Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme il est de tradition, cette séance est consacrée à la fois à l’examen du passé, puisque nous nous prononcerons sur l’exécution de l’année 2020 et le respect de l’autorisation parlementaire, et à celui de l’avenir, avec le débat d’orientation de nos finances publiques pour 2022, qui s’accompagne d’un rapport préparatoire, dans lequel le Gouvernement présente la situation et les perspectives de l’économie pour les années à venir, en précisant sa stratégie en matière de finances publiques.
Concernant, tout d’abord, l’exécution budgétaire de l’année 2020, on peut sans nul doute la qualifier « d’exceptionnelle », compte tenu bien sûr de l’épidémie de covid-19 et de ses conséquences sur l’économie mondiale.
L’économie française a ainsi subi un choc historique, avec une récession de 7,8 % du PIB, plus forte que dans le reste de la zone euro et, surtout, beaucoup plus forte que pour notre voisin allemand.
Chacun le sait, cette crise a rendu urgente et vitale la mise en œuvre de mesures de soutien, tant aux entreprises qu’aux ménages. Ainsi, les dépenses de l’État ont augmenté considérablement, avec en particulier plus de 40 milliards d’euros consacrés à la seule mission « Plan d’urgence face à la crise sanitaire » qui n’existait même pas initialement.
Au total, les effets de la crise ont été absorbés à plus de 80 % par les administrations publiques.
Toutefois, nous avons subi au cours des dernières années, et allons encore subir, le choix du Gouvernement de reporter systématiquement le redressement des comptes publics, alors que l’exécutif bénéficiait à la fois d’une croissance supérieure à son potentiel et d’un fort dynamisme des prélèvements obligatoires.
Mon prédécesseur Albéric de Montgolfier l’avait souligné dans cette même enceinte, et cela nous a fragilisés lorsque la crise est survenue. Fort heureusement, les conditions de financement sur les marchés financiers sont restées historiquement favorables.
Ainsi, les administrations n’ont pas pu prendre à leur compte les pertes de revenus des entreprises dans des proportions équivalentes à celles qu’a supportées l’Allemagne ou l’ensemble de la zone euro. Plus de 20 % de ces pertes sont restées à leur charge. Selon moi, cette situation découle du choix réalisé par le Gouvernement de recourir aux prêts garantis par l’État, plutôt qu’à des aides directes sur fonds publics.
Il convient en revanche de souligner que les ménages dans leur ensemble – je dis bien dans leur ensemble, sans me prononcer sur des situations particulières, ni sur des catégories de populations pour lesquelles la précarité s’est accentuée – ont été préservés du choc économique, leur revenu brut ayant progressé.
Au total, cette année d’exécution exceptionnelle du budget de l’État, mais aussi des comptes sociaux et des comptes des collectivités locales, s’accompagne d’une dégradation d’une ampleur inédite des comptes publics. Le solde des administrations de sécurité sociale et des administrations publiques locales devient déficitaire en 2020, tandis que le déficit budgétaire de l’État atteint le niveau inédit de 178 milliards d’euros.
Je veux aussi souligner les conséquences très importantes des pertes de recettes tarifaires et domaniales subies par les collectivités territoriales, au-delà de la réduction de près de 2 % de leurs recettes issues des prélèvements obligatoires, et saluer la mise en œuvre, puis la reconduction, de mécanismes de compensation adaptés, sous l’impulsion notamment de notre assemblée.
En ce qui concerne l’emploi public, d’importantes créations ont été opérées en fin d’année, et l’objectif initial du Gouvernement de réduire de 50 000 emplois le plafond d’emplois au sein de l’État et de ses opérateurs durant le quinquennat semble désormais totalement abandonné, voire inatteignable.
Nous avons certes, dans un esprit de responsabilité, voté les quatre projets de loi de finances rectificative pour 2020, en obtenant d’ailleurs d’importantes évolutions, devenues des apports du Sénat. Nous avons en particulier adopté les mesures de soutien, essentielles pour maintenir les entreprises à flot et protéger les ménages.
Toutefois, nous ne partagions pas les choix du Gouvernement qui ont guidé la construction de la loi de finances initiale pour 2020.
