de places au concours des médecins du travail, à revaloriser la formation dans les universités et à améliorer les conditions de travail.
La logique de rationalisation de la santé au travail justifie l’instauration d’une certification des services de prévention par des organismes privés, qui remplissent pourtant une mission de service public.
En autorisant les médecins du travail à accéder au DMP, vous prenez le risque de voir apparaître un certain nombre de discriminations à l’embauche. Les informations médicales du DMP des salariés pourraient, par exemple, dévoiler des cas d’affection de longue durée pour séropositivité…
Les garanties ne sont pas suffisantes pour nous rassurer. En effet, si l’accord exprès du salarié est prévu, comment allez-vous garantir l’absence de pression sur les salariés ou vous assurer que ce choix a été fait de manière éclairée ?
Le texte prévoit l’archivage du document unique d’évaluation des risques pour une durée minimum de quarante ans. La commission des affaires sociales a prévu la création d’un site internet pour l’archivage, géré par les organisations patronales.
Pour notre part, nous considérons que la traçabilité des expositions aux risques professionnels doit être confiée à un organisme public indépendant, tel que la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail, la Carsat, ou la Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités, la Direccte. Évidemment, cette mission d’archivage nécessitera des moyens supplémentaires.
En conclusion, le texte ne prévoit aucune proposition pour de véritables droits pour les salariés et leurs représentants. Pourtant, les syndicats et les professionnels de la santé au travail en formulent : amélioration du suivi des salariés privés d’emploi, allongement des délais de contestation des avis d’inaptitude, rattachement des SST au travail à la sécurité sociale, rétablissement des CHSCT.
Enfin, mes chers collègues, je tenais à évoquer un point concernant nos travaux et notre rôle en tant que parlementaires. Un grand nombre d’amendements ont été déclarés irrecevables sur le fondement de l’article 45 de la Constitution : 44 amendements que nous avions déposés ne seront donc pas étudiés, parce qu’ils ont été considérés comme des cavaliers législatifs.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste votera contre cette proposition de loi, qui passe à côté des enjeux essentiels de la santé au travail ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Émilienne Poumirol et M. Jean-Pierre Corbisez applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Procaccia. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant tout, je tiens à vous rassurer : je n’utiliserai pas l’ensemble de mon temps de parole, qui est de quatorze minutes. Voilà déjà une bonne nouvelle ! (Sourires.)
Ce n’est pas la première fois que notre assemblée examine un texte visant à transposer un accord national interprofessionnel, ou ANI. Toutefois, qu’un tel travail soit d’origine gouvernementale ou officiellement labellisé d’origine parlementaire, l’exercice est toujours un peu compliqué : il nous faut respecter l’esprit de l’ANI tout en amendant la rédaction qui nous est soumise, afin de l’améliorer.
À l’heure où certains veulent discréditer les corps intermédiaires, je considère pour ma part la transcription de cet ANI comme une preuve éloquente de la vivacité de notre démocratie sociale et, surtout, de sa compatibilité avec la démocratie politique.
Négocié en pleine crise sanitaire, l’accord du 9 décembre dernier apporte des réponses importantes, inspirées d’expériences de terrain vécues par les salariés comme par les employeurs.
Nous réformons donc notre droit du travail après que les partenaires sociaux se sont mis d’accord : c’est la concrétisation des jalons posés par la loi Larcher en 2007 pour moderniser les règles afférentes au dialogue social, texte dont j’avais eu l’honneur d’être le rapporteur au Sénat.
Le sujet de cette après-midi est d’actualité. Les précédents orateurs l’ont rappelé : nous avons vu tout au long de la crise sanitaire que le traitement curatif des risques professionnels ne suffit pas. Il convient de renforcer la vigilance en amont et de mieux identifier les risques, notamment psychosociaux, susceptibles de toucher les salariés.
Les auteurs de plusieurs travaux récents appellent ces évolutions de leurs vœux. Je pense notamment à nos deux rapporteurs, Pascale Gruny et Stéphane Artano, qui, dans un excellent rapport d’information daté de 2019, proposaient déjà des évolutions destinées à garantir en matière de santé au travail un service universel de qualité, pour tous les travailleurs.
La proposition de loi soumise à notre examen comporte des avancées significatives. Elle élargit notamment le champ de la prévention à la désinsertion professionnelle, qui contribue à des situations de chômage de longue durée et d’éloignement du marché du travail préjudiciables à notre économie comme aux intéressés.
