M. Jean-Pierre Sueur. Elle était excellente !
M. Jean-Claude Requier. L’outil de contrôle était donné à tous les membres de l’Assemblée nationale et du Sénat à titre individuel.
Les travaux de la commission des lois, particulièrement ceux de sa rapporteure Maryse Carrère – je salue la très grande qualité de son travail –, sont venus restreindre le dispositif aux présidents des commissions permanentes.
M. Jean-Pierre Sueur. Hélas !
M. Jean-Claude Requier. Monsieur Sueur, nous examinerons les amendements un peu plus tard…
Notre première intention était de ne pas opérer de distinction entre chacun des membres du Parlement et, ainsi, de ne fermer la voie à personne.
Toutefois, j’entends les difficultés que cela pourrait poser, notamment le risque d’un engorgement de nos juridictions qui pourraient voir quelques députés ou sénateurs sourcilleux et trop zélés abuser de ce recours. (Sourires.)
Comme Platon, je veux bien faire preuve d’un peu de tempérance et discipliner – dans cet hémicycle du moins ! – mes désirs et mes passions ! (Nouveaux sourires.)
Pourquoi ne pas limiter le droit de recours à certains membres des assemblées ? Il reste néanmoins à trouver la mesure de cette limite. Faut-il réduire cette possibilité aux présidents des commissions permanentes ou l’étendre jusqu’aux présidents de groupe ?
Mme Nathalie Goulet. Il faut aller jusqu’aux présidents de groupe !
M. Jean-Claude Requier. Il y a là un véritable débat, que nos échanges permettront d’éclairer.
Quoi qu’il en soit, j’ai l’espoir que cette proposition de loi soit adoptée par notre assemblée et, le cas échéant, que la navette parlementaire aboutisse. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Maryse Carrère, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons tous ici connu la satisfaction de voir adopté un amendement auquel nous tenions particulièrement. Dans le même temps, combien d’entre nous se sont désespérés d’attendre la publication des règlements d’application nécessaires à son entrée en vigueur ?
C’est notamment contre cette situation frustrante que la proposition de loi déposée par Jean-Claude Requier tend à lutter.
Si, en vertu de l’article 24 de la Constitution, le Parlement « contrôle l’action du Gouvernement », aucun mécanisme ad hoc de nature constitutionnelle ou législative ne lui permet d’obtenir du Gouvernement la publication d’instruments d’application manquants. En effet, aucune règle ne fixe le délai maximum dont dispose le Gouvernement pour prendre ces décrets.
Face à cette absence de mécanisme institutionnel, le Sénat a choisi d’offrir un traitement politique à la question de l’application des lois, en publiant depuis 1972 un bilan annuel, ainsi que certains bilans exceptionnels, et en organisant des débats en séance publique dédiés à cette question, débats auxquels vous participez, monsieur le ministre.
Il faut le reconnaître, les bilans d’application récents témoignent de taux d’application globalement satisfaisants, qui s’expliquent notamment par un réel travail de suivi de la part du Secrétariat général du Gouvernement, ce qu’il convient de saluer.
Aujourd’hui, il ne nous est pas possible d’affirmer que le Gouvernement utilise le veto implicite qui lui est offert par la Constitution, puisqu’il s’efforce, au contraire, de veiller à la publication des décrets d’application dans le délai indicatif de six mois qu’il s’est fixé par circulaire.
Toutefois, malgré ces efforts, certains règlements manquent à l’appel et les parlementaires se trouvent désarmés pour réclamer leur publication. L’absence de mécanisme institutionnel permettant au Parlement d’obtenir la publication d’instruments d’application manquants est d’autant plus frustrante que le juge administratif a reconnu cette faculté aux justiciables sous certaines conditions.
Ainsi, le Conseil d’État considère, depuis 1964 et sa décision Dame Veuve Renard, que l’absence de publication d’instruments d’application dans un délai raisonnable constitue la méconnaissance d’une obligation permettant d’engager la responsabilité de l’État.
Le Conseil d’État a également jugé illégal le refus du Premier ministre de prendre un décret d’application nécessaire à l’entrée en vigueur d’une loi.
Alors que ce recours se montre efficace, le juge administratif s’est toujours montré frileux à l’ouvrir aux parlementaires, considérant qu’ils ne disposaient pas d’un intérêt à agir suffisant. Dans certains cas, il a contourné le problème, en se fondant sur une autre qualité du requérant-parlementaire pour ouvrir le recours. Dans d’autres cas, il a évité le problème, en rejetant la requête au fond sans se prononcer sur sa recevabilité.
En 2011, à l’occasion d’une saisine de notre collègue Jean Louis Masson, le Conseil d’État a abandonné cette stratégie, en indiquant clairement son refus de reconnaître à un parlementaire un intérêt à agir en cette seule qualité.
Cette jurisprudence regrettable pour nos assemblées a été dénoncée par le président du Sénat, Gérard Larcher, qui a récemment défendu la nécessité de « réfléchir à une procédure […] qui permette au Parlement de saisir le juge administratif, lorsqu’un décret d’application manque à l’appel ».
La proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise tend précisément à répondre à cet objectif et reprend la rédaction proposée par Jean-René Lecerf, rapporteur au nom de la commission des lois d’une précédente proposition de loi ayant le même objet, émanant également du groupe RDSE et examinée au début de l’année 2011.
Ainsi, son article unique tend à modifier l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires afin de créer une présomption irréfragable d’intérêt à agir au bénéfice des membres de l’Assemblée nationale et du Sénat pour introduire un recours pour excès de pouvoir contre les actes ayant principalement fait l’objet de recours dans les affaires introduites par des parlementaires devant le juge administratif.
Le premier cas vise le refus du Premier ministre de prendre dans un délai raisonnable les mesures réglementaires d’application d’une disposition législative.
Cette proposition de loi tend également à reconnaître aux parlementaires un intérêt à agir pour introduire un recours pour excès de pouvoir contre une ordonnance prise sur le fondement de l’article 38 de la Constitution, qui méconnaîtrait le champ d’habilitation fixé par le législateur.
Enfin, la proposition de loi tend à reconnaître un tel intérêt à agir pour contester « un acte réglementaire autorisant la ratification ou l’approbation d’un traité, lorsque le moyen unique soulevé est tiré de ce que cette autorisation aurait dû être accordée par la loi en vertu de l’article 53 de la Constitution ».
La première préoccupation de la commission des lois a été de vérifier la constitutionnalité du dispositif proposé. En ce sens, les travaux que j’ai conduits ont été rassurants.
En ce qui concerne une éventuelle violation du principe de séparation des pouvoirs, rappelons-nous que certains mécanismes de contrôle de l’action du Gouvernement sont prévus par la loi ordinaire, sans base constitutionnelle.
Il convient également de constater que cette proposition de loi ne crée pas de nouveaux recours, mais aménage un recours existant, déjà largement ouvert par le juge.
Certaines dispositions existantes créent d’ailleurs des présomptions légales d’intérêt à agir en faveur des membres du Gouvernement.
En outre, le recours pour excès de pouvoir est, en lui-même, un instrument de régulation des relations entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, puisqu’il permet d’apprécier la légalité des règlements et de faire concrètement respecter la hiérarchie des normes.
Par ailleurs, je souhaite rappeler que certaines lois ou décisions juridictionnelles ont incidemment modifié les relations entre le juge administratif et les pouvoirs exécutif ou législatif sans que la constitutionnalité de ces dispositifs ait été remise en cause. L’exemple le plus marquant est la loi du 8 février 1995, qui offre un droit d’injonction au juge administratif à l’encontre du pouvoir réglementaire.
Aussi, la commission des lois a adopté le dispositif proposé après avoir l’avoir modifié en trois points.
La modification la plus importante a limité le champ de l’intérêt à agir aux seuls présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, ainsi qu’aux présidents de leurs commissions permanentes.
Il convient, en effet, de privilégier en la matière un droit d’agir « institutionnel », permettant au Sénat, en tant qu’institution, de faire assurer le respect de la volonté du législateur par le pouvoir réglementaire. L’ouverture d’un intérêt à agir limité à ces organes est, de surcroît, cohérente avec le règlement du Sénat, qui confie aux commissions permanentes le suivi de l’application des lois.
La deuxième modification tend à permettre un recours contre tout refus de prendre une mesure réglementaire d’application, et non plus contre les seuls refus du Premier ministre. Cette précision permettra notamment les recours contre les refus de prendre des arrêtés ministériels.
Enfin, nous avons choisi d’ouvrir les recours contre une ordonnance dès lors qu’un des moyens soulevés porte sur le non-respect du champ de l’habilitation donnée par le Parlement, et non plus seulement lorsqu’il s’agit de l’unique moyen soulevé. Élargir le champ des moyens pouvant motiver la saisine réduira les cas dans lesquels le recours ultérieur d’une tierce personne sera nécessaire pour purger une ordonnance de l’ensemble de ses griefs.
La commission des lois vous propose donc d’examiner un texte enrichi par ses apports. Son adoption pourra réellement faire bouger les choses en matière d’application des lois. Aussi, je vous invite à l’adopter le plus largement possible. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et SER.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Monsieur le président, monsieur le président Requier, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi présentée aujourd’hui par le groupe du RDSE nous donne l’occasion de débattre de nouveau de la question de la bonne application des lois, à laquelle je sais le Sénat légitimement fort attaché.
En cette matière, la Haute Assemblée effectue un travail minutieux et particulièrement utile en publiant, depuis 1972, un rapport annuel sur le bilan de l’application des lois, auquel s’ajoute désormais le bilan du recours aux ordonnances, rapport qui fait l’objet d’un débat en séance publique. J’ai eu l’honneur d’y participer depuis 2019. Ce mécanisme de contrôle par le Parlement de l’action du Gouvernement permet aux sénateurs, tout autant que le contrôle régulier assuré par les commissions permanentes, de signaler certains décrets manquants et d’accélérer leur publication pour assurer la bonne application des lois votées – j’en suis souvent le témoin.
Cette proposition de loi s’inscrit également dans la continuité du débat qui s’est tenu au Sénat en 2011, sur l’initiative de votre ancien collègue, M. Yvon Collin, alors président du groupe du RDSE, et en présence de mon prédécesseur, M. Patrick Ollier. Les échanges de qualité qui eurent lieu, sur un texte proche, avaient néanmoins conduit au rejet de cette initiative sénatoriale.
La discussion du texte qui vous est soumis aujourd’hui, dans sa version adoptée par la commission, tend à ajouter à ce mécanisme de contrôle politique, que je viens de décrire et qui est mis en œuvre conformément à l’article 24 de la Constitution, l’intervention du juge administratif, devant lequel le président d’une commission permanente ou le président de l’Assemblée nationale ou du Sénat aurait un intérêt à agir pour introduire un recours pour excès de pouvoir.
Cette présomption d’intérêt à agir pourrait concerner trois types de situations : le refus de prendre dans un délai raisonnable les mesures réglementaires d’application d’une disposition législative ; la publication d’une ordonnance, en application de l’article 38 de la Constitution, qui méconnaîtrait le champ de l’habilitation fixé par la loi ; la prise d’un acte réglementaire autorisant la ratification ou l’approbation d’un traité, alors que celle-ci aurait dû être accordée par la loi.
Le Gouvernement salue la volonté du Sénat de s’assurer de la bonne application des lois et du respect de notre Constitution, mais il est davantage circonspect concernant l’ambition des auteurs de cette proposition de loi, laquelle tend à judiciariser, une fois de plus, les rapports entre les pouvoirs, alors qu’ils devraient demeurer, à notre sens, dans le champ politique.
En premier lieu, s’agissant de la philosophie générale du texte, on peut s’interroger sur sa conformité à notre Constitution, ou, à tout le moins, à l’esprit de celle-ci. Les rapports entre Gouvernement et Parlement sont, en effet, définis au titre V, qui prévoit, en cas de conflit entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif, ou lorsqu’un texte voté est soumis à un examen de constitutionnalité, que les parlementaires, les présidents d’assemblée, le Gouvernement ou le Président de la République, peuvent saisir le Conseil constitutionnel. L’intervention du juge administratif, jusqu’alors absent des rapports entre Gouvernement et Parlement, viendrait modifier cet équilibre des pouvoirs, auquel je nous sais tous très attachés.
C’est d’ailleurs ce que soulignent certains juristes, à l’instar des professeurs Thierry Rambaud et Agnès Roblot-Troizier : « Lorsque, saisi par un requérant lambda, le juge administratif annule un décret qui empiète sur la compétence législative, il est le censeur d’un acte pris par une autorité administrative et contesté par un administré. Si le requérant se prévaut de sa qualité de parlementaire et invoque l’atteinte aux prérogatives du Parlement, ce n’est plus l’administré qui est protégé, mais le Parlement ; ce n’est plus l’autorité administrative qui est sanctionnée, mais le pouvoir exécutif. Bien sûr, la réalité juridique est parfaitement identique et cette différence n’est que symbolique, mais admettre l’intérêt à agir des parlementaires en cette qualité, c’est prendre le risque d’apparaître comme une juridiction exerçant une fonction politique. »
Au demeurant, la Constitution renvoie à la loi organique ou aux règlements des assemblées le soin de fixer les modalités de mise en œuvre de certaines de ses dispositions. Il apparaît par conséquent étonnant que le législateur puisse lui-même se doter d’une telle prérogative vis-à-vis du Gouvernement au travers d’une loi ordinaire.
D’ailleurs, le Conseil constitutionnel censure régulièrement des dispositions législatives qu’il juge injonctives, comme le fait pour le Parlement de fixer un délai dans lequel doit être pris un décret.
En second lieu, on peut s’interroger sur la mise en œuvre de la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui en ce qu’elle viendra complexifier sensiblement un processus qui gagnerait, au contraire, à s’appuyer sur un dialogue sans doute encore plus efficace entre le Gouvernement et le Parlement. À raison, je le crois, votre rapporteure, Mme Maryse Carrère a souhaité limiter le champ d’application du nouveau dispositif, qui concernait initialement l’ensemble des parlementaires, aux seuls présidents de l’Assemblée nationale, du Sénat et de leurs commissions permanentes. Cependant, une mise en œuvre systématique du dispositif conduirait inévitablement à judiciariser l’application de la loi, en provoquant une multiplication des recours contentieux à l’égard d’un grand nombre de mesures réglementaires.
Si, à l’instar de Mme la rapporteure, on peut regretter le retard parfois pris pour la publication de certains décrets, je rappelle régulièrement que nous pouvons nous féliciter collectivement – même s’il est toujours possible de l’améliorer –, d’un taux d’application des lois de 88 %, et ce malgré le contexte difficile que nous avons connu depuis dix-huit mois. La multiplication des recours devant le juge administratif conduirait à substituer au temps politique, qui procède du dialogue régulier entre Gouvernement et Parlement et de la mise en œuvre de ses outils de contrôle, le temps juridictionnel, qui répond à sa logique et à ses contraintes propres, dans le contexte d’une hausse toujours continue du contentieux. Cette tendance risquerait, en outre, de provoquer des tensions inutiles au lieu de favoriser les échanges, qui ont toujours existé et qui permettent, le plus souvent, de surmonter les difficultés rencontrées.
Au-delà de l’application des lois, la proposition vise à mieux contrôler le respect du champ des habilitations à légiférer par ordonnances, accordées en vertu de l’article 38 de la Constitution.
Là encore, le Gouvernement comprend l’intention des sénateurs, qui souhaitent s’assurer du respect des habilitations qu’ils ont votées, mais il est plus interrogatif s’agissant de la méthode proposée. Le Parlement dispose déjà de la faculté de ratifier et, le cas échéant, de modifier tout ou partie d’une ordonnance, notamment parce qu’il la jugerait contraire à l’intention qu’il a exprimée dans son habilitation. La dernière réforme du règlement du Sénat a posé le principe d’un meilleur suivi des ordonnances et devrait conduire, comme cela a été fait sur l’ordonnance portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État, à des débats réguliers sur celles qui présentent un intérêt particulier pour les sénateurs. L’intervention du juge administratif dans cet exercice vient encore une fois faire concurrence tant au dialogue et aux débats qui existent entre le Parlement et le Gouvernement qu’aux outils dont les sénateurs disposent dans le cadre de la procédure législative.
En outre, il apparaît certain qu’un requérant ayant déjà intérêt à agir pourrait aisément soulever ce moyen dans le cadre d’un recours plus large contre l’ordonnance sans qu’il soit nécessaire qu’un parlementaire s’associe à sa démarche.
Enfin, la proposition de loi tend à renforcer le contrôle en matière de conventions internationales. La question soulevée est cette fois différente, puisqu’il ne s’agit pas du contrôle de l’application ou du respect de la loi votée par le Parlement, mais du respect par le Gouvernement des prescriptions de l’article 53 de notre Constitution, qui prévoit les cas où une loi doit intervenir.
Le Gouvernement est particulièrement réservé sur ce mécanisme, qui vient modifier l’équilibre institutionnel qui prévaut depuis 1958, et par lequel le Gouvernement seul décide de l’opportunité de soumettre l’autorisation de ratifier ou d’approuver un traité au Parlement, sous le contrôle du juge administratif, qui peut déjà être saisi par tout justiciable ayant un intérêt à agir. Il ne s’agit donc pas pour les parlementaires de contrôler la mise en œuvre de ce qu’ils ont voté, mais de pouvoir saisir le juge concernant une décision autonome de l’exécutif.
Vous l’aurez compris, ce qui pose question dans le débat qui nous occupe aujourd’hui n’est pas tellement l’intention des auteurs de la proposition de loi, que le Gouvernement partage en ce qu’elle vise à améliorer la qualité de notre droit – je salue à ce titre l’ambition du président Requier et de ses collègues –, mais plutôt les mécanismes qu’elle instaure et qui lui semblent contraires à l’esprit de nos institutions. Je sais que, malgré les critiques, parfois légitimes, à l’égard du Gouvernement, la discussion mettra tout de même en lumière le dialogue constructif qui existe et pourra encore se renforcer avec la Haute Assemblée, dans le souhait commun de voir les lois votées pleinement et rapidement appliquées. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer.
Mme Agnès Canayer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous abordons aujourd’hui l’examen d’une proposition de loi présentée par nos collègues du groupe du RDSE, dont l’objet est de reconnaître aux membres des assemblées parlementaires un intérêt à agir en matière de recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif.
Pourquoi vouloir ouvrir aux membres du pouvoir législatif une voie d’accès spécifique au juge ?
Pour les auteurs de la proposition de loi, l’intervention du juge administratif se révèle parfois nécessaire pour susciter la mise en œuvre de certaines mesures votées dans la loi, grâce, en particulier, aux fameux décrets d’application.
Évidemment, dans le cadre de ses missions constitutionnelles, le Parlement contrôle déjà l’action du Gouvernement, et donc l’application de la loi par ce dernier. Ce contrôle est toutefois de nature essentiellement politique, conformément aux principes de séparation des pouvoirs et d’interdiction des injonctions du Parlement au Gouvernement. Malheureusement, dans le régime semi-présidentiel français, marqué par le fait majoritaire, le contrôle politique seul ne suffit parfois pas à assurer la prise effective de l’ensemble des mesures figurant dans la loi.
Il se trouve plutôt que la prise des décrets d’application constitue un goulot d’étranglement de la mise en œuvre des lois votées. Cela a pu conduire à des situations de non-application de dispositions pourtant adoptées par la représentation nationale, mais qui demeuraient durablement dans l’attente d’une action du pouvoir réglementaire. Il y a visiblement là un problème démocratique auquel mes collègues sénateurs du RDSE ont tenté de répondre sous la forme d’une proposition de loi. C’est aussi ce que font habituellement les sénateurs du groupe Les Républicains à travers leurs contributions au groupe de travail sur les méthodes de contrôle parlementaire.
Parallèlement, la justice administrative s’est montrée passablement circonspecte quand elle fut confrontée à des recours formulés par certains de nos collègues parlementaires. Finalement, le Conseil d’État a choisi, en 2011, d’écarter les parlementaires ès qualités des prétoires, en particulier pour des raisons de séparation des pouvoirs.
Cependant, à l’argument de la stricte séparation des pouvoirs, on opposera le fait que les parlementaires disposent déjà d’un accès, en apparence bien plus exorbitant du droit commun, au juge constitutionnel, via le mécanisme de saisine ordinaire du Conseil constitutionnel. Il ne s’agirait donc aujourd’hui que de prévoir un nouvel accès, limité, à un type de recours déjà existant.
C’était sur ce dernier point que certaines des précédentes propositions de loi tendant à aller dans ce sens avaient buté. Le texte que nous examinons aujourd’hui a toutefois su tirer parti des travaux d’alors, afin d’offrir une solution plus robuste. Le dispositif a encore été amélioré par le rapporteur, notre collègue Maryse Carrère, et les membres de la commission des lois. Le texte initial de la proposition de loi prévoyait en effet d’ouvrir l’intérêt à agir en recours pour excès de pouvoir à l’ensemble des parlementaires. Cette démarche était éminemment compréhensible, mais risquait de prêter le flanc à certaines des critiques formulées par le juge, qui a mis en garde contre le risque de remise en cause de l’indivisibilité de la représentation nationale.
Sagement, notre rapporteur a proposé de limiter l’intérêt à agir aux présidents des assemblées et des commissions permanentes. Grâce à cela, la dimension institutionnelle des recours ainsi formulés serait consolidée, sans faire perdre la possibilité à l’opposition d’en être à l’origine, le président de la commission des finances appartenant traditionnellement à cette dernière.
Enfin, d’autres améliorations ont été votées en commission. La rapporteure a élargi le spectre des actes susceptibles de faire l’objet d’un recours. Plus encore, elle a proposé que les recours contre les ordonnances formulés par les parlementaires ne soient pas nécessairement limités à un moyen unique fondé sur la méconnaissance du périmètre d’habilitation fixé par le législateur, permettant donc de purger celles-ci de l’ensemble de leurs vices éventuels.
Pour conclure, je dirai que cette proposition de loi arrive à un moment où le revirement de jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la question des ordonnances de l’article 38 a créé un surcroît d’incertitude pour le législateur.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
Mme Agnès Canayer. Dans ce contexte, le texte présenté par le président Requier et les membres du groupe du RDSE nous paraît donc de nature à apporter un complément bienvenu au contrôle de l’application des lois et surtout à renforcer le rôle du Parlement, à l’heure ce son rôle n’est plus assez considéré par l’exécutif.
C’est pour l’ensemble de ces raisons que notre groupe votera ce texte dans la rédaction résultant des travaux de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et SER.)
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les difficultés du Gouvernement à prendre dans un délai raisonnable les textes réglementaires nécessaires à la bonne application du droit sont connues. Le contrôle de l’action du Gouvernement est une des fonctions de nos assemblées, mais il apparaît que nous sommes démunis pour enjoindre au Gouvernement d’agir ou pour le rappeler à l’ordre lorsqu’il méconnaît les limites dans lesquelles il doit inscrire son action.
Aussi, c’est avec grand intérêt que notre groupe a accueilli cette proposition de loi, dont les auteurs ont cherché à trouver une solution à ce problème récurrent. Nous le savons, les écueils à éviter sont nombreux pour ne pas fragiliser l’équilibre des pouvoirs prévus par la Constitution. Depuis 2008, une circulaire gouvernementale prévoit que les textes d’application sont pris dans les six mois de la promulgation d’une loi, mais, vous le savez, elle n’a pas réellement de valeur contraignante.
Toutefois, la Secrétaire générale du Gouvernement nous a présenté des chiffres montrant que, dans l’immense majorité des cas, cette consigne est suivie. Cela ne doit pas nous détourner du problème posé par l’incapacité des parlementaires à agir en cas de manquements du Gouvernement de nature à fragiliser leur action.
Certes, nous le savons, cette incapacité n’est pas totale. Parfois, le juge administratif a pu reconnaître un intérêt à agir à des parlementaires, mais à titre individuel, sans lien avec cette fonction de parlementaire. Nous pensons évidemment qu’il faut éviter une politisation du recours pour excès de pouvoir. À cet égard, il nous semble que la restriction du nombre de personnes pouvant se prévaloir d’un intérêt à agir dans le texte actuel est en réalité un peu politisée, puisqu’elle concentre ce pouvoir sur des personnes globalement issues de la majorité au sein de notre institution. Certes, l’option de faire bénéficier l’ensemble des parlementaires d’un intérêt à agir, ès qualités, ne semble pas viable pour des raisons pratiques de surcharge des tribunaux, mais aussi pour des raisons plus philosophiques. En effet, cela reviendrait à individualiser la représentation nationale.
Cependant, il nous apparaît essentiel, en tant que membres d’un groupe d’opposition, que l’ensemble des sensibilités politiques soient concernées par cette procédure, représentées par leur présidente ou leur président de groupe, et ce afin de mettre le Gouvernement face à sa responsabilité. C’est pourquoi nous proposerons un amendement en ce sens.
Le droit de contrôle de l’action gouvernementale, grâce aux offices parlementaires, aux semaines de contrôle en hémicycle et aux diverses modalités de questions, ne nous permet pas assez de nous assurer de la publication des décrets ou de revenir sur des ordonnances qui dépasseraient l’habilitation initiale.
Cette nouvelle capacité à agir, liée à la qualité de parlementaire, s’inscrit donc dans une logique autorisant plus de contrainte pour que le Gouvernement agisse conformément à la Constitution. Aussi, sous réserve de l’adoption de l’amendement que nous avons déposé, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’associera à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)