PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 21 et 22 octobre 2021
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 21 et 22 octobre 2021.
Dans le débat, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Clément Beaune, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Monsieur le président, messieurs les présidents de commission, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis ravi de vous retrouver – nuitamment ! – pour évoquer avec vous les sujets qui seront abordés lors du prochain Conseil européen, à la fin de ce mois, après le sommet extraordinaire et informel qui s’est tenu la semaine dernière en Slovénie.
Une fois de plus, l’ordre du jour promet d’être dense. Il comprendra des questions très variées, notamment de nature sanitaire : un point sera consacré à la pandémie et à la vaccination ; seront également abordés les projets d’avenir, avec le paquet santé, qui implique la création d’une agence européenne de santé – j’y reviendrai.
Les chefs d’État et de gouvernement réunis à cette occasion feront aussi le point sur les dossiers numériques. Dans ce domaine, ils aborderont des questions comme la sécurité, en particulier la protection contre les cyberattaques, et la régulation nécessaire au développement maîtrisé de ce secteur.
À ces deux thèmes s’ajouteront des enjeux d’actualité, comme l’évolution des prix de l’énergie, déjà abordée la semaine dernière à la demande de plusieurs pays, dont la France, et les questions migratoires.
Enfin, comme il est de coutume, les relations extérieures feront l’objet de discussions spécifiques. Le Conseil traitera, d’une part, du sommet Asie-Europe et, plus largement, de l’Indo-Pacifique, de l’autre, du partenariat oriental. Les prochaines conférences des parties (COP), à savoir la COP15 et la COP26, dédiées respectivement à la biodiversité et au climat, seront également abordées.
Tout d’abord, je dirai quelques mots du volet sanitaire, dont nous avons malheureusement déjà beaucoup parlé, les Conseils européens en ayant traité à de nombreuses reprises.
Tout en restant prudents, nous pouvons nous féliciter du travail accompli dans chacun de nos pays comme à l’échelle européenne : après d’âpres efforts, nous approchons du but fixé il y a plus d’un an et demi en étendant autant que possible nos campagnes de vaccination.
Malgré les variants, malgré les reprises de circulation du virus, nous assurons une protection efficace de nos populations grâce à cette arme qu’est le vaccin.
Dans l’intérêt des Européens eux-mêmes, le bouclier vaccinal doit être brandi non seulement en Europe, mais aussi dans le reste du monde.
Nous avons un chiffre en ligne de mire : nous souhaitons que 70 % de la population mondiale soit vaccinée d’ici à la fin de l’année 2022. En Europe, nous nous sommes donné cette cible dès cette année et nous allons l’atteindre. Nous devons maintenant étendre la protection vaccinale, conformément aux objectifs de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Or les pays les plus pauvres ne pourront pas y arriver sans notre aide. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, le 26 septembre dernier, le Président de la République a annoncé le doublement des dons de doses de vaccins par la France : ainsi, nous atteindrons cette année les 120 millions de doses.
Nous défendons les mêmes objectifs auprès de l’Union : le 15 septembre dernier, la présidente de la Commission européenne a elle-même annoncé 250 millions de dons de doses supplémentaires à l’échelle communautaire.
En parallèle, la reprise de la mobilité doit être synonyme de sécurité. À cette fin, l’Europe doit conserver et même renforcer sa coordination pour la rendre plus rigoureuse encore, qu’il s’agisse des règles de déplacement appliquées par les différents États membres ou des critères retenus pour se prémunir des risques de circulation ou de développement des nouveaux variants.
C’est là un préalable indispensable à la reconnaissance des passes sanitaires entre régions et pays du monde. Nous avons d’ores et déjà connecté le passe sanitaire européen à celui de divers pays voisins de l’Union, comme la Suisse et le Royaume-Uni.
Nous devons également nous projeter vers l’avenir en tirant les conséquences de cette pandémie : c’est l’objectif du « paquet santé », que je mentionnais en préambule et dont l’ambition doit être rehaussée. Il prévoit notamment la création d’une agence sanitaire européenne : l’autorité européenne de préparation et de réaction en cas d’urgence sanitaire (HERA).
