Sommaire
Présidence de Mme Pascale Gruny
Secrétaires :
Mmes Esther Benbassa, Corinne Imbert.
2. Modification de l’ordre du jour
3. Gestion de la crise sanitaire. – Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé
M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois
Mme Chantal Deseyne, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales
Mme Marie-Pierre de La Gontrie
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée
Clôture de la discussion générale.
Renvoi de la suite de la discussion.
compte rendu intégral
Présidence de Mme Pascale Gruny
vice-président
Secrétaires :
Mme Esther Benbassa,
Mme Corinne Imbert.
1
Procès-verbal
Mme le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Modification de l’ordre du jour
Mme le président. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande l’inscription à l’ordre du jour de demain, samedi 24 juillet, le soir, de la suite de l’examen du projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire.
Acte est donné de cette demande.
Nous pourrions d’ores et déjà prévoir également d’ajouter la nuit du samedi 24 juillet pour poursuivre l’examen de ce texte.
Il n’y a pas d’observation ?…
Il en est ainsi décidé.
3
Gestion de la crise sanitaire
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la gestion de la crise sanitaire (projet n° 796, texte de la commission n° 799, rapport n° 798, avis n° 797).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux d’engager devant la Haute Assemblée l’examen d’un projet de loi crucial dans le combat que nous menons contre cette pandémie.
Je vous remercie très sincèrement de l’investissement dont vous faites preuve en voulant bien examiner dans des délais aussi contraints un texte d’une telle importance, de manière à nous aider à juguler la reprise épidémique.
La dernière fois que je me suis présenté devant vous, nous nous trouvions dans une tout autre situation sanitaire. Nous étions alors confrontés à un variant alpha, qui nous était venu de Grande-Bretagne, nous connaissions également le variant brésilien, un variant sud-africain et nous étions loin d’imaginer qu’un variant venu d’Inde, appelé delta, allait progressivement, mais très rapidement, se répandre sur toute la planète.
Vous le savez, il est apparu en Europe, en Grande-Bretagne, où il a entraîné une vague épidémique extrêmement intense et rapide, qui a surpris beaucoup d’observateurs. On en a rapidement trouvé quelques traces en France, en Allemagne, en Italie, au Portugal, qui avait été, selon les vagues, plus ou moins épargné et qui a subi une ascension virale assez forte, ou bien en Espagne, lorsque, à la faveur des beaux jours, la Catalogne s’est trouvée elle-même sujette à une reprise épidémique.
On l’a repéré également un peu plus au Nord, aux Pays-Bas, avec, là-bas aussi, une fulgurance dans les contaminations, telle que nous n’en avions jamais connue : une multiplication par huit en une semaine des taux d’incidence à l’échelle du pays.
On l’a identifié également aux États-Unis ainsi qu’en Australie, qui a été obligée de confiner quelques grandes villes.
Bref, ce variant delta présente des caractéristiques très particulières, vous le savez et nous le savons. Il est extrêmement contagieux, entre deux et trois fois plus que le virus initial ; des études publiées cette semaine attestent une charge virale mille fois plus élevée, ce qui est extrêmement important, dans la mesure où la charge virale est un des reflets de la contagiosité.
Ce variant delta nous pousse à nous retrouver, ce soir, parce que la reprise épidémique qu’il provoque est une réalité. Nous sommes dans une quatrième vague, avec plus de 20 000 cas diagnostiqués par jour, dernièrement, sur le territoire national, et des taux d’incidence tels que nous n’en avions jamais connus depuis le début de la pandémie dans certains départements, comme les Pyrénées-Orientales.
C’est une épidémie qui touche les jeunes, avec plusieurs caractéristiques : tout d’abord, ceux-ci ont retrouvé la vie – c’est heureux, c’était attendu ! –, ils fréquentent peut-être un peu plus les milieux festifs, ils ont beaucoup de relations sociales et ils ne sont pas suffisamment vaccinés. L’été dernier, nous avions constaté la même situation, mais dans des proportions bien moindres. Souvenez-vous, l’épidémie était repartie par la jeunesse et avait ensuite touché les catégories les plus âgées, entraînant une deuxième vague.
Ensuite, nous observons une augmentation des hospitalisations dans notre pays. Certes, nous partons d’un taux bas – tant mieux ! –, puisque l’on compte à peu près 900 patients en soins critiques et de réanimation dans nos hôpitaux. Toutefois, l’ascension est réelle, avec un taux qui a augmenté de 72 % sur une semaine. Même si nous partons de bas, cette dynamique hospitalière n’a rien à voir avec les vagues que nous avions connues auparavant.
Nous nous trouvons dans le contexte très particulier d’une épidémie estivale, une rareté dans l’histoire de la virologie, alors que les écoles sont fermées et que les Français sont nombreux à s’être retrouvés en famille. Or, une fois passé le premier brassage, ils sont normalement moins enclins à multiplier les contacts avec les gens.
Nos modélisateurs, les scientifiques du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), de l’Institut Pasteur, travaillent dans ce contexte, en partant des données dont ils disposent, de la contagiosité du variant, de l’observation de ce qui se passe à l’étranger, à commencer par l’Inde où, souvenons-nous, la situation avait été terrible.
Ils tiennent compte de notre système « tester, alerter, protéger », qui a montré son opérationnalité dans les Landes, par exemple, grâce à l’effort considérable fourni par les équipes de traçage de l’assurance maladie et de l’agence régionale de santé (ARS). Cela a permis de freiner l’épidémie, sans empêcher toutefois qu’elle ne reparte très fort dans l’ensemble du territoire.
Ils considèrent également le taux de vaccination. Je ne veux pas dire de bêtise, mais nous ne sommes pas très loin des 40 millions de primo-injections, nous en sommes ce soir à 39 millions et demi environ – 860 000 injections ont été réalisées, pour moitié des primo-injections. Nous avions fixé un objectif à 40 millions de primo-vaccinés à la fin du mois d’août ; nous y serons dès la fin de cette semaine.
Néanmoins, cela laisse encore 12 millions de personnes vaccinables qui ne le sont pas. Surtout, parmi les populations fragiles, âgées et/ou atteintes de maladies chroniques qui les exposent au risque de développer une forme grave de la covid-19 – qu’il s’agisse d’une obésité sévère, du diabète ou d’un cancer –, il reste encore 5 millions de nos compatriotes qui n’ont pas été vaccinés, quelles qu’en soient les raisons : refus ou peur du vaccin, ou bien difficultés d’accès à la vaccination.
Les modélisations prédisent une vague forte. J’avais évoqué cette possibilité devant vous, il y a quelques semaines, et je n’avais pas tort en parlant d’au moins 15 000 à 20 000 cas d’ici à la fin du mois de juillet – nous y sommes ! –, avec la possibilité d’un impact hospitalier qui pourrait être très dur d’ici à la mi-août ou à la fin du mois d’août. Je dis bien « qui pourrait », parce que les modélisations sont toujours au conditionnel et qu’il existe des paramètres que nous ne maîtrisons pas encore complètement en ce qui concerne ce variant delta.
J’observe, comme vous peut-être, que l’on constate, en Angleterre ou en Espagne, depuis vingt-quatre ou quarante-huit heures, un frémissement à la baisse, mais avec des taux de contamination qui restent encore très élevés. Or l’expérience nous a appris que ce n’est pas parce que les chiffres fluctuent sur deux jours que l’épidémie touche à sa fin ; parfois, une fluctuation précède une hausse qui peut être importante. Nous devons donc anticiper la situation face à laquelle nous pourrions nous trouver dans quelques semaines.
Jusqu’ici, nous connaissions deux scénarios.
Le premier est le confinement : nous fermons l’accès à tous les espaces culturels, sportifs, économiques pour tous les Français. C’est la distanciation sociale poussée à son paroxysme, de sorte que les gens ne se contaminent plus. L’épidémie reflue et nous avons vaincu la vague.
La deuxième option, et certains pays ont fait ce choix, est de considérer que, au vu du taux de couverture vaccinale et dans la mesure où la vaccination a été proposée à un grand nombre de Français, aucune mesure de gestion ne saurait être prise : il ne faut surtout pas confiner, quelle que soit la situation, mais attendre de voir si la vaccination produit un effet sanitaire.
Il y a maintenant une troisième voie, que nous ne pouvions pas envisager lors des trois vagues précédentes, celle du passe sanitaire. Je comprends, je le dis tout de suite, que cette mesure puisse heurter certains de nos compatriotes, dans ses fondements pour ainsi dire philosophiques. Je ne les stigmatise pas, je ne les juge pas, je ne les critique pas ; les Français ont le droit de ne pas être d’accord avec une telle mesure.
Pourtant, il faut bien choisir entre ces trois scénarios.
Tout d’abord, que nous disent les scientifiques et qu’est-ce qui fonde la proposition que nous faisons ce soir ? Ils nous disent que si nous fermions l’accès de tous les établissements recevant du public à tous les Français, l’impact sur l’épidémie serait le même que si nous en fermions l’accès aux seules personnes non vaccinées.
En effet, les personnes vaccinées présentent un risque résiduel de contamination faible, un risque de développer une forme grave de la maladie extrêmement faible et ne font donc pas peser de menaces sur les hôpitaux et sur la courbe de mortalité de notre pays.
Telle est la logique. Je sais que je vous ai indiqué, il y a quelques mois, que je n’étais pas favorable à l’extension du passe sanitaire aux bars ou aux restaurants – nous étions d’ailleurs un certain nombre à le dire. Parmi vous, certains seront sans doute amenés à voter cette mesure sans que ce soit de gaîté de cœur. Je n’ai aucun problème à l’admettre, mais parmi ces trois scénarios, les deux premiers me paraissent plus inacceptables que le troisième.
Reconfiner tout le pays, avec toutes les conséquences que cela emporte en matière sociale, économique ou psychique, serait une catastrophe ; laisser filer l’épidémie sans se poser trop de questions et en croisant les doigts ne me semble pas être un choix conforme à la philosophie de notre pays et de notre protection sociale.
M. Pascal Savoldelli. Personne ne défend cela !
M. Olivier Véran, ministre. Je ne dis pas le contraire, je pose les scénarios existants sur la table. Il me semble que vous faites le même raisonnement que moi, même si nous n’aboutissons pas aux mêmes choix. Si vous pouvez proposer une quatrième voie, je serais enchanté de l’entendre. À mon sens, il y en a trois.
M. René-Paul Savary. La vaccination !
M. Olivier Véran, ministre. Dans la voie du passe sanitaire, les personnes vaccinées ne verront pas véritablement leur vie changer ; celles qui ne le sont pas doivent absolument se faire vacciner. Il s’agit que chacun se protège soi-même et protège celles et ceux qui l’entourent, pour freiner l’épidémie ; c’est une responsabilité collective. C’est aussi une manière d’éviter que la mise en place du passe sanitaire ne change la vie de chacun.
Nous n’avons pas attendu la loi pour appliquer ce dispositif partout où nous le pouvions. Un décret l’a étendu, à compter du 21 juillet dernier, à tous les événements relevant de la loi, dès lors que les organisateurs prévoient cinquante places, et que cinquante personnes sont donc susceptibles de se réunir.
Nous souhaitons désormais l’étendre à d’autres établissements, dont la liste correspond à l’ensemble des activités qui ont été fermées pendant les confinements précédents.
Cela inclut donc, vous avez eu ce débat en commission, les centres commerciaux. Les plus grands d’entre eux, ceux de plus de 20 000 mètres carrés, ont fermé pendant les vagues précédentes et nous ne souhaitons pas les fermer de nouveau. Or ce sont des lieux à risque de contamination, il faut donc en faire des sanctuaires protégés du virus. Pour cela, la clé est le passe sanitaire.
Il en va de même des grands transports. Vous le savez, nous avions interdit pendant les précédents confinements les transports interrégionaux sur de longues distances ; aujourd’hui, nous souhaitons conserver la capacité de mobilité de l’ensemble des Français sur tout le territoire national. Cela implique, là aussi, d’utiliser l’outil du passe sanitaire pour faire de ces transports des sanctuaires protégés du virus. Telle est la logique du dispositif.
Nous souhaitons pouvoir l’appliquer le plus tôt possible, de manière à limiter les risques d’explosion de la vague épidémique et à éviter les situations d’urgence qui pourraient nous contraindre à mettre en place des mesures de freinage pouvant aller jusqu’à des fermetures administratives. Vous avez sans doute constaté que, dans certains départements, notamment les Pyrénées-Orientales, ont déjà été décidées des fermetures d’établissements recevant du public, à partir de vingt-trois heures. Nous ne souhaitons pas diffuser ces mesures dans les autres départements touchés, mais en rester à la gestion par le passe sanitaire.
Celui-ci, en outre, a vocation à disparaître le plus tôt possible, et le plus tôt sera le mieux. Pour cela, il existe plusieurs scénarios.
Dans le premier, quand tout le monde sera vacciné, la vérification à l’entrée des établissements n’aura plus de sens. Dès lors que nous aurons atteint cette immunité collective, le passe sanitaire aura perdu son sens et disparaîtra.
La seconde possibilité, c’est que la vague que nous affrontons s’éteigne et que nous atteignions un niveau de contaminations tellement faible que nous puissions relâcher les contraintes et laisser les Français retrouver leur vie de tous les jours.
M. Loïc Hervé. En 2023 !
M. Olivier Véran, ministre. C’est ce que nous avons toujours fait, dès que nous le pouvions. Nous sommes d’ailleurs régulièrement taxés d’avoir pris trop tôt ou trop tard, voire les deux à la fois, la décision de relâcher de telles mesures.
Voilà pour ce qui concerne le passe sanitaire.
En parallèle, nous entendons booster la vaccination le plus possible ; le Président de la République et le Premier ministre ont été très clairs : nous mettons à la disposition d’un maximum de Français des doses de vaccins dans tous les centres ouverts.
Vous pouvez constater que, même si nous sommes à la fin du mois juillet, il y en a beaucoup. Je tire mon chapeau aux collectivités, aux médecins, aux pharmaciens, aux pompiers, à tous les agents qui, bien que nous soyons fin juillet, non seulement maintiennent leur capacité de vaccination, mais parviennent même à l’augmenter. Ainsi, cette semaine, nous allons battre le record du nombre de vaccinations réalisées dans notre pays. Ce nombre augmente également dans les pharmacies d’officine.
Plusieurs millions de Français pourront donc bénéficier d’une première injection. Vous connaissez l’objectif : atteindre 45 à 50 millions de primo-vaccinations dans les prochaines semaines, sur une cible totale de 52 millions de personnes. Si nous pouvions vacciner 48 ou 49 millions, voire 50 millions sur les 52 millions de personnes concernées, nous atteindrions de fait une immunité collective parmi la population vaccinable.
Les plus petits de nos concitoyens, ceux qui ont moins de douze ans, ne peuvent pas être vaccinés, faute d’autorisation de mise sur le marché des vaccins qui leur sont destinés, les études n’étant pas terminées sur ce point.
Il y a donc bien un double enjeu associant le passe sanitaire et la vaccination.
Ensuite, il y a un public, que nous avons applaudi à vingt heures, pour lequel nous avons le plus grand respect et auquel nous sommes redevables, qui se bat dans les hôpitaux et dont les membres sont nombreux à nous demander d’agir. Or ce public n’est pas suffisamment vacciné. Il s’agit, bien sûr, de l’ensemble des professionnels du soin, de la santé et de l’accompagnement dans les établissements sanitaires et médico-sociaux, et à domicile.
Cette population professionnelle très large connaît un taux de couverture vaccinale variable : chez les médecins et les pharmaciens, on atteint plus de 90 % de vaccinations complètes, chez les infirmiers, 70 % et bientôt 75 %, chez les aides-soignants, entre 60 % et 65 %. Ces chiffres sont sans doute un peu plus importants aujourd’hui ; nous les réactualiserons dans quelques jours. Chez les auxiliaires médicaux et parmi le personnel d’entretien des établissements, le taux de couverture est encore un peu plus faible.
Vous constatez donc, comme moi, que certaines catégories de professionnels en contact quotidien avec des personnes fragiles, malades ou très âgées sont moins vaccinées que la population générale. Même si l’on utilise le masque, même si l’on fait très attention parce que l’on ne veut contaminer personne, même si l’on se lave les mains très régulièrement ou que l’on utilise du gel hydroalcoolique, le risque de faire entrer le virus dans un établissement pour personnes âgées ou dans un hôpital est réel.
Or dans ces établissements, même si les personnes présentes sont vaccinées, leur immunité est par définition très fragile, parce qu’elles sont plus âgées, parce qu’elles souffrent de cancers ou d’infections et que la vaccination, même complète, n’a pas chez elles un effet aussi fort que chez vous, mesdames, messieurs les sénateurs.
Nous devons donc absolument renforcer la couverture vaccinale de ces catégories de personnel. Ce n’est d’ailleurs pas une nouveauté, car on l’a fait pour la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite ou l’hépatite B. Un certain nombre de soignants dans cet hémicycle sont forcément vaccinés contre ces maladies ; à défaut, ils n’auraient pas pu porter la blouse ni être au contact de personnes malades.
Le dispositif existe donc dans le droit commun et nous souhaitons l’étendre à la covid-19, avec un objectif fixé au 15 septembre prochain. À cette date, personne ne sera renvoyé, mais des contrôles seront menés pour mobiliser chacun, individuellement. À partir de là, si l’on constate un véritable refus de vaccination de la part de certains soignants, des procédures disciplinaires pourront être engagées.
De telles mesures figurent déjà dans le droit commun pour la vaccination contre l’hépatite B, depuis le gouvernement d’Édith Cresson, mesdames, messieurs les sénateurs de gauche ; c’est aussi le cas pour le vaccin DTP, mesdames, messieurs les sénateurs de droite, depuis un gouvernement de droite dont le nom du Premier ministre m’échappe, à cette heure tardive. Il ne s’agit donc en rien d’une mesure qui buterait sur un clivage politique, puisque chaque gouvernement, en responsabilité, en son temps, a été amené à prendre cette décision difficile, mais nécessaire.
J’ai réuni les sept ordres professionnels et les huit fédérations d’établissements de santé, qui se sont engagés par écrit, en considérant que la vaccination, lorsque l’on soigne et que l’on prend soin des personnes fragiles, relevait d’une obligation morale, éthique, professionnelle et déontologique, et que l’on pouvait, s’il le fallait, la rendre obligatoire.
Un autre élément fondamental de ce projet de loi est une mesure autour de laquelle nous avons tourné pendant dix-huit mois et qui est revenue plusieurs fois au cours des débats dans l’hémicycle ; vous connaissez ma position sur cette question et je connais celle des uns et des autres, ici. Il s’agit de l’isolement dit « contraint ».
À ce sujet aussi, la situation a évolué : durant la première et la deuxième vague, la peur était importante face à la découverte du virus et l’effet de sidération jouait. Les personnes malades restaient globalement chez elles.
C’est devenu ensuite un petit peu plus difficile. Nous avons mis à la disposition des personnes concernées des mesures d’accompagnement humain, en proposant systématiquement le passage d’un infirmier et en créant des cellules territoriales d’appui à l’isolement pour les assister dans leurs courses, pour garder leurs enfants et pour leur fournir toutes les aides du quotidien. Cet appui concerne également le domaine administratif, puisque certaines de ces cellules ont même été amenées à remplir les déclarations de revenus de personnes âgées qui ne pouvaient pas recevoir la visite de leur famille pour les aider, comme c’était habituellement le cas. Il existe également une possibilité d’hébergement alternatif pour les gens dont les conditions d’isolement ne sont pas réunies.
Hélas, nous constatons que l’acceptation de l’isolement et son respect par les personnes déclarées positives au coronavirus, notamment peu symptomatiques, donc souvent moins âgées et moins sujettes à des formes symptomatiques, a chuté.
Aujourd’hui, des études montrent que, dans certaines régions, le respect de l’isolement par les gens déclarés positifs, donc contagieux, est inférieur à 40 %. C’est un problème, parce que si vous sortez chez vous alors que vous êtes contagieux, l’épidémie ne va pas s’arrêter, c’est une certitude !
C’est pourquoi nous vous proposons une disposition qui va plus loin que ce que nous avons fait jusqu’à présent et qui se rapproche des décisions prises dans d’autres pays : une mesure d’isolement contraint, avec une automaticité de la contrainte.
J’ai pris connaissance des travaux que vous avez menés en commission. Vous appelez de vos vœux une évolution en deux temps : on prescrit un isolement et, en cas de problème, on prononce une contrainte, avec une possibilité d’intervention. Cela, nous pouvons le faire avec vingt, cinquante, voire cinq cents cas par jour dans le pays. Nous le faisons d’ailleurs pour les personnes qui reviennent de l’étranger, sur arrêté préfectoral individuel.
En revanche, lorsque l’on atteint 21 000, 22 000, demain peut-être 30 000 ou 40 000 contaminations par jour, c’est absolument impossible. D’une part, l’assurance maladie ne dispose pas des capacités de contrôle et de mobilisation d’agents pour se rendre chez les personnes concernées, d’autre part, on fait difficilement plus compliqué en matière de mesure technique, même si je comprends parfaitement l’esprit de cette proposition.
Je vous propose d’en revenir au texte de l’Assemblée nationale, lequel prévoit une automaticité de l’isolement contraint. Cette mesure n’a pas pour philosophie d’envoyer un agent de police chez quelqu’un qui a été diagnostiqué positif au coronavirus et à qui l’on demande de s’isoler. L’assurance maladie et l’ARS continueront de l’appeler comme elles le font, une fois, deux fois ; on lui enverra un médecin, au besoin une infirmière, qui pourra venir de la cellule territoriale d’appui, pour l’accompagner dans la procédure d’isolement.
En revanche, quand arrivera le moment où l’on se rendra compte que l’on ne parvient pas à joindre cette personne, qu’elle n’aura pas répondu au contact tracing et que l’on aura envoyé en vain quelqu’un frapper à sa porte, qui n’aura pas pu la forcer à ouvrir, on ne pourra pas garantir ni que cette personne va bien ni, surtout, qu’elle respecte les conditions d’isolement.
Alors, on pourra saisir les forces de sécurité intérieure qui, elles, sont habilitées à se rendre chez les gens, même si ceux-ci ne sont pas d’accord, pour vérifier qu’ils vont bien et, s’ils sont absents, s’interroger sur leur respect de l’isolement.
On rejoint ainsi un dispositif familier : quand vous êtes placé en arrêt maladie avec un certificat d’arrêt de travail, le médecin signe et coche des cases, parmi lesquelles « sortie libre » ou « sortie interdite ». Dans le premier cas, il impose des horaires de sortie qui peuvent donner lieu à des contrôles inopinés. Cela concerne tous les arrêts de travail, mesdames, messieurs les sénateurs : si vous n’êtes pas chez vous quand on vous contrôle, les indemnités journalières sautent.
M. Pascal Savoldelli. On est où, là ?
M. Stéphane Ravier. Cela concerne 30 000 personnes ?
M. Olivier Véran, ministre. C’est le dispositif qui existe aujourd’hui dans le droit commun ! Vous pouvez envisager de le remettre en question dans une future proposition de loi, mais aujourd’hui, c’est ainsi que fonctionnent les arrêts maladie et les arrêts de travail. Ces règles sont issues d’un gouvernement d’union de la gauche ; il ne me semble pas qu’elles soient antisociales.
Telles sont les trois dispositions essentielles de ce texte.
Une question a fait débat en commission : la durée de toutes ces mesures. Reconnaissez-le, nous en débattons systématiquement, nous proposons systématiquement une date, systématiquement, celle-ci est rabotée et systématiquement, nous nous retrouvons avant cette date pour faire passer un nouveau texte.
Je vous ferai donc la même réponse que celle que je vous fais chaque fois, et vous pouvez constater que je ne vous ai jamais menti, puisque me voilà encore devant vous ce soir.
D’une part, chaque fois qu’il sera nécessaire que nous échangions, je viendrai. J’étais au Sénat, madame la présidente de la commission des affaires sociales, il y a deux semaines, à la demande de la commission et je reviendrai autant de fois qu’il le faudra.
D’autre part, s’il n’est plus nécessaire d’utiliser un passe sanitaire parce que nous serons sortis de cette situation avant le 31 décembre prochain, il n’y aura aucune raison pour que nous le conservions. Je vous rappelle encore une fois que nous avons supprimé chaque mesure de contrainte dès que nous avons pu le faire, et l’on nous a reproché, en général, de l’avoir fait trop tôt.
Tout ce que je vous demande, c’est donc de ne pas nous mettre dans une situation qui nous contraindrait à préparer un nouveau projet de loi dans un mois, pour vous le présenter début septembre, en anticipation de la situation du mois d’octobre.
M. Loïc Hervé. On aime bien vous voir !
M. Olivier Véran, ministre. Moi aussi, j’aime bien vous voir, monsieur le sénateur. Je suis d’humeur enjouée parce que je suis devant vous ce soir, même si nous allons nous répartir les rôles avec Brigitte Bourguignon, ma ministre déléguée, pour plusieurs raisons : d’une part, c’est une semaine parlementaire très chargée, jour et nuit ; d’autre part, la campagne vaccinale doit être boostée et il faut aussi gérer la crise sanitaire. Cela va m’occuper un peu.
C’est notamment le cas s’agissant de la situation dans les territoires ultramarins. Les sénateurs d’outre-mer présents auront noté que nous avons déclenché l’état d’urgence sanitaire en Guadeloupe, compte tenu de la situation épidémique qui y règne, et que nous restons extrêmement attentifs à la situation en Martinique, où les taux d’incidence sont très élevés, le taux de vaccination extrêmement faible et la situation hospitalière très tendue, notamment dans cette période estivale. Tout cela nous mobilisera évidemment tout l’été.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, dans les grandes lignes, l’état d’esprit qui est le nôtre, la raison pour laquelle nous vous présentons ce projet de loi et notre manière d’appréhender, plus ou moins positivement, mais toujours de manière constructive, les transformations profondes apportées en commission sénatoriale, dans l’attente de pouvoir en débattre avec vous.
J’oublie un dernier point : vous avez supprimé le recours au passe sanitaire dans les grands centres commerciaux, ceux qui font plus de 20 000 mètres carrés. Il n’y en a pas beaucoup. Nous portons évidemment une attention particulière aux zones de chalandise, en ne bloquant pas l’accès aux biens essentiels dans les territoires.
Je vous le dis encore une fois, ne l’entendez comme une menace, je ne me le permettrais pas : malgré notre capacité à anticiper, si l’épidémie flambe et que nous ne pouvons pas utiliser le passe sanitaire, vous devez vous attendre à ce que nous soyons contraints de fermer ces centres commerciaux.
Nous ne le souhaitons pas, mais moins nous disposons d’outils à mobiliser au cas où cela serait nécessaire, plus nous nous trouverons dans l’urgence, sans autre solution que de laisser filer l’épidémie ou de fermer certaines activités.
Je vous le dis encore : nous ne laisserons jamais filer l’épidémie. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Pierre Ouzoulias. C’est du chantage !
Mme le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame le président, madame, monsieur les ministres, madame, monsieur les présidents de commission, madame la rapporteure pour avis, mes chers collègues, la flambée de l’épidémie justifie la mise en œuvre de mesures d’urgence et d’exception pour lui donner un coup d’arrêt.
Avec déjà plus de 20 000 contaminations journalières, la vague est de grande ampleur et la situation présente, de ce point de vue, des analogies avec celles qui ont conduit aux trois confinements que la France a déjà subis.
Qui oserait faire le pari, sous prétexte que le nombre de décès ne s’est pas envolé, que la situation sanitaire va rester stable, malgré la dégradation très rapide des indicateurs de contamination ? Faut-il réellement attendre la preuve par neuf, c’est-à-dire une forte augmentation du nombre de victimes, pour agir ? C’est un risque que je ne vous proposerai pas de prendre.
Faut-il alors confiner la France une quatrième fois ? Chacun d’entre nous voudrait l’éviter. Le Gouvernement nous propose de tenter de le faire par la combinaison de trois moyens : l’obligation du passe sanitaire pour l’accès à certains lieux, la mise à l’isolement forcé de nos concitoyens contaminés, la vaccination des professionnels au contact de personnes vulnérables.
Nul ne peut dire que cela sera suffisant, mais je vais vous recommander de donner ses chances à ce dispositif en vous proposant, toutefois, de le rendre plus simple, plus clair, plus efficace et plus respectueux des libertés.
Je vais donc vous proposer de prendre position sur six questions essentielles.
La première est celle du cadre de l’action des pouvoirs publics. Sommes-nous toujours dans la gestion de la sortie de l’urgence sanitaire ou sommes-nous revenus dans l’état d’urgence sanitaire lui-même ? Il est clair qu’un régime de pouvoirs exceptionnels justifié par une flambée des contaminations à cause d’un variant dont la charge virale est, selon le ministre, mille fois plus élevée que celle du virus initial ne peut être mis en place légitimement que par le retour à l’état d’urgence sanitaire.