En particulier, nous déplorions votre renoncement à redresser les comptes publics ; nous nous étions aussi opposés à de nombreuses mesures et avions regretté de n’avoir pas été entendus sur le schéma de financement des collectivités territoriales au titre de la suppression de la taxe d’habitation.
Du point de vue du respect de l’autorisation parlementaire, enfin, si la sous-exécution des crédits votés lors du dernier projet de loi de finances rectificative ne pose aucune difficulté en tant que telle, les opérations de report massif vers 2021, réalisées en fin d’année, sont davantage contestables.
Au lieu d’être annulés, 36 milliards d’euros de crédits ont été reportés, et cela sans que la destination initialement prévue soit nécessairement respectée. Monsieur le ministre, cette pratique nuit au contrôle parlementaire. Elle est une entorse à la sincérité des lois de finances.
Quoi qu’il en soit, la commission des finances a décidé de proposer au Sénat de ne pas adopter ce projet de loi de règlement.
J’en viens maintenant au débat d’orientation des finances publiques pour 2022.
Dans mon intervention devant la commission, lundi dernier, j’ai principalement démontré que, une fois encore, cette étape de la procédure budgétaire n’apportait pas beaucoup plus d’informations que le programme de stabilité présenté en avril dernier. En effet, le rapport du Gouvernement, qui nous a été transmis le 30 juin, ne modifie pas la trajectoire des finances établie et confirmée par le programme de stabilité, puis le projet de loi de finances rectificative pour 2021, définitivement voté en début de semaine.
En outre, le document ne permet pas vraiment non plus de lever le voile sur les intentions du Gouvernement pour les prochaines lois de finances et lois de financement de la sécurité sociale.
À peine constations-nous que les efforts pour redresser les comptes publics seraient considérables, puisque, selon l’évolution tendancielle retenue, cela équivaudrait à une baisse des dépenses de 45,8 milliards d’euros à 69,1 milliards d’euros entre 2023 et 2027, que nous observions que les moyens pour y parvenir restaient totalement inconnus.
Néanmoins, je ne vais pas m’étendre davantage sur le sujet, puisque, en réalité, c’était l’allocution du Président de la République qu’il fallait écouter ! En effet, lundi soir, le rapport préparatoire, transmis pourtant au Parlement une dizaine de jours plus tôt pour préparer notre débat, apparaissait de facto totalement dépassé, réduisant le Gouvernement et son chef à jouer les utilités.
Le Président de la République a, tout d’abord, annoncé une croissance révisée à 6 %, contre une hypothèse à 5 % posée dans le rapport préparatoire au débat d’orientation. Ce chiffre reprend certes les dernières prévisions de l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’Insee, et de la Commission européenne, mais ces prévisions ont été réalisées alors que l’on envisageait une levée complète des restrictions cet été.
Il est loin d’être acquis que les récentes nouvelles sur le front épidémique et le passe sanitaire obligatoire ne freineront pas ce rebond économique, au moins à court terme. Quel sera l’impact de ces nouvelles contraintes, monsieur le ministre, notamment sur les secteurs concernés ?
Il est également permis de se demander si les mesures d’accompagnement de sortie de crise que nous venons de voter dans le cadre du projet de loi de finances rectificative suffiront vraiment, dès lors que la reprise de certaines activités pourrait se voir freinée par l’obligation de respecter le passe sanitaire, que ce soit dans les transports, les lieux de culture, l’hôtellerie-restauration ou les bars. Des adaptations seront-elles nécessaires ?
En tout état de cause, selon les informations que vous nous avez fait parvenir ce matin, cette prévision de croissance a pour conséquence de réduire le déficit à un peu moins de 9 %, sans davantage de justification. Par ailleurs, aucune révision des prévisions de croissance n’est opérée pour les années à venir. Pouvez-vous nous en dire davantage, monsieur le ministre ?
Le Président de la République n’a pas uniquement révisé la croissance à la hausse : il a également annoncé une série de dépenses supplémentaires, actuellement absentes de la trajectoire des finances publiques, à l’instar d’un plan d’investissement et d’un « revenu d’engagement » pour les jeunes sans emploi, dans le prolongement de la garantie jeunes universelle.
Quel sera le montant de ce plan d’investissement ? Quel serait le montant d’un tel revenu garanti aux jeunes précaires ? Et comment seront-ils financés ? Autant de questions qui restent actuellement sans réponse, mais qui, à n’en pas douter, rendent obsolète le peu d’éléments qui figuraient dans le rapport du Gouvernement.
Bien entendu, nous ne disposons d’aucune information nouvelle sur la stratégie de redressement des comptes publics.
Enfin, s’agissant du « tiré à part » sur les plafonds par mission et l’évolution prévisionnelle des emplois en vue du projet de loi de finances pour 2022, je note surtout un accroissement de près de 11 milliards d’euros des crédits du budget de l’État, qui n’inclut ni les appels en garantie ni les dépenses du plan de relance et du futur plan d’investissement.
La plupart des missions du budget général sont concernées, sans que ces dépenses supplémentaires soient gagées par des économies, à l’exception d’économies de constatation sur le service public de l’énergie et de 150 millions d’euros au titre du plan d’économies sur les achats de l’État.
Le « tiré à part » ne fait par ailleurs que confirmer votre renoncement à la baisse de l’emploi public, monsieur le ministre, puisque vous visez désormais un objectif de stabilisation que vous réduisez à un simple constat.
Finalement, votre mot d’ordre pour l’avenir semble être : ouvrir complètement les vannes pour les dépenses, sans qu’il soit fait état de recettes nouvelles, sans que vos mesures pour réduire la dépense publique soient connues et sans que soient identifiées les lignes de partage entre acteurs publics et acteurs privés pour mieux coordonner et rendre plus efficaces nos dépenses, au service du redressement et de l’amélioration de nos indicateurs budgétaires et fiscaux.
Nous en reparlerons cet automne, mais les échanges de ce jour s’en trouvent amputés d’autant, ce qui ne sert pas le débat parlementaire auquel nous sommes pourtant tous très attachés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Vincent Capo-Canellas et Vincent Delahaye applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure générale de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est la première fois que je m’exprime devant vous en tant que rapporteure générale de la commission des affaires sociales.
En cet instant, je souhaite tout d’abord redire ma gratitude envers mon prédécesseur, Jean-Marie Vanlerenberghe, qui a su, durant sept ans, défendre avec constance l’action de la sécurité sociale et de ses différentes branches et plaider pour la gestion rigoureuse de ses comptes, au nom de la soutenabilité et de la pérennité de notre modèle social. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Catherine Deroche et M. René-Paul Savary applaudissent également.)
Pour en venir au fond, au moment où il m’incombe de reprendre ce flambeau, la situation des comptes sociaux est particulièrement préoccupante.
Elle l’est dans l’immédiat. Vous l’avez souligné, monsieur le ministre, la sécurité sociale a enregistré en 2020 le plus lourd déficit de son histoire, et de loin : 38,7 milliards d’euros sur le périmètre du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse, le FSV, et même 39,8 milliards d’euros si on l’élargit à l’ensemble des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale. Cela fait environ 10 milliards d’euros de plus que le précédent record, qui datait de 2010, au plus fort de la crise financière entamée en 2008.
Pour 2021, selon les dernières prévisions de la commission des comptes de la sécurité sociale, le déficit du régime général et du FSV devrait rester stable à environ 38,4 milliards d’euros, malgré des recettes nettement plus élevées que prévu.
En outre, au-delà de cette photographie de crise, la situation des comptes sociaux est préoccupante à moyen terme. La trajectoire financière pour les quatre prochaines années, annexée à la dernière loi de financement de la sécurité sociale, ne montre pas d’amélioration significative. Ainsi, selon les projections du Gouvernement, le déficit se stabiliserait à près de 20 milliards d’euros à l’horizon 2024, soit un niveau très élevé, voire vertigineux.
Or ce n’est pas en regardant dans le rétroviseur que nous pourrons nous rassurer. En effet, nous devons reconnaître que nous ne sommes pas parvenus à ramener les comptes de la sécurité sociale dans le vert avant la crise sanitaire, une décennie après la crise financière de la fin des années 2000, en partie, monsieur le ministre, parce que le Gouvernement n’a pas souhaité cet excédent et l’a assumé au travers de diverses mesures de non-compensation.
Certes, être dans le rouge, et même dans le rouge vif, ne distingue pas les comptes sociaux de ceux des autres administrations publiques, en particulier de ceux de l’État. Mais il me semble important de rappeler la spécificité des comptes sociaux au sein de l’ensemble des comptes publics, car cette spécificité semble parfois oubliée dans certains ministères au profit de formules faciles se référant à « la même poche ».
Les dépenses de la sécurité sociale, de même que celle des autres régimes d’assurance sociale obligatoires, sont fondamentalement des dépenses de répartition. Des prestations sociales sont versées à partir des produits collectés, c’est-à-dire encore majoritairement des cotisations créatrices de droit et fléchées à cette fin vers un organisme précis.
À l’inverse des dépenses de l’État, il n’y a que très peu de dépenses d’investissement ou même de dépenses d’avenir, comme pour l’éducation, l’enseignement supérieur ou la recherche, susceptibles de rendre légitime la transmission d’une dette aux générations futures, qui bénéficieront du fruit de ces dépenses.
Au contraire, il devrait être de la responsabilité de chaque génération d’assurer elle-même le coût de sa protection sociale, bref de ne pas faire payer à ses enfants le prix de ses feuilles de soins ou des actuelles retraites, par exemple. C’est donc bien la recherche de l’équilibre, au sens strict du terme, qui doit nous guider quand on parle des comptes sociaux.
C’est d’ailleurs ce constat qui a amené votre prédécesseur Jean Arthuis à mettre en place des lois de financement de la sécurité sociale et à créer une caisse dédiée, la Cades, la Caisse d’amortissement de la dette sociale –, dotée d’un impôt spécifique, la CRDS, ou contribution pour le remboursement de la dette sociale, pour amortir en intérêts et capital, le plus vite possible, la dette de la sécurité sociale, ce que l’on n’envisage pas pour l’État.
Monsieur le ministre, Jean-Marie Vanlerenberghe vous avait dit l’année dernière, lors de l’examen des projets de loi relatifs à la dette sociale et à l’autonomie, que, face à l’ampleur des conséquences financières de la crise sanitaire, nous étions en quelque sorte revenus au point de départ en matière de dette sociale, vingt-cinq ans après.
Il était donc temps de se poser de nouveau les questions fondamentales : nous donnons-nous vraiment pour but d’éteindre la dette sociale, dans l’esprit de responsabilité vis-à-vis des générations futures dont je viens de parler ? Le Gouvernement avait répondu par l’affirmative, tout en prolongeant de neuf ans l’existence de la Cades. La commission des affaires sociales et le Sénat avaient partagé cette approche.
Dès lors, nous devons nous montrer cohérents et réellement agir pour atteindre cet objectif. Cela commence par ne pas priver artificiellement la sécurité sociale de ses recettes, par ne pas lui confier par commodité des charges qui étaient jusqu’en 2019 celles de l’État – je pense à Santé publique France, par exemple – et par ne pas faire de la Cades un « fourre-tout », par exemple en la chargeant à hauteur de 13 milliards d’euros du financement des investissements des hôpitaux publics. Sinon, monsieur le ministre, nous n’y arriverons pas, et autant supprimer tout de suite la Cades !
Bien sûr, le respect de ces principes élémentaires de bonne gestion des finances publiques ne suffira pas, à lui seul, à ramener les comptes de la sécurité sociale sur le chemin de l’équilibre. Soyons conscients, mes chers collègues, qu’il faudra prendre, le moment venu, à l’issue de la crise actuelle, des décisions difficiles, notamment en matière d’assurance vieillesse ou de maîtrise des dépenses d’assurance maladie.
Pour nous y aider, et afin que le Parlement dispose des moyens d’exercer pleinement les prérogatives qui devraient être les siennes en matière de finances sociales, nous formulerons des propositions cet automne, dès l’examen de la révision du cadre organique des lois de financement de la sécurité sociale.
À cet égard, je vous rappelle les principes sur lesquels s’appuie la proposition de loi organique déposée par Jean-Marie Vanlerenberghe et notre présidente Catherine Deroche, cosignée par l’ancien président Alain Milon et l’ensemble des rapporteurs des différentes branches du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Tout d’abord, elle prévoit un périmètre élargi des lois de financement, afin d’inclure à des degrés divers l’ensemble des administrations de sécurité sociale, en particulier l’assurance chômage, dont la situation financière et le niveau d’endettement sont très préoccupants.
Ensuite, elle instaure une normativité renforcée, en particulier par la mise en place de certains crédits limitatifs, notamment pour le financement des agences, afin que le Gouvernement soit obligé de redemander l’autorisation du Parlement quand le budget « explose ».
Les auteurs de cette proposition de loi réclament un contrôle parlementaire renforcé, notamment au travers de l’instauration des lois d’approbation des comptes de la sécurité sociale, sur le modèle de la loi de règlement que le Sénat va examiner à l’issue de ce débat.
Enfin, le texte met en place une « règle d’or » – nous en avions discuté l’année dernière – imposant un équilibre des comptes de la sécurité sociale sur cinq années glissantes, sur le modèle de ce qui était prévu pour le système universel de retraite. Si les modalités et la date de mise en place d’une telle règle peuvent bien sûr être discutées, son principe devrait nous unir, pour peu que nous fondions notre jugement sur nos échecs passés. Ou alors, encore une fois, si nous ne croyons même pas à cet objectif, à quoi bon prolonger la Cades ?
Mes chers collègues, vous le voyez, nous avons beaucoup de travail devant nous dans les mois et les années à venir. J’espère, monsieur le ministre, que vous nous ferez connaître vos propres orientations à l’occasion de ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le moment est enfin venu de clore l’exercice budgétaire 2020. Cette année, qui restera dans l’histoire comme celle de la grande dépression sanitaire, aura profondément éprouvé notre économie et nos finances publiques.
Nous ne sommes pas près d’en oublier les chiffres record : un déficit public qui est passé au-delà de 9 % du PIB, un endettement public qui a bondi de 18 points en moins d’un an, une dépense publique qui a franchi les 60 % du PIB.
Il est grand temps de tourner la page de ces tristes records budgétaires. Pourtant, quel que soit le sort que le Sénat réservera à ce texte, il nous faudra bien – je m’adresse à chacun d’entre vous, mes chers collègues – assumer les conséquences des mesures sanitaires que nous avons prises pour protéger le pays.
Or c’est bien là tout l’enjeu de nos discussions de cette après-midi : dans quelle mesure sommes-nous disposés à assumer les conséquences économiques et politiques de l’année 2020 ? Je le répète, cette question va bien au-delà de considérations strictement budgétaires, considérations auxquelles le projet de loi de règlement nous invite pourtant.
En effet, notre assemblée a déjà tranché le sort des quelque 70 milliards d’euros de mesures d’urgence. La majorité du Sénat a voté les quatre projets de loi de finances rectificative pour 2020. Chaque fois, une solution de compromis a été trouvée, soit dès la première lecture, en mars 2020, soit lors de la réunion de la commission mixte paritaire, pour les trois textes suivants.
Chaque fois, la chambre haute a accepté, directement ou indirectement, les dérapages contrôlés qui nous éloignaient un peu plus de la trajectoire retenue dans la loi de finances initiale, au point de laisser les critères de Maastricht, sur le déficit comme sur la dette, à des années budgétaires de notre portée.
Ce dérapage a bouleversé la quasi-totalité des programmes et des missions. C’est évidemment le cas pour la mission « Recherche et enseignement supérieur », dont j’ai l’honneur d’être le rapporteure spécial.
S’agissant du programme 231, « Vie étudiante », les crédits de paiement inscrits dans le projet de loi de règlement sont ainsi supérieurs de 8,5 % à ceux qui figuraient en loi de finances initiale. Les subsides versés aux étudiants pour les aider à surmonter la crise sanitaire ont causé une augmentation des dépenses de 166 millions d’euros pour la seule année 2020.
Il en va de même pour le « plan Étudiants », dont le budget s’est également envolé. Comme j’ai eu l’occasion de le préciser dans mon rapport, nous pouvons regretter que ces dépenses supplémentaires viennent s’ajouter à des lignes de crédits qui méritaient déjà, avant la crise, une évaluation rigoureuse.
J’ai parlé de la mission « Recherche et enseignement supérieur », mais ce constat vaut aussi pour toutes les autres missions. Cette mission revêt toutefois, reconnaissons-le, mes chers collègues, une valeur symbolique bien particulière, car elle concerne des dépenses que nous avons décidé d’engager au bénéfice exclusif des jeunes générations.
Or c’est naturellement sur elles que nous comptons pour rembourser les dettes que nous contractons aujourd’hui. Tel est le contrat que nous avons passé avec les jeunes générations.
C’est l’esprit de responsabilité qui nous oblige, mais c’est aussi notre intérêt collectif, car nous nous attachons ainsi à soigner, tant que nous le pouvons encore, la signature de la France sur les marchés financiers.
C’est le meilleur moyen dont nous disposons pour préserver notre capacité à emprunter, donc à financer nos propres projets.
C’est ce même esprit de responsabilité qui nous oblige à aligner nos décisions d’aujourd’hui sur nos choix d’hier. Il y va de la confiance en la puissance publique.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires, qui a voté tous les projets de loi de finances rectificative en 2020, votera donc, par esprit de responsabilité, ce projet de loi de règlement. Nous serons ainsi en cohérence avec nos décisions passées et nous aurons un cap pour l’avenir.
S’agissant de ce cap, nous aurons l’occasion dès l’automne d’affirmer nos positions et d’avancer des propositions concrètes d’orientation des finances publiques.
Pour nous, la priorité demeure la réduction de l’endettement public. Il y va de notre capacité collective à investir dans la nécessaire réindustrialisation, notamment par la redynamisation des chaînes de valeur, et dans les technologies du futur, à accélérer la transition écologique, à préserver notre modèle social. Bref, il y va de notre souveraineté nationale.
Nous continuerons donc à promouvoir cette stratégie pour être en mesure, dans un avenir proche, de solder définitivement l’année 2020.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.
Mme Sophie Taillé-Polian. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ne votera pas cette loi de règlement.
Nul ne peut nier que le contexte est extraordinaire et que le Gouvernement a consenti des efforts exceptionnels face à cette crise. Nous considérons, néanmoins, que ces efforts ont été mal calibrés, mal ciblés et mal financés.
Il y a l’ampleur de ces reports de crédits de 2020 vers 2021 – ils représentent une trentaine de milliards d’euros. Vous plaidez la prudence… C’est bien, mais notre interrogation sur la sincérité budgétaire et la portée réelle de l’autorisation parlementaire est plus ample que cela.
Nous avons souvent alerté sur l’illisibilité de la répartition des crédits entre ce qui relevait de l’urgence, de la relance et du budget ordinaire. S’y ajoute la question des comptes sociaux. À force de prélèvements et de remboursements, d’exonérations de cotisations, l’autonomie de la sphère sociale est aujourd’hui une chimère. L’État décide, la sécurité sociale paie, et les flux financiers entre les deux sont de plus en plus insaisissables.
Au-delà de ces éléments, monsieur le ministre, vos choix nous laissent pantois. Pourquoi n’avez-vous jamais conditionné aucune des aides accordées aux entreprises pour faire face à la crise ? Voilà que vous, qui êtes pourtant les parangons de l’efficacité de la dépense publique, déversez des milliards d’euros sans savoir ce qu’il en adviendra !
Comment peut-on accepter qu’une entreprise fermant des usines en France ou versant des dividendes soit bénéficiaire du fonds de solidarité ou des aides du plan de relance, alors que, en même temps, l’État a renforcé les contrôles sur les Français ?
J’en veux pour preuve cette réforme de l’assurance chômage, qui a été mise de côté par le Conseil d’État et dont le Président de la République vient, dans son intervention, d’annoncer le retour pour la rentrée. La chasse au fraudeur social fait rage ; elle abîme ceux qui la subissent, mais aussi les fonctionnaires qui, je crois, ne se sont pas engagés dans le service public pour « chasser les pauvres ».
Pendant ce temps, donc, l’État réserve ses largesses aux entreprises sans rien leur demander en échange. On connaît le résultat ! Nous sommes face à une gestion de crise profondément déséquilibrée, avec, d’un côté, une crise sociale minimisée, de l’autre, une richesse indécente qui s’étale dans les colonnes des journaux. Le magazine Challenges a publié, la semaine dernière, son classement annuel des fortunes du pays et constate, je cite, « les plus fortes progressions annuelles jamais enregistrées ».
Malgré cela, malgré nos demandes répétées, vous n’avez de cesse de refuser le financement de l’action de l’État par la solidarité, la taxation de la fortune ou encore celle des héritages.
Nous vivons pourtant un changement de paradigme à l’échelle mondiale. Je citerai l’arrivée au pouvoir de Joe Biden, ses efforts pour rénover l’économie américaine, en commençant par les infrastructures, la transition écologique et la consommation populaire.
Je citerai les discussions mondiales, freinées par la France – vous le savez bien, monsieur le ministre –, pour tourner la page de quarante ans de dérégulation fiscale.
Je citerai la revue stratégique de la Banque centrale européenne, la BCE, la modification de la cible d’inflation, désormais symétrique, et son engagement, encore à concrétiser, pour le verdissement de la politique monétaire.
Alors, oui, vous mettez de l’argent public sur la table, mais c’est à notre tour de vous demander de ne pas faire de dépenses dans le vide ou sans résultat !
Pendant des années, nous, les écologistes, la gauche, avons demandé des moyens : l’arrêt de la baisse du nombre de fonctionnaires et la préservation des services publics. Non, répondiez-vous, il faut examiner la qualité de la dépense, évaluer les performances et faire mieux avec moins. Eh bien, aujourd’hui, c’est nous qui exigeons une dépense publique de qualité.
Les moyens sont là, c’est indéniable, mais il faut les utiliser correctement. Il faut s’attaquer aux 90 milliards d’euros de dépenses fiscales, pour une grande partie « brunes » et finançant les pollutions. Il faut conditionner toutes les aides d’État à des critères sociaux et environnementaux et évaluer la performance des milliards d’euros déversés.
Cette crise a réhabilité l’État. C’est une grande victoire. Mais notre appareil d’État a été abîmé par des décennies de coupes, de management néolibéral, de pertes de compétences et d’externalisations.
Voilà le combat des prochaines années, pour nous qui devons contrôler les autorisations budgétaires et les finances publiques : s’assurer que l’État soit en capacité de faire bon usage des crédits que nous votons.
Il faudra, par exemple, s’interroger sur l’ampleur de l’argent public dépensé en audits et prestations de sociétés de conseil pour pallier la perte de compétences en interne. On l’a bien vu au cœur de la crise, lorsque des cabinets privés ont dû se substituer au Gouvernement pour élaborer les stratégies sanitaires.
Si vous voulez que l’on vous prenne au sérieux quand vous parlez d’écologie et de social, tel est le sens dans lequel il faudrait réformer la LOLF.
Tout d’abord, s’assurer que l’administration dispose des moyens et des compétences nécessaires.
Ensuite, au-delà du « budget vert » intégrer une comptabilité écologique, privée et publique, pour savoir où vont nos milliards et répondre à l’ultimatum du Conseil d’État, qui nous donne neuf mois pour agir, ainsi qu’aux alertes du Haut Conseil pour le climat et du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC.
Ainsi, lier nos discussions budgétaires avec les grands engagements de la France : ceux de la 21e conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, la COP21, signée à Paris, et ceux que nous nous sommes nous-mêmes fixés dans la stratégie nationale bas-carbone, tout cela dans le cadre d’un changement majeur de politique fiscale au service de la justice sociale.
Toutefois, monsieur le ministre, vos yeux sont rivés sur des indicateurs du passé, comme le produit intérieur brut, le PIB, qui devient problématique. Son usage montre effectivement que nous courons la mauvaise course, celle d’un productivisme effréné dans le capitalisme financier, qui est strictement incompatible avec les limites planétaires et qui se heurte, on le voit, à toute idée de justice sociale.