Au-delà de la transformation des services de santé au travail en services de prévention et de santé au travail, les SPST, je tiens à mentionner un certain nombre d’améliorations. Ces dernières permettront de répondre à plusieurs préoccupations, exprimées en particulier par les entreprises.
Tout d’abord, je pense à l’amélioration du document unique d’évaluation des risques professionnels, le DUERP, qui représente une étape importante, et à l’instauration d’un passeport prévention, souhaité par les signataires de l’ANI.
Ensuite, je songe aux nouvelles missions confiées à la médecine du travail en matière de prévention, ainsi qu’à l’amélioration de l’articulation entre la médecine de ville et la médecine du travail. En témoigne en particulier l’élargissement des accès au dossier médical partagé ou au dossier médical en santé au travail.
La clarification des services que les SPST sont tenus d’offrir aux salariés est la bienvenue. En parallèle, le déploiement d’une offre socle ne pourra que renforcer l’égalité entre les différents services œuvrant à l’échelle nationale.
L’ANI consacrait des dispositions spécifiques à de nouvelles catégories de travailleurs, notamment les personnes en situation de handicap et les salariés d’entreprises sous-traitantes. Le présent texte reprend ces diverses dispositions de bon sens, qui permettront une couverture plus large des risques professionnels.
De plus, je note que les dispositions concernant la réorganisation de la gouvernance des services de prévention vont dans le sens d’un meilleur continuum de suivi, notamment en conférant aux infirmiers de santé au travail un véritable statut.
Par ailleurs, au travers du DUERP, je salue la volonté de préserver les PME de contraintes trop fortes. Je me réjouis en outre que l’on simplifie la visite de mi-carrière en la rapprochant des dispositifs existants.
Sensible aux fractures territoriales et aux risques de désertification médicale, notre commission a également souhaité adopter différentes mesures pour pallier les manques de médecins du travail dans les zones sous-dotées. Au reste, force est de consacrer que ces praticiens font défaut dans l’ensemble de notre pays.
Enfin, je salue l’expérimentation que nos rapporteurs proposent de lancer dans trois régions volontaires. Dans ce cadre, les médecins du travail pourront prescrire des arrêts de travail et des soins nécessaires à la prévention de l’altération de la santé du salarié du fait de son travail.
Mes chers collègues, du haut de cette tribune, nous avons souvent dénoncé la démocratie du tirage au sort, qui contourne les droits du Parlement : récemment encore, le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience nous a encore conduits à le souligner. À ces méthodes de travail, nous préférons de loin celles de la démocratie sociale et de la négociation syndicale, qui aboutissent à des compromis exigeants, mais réalistes.
Vous l’avez compris : les élus du groupe Les Républicains accueillent ce texte avec un esprit constructif et fidèle aux équilibres trouvés par les partenaires sociaux. L’Assemblée nationale est parfois sortie de ce cadre, contrairement à nos rapporteurs, Pascale Gruny et Stéphane Artano, qui sont restés plus fidèles à l’accord négocié, tout en l’améliorant.
Je l’indiquais en préambule : l’équilibre entre transcription et initiative exige beaucoup de délicatesse. En la matière, nous ne saurions aller trop loin ; mais, en même temps, nous devons améliorer les dispositions qui nous sont soumises.
C’est précisément ce que nos rapporteurs ont réussi à faire et, je n’en doute pas, la navette parlementaire permettra d’atteindre le meilleur compromis possible : personne ne peut souhaiter que cette « proposition de loi » n’aboutisse pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Christian Bilhac. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le présent texte est la traduction de l’accord national interprofessionnel du 9 décembre 2020. Cet ANI a été signé par toutes les organisations syndicales sauf une, au terme d’une concertation préalable prévue par la loi, laquelle a été menée en bonne et due forme.
Les précédents orateurs ont déjà abordé de nombreux points. Pour ma part, je tiens à rappeler le rôle de nos précurseurs en matière de santé au travail : ils se sont battus pour que nous en soyons là aujourd’hui.
Assurer la santé des ouvriers ou des salariés est une préoccupation ancienne : il y a 2 500 ans, on en parlait déjà sur les chantiers pharaoniques. Plus près de nous, Hippocrate identifia le plomb comme cause des maladies des ouvriers métallurgistes.
Toutefois, il faut attendre l’ère préindustrielle et un décret de 1810 pour que l’on impose aux patrons de payer les frais médicaux des ouvriers victimes d’accidents du travail ; 1841 pour que la loi Cunin-Gridaine interdise le travail des enfants de moins de huit ans dans les entreprises de plus de vingt salariés ; ou encore 1897 pour qu’une inspection du travail soit créée, pour les seuls enfants néanmoins.
Après l’adoption du premier code du travail, en 1910, René Barthe est, dans les années 1930, un pionnier de la médecine du travail. Cette discipline est consacrée par la loi en 1946. Son évolution vers une approche de prévention des risques professionnels et de santé au travail, tant physiques que psychologiques, s’amorce avec les lois Auroux de 1982, créant les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les CHSCT. Enfin, une approche pluridisciplinaire émerge dans les années 1990 et 2000.
Cette proposition de loi a pour objet d’ouvrir sur la médecine de ville la prévention en santé au travail et de tenir compte des avancées du droit, par exemple pour ce qui concerne la définition du harcèlement au travail. Elle fait du document unique d’évaluation des risques professionnels un outil destiné à homogénéiser les services de santé au travail en assurant un socle commun de prestations.
Le volet dédié à la gouvernance de ces services garantit le partage des informations médicales, y compris entre l’assurance maladie et les services de prévention au travail. La représentation des salariés n’est pas oubliée, et l’effort doit se poursuivre pour que les représentants des salariés des petites et moyennes entreprises soient associés encore plus étroitement. Les élus du RDSE ont d’ailleurs déposé des amendements en ce sens.
La dématérialisation numérique et la télémédecine constituent des perspectives intéressantes pour le suivi individuel. Toutefois, avec plusieurs sénateurs de mon groupe, j’ai déposé des amendements visant à limiter d’éventuels excès dans ce domaine.
Avant de conclure, je tiens à saluer le travail précieux accompli par les rapporteurs, auteurs d’un précédent rapport il y a deux ans, en 2019. Leur expertise a notamment permis d’adapter le volet d’évaluation. Je pense en particulier à l’article 2, relatif au DUERP, et au souci de simplification qu’il traduit. L’article 14 contribue au maintien dans l’emploi des personnes malades ou handicapées. Quant à l’article 16, instaurant une visite de mi-carrière, il représente une véritable avancée.
Je suis favorable à ces dispositifs, qui inscrivent la santé au travail dans une logique pluridisciplinaire plus ouverte sur la médecine de ville, associant les psychologues, les kinésithérapeutes, les ergonomes et bien d’autres professionnels encore.
Donner un plus grand rôle aux infirmiers permettra aussi de pallier le manque d’effectifs en médecins du travail. Aujourd’hui encore, trop peu d’étudiants en médecine choisissent cette voie : nous devons donc nous efforcer de la rendre plus attractive. Avec ce texte, les praticiens pourront d’ores et déjà se concentrer sur les salariés les plus en difficulté.
La pandémie de la covid-19 a mis en exergue l’importance du volet de prévention en santé au travail. Les employeurs et les partenaires sociaux ont dû déployer dans l’urgence les moyens d’assurer la sécurité des salariés face à la contamination virale, que ce soit en favorisant le télétravail ou en fournissant des matériels de désinfection et de protection.
En parallèle, d’autres défis se profilent, avec l’émergence de nouveaux types d’emplois adossés aux applications et aux plateformes numériques. Ces évolutions impliquent de nouvelles formes de pénibilité au travail, portant atteinte aux corps des travailleurs.
Ainsi, chaque manutentionnaire des entrepôts de e-commerce déplace, en moyenne, rien de moins que 4 tonnes de colis par jour ; ces salariés subissent des troubles musculo-squelettiques si graves que, nonobstant leur jeunesse, ils sont parfois broyés.
Pour répondre à ces défis, la santé au travail devra reposer sur une approche et des équipes pluridisciplinaires, mieux à même de redonner la santé aux salariés.
Le présent texte nous semble contribuer à cette évolution, et les élus du groupe du RDSE le voteront, même si la problématique de la démographie médicale demeure préoccupante ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Annie Le Houerou. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui nous est présentée comme une première ; mais, nous le savons bien, ce texte assurant la transposition d’un accord national interprofessionnel n’est que prétendument d’origine parlementaire.