La privation de droits fondamentaux pour toutes les personnes qui ne peuvent produire un passe sanitaire, l’obligation vaccinale imposée à des catégories très larges de professionnels, la mise à l’isolement des porteurs du virus constituent des mesures tellement exorbitantes du droit commun, en démocratie, que celles-ci ne sont concevables qu’à titre temporaire, dans le cadre d’une urgence sanitaire reconnue et sous un contrôle parlementaire et juridictionnel accru.
La deuxième question est celle de la durée de l’habilitation donnée par le Parlement pour l’application de ces mesures. Nous ne pouvons autoriser le Gouvernement, monsieur le ministre, à maintenir de sa propre initiative, et à sa discrétion, pendant une durée de plus de cinq mois, un régime d’exception frappant massivement les Français dans leurs droits essentiels.
Cela créerait un précédent dangereux pour le traitement des crises de toute nature auxquelles notre Nation ne manquera pas d’être confrontée à l’avenir. L’histoire ne s’arrêtera pas avec la fin de la crise sanitaire. Nous avons une responsabilité, celle de garantir la pérennité de l’État de droit et, plus immédiatement, de protéger la santé des Français.
Je vous demanderai donc, mes chers collègues, de ne consentir les pouvoirs exceptionnels demandés par le Gouvernement que jusqu’au 31 octobre prochain et non jusqu’au 31 décembre.
Au 31 octobre, de deux choses l’une : soit le pari risqué d’une maîtrise de l’épidémie aura fort heureusement été gagné et il ne sera pas utile de maintenir, à un tel degré, la suspension de libertés jusqu’au 31 décembre ; soit, au contraire, l’épidémie n’aura pas été jugulée et des mesures supplémentaires devront être prises – ou l’auront d’ailleurs déjà été –, et ce sera si grave que cela ne pourra être fait sans une nouvelle autorisation du Parlement.
Dans les deux cas, c’est au Parlement de décider sans déléguer son pouvoir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Loïc Hervé. Tout à fait !
M. Vincent Segouin. Très bien !
M. Philippe Bas, rapporteur. Le corollaire, et c’est la troisième question que je vous demanderai de trancher, c’est que, compte tenu de la gravité de la situation, si le Gouvernement décidait – il ne le souhaite pas, et nous non plus – de rétablir le couvre-feu ou le confinement sur tout ou partie du territoire national – et il le peut déjà ! –, il faudrait que le décret qu’il prendra ne puisse s’appliquer au-delà d’un mois sans autorisation du Parlement.
Pour exercer notre contrôle, nous devrons aussi demander au Gouvernement d’évaluer et de rendre publics chaque semaine les résultats de l’action que nous l’autoriserons à mettre en œuvre. Nous pourrons alors, s’il y a lieu, délibérer de manière éclairée pour déterminer s’il faut une nouvelle loi.
Quatrième question : comment contrôler et sanctionner l’obligation de présentation du passe sanitaire ? Le Gouvernement nous propose un dispositif reposant sur des sanctions pénales.
Celles-ci étaient à l’origine tout à fait disproportionnées. Le Conseil d’État y a mis bon ordre, mais c’est le dispositif lui-même qui me paraît devoir être revu pour plus d’efficacité.
Au lieu de prévoir un régime pénal, qui risque de ne pas être efficace en raison de sa lenteur et des incertitudes sur le prononcé des sanctions, je vous propose un régime de police administrative très simple : mise en demeure de se conformer aux obligations prévues par la loi sous vingt-quatre heures, à défaut de quoi l’activité de l’établissement serait suspendue pendant sept jours, puis quatorze jours en cas de récidive. Les sanctions pénales pourront compléter ce dispositif, mais seulement après. Le système sera rapide, dissuasif et donc efficace.
Cinquième question : comment assurer l’effectivité de l’isolement des personnes contaminées au lieu d’hébergement de leur choix ? Là encore, le Gouvernement me semble inutilement répressif, comme si la peur du gendarme et du juge était susceptible de régler tous les problèmes. Il veut aussi que la police et la gendarmerie aient accès, via les préfectures, au fichier de santé publique dont nous avons autorisé la création l’an dernier pour l’identification et la protection des personnes qui ont été exposées à une contamination, et ce afin de contrôler l’isolement des personnes contaminées et de faire sanctionner sa violation.
Ce serait un précédent dangereux que de donner accès à des données de santé aux autorités en charge de la sécurité publique. La présidente de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, n’a pas manqué de le souligner. C’est une vue de l’esprit que de penser que la police et la gendarmerie pourront effectivement exercer un contrôle massif du placement à l’isolement,…
M. Loïc Hervé. Évidemment !
M. Philippe Bas, rapporteur. … lequel s’ajouterait à celui du respect du passe sanitaire et à leurs missions ordinaires déjà si lourdes.
Je vais donc vous proposer une autre répartition des tâches. D’ailleurs, vous l’avez vous-même esquissée, monsieur le ministre : les agents de l’assurance maladie qui gèrent les plateformes chargées du traçage et ceux qui gèrent le contrôle des arrêts de travail pour maladie procéderont à des contrôles téléphoniques et sur place.
S’ils constatent ou soupçonnent que l’isolement n’est pas respecté, ils saisiront l’agence régionale de santé pour qu’un arrêté préfectoral de placement à l’isolement soit immédiatement pris. Cet arrêté sera notifié à la police ou à la gendarmerie du lieu d’hébergement. Alors et alors seulement, c’est-à-dire par exception, une procédure répressive pourra effectivement être mise en œuvre sans que jamais les préfectures aient eu accès au fichier des personnes contaminées.
Sixième question : faut-il rendre la vaccination obligatoire pour tous les adultes ? Cette hypothèse est parfois présentée comme une alternative au dispositif proposé par le Gouvernement. Ce n’est pas le cas de mon point de vue.
L’obligation vaccinale ne peut en effet donner un coup d’arrêt, ici et maintenant, à la flambée actuelle de l’épidémie. Obligation ou pas obligation, il faut plusieurs mois pour immuniser les millions de Français qui ne le sont pas encore. Pendant ce temps, l’épidémie exploserait.
Qui plus est, il ne suffit pas de déclarer la vaccination obligatoire pour qu’elle soit effective. Ce n’est pas la même chose ! M. le ministre a justement mis en évidence l’impossibilité matérielle de la contrainte, si elle doit s’exercer sur des millions d’individus en même temps. L’obligation risquerait donc de n’être que proclamatoire.
Rien n’interdirait d’approfondir ce débat dans les mois qui viennent, si des solutions étaient trouvées pour surmonter ces obstacles. Pour le moment, l’essentiel est de réenclencher une dynamique de vaccination massive, et il semble bien que cela commence à être le cas.
Ce qui importe en définitive, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, c’est de respecter les Français et leur autonomie de décision, de ne pas les infantiliser ni les traiter a priori comme des délinquants en puissance. L’État est d’abord là pour entraîner et convaincre, pas pour punir, sanctionner et contraindre.
La réussite passe par le retour de la confiance, qui est profondément altérée par les vagues récidivantes de la crise sanitaire et, je dois le dire aussi, par les tâtonnements que nous avons observés dans la gestion de la crise depuis seize mois.
Nous n’aurons jamais assez de policiers, de gendarmes et de juges pour contrôler et sanctionner la masse immense des situations où les mesures sanitaires seront appliquées. À la fin, c’est donc bien la libre volonté des Français qui sera déterminante. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Très bien !
Mme le président. La parole est à Mme le rapporteur pour avis.
Mme Chantal Deseyne, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, la France fait face, depuis le début du mois de juillet, au risque d’une nouvelle vague épidémique d’une ampleur potentiellement inédite.
Ce risque coïncide avec la diffusion rapide du variant delta, sensiblement plus transmissible que les précédents variants, ainsi qu’avec un ralentissement du rythme de la vaccination au mois de juin dernier. Dans ce contexte, je partage les deux constats posés par le Gouvernement dans son projet de loi : d’une part, une réaction urgente s’impose pour freiner cette reprise ; d’autre part, la vaccination est notre meilleure arme pour lutter contre l’épidémie.
Ne nous leurrons pas : l’extension du passe sanitaire constitue une incitation particulièrement puissante à la vaccination en population générale. Certains y verront même une vaccination obligatoire qui ne dit pas son nom. Peu importe comment on la qualifie, la commission soutient sans complexe cette stratégie, qui lui apparaît pleinement justifiée au regard de la reprise épidémique brutale, alimentée par le variant delta.
Rappelons que, selon les chiffres du ministère des solidarités et de la santé, les non-vaccinés ont représenté 80 % des cas positifs à la fin du mois de juin dernier et au début du mois de juillet.
Au-delà de l’obligation vaccinale des professionnels en contact avec des personnes vulnérables, il appartient donc à l’ensemble des pouvoirs publics de faire œuvre de pédagogie et d’exemplarité pour emporter l’adhésion massive de la population au seul outil qui nous permettra de sortir durablement de cette crise.
Dans cet exercice que je sais délicat, monsieur le ministre, vous pouvez compter sur le soutien déterminé de très nombreux parlementaires, qui sont prêts à porter le message suivant : les vaccins contre la covid-19 sont très efficaces et sûrs.
J’en viens aux modifications apportées par la commission des affaires sociales.
L’article 5 prévoit la vaccination obligatoire des catégories de professionnels ou de personnel en contact avec des personnes vulnérables. La commission des affaires sociales souscrit à l’idée selon laquelle cette obligation vaccinale contre la covid-19 participe du devoir d’exemplarité, mais aussi du devoir éthique qu’ont les soignants de ne pas nuire et de protéger les personnes vulnérables qu’ils sont amenés à prendre en charge.
La commission s’est interrogée sur le périmètre de la mesure que le Gouvernement proposait initialement, car il visait directement les secteurs sanitaire et médico-social. Finalement, elle a fait le choix de ne pas modifier la liste des personnes concernées par la vaccination obligatoire.
En revanche, elle a veillé à garantir que l’expertise de la Haute Autorité de santé soit mobilisée sur la détermination des justificatifs attestant la satisfaction de l’obligation vaccinale, ainsi que sur une éventuelle décision par laquelle le Gouvernement serait conduit à suspendre cette obligation.
L’article 6 définit les conditions de présentation de la satisfaction à l’obligation vaccinale pour les personnes concernées. À cet égard, la commission a renforcé la protection du secret médical et sécurisé les modalités de transmission et de conservation des informations tirées du contrôle des justificatifs.
À l’article 7, la commission a étendu les souplesses destinées à permettre aux professionnels soumis à l’obligation vaccinale de poursuivre leur activité en se conformant à cette exigence dans des délais raisonnables. Elle a ainsi prévu une période complémentaire du 15 septembre au 15 octobre 2021, pendant laquelle les professionnels pourront continuer à travailler, même si leur vaccination n’est pas complète, dès lors qu’ils auront démontré leur volonté de se faire vacciner, par l’administration d’une première dose, et sous réserve, bien entendu, de présenter le résultat négatif d’un test virologique.
Il convient en effet de ne pas faire de la date du 15 septembre un couperet punitif et de tenir compte des difficultés que pourraient rencontrer les professionnels pour se faire vacciner dans les délais.
Par ailleurs, la commission a précisé les conséquences pour l’emploi qui devront être tirées de l’interdiction d’exercer pour défaut de vaccination. La suspension des fonctions ou du contrat de travail, assortie d’une interruption du versement de la rémunération, constitue en effet la sanction la plus équilibrée. Elle est une incitation puissante à ce que les professionnels les plus réticents rejoignent les rangs de leurs collègues vaccinés.
En revanche, un licenciement à l’issue de deux mois de suspension paraît manifestement disproportionné. C’est pourquoi la commission est revenue sur la création d’un motif spécifique de licenciement, tiré de la persistance du refus de se faire vacciner, au-delà d’une période d’interdiction d’exercer de deux mois.
Enfin, l’article 9 prévoit une autorisation d’absence pour un salarié ou un agent public qui se rend à un rendez-vous de vaccination contre la covid-19. La commission a étendu cette autorisation d’absence aux salariés et agents publics qui doivent accompagner leurs enfants éligibles à la vaccination.
Tel est l’esprit des modifications apportées par la commission des affaires sociales à ce texte. Nous avons travaillé dans le souci constant de garantir la pleine effectivité du dispositif d’obligation vaccinale. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Alain Richard applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Madame le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce passe ou plutôt cet Ausweis sanitaire (Marques de désapprobation sur l’ensemble des travées, ainsi qu’au banc des commissions. – Mme la ministre déléguée frappe son pupitre d’exaspération.) que l’on nous demande de voter est le parfait symbole du quinquennat, un quinquennat qui aura été jalonné par les injures et le mépris de l’exécutif envers le peuple français !
Souvenons-nous des qualificatifs employés à son égard : « Gaulois réfractaires », « fainéants », « mafieux », « gens qui ne sont rien », « illettrés », « alcooliques », encore récemment « capricieux » et « défaitistes », et j’en oublie sûrement…
Quand le pays réel a dit stop, quand il est descendu sur les ronds-points vêtu de ce gilet jaune de détresse, l’Élysée a répondu par la plus violente répression qu’un mouvement social ait eue à subir depuis des décennies.
Le peuple français, ne vous en déplaise, monsieur le ministre, est enraciné : il est attaché à son pays, à son histoire, à son identité, à sa liberté.
Incapable de comprendre les Français, le Gouvernement a aussi été incapable de le convaincre de l’efficacité de sa politique sanitaire. Il est vrai qu’il a multiplié les fiascos : investissements dans l’hôpital public sacrifiés, mensonges et échecs lamentables sur les masques – rappelez-vous qu’il suffisait d’éternuer dans son coude pour éviter la contamination ! –, refus dogmatique de fermer les frontières, incapacité à mettre des tests à la disposition de nos concitoyens, changements d’avis permanents… Le Gouvernement s’est donc rabattu sur la seule arme qui lui restait : l’enfermement généralisé, le confinement.
Et pendant que la racaille ethnique continue de faire régner le chaos et la terreur (Protestations sur les travées de gauche.), que les islamistes conquièrent chaque jour de nouveaux territoires, le Gouvernement reste impitoyable… mais avec les honnêtes gens.
Aujourd’hui, il veut à nouveau faire usage de la trique et diffuse plus encore le virus mortel de la division de la Nation, en prévoyant une obligation de vaccination, qui ne dit pas son nom, et la mise en place d’une société de surveillance généralisée où chacun, vacciné ou non, devra sortir son passeport sanitaire dix fois par jour pour aller acheter son pain ou, tout simplement, voir sa famille.
Quant aux non-vaccinés, qui ont le droit de ne pas l’être – j’y insiste –, ils deviendront de fait des citoyens de seconde zone, assignés à résidence. Ils sont d’ailleurs déjà considérés comme des délinquants.
Alors non, je ne cautionnerai pas cette vaste entreprise de division du peuple français ! Et c’est en vous regardant dans les yeux que je vous demande, monsieur le ministre – en tout cas c’est ce que j’aurais souhaité, car le ministre n’est plus là… –, de présenter vos excuses au corps médical que vous avez tenté de culpabiliser et de salir.
Alors que les pompiers, les médecins, les infirmières, les aides-soignantes comptent leurs morts pour avoir été en première ligne depuis le début de cette guerre contre la pandémie, alors qu’ils ont manqué de tout par votre faute, vous commettez l’infamie de les culpabiliser et de les diffamer, allant même jusqu’à les menacer de les licencier s’ils ne se soumettent pas à votre diktat sanitaire.
Mais c’est de la folie ! C’est inacceptable ! Honte à ce gouvernement de menteurs, de diviseurs, de manipulateurs, qui tente de faire oublier que le seul responsable de cette catastrophe sanitaire, c’est lui !
Je ne collaborerai pas au flicage généralisé des citoyens. Je ne porterai pas atteinte à leur liberté. Je ne contribuerai pas à dresser les Français les uns contre les autres. (Mme Nathalie Goulet s’agace.) Je voterai contre ce projet de passe autoritaire, au moyen duquel vous piétinez sans vergogne…
Mme le président. Merci, mon cher collègue.
M. Stéphane Ravier. … les valeurs dont vous vous gargarisez, à savoir la liberté, l’égalité et la fraternité.
Mme le président. La parole est à M. Claude Malhuret. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC.)
M. Loïc Hervé. Dans un tout autre style !
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Je l’espère !
M. Claude Malhuret. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, en écoutant notre collègue Ravier, j’ai soudain compris que nous vivions sous le joug d’une dictature et que, sans une poignée d’héroïques résistants, nous ne nous en serions pas aperçus.
On nous a tous inoculé dès notre plus jeune âge le DT Polio. Depuis, Agnès Buzyn, cette autocrate, a imposé huit vaccins obligatoires. Le carnet de vaccination, ancêtre du passe sanitaire, instaurait un contrôle généralisé de la population. Big Brother avait décidé qu’aucun enfant – tenez-vous bien ! – ne pouvait entrer à l’école sans cet Ausweis, pour parler comme M. Ravier.
Notre droit le plus sacré à choisir la maladie plutôt que l’immunité était bafoué depuis Pasteur. Les Français eux-mêmes avaient intériorisé la servitude, pensant, comme Hobbes, que seul un Léviathan armé de seringues et d’aiguilles pouvait les sauver.
Heureusement, comme Zorro, Facebook et Twitter sont arrivés (Sourires.), permettant à une avant-garde éclairée de se regrouper contre le totalitarisme vaccinal. Après que, durant des années, onze vaccins nous ont été injectés à l’insu de notre plein gré, au douzième, bingo ! Nos yeux se sont dessillés grâce à ces combattants de la liberté qui ont eu le courage de nommer l’infamie du passe sanitaire : « apartheid » pour Florian Philippot, « coup d’État » pour François Asselineau, « discrimination généralisée » pour Éric Coquerel, « enfermement généralisé » ce soir pour Stéphane Ravier, ou encore « étoile jaune » et « Shoah » pour les plus audacieux.
En définitive, la meilleure preuve des progrès de l’humanité, c’est qu’en 2 500 ans nous sommes passés de Socrate sur l’agora à Francis Lalanne sur Facebook. (Rires et applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Quel dommage que les réseaux sociaux n’aient pas existé plus tôt pour défendre contre les dictateurs de la piqûre la liberté de mourir en harmonie avec la nature et ses dons, parmi lesquels nos compagnons de toujours, la variole, la poliomyélite, la peste et le choléra, qui ont permis aux plus grands auteurs, Camus, Giono, Thomas Mann et d’autres d’écrire les chefs-d’œuvre immortels de la littérature de pandémie !
La variole a disparu ; la covid-19, elle, a des chances de survivre grâce à tous les résistants numériques, qui exigent le droit d’attraper le virus et de le combattre, comme les Polonais de 1940 contre les chars soviétiques, à la seule force de leurs poitrines et de leurs mains nues, et avec le seul secours de l’hydroxychloroquine, parfois renforcée par un médicament redécouvert, le Ricard ! (Rires.)
Les anciens mouraient le poing levé sur les barricades en chantant L’Internationale ; nos héros sont prêts à mourir le poing levé dans les discothèques au son de Staying Alive… (Sourires.)
Comment ne pas admirer aussi cette députée, qui a fait le choix cornélien de fausser compagnie à la majorité sans laquelle elle n’aurait jamais été élue et de haranguer, nouvelle Liberté guidant le peuple (Sourires.), les foules de résistants à la dictature sanitaire en les invitant, comme Henri IV, à se rallier à son panache blond et à envahir les permanences de ses collègues favorables au passe sanitaire.
Je voudrais, cette fois plus sérieusement, implorer que l’on veuille bien nous épargner cette mauvaise querelle sur les libertés. Ce n’est pas le Gouvernement, le pouvoir médical ou les partisans de la vaccination obligatoire qui les restreignent, c’est la pandémie. Loin d’être un viol de notre liberté, les mesures annoncées sont les conditions de son rétablissement.
Vaccination accélérée ou confinement dans deux mois, telle est l’alternative, comme l’a très bien compris la grande majorité des Français qui réalisent que c’est en limitant quelques libertés aujourd’hui que l’on a une chance d’en sauver de bien plus précieuses en septembre prochain. C’est donc ce que nous allons faire, et ce choix ne fait pas du Président de la République un dictateur, mais un décideur. Il ne fait pas du Parlement un rassemblement de tyrans, mais une assemblée de responsables.
Cette décision est-elle difficile ? Elle est au contraire limpide. Le vaccin est une prouesse scientifique que des milliards d’êtres humains attendent désespérément. Quel gouvernement serait assez irresponsable pour ne pas le proposer à tous, le plus vite possible, et pour ne pas protéger en attendant ceux qui ne le sont pas encore ?
Il ne reste donc que des questions de méthode, ce qui ne les rend pas plus simples pour autant.
D’abord, faut-il choisir la vaccination obligatoire pour tous ou le durcissement du passe sanitaire ? La première solution a l’avantage de faire suite à de nombreux précédents et de pouvoir bénéficier de la simplicité du message. Son inconvénient est que la vaccination ne pourra être menée à son terme avant plusieurs mois, alors que le temps presse – Philippe Bas a raison.
L’épidémie flambe de manière exponentielle. Les Chinois viennent de découvrir que la charge virale du variant delta est mille fois supérieure à celle des précédents variants. Et nous serons dans quelques jours à 40 000 ou 50 000 cas quotidiens.
Le Gouvernement a choisi le passe sanitaire, estimant que celui-ci serait mieux accepté. Surtout, le passe est d’application immédiate et n’exclut pas, le cas échéant, la première solution.
Si l’on se rallie à cette stratégie, ce qui est mon cas, il reste à en préciser les contours. Les rédacteurs du texte initial, pensant sans doute que, pour parler fort, il faut avoir un gros bâton, ont eu la main lourde. Le Conseil d’État a déjà freiné quelques ardeurs sur le montant des amendes ou le droit du travail.
Nous devons apporter notre pierre à l’édifice et, en tant qu’élus proches du terrain, faire en sorte que le passe sanitaire ne soit pas la première étape de notre plan de relance industrielle, la relance de la production de paperasserie. (Sourires.)
Évitons par exemple que les terrasses de café se transforment en rings de boxe (M. Loïc Hervé opine.) et que le train de huit heures quarante-sept soit encore retardé de deux heures supplémentaires pour cause de vérification. En matière de protocole, Courteline n’est jamais loin…
La vaccination pour tous, c’est la liberté pour tous. Les droits de chacun doivent être respectés, les contraintes excessives évitées, mais à condition de ne pas mettre en danger la santé d’autrui et de ne pas oublier que le corollaire de la liberté, c’est la responsabilité. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, Les Républicains et UC.)
Mme le président. La parole est à M. Guillaume Gontard. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guillaume Gontard. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, chaque fois que je suis monté à cette tribune au nom du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, je me suis efforcé de conserver une certaine modestie.
M. Philippe Bas, rapporteur. C’est vrai !
M. Guillaume Gontard. J’ai toujours souligné l’effroyable difficulté de votre tâche, madame la ministre, ce que je confirme encore aujourd’hui. Et si j’ai également toujours déploré votre méthode de gouvernance, je ne me suis jamais opposé à vos choix en matière de lutte contre la covid-19.
J’aurais espéré qu’après un an et demi de pandémie la difficulté de la tâche et l’imprévisibilité de la situation, causes de vos sempiternels reniements, vous auraient conduits, et surtout le Président de la République, à faire preuve d’un peu plus de lucidité et de modestie.
Malheureusement, le Président de la République pense toujours, comme pour l’application StopCovid, que « ce n’est pas un échec », mais que « ça n’a pas marché ».
M. Loïc Hervé. C’est un fiasco !
M. Guillaume Gontard. Alors que la France est en retard par rapport à ses voisins en matière de vaccination, alors que les doses manquent encore pour vacciner les quelque 20 millions de Françaises et de Français qui ne le sont pas, alors que le Gouvernement fait, mois après mois, la démonstration de son manque d’anticipation, le Président de la République continue de décider seul de mesures qui menacent gravement les libertés publiques.
Madame la ministre, nous sommes fatigués de cette morgue, de ce paternalisme, de cette arrogance. En vous adressant aux Français comme à des enfants, en n’admettant jamais vos nombreuses erreurs, en multipliant les propos à l’emporte-pièce sur les masques, les vaccins, le passe sanitaire, vous dépréciez – hélas ! – méthodiquement la valeur de la parole publique.
La défiance qui s’accroît depuis les premiers jours du quinquennat atteint un niveau invraisemblable. Comment convaincre des citoyens chauffés à blanc de la nécessité de se faire vacciner ? Ils sont tellement exaspérés qu’ils tombent dans les bras des populistes et des complotistes les plus abjects, qui usent de comparaisons à vomir et accentuent les fractures de la société.
Ce cercle vicieux, vous n’avez malheureusement pas fait grand-chose pour le rompre, loin de là. Votre passe sanitaire, inapplicable, montera les gens les uns contre les autres.
En réécoutant la fin lunaire de l’intervention présidentielle, on pourrait presque penser qu’il s’agit d’un rideau de fumée volontairement répandu pour poursuivre votre entreprise de casse sociale : je pense notamment à la réforme des retraites ou à celle de l’assurance chômage.
Loin de moi l’idée de vous prêter de si funestes intentions. Pourtant les résultats sont là : la population est fracturée dans des proportions alarmantes. Or l’immunité collective ne pourra être conquise que si les Français adhèrent collectivement aux objectifs de la campagne vaccinale. Je le dis et le redis au nom de l’immense majorité des écologistes : il est impératif de convaincre toute la population de la nécessité de se faire vacciner. Comme le ministre l’a dit tout à l’heure, il n’y a qu’une seule voie possible.
Pour ce faire, quand allez-vous enfin confier à l’assurance maladie la mission de mener une campagne massive de sensibilisation pour rappeler l’importance de la vaccination, souligner la sécurité des vaccins et préciser les modalités pratiques du processus ? Que prévoyez-vous pour rapprocher les plus jeunes de la vaccination ? Et surtout, quelles mesures allez-vous prendre pour enfin déployer la vaccination dans les quartiers populaires ?
Les inégalités sociales face au vaccin sont criantes. C’est l’ignorance autant que la défiance qu’il faut combattre. Laissez-nous vous le dire, sans que nous en comprenions bien les raisons, vous n’avez pas encore « fourni votre effort », comme l’on dit dans le jargon cycliste.
Dans ces conditions, étendre le passe sanitaire dans de pareilles proportions et à une telle vitesse est inacceptable. Vous ne laissez même pas la possibilité à celles et ceux qui le souhaitent de se faire vacciner à temps. Vous instaurez le contrôle de tous par tout le monde, selon un dispositif juridiquement bancal, et ce malgré les alertes du Conseil d’État et de la Défenseure des droits.
Vous imposez des amendes délirantes, équivalentes à celles qui sont applicables en cas d’usurpation d’identité, par exemple. Dans le même temps, faisant fi des recommandations sanitaires, vous autorisez l’abandon du masque dans les lieux soumis au passe sanitaire. Au passage, vous écornez encore le droit du travail. Tout cela pour ne pas rendre obligatoire la vaccination ! Ce n’est pourtant pas notre position, mais force est de constater que l’obligation vaccinale aurait été une mesure plus simple et moins liberticide.
Comme d’habitude, vous n’écoutez rien ni personne : vous avez fait passer toutes les mesures que vous pouviez par décret, en urgence, et vous ne nous soumettez le reste que par obligation, en nous imposant des conditions d’examen déplorables que l’urgence ne saurait justifier, même si l’on peut comprendre la difficulté de la situation.
Vous n’écoutez aucun représentant des oppositions, alors même que celles-ci sont toutes d’accord contre vous. Vous ne consultez pas ou vous faites semblant ; vous n’associez que très peu les collectivités locales. Contrairement à ce que vous semblez croire, tout cela ne nous fait pas gagner en efficacité, très loin de là, hélas !
Bien des régimes parlementaires, à commencer par l’Allemagne, enregistrent de meilleurs résultats que nous dans la gestion de l’épidémie (Mme la ministre déléguée le conteste.) sans s’asseoir pour autant sur la délibération démocratique.
Alors, madame la ministre, j’espère que vous retiendrez au moins les apports de bon sens du Sénat. Je pense en particulier aux mesures d’isolement.
Pour les écologistes, en l’état, cela reste insuffisant. Le texte permettrait trop d’atteintes aux libertés publiques. Il découle de trop de promesses bafouées et créerait trop de divisions. Nous appelons le Gouvernement à « mettre le paquet » sur la stratégie vaccinale plutôt que de contraindre trop brutalement et de diviser.
Nous appelons enfin à lever les brevets sur les vaccins et à favoriser leur diffusion mondiale. Tous les efforts que nous faisons, toutes les restrictions que nous nous imposons devront se poursuivre tant que nous permettrons au virus de circuler largement dans le monde, tant qu’il mutera et que des variants apparus aux quatre coins du monde, résistant à nos vaccins, reviendront frapper à notre porte.
L’égoïsme vaccinal des pays occidentaux, les gestions nationales de l’épidémie de covid-19 sont des impasses sanitaires. Il est grand temps de sortir du cadre national pour enrayer, enfin, la pandémie. Nous espérons qu’au-delà du soutien à nos sportifs le président Macron profitera de son déplacement à Tokyo pour œuvrer en ce sens. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
Mme le président. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Madame la présidente, madame la ministre, madame, monsieur les présidents de commission, mes chers collègues, en ouvrant ce débat, nous devons garder notre attention fixée sur la très forte mutabilité de la situation sanitaire.
Depuis dix-huit mois, nous observons, avec une capacité d’anticipation très réduite, des variations importantes dans les types de virus, comme dans leur manière de se propager. La prudence des chercheurs et, parfois, leurs divergences nous montrent bien qu’ils s’attendent à de nouvelles situations imprévues. Il nous faut donc délibérer avec la prudence et le pragmatisme que cette difficulté à anticiper et la largeur du champ des évolutions possibles imposent.
C’est pourquoi, tout en comprenant évidemment l’insatisfaction de ceux de mes collègues qui déplorent une délibération trop rapide, il me semble nécessaire de souligner que les responsables publics – et les parlementaires en sont tout autant que les membres de l’exécutif – ont le devoir de s’adapter, dans leur travail et l’accomplissement de leurs missions, aux situations présentant une urgence ou une nécessité.
Les mesures que nous examinons ont pour double objectif de protéger l’ensemble de la population et de maintenir le maximum d’activités sociales, dans un contexte en évolution. D’où la nécessité que nous soutenions une large palette de mesures de limitation et de freinage de la diffusion du virus, et ce pour une durée suffisante.
Là se situe ma différence d’appréciation avec le rapporteur Philippe Bas, dans les explications qu’il a précédemment fournies. Il vaut mieux, en effet, que nous ayons ces mesures à disposition pour une durée plus longue, sachant que l’exécutif sera amené à en faire un emploi proportionné – M. le ministre a été tout à fait explicite sur ce point – et que, bien entendu, le recours aux différentes prérogatives fera l’objet au jour le jour d’un contrôle du Parlement et sera discuté avec lui.
Dès lors, je crois que nous serons très nombreux – la totalité du groupe, s’agissant du RDPI – à approuver l’exigence de vaccination pour motifs professionnels, non seulement au sein des métiers du secteur du « soin », dans une acception assez large, mais aussi dans les autres activités impliquant un contact intensif avec le public.
Ces obligations emportent des sanctions. Certes, il faut y apporter les adoucissements, les atténuations – je pense notamment aux délais – nécessaires dans une démocratie sociale. Cependant, arrêter des obligations d’intérêt public aussi majeures sans les assortir de sanctions serait un recul dans l’exercice de nos responsabilités.
Il est vrai que le passe sanitaire est une contrainte sociale. Mais l’intérêt général, dont nous sommes les gardiens, doit prévaloir. Si ces mesures sont la condition du maintien des activités – je reviens sur le dilemme évoqué par le ministre, avec le risque que nous courons d’avoir à basculer vers des fermetures d’activités, voire des confinements –, alors nous devons affronter cette réalité.
Il est vrai, aussi, que le passe sanitaire a pour effet de favoriser ceux qui ont choisi de se faire vacciner de façon précoce. C’est pourquoi, s’agissant du choix des dates exactes pour appliquer les mesures, nous devrons envisager des adaptations – je sais que le Gouvernement y est prêt, madame la ministre, et le sujet sera revu tout au long de la navette.
Des centaines de milliers de personnes sont vaccinées chaque jour – certaines semaines, nous sommes en capacité de réaliser jusqu’à 3 millions de vaccinations –, mais il faut tout de même tenir compte du délai nécessaire pour avoir les deux doses. Le choix des dates précises à partir desquelles s’appliqueront les mesures de fermeture ou, en tout cas, l’obligation de présenter un passe sanitaire est donc un choix délicat.
Comme nous ne pouvons pas non plus trop tergiverser devant l’urgence et la rapidité de la hausse des contaminations, il faudra, ensemble, que nous retenions un délai d’adaptation pragmatique, de manière à accompagner la remontée du flux vaccinal.
Je souhaite aussi rendre le Gouvernement attentif à la proposition formulée par notre rapporteur Philippe Bas de donner la priorité aux sanctions administratives par rapport aux sanctions pénales.
Je crois qu’une mesure de santé publique se prête plus à une décision de l’autorité administrative, selon des dispositifs que nous connaissons bien, y compris le contrôle en référé quasi instantané du tribunal administratif – il n’y a donc pas du tout de déni de justice. De par la rapidité d’application et le caractère direct de sa mise en vigueur, une mesure comme la fermeture administrative d’une activité dans laquelle aurait été constaté, après contrôle par la force publique, le non-respect des obligations est, à mon sens, une approche plus efficace et, d’une certaine manière, moins coûteuse que celle par les mesures judiciaires.
Aboutirons-nous à une obligation générale de vaccination ? Je le crois, exactement selon les mêmes arguments que ceux qui ont été énoncés par Claude Malhuret : nous n’avons pas de raison de nous effaroucher d’une obligation vaccinale supplémentaire, alors qu’il en existe depuis un siècle un quart dans ce pays, avec des résultats éblouissants sur le plan de l’intérêt général. Il ne faut pas reculer devant cette décision !
Cependant, pour répondre à certains de nos collègues qui en font une solution immédiate, il nous reste probablement une bonne quinzaine de millions d’injections à réaliser pour arriver à un taux de couverture suffisant, en tenant compte des personnes qui n’ont pas encore reçu leur première dose et de celles qui ont reçu la première, mais doivent attendre la seconde. Instaurer cette obligation générale de vaccination dès maintenant, alors que nous ne pourrions pas la contrôler avant plusieurs mois, ne serait pas efficace ; il est préférable que nous gardions cette décision, que nous aurons à prendre comme législateur, pour plus tard dans l’année, à un moment où, espérons-le – mais tout est fait pour cela –, les mesures dont nous discutons ce soir auront atteint leur pleine efficacité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe UC.)
Mme le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi de citer une phrase tirée de La Peste, le chef-d’œuvre d’Albert Camus, dont chacun mesure combien il résonne dans la période que nous vivons : « Ils se croyaient libres et personne ne sera jamais libre tant qu’il y aura des fléaux ».
Cette citation illustre le difficile équilibre entre liberté et protection de la santé, entre libertés individuelles et intérêt général – autant de débats qui nous animent depuis le début de la pandémie.
M. Loïc Hervé. Les libertés individuelles, c’est l’intérêt général.
Mme Véronique Guillotin. Dix-huit mois et neuf projets de loi plus tard, nous n’en sommes toutefois plus au même point. Aujourd’hui, nous avons le vaccin. Nous avons un espoir. Nous avons cette chance inouïe de disposer de plusieurs millions de doses proposées gratuitement à la population – faut-il le rappeler ? – pendant que, comme l’indiquait mon collègue Bernard Fialaire, dans de nombreux pays n’ayant pas atteint notre degré de développement, nombreux sont ceux qui les réclament ou qui meurent de ne pas les avoir reçus. Je pense bien sûr aux Tunisiens, qui connaissent des heures sombres et à qui nous exprimons toute notre amitié et notre solidarité.
Pendant qu’ils comptent leurs morts, faute de bouteilles d’oxygène et de vaccins en nombre suffisant, nous en sommes toujours à débattre de l’efficacité et de la sécurité de la vaccination.
Bien sûr, il faut écouter ceux qui doutent, les sceptiques, les réticents. Il faut dialoguer avec eux, faire preuve de pédagogie, leur redire que toutes les phases de test et les procédures d’autorisation sont respectées, que la pharmacovigilance assure une surveillance continuelle des éventuels effets secondaires. Le soin, malgré tout, reste basé sur la confiance et la médecine sur des faits scientifiques, que l’on ne peut balayer sur la base de supputations sans fondements.
Mais il faut aussi être intraitable vis-à-vis des plus virulents, ceux qui dégradent les centres de vaccination, qui menacent les personnes y travaillant, qui comparent notre pays à une dictature et notre système de santé à la Shoah. Ceux-là ont franchi résolument la ligne rouge de la décence.
M. Vincent Segouin. Tout à fait !
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Très bien !
Mme Véronique Guillotin. Aujourd’hui, tout le monde s’improvise virologue ou infectiologue…
M. Philippe Bas, rapporteur. Le Président de la République aussi !
Mme Véronique Guillotin. … et les réseaux sociaux amplifient le phénomène. Personne n’a l’obligation de tout maîtriser ou de tout comprendre. En revanche, chacun a l’obligation éthique et morale de se forger un avis à partir des faits.
De ce point de vue, la vaccination nous protège contre les formes graves du virus et en limite la circulation, comme l’absence quasi totale de patients vaccinés en réanimation en témoigne.
L’immunité collective est un objectif vers lequel nous devons tendre et les mesures de ce texte y contribuent.
Face à l’arrivée du variant delta, dont la charge virale est multipliée par mille et dont le taux de contamination est de 60 % plus élevé que celui du virus initial, nous devons malheureusement et de toute urgence prendre de nouvelles mesures si nous voulons contenir une quatrième vague, qui risque de nous submerger et de nous obliger au confinement, ce que personne ne souhaite.
Cette pandémie, par sa violence et son extraordinaire résistance, nous impose des ajustements perpétuels. Les nouvelles mesures de ce texte en choquent certains, vu le nombre de messages que nous recevons dans nos boîtes mail, car elles contraignent l’accès aux activités du quotidien.
Il est vrai que ces ajustements touchent à certaines de nos libertés individuelles, mais l’État a un devoir de protection. Ce n’est pas lui qui nous prive de nos libertés ; c’est bien, avant tout, le virus ! Jusqu’à présent, ce devoir de protection s’est manifesté au travers de périodes de confinement et de couvre-feu qui ont, chaque fois, aggravé un peu plus la lassitude des Français et la situation économique du pays. Ces mesures sont, en outre, bien plus privatives de libertés que le passe sanitaire qui nous est proposé.
Néanmoins, l’extension de ce dernier et l’obligation vaccinale doivent s’accompagner de garde-fous.
Les délais imposés pour l’un et pour l’autre paraissent bien courts. Si l’on veut un statut vaccinal complet au 15 septembre prochain, il faudrait avoir reçu sa première dose avant le 18 août. Or certains centres ne proposent pas de créneaux avant la fin du mois d’août. À ce sujet, madame la ministre, il conviendrait de confirmer que les personnes soumises à l’obligation vaccinale auront un accès prioritaire au vaccin, afin de pouvoir se mettre en règle au plus vite.
Nous devons privilégier l’incitation et récompenser ceux qui sont engagés dans la démarche de la vaccination. Quand on sait que l’immunité acquise est forte dès trois semaines après la première injection, une tolérance ne pourrait-elle pas être accordée aux primo-vaccinés ?
Pour les plus récalcitrants, nous ne devons bien sûr jamais renoncer à expliquer, rassurer et accompagner. Cependant, malgré les efforts réalisés en matière de pédagogie, le taux de vaccination de la population et des soignants demeure insuffisant – c’est une réalité.
L’obligation vaccinale n’est pas une stigmatisation, comme on l’entend souvent. Elle existe déjà contre l’hépatite B et évolue en fonction de la situation sanitaire. Elle vise à protéger les soignants, mais aussi à répondre, comme le disait notre rapporteur pour avis, à leur « exigence d’exemplarité » et à leur « devoir éthique » vis-à-vis des personnes vulnérables qu’ils s’engagent à protéger au quotidien.
Je suis donc favorable à l’obligation vaccinale, et proposerai même de l’étendre à d’autres professions.
Je m’interroge par ailleurs sur les conditions de contrôle du passe sanitaire dans les restaurants et les cafés. Je serai favorable à ce que la responsabilité porte sur le consommateur, plutôt que sur l’exploitant, et que les contrôles soient effectués par des personnes habilitées à le faire.
Enfin, je ne peux terminer mon propos sans évoquer le délai si court qui nous est octroyé pour l’examen de mesures d’une telle importance. Si nos marges de manœuvre sont comme souvent limitées, nous aurions tout de même apprécié de pouvoir prendre le temps de la réflexion et du débat.
Toutefois, vous l’aurez compris, madame la ministre, je partage la philosophie du texte et la nécessité de ces mesures de freinage de la circulation virale et de déploiement massif de la vaccination. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées des groupes Les Républicains et UC – M. Alain Richard applaudit également.)
Mme le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, d’emblée, je souhaite vivement contester la précipitation de ce débat. Celle-ci ne permet pas d’examiner sérieusement les dispositions proposées, qui ont d’ailleurs évolué au fil des jours.
M. Philippe Bas, rapporteur. C’est bien vrai !
Mme Éliane Assassi. Je ne m’appesantirai pas sur les travaux des commissions des lois et des affaires sociales. Nous avons été contraints de travailler dans des conditions à la limite de l’acceptable, tant pour nous, élus, que pour nos collaboratrices et nos collaborateurs.
Enfin, sans vous faire offense, madame la ministre, je dois vous dire que je regrette profondément le départ de M. le ministre Olivier Véran… (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST, RDSE, INDEP, UC et Les Républicains.)
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Il a siégé jusqu’à cinq heures quarante-cinq à l’Assemblée nationale !
Mme Éliane Assassi. Je ne sais comment nous devons interpréter ce départ précipité du ministre, qui n’a même pas pris le temps d’écouter la discussion générale, en particulier les interventions des groupes.
Mes chers collègues, nous sommes pleinement conscients des dangers que fait courir le variant delta, et vous devez accepter de débattre avec ceux qui proposent d’autres chemins que la voie ouverte par le Président de la République. La démocratie, le pluralisme, c’est savoir écouter, prendre en compte et parfois concéder et reconnaître ses erreurs.
Oui, nous savons que le variant delta se répand vite, et ce depuis de nombreuses semaines.
Oui, nous savons qu’en France les contaminations repartent vivement à la hausse.
Nous savons aussi que la vaccination est le rempart efficace pour éviter les hospitalisations et les réanimations. C’est un outil formidable pour venir à bout de l’épidémie. À ce titre, nous demandons que le vaccin soit reconnu comme grande cause nationale et mondiale et, donc, que les brevets soient levés.
Mais il faut des moyens pour aller au plus près de la population non vaccinée, souvent par abandon social ou manque d’information. Informer, convaincre, mobiliser tous les acteurs de la société, telle est la clé d’une vaccination pour tous. C’était, peu ou prou, la position de M. Olivier Véran.
Alors, pourquoi un tel revirement ? Comment ne pas être surpris par cette volonté soudaine de culpabiliser notre peuple, de le diviser, de le fracturer ?
C’est M. Olivier Véran, lui-même, qui a refusé les vaccinodromes en janvier dernier. C’est lui qui a fait le choix d’une vaccination progressive de la population, rappelant durant des semaines que les jeunes ne risquaient pas tant et pouvaient attendre.