Cette instance sera compétente en matière de recherche et de prévention des pandémies. Elle garantira la mutualisation de nos moyens, pour faire face aux pandémies qui ne manqueront pas de nous frapper à un moment ou un autre. Elle nous permettra de nous élever au niveau qu’ont su atteindre les Américains, en adaptant le modèle de l’agence Barda – Biomedical Advanced Research and Development Authority –, laquelle s’est révélée extrêmement utile dans la dernière phase de développement des vaccins.
J’en viens aux enjeux numériques. Ils constitueront l’une des priorités de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, qui commence dans très exactement quatre-vingt-dix jours. Dans ce domaine, nous devons forger une doctrine et un plan d’action européens.
Adapter notre modèle européen à l’ère du numérique signifie être capable à la fois d’innover et de réguler les grands acteurs du numérique, qui, dans nos économies et dans nos sociétés, occupent une place considérable, parfois même excessive.
Ce travail suppose un cadre de régulation européen fidèle à nos valeurs communes, lequel pourra servir de préalable, voire de modèle, à d’autres législations dans le monde : tel a précisément été le cas en matière de protection des données.
À cet égard, les deux projets législatifs relatifs aux services et marchés numériques – le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA) – joueront un rôle central. Proposés par la Commission européenne il y a quelques mois, ils feront l’objet, je l’espère, d’un accord au sein du Conseil sous la présidence française de l’Union européenne (PFUE) : nous nous battrons en ce sens.
Le Conseil européen nous permettra de consacrer un point d’étape aux grandes régulations numériques, comme à d’autres dossiers que nous devons ouvrir. Je pense non seulement aux transferts de données, mais aussi à l’intelligence artificielle, pour laquelle nous devons également définir un cadre européen, à l’identité numérique, aux questions d’itinérance et de frais associés.
La transition numérique passe par d’autres domaines encore, dans lesquels nous devons développer les capacités européennes : je pense à nos technologies, à nos infrastructures, aux ressources humaines, à l’éducation et à la nouvelle grammaire numérique.
C’est le sens de ce que l’on appelle la boussole numérique pour 2030, dévoilée au mois de mars dernier et défendue, notamment, par le commissaire européen français Thierry Breton.
Le numérique, ce sont aussi un certain nombre de nouvelles menaces infligées à notre sécurité. Notre politique européenne du numérique et de la sécurité ne peut ignorer ni la régulation du cyberespace ni la lutte contre les cyberattaques.
Nous devrons développer un dispositif de gestion de crise et mettre en commun nos compétences pour disposer d’une capacité européenne commune et sans doute, à terme, d’une véritable agence. Nous y reviendrons également lors de la présidence française de l’Union européenne. Il s’agirait là d’un progrès considérable : le Président de la République a déjà eu l’occasion de soumettre ce projet à nos partenaires baltes lors de son déplacement en Lettonie et en Lituanie, en septembre 2020.
En tête des questions d’actualité inscrites à l’ordre du jour du Conseil figurent les prix de l’énergie, sujet abordé rapidement lors du sommet informel de la semaine dernière.
La hausse des prix de l’énergie met au jour la dépendance européenne aux énergies fossiles. Mais, dans cette crise, nous devons le dire haut et fort, la France est en meilleure posture que la plupart de ses partenaires européens : c’est le fruit de nos choix d’indépendance énergétique, gages de notre souveraineté, fondés notamment sur l’énergie nucléaire.
Nous devons évidemment nous préoccuper de l’avenir de notre modèle énergétique, qui nous impose de mener plusieurs combats européens, entre autres celui de la taxonomie. Il s’agit plus précisément de la définition des investissements contribuant à la transition écologique : nous devons pouvoir y inclure l’énergie nucléaire. (M. Jean-Raymond Hugonet acquiesce.)
En outre, comme l’ont indiqué les ministres de l’économie et de l’énergie, nous devons réfléchir aux règles de fonctionnement de notre marché unique, dont la préservation est un impératif. Il représente un véritable atout pour l’interconnexion et la sécurité d’approvisionnement, y compris pour la France, mais, j’y insiste, les règles de fixation des prix devront être revues.
Cela étant, à court terme, la réponse aux problèmes de l’heure ne réside pas là, qu’il s’agisse de la protection de notre marché ou du pouvoir d’achat de nos concitoyens.
C’est pourquoi nous avons pris un certain nombre de mesures d’urgence à l’échelle nationale. Le Premier ministre les a détaillées : il s’agit de la réglementation du prix du gaz et de l’électricité, que d’autres pays européens mettent d’ailleurs en œuvre sous des modalités différentes.
Pas plus tard qu’hier, la Commission européenne a proposé d’accompagner ces mesures. Elles ont vocation à se développer à court terme. Néanmoins, elles ne doivent nous empêcher de réfléchir aux règles de fonctionnement générales du marché, bien au contraire.
Plus largement, nous devons nous pencher sur le paquet Fit for 55, qui doit nous permettre de mener la transition vers une baisse de 55 % au moins des émissions de gaz à effet de serre en 2030. L’objectif est d’accélérer la transition énergétique, la réduction de notre dépendance aux énergies fossiles et la baisse de nos consommations d’énergie.
C’est cette stratégie de décarbonation européenne que nous devons développer, avec deux dispositifs d’accompagnement principaux.
Le premier, mis en œuvre au sein de l’Union européenne, est un fonds d’accompagnement social. En effet, l’augmentation des prix de l’énergie est appelée à durer. Or cette transition ne peut être acceptée et juste que si les ménages les plus modestes bénéficient d’un soutien financier spécifique.
Le second se déploiera à l’extérieur de nos frontières. Nous en avons déjà parlé devant la Haute Assemblée : pour les Européens, il serait inacceptable de fixer des objectifs climatiques ambitieux, comme nous le faisons, sans demander des efforts similaires à ceux qui vendent leurs produits sur notre marché unique.
M. Daniel Gremillet. Eh oui !
M. Clément Beaune, secrétaire d’État. Ainsi, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Europe sera également l’un des objets essentiels de discussion de la PFUE.
C’est à ces deux conditions seulement que nous pouvons concevoir une transition écologique ambitieuse.
J’en viens au sujet des migrations. La question des migrations externes fera l’objet de discussions particulières. Nous devons encore accroître nos efforts pour déployer, progressivement, une politique européenne commune en matière d’asile et de migrations.
Le contexte international, marqué par la récente crise afghane, nous presse encore davantage d’avancer sur ce chantier. Nous savons combien il est difficile, mais la protection des frontières extérieures et le financement en matière d’aide au développement sont des sujets essentiels.
L’instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale, l’outil NDICI, déployé à l’échelle européenne, doit nous permettre de mieux nous armer pour défendre nos frontières et traiter les phénomènes migratoires à la racine, par une politique de développement européenne.
On ne le sait que trop peu : quand on additionne les crédits des programmes européens et des programmes nationaux des différents États membres, dont la France, on constate que l’Union européenne est aujourd’hui le premier fournisseur d’aide au développement à travers le monde.
Je l’ai déjà indiqué, lors de ce sommet, les débats relatifs aux questions extérieures seront dominés par la préparation de plusieurs rendez-vous, qui se succéderont jusqu’à la fin de l’année, à commencer par le sommet du dialogue Asie-Europe, qui se tiendra les 25 et 26 novembre prochains.
Nous avons tous à l’esprit le contexte pour le moins délicat lié à l’alliance Aukus (Australia-United Kingdom-United States) et nous savons que la question de l’Indo-Pacifique sera centrale lors de ce sommet. Or la France avait été la première à demander que l’Union européenne se dote d’une stratégie indo-pacifique. Présentée en septembre dernier, cette dernière fera l’objet d’une première discussion.
À l’occasion de ce sommet européen, nous plaiderons en faveur d’un endossement de la stratégie européenne dans l’Indo-Pacifique couvrant tous les domaines : militaires, commerciaux et technologiques. Nous espérons que les conclusions du Conseil en offriront la traduction.
Une autre échéance importante se profile : le sixième sommet du partenariat oriental, prévu le 15 décembre prochain à Bruxelles.
Ce sommet arrive après quatre années de report, dans un contexte difficile marqué à la fois par la pandémie, par la situation de la Biélorussie et par le dramatique conflit survenu entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan à l’automne 2020.
Il sera l’occasion d’envoyer un signal clair à nos partenaires orientaux, en soulignant que l’Union européenne reste pleinement engagée dans la région et que le partenariat oriental demeure essentiel, mais qu’il ne faut pas le confondre avec une politique d’élargissement, car cela reviendrait à en changer la nature pour les trois pays associés.