Je salue l’engagement des partenaires sociaux et l’ensemble des acteurs qui ont pris part à ces négociations, ainsi qu’aux travaux préalables. Toutefois, faute d’un accord ambitieux, nous n’obtenons qu’une proposition de loi a minima.
L’objectif est pourtant d’une importance considérable : il s’agit de transformer un système de santé au travail jugé unanimement à bout de souffle – manque de médecins du travail, coordination insuffisante des multiples acteurs, couverture imparfaite des besoins des petites et moyennes entreprises, des travailleurs indépendants, des salariés multi-employeurs ou des salariés portés.
La création d’une cellule de prévention de la désinsertion professionnelle au sein des services de prévention et de santé au travail interentreprises est porteuse d’espoir pour les salariés comme pour les employeurs.
Cette structure est constituée d’un panel représentatif des différents intervenants de ces services. Toutefois, les parties prenantes ne seront pas en mesure d’identifier une problématique commune à partir d’un ensemble de situations individuelles similaires relevées.
Cette proposition de loi clarifie le rôle du référent handicap, et c’est une bonne chose. Elle l’autorise à établir un lien avec les SPST, afin de contribuer au maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap et de prévenir la désinsertion professionnelle.
Néanmoins, cette mesure pourrait aller plus loin ; de nombreux salariés en situation de handicap ne demandent pas leur reconnaissance comme travailleurs handicapés. Or le référent handicap devrait pouvoir informer l’ensemble des salariés des droits spécifiques des personnes handicapées et de l’intérêt de ce statut.
Trop de porteurs de handicaps invisibles ou de maladies évolutives ignorent leurs droits et ne se déclarent pas. Certaines de ces personnes attendent jusqu’au jour où, faute d’avoir pris des mesures de prévention adaptées, elles sont frappées par une incapacité de travail majeure conduisant à leur licenciement.
L’article 15 de cette proposition de loi autorise les professionnels de santé à recourir à des pratiques médicales ou de soins à distance pour le suivi de l’état de santé des travailleurs.
Si la pandémie a démontré l’utilité du recours à la téléconsultation, la présence physique du salarié et du médecin au rendez-vous médical doit rester le principe, la téléconsultation ayant valeur d’exception. La loi doit fixer cette règle.
S’agissant des assistants maternels, nous avons défendu en commission des amendements visant à ouvrir la possibilité d’un accord de branche étendu afin d’élaborer des mesures spécifiquement adaptées à ces métiers. Les assistants maternels et les salariés du particulier employeur attendaient cette perspective : nous regrettons d’autant plus le rejet de nos amendements en commission.
Pour agir de manière préventive contre la désinsertion professionnelle, il faut accompagner les salariés. En particulier, il faut intervenir auprès de ceux qui sont encore en arrêt de travail et leur proposer un accompagnement. Nous formulerons des propositions en ce sens.
Les dispositions de certains amendements des rapporteurs adoptés en commission nous inquiètent, car, selon nous, elles menacent les intérêts des travailleurs. Nous pensons en particulier à l’article 18, qui crée un rendez-vous de préreprise, rebaptisé « rendez-vous de liaison », entre le salarié et l’employeur.
La présence obligatoire du service de prévention et de santé au travail lors de ce rendez-vous a été supprimée par voie d’amendement. De plus, la possibilité de l’organiser sur l’initiative de l’employeur a été réintroduite. Or ces dispositions fragilisent le salarié.
Enfin, au travers de cette proposition de loi, les infirmières de santé au travail ont vocation à prendre de nouvelles responsabilités, voire, dans certains cas, à se substituer au médecin du travail. Afin de les protéger, nous soutiendrons des amendements visant à éviter toute situation litigieuse en leur accordant le statut de salarié protégé.
En conclusion, malgré quelques avancées, ce texte se démarque par ses nombreuses lacunes. Il n’évoque pas le lien avec l’inspection du travail ; il n’aborde ni la question de la responsabilité des employeurs en cas d’accident du travail ou de suicide, ni la pénibilité, ni la qualité de vie au travail ni la santé des travailleurs en inter-contrat ou en recherche d’emploi. Ces questions sont pourtant cruciales.
Comme l’a dit ma collègue Mme Poumirol, les membres de notre groupe ne soutiendront pas ce texte en l’état ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)