Qui a fait le choix de commander massivement le vaccin AstraZeneca, qui fut sévèrement critiqué jusqu’à être interdit dans plusieurs pays ? La campagne vaccinale fut même suspendue en France.
En mai et en juin dernier, la vaccination a décollé et la suspicion a reculé. Cependant, qu’a fait le Gouvernement pour organiser la vaccination de masse durant les congés face à la déferlante du variant delta ? Et quelle mouche l’a piqué pour qu’il dégaine, aujourd’hui, un projet de loi aussi attentatoire aux libertés publiques ?
De plus, pourquoi produire un argumentaire culpabilisateur à outrance, alors que les doses ne sont pas disponibles pour parvenir rapidement à l’immunité collective ?
Madame la ministre, l’analyse que nous développerons au cours des débats est la suivante : ce projet de loi et le discours d’Emmanuel Macron sont un aveu d’échec manifeste. Notre peuple n’est pas assez vacciné, non pas parce qu’il est récalcitrant, mais parce que vous n’avez pas mis en œuvre les moyens nécessaires.
Ensuite, et « en même temps », le Président de la République utilise ce moment pour accentuer la dérive autoritaire de son pouvoir et placer notre pays sous une cloche libérale.
Le 12 juillet dernier, il a mêlé sa nouvelle réponse sécuritaire pour contrer la crise sanitaire à la confirmation ou à l’annonce de coups de force antisociaux. Dans son intervention, l’autoritarisme apparaît comme le point commun des différents aspects de la politique du pouvoir actuel.
La prolongation de l’état d’urgence sanitaire du 30 septembre au 31 décembre 2021 symbolise le maintien d’un état d’exception.
L’instauration du passe sanitaire est un outil de division de notre peuple. Le respect du droit et de l’égalité est à préserver.
Comme d’innombrables juristes, associations et syndicats, la Défenseure des droits s’est vivement inquiétée et a énoncé dix recommandations précises, importantes pour préserver les libertés et le droit face à vos propositions. J’aimerais connaître votre réponse détaillée à ces interpellations.
Le passe sanitaire est, selon nous, vicié dès le départ. Qui dit passe sanitaire dit contrôle d’identité… Madame la ministre, soit vous faites contrôler l’identité des gens par des personnes non assermentées et c’est une dérive inacceptable, soit vous permettez d’intensifier les contrôles de police inopinés dans les restaurants, dans les cinémas, dans les salles de sport, dans les transports, ou encore à domicile dans le cadre des procédures d’isolement.
Est-ce là le modèle de société que vous portez ? Une société de suspicion, de contrôle permanent !
Quand vous faites ce choix, nous faisons celui de la confiance et de la santé publique.
Le passe sanitaire sera une obligation dans la vie quotidienne pour l’ensemble de nos concitoyens ; et une obligation au travail pour certains d’entre eux. Nous refusons que la suspension ou le licenciement soit l’aboutissement de cette obligation en milieu professionnel.
Concernant les soignants, nous comprenons l’enjeu de les soumettre à l’obligation vaccinale. Mais pourquoi brandir, là aussi, la menace de la suspension et du licenciement ?
L’obligation d’isolement soulève également d’importants problèmes de droit. Nous refusons qu’une mesure privative de libertés – car c’est de cela dont il s’agit – puisse découler d’un seul test positif, sans décision de justice. Par ailleurs, comment ne pas constater une nouvelle fois la discrimination à l’égard des moins favorisés, qui ne peuvent respecter l’isolement du fait de conditions de logement précaires ?
Enfin, madame la ministre, comment ne pas s’alarmer du changement de donne concernant le système d’information national de dépistage populationnel, le SI-DEP ? Réservé au personnel de santé, il sera consultable, demain, par toutes les catégories de personnes habilitées à effectuer des contrôles. La préservation des données personnelles et le secret médical sont foulés aux pieds par votre projet.
Madame la ministre, nous voterons contre ce texte, même provisoirement assoupli par le Sénat. Sous le couvert d’un combat pour la vaccination, il accélère en effet le développement d’un projet de société attentatoire aux libertés et aux droits des salariés, sans armer notre pays face aux pandémies. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Mme le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Philippe Bonnecarrère. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les sénateurs centristes abordent le débat sur la réponse à la crise sanitaire en suivant deux lignes directrices.
La première est la priorité que nous accordons à la vaccination, complétée par le maintien des gestes barrières.
La seconde est la défense des libertés, une responsabilité dont le Sénat s’acquitte traditionnellement. Pour la plupart, les membres de notre groupe acceptent donc le passe sanitaire, mais dans un cadre nettement plus resserré que celui que le Gouvernement propose. Ils refusent d’alimenter une passion française pour le droit pénal et de brandir la menace du licenciement, là où la suspension du contrat de travail et des salaires nous semble déjà très suffisante.
M. Philippe Bas, rapporteur. Très bien !
M. Philippe Bonnecarrère. Quelques mots sur notre diagnostic : la crise de la covid-19 dure depuis dix-huit mois, la maladie est installée probablement pour longtemps et le virus ne connaît pas les frontières.
Nous avons demandé, hier matin, au professeur Jean-François Delfraissy de nous aider à nous projeter sur le long terme.
Il nous a exprimé les doutes et les incertitudes de la communauté scientifique, et nous a présenté les deux thèses privilégiées. Pour les optimistes, après une vaccination généralisée, le virus continuera d’évoluer – avec peut-être une ou deux mutations encore – tout en perdant progressivement sa capacité à contaminer ou, plus simplement, sa dangerosité. Pour les pessimistes, il pourrait connaître de nouveaux variants à « échappement vaccinal », pour utiliser la terminologie employée par le professeur, conduisant alors à une nécessaire évolution des vaccins au fur et à mesure des mutations.
Que les scénarios soient pessimistes ou optimistes, une forme de « normalité », si vous me permettez l’expression, de la présence du virus s’impose à nous. Comment pouvons-nous la gérer ? La réponse nécessite de choisir entre de mauvaises ou de très mauvaises solutions.
Nous abordons cette question avec humilité, en étant conscients que nous sommes dans une société, sinon de peur, au moins de défiance, où l’émotion l’emporte régulièrement sur la rationalité et où l’individualisme a souvent, vous le savez bien, pris le pas sur le collectif.
Cela nous conduit à ne pas trop asséner de vérités, à exprimer des réponses mesurées, dont nous devons admettre qu’elles pourront évoluer, à cultiver en définitive une éthique du doute et du respect des opinions.
La réponse en matière de santé publique est connue, je l’ai mentionnée en préambule : la vaccination, couplée aux gestes dits « barrières ». Les vaccins ont été trouvés, ils sont disponibles, gratuits et proposés à toute la population.
Notre débat de ce soir est donc typiquement – je le dis sans être discourtois – une forme de débat de riches.
Vaccinons ! Nous avons le recul nécessaire, pour répondre à une question qui nous est régulièrement posée, grâce aux plus de 3 milliards de vaccinations déjà réalisées à travers le monde. Nous n’avons pas d’alternative sérieuse : le retour à un confinement serait un drame et, comme vous le savez, il n’y a pas plus de solutions disponibles sous forme de médicament.
Tenons aussi compte du fait que nous sommes dans une société où chaque vie est essentielle. Il n’est pas possible de raisonner sur une forme d’acceptation d’un nombre de morts ou de malades graves, même s’il n’est interdit à aucun d’entre nous d’avoir une réflexion sur la place de la spiritualité ou sur une notion de transcendance.
Dans le contexte de l’accélération des contaminations par le variant delta, la vaccination et le maintien complémentaire des gestes barrières sont, pour les sénateurs centristes, la priorité. Il reste à les traduire dans les règles de la vie publique. Deux solutions s’offrent alors à nous : la vaccination obligatoire générale ou le passe sanitaire.
La vaccination obligatoire générale a le mérite de répondre clairement à l’enjeu de santé publique. Le dispositif est simple, précis, conforme à une autre passion française, celle de l’égalité. Il est aussi pédagogique.
Le Gouvernement ne propose pas cette solution, la question posée – plusieurs de mes prédécesseurs ont déjà formulé l’argument – étant celle de son acceptabilité sociale. Ce qui est souhaitable, mes chers collègues, est-il possible ? Nos concitoyens accepteront-ils une telle mesure ? Comment l’État la fera-t-il respecter ? Si la vaccination devenait obligatoire, l’État engagerait évidemment sa crédibilité sur l’exécution de ces dispositions.
Toutefois, au sein de notre groupe, nous n’écartons pas la possibilité de devoir envisager la vaccination obligatoire générale. C’est une question, nous semble-t-il, de calendrier. Les observations critiques formulées à l’égard de cette solution, comme on a pu l’entendre au fil des interventions, sont surtout liées à un risque d’engorgement des demandes de vaccination, à la rentrée, mais il faut continuer d’envisager cette solution comme une perspective possible.
La proposition de rendre obligatoire la vaccination des soignants ne fait aucune difficulté dans notre groupe. Il s’agit, à nos yeux, de la simple application de règles éthiques. C’est aussi une question de confiance dans notre pacte social.
Reste la question du passe sanitaire…
Le passe sanitaire prévu pour un seul été, comme on nous l’avait dit et répété, pour nous convaincre de donner notre accord à ce qui allait devenir la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, n’est bien sûr plus d’actualité. Cela n’est pas de nature à favoriser la confiance…
Le passe sanitaire porte-t-il atteinte aux libertés ? Oui.
S’agit-il d’une atteinte grave aux libertés ? Oui, à la fois par son étendue et, peut-être et surtout, par une forme de banalisation de la situation, puisque nous en sommes tout de même à notre quatorzième période d’état d’urgence depuis 2015.
Cette atteinte est-elle proportionnelle au risque ? C’est notre interrogation.
Le Gouvernement avance l’argument de l’urgence, et nous avons entendu les chiffres quant aux évolutions du variant delta, notamment ceux, cités par M. le rapporteur, relatifs à la charge virale et à la rapidité de transmission.
À l’Assemblée nationale, le passe sanitaire a été décrit comme un outil de liberté, une incitation à se faire vacciner, pour permettre à chacun d’entre nous d’avoir une vie normale. Le discours est efficace d’un point de vue psychologique, les prises de rendez-vous massives en vue de la vaccination, dans les heures qui ont suivi l’intervention du Président de la République, l’ont démontré.
Je voudrais cependant attirer votre attention, mes chers collègues, sur la limite de cet exercice, en tout cas la contradiction ou l’ambiguïté du passe sanitaire : celui-ci nous est proposé à titre incitatif, pour favoriser la vaccination, alors que sa vocation devrait être sanitaire.
Le passe sanitaire n’est pas, à l’inverse de la vaccination, une réponse de santé publique en tant que telle. Il ne soigne pas. Il peut le devenir s’il contribue à réduire le brassage social et, ainsi, les risques de transmission. Telle est sa justification.
Cela signifie, madame la ministre, qu’au moment où régulièrement depuis l’intervention du Président de la République les membres du Gouvernement prennent la parole pour annoncer un assouplissement supplémentaire ou la suppression d’un « irritant », le passe sanitaire risquerait, d’assouplissement en assouplissement, de coup de rabot en coup de rabot – et il y aura des amendements en ce sens –, de perdre sa vocation sanitaire pour n’avoir plus qu’un rôle incitatif. Dès lors, il serait sans fondement juridique, en particulier constitutionnel.
Bien sûr, je resterai prudent quant à la position arrêtée par le Conseil constitutionnel. Cependant, ne sous-estimons pas cet aspect de la question, ou ce risque, dans notre débat.
Quant à la défense des libertés, qui constitue notre deuxième ligne directrice, les questions qu’elle soulève ont bien été prises en compte dans le travail de la commission des lois et de la commission des affaires sociales, mené par les rapporteurs Philippe Bas et Chantal Deseyne.
J’insiste sur le changement de logiciel. En décidant, si le texte est voté, d’un état d’urgence sanitaire et non pas d’un régime de sortie de cet état, nous marquerons par définition le caractère exceptionnel et temporaire des mesures que le Gouvernement propose.
J’ajoute, bien sûr, qu’il est nécessaire de préciser le volet d’encadrement des mesures, notamment la date butoir fixée au 31 octobre 2021 et le compte rendu hebdomadaire dont elles doivent faire l’objet. Il faut aussi favoriser la fermeture administrative plutôt que les sanctions pénales, mettre en place le suivi de l’isolement par les agents de la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM), garantir que les services préfectoraux n’auront pas accès aux dossiers médicaux et prévoir la suspension du contrat plutôt que le licenciement.
Enfin, madame la ministre, j’appelle votre attention sur la maladresse qu’a commise M. Véran lorsque, dans son propos introductif, il a insisté sur les points de désaccord à venir avec le Sénat. J’espère qu’elle sera corrigée demain, si tant est que le Gouvernement souhaite que la commission mixte paritaire ait une issue positive. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Loïc Hervé. Très bien !
Mme le président. La parole est à Mme Monique Lubin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Monique Lubin. Madame la ministre, l’examen du projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire se déroule dans un agenda excessivement contraint, signe d’un manque d’anticipation de votre part, qui donne une impression de chaos, au moment où nous avons tous collectivement besoin d’un cap clair.
Nous sommes convaincus, au sein du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat, que vous en viendrez nécessairement à la position qui est la nôtre ; pour nous, le seul chemin aujourd’hui envisageable pour prendre la main sur l’épidémie est celui d’une vaccination universelle. Nous faisons ce choix pour que chacun puisse être protégé et protège les siens, tout en jouissant de ses droits fondamentaux.
Plusieurs institutions du champ scientifique et médical se sont d’ores et déjà prononcées en faveur de l’obligation vaccinale généralisée. C’est notamment le cas de l’Académie nationale de médecine, qui a pris position dans un communiqué, le 19 juillet dernier, jour de présentation en conseil des ministres du présent projet de loi. Je vous rappelle d’ailleurs qu’elle s’était prononcée publiquement en faveur du port du masque dès avril 2020, quand le Gouvernement soutenait encore qu’il ne servait à rien en population générale.
Nous espérons que l’alignement du Gouvernement sur ces positions n’interviendra pas trop tard. En attendant, nous voilà contraints de travailler sur une politique qui menace d’être inopérante, incohérente et liberticide. Et c’est si flagrant que vous vous retrouvez dans la position de devoir procéder à ajustement sur ajustement, dans l’espoir de consolider un édifice de plus en plus bancal.