À l’inverse, il faut conserver un format de coopération ad hoc en tirant toutes les conséquences des terribles dérives biélorusses. De fait, la Biélorussie ne saurait participer davantage à ce partenariat.
Bien entendu, la COP15 et la COP26 seront, elles aussi, des échéances internationales majeures de la fin du second semestre 2021. Dans ce domaine également, l’engagement européen est essentiel.
La COP26 sur le climat se tiendra à Glasgow du 31 octobre au 12 novembre prochain : organisée finalement sous un format hybride, la COP15 sur la biodiversité se tient à Kunming, en Chine. Elle s’est ouverte le 11 octobre et s’achèvera le 15 octobre prochain.
Conformément aux accords de Paris, d’ici à la fin de l’année, chacune des 191 parties devra remettre sa contribution nationale, ou européenne, pour ce qui nous concerne, ainsi qu’une stratégie de long terme.
Malheureusement, le 14 septembre dernier, lors du dernier pointage, seuls 116 pays, représentant à peine plus de 50 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, avaient rehaussé leurs engagements et fourni une nouvelle contribution ; bien sûr, les États de l’Union européenne en font partie.
À cette occasion, nous devrons préciser certaines règles des accords de Paris, qui doivent être agréées par les différentes parties, et redoubler d’efforts pour atteindre la cible de 100 milliards de dollars par an en faveur du climat ; c’était un des engagements financiers essentiels des accords de Paris, et il n’est pas atteint aujourd’hui.
Sur toutes ces questions, les ministres de l’environnement de l’Union européenne ont adopté, le 6 octobre dernier, le mandat le plus ambitieux possible pour cette COP. Il permettra à l’Union européenne d’œuvrer activement au succès des négociations, ce qu’elle n’a cessé de faire depuis les accords de Paris.
En matière de biodiversité, la France souhaite également la définition d’un cadre ambitieux, reposant sur des objectifs chiffrés pour la protection de la planète, la restauration des écosystèmes et l’utilisation durable des ressources naturelles.
De surcroît, une échéance précise doit être fixée, celle de 2030, pour définir notre stratégie de biodiversité européenne et mondiale. L’efficacité de ce dispositif exigera elle aussi la mobilisation de ressources financières et un mécanisme de suivi efficace.
Mesdames, messieurs les sénateurs, tels sont les principaux sujets figurant à l’ordre du jour du prochain Conseil européen. L’actualité nationale et internationale pourrait conduire à étoffer encore le volet externe de cette rencontre.
Après un dernier sommet sous présidence slovène, en décembre prochain, viendra, comme vous le savez, une échéance importante pour nous tous : c’est à la France qu’il reviendra de présider, non pas le Conseil européen, mais le Conseil de l’Union européenne, et de définir les prochains sujets de discussion, notamment en matière de défense et de sécurité, en vue du sommet de mars 2022. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Colette Mélot applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Cédric Perrin, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans un contexte marqué par la dégradation globale de notre environnement stratégique, le prochain Conseil européen revêt évidemment une importance particulière.
Le retrait brutal des États-Unis d’Afghanistan et la volte-face de l’Australie au profit du partenariat Aukus nous imposent de réévaluer la place de l’Europe dans l’Alliance atlantique. Les intrusions toujours plus nombreuses et démonstratives de l’aviation chinoise dans l’espace aérien de Taïwan confirment, en parallèle, la montée des périls dans cette région.
Ce contexte particulièrement instable nous conduit à formuler deux remarques et à poser une question majeure.
Premièrement, au sujet de la nouvelle relation euro-britannique, ce Conseil européen donnera au chef de l’État l’occasion de réaffirmer notre détermination à faire respecter scrupuleusement les termes de l’accord signé avec les Britanniques à la fin de l’année 2020.
Le Gouvernement peut compter sur les commissions des affaires étrangères et des affaires européennes du Sénat pour assurer un suivi attentif et exigeant. (M. le président de la commission des affaires européennes le confirme.)
Dans le même temps, en dépit de leur récente attitude et sans rien céder de ce qui a été négocié par les 27, la France doit être en mesure de poursuivre le dialogue avec les Britanniques sur un certain nombre de sujets bilatéraux. Nous pensons notamment à notre coopération en matière de défense, en particulier au développement en commun de missiles de nouvelle génération.
Monsieur le secrétaire d’État, nous nous réjouissons de votre réaction vigoureuse face à la décision du gouvernement britannique et de Jersey de rejeter, sur des bases arbitraires, les demandes de licences de bateaux français pourtant habitués à pêcher dans cette zone.
Toutefois, alors que la Commission semble concentrer ses efforts sur d’autres priorités, pouvez-vous nous assurer que la France sera en mesure de mobiliser ses partenaires européens pour faire respecter les termes de l’accord ? (M. Alain Richard manifeste sa circonspection.) Il y va de la solidarité entre les États membres et de la crédibilité des institutions communautaires.
Deuxièmement, cette réunion du Conseil européen doit permettre à la France d’influer activement sur l’élaboration de la boussole stratégique de l’Union, sorte de livre blanc stratégique de l’Europe.
L’adoption définitive de ce document fait partie des chantiers prioritaires de la France dans le cadre de sa présidence du Conseil de l’Union. À ce titre, nous devons nous garder de deux écueils.
Tout d’abord, nous devons affirmer la spécificité de l’Union européenne avec force, en assumant le fait que, en dépit de sa relation historique avec les États-Unis, l’Europe a des intérêts propres à défendre, par exemple en Turquie et dans la zone indo-pacifique.
Le calendrier d’adoption de la boussole stratégique est un enjeu majeur. Si l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) est en train d’actualiser son propre concept stratégique, ce processus ne doit pas interférer avec celui de la boussole stratégique.
Monsieur le secrétaire d’État, quels gages pouvez-vous nous donner de votre détermination à faire en sorte que les pays de l’Union mènent ces deux exercices en parfaite indépendance, pour éviter tout risque de subordination de la boussole stratégique européenne aux priorités de l’Alliance atlantique ?
Ensuite, nous devons convaincre nos partenaires européens que la boussole stratégique ne saurait avoir pour objet ou pour effet d’imposer une vision exclusivement française de ce que doit être la défense de notre continent. En parallèle, nous devons les convaincre de l’importance d’une véritable autonomie stratégique. À cette fin, nous devons dialoguer plus et affirmer moins.
M. Alain Richard. Très bien !
M. Cédric Perrin, vice-président de la commission des affaires étrangères. Troisièmement, et enfin, je me dois de vous poser cette question majeure : comment parler de nos objectifs stratégiques et comment souligner la nécessité de faire face aux menaces sans aborder le dossier proprement scandaleux – je pèse mes mots – de l’application de la directive européenne sur le temps de travail aux armées ?
Le président du Sénat, le président Cambon et moi-même avons appelé l’attention du Président de la République sur ce dossier à de multiples reprises, dès le mois de février dernier.
Comme vous le savez, une nouvelle affaire est pendante devant le Conseil d’État, à la suite d’un recours introduit par un gendarme. On nous dit que, dans cette affaire, la France pourrait renoncer à invoquer l’incompétence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
Or, ici même, dans cet hémicycle, la ministre des armées a promis de tout faire pour empêcher l’application de cette jurisprudence à l’armée française…
Aussi, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous aujourd’hui démentir ce bruit ? Pouvez-vous confirmer au Sénat que tout sera mis en œuvre pour faire respecter le droit, pour défendre la position française en invoquant l’incompétence de la CJUE dans ce dossier ?
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Cédric Perrin, vice-président de la commission des affaires étrangères. N’oublions pas que la spécificité du modèle d’armée français est gravement menacée par cette décision des juges de Bruxelles ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la réunion du Conseil européen des 21 et 22 octobre prochains abordera la préparation de deux sommets très importants pour notre avenir commun : la COP26, relative au changement climatique, et la COP15, relative à la biodiversité.
Le suivi de ces négociations internationales environnementales est une priorité pour la commission que j’ai l’honneur de présider, tout comme pour notre groupe de travail dédié à ces sujets.
Je commencerai par la COP26, qui se déroulera à Glasgow du 1er au 12 novembre 2021 – la pandémie de covid-19 lui a infligé un report d’un an.
Nous avons eu l’occasion de le rappeler à M. Stéphane Crouzat, ambassadeur pour le climat de notre pays, que nous avons entendu il y a quelques heures : la COP26 sera la conférence environnementale la plus lourde d’enjeux depuis l’adoption de l’accord de Paris. Nous formons le vœu que la France et l’Union européenne continuent, à cette occasion, d’être des moteurs de la négociation climatique internationale, comme ils l’ont été il y a six ans, lors de l’adoption des accords de Paris à l’issue de la COP21.
C’est le sens d’une proposition de résolution déposée par mon collègue Didier Mandelli, que j’ai cosignée avec le président du groupe de travail sur les négociations internationales environnementales, Ronan Dantec. Ce texte sera discuté dans notre hémicycle le 2 novembre prochain, pour devenir, je l’espère, résolution du Sénat.
Cette proposition de résolution formule plusieurs orientations : on ne peut que souhaiter que nos partenaires européens les fassent leurs.
Afin de s’assurer que chaque État respecte les engagements souscrits auprès des Nations unies, nous jugeons nécessaire qu’un cadre de transparence robuste soit établi. Sans cette garantie de réciprocité dans l’application de l’accord, l’édifice créé à Paris ne tiendra pas.
En outre, nous rappelons qu’il est impératif d’atteindre, de la part des pays développés, une mobilisation de 100 milliards de dollars par an en faveur des pays en développement. Dans le même temps, nous souhaitons que la part de ces fonds consacrée à l’adaptation soit augmentée, pour atteindre au moins 50 % des fonds publics et privés mobilisés.
Nous souhaitons par ailleurs que les États parties à la COP se saisissent de l’article 7 de l’accord, en se fixant un objectif mondial en matière d’adaptation symboliquement égal aux objectifs en matière d’atténuation.
Voilà quelques-unes des orientations que nous aimerions que la France et l’Europe suivent dans le cadre de ces négociations. Nous aurons de nouveau l’occasion d’en parler lors des débats sur la résolution, le 2 novembre prochain.
Je tiens à évoquer également la COP15, qui a commencé en Chine et qui est consacrée aux négociations sur le futur cadre mondial de la biodiversité.
La première séquence protocolaire a commencé ce lundi et se terminera vendredi prochain, sur place, mais également en ligne. La seconde partie de la conférence réunira les acteurs du 25 avril au 8 mai prochain, à condition qu’il n’y ait pas un énième report. La pandémie a en effet interféré avec le calendrier et la manière dont les négociateurs mènent leurs travaux.
Tout comme le climat, la biodiversité fait face à une crise d’une ampleur inégalée : certains États, dont la France, ont présenté des objectifs ambitieux en faveur des écosystèmes, avec la mise sous protection de 30 % du territoire, dont 10 % sous protection forte, objectifs que nous avons d’ailleurs inscrits dernièrement dans la loi Climat et résilience.
Il importe désormais que cette ambition puisse être partagée à l’échelle mondiale, avec des objectifs de couverture similaires. Il serait alors nécessaire de veiller à l’effectivité des protections mises en œuvre, mais aussi d’accompagner les efforts des pays en développement.
Nous parlons ici du cadre mondial pour la décennie à venir, qui, comme chacun le sait, est décisive. L’urgence d’agir est rappelée par l’ensemble de la communauté scientifique.
Plusieurs leviers d’action doivent être mobilisés : je citerai notamment la réforme des financements néfastes à la biodiversité, la mobilisation des outils de la finance durable, l’évaluation des mesures mises en œuvre tout au long de leur déploiement pour pouvoir « corriger les tirs » inefficaces, la mobilisation de l’aide publique au développement pour promouvoir des enjeux de préservation et de restauration de la biodiversité.
Le congrès mondial de la nature, qui s’est tenu à Marseille, et auquel une délégation de notre commission a participé, a permis d’explorer des pistes intéressantes et de trouver des points de convergence entre États. Il convient désormais de leur donner une épaisseur politique et de décliner les actions au niveau de chaque État.
Monsieur le secrétaire d’État, j’invite le Gouvernement à se saisir de ces enjeux majeurs, afin que l’Union européenne devienne une force motrice et fixe les caps ambitieux que la crise nous conduit à suivre. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)