M. Jean-Marc Boyer. Vous avez déjà exercé un mandat ?
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. Oui, de députée. (Exclamations ironiques sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
Les maires sont pleinement impliqués au sein des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) dont leur commune fait partie. Leur disponibilité est essentielle au bon fonctionnement de ces institutions.
Au-delà de ces considérations d’ordre technique, le maire représente dans une petite commune un point de référence, un interlocuteur du quotidien. Sa présence sur son territoire est essentielle pour assurer la continuité des services rendus par la commune à ses habitants, pour gérer les petites et grandes crises qui peuvent survenir à tout moment, pour assurer le lien fondamental avec les services de l’État présents sur le territoire. (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Brouhaha.)
M. Daniel Gremillet. Remboursé !
Mme la présidente. Mes chers collègues, il serait souhaitable que Mme la ministre déléguée puisse s’exprimer sans ce brouhaha incessant. Je sais que certains d’entre vous désapprouvent son propos, mais j’aimerais que chacun puisse intervenir dans le calme.
Veuillez poursuivre, madame la ministre.
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. Effectivement, madame la présidente, nous en sortirions tous grandis si ce débat était serein. (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) J’ai presque terminé mon propos, mesdames, messieurs les sénateurs : nous pourrons ensuite débattre du fond du texte.
Sur le plan juridique, le seuil de 10 000 habitants défini dans la proposition de loi organique peut être questionné.
Dans sa décision n° 2024-689 DC du 13 février 2014, le Conseil constitutionnel a rappelé le principe d’égalité devant la loi des règles applicables aux interdictions de cumul entre le mandat de parlementaire et des fonctions exécutives locales. Il a par ailleurs admis qu’il était loisible au législateur d’établir et d’appliquer une règle de non-cumul à partir d’un certain seuil de population, « à condition que le seuil retenu ne soit pas arbitraire ».
Or, dans le domaine électoral, le seuil de 10 000 habitants envisagé dans la proposition de loi organique est inédit et sans lien avec une quelconque autre disposition d’ordre électoral existante.
Vous l’avez rappelé dans votre propos, monsieur le rapporteur, la question du cumul des mandats est très complexe. Je me réjouis, malgré nos désaccords sur le sujet, que nous puissions avoir ce débat démocratique au sein de la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Masson, d’une motion n° 25.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi organique (n° 24, 2021-2022) favorisant l’implantation locale des parlementaires.
La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la motion.
M. Jean Louis Masson. Madame la ministre, je n’ai pas pour habitude de soutenir le Gouvernement, mais, sur ce dossier, je suis totalement d’accord avec la position que vous avez défendue. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) Mes chers collègues, je n’ai pas interrompu ceux qui sont intervenus pour les cumuls ; par correction, il faudrait peut-être laisser parler ceux qui sont contre.
À chaque fois qu’on parle de ce sujet, on peut être certain que les cumulards, ou ceux qui espèrent le devenir, vont se précipiter pour défendre le système ! (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) On l’a vu lors du vote de la loi organique sous le quinquennat de François Hollande.
Je voudrais dire – j’ai toujours défendu cette position, même quand j’étais député, voilà bien longtemps – que le cumul des mandats et son corollaire direct, l’absentéisme parlementaire, sont deux particularités bien françaises : deux particularités affligeantes qui nuisent au bon fonctionnement de la démocratie. (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Par le passé, les tentatives de limitation des cumuls se sont malheureusement heurtées à l’obstruction de ceux qui profitent et qui abusent du système. Le Premier ministre Édouard Balladur résumait parfaitement la situation en indiquant dans Le Figaro du 7 mai 2010 : « Il n’y a pas d’enthousiasme dans la classe politique, ni à droite ni à gauche, pour prohiber le cumul. Si on veut progresser, il ne faut pas se référer à la bonne volonté, il faut que la loi intervienne. » M. Balladur avait, je le crois, tout à fait raison !
Non sans mal, le président Hollande et son gouvernement sont cependant parvenus à faire voter la loi organique du 14 février 2014 interdisant le cumul de fonctions exécutives avec le mandat de parlementaire. C’est un point très positif à mettre à l’actif du bilan de M. Hollande ; comme il n’en a pas beaucoup, laissons-lui au moins celui-là !
Malheureusement, ceux qui ont conduit hier un combat d’arrière-garde contre la loi anti-cumul veulent aujourd’hui essayer d’ouvrir une brèche au profit des cumulards. Je le regrette profondément. Je pense qu’il faudrait au contraire aller beaucoup plus loin.
Ainsi, pour l’application de la limitation des cumuls de mandats, il convient aussi de prendre en compte le mandat de conseiller communautaire. Il est en effet anormal de comptabiliser un mandat de conseiller municipal de base dans une commune de quelques milliers d’habitants si on ne le fait pas pour un mandat de conseiller d’une communauté urbaine ou d’une métropole de plusieurs centaines de milliers d’habitants.
C’est d’autant plus vrai que la montée en puissance des intercommunalités confère aux élus communautaires des responsabilités considérablement plus importantes que celles des élus municipaux.
Un intervenant a évoqué précédemment le cumul horizontal. C’est un véritable problème, et il est injuste qu’il y ait de larges facilités de cumul pour les élus territoriaux et qu’il y en ait beaucoup moins pour les parlementaires.
À mon sens, la solution consiste non pas de permettre aux parlementaires de cumuler, mais au contraire à réduire les possibilités de cumul pour les élus territoriaux Il est honteux que l’on puisse être maire d’une grande ville de 200 000 ou 300 000 habitants, président d’une métropole et vice-président d’un conseil général ou d’un conseil régional. (Marques d’impatience sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) C’était sur ce point qu’il fallait agir ! Là, les cumulards essayent de dénaturer le débat pour recommencer à profiter du système, comme c’était le cas par le passé.
M. Laurent Lafon. C’est fini !
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Avis défavorable au regard des arguments que j’ai pu défendre précédemment.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. J’ai expliqué à la tribune pourquoi nous étions défavorables à la proposition de loi organique, mais j’ai également indiqué que la question présentait un intérêt particulier et qu’elle méritait un débat démocratique.
Nous sommes donc opposés à la motion, car nous souhaitons que les échanges sur le sujet puissent se poursuivre.
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 25, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi organique.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 4 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 245 |
Pour l’adoption | 1 |
Contre | 244 |
Le Sénat n’a pas adopté. (Rires et applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Nous passons à la discussion de la motion tendant au renvoi à la commission.
Demande de renvoi à la commission
Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Masson, d’une motion n° 26.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission la proposition de loi organique (n° 24, 2021-2022) favorisant l’implantation locale des parlementaires.
La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la motion.
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Encore !
M. Pierre Louault. C’est un cumulard ! (Sourires.)
M. Jean Louis Masson. Si les sénateurs non inscrits avaient autant de temps de parole que les sénateurs appartenant à un groupe, j’aurais disposé de dix minutes et je n’aurais pas été obligé de tronçonner mon intervention en deux fois trois minutes ! (Exclamations sur les travées du groupe UC.)
Un mandat de député ou de sénateur correspond à un travail à temps plein. Il en est de même, selon moi, pour une fonction de maire de ville moyenne, de 10 000 habitants par exemple, compte tenu de ses fonctions annexes ; je pense notamment à la participation aux intercommunalités.
Cependant, les élus qui souhaitent profiter du système sont aussi nombreux à droite qu’à gauche, comme je l’ai souligné. Je crois que c’est l’explication du combat faussement anodin engagé aujourd’hui au Sénat par ceux qui cherchent à rétablir progressivement les cumuls que nous avons connus par le passé.
Pour cela, tous les prétextes sont bons. Dans Le Figaro du 9 juillet 2012, un cumulard avait prétendu que les sénateurs ne cumulant pas leur mandat de parlementaire avec une fonction exécutive ne sont « que des élus hors sol coupés de la gestion quotidienne des collectivités ». Merci pour ceux qui, comme moi, refusent le principe du cumul avec une fonction exécutive !
En la matière, je fais ce que je dis, car à la suite de mon élection comme sénateur en 2001, j’avais démissionné de la fonction de vice-président du conseil régional, précisément pour ne pas conserver une fonction exécutive, alors qu’à l’époque, c’était encore possible !
Un autre sénateur a aussi prétendu dans la presse que faute de pouvoir cumuler des fonctions exécutives, les parlementaires étaient devenus des apparatchiks des appareils politiques. Depuis 2001, je suis élu sénateur sans jamais avoir eu le soutien d’un parti politique ! N’étant pas un apparatchik, je suis donc seulement un élu « hors sol » !
Il n’empêche que, lors des élections sénatoriales de 2011, j’ai largement devancé les deux autres listes de droite qui, elles, avaient une investiture et étaient conduites par des élus super-cumulards. Pour quelqu’un qui est hors sol, ce n’est pas mal !
Qui plus est, ma liste est même arrivée en tête en 2017 devant toutes les autres, que ce soit celle de LR ou celle du parti socialiste. C’est vraiment la preuve que quand on fait son travail correctement, on n’est pas obligatoirement un élu hors sol et qu’on n’a pas besoin d’être un super-cumulard, profiteur du système, pour bien connaître les problèmes des communes et s’y rendre ! C’est d’ailleurs ainsi que j’ai procédé : j’ai fait le tour de toutes les communes de Moselle, j’ai rendu visite aux maires et j’ai discuté avec eux, alors qu’en général, celui qui est aussi le maire d’une ville importante ne s’occupe que de sa commune, et pas des autres. C’est ce qui a souvent expliqué, dans de nombreux départements, le résultat des élections.
Mon exemple prouve donc qu’un simple conseiller municipal ou départemental peut bien connaître ses dossiers, à condition de faire l’effort de travailler. La vraie problématique est là.
Mme Éliane Assassi. On l’a assez entendu !
Mme la présidente. Mon cher collègue, votre temps de parole est épuisé.
M. Jean Louis Masson. Je reviendrai, madame la présidente !
Mme la présidente. Je n’en doute pas !
Y a-t-il un orateur contre la motion ?...
Quel est l’avis de la commission ?
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Il est vrai que le débat est passionnant et passionné, mais il serait tout de même bon de faire preuve de retenue dans les propos tenus à la tribune. Car à force de trop caricaturer et dénigrer, on finit par nous dénigrer nous-mêmes.
Mme Françoise Gatel. Absolument !
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Je ne sais pas ce que signifie la notion de « cumulard ». Comme je l’ai dit dans mon propos, il s’agit pour moi de complémentarité.
Monsieur Masson, nous pouvons avoir des désaccords, mais il faut s’exprimer avec retenue pour la qualité de nos débats et, surtout, pour l’image de notre institution.
Mme Françoise Gatel. Très bien !
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Avis défavorable. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. Je partage totalement le propos de M. le rapporteur. Vous le savez, le ministère de la ville est rattaché au ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Dans la fonction qui est la mienne, je ne peux pas rester sans réaction quand j’entends parler d’élus qui « profitent » du système.
Je ne connais pas d’élus qui profitent du système ; je connais des élus qui sont engagés pour l’intérêt général, des élus qui se retroussent les manches pour leur commune et leurs administrés. Je connais également les élus des assemblées, qu’il s’agisse de l’Assemblée nationale ou du Sénat, qui font la loi avec cet esprit qui anime chacune et chacun d’entre vous : œuvrer pour l’intérêt général et la construction de politiques publiques efficaces.
On peut effectivement avoir des désaccords, comme vient de le rappeler M. le rapporteur – je suis bien placée pour le savoir, puisque nous sommes opposés à cette proposition de loi organique –, mais il faut raison garder. Soyons vraiment à la hauteur des débats qui doivent être les nôtres ce soir et respectons chacune et chacun d’entre nous, ainsi que les élus qui agissent quotidiennement sur les territoires. Je tiens vraiment à leur rendre un hommage appuyé ce soir au sein de cette assemblée. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)
Mme Françoise Gatel. Très bien !
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 26, tendant au renvoi à la commission.
(La motion n’est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Françoise Gatel. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Marie-Pierre Richer applaudit également.)
Mme Françoise Gatel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens d’abord à remercier M. le rapporteur pour la qualité de son travail et de ses propositions sur ce sujet quelque peu difficile.
Je veux également saluer le président de mon groupe, Hervé Marseille, pour son initiative, qui peut apparaître aux yeux de certains comme une audace politiquement incorrecte, mais aux yeux de beaucoup de nos concitoyens comme une proposition pertinente et sage, car elle permettra de contribuer à l’efficacité de l’action publique.
La loi de 2014 sur le non-cumul des mandats est née, nous a-t-on dit, d’une volonté de « modernité », afin de mettre fin à une antique extravagance française.
Chacun connaît le poids des mots. Comme l’ont rappelé M. le rapporteur et Mme la ministre, celui de « cumul » est entaché de suspicion et de culpabilité. Il s’est diffusé comme un poison populiste et démagogique, extrapolant ce qui était plutôt une critique de l’addition des indemnités des élus.
En 2014, les promoteurs de l’interdiction du cumul avaient alors expliqué que ce dernier était la cause de la grave crise de confiance entre les citoyens et les élus. La loi nous guérirait de tous les maux et régénérerait la démocratie.
Où en sommes-nous sept ans plus tard ? La loi guérisseuse n’a rien guéri, eu égard à la constante augmentation du taux d’abstention à chaque élection.
La double fonction élective serait une aberration antique comparée à d’autres pays comme l’Allemagne. Dire cela, c’est nier les réalités et oublier que l’Allemagne est un pays fédéral quand la France est une République très centralisatrice, voire concentrée. C’est également oublier que, dans une petite collectivité, il est extrêmement difficile de freiner les injonctions d’une administration fort contraignante.
Les auteurs de la loi organique de 2014 expliquaient savamment qu’il était humainement impossible d’assumer en même temps une fonction d’exécutif local et une fonction élective nationale, considérant sans doute que les 35 heures étaient la norme du temps de travail des parlementaires.
Mais, curieusement, cette même loi a permis de cumuler l’exercice d’un mandat national et une activité professionnelle à plein temps. Tout aussi curieusement, elle a laissé la possibilité d’être maire d’une grande ville, président d’une métropole et président de nombreux syndicats. Cette règle de 2014 était somme toute fort partiale, oubliant qu’une fonction exécutive locale s’exerce en équipe, qu’un maire ou un président d’EPCI est un chef d’orchestre qui fixe le cadre, mais pratique la délégation et la responsabilisation de l’ensemble de son exécutif.
L’interdiction d’un double mandat aurait permis le renouvellement de la classe politique ? J’en doute. En fait, la loi a renforcé le pouvoir de partis politiques, qui ont, dès les élections municipales de 2014, favorisé l’implantation locale d’hommes et de femmes du sérail.
Cette interdiction aurait aussi renforcé la démocratie, nous disait-on. C’était oublier qu’un électeur reste toujours libre de son vote et du choix de son candidat et que, très souvent, des citoyens dont le maire était parlementaire le reconduisaient dans ses fonctions municipales, car ils trouvaient que son efficacité était renforcée et que cela servait la commune.
On nous dit que le parlementaire garde un lien avec le terrain et n’est en rien hors sol, puisqu’il peut toujours exercer un mandat délibératif de conseiller.
Mais, chers collègues, qui ici peut nous faire croire que la fréquentation assidue et fort louable des inaugurations suffit à conférer la connaissance de la gestion des collectivités ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Marques d’agacement sur les travées des groupes CRCE et SER.) Qui peut ici affirmer qu’un mandat délibératif est comparable à une fonction exécutive ? L’interdiction a-t-elle servi l’efficacité et l’intelligence de la loi et de l’action publique ? Je le dis clairement : non ! Car qui n’entend pas régulièrement nos concitoyens ou des élus dire que les lois sont trop souvent hors sol, sans doute généreuses dans l’idée, mais parfois impossibles à mettre en œuvre ? De nombreux sénateurs ont encore aujourd’hui une expérience exécutive, qui leur permet d’affûter, d’enrichir et de perfectionner des lois trop souvent dépourvues d’étude d’impact préalable.
Mes chers collègues, le groupe UC soutiendra avec forte conviction la présente proposition de loi organique, pas seulement parce qu’elle émane de son président, mais surtout parce qu’elle est pertinente. Elle est pertinente, parce qu’elle naît de l’évaluation des effets d’une loi censée restaurer la confiance dans la démocratie, mais qui n’a pas tenu ses promesses. Elle est pertinente, parce qu’elle est mesurée, acceptable et comprise par l’opinion publique, contrairement à ce que j’entends ici ou là.
Certains la trouvent inacceptable, alors que d’autres la trouvent trop restrictive. C’est sans doute la preuve qu’elle est extrêmement mesurée, parce qu’elle est justement calibrée, avec le recours à un seuil. Je ne suis pas fanatique des seuils, qui sont toujours frustrants, voire castrateurs. Mais ce seuil est nécessaire et satisfaisant, car il tire sagement les leçons des critiques faites aux élus, qui sont parfois justifiées, mais aussi savamment et démagogiquement amplifiées par les fervents apôtres du populisme.
Osons, par cette proposition de loi organique, réaffirmer la valeur de l’engagement des élus, qui sont les essentiels de la République et d’une démocratie où chaque citoyen peut, lui aussi, devenir librement un élu ! Affirmons clairement que, si les élus sont naturellement soumis aux lois de la République, nous refusons l’éternelle suspicion et le procès en culpabilité, ce poison du populisme et de la démagogie qui menace, bien au-delà de nos petites personnes, notre démocratie !
Nous regagnerons la confiance de nos concitoyens par l’efficacité de l’action publique. Cette proposition de loi organique y contribue, avec raison et sagesse.
Madame la ministre, je vous invite à porter au Président de la République, qui réfléchit à des nécessités d’évolution, cette excellente proposition du Sénat, qui doit aller au-delà d’un simple débat entre nous. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Roux.
M. Jean-Yves Roux. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis les lois de 1985, 2000 et 2014, les possibilités de cumul des mandats et des rémunérations des fonctions parlementaires ont été considérablement réduites.
Toutes ces lois répondaient à la même volonté sincère de moderniser et de moraliser la vie publique, en tous cas de la rendre plus transparente, afin de donner plus d’efficacité au mandat parlementaire.
L’objectif est-il atteint ? Les auteurs de la proposition de loi organique semblent répondre par la négative, puisqu’il est envisagé de revenir partiellement sur l’une des lois les plus emblématiques en la matière, la loi organique du 14 février 2014 interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur.
L’article 1er de la proposition de loi organique modifie ainsi l’article L.O. 141-1 du code électoral en rendant les mandats de député ou de sénateur compatibles avec les fonctions de maire, de maire d’arrondissement, de maire délégué et d’adjoint au maire pour les villes de moins de 10 000 habitants.
Il faut le souligner, ce nouvel article ne revient pas sur une éventuelle possibilité de cumul avec une fonction exécutive locale intercommunale ou au sein d’un syndicat mixte, pourtant elles aussi garantes d’une certaine « réalité des territoires », appelée de ses vœux par Hervé Marseille dans l’exposé des motifs.
Mes chers collègues, au RDSE, nous avons la proximité et l’efficacité territoriale chevillées au corps. À ce titre, nous sommes attachés au fait que les parlementaires, et a fortiori les sénateurs, puissent s’appuyer sur une expérience locale passée ou continuer de siéger dans des exécutifs locaux, dans des conseils municipaux, des syndicats mixtes, des EPCI pour nourrir leur travail, comme le permet le code électoral.
Toutefois, nous devons constater que, depuis sept ans, la fin du couple sénateur-maire ou député-maire est plutôt bien acceptée par nos concitoyens et qu’un retour en arrière dans un contexte d’abstention importante serait contre-productif.
Par ailleurs, le travail des maires, adjoints ou délégués de villes de moins de 10 000 habitants est très intense, d’autant plus que ces élus disposent en proportion d’une administration territoriale en moindre effectif pour épauler leur action.
L’article 2 de la proposition de loi organique initiale prévoyait que les sénateurs ou députés-maires ne bénéficient pas de rémunération pour leur mandat local. Je suis en accord avec sa suppression par la commission des lois. Je le sais bien, vous souhaitiez préciser que les sénateurs ou députés concernés ne tireraient aucun avantage financier d’une telle mesure. Je crains cependant que nous n’adressions un mauvais message à l’ensemble des élus dépositaires d’un mandat public, pour lesquels nous demandons une juste rémunération et la reconnaissance de leur travail.
Je terminerai en formulant deux remarques.
Rappelons d’abord que le paysage de la décentralisation a considérablement changé depuis 2014. La loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) a modifié les lieux d’exercice du pouvoir et de l’efficacité territoriale. Aujourd’hui, le cumul des mandats auquel nous assistons est horizontal et – il faut le dire – assez silencieux, puisqu’il concerne des désignations internes aux conseils municipaux, départementaux et exécutifs intercommunaux.
Il est temps aujourd’hui d’ouvrir la question de la régulation du cumul horizontal, car il existe aussi quelques cumuls de fonctions des plus chronophages.
Mes chers collègues, nous pouvons introduire davantage de transparence et d’équité dans ces multiples fonctions. Ne nous en privons pas.
Ma dernière remarque concerne l’expression de parlementaires ou d’élus « hors sol ». Est-il du ressort de la loi de décider qui est un élu ou un parlementaire « hors sol » ? N’est-ce pas au candidat de faire valoir sa parfaite connaissance du territoire, ses liens avec les élus et d’en faire un argument d’efficacité ? N’est-ce pas à l’électeur qu’il reviendra de se prononcer ?
Mme Françoise Gatel. Justement !
M. Jean-Yves Roux. C’est aussi cela la grandeur de la démocratie représentative.
Vous l’avez compris, les membres du groupe RDSE voteront majoritairement contre la présente proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Je voudrais tout d’abord faire une mise au point. Je n’ai jamais mis en cause le travail des maires. Ce que j’ai mis en cause, ce sont les parlementaires qui veulent cumuler leur mandat avec des fonctions exécutives. C’est ce cumul qui n’est pas normal !
Comme l’ensemble des collègues dans cet hémicycle, je suis tout à fait conscient de l’énorme travail des maires et, étant à leur contact, je me garderai bien de formuler un avis négatif à leur égard.
En revanche, j’ai formulé un avis extrêmement négatif contre ceux qui, à l’époque, étaient sénateur-maire ou député-maire et profitaient du système. Et je ne retire strictement rien de ce que j’ai dit !
Que cela fasse plaisir aux uns ou aux autres, je ne vois pas pourquoi certains pourraient accuser les parlementaires refusant le cumul d’être des élus hors sol sans que ces élus prétendument hors sol ne puissent pas dire ce qu’ils pensent aux cumulards ou à ceux qui aspirent à en devenir !
Je me réjouis que tous les intervenants dénoncent le cumul horizontal, car c’est effectivement un vrai scandale. Que des gens puissent cumuler un stock de fonctions et de mandats électifs locaux sans qu’il y ait de véritable limite, c’est un scandale ! J’ai donné l’exemple tout à l’heure de maires de très grandes villes également présidents de métropole, vice-président de grande région ou de grand département.
Dans ces conditions, au lieu d’une proposition de loi permettant aux parlementaires de cumuler, il aurait fallu faire une proposition de loi pour qu’à l’échelon territorial et local, des règles strictes s’appliquent à tous ces petits féodaux. La décentralisation a du bon, mais nous avons aussi créé des petits féodaux, qui cumulent de très grosses fonctions exécutives locales. Cela pose d’énormes problèmes. Il aurait fallu faire une proposition de loi pour limiter les cumuls horizontaux !
Aujourd’hui, nous examinons une proposition de loi qui sert d’abord les députés et les sénateurs. Vous me répondrez qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, mais je ne suis pas du tout d’accord avec cette logique-là !
Au lieu de régler le problème des cumuls horizontaux, sur lequel tout le monde est d’accord, il valait mieux se servir soi-même, en espérant devenir maire d’une ville de 10 000 habitants, siéger dans une intercommunalité, et revenir à l’état antérieur.