C’est tout particulièrement le cas pour les modalités relatives à l’instauration d’un passe sanitaire, qui aboutissent à la stigmatisation des professionnels intervenant dans le secteur de la santé. Vous créez une nouvelle obligation vaccinale, mais seulement pour certaines catégories professionnelles, avec un système de sanctions parfois très lourdes, qui pourrait s’avérer contre-productif. Et vous le faites en dehors de tout cadre de santé publique, puisqu’aucune obligation de cette sorte n’existe dans le code de la santé publique.
Mis bout à bout à bout, ces éléments pourraient bien devenir une usine à gaz.
La définition du périmètre de votre dispositif est particulièrement large ; les critères sont flous, à la limite d’un certain arbitraire. Sont visées par l’obligation que vous entendez mettre en place des catégories de personnes définies non seulement par leur profession, mais aussi par leur lieu d’exercice professionnel. Vous dressez une sorte d’inventaire à la Prévert, allant des aides à domicile aux sapeurs-pompiers, en passant par les élèves et les psychanalystes. En revanche, policiers et professeurs ne sont pas concernés par l’obligation vaccinale, alors même que ces derniers travaillent tout particulièrement au contact de publics au sein desquels la circulation du virus est forte et incontrôlée.
Signe du caractère hasardeux de votre démarche, vous prenez le risque de fracturer la société française en désignant des professionnels qui pourraient en plus faire l’objet d’un traitement différencié, évoluant au gré des rectifications que vous y apporterez.
Le Gouvernement a en effet introduit une nouvelle disposition annoncée la veille par la ministre du travail : la possibilité pour le salarié de convenir avec son employeur de prendre des réductions de temps de travail (RTT) ou des jours de congés pour éviter une suspension du contrat de travail. C’est dire si la mesure initiale était pertinente !
Vous vous donnez beaucoup de mal, et vous nous donnez beaucoup de mal, pour imposer sans le dire une vaccination généralisée. Dans cette pandémie qui n’en finit pas, le courage politique consisterait à dire à tous les Français qu’ils doivent obligatoirement se faire vacciner, quel que soit leur environnement professionnel.
Le courage politique serait d’affirmer que se faire vacciner pose un acte de solidarité, de fraternité même, en ce qu’il induit l’intérêt de l’autre au-delà de l’intérêt propre à chacun et en ce qu’il positionne l’individu non pas comme une pièce unique et autocentrée, mais comme un citoyen conscient du rôle qu’il doit jouer dans un moment crucial pour le groupe auquel il appartient.
Le courage politique serait d’assumer une décision de vaccination universelle obligatoire, qui permettrait d’assurer la concorde au sein de la société française.
Ce ne sont pas les libertés publiques que l’on doit combattre : la liberté de circulation et d’accès aux biens et aux services, l’égalité de traitement et la protection contre l’arbitraire ne sont pas la maladie ! Nous ne voulons pas d’un passe liberticide. Ce que nous souhaitons, c’est atteindre l’immunité collective – celle-ci est fixée à un taux de population vaccinée contre la covid-19 de 90 %, du fait des variants en circulation, tout particulièrement le variant delta.
Nous nous inscrivons également dans une démarche de santé publique claire, assise sur des connaissances médicales et scientifiques. Elle nous évitera le risque de « glissement vers des pratiques de surveillance sociale générale », pointé par la Défenseure des droits, et vers une extension du passe sanitaire à tous les gestes de la vie quotidienne, qui serait attentatoire aux libertés.
C’est d’une politique de santé publique dont nous avons besoin aujourd’hui. Nous attendons des mesures et des textes pertinents, de même que les moyens humains et budgétaires nécessaires pour lutter contre cette maladie et assurer la protection sociale de nos concitoyens. Cela implique que l’État s’inscrive dans une démarche de lutte contre les inégalités territoriales et sociales, pour assumer son devoir d’aller vers les publics les plus éloignés de la vaccination. Sans moyens supplémentaires, les mesures envisagées s’avéreront encore plus dures pour les publics précaires. Or nous savons que ce sont eux qui ont le moins accès aux vaccins.
Nous sommes confrontés à un problème de santé qui remet fondamentalement en cause l’équilibre de la société. Le pays est prêt à des efforts, fussent-ils coûteux – il l’a démontré depuis plus d’un an. Poursuivre l’objectif de vaccination obligatoire universelle sans l’assumer, c’est autre chose : c’est le pire des choix !
Vous avancez masqués avec l’outil pervers du passe sanitaire, imposant tout en la dissimulant, une obligation vaccinale généralisée. Le caractère trouble de votre démarche est perçu par la population ; il suscite un rejet qui met en péril non seulement l’efficacité de la politique de lutte contre la covid-19, mais aussi les assises de notre système politique tout entier.
Aujourd’hui, plus que jamais, nous avons besoin de solidarité et d’unité. Et cela passe nécessairement par la vaccination généralisée (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme le président. La parole est à M. Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.)
M. Bruno Retailleau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il faut nous rendre à l’évidence : nous sommes confrontés à une quatrième vague, dont le pic n’a pas encore été atteint ; il surviendra sans doute dans quelques semaines.
Les chiffres qui ont été cités sont spectaculaires. Le cap des 20 000 cas a été franchi. Le variant delta, ultraminoritaire au mois de mai – il comptait pour moins de 1 % des contaminations – devient ultradominant ; d’ici quelques semaines, il sera probablement à l’origine de plus de 90 % des contaminations.
Certes, ce virus a pour le moment moins d’impact sur les hospitalisations. Considérez toutefois ce chiffre qui n’a pas encore été cité : en une semaine, les hospitalisations ont augmenté de 70 % en France. Bien qu’elle parte d’un niveau bas, cette évolution est préoccupante.
Le coronavirus est un virus retors, très retors. Sa stratégie de survie est incroyablement perfectionnée. Tout se passe comme s’il compensait, grâce à ses mutations, le rétrécissement de sa cible – de plus en plus de personnes sont vaccinées dans le monde – par une plus forte contagiosité. Lors de son audition par la commission des affaires sociales, il y a quelques jours, le professeur Delfraissy a indiqué que le variant delta avait une charge virale mille fois supérieure au premier variant – ce chiffre est stupéfiant !
Mes chers collègues, il faut se rendre à l’évidence : nous n’en avons pas terminé avec cette pandémie.
La stratégie de vaccination est essentielle, mais elle n’est pas unique. Les annonces du Président de la République, la semaine dernière, ont eu un effet à la fois positif et négatif. Si elles ont eu un effet en partie positif, c’est parce qu’elles ont suscité un formidable déclic chez nombre de nos compatriotes qui se trouvaient sans doute dans un entre-deux, parfois dans une position très attentiste.
Mais il y a eu également une poussée d’Archimède en sens inverse, un raidissement, une sorte de vent de colère – ne nous le cachons pas ! Nous avons tous vu les manifestations dans les rues.
Madame la ministre, l’exercice que vous nous demandez ce soir, à nous qui sommes votre opposition, est assez redoutable. Et pas seulement parce que les conditions du débat sont détestables, trop rapides ou trop précipitées pour faire un travail sérieux.
M. Loïc Hervé. Elles sont catastrophiques !
M. Bruno Retailleau. Malheureusement, je crains que nous ne finissions par nous y habituer… Dieu sait pourtant si le travail des deux commissions et de leurs rapporteurs a été approfondi.
L’exercice que vous demandez à votre opposition est redoutable car, en fin de compte, vous attendez d’elle qu’elle endosse des mesures un peu rugueuses, dont l’application sera complexe et dont les résultats, au moment où je vous parle, restent incertains. Si cet exercice est redoutable, c’est surtout parce que le Gouvernement ne nous facilite pas toujours la tâche, tout simplement.
J’ai parlé, il y a quelques instants, d’un vent de colère, en tout cas d’un raidissement. D’où vient-il ? Je pense qu’il a pour origine une perte de confiance. Croyez bien, madame la ministre, que je ne mésestime pas l’extrême difficulté de la tâche. Mais cette perte de confiance vient des volte-face et des tâtonnements qui ont trop souvent émaillé la gestion de cette crise : les masques jugés inutiles, le manque de gel et de tests dès le début de l’épidémie, le refus de fermer les frontières par idéologie, au prétexte que le virus n’avait pas de passeport, ou encore la mise en place du premier passe sanitaire, réduit aux hautes jauges et épargnant les actes de la vie quotidienne.
Ce raidissement provient également d’une communication de gestion de crise très chaotique, qui alterne des périodes d’euphorie triomphante et des périodes de catastrophisme quelque peu stressantes. On l’a encore vu récemment dans la communication du Gouvernement précédant la tenue des élections départementales et régionales…
Encore une fois, je ne mésestime pas la difficulté de la tâche. Mais tout cela donne le sentiment à beaucoup de nos concitoyens d’une forme d’improvisation et d’impréparation. Au moment où j’emploie ce terme, je me souviens des mots du Premier ministre qui, il y a quelques jours de cela, avertissait les Français de la venue de temps difficiles, leur demandant de s’y préparer.
Que les Français doivent se préparer, c’est une certitude ; chacun a sa propre responsabilité en matière de vaccination. Mais le Gouvernement, lui aussi, doit prendre ses responsabilités.
La vaccination est au cœur de notre stratégie. Celle-ci concerne tout d’abord les 3 ou 4 millions de personnes fragiles, notamment de plus de 70 ans. Environ 20 % des plus de 80 ans ne sont toujours pas vaccinés, ainsi que 10 % des plus de 70 ans et environ 30 % des personnes fragiles, celles qui présentent des vulnérabilités.
Pourquoi ne pas lancer une opération commando avec les médecins généralistes ? Il leur faut des doses ! Et le porte à porte téléphonique est indispensable. Seuls les médecins généralistes seront à même de rétablir la confiance !
M. Bruno Retailleau. Madame la ministre, on ne parle que de ce que l’on connaît bien.
J’ai tout à l’heure échangé avec un professeur de médecine générale et deux maires de mon département. La Vendée, qui est l’un des départements champions de France de l’hôtellerie de plein air, avait été jusqu’à présent épargnée par la pandémie. Ce n’est plus le cas aujourd’hui : les contaminations sont en forte hausse.
À Noirmoutier, on nous annonce des doses en moins pour la semaine du 2 août ; 350 rendez-vous devront être décommandés. Dans les centres de vaccination de Saint-Gilles et de Saint-Hilaire, pas moins de 500 rendez-vous devront être annulés, seulement un peu moins aux Sables d’Olonne.
Ce n’est pas une critique, madame la ministre. Je veux simplement que vous nous expliquiez pourquoi il n’y a plus de doses. D’autant que la Vendée est un département touristique, où l’on va non seulement devoir administrer une deuxième injection aux personnes venant d’ailleurs, mais aussi fournir une première dose aux individus qui sortent enfin de l’attentisme.
Nous vous accompagnerons sur le passe sanitaire, madame la ministre. Mais, bon sang, il nous faut des doses !
Ensuite, nous savons désormais que le variant s’attaque aussi aux jeunes. Dès lors, pourquoi n’imposez-vous pas l’obligation d’installer dans chaque classe des écoles primaires, des collèges, des lycées et des universités, des capteurs de CO2 ? Aujourd’hui, il est scientifiquement établi que ce sont non pas les gouttelettes qui sont les vecteurs de contamination, mais les aérosols. Un capteur de CO2 ne coûte que quelques dizaines d’euros à l’unité : pourquoi ne pas anticiper ?
Il est évident que les mesures d’isolement sont nécessaires ; nous suivrons le Gouvernement sur ce point. Voilà des mois, depuis le premier confinement, que j’affirme être favorable à des mesures d’isolement un peu plus contraignantes ; je préférerais que l’on isole uniquement certains individus plutôt que l’on confine tout le monde.
Pourquoi la France contribue-t-elle si faiblement au séquençage international ? C’est parce que nous avons mis de côté le secteur privé – nous avons trop longtemps fait cette erreur. Dans ma propre région, seuls deux centres hospitaliers universitaires (CHU) étaient autorisés à procéder au séquençage. Il y a quelques jours encore, le secteur privé n’était toujours pas mis à contribution.
Sans séquençage, on avance dans le brouillard – et il y aura d’autres mutations. Il n’est pas normal que, par rapport au Danemark ou à d’autres « petits » pays, la France ait dans ce domaine une contribution médiocre.
Madame la ministre, d’ici quelques jours ou quelques semaines, vous aurez à signer un arrêté établissant le numerus clausus des médecins réanimateurs. L’an dernier, vous aviez porté le nombre de postes de 72 à 74. Or, en dix ans, le manque de réanimateurs a doublé. Cette année, ne vous contentez donc pas de porter le nombre de postes à 75 ou à 76. Franchissez un cap ! C’est essentiel pour préparer l’avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
En tant que parlementaires de l’opposition, il serait difficile de nous opposer systématiquement au Gouvernement sans jamais rien proposer. Pour ma part, je m’efforce de faire des propositions, de comprendre les remontées du terrain ; nous sommes tous, ici, de droite comme de gauche, des élus de terrain.
J’en viens maintenant au fond du texte. Je veux préciser notre état d’esprit et exposer les positions que nous défendrons aux côtés de nos deux rapporteurs.
Depuis le début de cette crise, nous sommes sur une ligne de crête difficile, pour les raisons que j’ai citées. Il y a un équilibre à trouver entre la responsabilité et l’exigence. La responsabilité, c’est faire en sorte de ne pas sombrer dans la démagogie et que nous puissions donner au Gouvernement les moyens d’agir et de gouverner pour protéger les Français.
C’est dans cet état d’esprit que, dès le 2 décembre dernier, j’ai présenté notre position aux présidents de groupe conviés au déjeuner qu’avait organisé à l’Élysée le président Macron. J’avais indiqué à ce dernier être favorable à l’obligation vaccinale pour les personnels soignants et les personnels en contact avec des personnes fragiles.
Nous allons accompagner le Gouvernement sur les mesures d’isolement, en les assortissant des précautions votées en commission que les rapporteurs vous ont exposées.
Quant à l’exigence, nous la devons à tous les Français, non pas seulement à ceux qui comprennent la nécessité de la vaccination, mais aussi à ceux qui peuvent avoir des réticences. Nous devons relayer leurs interrogations car, même si nous ne les comprenons pas toujours, elles peuvent être légitimes. En tout cas, nous devons leur répondre autrement que par des injures ou par des invectives.
Pour respecter cet équilibre, nous avions voté le passe sanitaire dans sa première formule. Mais c’est aussi au nom de cet équilibre que nous allons vous demander d’accepter les modifications que nous souhaitons apporter au travers des amendements votés en commission.
Évidemment, la pandémie revient. Quel choix avons-nous ? La première solution serait de recourir aux mesures qui ont déjà été mises en œuvre, les confinements, les mesures généralisées, les couvre-feux. C’est la pire de toutes les solutions, car ces mesures sont très attentatoires aux libertés et nocives pour la santé psychique des Français, notamment des plus jeunes. Nous connaissons le taux de suicides et le mal-être qu’ont exprimé les plus jeunes de nos compatriotes ; gardons cela à l’esprit.
Cela vaut aussi si l’on veut que l’économie redémarre. L’économie, ce n’est pas seulement des aspects matériels ; c’est aussi, lorsqu’elle ne fonctionne pas bien, des souffrances sociales.
La pire des solutions, c’est le confinement ! La moins mauvaise, c’est sans doute le passe sanitaire.
Mes chers collègues, je sais que certains d’entre vous soutiennent la vaccination obligatoire. Pour ma part, je n’y crois pas. Premièrement parce que nous n’avons pas les doses suffisantes. Deuxièmement parce que, quand on pose une obligation, on ne peut pas ignorer les sanctions et l’application qu’on en fait. Sinon, c’est la norme, c’est l’autorité qu’on affaiblit.
Enfin, je pense que nous sommes dans un pays si fracturé qu’une telle obligation nous ferait prendre de grands risques. Encore une fois, nous soutiendrons le Gouvernement sur le passe sanitaire, même si cela signifie que nous devrons l’accompagner sur un chemin étroit et difficile.
Nous avons néanmoins quelques conditions : ce passe doit lui aussi être équilibré, juste et proportionné. Comme je l’ai affirmé il y a quelques jours dans une formule un peu lapidaire : « Oui à un passe sanitaire, non à un passe arbitraire ! »
Pourquoi allons-nous vous accompagner dans cette décision difficile ? Parce que nous croyons qu’une société ne peut tenir debout que si un équilibre s’établit entre les devoirs et les droits : nos droits sont le reflet de nos devoirs. Chaque Français, chaque citoyen a un devoir ; vous aussi, madame la ministre, en tant que gouvernant, vous avez un devoir, celui de ne pas blesser nos droits, les droits des citoyens.
Les garanties que nous vous demandons sont importantes. Tout à l’heure, quelqu’un citait la devise républicaine : au regard de cette question de la liberté, mon collègue Hervé Marseille et moi-même avons été les premiers, voilà une dizaine de jours, à annoncer que nous saisirions le Conseil constitutionnel, non pas pour dresser un nouvel obstacle sur le chemin de ce texte, mais tout simplement pour indiquer aux Français que nous allions prendre toutes les précautions, toutes les garanties pour préserver leur liberté.
De même, j’ai entendu ce qu’a répondu le ministre à la proposition du rapporteur Philippe Bas de rétablir l’état d’urgence sanitaire. La question n’est pas de savoir si nous avons plaisir à nous voir, s’il aime venir ou non au Sénat ; la question est que nos institutions et notre vie démocratique requièrent des procédures. Et ce qui permet d’encadrer l’action du Gouvernement, c’est le vote d’un texte. C’est la raison pour laquelle notre collègue – j’espère interpréter correctement sa pensée – propose de fixer une date butoir au 31 octobre. Garantir nos libertés, c’est fondamental.
De même, il est probable que des restaurateurs et des bistrotiers enregistrent des pertes de chiffre d’affaires. Aussi, en relation avec votre collègue chargé de l’économie, il faudra veiller à prévoir des mécanismes d’aide pour ces chefs d’entreprise, de nouveau victimes de la situation.
À ce sujet, il est heureux que l’on passe d’un régime de sanctions pénales – ce fameux régime ! – à un régime de sanctions administratives. Pour moi, ce n’est pas seulement une question d’efficacité ; c’est une question de principe. Ces restaurateurs sont des victimes. Ne faisons pas d’eux des délinquants ou des coupables, en plaçant au-dessus de leur tête cette épée de Damoclès pénale !
M. Loïc Hervé. Tout à fait !
M. Bruno Retailleau. C’est un signal très important que nous leur adressons ainsi.
Parlons de l’égalité. Chantal Deseyne a veillé à introduire de la souplesse pour apprécier la satisfaction de l’obligation de vaccination au 15 septembre 2021 des salariés concernés.
Quand on parle d’égalité, la première question qui se pose, c’est l’approvisionnement en doses de vaccin.
Enfin, je terminerai par la question de la fraternité, qui est toujours le mot oublié de notre devise républicaine, chacun demandant toujours pour soi-même toujours plus de liberté et d’égalité, si possible un peu plus que pour l’autre.
Il est heureux qu’une majorité de Français, d’après ce qu’on nous dit, acceptent et veuillent le passe sanitaire. La démocratie, c’est d’abord, bien sûr, la règle de la majorité, mais c’est aussi le respect des minorités. (M. Claude Malhuret approuve.) Nos gouvernants doivent s’astreindre à porter une parole publique qui ne blesse ni ne stigmatise personne. J’ai écouté Olivier Véran, et il n’a stigmatisé personne ; mais le porte-parole du Gouvernement, lui, a opposé deux France, une France et une anti-France, deux camps, le camp du bien et le camp du mal, parlant même d’une « frange capricieuse et défaitiste » qui s’opposerait à une France qui serait, elle, laborieuse et volontariste. Ce n’est pas acceptable !
M. Loïc Hervé. C’est honteux !
M. Bruno Retailleau. Je me souviens d’ailleurs d’un autre porte-parole qui avait lui aussi stigmatisé une France, celle qui roulait au diesel et fumait des clopes : quelques semaines après naissait le mouvement des gilets jaunes…
Prenons garde à une parole publique tranchante et stigmatisante.
La fraternité, madame la ministre – et nous attendons de voir quelle sera votre position sur cette modification apportée par la commission, qui ne fait l’objet d’aucun amendement en séance publique, alors que se pose la question d’une seconde délibération –, c’est que tout Français ayant un proche ou un être cher sur le point de mourir ou au crépuscule de sa vie, à l’hôpital ou en Ehpad, puisse l’assister pour accomplir son grand passage. Confirmez-nous qu’il pourra le faire en situation d’urgence, quel que soit son statut vaccinal, qu’il dispose ou non d’un test PCR ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Je le répète, c’est une question de fraternité. Et cette épidémie, mes chers collègues, nous rappelle à notre devoir en la matière, quoi que nous croyions, qui que nous soyons, ce devoir de fraternité sans doute aujourd’hui un peu oublié, voire un peu perdu dans cet océan d’individualisme.
Ce que nous enseigne finalement cette pandémie, c’est que nous avons partie liée les uns avec les autres. Plusieurs d’entre nous l’ont dit : en nous vaccinant, nous prenons soin de nous-mêmes, mais nous prenons soin aussi des autres, ce qui est fondamental.
Je conclurai par ces mots si beaux de Victor Hugo : « Ma vie est la vôtre, votre vie est la mienne, vous vivez ce que je vis ; la destinée est une. » (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
Mme le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, chacun ici, ce soir, a rappelé la gravité de la crise sanitaire que nous vivons. Les chiffres ont été égrainés, nous les avons à l’esprit. Mais, depuis dix-huit mois, nous nous retrouvons ici régulièrement. Le Gouvernement, auquel vous appartenez, madame la ministre, dans la gestion de cette crise, a commis une triple faute.
La première, c’est l’infantilisation, car il a considéré que les Français devaient être traités comme des enfants. Ce furent les attestations pour avoir le droit de sortir ; ce sont désormais, au fil du temps, chaque fois, des leçons qui sont assénées, comme si chacun ne pouvait pas entendre la gravité de la situation.
Deuxième faute : l’autoritarisme, jusqu’à la caricature évidente, lorsque s’exprime le Président de la République et que l’on apprend ensuite par la presse que même ses propres ministres, ses équipes ne savaient pas précisément ce qui allait être annoncé, l’intendance suivant.
De fait, les mesures annoncées étaient évolutives, puisqu’elles ne pouvaient pas trouver leur application.
Troisième faute : les errements et les revirements. C’est peut-être ce qui est le plus gênant, car, aujourd’hui, la confiance dans votre parole a singulièrement fondu. À cette même tribune, il nous a été tenu des propos définitifs sur le passe sanitaire, qui ne serait jamais appliqué pour des actes de la vie quotidienne,…
M. Loïc Hervé. En effet !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. … mais aussi, au gré des étapes et sans vouloir rappeler de cruels souvenirs, sur l’inutilité de porter des masques.
Au fil du temps, chaque fois, la parole publique a été dévalorisée. Tout cela a conduit à un triple désastre : un désastre sanitaire, un désastre démocratique et un désastre social.
Un désastre sanitaire, d’abord. Nous le constatons : les contaminations repartent, les soignants sont épuisés, les vaccins sont en quantité insuffisante – cela a été rappelé encore à l’instant, on ne le dit pas assez –, et peut-être demain, si nous avons bien compris, la gratuité des tests cessera.
Un désastre démocratique, ensuite, avec ce débat organisé de telle sorte que nous travaillons non pas dans mauvaises conditions, mais mal : nous faisons mal la loi, faute de recul suffisant pour réfléchir de manière sensée à ce que nous voulons proposer et accepter, chacun ici ayant un état d’esprit constructif, comme chaque fois, lors de l’examen de la dizaine de projets de loi qui nous ont été soumis.
De ce fait, ce texte est confus. Et puisque les parlementaires, je le sens bien, ne sont pas forcément considérés comme des références, je reprendrai les propos d’une autorité constitutionnelle, la Défenseure des droits, qui souligne notamment l’inintelligibilité des règles. Car, si demain un Français est capable d’expliquer ce qu’il est possible de faire ou pas, nous pourrons alors le saluer.
En découpant l’espace public entre les endroits où nous pourrons nous rendre et ceux où nous ne le pourrons pas, vous allez opposer les populations et instaurer le contrôle d’une moitié de la population par l’autre. Effectivement, vous voulez qu’il faille montrer son passe pour entrer dans quelque lieu que ce soit. Sans parler des difficultés d’application de cette mesure, certains ne parvenant pas à l’obtenir parce que les dates ne sont pas correctes, parce que les vaccins ne sont pas les bons, parce que les pays où ceux-ci ont été administrés ne sont pas répertoriés – nous y reviendrons lors de l’examen des amendements. Vous allez porter atteinte à la liberté d’aller et venir, votre souhait, quasiment assumé, étant de fait celui d’une forme de surveillance généralisée, d’une France en liberté conditionnelle. (Mme la ministre déléguée proteste.)
Un désastre social, enfin. Les enfants, les jeunes auront de grandes difficultés pour accéder à l’école, aux loisirs.
Cette assignation à résidence que vous allez délivrer à tout un chacun aura pour conséquence d’inciter les gens à ne plus se faire dépister, parce qu’ils ne voudront pas être isolés.
Vous prévoyez de possibles mesures de licenciement – mesures que nous refuserons sans doute –, une forme de discrimination à l’emploi entre les vaccinés et les non-vaccinés, ce qui aura évidemment pour effet de mettre en grande difficulté les catégories sociales les plus défavorisées, celles-là même dont nous savons qu’elles sont les moins vaccinées.
Pour le groupe socialiste, la seule réponse, c’est la vaccination universelle. J’ai entendu avec plaisir un certain nombre d’entre vous, après l’intervention de notre collègue Monique Lubin, défendre cette option, tout en indiquant qu’elle serait l’étape suivante. Mais pourquoi attendre l’étape suivante, puisque nous savons qu’il faut du temps pour la mettre en place ? Nous proposons un certain nombre de mesures qui pourront être effectives dès demain, sanctionnables dans quelques semaines, avec entre-temps des dispositifs de contrôle destinés à éviter que la situation ne devienne encore plus périlleuse.
Vous vous y refusez, semble-t-il, sans doute pour avoir le plaisir de revenir dans quelques mois devant le Parlement. Sauf que nous aurons, encore une fois, pris du retard et, encore une fois, manqué l’occasion de permettre à nos concitoyens de sortir de cette crise. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe CRCE. – Mme Nassimah Dindar et M. Loïc Hervé applaudissent également.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je serai très brève, puisque nous nous retrouverons demain.
Bien sûr, je déplore comme vous l’urgence dans laquelle nous sommes tenus d’élaborer ce texte. Croyez bien que j’ai infiniment de respect pour le débat parlementaire. Pour autant, vous l’avez tous rappelé, la crise sanitaire nous impose des revirements ; parfois, c’est même la science qui nous invite à prendre des décisions que nous avions affirmé ne pas vouloir prendre trois ou quatre mois plus tôt.
M. Loïc Hervé. Deux mois !
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Chacun peut faire preuve d’indulgence et avoir l’humilité de reconnaître que nous assumons cette crise.
Nous entrerons demain dans le vif du débat et nous mènerons ensemble un vrai travail parlementaire. Mesdames, messieurs les sénateurs, à une exception près, je vous remercie des propos mesurés que vous avez tenus. Je rentre d’un déplacement de deux jours dans deux départements ruraux, totalement différents, et j’y ai constaté un véritable afflux vers les centres de vaccination. J’ai constaté que c’est un public beaucoup plus jeune qui veut maintenant se faire vacciner, même des enfants. J’ai entendu que des soignants convergeaient vers ces centres de vaccination. J’ai constaté l’étroite collaboration entre les collectivités territoriales, l’agence régionale de santé, les sous-préfets, laquelle fonctionne très bien, contrairement à ce que j’ai pu entendre. J’ai vu ces bus de vaccination qui se rendent dans les quartiers, les petits villages. J’ai constaté l’adhésion des soignants… (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)
M. Alain Richard. Laissez parler la ministre !
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Laissez-moi poursuivre mon propos ; pour ma part, je vous ai écoutés !
Je le sais bien, mes propos font vaciller certaines de vos certitudes, mais je ne fais que vous relater ce que j’ai vu.
Ces personnes très engagées, nous devons les accompagner, parce que, c’est vrai, il reste encore des gens à rassurer. On ne doit pas opposer les uns aux autres, je suis d’accord avec vous, et il faut apaiser le débat dans notre pays. Toujours est-il que les réfractaires se font beaucoup plus entendre que les autres, tous ces silencieux qui, pendant ce temps, assument leur responsabilité vaccinale et qui ont envie que notre pays s’en sorte. Je pense que nous y arriverons, qu’il nous faut en débattre paisiblement et tenir un discours à même de rassurer les Français. Le but est que nous sortions définitivement, un jour ou l’autre, de cette crise sanitaire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme le président. La discussion générale est close.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
4
Ordre du jour
Mme le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, samedi 24 juillet 2021 :
À neuf heures trente, quatorze heures trente, le soir et la nuit :
Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la gestion de la crise sanitaire (texte n° 796, 2020-2021).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures trente-cinq.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER