M. Laurent Duplomb. Cet amendement vise à régler le problème général des pénalités et de la réciprocité entre le fournisseur et le distributeur.
Nous avons réglé le problème de la pénalité logistique, nous avons réglé le problème du retrait-rappel, circonstance dans laquelle le distributeur demande des sommes qui sont totalement disproportionnées à la réalité des faits, nous avons réglé le problème des cas de force majeure, nous avons – un peu – réglé le problème de la réciprocité, le fournisseur pouvant, aux termes de cet article, infliger une pénalité au distributeur si ce dernier ne respecte pas ses engagements.
En revanche, manque encore un élément : l’harmonisation de la facturation.
Il n’est pas normal, aujourd’hui, que les fournisseurs soient la banque des distributeurs. Ainsi, les distributeurs paient aux fournisseurs les factures à soixante jours, mais, lorsqu’elles émettent une facture aux fournisseurs pour leurs prestations, ils leur demandent un délai de paiement de trente jours.
Harmoniser à soixante ou trente jours pour tout le monde, de façon à mettre les acteurs sur un pied d’égalité, permettrait aux fournisseurs de ne plus être obligés de voir leur trésorerie aspirée par les distributeurs.
Cet amendement va dans le sens d’une réciprocité entre le fournisseur et le distributeur.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. Favorable à cet amendement de rééquilibrage.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Julien Denormandie, ministre. Ce que je comprends de l’amendement, c’est que si le distributeur veut se faire de la trésorerie sur le dos de son fournisseur, il fait en sorte que le délai de paiement qu’il impose à son fournisseur soit supérieur aux délais de paiement auxquels le fournisseur est lui-même soumis en amont.
Cela signifie qu’il ne faut pas que le délai de paiement du distributeur soit supérieur à celui du fournisseur. C’est là où j’ai une incompréhension. En effet, dans ce cas de figure, il suffit au fournisseur de réduire le délai de paiement à une journée.
Par ailleurs, cette question va bien au-delà de la question des produits alimentaires. Si j’ai bien compris votre amendement, monsieur le sénateur, le fournisseur est maître du délai de paiement ; il suffit donc que le fournisseur le définisse à cinq jours.
Je demande donc le retrait de cet amendement, dont je ne comprends pas bien le sens, pour qu’il soit retravaillé en amont de la CMP.
Mme le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour explication de vote.
M. Laurent Duplomb. Monsieur le ministre, cet amendement vise à une harmonisation. Il est écrit, dans l’amendement, que « les délais de paiement indiqués sur les factures émises par le distributeur ne peuvent être inférieurs au délai qu’il demande au fournisseur pour payer sa facture ».
Le distributeur achète au fournisseur et le paye sous soixante jours. Le distributeur facture des prestations de service pour une promotion ou pour une mise en rayon et le facture à trente jours, seulement au fournisseur. Il faut donc bien que le délai de facturation imposé par le distributeur ne puisse pas être inférieur au délai qu’il exige de son fournisseur. Je le répète, c’est une mesure d’harmonisation.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Il s’agit de factures pour des services, pas pour des marchandises.
Mme le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. Je voudrais apporter quelques précisions. Cela ne concerne absolument pas l’amont, mais uniquement les relations entre industriels et distributeurs. Il s’agit de faire en sorte que le distributeur ne demande pas au fournisseur de payer plus rapidement les pénalités logistiques qu’il n’a lui-même payé la livraison de la marchandise.
Mme le président. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre. Là, j’ai compris, même si cela m’a pris un peu de temps ! (Sourires.)
M. Laurent Duplomb. Cela arrive à tout le monde ! (Mêmes mouvements.)
M. Julien Denormandie, ministre. Cet amendement tend à régir les relations commerciales entre des distributeurs et des fournisseurs, quels que soient les produits, et non uniquement pour la production alimentaire.
Ce n’est pas l’objet de cette proposition de loi. La question des délais de paiement a été abordée dans la loi de modernisation de l’économie, que j’ai évoquée tout à l’heure. Je comprends l’intention qui sous-tend cet amendement : je puis partager cet avis sur un volet purement agricole, mais, en l’occurrence, vous englobez trop largement.
M. Laurent Duplomb. Et si on le restreint à l’alimentation ?
M. Julien Denormandie, ministre. Cet amendement vient donc réguler à nouveau les délais de paiement entre fournisseurs et distributeurs, tous secteurs confondus. Pour l’avoir pratiqué à Bercy, je considère ce sujet comme très important ; toutefois, il me semble qu’on ne peut réguler de nouveau les relations de délais de paiement entre distributeurs et fournisseurs dans ce texte, en englobant tous les autres secteurs. Voyons cela d’ici à la commission mixte paritaire.
Mme le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 2 bis D.
Article 2 bis E
L’article 125 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique est ainsi modifié :
1° Le I est complété par les mots : « , à l’exception des produits assujettis aux droits de consommation mentionnés au I de l’article 403 du code général des impôts » ;
2° Après le même I, il est inséré un I bis ainsi rédigé :
« I bis. – Pour les produits assujettis aux droits de consommation mentionnés au même I, le prix d’achat effectif défini au deuxième alinéa du I de l’article L. 442-5 du code de commerce est majoré d’un montant égal au produit d’un coefficient 0,1 par une valeur P, égale au prix d’achat effectif défini au même deuxième alinéa minoré du montant des droits de consommation mentionnés au I de l’article 403 du code général des impôts et du montant des cotisations prévues à l’article L. 245-7 du code de la sécurité sociale. »
3° (nouveau) Le premier alinéa du IV est ainsi modifié :
a) Après le mot : « consommateur », la fin est supprimée ;
b) Sont ajoutées trois phrases ainsi rédigées :
« Le rapport remis avant le 1er octobre 2022 analyse notamment l’usage qui a été fait par les distributeurs, depuis 2019, du surplus de chiffre d’affaires enregistré à la suite de la mise en œuvre du I du présent article et détaille la part de ce chiffre d’affaires supplémentaire qui s’est traduite par une revalorisation des prix convenus entre les distributeurs et leurs fournisseurs de produits alimentaires et de produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie et celle qui s’est traduite par une baisse des prix de vente à la consommation ou par un reversement au consommateur sous la forme de promotions ou de crédits récompensant leur fidélité. Il analyse la part de ce chiffre d’affaires supplémentaire qui s’est traduite, le cas échéant, par une diminution des prix de vente des produits alimentaires vendus sous marque de distributeur. Ce rapport précise également, le cas échéant, la part de l’augmentation de chiffre d’affaires enregistrée par les fournisseurs de produits alimentaires et de produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie qui a donné lieu à une revalorisation des prix d’achat des produits agricoles. »
Mme le président. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 45 rectifié quater est présenté par MM. Moga, Longeot, Guerriau et Duffourg, Mme Bonfanti-Dossat, MM. A. Marc, Cigolotti, Laménie et Kern, Mme Sollogoub, MM. Canévet, Détraigne, Hingray, Belin et S. Demilly, Mme Jacquemet, M. Le Nay, Mme Noël et MM. Chauvet, Bonhomme, Houpert et Levi.
L’amendement n° 110 rectifié bis est présenté par MM. Duplomb, J.M. Boyer et Cuypers, Mmes Chauvin et Puissat, MM. Daubresse, Bacchi, Decool et Burgoa, Mmes Muller-Bronn et Dumont, M. Chasseing, Mme Belrhiti, MM. H. Leroy, Pointereau, Bouchet, Sido, D. Laurent et Chatillon, Mme Malet, MM. Genet et Allizard, Mme Richer, M. Anglars, Mme Gruny, MM. B. Fournier, Rietmann, Tabarot et Somon, Mme Lassarade, M. Savary et Mme Deromedi.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par les mots :
et des produits mentionnés à la partie IX et à la partie XI de l’annexe 1 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) n° 922/72, (CEE), n° 234/79, (CE) n° 1037/2001 et (CE) n° 1234/2007 du Conseil
La parole est à M. Jean-Pierre Moga, pour présenter l’amendement n° 45 rectifié quater.
M. Jean-Pierre Moga. Le rapport d’information du 30 octobre 2019 de MM Daniel Gremillet, Michel Raison et de Mme Anne-Catherine Loisier rédigé au nom de la commission des affaires économiques du Sénat constatait que le relèvement du seuil de revente à perte, introduit dans la loi Égalim, a malheureusement produit des effets « pervers » pour certaines filières agricoles, notamment les producteurs de fruits et légumes frais.
Le rapport prend l’exemple de la fraise gariguette, pour laquelle, malgré la revalorisation du seuil de revente à perte de 10 %, le distributeur a souhaité maintenir son prix de vente au consommateur intégrant la revalorisation obligatoire de 10 %, conformément à la loi, tout en durcissant les négociations avec son fournisseur. Dès lors, la hausse du seuil de revente à perte (SRP) de 10 % s’est traduite, en l’espèce, par une baisse de 10 % du prix d’achat aux producteurs.
La loi Égalim vient alors, à rebours de son ambition initiale, d’une part, complexifier les relations commerciales et, d’autre part, provoquer un effet déflationniste.
Le présent amendement vise ainsi à mettre un terme à cet effet pervers qui pénalise les producteurs.
Mme le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour présenter l’amendement n° 110 rectifié bis.
M. Laurent Duplomb. Je ne comprendrais pas qu’on bute sur cet amendement. Si j’ai bien compris la logique de nos débats, on se dit que la loi Égalim 2 – ou bien la présente proposition de loi – est le moyen d’améliorer la loi Égalim 1, afin de favoriser le revenu des agriculteurs. Or cet amendement vise à traiter une imperfection de la loi Égalim 1, relevée dans le rapport que Daniel Gremillet, Michel Raison et Anne-Catherine Loisier ont rédigé. En effet, dès la loi Égalim 1, la revalorisation de 10 % du seuil de revente à perte s’est traduite, pour les agriculteurs producteurs de fraises, de tomates, de concombres et autres, par une baisse directe d’un même montant de leur rémunération.
Les coûts représentent quelque 16 à 20 millions d’euros pour la filière pomme ou encore plus de 8 millions d’euros pour la filière tomate grappe. Je peux citer de nombreux autres exemples.
Aussi, si vous n’êtes pas favorable à cet amendement, monsieur le ministre, alors je ne comprends rien à cette loi. En effet, si l’objectif de ce texte est d’améliorer le revenu des agriculteurs, il s’agit de commencer par éviter que l’ancienne loi ne les pénalise, ce qui est le cas.
En outre, cela leur permettrait de revenir à la situation antérieure qui, certes, n’améliorerait pas leur rémunération par rapport à la situation antérieure à la loi Égalim 1, mais l’améliorerait au regard des trois années qui se sont écoulées depuis son entrée en vigueur.
Cet amendement concerne uniquement les fruits et légumes frais, ainsi que les bananes. J’ai ajouté ces dernières, car, bien qu’elles soient un fruit comme les autres, elles ne figurent pas dans la même organisation commune des marchés agricoles (OCM), et passent au travers des mailles du filet.
Nous avons rattrapé cela, de façon être plus proches de la réalité de ceux qui vivent les imperfections, les incohérences et les fausses bonnes idées de la loi Égalim 1.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. La commission pense qu’il faut manier le SRP avec précaution, car nombre de filières pourraient souhaiter ensuite un traitement différencié. Il faut également attendre les conclusions du rapport que le Gouvernement remettra prochainement sur le sujet.
Le relèvement de 10 % du seuil de revente à perte a en effet eu d’importants effets de bord pour certaines filières, notamment celle des fruits et légumes frais, qui ont vu leur prix durement négocié par les distributeurs.
La commission s’en remet donc à la sagesse du Sénat sur ces deux amendements.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Julien Denormandie, ministre. C’est un débat difficile dont je tiens à saluer la qualité, à ce moment tardif de la soirée. Nos débats de ce soir sont incroyablement compliqués, on ne sait pas où se situe la vérité et nous essayons de trouver des équilibres, malgré les convictions et les intuitions de chacun. (M. Laurent Duplomb acquiesce.)
Il me semble que c’est la grandeur du débat démocratique que de construire la loi telle qu’on la construit ce soir. Je tenais à vous remercier pour cela.
Sur le volet du SRP, ma conviction est que vos amendements, messieurs les sénateurs, soulèvent de nombreuses questions. De deux choses l’une : soit l’on considère que le SRP ne fonctionne pas, et dans ce cas il faut y revenir ; soit l’on considère qu’il marche, et alors il faut aller au bout.
La difficulté de ces amendements est la suivante : pourquoi les fruits et légumes et pas la viande ?
M. Laurent Duplomb. Car ils sont à 80 % sous contrat !
M. Julien Denormandie, ministre. Vous préemptez les secteurs sur lesquels il n’y aura pas de contrat, tandis que l’article 1er n’évoque pas les fruits et les légumes frais, mais indique que les secteurs seront définis par décret. Ainsi, ce sera probablement le blé tendre, mais pas le blé dur, certains segments de viande et pas d’autres, etc.
S’agissant du SRP – plus précisément du relèvement de 10 % de son seuil –, j’ai deux convictions. La première est que je pense qu’il a déjà été intégré dans les prix actuels. Et si nous modifions cela, comme l’a dit Mme la rapporteure, pourquoi sur ce secteur et pas sur les autres ?
En outre, cela viendra renforcer la guerre des prix. Ceux qui bénéficient de ce relèvement le supprimeront ou l’abaisseront sans forcément payer davantage que le producteur.
Enfin, les assemblées ont voté l’extension de l’expérimentation du SRP il y a huit mois. Ce me semble de bonne politique que d’aller au bout de l’expérimentation et de voir s’il faut continuer ou non.
Je tiens à dire, en somme, que l’approche sectorielle me gêne, même s’il n’y a probablement pas de vérité absolue sur ces sujets, qui se prêtent à la discussion.
Le Gouvernement demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.
Mme le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour explication de vote.
M. Laurent Duplomb. Monsieur le ministre, je suis déçu.
Il ne s’agit pas d’une différence de traitement. La réalité est que vous faites une loi Égalim 2 sans avoir fait de rapport, et vous nous dites que, pour traiter le problème du relèvement du seuil du SRP, il faudrait aller au bout de l’expérimentation. Dans ce cas, pourquoi faire une loi Égalim 2 pour corriger les écarts ou les difficultés de la loi Égalim 1 ?
Mon amendement, lui, est factuel. Ce ne sont ni des carabistouilles ni des histoires. Vos services le savent : les acteurs du secteur des fruits et légumes frais disent depuis la première année de mise en place du relèvement de 10 % du seuil du SRP que cela ne s’est pas traduit, comme dans toutes les autres filières, par un manque de ruissellement, mais que cela a fait baisser de 10 % le prix des produits. C’est donc différent, par exemple, du secteur du lait dont le relèvement du seuil du SRP n’a pas fait bouger le prix.
L’application psychologique du prix est la suivante : lorsque le prix est à 0,99 euro le kilogramme, le distributeur demande une baisse de 10 % à son fournisseur quand il augmente le SRP de 10 %. C’est aussi simple que cela pour rester à 0,99 euro.
Ce n’est pas une invention de ma part ; je ne sors pas de mon chapeau de magicien les 16 à 20 millions d’euros sur les pommes et les 8 millions sur la tomate grappe. Ce sont des éléments factuels. Continuons de jouer à la politique de l’autruche, alors que depuis trois ans cette filière perd de l’argent, ce qui a obligatoirement des conséquences sur la rémunération des agriculteurs. Une année de plus et on mangera des pommes polonaises et des tomates d’Espagne !
Alors que vous parlez de la rémunération des agriculteurs et de corriger les imperfections de la loi Égalim 1, je n’arrive absolument pas à comprendre qu’on puisse, par principe et de façon dogmatique, refuser de toucher à ce secteur au risque de devoir faire la même chose aux autres.
À la différence du secteur que j’évoque, les autres secteurs ne se plaignent pas du relèvement de 10 % du seuil de SRP, qui n’a pas fait baisser le prix de leurs produits. C’est factuel.
Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 45 rectifié quater et 110 rectifié bis.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme le président. Mes chers collègues, nous avons examiné 95 amendements au cours de la journée ; il en reste 51.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
11
Ordre du jour
Mme le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 22 septembre 2021 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures quinze :
Suite de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à protéger la rémunération des agriculteurs (texte de la commission n° 829, 2020-2021) ;
Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels (texte de la commission n° 787, 2020-2021).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 22 septembre 2021, à zéro heure quarante.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER