M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Quoi qu’il en soit, je regrette de n’avoir pu m’exprimer plus tôt, c’est-à-dire à la fin du débat commun.
Les orateurs qui sont intervenus ont pris la peine d’exposer leurs arguments, qu’il s’agisse du projet de loi de règlement ou du débat d’orientation des finances publiques pour l’année 2022. Dans ces conditions, je ne peux pas leur répondre point par point, ce dont je les prie de m’excuser. Je me contenterai de deux remarques générales.
Tout d’abord, je tiens à revenir sur les interrogations, légitimes, et sur les reproches qu’ont inspirés les reports de crédits prévus dans le projet de loi de règlement.
Monsieur le président de la commission des finances, dans sa rédaction actuelle, la LOLF autorise le Gouvernement à procéder à des reports dans la limite de 3 % de chaque programme. Certes, le report global n’est pas plafonné, mais la dérogation à la règle des 3 % est soumise à l’accord du Parlement, lequel nous a été donné au cours de la navette. Je sais que ce choix n’était pas nécessairement celui des deux assemblées, mais les procédures sont ainsi faites et le Gouvernement a reçu l’autorisation de procéder à ce report.
Nous avions prévu l’inscription de plusieurs dizaines de milliards d’euros au titre du PLFR 4 pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire. À ce titre – j’ai déjà eu l’occasion de le dire devant vous –, nous avions retenu l’hypothèse du pire, car telle était notre responsabilité : nous avons imaginé la possibilité d’un confinement couvrant les mois de novembre et de décembre 2020, assorti d’une perte d’activité de 20 %.
En réalité, le confinement n’a duré que jusqu’au 15 décembre, date à laquelle il a été remplacé par un couvre-feu. Quant à la perte d’activité, elle a été de 11 % au mois de novembre et de 6 % à 7 % au mois de décembre.
C’est cette situation, moins dégradée que prévu, qui a conduit à une sous-consommation des crédits d’urgence que nous vous avons proposé d’inscrire au budget. Reportés sur le début de l’année 2021, ces fonds nous ont permis de financer à un niveau plus élevé que prévu les mesures d’urgence imposées par la poursuite de la crise.
Aussi, je réfute le reproche d’insincérité de notre construction budgétaire : ces chiffres reflètent notre prudence et je l’assume. Je le répète devant vous : je préfère mille fois cette situation un peu inconfortable – j’en conviens volontiers – de reports massifs, y compris de reports croisés, au risque d’être confronté à une absence de crédits pour financer les mesures d’urgence, au moment où la crise était à son paroxysme.
Ensuite, je tiens à revenir sur les orientations budgétaires pour l’année 2022, lesquelles sont désormais connues : nous sommes sur la voie de la normalisation.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’on ne peut parler d’austérité, comme j’ai pu l’entendre parfois, lorsque la dépense des ministères doit croître de 10,8 milliards d’euros.
Certains orateurs, notamment Rémi Féraud, ont évoqué le financement de la sécurité sociale : les niveaux d’objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam) hors crise et hors Ségur sont systématiquement supérieurs à 2,4 % par an. Ces volumes sont près d’une fois et demie supérieurs à ce que l’on connaissait au cours des années précédentes.
Cette construction budgétaire est caractérisée à la fois par une forme d’incertitude liée à l’épidémie, par une forme de confiance liée à la reprise économique et par une forme de liberté : d’une part, la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) nous permet de mener les financements dans de bonnes conditions, d’autre part, la Commission européenne a prolongé la période de suspension de l’application d’un certain nombre de clauses des traités européens, ce qui nous renvoie d’ailleurs à notre propre responsabilité – c’est un point important à noter. Or notre responsabilité, c’est d’organiser le retour progressif vers une situation budgétaire normale, c’est-à-dire tout à fait soutenable.
Il nous reste désormais à travailler sur la question des recettes et sur l’articulation des plafonds que nous vous avons transmis avec l’ensemble des ressources. Nous devons préparer l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Évidemment, nous devons nous pencher sur les questions fiscales, afin que le budget soit le plus équilibré possible et nous devrons procéder en ayant en tête le débat organique évoqué à plusieurs reprises.
Cette réforme de la LOLF aura pour base les propositions de loi que l’Assemblée nationale examinera lundi prochain et celles que votre assemblée a pensées pour les enrichir. Par exemple – il s’agit là d’une seconde réponse au président de la commission des finances –, nous pourrons mener un exercice commun au programme de stabilité et au débat d’orientation des finances publiques. En soi, il peut être intéressant d’examiner conjointement la trajectoire pluriannuelle et les perspectives pour 2022.
Enfin, madame Lavarde, vous nous avez reproché de ne pas avoir transmis de chiffres assez précis au sujet du schéma d’emploi. Je vous confirme la stabilité observée en la matière. Lorsque nous créons des emplois dans un certain nombre de secteurs, comme nous nous y sommes engagés, nous appliquons la règle du non-remplacement, qui implique de prélever dans d’autres secteurs pour atteindre l’équilibre et assurer cette stabilité à l’échelle du quinquennat.
Évidemment, je prends acte des votes du Sénat : selon toute probabilité, l’article 8 connaîtra le même sort que les précédents. Comme d’autres l’ont fait avant moi, je vous donne rendez-vous cet automne, pour l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances !
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 8.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 158 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 144 |
Pour l’adoption | 50 |
Contre | 94 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Les articles du projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2020 ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire, puisqu’il n’y a plus de texte.
En conséquence, le projet de loi n’est pas adopté.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinquante-sept, est reprise à dix-sept heures.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
6
Différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. Nous reprenons l’examen du projet de loi, modifié par lettre rectificative, relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale.
Dans la discussion du texte de la commission, nous en sommes parvenus, au sein du chapitre II du titre IV, à un amendement tendant à introduire un article additionnel après l’article 35.
TITRE IV (suite)
LA SANTÉ, LA COHÉSION SOCIALE, L’ÉDUCATION ET LA CULTURE
Chapitre II (suite)
Cohésion sociale
Article additionnel après l’article 35
Mme la présidente. L’amendement n° 1282, présenté par Mme Jasmin et M. Lurel, est ainsi libellé :
Après l’article 35
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport d’évaluation sur la recentralisation du revenu de solidarité active en Guyane, à Mayotte et à La Réunion.
La parole est à Mme Victoire Jasmin.
Mme Victoire Jasmin. Par cet amendement, il s’agit d’alerter sur la nécessité de disposer d’une première évaluation de la recentralisation du revenu de solidarité active (RSA), qui a déjà été mise en place dans certains territoires. Cette évaluation des expérimentations précédentes de recentralisation serait profitable à tous, avant la généralisation de cette évolution et son extension à d’autres départements ; elle permettrait également d’anticiper sur le volet insertion.
L’objectif est donc de disposer d’un retour d’expérience de cette expérimentation en amont de chaque territoire. Cela permettrait d’adopter une démarche éclairée, appuyée sur des éléments de comparaison pertinents et cohérents.
Madame la ministre, contrairement à ce que vous avez répondu ce matin à l’un de mes collègues, le département de Guadeloupe a bien fait cette demande de recentralisation du RSA – c’était à l’époque du gouvernement de M. Édouard Philippe. Vous devriez donc revoir votre réponse.
Je remercie le rapporteur pour avis, M. Milon, qui a évoqué ce matin les éléments qu’il avait reçus, certes tardivement. Je souhaite qu’il en tienne compte dans son avis sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission des affaires sociales ?
M. Alain Milon, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Je suis désolé, mais il s’agit d’une demande de rapport. Or la commission n’y est habituellement pas favorable, et ce pour des raisons évidentes : on n’obtient jamais le rapport demandé en temps et en heure ; en outre, plus on demande de rapports, plus le Gouvernement a de rapports à rendre, moins il a de temps pour travailler par ailleurs.
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Ainsi qu’il en a été question ce matin, j’ai demandé à Mme la ministre de nous fournir une note sur le sujet. Nous l’avons obtenue et je vous l’ai fait distribuer. Elle est ce qu’elle est…
Mme la ministre émettra sans doute également un avis défavorable sur cet amendement, mais peut-être nous annoncera-t-elle qu’elle sera en mesure de nous donner des éléments supplémentaires par la suite, qui seraient bienvenus.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Je partage l’avis qui vient d’être exprimé.
Madame la sénatrice, je souhaite qu’il ne subsiste aucune ambiguïté. Vous avez évoqué une « expérimentation ». Or en ce qui concerne la Guyane, Mayotte et La Réunion, il ne s’agit pas de cela : c’est bien un transfert de compétences qui a été réalisé à la demande des élus de ces trois collectivités. À l’époque, Annick Girardin était ministre des outre-mer et avait la charge de ce sujet.
Comme le rapporteur pour avis vous l’a indiqué, nous lui avons fourni des éléments de réponse. Ce travail d’évaluation est extrêmement technique : il faut déterminer le nombre de bénéficiaires, etc. Je peux déjà vous dire que ce nombre a augmenté, mais un travail plus précis sera fait au fur et à mesure et nous vous transmettrons évidemment les informations.
Mme la présidente. La parole est à Mme Victoire Jasmin, pour explication de vote.
Mme Victoire Jasmin. S’il s’agit bien d’un transfert de compétences, disposez-vous d’évaluations pertinentes pour nous permettre de savoir ce qu’il en est ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Cela s’est fait en 2019 et en 2020, c’est donc très récent. Il faut du temps pour apprécier la situation et l’évaluer.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 1282.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 35 bis (nouveau)
Le code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 262-40, il est inséré un article L. 262-40-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 262-40-1. – Le Président du Conseil départemental peut, dans l’exercice des missions de contrôle du revenu de solidarité active, et sans que s’y oppose le secret professionnel, demander à chaque bénéficiaire concerné les documents et informations nécessaires afin de vérifier la sincérité et l’exactitude des déclarations souscrites ou l’authenticité des pièces produites dans le cadre de l’octroi et du versement de cette prestation.
« Ce droit à communication s’étend à tout document utile permettant de contrôler, notamment, la composition du foyer, le domicile du bénéficiaire ou encore l’étendue de ses ressources.
« Il est applicable indépendamment du support sur lequel sont détenus les documents sollicités.
« Le bénéficiaire est tenu de communiquer les documents sollicités en application du premier alinéa dans le délai d’un mois à compter de la demande. » ;
2° Après le 4° de l’article L. 262-37, il est inséré un 5° ainsi rédigé :
« 5° Lorsque, sans motif légitime, le bénéficiaire refuse de communiquer les documents qui lui sont demandés en application de l’article L. 262-40-1 ».
Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements identiques.
L’amendement n° 709 est présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Cukierman, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 1258 est présenté par Mme Poncet Monge, M. Benarroche et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires.
L’amendement n° 1278 est présenté par Mme Lubin, M. Jomier, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mmes Jasmin, Le Houerou, Meunier, Poumirol et Rossignol, MM. Kerrouche, Marie, Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 1415 est présenté par le Gouvernement.
Ces quatre amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, pour présenter l’amendement n° 709.
Mme Marie-Claude Varaillas. L’article L. 262-40 du code de l’action sociale et des familles prévoit déjà un droit de communication des données nécessaires à l’instruction d’une demande de RSA, à sa liquidation et à son contrôle, ainsi qu’à la conduite des actions d’insertion.
La nouvelle rédaction de la commission autorise désormais le président du conseil départemental à demander à tout bénéficiaire du RSA les documents et informations nécessaires pour contrôler la composition du foyer, le domicile du bénéficiaire ou encore ses ressources.
Enfin, l’article prévoit que, en cas de refus de communication de ces documents, le président du conseil départemental peut décider de suspendre le versement du RSA.
Nous savons tous que la crise a entraîné une augmentation de 10 % du nombre de personnes au RSA. Or certains sont davantage déterminés, dans cette période, à accroître encore les contrôles qu’à trouver des solutions d’insertion aux personnes précaires.
La précarité a explosé avec la crise sanitaire et vous faites le choix de contrôler encore plus durement les demandes de RSA ! Je rappelle que 36 % des personnes y ayant droit renoncent même à demander cette aide sociale. Par cet article, vous imposez une stigmatisation supplémentaire.
Nous regrettons que vous ne consacriez pas autant d’énergie à contrôler les entreprises qui fraudent sur les cotisations sociales et qui ne payent pas leurs impôts en France.
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour présenter l’amendement n° 1258.
Mme Raymonde Poncet Monge. Depuis plusieurs années, les dispositifs de contrôle et de sanction se renforcent pour démasquer les fraudeurs parmi les plus précaires. En 2017, trente-neuf départements ont dédié une équipe au contrôle. On assiste à une sophistication croissante et coûteuse de ces politiques, sans qu’aucune étude d’impact mesure leur efficacité. Pourtant, ces mesures interfèrent avec le cœur des politiques sociales, des travailleurs sociaux, de la solidarité, c’est-à-dire la lutte contre la pauvreté et pour la réinsertion sociale.
À ce sujet, rappelons que 10 millions de personnes vivent désormais sous le seuil de pauvreté, soit presque 20 % des ménages. Une part importante de ces personnes en situation de précarité ne recourent pas aux prestations sociales auxquelles elles ont pourtant droit. En 2018, ce non-recours concernait 36 % des ayants droit à la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C), 75 % des ayants droit à l’aide à la complémentaire santé (ACS) et un tiers des ayants droit au RSA.
Cette précarisation est due, en partie, aux politiques de contrôle, pour lutter contre une fraude estimée à quelques centaines de milliers d’euros. Cette politique génère dans les faits du non-recours, pour des sommes bien supérieures.
On est tenté de se demander s’il ne s’agit pas ici d’un objectif inavoué de ces politiques (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Françoise Gatel, rapporteur de la commission des lois. Oh !
Mme Raymonde Poncet Monge. Lisez les rapports et vous verrez que la stigmatisation entraîne du non-recours. C’est ainsi. Je suis à votre disposition pour vous fournir les documents le montrant.
En matière de réinsertion sociale, ensuite, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), le taux de chômage de longue durée et de très longue durée atteint 3,3 % de la population active, ce qui représente près de 1,2 million d’individus. Ce chiffre est en hausse de 16 % depuis 2018.
Posons donc la vraie question : quelle est l’efficacité des politiques de contrôle et de sanction en matière de réinsertion sociale ou de lutte contre la pauvreté ? C’est cela qui nous intéresse. Quand cette étude d’impact sera-t-elle menée ?
De même, alors que l’argument avancé est parfois économique, aucune étude n’a été réalisée pour calculer les économies pour les finances publiques que permettraient ces dispositifs de contrôle, au regard de leur coût réel.
Nous vivons une crise majeure, qui exige que les organismes sociaux jettent toutes leurs forces dans la lutte contre la pauvreté et pour la réinsertion sociale et qui mérite, aussi, que nous nous saisissions de nos responsabilités politiques pour réaffirmer notre engagement de solidarité.
Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin, pour présenter l’amendement n° 1278.
Mme Monique Lubin. Je m’étonne de la teneur de cet article. En effet, les services instructeurs des dossiers de RSA ont tous les outils en main pour contrôler : je ne sais pas ce que vous voulez contrôler en plus !
Peut-être connaissez-vous des Belles au bois dormant qui vivent dans des châteaux extraordinaires tout en percevant le RSA ? Ce n’est pas mon cas. En revanche, je connais des gens – je suis certaine que vous en recevez aussi dans vos permanences – qui n’accèdent pas aux droits dont ils pourraient bénéficier et s’en justifient en disant : « Non, je ne veux pas, j’ai ma dignité. » Vous êtes alors obligés de leur expliquer que c’est leur droit et qu’ils peuvent le demander. Je croise surtout ces gens-là, pas les autres.
Cette espèce de chasse aux pauvres me dérange de plus en plus. Des fraudeurs, il y en a partout. Y en a-t-il plus chez les pauvres que chez les autres ? J’en doute. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Martine Filleul applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre, pour présenter l’amendement n° 1415.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Le Gouvernement demande également la suppression de cet article. Toutefois, sur ce sujet, après avoir entendu les précédentes interventions, j’ai le sentiment qu’il faut rester modéré.
En effet, les départements disposent déjà de la compétence du contrôle du service du RSA et de la lutte contre la fraude, au même titre que les organismes de sécurité sociale. La loi leur permet de solliciter toute pièce permettant de vérifier les données des allocataires auprès des administrations publiques, des collectivités territoriales et des organismes de sécurité sociale. Les conventions signées entre les départements et les caisses de sécurité sociale permettent de partager l’effort de lutte contre la fraude – car il faut bien lutter contre la fraude ! –, en s’appuyant sur les compétences respectives.
Le respect de la vie privée et la préservation des données personnelles imposent que seules les données utiles puissent être partagées. Les pièces personnelles des bénéficiaires sont vérifiées par les caisses de sécurité sociale lors du dépôt de la demande ainsi que lors des contrôles. Cette vérification étant déjà réalisée, permettre aux conseils départementaux de déroger au secret professionnel, principe encadré par la loi, et de disposer de données personnelles non nécessaires à l’insertion sociale et professionnelle des bénéficiaires du RSA nous semble superfétatoire.
Enfin, en multipliant les vérifications de pièces personnelles, cette disposition contrevient à la volonté partagée de simplifier le parcours des bénéficiaires.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission des affaires sociales ?
M. Alain Milon, rapporteur pour avis. La sollicitation directe auprès des bénéficiaires du RSA de documents justificatifs permettant de vérifier leurs droits à prestation est une prérogative des caisses d’allocations familiales.
Pour l’exercice de ses compétences, le président du conseil départemental dispose, cependant, à l’égard des administrations publiques et des caisses de sécurité sociale, d’un droit de communication des données relatives aux bénéficiaires.
Toutefois, certains départements – nous en avons auditionné les représentants – considèrent qu’ils ne disposent pas, à l’heure actuelle, de moyens suffisants pour conduire une politique de contrôle efficace. C’est pourquoi, sur l’initiative de Sabine Drexler, la commission des affaires sociales a inséré l’article 35 bis, qui autorise le président du conseil départemental à demander à tout bénéficiaire du RSA les documents et informations nécessaires afin de vérifier la sincérité et l’exactitude de ses déclarations.
Cet article prévoit également la possibilité, pour le président du conseil départemental, de décider de la suspension du versement du RSA lorsque le bénéficiaire refuse de communiquer les documents qui lui sont demandés.
À titre personnel, je considère que, en matière d’insertion des bénéficiaires du RSA – ce sont en général des personnes qui ont besoin d’un accompagnement personnalisé –, le contrôle et les sanctions ne sont pas toujours les instruments les plus efficaces.
La commission a toutefois émis un avis défavorable sur ces amendements identiques de suppression de l’article 35 bis.
Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Je tiens à relativiser un peu les propos qui ont été tenus. Il faut beaucoup d’humilité sur ces questions.
J’ai eu l’occasion de mettre sur pied certains dispositifs, en accord avec la caisse d’allocations familiales (CAF), grâce à une convention complétant ce que cette dernière faisait elle-même. Cela nécessite des discussions. En outre, il faut convaincre les services sociaux départementaux, car ces procédés ne sont pas dans la culture du travailleur social. Ces mesures doivent donc découler d’un vrai projet, qui bénéficiera également aux allocataires du RSA.
Il arrive que la CAF commette des erreurs, elle le reconnaît, et que certains, qui sont de bonne foi, obtiennent le RSA sur cette base. Il faut donc faire attention, car, quand elle s’en rend compte, la CAF demande le remboursement de ces indus et met les personnes en difficulté, alors que leur situation est déjà précaire.
Il y a également de la fraude, en proportion variable selon le type de bénéficiaires.
Par ces procédés, on détecte aussi des non-recours aux prestations, grâce au croisement des données. Le processus de data mining permet, selon le niveau où l’on place le curseur, de croiser plus ou moins de données, dans le respect de la liberté individuelle, de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), en accord avec la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), pour vérifier si une personne qui bénéficie d’une prestation est inscrite dans la bonne case.
Nous rendons donc également un service à l’ensemble des bénéficiaires, il faut en être conscient ! Il ne s’agit pas de flicage.
Il faut voir les choses différemment : c’est une culture. Quand un département est rigoureux, les bénéficiaires le savent et nos concitoyens considèrent mieux cette prestation, parce qu’ils savent que l’instruction est vigilante. On entend trop souvent dire que le RSA serait de l’assistanat et pas autre chose. Le meilleur moyen de combattre cette mauvaise mentalité est d’être rigoureux dans l’attribution de cette prestation.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Segouin, pour explication de vote.
M. Vincent Segouin. Je soutiens l’avis de la commission : je trouve l’ajout de cet article tout à fait positif. Je viens d’un département qui a mis en place des services anti-fraude au RSA, ce qui nous a permis de faire plus de 1 % d’économies par an. La fraude concerne, par exemple, des personnes expatriées à qui l’on sert des prestations RSA. Les critères sont très clairement définis.
L’argent qui n’est ainsi pas dépensé dans le social est réutilisé pour l’investissement, ce qui est plutôt favorable. En outre, cette rigueur rend le système pérenne. On ne peut plus distribuer de l’argent sans contrôle, sans efficacité, sans rien.
Aujourd’hui, l’information est passée que nous luttons contre la fraude (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.) et nous revenons à un système pérenne et rigoureux.
Je tenais donc à dire combien je suis favorable à cet article.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. Je regrette que la majorité sénatoriale ait choisi de se caricaturer (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.), d’abord, sur la prestation de compensation du handicap, dont il a été question plus tôt dans le texte et qui pourra donc être utilisée à autre chose qu’au handicap, ensuite, sur le seuil de patrimoine concernant le RSA, maintenant, sur les fraudes au RSA.
Il ne s’agit pas de prétendre qu’il n’y aurait pas de fraude aux différentes allocations sociales ; elle existe, en effet. Nous savons pourtant tous très bien que les contrôles opérés par les départements sont de plus en plus pointilleux. Je vous rappelle que la fraude au RSA est estimée à 800 millions d’euros. Je ne dis pas que c’est neutre, loin de là, mais il n’est qu’à comparer ce montant aux 30 à 36 milliards d’euros que coûte l’évasion fiscale, qu’Éric Bocquet a mis en lumière, cela permettra de remettre les pendules à l’heure !
Toujours stigmatiser les mêmes en prétendant que c’est pour leur bien nous conduit à cette grande réussite… Nous sommes ici dans la caricature totale et vous le confirmez chaque jour.