Sommaire

Présidence de M. Pierre Laurent

Secrétaires :

Mme Esther Benbassa, M. Pierre Cuypers.

1. Procès-verbal

2. Mises au point au sujet de votes

3. Candidatures à une délégation sénatoriale

4. Gel des matchs de football le 5 mai. – Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale :

Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville

M. Thomas Dossus, rapporteur de la commission de la culture

M. Didier Rambaud

M. Dany Wattebled

M. Jean-Jacques Panunzi

M. Paul Toussaint Parigi

Mme Céline Brulin

M. Claude Kern

M. Jean-Claude Requier

M. Jean-Jacques Lozach

M. Michel Savin

M. Jean-Raymond Hugonet

Mme Nadia Hai, ministre déléguée

Clôture de la discussion générale.

Article unique

M. Stéphane Piednoir

M. Jacques Grosperrin

M. Ronan Dantec

M. Max Brisson

M. Michel Savin

M. Jean-Jacques Lozach

Mme Nadia Hai, ministre déléguée

Amendement n° 1 de M. Philippe Folliot. – Retrait.

Amendement n° 2 de M. Philippe Folliot. – Retrait.

Vote sur l’ensemble

M. Guy Benarroche

M. Paul Toussaint Parigi

M. Max Brisson

M. le président

Adoption définitive de l’article unique de la proposition de loi dans le texte de la commission.

Suspension et reprise de la séance

5. Candidature à une commission

6. Maintien des barrages hydroélectriques dans le domaine public. – Discussion d’une proposition de loi

Discussion générale :

M. Guillaume Gontard, auteur de la proposition de loi

M. Patrick Chauvet, rapporteur de la commission des affaires économiques

Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité

M. Yves Bouloux

M. Daniel Salmon

M. Fabien Gay

7. Rappel au règlement

Suspension et reprise de la séance

8. Maintien des barrages hydroélectriques dans le domaine public. – Suite de la discussion et rejet d’une proposition de loi

Discussion générale (suite) :

M. Jean-Pierre Moga

M. Christian Bilhac

M. Serge Mérillou

M. Bernard Buis

M. Michel Savin

M. Jean-Jacques Michau

M. Guillaume Chevrollier

M. Daniel Chasseing

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

Amendement n° 1 de M. Guillaume Gontard. – Rejet.

Rejet de l’article.

Article 2

M. Guillaume Gontard

M. Fabien Gay

M. Daniel Salmon

M. Franck Montaugé

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques

Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État

Rejet, par scrutin public n° 10, de l’article.

Tous les articles ayant été rejetés, la proposition de loi n’est pas adoptée.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Georges Patient

9. Recours pour excès de pouvoir des parlementaires. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale :

M. Jean-Claude Requier, auteur de la proposition de loi

Mme Maryse Carrère, rapporteure de la commission des lois

M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne

Mme Agnès Canayer

Mme Mélanie Vogel

Mme Éliane Assassi

Mme Nathalie Goulet

M. Stéphane Artano

M. Jean-Pierre Sueur

M. Bernard Buis

M. Joël Guerriau

M. Édouard Courtial

Clôture de la discussion générale.

Article unique

M. Pierre Ouzoulias

Amendement n° 4 de M. Jean-Pierre Sueur. – Rejet.

Amendement n° 3 de Mme Éliane Assassi. – Adoption.

Amendement n° 5 de M. Jean-Pierre Sueur. – Devenu sans objet.

Amendements identiques nos 2 de Mme Nathalie Goulet et 6 de M. Guy Benarroche. – Devenus sans objet.

Adoption de l’article modifié.

Intitulé de la proposition de loi

Amendement n° 1 de M. Jean-Claude Requier. – Adoption de l’amendement rédigeant l’intitulé.

Vote sur l’ensemble

Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

Suspension et reprise de la séance

10. Dons et adhésions aux associations dans le contexte de l’épidémie de covid-19. – Rejet d’une proposition de loi

Discussion générale :

M. Éric Gold, auteur de la proposition de loi

M. Arnaud Bazin, rapporteur de la commission des finances

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement

M. Paul Toussaint Parigi

M. Pascal Savoldelli

M. Vincent Delahaye

M. Christian Bilhac

M. Jacques Grosperrin

M. Didier Rambaud

M. Franck Menonville

M. Éric Jeansannetas

M. Marc Laménie

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État

Clôture de la discussion générale.

Articles additionnels avant l’article unique

Amendement n° 7 rectifié bis de M. Éric Gold. – Rejet.

Amendement n° 8 rectifié bis de M. Éric Gold. – Rejet.

Article unique

Amendement n° 4 rectifié de M. Éric Gold. – Rejet.

Amendement n° 3 rectifié de M. Éric Gold. – Retrait.

Amendement n° 2 rectifié de M. Éric Gold. – Retrait.

Amendement n° 5 rectifié de M. Éric Gold. – Rejet.

Rejet de l’article unique de la proposition de loi.

Intitulé de la proposition de loi

Amendements nos 6 rectifié et 9 rectifié de M. Éric Gold. – Devenus sans objet.

Suspension et reprise de la séance

11. Protection de la rémunération des agriculteurs. – Adoption définitive des conclusions modifiées d’une commission mixte paritaire sur une proposition de loi

Discussion générale :

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire

M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation

Clôture de la discussion générale.

Texte élaboré par la commission mixte paritaire

Article 2

Amendement n° 3 du Gouvernement. – Réservé.

Amendement n° 4 du Gouvernement. – Réservé.

Amendement n° 5 du Gouvernement. – Réservé.

Article 2 bis AA

Amendement n° 2 du Gouvernement. – Réservé.

Article 2 bis D

Amendement n° 1 du Gouvernement. – Réservé.

Vote sur l’ensemble

M. Fabien Gay

M. Jean-Pierre Moga

M. Henri Cabanel

M. Franck Montaugé

M. Bernard Buis

M. Franck Menonville

Mme Micheline Jacques

M. Joël Labbé

Adoption définitive de la proposition de loi dans le texte de la commission mixte paritaire, modifié.

12. Ordre du jour

Nomination de membres d’une délégation sénatoriale

Nomination d’un membre d’une commission

compte rendu intégral

Présidence de M. Pierre Laurent

vice-président

Secrétaires :

Mme Esther Benbassa,

M. Pierre Cuypers.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Mises au point au sujet de votes

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach.

M. Jean-Jacques Lozach. Monsieur le président, lors du scrutin n° 8 sur l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi instaurant la vaccination obligatoire contre le SARS-CoV-2, M. Yan Chantrel souhaitait ne pas prendre part au vote.

M. le président. La parole est à M. Claude Kern.

M. Claude Kern. Monsieur le président, lors de ce même scrutin, M. Gérard Poadja souhaitait voter pour.

M. le président. Acte est donné de ces mises au point, mes chers collègues. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l’analyse politique du scrutin.

3

Candidatures à une délégation sénatoriale

M. le président. L’ordre du jour appelle la désignation de dix membres supplémentaires pour siéger au sein de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

Ces candidatures ont été publiées et seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

4

 
Dossier législatif : proposition de loi visant au gel des matchs de football le 5 mai
Discussion générale (suite)

Gel des matchs de football le 5 mai

Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant au gel des matchs de football le 5 mai (proposition n° 318 [2019-2020], texte de la commission n° 22, rapport n° 21).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant au gel des matchs de football le 5 mai
Article unique (Texte non modifié par la commission)

Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, il est aujourd’hui question de se souvenir, en mémoire des victimes du drame de Furiani : 19 décès, 2 357 blessés, tant de familles endeuillées à qui j’adresse mes plus sincères pensées. Je tiens également à saluer celles et ceux qui sont présents aujourd’hui dans les tribunes, ainsi que le député qui les accompagne.

Il faut se souvenir de ce soir du mardi 5 mai 1992, soir de demi-finale de la coupe de France de football au stade Armand-Cesari.

Un soir qui devait être synonyme de liesse pour les amoureux de football qui venaient assister, de toute la Corse et du continent, à un match entre le Sporting Club de Bastia et l’Olympique de Marseille.

Un soir qui est déjà inscrit dans notre mémoire collective comme un drame pour l’ensemble du sport français et qui le sera encore davantage avec l’adoption de cette proposition de loi.

Je suis honorée, en tant que ministre chargée de la ville, d’être présente aujourd’hui à l’occasion de l’examen de ce texte. Je n’oublie pas qu’à l’époque mon prédécesseur Bernard Tapie était présent à Furiani. Je tiens également à saluer sa mémoire aujourd’hui dans cette Haute Assemblée.

Tout l’enjeu de ce texte est de faire en sorte que cette tragédie nationale bénéficie d’un cadre de commémoration pérenne afin de lutter contre l’oubli. La ministre Roxana Maracineanu, qui ne peut être présente aujourd’hui, l’a exprimé devant l’Assemblée nationale. Nous le devons aux proches des victimes qui luttent depuis près de trente ans.

François Mitterrand, Président de la République, avait affirmé dès 1992 qu’aucun match de football ne se tiendrait désormais le 5 mai.

Dès le 13 juillet 1992, une loi est venue compléter la loi-cadre sur le sport de 1984, en créant une procédure nouvelle d’homologation par l’autorité administrative des enceintes sportives.

Depuis lors, le préfet de département fixe l’effectif maximal des spectateurs admis simultanément dans l’enceinte, la répartition des places offertes et, selon la configuration de l’enceinte, les conditions d’aménagement de tribunes provisoires.

Au cours des années suivantes, plusieurs propositions de loi ont été déposées, émanant de parlementaires de toute appartenance politique, visant à sacraliser la date du 5 mai en mémoire des victimes. Toutefois, aucune n’a jamais été inscrite à l’ordre du jour des débats.

En 2015, soutenue par le président François Hollande, une démarche vers une reconnaissance nationale a été engagée et un accord trouvé le 22 juillet 2015 entre le ministère des sports, la Fédération française de football et la Ligue de football professionnel (LFP).

Cet accord prévoit que, le 5 mai de chaque année, un hommage soit rendu par tous les clubs de football et sur tout le territoire national, sous la forme d’une minute de silence ou d’applaudissements, du port d’un brassard ou encore de la lecture d’un message. Il prévoit également le report de tous les matchs de football professionnel et amateur de niveau national, qui tomberaient un samedi 5 mai.

Une plaque commémorative a également été dévoilée en 2016, au ministère des sports. Chaque année, nous l’honorons le 5 mai.

Force est toutefois de constater que les propositions formulées jusqu’à présent n’ont pas été jugées à la hauteur par le Collectif des victimes de la catastrophe de Furiani du 5 mai 1992, qui demande, de manière constante, qu’aucun match n’ait lieu le 5 mai.

La ministre chargée des sports, Roxana Maracineanu, a donc travaillé en mobilisant les instances du football afin de trouver avec elles la meilleure manière de répondre à ces attentes.

Parallèlement, la représentation nationale s’est saisie du sujet. C’est ce qui nous amène à discuter aujourd’hui de la proposition de loi déposée par le député Michel Castellani et présentée au Sénat par le rapporteur Thomas Dossus. Je tiens également à saluer le travail du sénateur Paul Toussaint Parigi, qui s’est beaucoup investi.

Nous respectons ce travail et cette volonté. C’est pourquoi nous soutenons cette proposition de loi, qui vise à geler les matchs de football professionnel tous les 5 mai. Le texte ne prévoit pas de sanction puisque le ministère des sports souhaite travailler avec les instances du football pour que le principe du gel des matchs soit respecté.

Sur la nature de l’hommage, des choix différents ont pu être privilégiés pour des catastrophes qui ont eu lieu ailleurs dans un stade. Je pense ainsi à l’arrêt des matchs ou à la minute souvenir de l’effondrement de la tribune d’Hillsborough au Royaume-Uni en 1989 pour commémorer ses 97 victimes. Il vous appartient de prendre cette décision au cours de nos débats, mesdames, messieurs les sénateurs.

Le football est le véhicule de toutes les passions et de toutes les émotions. Il est plus qu’un sport, il est une culture universelle partagée, un vecteur de transmission dont le devoir de mémoire est un point cardinal.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne devons pas oublier ce qui s’est produit le 5 mai 1992.

Près de trente ans après le drame de Furiani, nous serions honorés que, grâce à votre vote, l’engagement de ne plus jouer au football un 5 mai soit pris dans la loi, en hommage aux victimes et à leurs familles, que nos pensées accompagneront toujours, et à l’ensemble du sport français qui, au soir du 5 mai 1992, a été profondément marqué.

Nous soutenons donc cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et GEST.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Thomas Dossus, rapporteur de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi visant au gel des matchs de football le 5 mai que nous examinons aujourd’hui pose des questions importantes sur la place du sport dans notre société, sur la notion de drame national et sur la façon de commémorer.

Les faits, qui se sont produits le 5 mai 1992 au stade Armand-Cesari de Furiani, ont causé la mort de 19 personnes et en ont blessé plus de 2 300.

La justice a mis en évidence des responsabilités graves de la part tant des autorités administratives et sportives que des entreprises qui sont intervenues dans l’installation et le contrôle de la tribune.

Certes, les pouvoirs publics ont réagi rapidement afin qu’une telle catastrophe ne se reproduise pas. Des dispositions législatives ont ainsi été immédiatement adoptées, dès le mois de juillet 1992, afin de renforcer le contrôle des installations sportives.

Depuis 1992, aucun drame similaire à celui de Furiani n’est intervenu en France du fait des dispositions adoptées. Le drame qu’a connu la Corse, par son caractère unique, a ainsi pu conforter l’idée selon laquelle il aurait pu être évité.

Les motivations financières qui ont conduit à maximiser la taille de la tribune pour accroître le plus possible les recettes ont, par ailleurs, ôté toute place à l’argument de la fatalité dans le déroulement de ces événements.

Les questions relatives à la mémoire du drame de Furiani et à la commémoration de ces événements ont mis du temps à émerger.

Il a fallu attendre 2012 pour que la question soit véritablement posée, sur l’initiative des victimes et de leurs proches. Un groupe de travail a alors été créé par la Fédération française de football ; il a fait des propositions qui n’ont pas pleinement satisfait le Collectif. La demande principale de celui-ci est, en effet, que plus aucun match ne soit joué le 5 mai sur l’ensemble du territoire.

Cette demande s’appuie en particulier sur une déclaration qu’aurait faite le président François Mitterrand lors de son déplacement à Bastia selon laquelle plus aucun match ne devait se jouer ce jour-là.

La revendication d’un gel des matchs a pris de l’ampleur ces dernières années dans l’ensemble de la société insulaire et semble aujourd’hui largement partagée, y compris sur le continent, comme en témoignent plusieurs banderoles dans les tribunes de supporters de clubs du continent.

Le dialogue, noué en 2012, entre le Collectif et les instances du football n’ayant pu aboutir, c’est l’État qui a essayé de trouver un compromis. Celui-ci s’est matérialisé par l’accord du 22 juillet 2015 et comporte cinq engagements pris par le secrétaire d’État chargé des sports, Thierry Braillard, à l’égard du Collectif.

Force est de reconnaître que ces engagements n’ont pour l’essentiel pas été suivis d’effet, notamment ceux qui devaient permettre de développer les valeurs du sport à l’école.

Près de trente ans après le drame, l’incompréhension entre le Collectif et les instances nationales du football demeure entière.

Concernant la revendication du gel des matchs le 5 mai sur l’ensemble du territoire, les membres du Collectif estiment que « le football est une fête et qu’il est impossible de faire la fête et de commémorer Furiani en même temps », alors que la Ligue de football professionnel n’envisage pas cette interdiction générale de jouer des matchs professionnels ce jour-là.

La proposition de loi qui a été adoptée en séance publique à l’Assemblée nationale au mois de février 2020 vise à donner satisfaction à la revendication essentielle du Collectif des victimes, tout en limitant suffisamment le gel des matchs pour ne pas créer de difficultés particulières dans la mise en œuvre de cet hommage.

L’article unique de la proposition de loi prévoit ainsi que, « en hommage aux victimes [de ce drame], aucune rencontre ou manifestation sportive organisée dans le cadre ou en marge des championnats de France professionnels de football de première et deuxième divisions, de la Coupe de France de football et du Trophée des Champions n’est jouée à la date du 5 mai ».

Le 5 mai 2022 marquera le trentième anniversaire du drame de Furiani.

Cette date symbolique peut constituer un aboutissement et sans doute un apaisement pour l’ensemble des victimes, qui attendent une reconnaissance nationale.

Compte tenu de l’impossibilité de dégager un consensus au travers d’un dialogue avec les instances sportives puis avec le ministère chargé des sports, le recours à la loi semble constituer l’ultime espoir pour les victimes d’être entendues. Cette proposition de loi représente donc un rendez-vous important dans l’histoire du drame national de Furiani.

Compte tenu de l’ordre du jour très chargé du Parlement au cours de cette session et des échéances nationales prévues en 2022, le temps est compté pour examiner et adopter cette proposition de loi.

Le choix qui se présente au Sénat revient soit à adopter conforme cette proposition de loi dans sa rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale, soit à ne pas l’adopter conforme et à prendre ainsi le risque de manquer le rendez-vous du trentième anniversaire du drame de 1992.

Nos débats en commission comme à l’Assemblée nationale ont notamment porté sur le fait que l’objet du texte n’entrait pas dans la définition du domaine de la loi. Or le recours à la loi paraît aujourd’hui légitime pour au moins deux raisons.

D’une part, les manquements qui sont apparus dans l’organisation de cette demi-finale de la Coupe de France ont été trop nombreux et trop graves dans leurs conséquences pour que les représentants de la Nation refusent de s’y intéresser.

D’autre part, l’impossibilité de trouver un compromis dans le cadre d’un dialogue avec les instances sportives et le ministère chargé des sports a fait du Parlement le seul recours possible pour trouver une solution satisfaisante.

L’intérêt à légiférer ayant été rappelé, il convient également de souligner le caractère équilibré du dispositif présenté dans la proposition de loi. L’interdiction de jouer des matchs tous les 5 mai est en effet limitée aux championnats professionnels de ligue 1 et de ligue 2, ainsi qu’aux matchs de la Coupe de France et du Trophée des Champions. Cette interdiction ne concerne ni les matchs amateurs ni les matchs internationaux, qu’il s’agisse des matchs de l’équipe de France ou des matchs des clubs français qualifiés dans les compétitions organisées par l’Union des associations européennes de football, l’UEFA.

Il apparaît également que le décalage des matchs sur une autre journée que le 5 mai ne devrait pas poser de difficultés considérables. Il n’y a donc pas d’obstacles techniques ou économiques qui pourraient justifier de ne pas adopter cette mesure de gel des matchs le 5 mai.

Cette journée de commémoration doit être à la fois une journée du souvenir du drame et de mémoire en l’honneur des victimes. L’impact de ce drame sur la législation en matière de sécurisation des grands événements renforce son caractère national auquel il faut rendre hommage.

Dans ces conditions, l’adoption de cette proposition de loi constitue aussi le moyen de rappeler solennellement notre attachement aux valeurs du sport et la nécessité de préserver ces valeurs toujours menacées.

L’attente des Corses, comme, plus largement, celle du peuple du football, doit nous conduire à une adoption conforme afin de commémorer dignement la mémoire de cet événement, l’an prochain, pour les trente ans du drame.

La commission de la culture, de l’éducation et de la communication a adopté cette proposition de loi sans modification. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud.

M. Didier Rambaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 5 mai 1992, comme nombre de Français passionnés de sport, j’étais devant ma télévision pour voir la demi-finale de la Coupe de France. Le match opposait le Sporting Club de Bastia à l’Olympique de Marseille. Ce qui devait être une affiche sportive de haut niveau a été marqué par une catastrophe terrible, celle de l’effondrement de la tribune provisoire du stade de Furiani.

À l’occasion de l’examen de cette proposition de loi, je tiens tout d’abord à adresser mes pensées aux familles des 19 personnes disparues ainsi qu’à celles des 2 357 blessés. La catastrophe de Furiani est un drame tragique que nous ne devons pas oublier.

C’est dans cet esprit de commémoration que le Collectif des victimes de la catastrophe de Furiani du 5 mai 1992 a demandé qu’un texte puisse encadrer le gel de l’organisation de matchs de football professionnel les journées du 5 mai. Il est en effet impensable selon lui de fêter des victoires de football ce jour-là.

Cependant, l’article unique du texte prévoit-il un gel total du football les 5 mai ? Ce n’est pas le cas : l’interdiction de jouer des matchs tous les 5 mai est en effet limitée aux championnats professionnels de ligue 1 et de ligue 2, ainsi qu’aux matchs de la Coupe de France et du Trophée des Champions.

Le dispositif de gel ne concerne donc ni les matchs amateurs ni les matchs internationaux, qu’il s’agisse des matchs de l’équipe de France ou des matchs des clubs français qualifiés dans les compétitions organisées par l’UEFA.

Dans un esprit de consensus conforme à celui de la commission de la culture, nous voterons cette proposition de loi.

Cela étant, je dois, en toute sincérité, vous faire partager quelques réserves personnelles, mais aussi celles de certains de mes collègues du groupe RDPI et de certains membres de la commission.

Ces réserves portent sur le contexte de la proposition de loi. En effet, comment expliquer qu’une telle proposition de loi soit examinée en 2021, presque trente ans après la catastrophe ?

À l’époque, compte tenu des conclusions de l’enquête, le drame de Furiani a suscité de nombreuses réactions. Les négligences et les fautes relatives à l’édification de la tribune provisoire ne sont pas restées sans réponse de la part du législateur.

En effet, dès le 13 juillet 1992, une loi est venue compléter celle du 16 juillet 1984 en créant une procédure nouvelle d’homologation des enceintes destinées à recevoir des manifestations sportives ouvertes au public.

De plus, une démarche vers une reconnaissance nationale a été engagée en 2015 sous l’autorité du secrétaire d’État chargé de sports de l’époque, Thierry Braillard, permettant d’aboutir à un accord entre le ministère des sports, la Fédération française de football et la ligue de football professionnel, le 22 juillet 2015.

Cet accord contenait des engagements forts, mais imparfaits aux yeux des membres du Collectif. À titre d’exemple, l’accord prévoyait le gel des matchs le 5 mai lorsqu’ils se tenaient un samedi, alors que la catastrophe de Furiani a eu lieu un mardi…

Toujours est-il que de vives réactions ont été observées dans les stades en 2019 et que l’émotion des familles demeure importante, en témoigne la création du Collectif des victimes de la catastrophe de Furiani du 5 mai 1992.

Rester inactif face à la gravité de ce drame et du passif délicat entre les engagements de l’accord et l’application de ces derniers ne semble donc pas une réponse appropriée.

Je m’interroge néanmoins sur les modalités de la commémoration du drame de Furiani.

Dans notre société, le sport véhicule de nombreuses valeurs, à commencer par celles de solidarité et de respect. À n’en pas douter, peu importe nos origines territoriales en France, je crois que nous serons unanimes sur ce point : nous devons tous être solidaires de nos compatriotes corses et respecter le souvenir de ce drame national et sa commémoration.

Toutefois, convient-il de geler le football professionnel tous les 5 mai ? Est-ce le moyen le plus adéquat pour respecter le devoir de mémoire et ne pas oublier ce drame, notamment pour les plus jeunes ? Doit-on geler nos activités sportives afin de commémorer les drames ? Je n’en suis pas sûr.

Sur le plan technique, la proposition de loi tend à mettre en place un dispositif qui consacre l’existence de journées du souvenir justifiant la suspension de toute compétition professionnelle pour une discipline sportive.

Je m’interroge donc sur notre action en tant que parlementaire, sur l’intérêt à légiférer sur un tel sujet et sur les conséquences du dispositif. Plus précisément, je m’interroge sur la postérité du dispositif plutôt que sur la portée juridique du texte, qui demeure assez discutable compte tenu de l’absence de sanction en cas de non-respect du gel des matchs.

Il me semble que l’observation d’une minute de silence en début de match, le port d’un brassard par les joueurs des deux équipes ou encore des hommages au début ou à la fin des matchs de football auraient pu être des solutions. Ce sont des alternatives permettant d’expliquer, de se rappeler et de commémorer.

En réalité, mes chers collègues, vous le comprenez, ces réserves reviennent davantage à nous inviter à nous interroger sur notre rôle de parlementaires et sur les modalités de commémoration plutôt que sur la commémoration elle-même.

Je le répète, le football et plus largement le sport véhiculent de nombreuses valeurs : la solidarité, la fraternité, mais également l’engagement. Il nous faut nous engager à commémorer le drame, dans un esprit de solidarité et de fraternité avec nos compatriotes corses, sans oublier les supporters du club marseillais. Cependant, peut-être aurions-nous pu nous accorder sur d’autres modalités afin de tenir nos engagements commémoratifs.

Par respect pour les familles des victimes et compte tenu du contexte particulier de ce drame, le groupe RDPI votera cette proposition de loi.

M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled.

M. Dany Wattebled. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la chronologie des palmarès sportifs fait souvent apparaître, en creux, les événements tragiques qui marquent l’histoire. Le football en est certainement le meilleur exemple.

Ainsi, la liste des vainqueurs de la Coupe du monde s’interrompt en 1938 et ne reprend qu’en 1950. Et pour cause : entre ces deux dates, la Seconde Guerre mondiale a rendu impossible l’organisation des compétitions internationales.

Plus récemment, l’Italie a remporté l’Euro 2020 le 11 juillet 2021. Cette bizarrerie du calendrier témoigne du chaos provoqué par la pandémie en 2020, bouleversant tous les aspects de nos vies, jusqu’au football de très haut niveau.

En 1992, c’est le palmarès de la Coupe de France qui ne donne aucun vainqueur. Ce vide révèle en silence un drame. La compétition s’est arrêtée aux demi-finales, le 5 mai.

Ce 5 mai 1992, avant même que ne commence la rencontre entre le Sporting Club de Bastia et l’Olympique de Marseille, une tribune du stade de Furiani s’effondre et l’effroyable se produit. Encore aujourd’hui, les images sidèrent et l’on mesure facilement toute l’horreur de ce drame.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui fait directement référence à cet événement tragique. Elle nous force donc à un exercice délicat de commémoration.

Au nom du groupe Les Indépendants – République et Territoires, je tiens donc à saluer la mémoire des 19 victimes du drame, ainsi que leurs familles et leurs proches, pour qui, chaque année, la date du 5 mai ravive la douleur du deuil. Je n’oublie pas non plus les quelque 2 300 blessés, qui sont restés traumatisés. Nous le savons tous : par son ampleur, le drame de Furiani a marqué toutes les familles de Corse.

Ce drame ne concerne toutefois pas que la Corse, d’abord parce que tout ce qui concerne la Corse concerne la France, ensuite parce que ce drame s’est produit en marge de la plus belle compétition nationale, la Coupe de France, à laquelle les Français sont profondément attachés.

Comme je l’ai dit en préambule, l’édition 1992 de la Coupe de France n’a pas eu de vainqueur.

Depuis lors, un collectif s’est constitué pour commémorer ce drame et respecter la mémoire des victimes. Comme le rapporteur l’a rappelé en commission, c’est au début des années 2010 que les premières demandes ont commencé à se faire entendre.

La Fédération française de football a alors pris l’initiative de constituer un groupe de travail associant l’ensemble des acteurs.

Ces travaux ont eu le mérite de mettre tout le monde autour de la table afin de trouver une solution satisfaisante pour tous. Plusieurs propositions en sont ressorties : gel des matchs les samedis 5 mai, gel des matchs en Corse tous les 5 mai, pas de finale de la Coupe de France un 5 mai. Aucune de ces propositions n’a trouvé grâce aux yeux du Collectif. C’est pourquoi le texte que nous examinons aujourd’hui vise à imposer par la loi les revendications du Collectif contre l’avis des professionnels du secteur.

Je l’ai dit d’emblée : cette proposition de loi nous force à un exercice délicat de commémoration. Cela reste toutefois un texte de loi. Aussi, l’exercice de commémoration ne peut nous exempter de notre travail de législateur.

Tout le monde ici sait bien que la catastrophe de Furiani est un drame national. Il s’agit plutôt de savoir si ce drame justifie que l’on contraigne la pratique sportive. Pourquoi interdire de jouer au football le 5 mai ? Peut-on remplir autrement le devoir de mémoire ?

Devons-nous ainsi interdire tous les matchs de Coupe d’Europe les 6 février, en commémoration du crash aérien de Munich du 6 février 1958, au cours duquel la moitié de l’équipe de Manchester United a trouvé la mort ?

Devons-nous ainsi interdire tous les matchs de Coupe d’Europe les 29 mai, en commémoration du drame du Heysel, survenu le 29 mai 1985, où 39 personnes ont trouvé la mort dans l’effondrement d’une tribune ?

Nous devons poser ces questions sans céder aux sirènes de la culpabilité. La pratique du football ne fera jamais insulte à la mémoire des supporters. Le joueur de foot que je suis sait très bien que ce sport place le respect au centre du jeu.

Je me range donc du côté de la Fédération française de football et de la Ligue de football professionnel, qui considèrent qu’on commémorera mieux le drame de Furiani en jouant au football plutôt qu’en empêchant le sport.

En revanche, je soutiens le principe d’une minute de silence, moment fort de recueillement en début de match. En supprimant la date du 5 mai des compétitions, on pourrait oublier l’événement ; en marquant une minute de silence, on le commémore.

Notre groupe votera majoritairement contre ce texte.

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Panunzi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Jacques Panunzi. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, nous sommes là aujourd’hui pour donner une portée mémorielle au drame survenu le mardi 5 mai 1992 à Furiani, commune limitrophe au sud de Bastia.

Ce jour-là, ce devait être une journée de fête sur l’île de Beauté. Le Sporting Club de Bastia, qui évolue en deuxième division, reçoit l’Olympique de Marseille à l’occasion de la demi-finale. Le stade est comble : 18 000 spectateurs. Malheureusement, la fête aura été de courte durée.

Il est vingt heures vingt-trois lorsque la partie haute de la tribune provisoire bascule et s’effondre sur elle-même, causant la mort de 18 personnes et en blessant 2 357. La dernière personne est décédée deux ans et demi après le drame, d’autres seront paralysées à vie. Pendant toute la nuit, c’est un véritable pont aérien médical qui a été établi entre la Corse et le continent pour évacuer les blessés.

Cette catastrophe marquera la Corse dans sa chair. De nombreuses familles sont endeuillées ou comptent parmi les leurs des blessés ou des personnes handicapées. À l’échelle de l’île, 18 morts et 2 357 blessés représentent à l’époque près de 1 % de la population. C’est une véritable catastrophe qui s’abat également sur le monde sportif et sur le football français.

Depuis, familles et survivants se sont battus pour que cette date du 5 mai soit commémorée dans le respect, la dignité et le souvenir.

Je salue les membres du Collectif qui se trouvent dans les tribunes, ainsi que mes amis députés de Corse, Mme la présidente de l’Assemblée de Corse et Mme la conseillère en charge du sport, et les remercie d’être présents aujourd’hui.

Grâce au travail du Collectif, au soutien de l’opinion publique et à la prise de conscience des autorités, la reconnaissance prend enfin une dimension nationale. Le 10 mars 2016, une plaque commémorative a été apposée au sein du ministère des sports.

L’article unique de la proposition de loi qui est soumise à notre examen aujourd’hui prévoit qu’aucune rencontre professionnelle ne soit disputée le 5 mai, qu’une minute de silence soit respectée en cas de manifestation opposant clubs amateurs et professionnels et qu’entre clubs amateurs un brassard noir soit porté par les joueurs.

Mes chers collègues, cette demande équilibrée, juste et légitime doit pouvoir être adoptée en l’état. Élu de la Corse et membre de la majorité sénatoriale, je demande de nouveau à mes collègues de tous les groupes de se prononcer en faveur du texte sans modification. Seule une adoption conforme dans les deux assemblées permettra une promulgation immédiate de la loi sans nouvelle lecture.

Dans quelques mois, le 5 mai 2022, ce sera le trentième anniversaire de la tragédie. Pourtant, au lendemain de celle-ci, on parlait déjà de geler la tenue de matchs de football professionnel à cette date. C’était ce qu’avait assuré le président Mitterrand alors en exercice dans les jours qui avaient suivi.

Que la route fut longue ! Si l’on doit aujourd’hui en passer par la loi et en appeler au monde politique, c’est justement parce que les autorités sportives nationales n’ont pas été au rendez-vous pendant de nombreuses années.

Sénèque disait que les grandes douleurs sont muettes. Depuis bientôt trente ans, la réponse à ce drame, celle qu’on était en droit d’attendre, notamment des autorités sportives, est un silence assourdissant.

Par le vote de cette proposition de loi, la représentation nationale rend hommage aux victimes, aux familles, aux personnes encore affligées à ce jour par ce drame qui font vivre le collectif constitué l’été qui suivit la tragédie. Elle envoie aussi un message à la Corse, lui signifiant que, si son insularité et sa spécificité en font une région entièrement à part, elle n’en demeure pas moins une région française à part entière.

M. Max Brisson. Très bien !

M. Jean-Jacques Panunzi. Le drame de Furiani a touché la Corse : il concerne donc la Nation entière et le monde sportif français. Il est temps d’en tenir compte, collectivement, dans un esprit de concorde. C’est un devoir de mémoire. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et GEST. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Paul Toussaint Parigi. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Paul Toussaint Parigi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le soleil déclinait et l’ambiance montait. C’était un mardi, c’était il y a bientôt trente ans. La liesse générale faisait battre le cœur de tous ceux venus dans un élan de solidarité assister au match de demi-finale de la Coupe de France qui opposait le Sporting Club de Bastia à l’Olympique de Marseille (OM).

Le rêve était encore permis : l’espoir de victoire, l’engouement terrible de toutes les générations battaient ressac dans les gradins. Le peuple corse tout entier rêvait d’un grand exploit, de lendemains heureux remplis de promesses.

Trois minutes avant le coup d’envoi, dans la ferveur, sous les cris d’espoir et les encouragements, l’inouï, l’inconcevable, l’incroyable, est arrivé pour écrire la page la plus funeste de l’histoire du football français.

La tribune Nord du stade Armand-Cesari s’effondre, se dérobe, happant dans un grondement fracassant trois mille âmes dans le vide.

L’effroi, la stupéfaction, puis l’horreur, celle des décombres, des corps, celle d’une tragédie à ciel ouvert née du choix délibéré de maximiser le profit de cette rencontre au détriment de la sécurité des spectateurs, du choix de l’argent au détriment de la vie. Pour les victimes, pour leurs proches, le 5 mai 1992, c’était hier.

Le texte que nous vous proposons aujourd’hui est la résultante d’une promesse à la hauteur de ce drame national, celle prise par François Mitterrand que « plus aucune rencontre officielle ne [serait] organisée un 5 mai en France », celle qui incarne le courage politique, celui de réparer les manquements, les outrages de ceux qui ont échoué, de ceux qui ont minimisé.

C’est aussi le fruit d’un combat que je salue, celui du Collectif des victimes de la catastrophe de Furiani du 5 mai 1992, dont certains de ses membres sont parmi nous aujourd’hui et qui, depuis trente ans, lutte contre l’escalade de l’oubli, en dépit des déceptions, des promesses non tenues, des hésitations des instances du football.

C’est aussi l’émergence de la solidarité qui existe encore au sein de la communauté footballistique, laquelle a largement exprimé en diverses occasions son soutien en faveur d’un gel des matchs.

C’est aussi une volonté de réconciliation du peuple du football avec sa mémoire, l’histoire de la réparation d’un oubli qui dure désormais depuis trop longtemps envers les familles de victimes, lesquelles voient depuis cette triste date leur douleur et leurs droits piétinés.

Car, oui, Furiani porte le sceau d’une trahison, celle des responsables de cette série de dysfonctionnements, de négligences et de fautes irréparables et hélas fatales, et ce au nom de la cupidité.

De tels manquements obligent : ils obligent le service public, l’État et, en l’occurrence, la représentation nationale à agir, lorsque les fédérations et les ligues ne prennent pas spontanément leurs responsabilités.

Certains d’entre vous s’interrogent encore sur la nature de la solution à apporter. En est-il encore temps ? Non. Je crains que l’indifférence ne soit allée trop loin pour que nous puissions aujourd’hui reculer.

Sommes-nous capables, dans un élan d’humanité et de générosité, de voter cette proposition de loi qui ne demande que cinq journées sur les vingt prochaines années, contrainte bien dérisoire pour le calendrier du football lorsque l’on connaît l’imprévisibilité des mouvements sociaux ou des conditions climatiques ?

Aujourd’hui, le temps des questions est révolu. Il est à mes yeux un devoir tout aussi grand que celui de respecter la volonté de nos morts : le devoir d’accompagner ceux qui les pleurent, en leur offrant la possibilité d’honorer dignement leur mémoire.

L’adoption de ce texte n’enlèvera ni la peine de ceux qui ont perdu un proche ni la douleur de ceux qui ont été marqués dans leur chair et qui souffrent encore aujourd’hui dans leur corps, mais il évitera une souffrance de plus, un nouveau désaveu.

Ce que nous nous apprêtons à voter dépasse le football, dépasse la Corse : cette proposition de loi nous concerne tous, elle doit donc nous réunir et nous rappeler le sens du vivre ensemble, l’esprit de communion, la mémoire collective.

Ce texte est aussi l’occasion d’un symbole, d’un message, celui de réaffirmer que la vie peut prendre d’autres chemins que le drame, l’occasion d’inscrire dans le marbre de la loi que l’argent ne peut pas étouffer la vie ni l’oubli sacrifier la mémoire.

Aussi, mes chers collègues, à la suite du vote unanime de l’Assemblée nationale, c’est avec gravité et solennité que je vous demande de bien vouloir adopter sans modification ce texte, afin de ne pas briser l’espoir, juste et humain, de cette reconnaissance tant attendue. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – MM. Pierre Ouzoulias et Michel Laugier applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la catastrophe de Furiani, qui nous rassemble aujourd’hui autour d’une proposition de loi du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est d’abord un drame humain qui a frappé de très nombreux Corses.

Je souhaite rendre hommage aux 19 morts, aux plus de 2 300 blessés, dont beaucoup gardent encore des séquelles, ainsi qu’à toutes les familles affectées, sur l’île comme sur le continent.

Les tragédies sont sans doute parfois inévitables. Celle-ci résulte d’une succession de mauvaises décisions, de fautes, de manquements, d’une accumulation de défaillances de différents organisateurs du match Bastia-OM, deux équipes qui se retrouvaient en demi-finale de la Coupe de France pour ce qui aurait dû être certes une compétition disputée, mais surtout une fête, comme le sont, comme devraient toujours l’être, les matchs de foot et les compétitions sportives en général. Aux problèmes de conformité des installations qui ont suscité les réserves de la commission de sécurité s’est ajoutée la mise en place d’une double billetterie masquant le nombre réel de spectateurs présents dans la tribune érigée à la va-vite et qui s’est, de ce fait, effondrée.

Comment donc ne pas voir aussi dans ce drame une volonté délibérée de faire passer des intérêts mercantiles avant tout, au détriment de vies humaines ? Il ne s’agit donc pas seulement d’honorer la mémoire des disparus, même si cela est essentiel, et d’apporter de la compassion à leurs proches ; il s’agit à nos yeux de réaffirmer avec gravité, avec force : « Plus jamais cela ! »

Nous nous réjouissons bien évidemment que le contrôle des installations sportives et les procédures d’homologation des équipements recevant des manifestations sportives ou des installations provisoires aient été renforcés. Nous nous réjouissons que la Fédération française de football et la Ligue de football professionnel aient aussi mis en place des dispositifs permettant de contrôler l’émission de billets par les clubs.

En plus de ces mesures indispensables, les familles des victimes, qui ont reçu de larges soutiens, ont souhaité que les matchs de foot soient gelés à la date du 5 mai. Finalement, ce sont les mêmes intérêts mercantiles qui ont empêché jusqu’à présent, près de trente ans après, de trouver un accord satisfaisant.

Tout cela nous conduit aujourd’hui à légiférer. Beaucoup s’interrogent légitimement sur la pertinence d’en passer par la loi pour commémorer cette date et faire en sorte que plus aucun match n’ait lieu ce jour-là, en tout cas plus de matchs professionnels de ligue 1 et de ligue 2, de matchs de Coupe de France et du Trophée des Champions, puisque c’est de ceux-là qu’il s’agit.

Depuis 2012, le Collectif et les instances du football ont entamé une concertation pour déterminer quelles formes devait revêtir cette commémoration.

Ce n’est que trois ans plus tard, le 22 juillet 2015, sous la pression de l’État qui a essayé de trouver un compromis, qu’un accord a été trouvé, reconnaissant la catastrophe comme « drame national » et comprenant cinq engagements, comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur.

Un premier pas a été fait vers le gel des matchs le 5 mai, mais uniquement lorsque cette date se trouve être un samedi. Cet accord demeure partiel et a déjà montré ses limites. Les familles des victimes ont le sentiment que la Fédération française de football et la Ligue de football professionnel n’ont pas pleinement pris conscience des attentes mémorielles et de la symbolique des enjeux de cette journée.

Cette proposition de loi vise à répondre à ces attentes et notre groupe la votera.

Que personne ne s’inquiète des conséquences économiques d’une telle disposition, si d’aventure certains restaient animés par des intérêts mercantiles : seule une petite demi-douzaine de dates de matchs professionnels sera concernée d’ici à 2040.

N’hésitons pas : adoptons cette proposition de loi en saisissant ce qui est sans doute l’une des dernières chances pour poser cet acte fort à l’occasion du trentième anniversaire de ce drame. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST. – M. Claude Kern applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Claude Kern. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Claude Kern. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est des moments de fureur qui ne peuvent pas s’éteindre vraiment, des moments de sidération que l’on ne saurait oublier trop vite, des tragédies qui doivent s’inscrire au-delà des mémoires. Furiani, trente ans plus tard, se rappelle à nous tous les 5 mai – et ce sera indubitablement encore plus vrai le 5 mai 2022.

La catastrophe reste gravée dans la chair et dans les corps, et, dans les esprits, ce sont des absences et d’inévitables questions en suspens, sans réponse. Rien de ce qui s’est passé ce 5 mai n’est anecdotique. Ce n’est pas qu’une histoire de bruit et de fureur, de fracas et de fatalité, c’est aussi et surtout une histoire d’irresponsabilité et d’inconséquence.

De fait, il ne s’agit plus ici de dénouer le fil des responsabilités, alors que justice a été rendue. Il s’agit avant tout de faire en sorte que ce drame soit pour toujours gravé dans les mémoires par une reconnaissance et un hommage qui iraient au-delà des mots. Que de la violence physique, morale et psychique de ce funeste soir, la France se souvienne par un recueillement à la hauteur de l’aberration subie et de la coupable quasi-indifférence qui s’ensuivit.

Ce qui doit rester aujourd’hui de cette soirée tragique, de cette soirée d’insouciance bafouée, de cette soirée de dommages irréversibles aux corps et aux esprits, c’est tout simplement le respect, celui que les vivants doivent aux morts, celui que l’on doit aux accidentés de la vie, celui que l’on doit à ce qui a été jugé et jaugé, celui de la parole donnée aussi. Il y a eu des insuffisances, des failles, des manquements, puis des trahisons : a fortiori, cela nous oblige en tant que Nation.

Faire respecter le 5 mai, c’est d’abord tenir à de vieilles promesses au lendemain d’une infâme, ineffable et incurable incurie : ne plus organiser de rencontres de football le 5 mai, tout simplement.

Il faut, en toute dignité, respecter la parole donnée, respecter le silence des morts et respecter les souffrances des victimes et ne plus taper dans un ballon de ligue 1 et de ligue 2 professionnelles sur aucune pelouse, parce qu’il n’est pas soutenable qu’un terrain de jeu soit devenu, un soir de mai, ce jardin effroyable. Il n’est pas soutenable qu’un 5 mai on puisse, comme si de rien n’était, s’amuser, faire du « football business » sur un rectangle vert, avec des joueurs encouragés par un public plus ou moins mobilisé mais, quoi qu’il en soit, peu concerné et pas assez sollicité pour orienter ses pensées vers les victimes, avec le respect qui leur est dû.

Aujourd’hui, l’incompréhension demeure vive entre les victimes directes ou indirectes de cette catastrophe et les instances nationales du football. C’est dans ce contexte que le trentième anniversaire du drame de Furiani doit mener à un certain apaisement et donner à cette échéance la valeur et la force d’une reconnaissance nationale. Compte tenu des insuffisances du dialogue entre les instances en cause et les victimes, le recours à la loi s’impose comme un pis-aller, à défaut du consensus naturel qui aurait pu – qui aurait dû ! – s’installer ici à l’occasion du souvenir de ce drame épouvantable, fondamentalement évitable, profondément injuste et indignement assumé par les autorités en cause.

Cette proposition de loi paraît équilibrée, en tenant à l’écart de cette indispensable restriction les matchs amateurs et les matchs internationaux. Rien, aucun obstacle technique ou juridique, ne justifie le report éventuel de telle ou telle rencontre après qu’elle aura été décalée.

La commission de la culture, de l’éducation et de la communication, dont je suis membre, prend acte de l’émergence, certes tardive, du compromis qui a été finalement obtenu et a adopté sans modification la proposition de loi. La nécessité de faire œuvre de mémoire et de commémorer le drame de Furiani est désormais unanimement reconnue. L’État a pris ses responsabilités et l’accord du 22 juillet 2015 est venu sceller les fruits de ce dialogue avec le Collectif des victimes de la catastrophe de Furiani du 5 mai 1992.

Il est regrettable que les instances du football n’aient pas fait preuve d’une empathie ou d’une énergie qui aurait pu dispenser le législateur d’intervenir en première ligne sur ce terrain glissant. En effet, cela pourrait ensuite encourager toutes sortes d’initiatives comparables, plus ou moins légitimes, qui ne relèvent pas forcément du travail ou du rôle des institutions parlementaires.

Cela étant, gardons-nous de faire jouer complaisamment le mauvais rôle aux sénateurs : il ne s’agit pas d’un vote purement technique. La dimension humaine nous invite non pas seulement à une cohérence intellectuelle, mais aussi à une ouverture du cœur.

Dès lors, dans sa majorité, le groupe Union Centriste ne participera pas au vote de ce texte, afin de permettre son adoption rapide. Pour ma part, compte tenu des éléments fondamentaux, facilitateurs et opportunément orientés que je viens d’évoquer, mais aussi de l’équilibre qui a été trouvé, je plaide pour un vote positif, ma conviction étant que ce texte mérite qu’on l’approuve. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et GEST.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme cela a été rappelé, la tribune Nord du stade Armand-Cesari s’effondrait à Furiani il y a vingt-neuf ans, faisant 19 morts et plus de 2 300 victimes. Ce drame, survenu le 5 mai 1992, est encore aujourd’hui source de profonde affliction pour les victimes et pour leurs familles. Je souhaite à mon tour leur rendre hommage au nom du groupe RDSE et en mon nom personnel.

Permettez-moi également de saluer ici la mémoire de Bernard Tapie, dont on se rappelle la bravoure lors de cette catastrophe à laquelle il était présent, lui qui n’a pas hésité à rejoindre les équipes de secours pour tenter de sauver des décombres les supporters immobilisés.

Par-delà la question des effets de ce texte sur les compétitions de football professionnel, je tiens à souligner l’importance des enjeux soulevés par cette proposition de loi que sont la mémoire, la commémoration et la résilience.

Cependant, bien que je sois bien évidemment en accord avec le fond de ce texte, mes collègues du RDSE et moi-même nous interrogeons sur la pertinence de recourir à la loi pour régler cette question. En l’espèce, le législateur tente de réguler une situation qui, à nos yeux, relève d’abord de la compétence des instances sportives autonomes que sont la Fédération française de football et la Ligue de football professionnel. Ces dernières se disent de leur côté prêtes à étendre les hommages, mais sans interdire les matchs. Je rappelle que la LFP plaide « en faveur d’une commémoration renforcée sur tous les terrains de France ».

Aussi, plutôt que d’interdire la tenue des matchs de football professionnel tous les 5 mai, il m’aurait paru plus convaincant de suivre l’exemple de nos voisins anglais. Après la catastrophe du stade d’Hillsborough qui a provoqué la mort de 96 personnes en 1989, divers dispositifs, tels que l’instauration d’une minute de silence, ont été mis en place en Angleterre.

Toutes les initiatives sont les bienvenues. Je pense par exemple au port d’un brassard noir. Je salue en ce sens l’action de l’AS Saint-Étienne (ASSE) qui, à l’occasion d’un match se tenant le 5 mai 2019, a créé des maillots spéciaux portant l’inscription « L’ASSE n’oubliera jamais, 5 mai 1992 ».

D’autres pays touchés par ce type de drame, comme la Grèce en 1981 ou la Belgique en 1985, ont également mis en place des dispositifs mémoriels équivalents, sans jamais annuler un match en guise de commémoration.

La mémoire ne résonne pas dans le silence. Si l’émulation est l’essence du football, comme le disait Pierre de Coubertin, alors nous devons honorer les victimes par le jeu, par la passion, par la ferveur, par le fait de laisser s’épanouir ce ciment social qu’est le football. Nous le savons, la pandémie de covid-19 a confiné nos stades et nos supporters trop longtemps. Les matchs à huis clos ne sont désormais plus qu’un mauvais souvenir, pour les supporters comme pour les joueurs, qui ont tous reconnu que jouer dans un stade vide ne procurait pas du tout les mêmes sensations.

Laissons vivre le souvenir dans l’action, dans l’émulation collective. Rendons hommage aux victimes en entretenant la flamme de leur passion.

En outre, pourquoi légiférer presque trente ans après le drame ? Il me paraît inopportun d’associer les auteurs de ce texte au phénomène de surenchère législative puisque la production de lois mémorielles relève de notre devoir de mémoire.

Le dispositif principal de cette proposition est à mes yeux contradictoire. Ne commémorons pas nos victimes dans le silence, mais faisons-le ensemble : taisons-nous ensemble pour elles, applaudissons-les ensemble, souvenons-nous ensemble.

Pour toutes ces raisons, notre groupe, à l’exception de l’un de ses membres, Jean-Noël Guérini, qui le votera par solidarité corse, ne prendre pas part au vote, bien que, je le répète, nous ne remettions pas en cause le fond de ce texte.

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach.

M. Jean-Jacques Lozach. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a près de trente ans, le 5 mai 1992, le Sporting Club de Bastia recevait dans son stade Armand-Cesari de Furiani l’Olympique de Marseille pour une place en finale de la Coupe de France de football.

Dès l’issue du tirage au sort et dans le cadre de la préparation de cette affiche, les autorités du club corse décidèrent de maximiser les capacités d’accueil du public et des supporters des deux équipes, intention traduite par la démolition de la tribune Nord Claude Papi le 28 avril 1992, qui avait une jauge de 800 spectateurs, et son remplacement par une autre, provisoire, qui en décupla le nombre de places. En moins de dix jours, la capacité du stade était portée de 6 800 spectateurs à près de 18 000.

Un accord oral est alors conclu par les autorités du club avec le directeur général de l’entreprise niçoise Sud-Tribunes. Responsable du chantier, celui-ci décidera de parer au manque de temps et de main-d’œuvre en procédant à un mixage de deux types de matériels : des éléments métalliques approuvés par la Société de contrôle technique et d’expertise de la construction (Socotec) et complétés par des éléments réservés d’ordinaire aux échafaudages.

À la suite d’un compactage également réalisé le 28 avril 1992, cette société de contrôle technique, agréée par l’État, rendra un avis favorable sur la solidité du sol d’assise, préalable à l’édification de la nouvelle structure.

Du côté des instances, la commission départementale de sécurité présidée par le directeur de cabinet du préfet se réunit à plusieurs reprises et décide finalement, quelques heures avant le début du match, qu’il n’y a pas lieu d’interdire la rencontre. L’enquête révélera par la suite la falsification de plusieurs procès-verbaux, ainsi que la mise en place d’une billetterie parallèle, assortie de comptes de recettes sous-évalués.

Ainsi de nombreuses irrégularités furent-elles commises, expliquées par l’appât du gain.

Les conséquences, terribles, conduisent à l’effondrement quelques minutes avant le début de la rencontre de 4 000 des quelque 10 000 places installées à la hâte, irrégulièrement et au mépris des règles élémentaires : absence de contrat écrit, absence de plans et de notes de calculs, absence de registre de sécurité. La catastrophe est vécue en direct à la télévision par des millions de Français. Le bilan, dramatique, s’établira finalement à 19 morts et 2 357 blessés, soulevant une très vive émotion dans tout le pays.

Dès le lendemain, le président François Mitterrand se rend à Bastia au chevet des victimes et déclare que plus aucun match de football ne sera joué en France un 5 mai.

Le 15 décembre 1995, la cour d’appel de Bastia confirme la condamnation du dirigeant de l’entreprise Sud-Tribunes à deux ans de prison ferme pour homicide et blessures involontaires et prononce huit peines de prison avec sursis assorties d’amendes à l’encontre du directeur de cabinet du préfet, d’un agent de la Socotec et de responsables de la Ligue de football corse, de dirigeants du Sporting Club de Bastia et de la Fédération française de football.

Dans l’opinion, ce jugement fut relativement mal reçu, étendant à l’autorité judiciaire le sentiment de défaillance global caractérisant cette affaire.

Depuis, pouvoirs publics, société civile et acteurs sportifs cheminent et tentent de s’entendre sur la réalisation d’un hommage aux victimes durable, le plus digne et le plus large possible. Toutefois apparaissent des conceptions opposées sur les façons de commémorer.

Là où la Fédération française de football et la Ligue de football professionnel défendent une vision active du souvenir comme meilleur rempart à l’oubli et encouragent le déroulement des compétitions auxquelles seraient associés des gestes symboliques, les survivants et proches des victimes, pour certains réunis au sein du Collectif des victimes de la catastrophe de Furiani du 5 mai 1992, souhaitent quant à eux une trêve d’une journée dédiée à l’entretien du souvenir et au recueillement.

Dans ce travail mémoriel, une avancée importante est réalisée avec la mise en place de l’accord du 22 juillet 2015, soit cinq engagements collectivement pris, sous la direction de Thierry Braillard, alors secrétaire d’État chargé des sports. La reconnaissance des événements survenus à Furiani en tant que drame national est actée. Un ensemble d’actions concernant la promotion des valeurs éthiques et citoyennes du sport au sein des établissements scolaires sont instaurées, dont nous apprendrons par les différents acteurs auditionnés dans le cadre de l’examen de ce texte qu’elles sont très largement négligées.

Aujourd’hui, la proposition de loi et son article unique visent à franchir une étape supplémentaire dans la reconnaissance du drame de Furiani en insérant dans le code du sport une disposition neutralisant la tenue des matchs de football professionnel en France – ligue 1, ligue 2, Coupe de France, Trophée des Champions – à la date du 5 mai, dérogeant ainsi aux modalités actuelles d’organisation du calendrier concerné.

Cette mesure soulève quelques interrogations.

D’abord, elle acte la remise en cause du principe même de l’autonomie du mouvement sportif, c’est-à-dire le droit de chaque ligue sportive et fédération délégataire, chargée d’une mission de service public déléguée par l’État, de fixer, en vertu des articles L. 131-1 du code du sport et suivants, le calendrier des manifestations qu’elles organisent pour leurs licenciés, en constituant une forme d’ingérence.

Par ailleurs, nous pouvons questionner l’opportunité et le bien-fondé d’une réponse législative face à la revendication d’un groupe et aux attentes d’une partie de la collectivité nationale.

Pour quels motifs pertinents devrions-nous circonscrire ce dispositif dérogatoire au football professionnel ? D’autres matières pourraient-elles se voir elles aussi frappées par cette sanctuarisation de la date du 5 mai, par solidarité interdisciplinaire ? Quid du traitement mémoriel des catastrophes pouvant survenir à l’avenir dans d’autres secteurs accueillant du public, comme la culture, l’enseignement, etc. ?

Nous revient-il de légiférer sur le calendrier des matchs de football ?

M. Jean-Jacques Lozach. Une étude d’impact aurait certainement permis de sécuriser davantage cette mesure restreignant les champs de compétences de la Fédération française de football et de la Ligue de football professionnel.

Les auteurs de ce texte proposent un rattrapage, voire une réparation, vis-à-vis de ce qui aurait dû être réalisé au cours de ces décennies afin de panser les plaies d’un profond traumatisme. Les réponses apportées sur le long terme ont été insuffisantes.

Si les propos de François Mitterrand n’ont pas pu être traduits en actes, ce drame a toutefois placé certains acteurs du football professionnel face à leur cupidité, en exposant publiquement le risque que l’on encourt à faire passer des intérêts économiques avant la sécurité des équipements recevant du public.

Comme trop souvent, c’est un choc qui conduit à la prise de conscience collective de la nécessité de faire évoluer les normes concernant la conception des enceintes sportives, l’accueil des supporters et la sécurité des compétitions. Il en a également été ainsi à la suite de l’accident le plus dramatique de l’histoire du sport français, qui causa la mort de 84 personnes lors des 24 heures du Mans de 1955.

En matière d’infrastructures, les efforts doivent être poursuivis par la mise en œuvre d’un plan d’investissement massif en faveur d’une modernisation de nos équipements sportifs, dont l’ancienneté, la vétusté et l’inadéquation à la spécialisation des activités sportives desservent le développement des pratiques et nuisent aux résultats de nos athlètes dans les compétitions internationales.

En 2009, la Cour des comptes pointait déjà ces carences en reprenant une estimation des économistes Jean-François Bourg et Jean-François Nys, qui chiffraient à 21 milliards d’euros le montant nécessaire à la rénovation du patrimoine sportif français, 6 milliards d’euros devant être attribués à la mise en conformité des installations et 15 milliards d’euros à l’adaptation des équipements aux nouvelles attentes des pratiquants.

Selon l’Association nationale des élus en charge du sport (Andes), 22 % des installations sportives ont plus de cinquante ans et deviennent obsolètes, voire inutilisables, 42 % des équipements ont plus de 36 ans, 7 équipements sur 10 n’ont jamais été rénovés, entraînant la saturation précoce de créneaux de pratique et le refus des clubs de valider de nouvelles adhésions. Les complexes aquatiques sont d’ailleurs plus vieillissants que la moyenne des équipements : 63 % ont plus de 25 ans et 50 %, plus de 36 ans.

Aussi n’est-il pas étonnant que l’Andes monte au créneau sur ce sujet en demandant une loi de programmation à hauteur d’un milliard d’euros, étalée sur cinq ans.

Madame la ministre, 21 milliards d’euros sont nécessaires à la rénovation de nos équipements sportifs. Ce n’est pas rien, surtout si l’on rapporte cette somme aux crédits alloués au sport pour 2022 dans le contexte particulier de la préparation des jeux Olympiques de 2024, soit 987 millions d’euros !

Au cours de la cérémonie en l’honneur des médaillés olympiques de Tokyo, le 13 septembre dernier, le Président de la République annonçait un plan massif en faveur des équipements sportifs de proximité pour la période 2022-2024, un plan inédit, déclarait-il, tant « par son ampleur » que « par son esprit ». Nous attendons de connaître les nouveaux schémas de financement, de construction et d’utilisation des lieux évoqués à cette occasion.

Aujourd’hui, alors que l’agenda présidentiel est essentiellement consacré au sport, nous aurons sans doute des réponses. Les collectivités locales ou les intercommunalités, propriétaires de la quasi-totalité de ces équipements, doivent être accompagnées.

Pour revenir à la proposition de loi, malgré nos réserves, solidaires du large consensus manifesté par nos collègues députés sur un texte consolidé en séance, saluant la mémoire des victimes et leurs familles, soucieux de répondre à l’aspiration mémorielle d’une partie de nos concitoyens, les sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain voteront favorablement. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Michel Savin. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. Michel Savin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 5 mai 1992, l’un des drames les plus meurtriers que le monde sportif ait connus se déroulait à Furiani. Ce jour-là, dans ce stade, une tribune s’effondrait lors de la demi-finale de la Coupe de France entre le Sporting Club de Bastia et l’Olympique de Marseille.

Je tiens avant tout à saluer la mémoire des 19 victimes, à avoir une pensée pour les 2 357 blessés de ce dramatique accident et à saluer leurs proches, dont certains sont présents aujourd’hui dans les tribunes.

Les responsabilités directes de cet événement ont été établies et de nouvelles réglementations ont permis de prévenir le déroulement d’autres drames.

La loi du 13 juillet 1992 a ainsi complété la loi du 16 juillet 1984 relative à l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives, en créant un chapitre spécifique à la sécurité des équipements et des manifestations sportives.

Ces règles mises en œuvre ont été efficaces, puisqu’aucun drame n’est depuis arrivé.

Cependant, cet accident continue de hanter la Corse depuis trente ans et aucune initiative visant à le commémorer n’a jamais abouti.

En effet, si les initiatives furent nombreuses, notamment de la part de presque tous les présidents de la République, rien n’a jamais abouti. Pis, les engagements de certains acteurs n’ont pas été honorés.

C’est pourquoi nous nous retrouvons aujourd’hui à discuter d’un texte pour régler une question mémorielle qui ne relève pas forcément de la loi. Certains s’interrogent sur le bien-fondé des dispositions proposées.

Nous débattons de l’interdiction de jouer des matchs tous les 5 mai, pour les championnats professionnels de ligue 1 et ligue 2 ainsi que pour la Coupe de France et le Trophée des Champions. D’ici à 2040, cela concernera huit journées.

Par ailleurs, lors des matchs de football officiels des championnats amateurs se déroulant un 5 mai, les joueurs des deux équipes et les membres du corps arbitral devront porter un brassard noir. Nous mesurons bien l’impact avant tout symbolique du vote d’un tel texte.

À titre personnel, je regrette cependant que l’ambition générale du texte et sa portée ne soient pas plus grandes et que cette proposition de loi ne reprenne notamment qu’une partie des engagements de l’accord du 22 juillet 2015.

Deux des cinq points de cet accord n’ont en effet jamais été appliqués, à savoir, d’une part, le lancement d’une réflexion conjointe aux ministères des sports et de l’éducation nationale pour promouvoir annuellement, durant la semaine du 5 mai, les valeurs du sport au travers d’actions spécifiques au sein des établissements scolaires, d’autre part, la création par le ministère des sports d’un prix annuel dédié à la promotion des valeurs éthiques et citoyennes du sport devant être remis lors de la semaine du 5 mai.

Ces deux points, qui honorent la mémoire des victimes dans l’histoire collective et dépassent ce simple événement pour renforcer la promotion du sport, notamment en direction des jeunes générations, auraient été de formidables opportunités pour que tous les acteurs se retrouvent. C’est donc avec regret que je constate l’inertie du ministère des sports sur cette question durant toutes ces années.

Par ailleurs, les dispositifs prévus par cette proposition de loi n’impliquent à aucun moment les supporters. C’est là aussi, me semble-t-il, un réel manque. Nous sommes nombreux à penser que cet hommage aurait pu être rendu en présence du public, afin que personne n’oublie cette catastrophe nationale.

Le devoir de mémoire ne peut pas s’exercer seulement par l’interdiction du déroulement des matchs les 5 mai. En effet, ces derniers continueront de se dérouler les jours précédents ou suivants, alors qu’il est déterminant que les jeunes générations puissent avoir connaissance de cet événement et ainsi y être sensibilisées.

C’est principalement pour cette raison que la question de l’adoption de ce texte a pu être posée. D’ailleurs, le débat est appelé à se poursuivre lors de l’examen des amendements.

Enfin, alors même que j’appelle de mes vœux l’adoption conforme de ce texte afin qu’il puisse être promulgué dans les plus brefs délais et entrer en vigueur au trentième anniversaire de ce drame au mois de mai prochain, j’espère également, madame la ministre, que les hommages ne se limiteront pas à la mesure retenue.

Comme l’a très bien souligné le rapporteur, « l’absence de reconnaissance du caractère véritablement national de ce drame n’a pas permis d’apaiser la douleur des victimes et de leurs proches » et, « compte tenu de l’impossibilité qui s’est fait jour jusqu’à présent de dégager un consensus au travers d’un dialogue avec les instances sportives puis avec le ministère en charge des sports, il apparaît que le recours à la loi constitue l’ultime espoir pour les victimes d’être entendues ». Voilà qui est regrettable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi en premier lieu d’avoir une pensée pour ceux qui sont « tombés », comme l’on dit en Corse, ce maudit 5 mai 1992, au stade Armand-Cesari de Furiani, alors qu’ils venaient partager un moment de bonheur comme le football sait nous en réserver tant. Le football, c’est la vie ! Cela n’aurait jamais dû être la mort ce soir-là.

Aujourd’hui, l’heure n’est plus à pointer les responsabilités, puisque la justice est passée. L’heure n’est pas non plus à la récupération politique maladroite qui veut voir dans cette tragédie un symbole du « sport business », alors qu’il s’agit simplement ici de bêtise, d’irresponsabilité et de cupidité.

En ces temps de frénésie législative, l’intervention du législateur dans le champ mémoriel est toujours extrêmement délicate : l’écueil est de tomber dans la législation d’émotion, ce dont nous avons malheureusement pris l’habitude depuis trente ans.

Pour ma part, contrairement à ce que proposent les auteurs de ce texte, je crois que la plus belle et la plus puissante façon de rendre hommage aux victimes du drame de Furiani, c’est justement de jouer au football le 5 mai, en marquant un moment de recueillement solennel.

M. Michel Savin. Très bien !

M. Jean-Raymond Hugonet. Dans le Sud, à la place d’une minute de silence a lieu une minute d’applaudissements.

Pourtant, m’exprimant à titre personnel et après mûre réflexion, je voterai cette proposition de loi. (Marques de satisfaction sur les travées du groupe GEST.)

Pourquoi, me demanderez-vous ? Pour trois raisons simples.

D’abord, parce qu’en Corse on se souvient. Il s’agit même d’une passion insulaire, ce qui est heureux dans cette société où nous avons tendance à zapper. Là-bas, on dit : à quoi cela servirait-il de vivre, si personne ne se souvenait de vous après la mort ?

Ensuite, parce que, depuis trente ans, l’État, la Fédération française de football et la Ligue de football professionnel ont été incapables de trouver une solution consensuelle pour tenter d’apaiser la douleur des victimes.

Enfin, parce que, si je comprends les réticences de certains collègues, je voudrais pour les convaincre leur rappeler les mots du grand Albert Camus : « Ce que je sais de la morale, c’est au football que je le dois. » Je vois également dans cette proposition de loi l’occasion de rappeler aux représentants de ce merveilleux sport combien il est périlleux de s’éloigner de cette morale. C’est pour cette raison profonde que je voterai ce texte.

Pace è salute ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai écouté attentivement tous les arguments présentés, notamment ceux en faveur d’un vote conforme du texte, ce qui est aussi le souhait du Gouvernement.

M. Savin a déclaré regretter que, sur ce drame qui a marqué nos esprits et que nous gardons tous en mémoire, l’État ne soit pas intervenu plus tôt.

Je tiens à rappeler que les parlementaires ont voté la loi confortant le respect des principes de la République, promulguée le 24 août 2021. À l’occasion de la discussion de ce texte, le Gouvernement a souhaité engager davantage les fédérations sportives et les ligues professionnelles sur les enjeux de société et de citoyenneté et a introduit une responsabilité de devoir mémoriel.

La proposition de loi soumise à votre examen aujourd’hui s’inscrit dans la continuité du texte voté l’été dernier et je me réjouis qu’elle puisse être adoptée dans cet hémicycle.

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant au gel des matchs de football le 5 mai

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant au gel des matchs de football le 5 mai
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article unique

(Non modifié)

Le titre III du livre III du code du sport est complété par un chapitre IV ainsi rédigé :

« CHAPITRE IV

« Dispositions particulières à titre dhommage

« Art. L. 334-1. – En hommage aux victimes du drame national survenu en marge de la rencontre de Coupe de France disputée au stade Armand-Cesari de Furiani le 5 mai 1992, aucune rencontre ou manifestation sportive organisée dans le cadre ou en marge des championnats de France professionnels de football de première et deuxième divisions, de la Coupe de France de football et du Trophée des Champions n’est jouée à la date du 5 mai. Lors de toutes les rencontres ou manifestations sportives entre clubs amateurs et professionnels, à l’exclusion de celles mentionnées à la première phrase du présent alinéa, organisées par la Fédération française de football, une minute de silence est observée.

« Tous les 5 mai, lors des matchs de football officiels des championnats amateurs, chaque joueur des deux équipes et les membres du corps arbitral portent un brassard noir. »

M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir, sur l’article.

M. Stéphane Piednoir. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au moment d’aborder la discussion de l’article unique de cette proposition de loi, je vous ferai part des sentiments mêlés qui me traversent.

D’abord, bien sûr, l’émotion, celle du jeune adulte que j’étais alors que je regardais la télévision le 5 mai 1992 à vingt heures vingt-trois. J’attendais avec joie une fête du sport et j’ai été marqué par les images de ce drame, même si alors je ne mesurais pas encore la peine de perdre un proche dans des conditions tragiques. Je m’associe à la douleur des familles.

Ensuite, le regret face à l’aveu de l’échec des négociations entre les familles des victimes et les instances du football depuis trente ans, ce qu’a pointé Jean-Raymond Hugonet. Je déplore que nous ne soyons pas capables de porter collectivement ce message, notamment afin d’infléchir la position des instances fédérales.

Toutefois, je dois également exprimer plusieurs réserves.

Notre rôle de législateur a été efficace : en raison du durcissement des règles d’accès aux stades de football, aucun drame de ce type ne s’est produit sur notre territoire depuis 1992. Les conditions d’accueil ont été durcies de manière extraordinaire – tant mieux.

Je m’associe aux nombreuses remarques formulées en commission et en séance : je ne crois pas que le sujet abordé par cette proposition de loi soit de nature législative.

La forme même de l’hommage proposé, muet et punitif, pourrait conduire à faire tomber cette date dans l’oubli, alors que tant d’autres façons existent de fêter le football, le sport en général, et de rendre hommage aux victimes de ce drame, par exemple en applaudissant et en jouant les 5 mai.

Vous comprendrez donc que je ne puisse pas m’associer à cette proposition de loi.

M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin, sur l’article.

M. Jacques Grosperrin. Sans vous faire offense, madame la ministre, il aurait été important que la ministre chargée des sports soit présente.

Je me suis abstenu en commission, car je souhaitais un véritable débat, où l’on s’interroge sur les responsabilités de chacun et les manières d’honorer. Ne faut-il pas plutôt continuer à jouer, prévoir une minute de silence et le port de brassards pour ne pas oublier cette catastrophe, comme le souligne Stéphane Piednoir ? Ne faut-il pas aller encore plus loin avec cette proposition de loi ?

Mon ami Jean-Jacques Panunzi m’a convaincu : au-delà des chiffres – 19 décès, 2 357 blessés –, ce sont des personnes et des familles qui sont touchées dans leur chair et des noms qui résonnent. Les victimes représentent 1 % de la population corse de l’époque ; si cette catastrophe s’était produite en Île-de-France, 120 000 personnes auraient été touchées, soit la population de la ville où j’habite, Besançon. C’est une tragédie.

Tant de promesses ont été faites, certaines, et non des moindres, émanant du Président de la République de l’époque.

Nous vivons un moment fort en ce haut lieu qu’est le Sénat en nous apprêtant à voter le texte conforme, alors que tant de familles ont souffert. Peut-être ce texte aidera-t-il à cicatriser les souffrances provoquées par la perte d’un être cher, à apaiser les douleurs quotidiennes de ces blessés handicapés à vie, si cela est possible tant la douleur est forte.

Notre devoir à nous, Les Républicains, groupe majoritaire, est de faire que cette proposition de loi soit votée conforme, afin que la mémoire de nos amis corses soit honorée. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et GEST.)

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, sur l’article.

M. Ronan Dantec. Tout a été dit sur ce drame qui marque toujours la mémoire de la Corse et du football français. Il faut un acte fort, que nous allons réaliser aujourd’hui.

À ceux qui se demandent à quoi sert de ne pas jouer le 5 mai, je réponds que nous ne devons pas seulement regarder le passé : à l’avenir, le fait qu’aucun match de football professionnel n’ait lieu ce jour-là offre des perspectives.

Cette journée peut ainsi devenir une journée de réflexion qui implique également des joueurs, puisqu’ils ne joueront pas. Cela serait l’occasion de réfléchir à l’ensemble des difficultés du milieu du football professionnel, culturellement si important en France. En ce sens, nous devons poursuivre le dialogue avec la Ligue de football professionnel.

Depuis Furiani, nous avons connu d’autres drames, mais de nature différente. Si, comme nos collègues communistes l’ont indiqué, le drame de Furiani est lié à des dérives financières, des supporters sont morts dans d’autres circonstances, à la suite de violences inacceptables. Le Sénat a engagé une réflexion sur les dérives du football professionnel, notamment aux côtés d’un certain nombre d’associations de supporters.

Ce vote doit permettre que cette journée du 5 mai ne soit pas qu’une journée de commémoration, même si cet aspect est tout aussi important, mais devienne également une journée de réflexion sur l’ensemble des difficultés du football professionnel français.

M. le président. La parole est à M. Max Brisson, sur l’article.

M. Max Brisson. Pourquoi les instances du football n’ont-elles pas été capables de répondre aux attentes des familles, du Collectif des victimes de la catastrophe de Furiani du 5 mai 1992 et de la Corse ?

Pourquoi la justice n’a-t-elle pas su apaiser les souffrances ?

Pourquoi le ministère des sports n’a-t-il pas été capable d’inscrire cet hommage mémoriel national dans un projet de loi ?

Pourquoi d’ailleurs, sans vous faire offense, madame la ministre, la ministre chargée des sports n’est-elle pas présente au banc du Gouvernement ?

Pourquoi faut-il passer par la loi et modifier le code du sport ?

Le Parlement de la République s’honore en marquant de son sceau l’unanimité de la Nation, là où d’autres voix n’y étaient parvenues. La Nation doit cet hommage aux victimes, aux familles et à la Corse.

J’ai été sensible à l’appel de nos collègues Jean-Jacques Panunzi et Paul Toussaint Parigi. Je voterai cette proposition de loi, parce que la Corse, dans sa pluralité, nous le demande. J’appelle mes collègues du groupe Les Républicains à la voter conforme et à repousser les deux amendements, afin que nous puissions être au rendez-vous le 5 mai 2022 pour marquer le souvenir de ce drame national. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Michel Savin, sur l’article.

M. Michel Savin. Madame la ministre, les engagements pris en 2015 n’ont pas été tenus par ce Gouvernement. Nous sommes en 2021 et rien n’a été fait !

Ces engagements concernaient notamment une réflexion conjointe du ministère des sports et du ministère de l’éducation nationale. Je ne parle pas des fédérations, madame la ministre !

Il est vrai que la loi confortant le respect des principes de la République demande aux fédérations de réaliser un travail mémoriel. Pour autant, après les engagements de 2015, aucun ministère n’a entamé de travail pour s’engager sur des actions spécifiques auprès des jeunes.

Nos collègues l’ont souligné : il ne suffit pas d’arrêter les matchs le 5 mai, il faut un travail de sensibilisation et de mobilisation de notre jeunesse. Encore une fois, nous regrettons l’inertie du Gouvernement depuis cinq ans.

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach, sur l’article.

M. Jean-Jacques Lozach. Malgré les réserves exprimées lors des différentes interventions, par-delà nos sensibilités politiques, je réitère notre position : nous sommes très attachés à un vote conforme.

Il s’agit de la dernière occasion de rendre cet hommage aux victimes du drame de Furiani. Au regard du calendrier parlementaire, compte tenu du travail préparatoire réalisé avant la première lecture à l’Assemblée nationale, mais également au Sénat par le rapporteur, étant donné l’échec de toutes les tentatives de rapprochement avec les instances du football, tant la Ligue de football professionnel que la Fédération française de football, c’est maintenant ou jamais, ai-je envie de dire. Nous n’aurons pas d’autre occasion d’approuver un texte dont l’objet nous rassemble tous, à savoir la nécessité de rendre hommage aux victimes.

Sur l’absence de rencontres professionnelles – ligue 1, ligue 2, Coupe de France… – ce jour-là, je rappelle que les clubs professionnels ont la pleine liberté d’organiser des événements autour de ce sujet, s’ils le souhaitent.

M. Jean-Jacques Lozach. On parle souvent dans les entreprises, y compris dans les sociétés sportives, de la responsabilité sociale et environnementale (RSE) ; elle est aussi citoyenne. Pour les clubs professionnels, il s’agit d’une belle occasion de témoigner leur attachement à l’amélioration de la sécurité pour l’ensemble des compétitions sportives dans notre pays. S’ils veulent participer à cet hommage, les clubs pourront le faire chaque année à cette date.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée. Mesdames, messieurs les sénateurs, la ministre chargée des sports est absente, car elle se trouve actuellement en Seine-Saint-Denis avec le Président de la République et le Premier ministre, pour annoncer un plan ambitieux et inédit en faveur du sport. Celui-ci prévoit notamment un rattrapage sur les équipements sportifs, des travaux de rénovation thermique dans les équipements des collectivités et un soutien aux associations.

M. Max Brisson. Elle devrait être là !

M. Fabien Gay. Elle est en campagne !

M. Jacques Grosperrin. Et les familles ?

Mme Nadia Hai, ministre déléguée. Vous m’avez interrogée, je vous réponds.

Je vous donne la position du Gouvernement, qui agit sous l’autorité du Premier ministre. Permettez que je porte la voix du Gouvernement tout entier, pour soutenir cette proposition de loi.

M. Max Brisson. Quel respect de la démocratie parlementaire !

Mme Nadia Hai, ministre déléguée. Monsieur le sénateur Savin, vous avez émis le regret qu’il ne se soit rien passé depuis 2015.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée. J’avais 12 ans lorsque ce drame est arrivé. Pour ma part, je regrette qu’il ne se soit rien passé avant 2015. Ce drame, qui touche des victimes et leurs familles – je salue d’ailleurs la présidente du Collectif des victimes de la catastrophe de Furiani du 5 mai 1992 présente dans les tribunes –, touche en réalité la Nation tout entière. Nous avons tous été meurtris par cet événement qui n’aurait jamais dû arriver et dont les causes ont été rappelées.

Depuis 2015, des décisions ont été prises, notamment dans l’éducation nationale, pour sensibiliser les plus jeunes aux valeurs du sport et rappeler ce drame. Depuis plus d’un an, nous avons œuvré au rapprochement du ministère de l’éducation nationale et de celui des sports.

M. Max Brisson. Quel rapport avec le sujet ?

M. Jacques Grosperrin. Vous parlez politique !

M. Fabien Gay. C’est indécent !

M. Didier Rambaud. Vous avez posé une question là-dessus !

Mme Nadia Hai, ministre déléguée. Si vous me laissez le temps de répondre, monsieur le sénateur, vous comprendrez le rapport avec le sujet. Je réponds à votre interpellation, selon laquelle rien ne se serait fait malgré les accords de 2015. Or cela a été corrigé au travers du rapprochement de ces deux ministères,…

M. Max Brisson. C’est de la très petite politique !

Mme Nadia Hai, ministre déléguée. … afin que, le jour du triste anniversaire de ce drame du 5 mai, on rappelle les valeurs du sport et promeuve la journée de la citoyenneté et ce devoir mémoriel.

M. Max Brisson. C’est politicien !

M. Jacques Grosperrin. Ce n’est pas le sujet de cette proposition de loi !

Mme Nadia Hai, ministre déléguée. Vous me posez des questions, j’y réponds !

M. le président. L’amendement n° 1, présenté par M. Folliot, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

L’amendement n° 2, présenté par M. Folliot, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Art. L. 334-1. – En hommage aux victimes du drame national survenu en marge de la rencontre de Coupe de France disputée au stade Armand-Cesari de Furiani le 5 mai 1992, lors de toutes les rencontres ou manifestations sportives entre clubs amateurs et professionnels organisées par la Fédération française de football, une minute de silence est observée.

La parole est à M. Philippe Folliot, pour présenter ces deux amendements.

M. Philippe Folliot. Nous avons tous en mémoire ce qu’il s’est passé ce jour-là : nous étions, pour la plupart, devant nos écrans de télévision quand ce qui devait être un grand moment de fête et de liesse s’est transformé en un drame terrible pour la ville de Bastia, pour la Corse et pour le football.

Les conséquences ont été fortes, puisque nombreux sont ceux qui furent touchés dans leur chair, soit qu’ils y aient laissé la vie, soit qu’ils aient été blessés, éventuellement avec des séquelles définitives.

Face à cette situation, une proposition nous est faite, qu’à certains égards on peut comprendre. Néanmoins, mes chers collègues, je veux appeler votre attention sur divers éléments.

Tout d’abord, en adoptant ce texte, nous créerions un précédent et risquerions d’être confrontés à d’autres demandes, potentiellement tout aussi légitimes, dans d’autres domaines. En d’autres termes, interdire de jouer au football ce jour-là est-il la meilleure réponse face à ce terrible drame, la meilleure expression du devoir de mémoire collective pour cet événement ?

Pour ma part, je pense – c’est l’objet de l’amendement n° 2 – qu’il faudrait plutôt, non seulement sur les terrains de football, mais également ailleurs – stades de rugby ou d’athlétisme, gymnases… –, profiter de cette journée pour rappeler, sous une forme encore à déterminer, ce qu’il s’est passé ce jour-là : alors que le sport doit être un facteur d’inclusion et de fête, tout a dérapé, le 5 mai 1992, pour conduire à une catastrophe.

Je crains que, malgré la volonté de bien faire – je comprends d’ailleurs nos collègues corses qui soutiennent cette proposition de loi –, ce texte ne constitue une « fausse bonne solution ».

M. Jacques Grosperrin. Mais vous allez retirer vos amendements, n’est-ce pas ?

M. Philippe Folliot. Il me paraît donc nécessaire de trouver d’autres formules pour se rappeler cet événement.

Par ailleurs, ces questions relèvent-elles du domaine de la loi ? Ne sont-elles pas plutôt du ressort des fédérations ? Je sais que des débats ont eu lieu au sein de la Fédération française de football et peut-être celle-ci n’est-elle pas mécontente que ce débat soit tranché loin d’elle…

Imaginons un autre drame, par exemple, l’attentat du Bataclan du 13 novembre 2015. Quelqu’un pourra demain proposer, de manière tout aussi légitime, que plus aucun concert ne soit organisé dans les salles de spectacle à la date anniversaire, à cause de ce qu’il s’est passé. Nous risquons de mettre le doigt dans un engrenage de perspectives mémorielles, importantes, sans doute, mais qui ne relèvent pas forcément du domaine législatif.

C’est la raison pour laquelle j’ai déposé ces amendements, que je retire (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.), monsieur le président, mais qui m’auront permis d’exprimer ma position et d’expliquer mon vote, malheureusement négatif, sur ce texte.

M. le président. Les amendements nos 1 et 2 sont retirés.

Vote sur l’ensemble

Article unique (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : proposition de loi visant au gel des matchs de football le 5 mai
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.

M. Guy Benarroche. Je remercie Philippe Folliot d’avoir retiré ses amendements. Je comprends certaines réserves quant au chemin choisi pour faire vivre ce devoir de mémoire, car cela ne relève pas que de la commémoration d’un drame, il s’agit bien du devoir de mémoire, qui nous semble important.

Néanmoins, rien n’ayant été fait depuis trente ans, ne pas adopter conforme cette proposition de loi aujourd’hui reviendrait à continuer de ne rien faire, pour une période dont nous ne connaissons pas la durée. Il est donc vraiment de notre devoir de voter ce texte tel quel.

J’ajouterai un élément pour apporter mon soutien à la proposition de loi promue par mon ami Paul Toussaint, ou Paulu Santu, Parigi.

J’étais, moi aussi, devant ma télé ce soir-là, mais un certain nombre de mes amis étaient dans le stade. En effet, le match opposait le Sporting Club de Bastia à l’Olympique de Marseille. Or je suis marseillais et, vous le savez, l’Olympique de Marseille est l’un des ciments fondamentaux du peuple marseillais et de la vie marseillaise.

Ainsi, parmi les gens qui étaient dans le stade – l’un de mes amis a été blessé ce jour-là – figuraient des Corses, certes, mais également des Corses de Marseille, car ils sont nombreux dans cette ville, et nombre de Marseillais. Je me fais aujourd’hui le porte-parole de ces supporters marseillais, qui nous soutiennent et qui soutiennent le Collectif dans la promotion de cette proposition de loi.

Je vous invite donc, mes chers collègues, à en tenir compte et, si vous aviez encore des doutes, à les lever pour voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à M. Paul Toussaint Parigi, pour explication de vote.

M. Paul Toussaint Parigi. Je tiens à remercier chaleureusement l’ensemble des groupes qui se sont exprimés avec bienveillance et humanité.

Je remercie également, à titre personnel, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, qui nous a permis d’examiner cette proposition de loi.

Madame la ministre, je vous prie de transmettre nos remerciements à Mme la ministre chargée des sports pour son soutien indéfectible.

Au nom de toutes les familles, de tous ceux qui souffrent, du peuple corse, de notre mémoire collective et de nos nobles valeurs, que ce texte sanctuarise, je vous remercie de ce vote historique.

M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.

M. Max Brisson. Nous avons eu un échange quelque peu musclé avec Mme la ministre ; je n’y reviens pas.

Je souhaite simplement que ce moment d’émotion et d’hommage n’entraîne aucune instrumentalisation politique par la suite, car cela affaiblirait l’hommage que tous les groupes ont voulu rendre. Tous les arguments ont été exposés, y compris ceux qui sous-tendent des réserves, exprimées jusque sur ces travées ; je les comprends, parce que certaines défaillances devaient être soulignées.

Toutefois, la Corse, fortement représentée tant dans les tribunes que dans l’hémicycle par deux sénateurs qui ont parlé d’une même voix, attend que la Nation se souvienne. Jean-Raymond Hugonet l’a très bien dit, la Corse est une terre où l’on n’oublie pas les morts.

Il est donc nécessaire, à mes yeux et aux yeux des membres du groupe Les Républicains dans leur très grande majorité, que l’hommage de la Nation soit à la hauteur de l’attente des Corses. (M. Jacques Grosperrin applaudit.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Avant de mettre aux voix l’article unique, je tiens à associer aux vœux de sympathie adressés au Collectif des victimes de la catastrophe de Furiani du 5 mai 1992, dont certains de ses membres sont présents dans les tribunes, ceux de la présidence du Sénat et de la Haute Assemblée dans son ensemble.

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique de la proposition de loi visant au gel des matchs de football le 5 mai.

(La proposition de loi est adoptée définitivement.) – (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, CRCE, SER, RDPI, INDEP et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures dix, est reprise à douze heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant au gel des matchs de football le 5 mai
 

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Candidature à une commission

M. le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a été publiée.

Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévue par notre règlement.

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Dossier législatif : proposition de loi visant à maintenir les barrages hydroélectriques dans le domaine public et à créer un service public des énergies renouvelables
Discussion générale (suite)

Maintien des barrages hydroélectriques dans le domaine public

Discussion d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, de la proposition de loi visant à maintenir les barrages hydroélectriques dans le domaine public et à créer un service public des énergies renouvelables, présentée par M. Guillaume Gontard et plusieurs de ses collègues (proposition n° 813, résultat des travaux de la commission n° 15, rapport n° 14).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Guillaume Gontard, auteur de la proposition de loi.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à maintenir les barrages hydroélectriques dans le domaine public et à créer un service public des énergies renouvelables
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. Guillaume Gontard, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi visant à maintenir les barrages hydroélectriques dans le domaine public et à créer un service public des énergies renouvelables. Ce texte, promu par le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, mais cosigné par des collègues de plusieurs groupes, que je remercie chaleureusement de leur engagement, traite d’un sujet majeur, qui transcende les clivages.

L’avenir de nos grands barrages est un enjeu crucial de souveraineté nationale, tant en matière énergétique que pour la gestion de la ressource en eau, bien commun essentiel à la vie ; Daniel Salmon y reviendra. Au-delà de la gestion des barrages, le pilotage du développement des énergies renouvelables dans notre pays est erratique et doit être revu de fond en comble.

C’est avec une certaine émotion que le sénateur alpin que je suis vous présente ce texte ce matin. Ce sujet est au cœur de mes préoccupations et de mon engagement depuis le premier jour de mon mandat, débuté avec le combat, malheureusement perdu, visant à préserver le savoir industriel de la fabrication de turbines à Grenoble, anciennement à Neyrpic, puis à GE Hydro.

Cette proposition de loi a pour premier objectif le maintien de nos 420 barrages hydroélectriques de plus de 4,5 mégawatts au sein du domaine public. Alors que 150 d’entre eux ont vu ou verront d’ici à la fin de 2022 leur contrat de concession arriver à terme, ces barrages sont soumis à une obligation de mise en concurrence du fait de nos engagements européens.

Je le précise d’emblée : nous avons déposé un amendement visant à lever le trouble que notre rédaction initiale avait suscité pour ce qui concerne les installations de moins de 4,5 mégawatts, qui demeurent soumises au régime d’autorisation, donc potentiellement exploitables par des acteurs privés.

Au travers de ce texte, nous proposons la mise en place d’une exploitation en quasi-régie. C’était d’ailleurs le modèle choisi par le Gouvernement dans son projet EDF Azur, pour une bonne et simple raison : c’est le seul qui garantisse une gestion publique tout en respectant le droit européen. C’est donc la seule solution. Cela a d’ailleurs été confirmé tant par la direction générale du marché intérieur de la Commission européenne, sollicitée notamment par l’eurodéputé Yannick Jadot et par le syndicat SUD Énergie, que par la direction générale de la concurrence, répondant à l’eurodéputée Michèle Rivasi et à l’ensemble des syndicats d’EDF.

Nous nous étonnons quelque peu de ne pas nous retrouver tous autour de ce dispositif, alors que nous sommes tous contre la mise en concurrence de nos barrages. Cette étape est pourtant indispensable, que l’on plaide ou non pour un service 100 % public de l’énergie, d’autant que nous avons entendu les inquiétudes de la commission des affaires économiques et que nous entendons préciser, par voie d’amendement, que ce système de quasi-régie ne s’appliquerait bien entendu qu’au terme des concessions en cours. La mise en place de ce régime ne se ferait donc qu’à l’issue de chaque concession et prévoirait évidemment un accompagnement des salariés.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous invite à nous exposer les autres solutions possibles, que nous aurions occultées et qui justifieraient que l’on n’adopte pas ce texte. Barbara Pompili évoquait d’ailleurs en début d’année la nécessité d’élaborer un plan B en cas d’échec du projet Hercule, contesté. Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous en dire plus ?

En outre, cette proposition de loi n’est qu’une première étape pour empêcher la mise en concurrence ; elle n’a ni pour objet de lier les mains du prochain Président de la République pour ce qui concerne la forme d’exploitation ni de court-circuiter les collectivités ou les organisations syndicales. Elle pose simplement un principe clair et intangible, sur lequel il me semblait que nous étions à peu près tous d’accord : les barrages doivent demeurer dans le giron public.

Disons-le nettement, la période qui court depuis la première mise en demeure, en 2015, et qui continue à courir avec l’abandon du projet Hercule, ne peut plus durer. L’absence de visibilité pénalise tant les acteurs économiques que les salariés, les usagers, les populations en aval des barrages et la réussite de la transition énergétique. Elle se traduit par une gestion dégradée de l’ensemble des barrages, avec les risques que cela induit en matière de sûreté et d’investissement.

À l’article 1er, nous avons pour ambition de mettre un terme à cette incertitude, de donner de la visibilité aux acteurs et d’engager toutes les forces politiques, à quelques mois d’une échéance électorale capitale pour l’avenir énergétique de notre pays. Tel est le sens de notre démarche.

À l’article 2, nous exposons plus largement notre vision du pilotage de la transition énergétique dans notre pays. Alors que l’incertitude continue de peser sur l’avenir d’EDF et que se pose avec toujours plus de force la question de nos centrales nucléaires en fin de vie, la question énergétique sera au cœur du débat de l’élection présidentielle. Ce défi est immense ; se jouent à la fois la lutte contre le changement climatique, notre souveraineté énergétique, notre souveraineté industrielle et l’accès à une électricité verte et abordable pour l’ensemble de nos compatriotes.

Aujourd’hui, le développement des énergies renouvelables n’est pas satisfaisant. Notre part d’énergies renouvelables (EnR) dans la consommation finale nous place en dessous de la moyenne européenne ; nous sommes très loin de l’Allemagne en puissance installée. Nous n’avons pas réussi à bâtir des filières industrielles souveraines. Nous avons largement laissé au privé le soin de développer les EnR, avec des fortunes diverses, avec peu de régulation, peu de contrôle et une acceptation de plus en plus difficile de la population ; je pense notamment à l’éolien et à la méthanisation.

À titre d’exemple, j’évoquerai la filière solaire, qui me tient à cœur ; avec 11,6 térawattheures par an, la France ne produit que 2,2 % de son électricité grâce à cette énergie, loin de ses voisins européens.

Pour rattraper ce retard, le Gouvernement vient d’annoncer des appels d’offres pour 18 milliards d’euros afin d’équiper le pays en panneaux solaires. C’est bien entendu une bonne chose, mais, faute d’accompagner la filière industrielle française, nous allons encore essentiellement nous équiper en Chine. Nous achèterons des panneaux bas de gamme, avec un bilan carbone déplorable, fabriqués dans des conditions sociales et humaines inacceptables. Pendant ce temps, on ne trouve pas de débouchés pour les rares entreprises fabriquant intégralement des panneaux en France, par exemple à Photowatt, en Isère… EDF ne souhaite pas conserver sa filiale et achète l’essentiel de ses panneaux solaires en Chine – un comble !

Tout cela illustre l’incohérence totale de notre politique énergétique et témoigne de l’absence totale de stratégie industrielle de ce gouvernement et des précédents. C’est vrai dans tous les secteurs, mais, en matière de développement des énergies renouvelables, ce n’est plus tenable : il nous reste à peine dix ans pour réussir la transition énergétique.

Pour rattraper ce retard, pour corriger ces erreurs, pour favoriser l’acceptation des énergies renouvelables par la population, il est plus que temps de créer un service public des énergies renouvelables.

Ce grand acteur public aura pour mission d’organiser la transition énergétique et d’atteindre nos objectifs de déploiement des énergies renouvelables, d’assurer la gestion des installations stratégiques, notamment des gros barrages hydroélectriques, que nous garderons dans le domaine public, de planifier, coordonner et réguler le déploiement des EnR sur l’ensemble du territoire, d’assurer la souveraineté énergétique du pays, d’assurer l’approvisionnement en matières premières stratégiques – je pense au silicium –, de contribuer au développement et à la structuration des filières industrielles, de renforcer la recherche et le développement, de garantir, bien évidemment sous conditions, les investissements les plus lourds des entreprises, d’accompagner les porteurs de projets publics et privés, d’encourager l’appropriation citoyenne et la création de communautés énergétiques locales et d’assurer un prix égal et abordable de l’électricité pour tous nos concitoyens, où qu’ils habitent.

Tout cela se fera en respectant des objectifs d’efficacité et de sobriété énergétiques, évidemment incompatibles avec une activité exclusivement privée. Seul un service public est compatible avec une nécessité politique de réduction de notre consommation électrique et énergétique ; avec cet objectif de sobriété, aucune entreprise privée n’est viable.

Tel est le sens de ce service public des énergies renouvelables. Il s’agit non pas de se substituer totalement au privé, mais d’assurer un pilotage public, une fonction motrice, un encadrement. Nous ne réussirons jamais la transition énergétique si la puissance publique ne remplit pas son rôle fondamental de locomotive. Force est de constater que celle-ci, toute à sa stratégie nucléaire et à sa logique libérale, ne l’assume pas aujourd’hui.

Cette planification est indispensable et il est curieux de considérer comme suffisant le droit existant. Mes chers collègues, vous êtes les premiers à vous insurger contre le développement, parfois quelque peu anarchique, de l’éolien, mais entendez-le bien : avec une coordination et une régulation publiques, ce problème n’existerait pas.

Enfin, si nous sommes attachés au développement local et citoyen des énergies renouvelables, nous considérons que ce développement ne doit pas entamer la solidarité nationale, pour ce qui concerne tant la contribution à l’entretien que le développement des réseaux, en passant par la péréquation tarifaire.

Tous les territoires ne sont pas dotés des mêmes ressources énergétiques, mais il est indispensable que tous les Français paient leur électricité au même prix, partout sur le territoire national.

Tel est, mes chers collègues, le sens de cette proposition de loi, qui remplit des objectifs dans lesquels tout un chacun devrait se retrouver, tout en conservant assez de souplesse pour son exécution. C’est donc très logiquement que j’invite le Sénat à voter largement en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Mme la présidente de la commission des affaires économiques et M. Jean-Pierre Moga applaudissent.)

M. Patrick Chauvet, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les énergies renouvelables représentent, à côté de l’énergie nucléaire, un ressort essentiel de la décarbonation de notre économie. Elles représentent déjà 25 % de notre mix électrique ; parmi elles, l’hydroélectricité procure un dixième de notre production d’électricité, soit la moitié de l’électricité d’origine renouvelable.

Il s’agit d’une énergie ancienne, nos concessions hydroélectriques ayant été instituées dans les années 1920 et complétées dans les années 1950. Il s’agit d’une énergie actuelle, porteuse d’externalités positives.

Le renouvellement de nos concessions fait l’objet d’un contentieux avec la Commission européenne, ranimé par deux mises en demeure, en 2015 et en 2019.

Sur 400 concessions, 300 sont exploitées par EDF et 100 le sont par ses concurrents. Par ailleurs, 40 concessions, arrivées à échéance, ont été placées sous le régime des délais glissants.

La commission des affaires économiques est très attentive à cette situation.

Tout d’abord, nous avons constitué un groupe de travail sur les réformes du marché de l’électricité.

Par ailleurs, nous avons fait adopter une proposition de loi sur l’hydroélectricité : son contenu a largement abouti, via des amendements, au travers de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et résilience, qui reconnaît l’obligation de « maintenir [notre] souveraineté énergétique ».

En outre, les concessions ont été intégrées à la loi quinquennale sur l’énergie, ainsi qu’au rapport annuel sur le budget vert.

Plus concrètement, les maires et les présidents de groupements de communes seront informés en amont de toute évolution des concessions. Ils pourront participer plus systématiquement aux comités de suivi des concessions et constituer plus simplement des sociétés d’économie mixte hydroélectriques (SEMH).

Enfin, une proposition de résolution complémentaire à cette proposition de loi a été déposée. Ses auteurs invitent le Gouvernement à « préserver notre modèle concessif dans les négociations européennes ».

C’est donc avec un réel intérêt que notre commission a examiné cette proposition de loi. L’article 1er applique aux concessions hydroélectriques la quasi-régie, exception européenne aux règles de concurrence. L’article 2 fixe à l’État l’objectif de créer un « service public des énergies renouvelables ».

Malgré son intérêt, ce texte pose trois lourdes difficultés.

La première est une difficulté de principe. Offrir une solution pérenne aux concessions nécessiterait de trouver un accord préalable avec la Commission européenne. Or la recherche d’une telle solution s’inscrit plutôt dans un projet global tant sont liées la question du devenir des concessions, celle de la réorganisation d’EDF et celle de la régulation du nucléaire. Adopter le dispositif proposé, unilatéral et parcellaire, car non négocié en amont, n’éteindrait donc pas le contentieux.

La deuxième est une difficulté de méthode. Dans le cadre de mes travaux, j’ai auditionné l’ensemble des interlocuteurs – EDF, Engie, les autres énergéticiens, les syndicats, le Gouvernement… Presque tous sont opposés au texte : l’article 1er est jugé peu opérant, l’article 2, peu novateur.

La troisième est une difficulté de fond.

L’article 1er n’est pas opportun. Tout d’abord, il n’est pas utile : la quasi-régie existe déjà dans le code de la commande publique. Ensuite, il vise à abroger deux bases légales : celle qui distingue le régime des concessions de celui des autorisations, ce qui risque de créer un flou sur le régime applicable à nos 2 100 installations autorisées et à nos 400 installations concédées, et celle des SEMH, qui offrent à nos collectivités territoriales la faculté de participer au capital des concessions.

La première abrogation est contradictoire avec l’objectif visé, car la mise en œuvre d’une quasi-régie s’appuierait, sans s’y substituer, sur le régime des concessions. La seconde abrogation est prématurée, car nos élus locaux n’ont pas été consultés sur l’opportunité de supprimer les SEMH locales au profit d’une quasi-régie nationale.

Plus substantiellement, l’article 1er présente plusieurs problèmes.

D’abord, le périmètre du dispositif de quasi-régie engloberait l’ensemble des concessions d’EDF et de ses concurrents. C’est bien au-delà du schéma envisagé par le projet Hercule, devenu grand EDF, qui visait à sécuriser les concessions d’EDF. Ce serait aussi totalement inédit : ni la loi de 1919 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique ni celle de 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz n’ont placé l’ensemble des concessions sous un timbre public.

Par ailleurs, les modalités juridiques de la quasi-régie sont imprécises : d’une part, aucune condition de création ou d’organisation n’est indiquée, ce qui ne permet pas d’apprécier la constitutionnalité et la conventionnalité de ce régime ; d’autre part, les différents cas de figure ne sont pas prévus selon que les concessions sont échues ou non, nationales ou transfrontalières, détenues par EDF ou par ses concurrents. Du jour au lendemain, la quasi-régie s’appliquerait à toutes les concessions, ce qui rendrait caduques les 360 concessions non échues.

Enfin, les conséquences financières de la quasi-régie sont omises. Pour le Gouvernement, le coût d’un dispositif complet serait en réalité de plusieurs milliards d’euros. En effet, le respect des critères de la quasi-régie nécessiterait des mouvements capitalistiques. Par ailleurs, les titulaires des anciennes concessions pourraient prétendre à une indemnisation, compte tenu de la rupture des contrats et du transfert des biens. Enfin, les salariés des anciennes concessions devraient bénéficier de mesures de transfert ou de reclassement.

L’article 2 n’est pas plus opportun. Tout d’abord, il est satisfait par le droit existant : le code de l’énergie consacre en effet un service public de l’électricité et du gaz, qui englobe les énergies renouvelables. Je rappelle que ces dernières sont promues par des objectifs inscrits dans la programmation pluriannuelle de l’énergie, par des dispositifs de soutien – l’obligation d’achat et le complément de rémunération, qui représentent 180 milliards d’euros d’ici à 2028 –, par une administration, avec deux directions centrales, une agence dédiée et des services déconcentrés.

De plus, l’article est général. Son champ laisserait de côté certaines énergies renouvelables, comme l’hydrogène, ou décarbonées, comme le nucléaire. Son échelle nationale marginaliserait les services publics locaux, ce qui est contraire à la politique de décentralisation et au principe de subsidiarité. Ses missions larges pourraient achopper sur la liberté de commerce et d’industrie et sur le droit de la concurrence.

Pour toutes ces raisons, la commission a rejeté la proposition de loi.

Pour autant, si ce texte propose une réponse inaboutie, il pose une question cruciale, celle des négociations relatives à nos concessions. Je tiens à remercier ses auteurs de nous permettre d’en débattre. La commission des affaires économiques attend du Gouvernement qu’il indique au Parlement l’état d’avancement de ses travaux.

Madame la secrétaire d’État, où en sont les négociations européennes ? La quasi-régie est-elle encore envisagée ? Quand le Parlement sera-t-il saisi d’un texte ? (Murmures sur les travées du groupe GEST.)

Le Gouvernement doit s’exprimer clairement et complètement, car trop de changements de pied, trop de pertes de temps sont à déplorer. Il doit offrir une réponse négociée, solide et pérenne, pour régler par le haut ce différend vieux de dix ans. L’avenir de notre souveraineté et de notre transition énergétiques le commande.

Plus largement, nous ne pouvons pas nous satisfaire d’une politique énergétique naviguant à vue, car toute ambiguïté, toute insuffisance dans nos choix de production finit toujours par se payer, l’hiver venu, sur la facture d’énergie et en termes de sécurité d’approvisionnement.

Pour preuve, dès le mois de juin 2020, la commission des affaires économiques a alerté le Gouvernement sur le risque d’une flambée des prix au sortir de la crise sanitaire. Elle a même proposé, à deux reprises, en séance, un relèvement du chèque énergie.

En définitive, il faut plus d’anticipation, de constance et – sans doute – de rigueur dans les négociations sur les concessions hydroélectriques et la conduite de la politique énergétique. Une énergie peu chère et peu émissive est une condition non seulement de la relance de notre économie, mais aussi de sa décarbonation. (Mme la présidente de la commission des affaires économiques applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l’hydroélectricité est essentielle à la diversité de notre mix électrique et à l’atteinte de notre objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050. Elle a donc toute sa place dans notre stratégie pour les énergies renouvelables.

Comme vous, le Gouvernement a pour objectif de faciliter le déploiement de l’hydroélectricité. Je remercie le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, en particulier son président, Guillaume Gontard, de nous donner l’occasion de débattre de cette question et d’en rappeler les grands enjeux.

L’hydroélectricité est une fierté nationale. Elle représente 20 % de notre puissance électrique installée pour environ 12 % de notre production électrique. Parce que nous avons fait le pari de l’hydroélectricité, voilà plus d’un siècle, nous disposons aujourd’hui du deuxième parc hydroélectrique d’Europe après la Norvège. La France est à la pointe dans ce domaine et son savoir-faire est mondialement reconnu.

L’hydroélectricité, énergie renouvelable, répond à nos grands défis, puisqu’elle s’appuie sur les forces de la nature et nous permet de diminuer la part des énergies fossiles dans notre consommation.

Le Gouvernement est très attaché à la défense de l’hydroélectricité. Il en a réduit les impacts sur l’environnement pour restaurer les équilibres entre enjeux énergétiques et enjeux environnementaux. Il a renforcé la réglementation et garanti un débit minimum des cours d’eau et dédié des moyens sans précédent au rétablissement des continuités écologiques.

J’ai pu le constater, vendredi dernier, dans le Bas-Rhin, en découvrant le programme de la restauration de la continuité écologique du Rhin, mis en œuvre par EDF, grâce à des crédits du plan France Relance à hauteur de 80 millions d’euros, afin de lever les derniers obstacles au bon fonctionnement du fleuve.

La réglementation évolue également pour prévenir les éventuels risques liés à ces installations pour le cadre de vie des riverains et pour l’environnement.

Malgré son ancienneté, l’hydroélectricité vit avec son temps. Il s’agit d’une énergie largement pilotable et régulière, essentielle à notre souveraineté énergétique et à la flexibilité de notre système électrique.

Elle représente aussi un enjeu essentiel pour le développement économique local : comme vous l’avez souligné, cette filière emploie directement plus de 12 000 personnes et génère environ 15 000 emplois indirects. Nous devons donc maintenir cette activité primordiale pour les territoires.

Enfin, l’hydroélectricité nous ramène à l’eau. Au regard des enjeux de gestion sans cesse croissants de ce bien commun, nous devons réaffirmer que l’avenir des installations hydroélectriques se trouve dans le domaine public, comme c’est le cas aujourd’hui. Nous sommes convaincus que la production électrique hydraulique présente des enjeux suffisamment particuliers pour être correctement encadrés et non laissés à la seule main du marché.

Pas plus que vous, le Gouvernement ne se satisfait de la situation de certaines concessions échues. Je vous rejoins sur la difficulté que représente l’absence de visibilité liée au risque de contentieux européen. Cette situation menace certains investissements nécessaires à la modernisation et à la pérennité de notre parc hydroélectrique.

Dans ce contexte, notre objectif est simple : garantir l’avenir et la bonne gouvernance des concessions hydroélectriques tout en permettant leur développement dans le respect du droit européen. Nous partageons tous cet objectif primordial, dont il nous reste à définir le chemin et les modalités.

C’est justement l’objet de cette proposition de loi, dont l’article 1er prévoit d’appliquer à l’ensemble des concessions hydroélectriques le dispositif de la quasi-régie. Cette option a été envisagée pour les concessions d’EDF, dans le cadre de sa réorganisation. Pour autant, ce dispositif n’a pas vocation à s’appliquer à toutes les installations de production hydroélectrique françaises – je pense notamment à celles de la Compagnie nationale du Rhône.

Par ailleurs, nous sommes tout à fait convaincus que le régime actuel d’autorisation et de concession est très satisfaisant au regard des objectifs visés dans ce texte. Comme vous le savez, aucune concession hydroélectrique n’est aujourd’hui exploitée à 100 % par une société publique. Cela n’empêche pas un encadrement strict par l’État des conditions environnementales et du partage de la ressource en eau. En France, nul ne peut disposer des énergies des marais, des lacs ou des cours d’eau sans autorisation, pour les petites installations de moins de 4,4 mégawatts, ou concession, pour les installations plus importantes.

Le régime des concessions nous permet de maintenir ces installations hydroélectriques dans le domaine public, tout en en confiant l’exploitation à des tiers. L’État reste ainsi propriétaire des installations. Dans ce cadre, le ministère de la transition écologique peut décider d’un certain nombre de conditions, notamment en termes d’entretien et d’investissement, qui s’appliqueront à l’entreprise exploitante. Le régime actuel nous permet donc d’atteindre les objectifs que vous fixez dans cette proposition de loi.

L’article 2 prévoit la création d’un service public des énergies renouvelables. Si j’entends la nécessité de souligner encore l’importance d’un pilotage et d’une planification publics, le déploiement des énergies renouvelables ne me semble pas devoir induire la création d’un nouveau service public.

Le code de l’énergie consacre déjà les services publics de l’électricité et du gaz, qui englobent naturellement les énergies renouvelables, de facto l’hydroélectricité. La planification et la coordination du déploiement des EnR sur l’ensemble du territoire, l’organisation des filières industrielles ou l’accompagnement des porteurs de projets sont déjà pris en charge par nos services et par les opérateurs de l’État et du ministère de la transition écologique – je pense notamment à l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, dite Agence de la transition écologique), pleinement mobilisée sur ces questions.

La planification est également assurée sur le plan normatif par les objectifs ambitieux que nous avons fixés dans le code de l’énergie, dans la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) ou encore dans la stratégie nationale bas-carbone.

Je vous le redis très fortement : la France continuera de défendre auprès de la Commission européenne les regroupements de concessions, indispensables à la cohérence par vallée. Le Gouvernement partage pleinement votre volonté de protéger l’hydroélectricité, cette énergie renouvelable, efficace et régulière.

Nous ne sommes pas d’accord sur les moyens à employer. Je pense que nous devons faire les choses autrement, en conservant le cadre juridique des concessions de l’État et en adoptant une organisation spécifique aux installations d’EDF.

Nous n’avons pas pu aboutir dans le calendrier initialement prévu pour la réorganisation de l’entreprise, mais notre objectif est bien de permettre à EDF de conserver la gestion de ces concessions sans mise en concurrence. Pour ce faire, le recours à une quasi-régie sur les installations hydroélectriques est toujours notre option de référence. Nous voulons parvenir à un accord avec la Commission européenne pour présenter ensuite au Parlement une réforme d’ensemble des activités d’EDF.

Au regard du calendrier qui est le nôtre et pour l’ensemble des raisons que je viens d’évoquer, j’émets un avis défavorable sur cette proposition de loi.

M. le président. La parole est à M. Yves Bouloux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc de la commission.)

M. Yves Bouloux. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’hydroélectricité est la deuxième source de production électrique, derrière le nucléaire, et la première source d’électricité renouvelable en France.

Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’est penché sur cette énergie renouvelable très intéressante au travers de cette proposition de loi, qui comporte deux volets.

Le premier volet du texte a pour ambition de maintenir les concessions hydrauliques dans le domaine public. En l’état actuel du droit, les installations de plus de 4,5 mégawatts sont exploitées sous le régime de la concession. Les auteurs de la proposition de loi souhaitent modifier le code de l’énergie afin de placer ces installations sous un régime de quasi-régie.

La France compte près de 400 concessions hydrauliques, qui représentent plus de 90 % du total de la puissance hydroélectrique installée. Quelque 300 concessions sont exploitées par EDF et 100 par des concurrents.

Il s’agit donc de mettre un terme à ces concessions, puis d’en assurer directement la gestion en s’affranchissant de toute procédure de mise en concurrence. Reste qu’une telle modification n’est ni réaliste ni appropriée.

Le texte concerne l’ensemble des concessions. Il va donc plus loin que le projet Hercule, qui ne visait que celles d’EDF. Par ailleurs, il ne prévoit ni les conditions de résiliation de ces concessions ni de période de transition pour mettre en place ces quasi-régies. Quant au financement, rien n’est précisé.

Le renouvellement des concessions est l’objet d’un contentieux avec la Commission européenne. Il est important de trouver une solution pérenne sur le fondement d’un accord négocié avec Bruxelles, après concertation de l’ensemble des parties prenantes.

Le second volet du texte prévoit l’organisation d’un service public des énergies renouvelables. Ici encore, la rédaction de l’article concerné pose des difficultés. Les enjeux sont majeurs, mais les solutions proposées sont inadaptées.

La commission des affaires économiques a engagé des travaux sur les réformes du marché de l’électricité et vient d’engager un cycle d’auditions sur notre souveraineté énergétique.

Je salue le travail de nos collègues écologistes sur ce sujet complexe et crucial. Toutefois, le groupe Les Républicains ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc de la commission.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Daniel Salmon. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires vise à maintenir les barrages hydroélectriques dans le domaine public et à créer un service public des énergies renouvelables. Elle propose une réponse concrète au problème majeur qu’est l’ouverture à la concurrence des concessions des grands barrages, imposée par des directives européennes de libéralisation du marché de l’électricité.

Nous sommes nombreux à être pleinement conscients que cette mise en concurrence des 150 concessions arrivant à terme est extrêmement problématique. Nous devons trouver une solution, car les enjeux sont majeurs en termes tant de souveraineté industrielle que de transition énergétique.

Par son caractère pilotable, l’hydroélectricité est une composante essentielle du mix énergétique. Le rôle des retenues d’eau est renforcé par les nouvelles technologies comme les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP).

Le rôle de nos grands barrages ne se limite pas à la production électrique. Depuis des décennies, ils structurent nombre de nos vallées. L’eau est un bien commun précieux, dont les utilisations sont multiples.

La France connaîtra de plus en plus de périodes de pénurie d’eau dans les années à venir. Cette diminution de la ressource vient heurter des besoins cruciaux : irrigation, accès à l’eau potable ou encore refroidissement des centrales nucléaires.

Pour toutes ces raisons, il nous paraît indispensable que la puissance publique conserve la maîtrise des retenues d’eau. Leur utilisation, pour produire de l’électricité ou pour tout autre usage, doit répondre à des besoins d’intérêt général et non aux besoins de rentabilité d’un électricien privé.

Je tiens d’ailleurs à rappeler que la situation actuelle, avec des concessions réparties entre trois entités, n’est pas toujours optimale, notamment quand les barrages en amont et en aval d’une même vallée sont gérés par des compagnies différentes…

L’examen de ce texte en commission a heureusement confirmé que nous étions tous d’accord pour dire que les barrages de plus de 4,5 mégawatts doivent rester dans le giron public. La Commission européenne est très claire : la régie ou quasi-régie est la seule solution « eurocompatible » pour débarrasser les barrages de cette épée de Damoclès qu’est l’ouverture à la concurrence. Aucune autre solution n’a été mise sur la table.

Vous comprendrez donc notre étonnement devant votre opposition nette, madame la secrétaire d’État, à cette disposition qui ne diffère pas tellement de ce que vous proposiez dans le cadre de la création d’EDF Azur… Aussi, nous vous demandons de bien vouloir détailler votre plan B et nous expliquer comment vous comptez tenir votre promesse de conserver les barrages dans le giron public.

J’en profite pour évoquer la question du financement.

Nous considérons que le coût de l’opération est assez faible, puisqu’il s’agit essentiellement de réintégrer les salariés des infrastructures dans une structure publique – à terme, le gain pour les finances publiques ne fait pas de doute. Comme notre solution se rapproche de celle du Gouvernement, qu’il aura nécessairement expertisée, madame la secrétaire d’État, je vous demande de bien vouloir éclairer la représentation nationale sur ce point.

Au regard des enjeux écologiques et des enjeux de souveraineté et de sécurité, je m’étonne des positions défendues par nos collègues. Si notre solution ne vous convient pas, plutôt que de vous entendre pinailler sur des arguties juridiques – pardonnez-moi la formule –, nous sommes en droit d’attendre de véritables propositions de la part de l’ensemble des groupes politiques – tout du moins, de celle de notre rapporteur.

L’article 2 vise à créer un service public des énergies renouvelables. Il s’agit de répondre à l’absence totale de politique publique efficace, qui favoriserait un développement harmonieux des EnR – absence dont notre pays pâtit depuis trop longtemps. Ce grand acteur public aura pour mission d’organiser la transition énergétique, d’atteindre nos objectifs de déploiement des énergies renouvelables, d’assurer la souveraineté énergétique du pays, de coordonner et de réguler les initiatives privées, aujourd’hui contestées.

À cet égard, l’exemple de la méthanisation est criant. Son développement est aujourd’hui remis en cause dans certains territoires. Des interrogations et de vives inquiétudes se font jour. Elles sont légitimes et d’autant plus fortes que l’État n’a pas joué son rôle de régulation, d’accompagnement, et de planification territoriale. Il en va de même de l’ensemble des énergies renouvelables, qui se développent au gré des incitations, sans véritable planification.

En conclusion, mes chers collègues, nous vous appelons bien évidemment à voter pour ce texte, qui propose, à ma connaissance, la seule disposition crédible et efficace pour sauver nos barrages et qui défend une régulation publique de la transition énergétique pour un pilotage harmonieux des EnR dans nos territoires. Tout cela est indispensable pour la réussite de cette transition. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme la présidente de la commission des affaires économiques applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, protéger les barrages hydrauliques d’une mise en concurrence, empêcher que certains grands groupes étrangers ou nationaux, comme Total, ne mettent la main sur la houille blanche n’est plus une option : c’est un impératif.

Ce n’est pas un hasard si un large consensus existe, dans la population comme chez les élus, contre une libéralisation dangereuse et irrationnelle du secteur stratégique de l’énergie.

Nous le savons tous, l’hydroélectricité, grâce à ses capacités de stockage et de réactivité en pointe, est la clé de voûte de notre système de production électrique. Elle est indispensable en termes de gestion de l’eau, de sécurité des centrales nucléaires, des populations et de nos territoires.

Surtout, elle est produite à un prix stable et accessible : une garantie que le marché ne supporte pas, particulièrement lorsqu’il est construit de manière artificielle et perfusé par des politiques aveugles à l’intérêt général.

Ne nous y trompons pas, ce n’est pas par hasard ou par dogmatisme que cette source d’énergie renouvelable a bénéficié, depuis 1919, d’un régime juridique protecteur, qui devait concilier enjeux d’essor industriel, de préservation de l’environnement, de ressource en eau et de ses usages.

Ce n’est pas non plus par hasard que le système électrique français, mis en place en 1946, a consacré une gestion publique de l’énergie autour d’un monopole public intégré, garant d’un service public national : EDF.

Le choix de la nationalisation de la force hydraulique de tous les cours d’eau et le principe d’un interventionnisme fort s’expliquent par la spécificité de l’hydroélectricité.

Or, depuis la perte du statut d’établissement public d’EDF, en 2004, la Commission européenne fait pression sur la France afin d’obtenir, dans le cadre du renouvellement des concessions, l’ouverture à la concurrence de nos installations hydroélectriques. Ces pressions entraînent un blocage dommageable à l’investissement et à la sûreté des barrages – je vous rejoins sur ce point, madame la secrétaire d’État.

Mes chers collègues, peut-on vraiment laisser les clés de la gestion de la ressource en eau à des opérateurs privés sans compétence en la matière et dont le seul horizon est le profit court-termiste ? Alors que le défi du partage de l’eau est un enjeu pivot face au bouleversement climatique et à nos capacités de stockage limitées, la réponse est sans appel : c’est non !

La question soulevée par nos collègues du groupe écologiste est donc fondamentale : comment soustraire les installations hydroélectriques au jeu moribond de la concurrence ? La réponse qu’ils apportent ici consiste à placer les installations de plus de 4,5 mégawattheures sous le régime de la quasi-régie, dans l’optique de sauver les barrages en tant que service public dans sa dimension matérielle.

Nous saluons l’intention, mais cette réponse ne nous convainc pas. (Exclamations amusées sur les travées du groupe GEST.) Je m’en explique.

D’une part, sur le principe et d’un point de vue très profondément politique, au sens noble du terme, la quasi-régie est un régime dérogatoire au droit de la concurrence. Il s’agit donc, en réalité, de la reconnaissance d’un système ayant démontré qu’il ne fonctionnait en aucun cas pour le secteur de l’énergie.

Ensuite, sur un volet très concret, cette proposition de loi implique la mise en place d’un mécanisme très proche de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), que nous combattons, où l’opérateur en charge des installations serait dans l’obligation de revendre une partie de sa production hydraulique aux fournisseurs alternatifs.

Surtout, la proposition de loi est muette sur l’opérateur qui aurait la charge de ces installations. Le risque est grand de voir l’activité hydraulique d’EDF filialisée, puis rachetée par l’État ou transformée en établissement public.

Or il faut garder en mémoire que cette filialisation-séparation au sein d’EDF Azur, détenue en tout ou partie par EDF Bleue, était déjà l’une des propositions du projet Hercule, devenu grand EDF, que nous combattons avec force. L’objectif est de placer cette dernière dans une relation de quasi-régie avec l’État.

Certes, cela reviendrait à sortir la grande hydroélectricité du modèle de concession, mais cela revient surtout à l’isoler complètement des autres activités, en particulier du nucléaire. On reste donc complètement dans une logique de désintégration d’EDF, alors que le mix énergétique doit se concevoir dans la perspective d’une entreprise intégrée.

Une solution pérenne pour l’hydroélectricité doit s’inscrire dans un projet global, qui ne peut faire l’impasse sur l’organisation et l’avenir d’EDF, sur la régulation du nucléaire, sur la réforme de l’Arenh et sur la pérennité des tarifs réglementés.

D’autres questions demeurent en suspens. Quid des concessions hydroélectriques attribuées à la Compagnie nationale du Rhône et à la Société hydroélectrique du Midi ? Qu’adviendra-t-il des personnels de ces deux entreprises ?

Nous défendons au contraire un groupe intégré, incluant la production, le transport et la distribution d’énergie, qui répondra aux spécificités de nos besoins énergétiques, donc une nécessaire renationalisation d’EDF, avec un monopole public.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à maintenir les barrages hydroélectriques dans le domaine public et à créer un service public des énergies renouvelables
Discussion générale (suite)

7

Rappel au règlement

M. le président. Mes chers collègues, le port de la cravate pour les hommes est obligatoire dans l’hémicycle. Cette règle a été réaffirmée solennellement le 29 juin 2017 par la conférence des présidents, sur l’initiative du président du groupe socialiste et républicain de l’époque.

Je tenais, au nom du président du Sénat, à rappeler cette règle, qui constitue une marque de respect à l’égard de notre assemblée.

L’un de nos collègues a choisi de s’en dispenser au cours de cette séance ; je le lui ai fait observer par l’intermédiaire des huissiers. L’incident est clos, mais nous souhaitons qu’il ne se reproduise pas.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quatorze heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi visant à maintenir les barrages hydroélectriques dans le domaine public et à créer un service public des énergies renouvelables
Discussion générale (suite)

Maintien des barrages hydroélectriques dans le domaine public

Suite de la discussion et rejet d’une proposition de loi

M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi visant à maintenir les barrages hydroélectriques dans le domaine public et à créer un service public des énergies renouvelables.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Moga.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à maintenir les barrages hydroélectriques dans le domaine public et à créer un service public des énergies renouvelables
Article 1er

M. Jean-Pierre Moga. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous débattons d’une question qui me semble majeure : quel futur cadre souhaitons-nous concernant la régulation de l’hydroélectricité française ?

La commission a apporté des éléments de réponse avec l’adoption de la proposition de loi de Daniel Gremillet tendant à inscrire l’hydroélectricité au cœur de la transition énergétique et de la relance économique. Les dispositions qu’elle comportait ont d’ailleurs été reprises dans le cadre de la loi du 21 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et résilience.

En outre, une proposition de résolution tendant à lever les freins réglementaires et administratifs au plein essor de l’hydroélectricité a également été déposée. Celle-ci demande notamment au Gouvernement de « préserver notre modèle concessif dans les négociations européennes relatives aux concessions hydroélectriques ». On ne saurait être plus clair.

Je salue ainsi ce travail important pour un thème souvent omis dans les débats, alors même que nous évoquons, je tiens à le rappeler, la première énergie renouvelable de France, ainsi que la principale source de stockage d’énergie.

Il s’agit également d’une source d’énergie constituant une force française, la houille blanche ayant permis à notre pays d’industrialiser ses vallées de montagne et de rester compétitif, grâce à un prix de l’électricité faible.

Toutefois, la question de l’ouverture à la concurrence se pose, avec toujours plus d’acuité.

Il est particulièrement éprouvant de constater que, en l’absence de visibilité suffisante, donc de vision de l’avenir des installations, cette filière n’investit plus. Preuve en est que les quarante premières concessions sont placées, depuis 2016, sous un régime transitoire. Or des investissements permettraient a minima d’augmenter la production des installations actuelles.

Je tiens également à le rappeler, toute baisse de la part du nucléaire dans le mix électrique doit nécessairement être compensée par une progression au moins équivalente des sources de production intermittentes. Or seule l’hydroélectricité, parce qu’elle représente une source d’énergie décarbonée, modulable, stockable et décentralisée, est à même de relever un tel défi.

Dès lors, il faut apporter des solutions. Les auteurs de la proposition de loi dressent un constat que nous pouvons partager. Néanmoins, sur le fond, le texte semble inopportun et inabouti.

Tout d’abord, il existe une difficulté de principe. Ce texte évoque un véritable enjeu, mais par le petit bout de la lorgnette. Il constitue en effet un dispositif unilatéral et isolé, alors que des négociations globales sur le marché de l’électricité sont en cours avec la Commission européenne.

En réalité, l’avenir des concessions hydrauliques, la réforme du statut d’EDF, l’Arenh, l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, ou encore le financement du nouveau nucléaire sont des questions étroitement liées, qui doivent s’inscrire dans un projet global.

Tel n’est pas l’objet de ce texte, ce que je regrette. C’est d’ailleurs face aux mises en demeure de la Commission européenne que le Gouvernement a suspendu le renouvellement des concessions à un accord avec l’exécutif européen.

Par ailleurs, sur le fond, la proposition de loi n’apporte pas, selon nous, une réponse complète et pragmatique. En effet, en prévoyant une quasi-régie généralisée englobant l’ensemble des concessions hydroélectriques françaises, celles du groupe EDF comme celles de ses concurrents, le texte tend à supprimer la distinction entre le régime de l’autorisation et celui de la concession.

À ce titre, l’article 1er s’inscrit bien au-delà du schéma envisagé par le projet Hercule, devenu grand EDF. Ainsi, il supprime le dispositif des sociétés d’économie mixte hydroélectriques (SEMH), alors qu’il faudrait, bien au contraire, donner la possibilité aux collectivités de participer à la gestion des usages de l’eau.

L’article 2 prévoit que l’État organise un service public des énergies renouvelables. En la matière, je ne peux que m’appuyer sur l’analyse du rapporteur : cet article est largement satisfait par le droit existant. En outre, son champ est imprécis, puisque la question des énergies renouvelables, comme l’hydrogène, ou décarbonées, comme le nucléaire, est laissée de côté.

Il s’agit donc d’une proposition de loi d’appel qui aurait pu faire l’objet d’un simple débat, tant le sujet et les réponses à aborder sont plus vastes.

Pour quelles raisons les négociations avec la Commission européenne ont-elles échoué sur le projet grand EDF ? Quelles suites leur seront données ? Quelles seraient précisément les modalités de la quasi-régie souhaitée par le Gouvernement dans le cadre d’un EDF Azur ? Celles-ci sont esquissées dans les articles 4 et 5 de l’avant-projet de loi visant la réorganisation d’EDF.

À quelques mois seulement de la présidence française de l’Union européenne et, surtout, de l’élection présidentielle, comment ne pas avancer concrètement et sérieusement sur une question qui demandera assurément des choix concrets de la part du prochain Président de la République ? Comment ne pas regretter un statu quo empêchant le secteur hydraulique de se tourner vers l’avenir et le secteur nucléaire de se réinventer ?

Pour toutes ces raisons, le groupe Union Centriste votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac.

M. Christian Bilhac. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les tensions actuelles sur le prix de l’énergie nous rappellent combien il est primordial, pour un État, de rester maître de ses capacités de production et d’assurer sa sécurité d’approvisionnement. Cette expérience n’est malheureusement qu’un avant-goût des difficultés qui apparaîtront à l’avenir et s’aggraveront en l’absence de transition énergétique européenne volontariste.

Les barrages hydroélectriques, qui fournissent environ 13 % de la production électrique, constituent des ouvrages indispensables pour accompagner le développement de l’offre de production d’énergie renouvelable, notamment dans le cadre d’une démarche de diversification de notre mix énergétique. Rempart à l’intermittence des énergies renouvelables, ils contribuent à préserver la stabilité de notre système électrique.

On notera aussi que plusieurs barrages successifs ont été aménagés sur certains cours d’eau, ce qui implique de garantir une coordination de la gestion de ces ouvrages et d’éviter le morcellement des concessions.

Cependant, comme cela a été évoqué dans l’exposé des motifs de ce texte, il nous faut considérer, au-delà de la fonction première de production d’énergie, les autres missions remplies par les barrages, comme celle d’écrêteurs de crues, en particulier dans les régions méditerranéennes subissant des épisodes cévenols, sans oublier leur rôle dans l’irrigation agricole ou encore leur fonction de régulateur de niveau des nappes astiennes, qui alimentent en eau potable des bassins entiers de population. Ces barrages remplissent aussi, dans un grand nombre de régions, un rôle économique et attractif en matière d’activité touristique.

C’est pourquoi je tiens à vous faire part de ma vive inquiétude quant à l’avenir de ces installations hydroélectriques. Il ne faudrait pas que l’aménagement et l’attractivité des territoires soient négligés, au profit d’une logique de rentabilité de court terme, au détriment de l’intérêt général.

Je ne me fais pas d’illusion quant à l’issue du vote sur ce texte que j’ai cosigné. Il nous faut néanmoins demeurer attentifs à l’ensemble des enjeux.

La ressource en eau ira se raréfiant en raison du réchauffement climatique et nous pourrions connaître demain des périodes de pénurie. C’est l’une des causes de l’emballement de la crise énergétique qui sévit en ce moment même, avec la baisse de la production des centrales hydroélectriques en Chine, du fait de la sécheresse.

Lors du renouvellement des concessions, il nous faudra donc être particulièrement vigilants dans la rédaction des cahiers des charges. Faudrait-il pour cela placer les concessions en quasi-régie ? Cette solution aurait le mérite d’éviter leur mise en concurrence. Toutefois, elle provoque l’inquiétude des collectivités, souvent rurales, qui gèrent ces équipements via des sociétés d’économie mixte : elles perdraient ainsi des ressources non négligeables.

Je le rappelle, le projet Hercule prévoyait la mise en quasi-régie des concessions d’EDF. Il serait utile de poursuivre l’exercice, réalisé en 2013, par les députés Battistel et Straumann dans leur rapport d’information sur l’hydroélectricité. Ils évaluaient la mise en quasi-régie des concessions d’EDF à 1,15 milliard d’euros net, ce qui constituerait un coût acceptable s’il permettait à l’État de garder la maîtrise.

Détermination du prix de l’Arenh, réorganisation du groupe EDF, renouvellement des concessions, toutes ces réformes sont intimement liées. Jusqu’à présent, la France a tenu bon et préservé les barrages de la mise en concurrence. Cela ne va pas sans difficulté, dans la mesure où les investissements requièrent de la visibilité, raison pour laquelle ils sont à ce jour bloqués.

Dans tous les cas, il est urgent de tracer une nouvelle voie et d’impliquer les parlementaires dans cette décision, au regard de l’impact qu’elle peut avoir sur la politique énergétique de notre pays. La France n’est pas isolée, d’autres États membres de l’Union européenne ont fait l’objet de mises en demeure par la Commission européenne pour non-respect des règles de mise en concurrence, preuve supplémentaire du caractère éminemment stratégique de cette filière, qu’il est impératif de préserver face aux lois du marché et de réguler à l’issue d’un débat parlementaire.

Pour ma part, je voterai cette proposition de loi, certes imparfaite. Toutefois, la majorité des membres du RDSE voteront en leur âme et conscience, sans suivre forcément ma position. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à M. Serge Mérillou.

M. Serge Mérillou. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons, sur l’initiative du groupe Écologiste – Solidarités et Territoires, ce dont je le remercie, vise à maintenir les barrages hydroélectriques dans le domaine public et à créer un service public des énergies renouvelables. Elle s’appuie sur un constat clair, que nous partageons : face à la pression de Bruxelles, nous devons sauver nos barrages d’une ouverture à la concurrence qui mettrait à mal notre souveraineté nationale.

Cette mise en concurrence a été actée par le gouvernement français en 2006. Cette décision faisait d’ailleurs suite à la volonté de faire basculer les grandes entreprises publiques énergétiques dans des logiques de marché. En 2010, François Fillon, alors Premier ministre, s’était engagé à mettre en œuvre cette ouverture à la concurrence. Nous nous y étions opposés.

Sous un gouvernement de gauche, en 2013, le rapport d’information de Marie-Noëlle Battistel et d’Éric Straumann aboutissait à un nouveau consensus, en dénonçant ce choix, fait en 2006, qui n’avait pas été suffisamment discuté au regard de ses effets sur l’ensemble de la politique énergétique française.

Mes chers collègues, la logique libérale de la Commission européenne a maintes fois démontré son caractère destructeur et contre-productif, notamment en matière de prix pour les consommateurs. L’actualité est là pour nous le rappeler, s’il en était nécessaire. Nous ne pouvons réduire les barrages au seul rôle économique de production d’électricité.

Les enjeux sont multiples : gestion de l’eau, gestion de la biodiversité, aménagement du territoire. Nos barrages, facilement pilotables, assurent également la sécurité des réseaux électriques français et européen. Ils sont capables de démarrer en quelques minutes et d’apporter la puissance nécessaire pour soutenir la fréquence du réseau. Ils sont enfin les seuls moyens pour redémarrer en autonomie et réaliser le renvoi de tension nécessaire aux centrales nucléaires pour qu’elles restaurent le réseau électrique. Il est donc essentiel qu’ils restent sous le contrôle de l’État.

Face à la menace que représente la mise en concurrence, la méthode proposée par cette proposition de loi est-elle la plus opportune ? Nous ne le pensons pas.

À l’article 1er, la mise en régie des barrages hydroélectriques dont la puissance est supérieure à 4,5 mégawatts pose problème, et ce malgré l’amendement de rectification déposé.

Cette proposition de loi, malgré ses objectifs louables, n’est pas sans rappeler le projet Hercule, qui visait à créer une branche 100 % publique dédiée à l’énergie hydroélectrique.

Si nous votons ce texte, nous actons le démantèlement d’EDF. Si nous la votons, nous condamnons la SHEM, la Société hydroélectrique du Midi, et la CNR, la Compagnie nationale du Rhône, à disparaître au sein d’un opérateur unique.

Je ne peux que regretter la non-consultation des élus locaux, pourtant en première ligne sur ces questions. Nous pensons qu’une consultation à grande échelle ainsi qu’une réflexion sur la place des collectivités sont nécessaires.

Enfin, qu’en sera-t-il du sort des salariés ? Avec une telle réforme, quel serait le statut des nouveaux agents ? Les syndicats nous ont exprimé leurs craintes concernant ce statut si une pareille réorganisation était mise en œuvre.

Nous estimons plus pertinent de réfléchir à la création d’un grand service public intégré de l’énergie.

Fidèles à nos prises de position passées, nous considérons comme essentiel de penser une réforme de l’énergie dans sa globalité. Nous devons collectivement dénoncer cette logique libérale, néfaste pour le développement du secteur, pour les salariés et pour les usagers. Elle est responsable de la désorganisation du marché de l’électricité.

Le groupe socialiste exhorte le Gouvernement à profiter de la future présidence française de l’Union européenne pour demander un bilan de la déréglementation des marchés de l’énergie, afin de ne pas livrer aux forces du marché l’électricité et l’eau, qui constituent des biens communs et doivent rester sous maîtrise publique, avec un groupe EDF intégré.

Enfin, nous réaffirmons la nécessité de nous doter d’une véritable stratégie en matière d’énergie, afin de maintenir notre souveraineté et de lutter contre la précarité énergétique.

Vous l’aurez compris, le groupe SER ne votera pas ce texte. Malgré ses bonnes intentions, cette proposition de loi ne permet pas de formuler les bonnes solutions. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui a ce précieux mérite de poser une bonne question. Quid de nos concessions hydroélectriques ?

La France est le premier producteur hydroélectrique de l’Union européenne. Sur le continent européen, elle est seulement devancée par la Norvège. Le sujet est donc tout sauf accessoire, d’autant que cette énergie nous fascine, en particulier au Sénat. Je le rappelle, c’est le deuxième texte que nous examinons sur le sujet en l’espace de quelques mois. Je fais bien sûr allusion à la proposition de loi de Daniel Gremillet.

Cet attrait peut s’expliquer par le patrimoine parfois monumental de nos barrages. Les centrales hydroélectriques reflètent en effet l’intelligence et la haute maîtrise technique et architecturale de nos ingénieurs. En s’inspirant des influences internationales et en adoptant des matériaux modernes, ceux-ci ont réussi à conjuguer, avec esthétisme, la puissance motrice de nos rivières et la topographie complexe de nos territoires montagneux.

La gigantesque centrale hydroélectrique de Romanche Gavet, en Isère, inaugurée voilà un an quasiment jour pour jour, démontre que notre hydroélectricité a encore un rôle majeur à jouer.

Nous voulons donc préserver et conforter cette richesse, d’autant qu’il s’agit d’une énergie vertueuse pour la planète. Sur ce point, je comprends parfaitement les intentions des auteurs de ce texte.

Pour autant, ce texte peut-il tout résoudre ? Je ne le pense pas, la réalité étant bien plus complexe.

La production hydroélectrique en France est régie par la loi du 16 octobre 1919, selon laquelle « nul ne peut disposer de l’énergie des marées, des lacs et des cours d’eau, quel que soit leur classement, sans une concession ou une autorisation de l’État ».

Le parc hydroélectrique français s’est construit avec ces concessions, avant 1936, d’une part, après 1945, d’autre part. La durée de 75 ans fait qu’une première vague de concessions est arrivée à échéance avant 2015. La seconde vague, la plus importante, démarrera en 2025, dans un processus en perpétuelle reconduction.

Dans le même temps, le renouvellement des concessions est l’objet d’un contentieux avec la Commission européenne, qui a transmis deux lettres de mise en demeure à la France, en 2015 et 2019. En d’autres termes, Bruxelles souhaite que, à chaque renouvellement de concession, tous les opérateurs qui le souhaitent, français et étrangers, puissent concourir.

Pour autant, sans perspective durable, certaines concessions se prolongent. Je citerai la Compagnie nationale du Rhône, qui gère avec beaucoup d’efficacité plusieurs concessions hydroélectriques depuis 1948, tout en assumant d’importantes obligations de service public. Aussi, le mois dernier, la concession de la CNR a été prolongée jusqu’en 2041. Cette prolongation a été approuvée par la Commission européenne.

De fait, dans ce contexte incertain pour nos barrages, que prévoit le texte ? La création d’une quasi-régie pour l’ensemble des installations hydrauliques, une solution simple et radicale, mais contre-productive. Sans concertation avec la Commission européenne ou les acteurs concernés tels que les élus, les gestionnaires ou les salariés, le texte risque d’entraîner de lourds contentieux.

Par ailleurs, le prix à payer d’une telle planification serait lourd de conséquences. Quid de l’indemnisation des concessions non échues ? Quid du reclassement des salariés ? Tout cela a un coût, estimé à plusieurs milliards d’euros. Nous ne pouvons pas nous permettre une telle dépense.

Toutefois, sur le fond, nous considérons tous ici que, au vu de sa rareté, de ses enjeux stratégiques, économiques et climatiques, l’eau ne constitue pas un bien comme les autres. Le projet Hercule prévoyait d’ailleurs de mettre en quasi-régie l’ensemble des concessions détenues par EDF. Ce projet étant désormais caduc, tout reste à écrire.

M. Ronan Dantec. Exactement !

M. Bernard Buis. Reste que cette écriture doit dépasser les murs feutrés de la Haute Assemblée.

Aussi, le service public des énergies renouvelables que vise à créer l’article 2 représente un objectif louable, mais déjà satisfait par le droit existant. La direction générale du climat et l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, dite Agence de la transition écologique) sont pleinement compétentes sur ces sujets.

La concertation doit donc se poursuivre. Le texte présenté permet d’ouvrir le débat. Restons-en au débat pour l’instant !

Notre groupe ne votera donc pas en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Michel Savin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Michel Savin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi visant à maintenir les barrages hydroélectriques dans le domaine public et à créer un service public des énergies renouvelables.

La commission des affaires économiques a rejeté ce texte la semaine dernière, du fait de son mauvais calibrage et du manque de concertation concernant son dépôt. À titre personnel, ainsi qu’au nom de mon groupe, je soutiendrai évidemment cette position au moment du vote.

Je connais l’engagement de mes collègues sur l’avenir de nos concessions hydroélectriques et je tiens à saluer ici la mise en place d’un groupe de travail transpartisan chargé de suivre les réformes engagées par le Gouvernement sur le marché de l’électricité, confié à Daniel Gremillet, Patrick Chauvet et Jean-Claude Tissot.

Je tiens également à saluer les avancées d’ores et déjà permises par l’adoption de la proposition de loi tendant à inscrire l’hydroélectricité au cœur de la transition énergétique et de la relance économique, dont les dispositions ont été largement reprises dans le cadre de la loi Climat et résilience du 22 août 2021.

Le Parlement s’est saisi à plusieurs reprises du sujet qui nous réunit aujourd’hui. Ici même, au Sénat, le 11 décembre 2019, Mme la ministre de la transition écologique et solidaire, lors d’un débat intitulé : « Quelle politique énergétique pour la France ? Quelle place pour EDF ? », a affirmé que le Gouvernement était en train de négocier avec la Commission européenne concernant ce sujet, l’objectif étant de trouver une « voie de sortie », pour éviter la mise en concurrence.

Cette position a été réaffirmée le 12 janvier 2021 sur le risque de blackout énergétique, ainsi que le 13 janvier 2021 sur l’avenir de l’entreprise EDF et le projet Hercule.

De nombreux travaux de commissions, divers groupes ou missions ont également été réalisés.

Il convient aussi de rappeler que, dans un référé datant du 2 septembre 2013, la Cour des comptes a souligné qu’il était impossible d’en rester au statu quo, car la prolongation des concessions au-delà de leur durée n’entraîne pas un renouvellement des redevances. En d’autres termes, l’État perd de l’argent…

Ainsi, la problématique du statut de nos infrastructures hydroélectriques n’est malheureusement pas réglée à ce jour.

Je suis un sénateur alpin, issu d’un territoire dans lequel sont implantées dix centrales hydroélectriques de grande taille, parmi les plus grandes de France. J’entends au quotidien les inquiétudes des acteurs de cette filière de pointe, qui permet de produire de manière propre de l’électricité, mais également de réguler cette production.

Je souhaite rappeler ici que, en 2015, puis en 2019, la Commission européenne a mis en demeure la France pour faire en sorte que les marchés publics dans le secteur de l’énergie hydroélectrique soient attribués et renouvelés dans le respect du droit européen. Ces mises en demeure visaient le renouvellement ou la prolongation de concessions hydroélectriques sans recours à des procédures d’appel d’offres.

Ainsi, le « stock » des contrats échus devrait atteindre, en 2023, le chiffre de 150 concessions sur un total de 400.

Le Gouvernement réfléchissait à une réorganisation du groupe EDF et étudiait plusieurs scénarios pour le renouvellement des concessions, y compris la voie consistant à les renouveler sans mise en concurrence, pour les confier à une structure publique dédiée contrôlée par l’État. Or il semble que le projet Hercule ait été abandonné au printemps.

Aujourd’hui, madame la secrétaire d’État, six problèmes majeurs pourraient être provoqués par la mise en concurrence des concessions.

Il s’agit tout d’abord de l’assurance des conditions de sécurité, face à des acteurs qui arriveraient de manière opportune sur le marché.

Je pense ensuite à l’impossibilité de répondre à tous les besoins des populations, dans un contexte de raréfaction de l’eau due au changement climatique.

Par ailleurs, les acteurs locaux, dans l’agriculture et le tourisme, pourraient rencontrer des difficultés pour continuer à profiter des retenues d’eau.

Le risque concerne également la sécurité des ouvrages hydroélectriques, une possible hausse des prix de l’électricité, ainsi que des difficultés à faire fonctionner correctement le système de distribution d’électricité.

Pour toutes ces raisons, il est urgent que le Gouvernement s’engage dans une démarche transparente visant à résoudre cette problématique. Un changement de régime des installations hydroélectriques serait une solution idoine, à condition que cela se fasse dans un dialogue ouvert et respectueux de tous.

Soyez ambitieuse, madame la secrétaire d’État, et offrons aux concessions hydroélectriques une réponse à la hauteur des enjeux. Il y va de notre transition et de notre souveraineté énergétiques. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Michau.

M. Jean-Jacques Michau. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en préambule, je tiens à remercier Guillaume Gontard et le groupe GEST de nous permettre, à la faveur de l’examen de cette proposition de loi, de débattre de la question de l’hydroélectricité en France.

Élu d’un département comptant une vingtaine de barrages, je suis sensible à l’initiative de nos collègues : les barrages sont essentiels à notre industrie et à nos emplois. Oui, l’avenir des barrages et de leurs centrales de production est un enjeu fondamental pour les territoires.

Source d’énergie de premier plan parmi les plus décarbonées, l’hydroélectricité constitue un levier essentiel de développement économique pour nos territoires ruraux, en particulier en zone de montagne.

Peu émissive, stockable et modulable, l’hydroélectricité n’a jamais été aussi nécessaire face à l’urgence climatique, qui nous oblige à relancer notre économie en accélérant sa décarbonation.

En outre, l’eau n’est pas un produit quelconque : c’est un bien commun. Ce point mérite que l’on s’y attarde.

Les barrages ne sont pas destinés à la seule production d’énergie, nous le savons bien : ils sont des acteurs de la gestion de l’eau sur nos territoires. Le tourisme, la pêche, l’irrigation, l’eau potable, la régulation des débits dépendent directement de leur activité.

Oui, cette proposition de loi est la bienvenue, parce qu’elle nous permet de rouvrir le débat à l’heure où les projets de réforme d’EDF sont au point mort.

Rappelons-le, en effet, la France est engagée dans un véritable bras de fer avec l’Union européenne, qui nous demande la mise en concurrence de nos concessions hydrauliques. Tel est le cadre dans lequel nous débattons aujourd’hui.

Pour autant, ce texte, qui vise à créer une quasi-régie pour les 400 gros barrages actuellement exploités sous concession et à créer un service public des énergies renouvelables, nous paraît peu adapté aux enjeux que nous venons de rappeler.

Tout d’abord, cela pourrait ouvrir une brèche : EDF est le plus gros producteur, représentant plus de 80 % de la production française d’hydroélectricité, contre 14 % pour la Compagnie nationale du Rhône (CNR) et 3 % pour la Société hydroélectrique du Midi (SHEM). Cela signifierait, à terme, pour EDF, la perte de sa branche hydroélectrique et, pour la SHEM et la CNR, la disparition pure et simple. Nous y sommes fondamentalement opposés.

Par ailleurs, quelle place les collectivités territoriales occuperaient-elles dans ce schéma ? Quel sera le sort réservé aux salariés des concessions supprimées ? Comment résoudre le problème des conséquences financières du rachat des concessions non échues ? Nous n’en savons rien.

Mes chers collègues, nous le constatons aujourd’hui, la question cruciale de l’avenir des barrages de l’Hexagone dépend directement du projet de restructuration d’EDF.

Il y a là, pour les membres du groupe socialiste, l’occasion de réaffirmer notre attachement à un grand service public de l’énergie.

Avec EDF, nous disposons d’un champion national, mais aussi international, grâce à un parc de production d’électricité qui compte parmi les plus décarbonés au monde.

EDF doit rester un grand groupe intégré pour conserver un rôle central en matière d’indépendance énergétique de notre pays, de maîtrise de notre politique énergétique et de transition écologique.

Les crises actuelles nous rappellent combien un service public fort est nécessaire pour affronter les défis sanitaire, économique et climatique. Or l’ouverture à la concurrence n’a pour l’instant ni favorisé le développement par les fournisseurs alternatifs de nouvelles capacités de production ni profité aux consommateurs. Bien au contraire !

Parce que l’énergie est un bien commun, nous nous battrons afin qu’elle reste un service public dont l’unique objectif est, comme il se doit, l’intérêt général. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la transition énergétique ne saurait être menée à bien et l’objectif de neutralité carbone en 2050 ne pourra être atteint qu’en développant un mix énergétique équilibré et optimisé économiquement, combinant électricité et gaz renouvelable, notamment le gaz verdi.

L’hydroélectricité est naturellement une énergie importante dans notre mix énergétique.

Elle constitue la deuxième source d’électricité en France, derrière le nucléaire, et la première source d’énergie renouvelable. En 2020, sa production était en hausse de 8,4 % par rapport à l’année précédente, permettant de couvrir 13,5 % de l’électricité consommée sur l’année.

En outre, elle a le mérite, par rapport aux énergies renouvelables intermittentes que sont l’éolien et le solaire, d’être pilotable et flexible. Elle répond au mieux aux pointes de consommation lorsqu’elle est associée à une retenue d’eau créée par un barrage et elle assure une production de base lorsque les centrales sont installées au fil de l’eau. Elle est aussi l’une des sources d’énergie les plus décarbonées.

Son intérêt du point de vue énergétique et climatique est donc certain, surtout à l’heure du changement climatique, où la ressource en eau est rare. On a vu une sécheresse en Chine faire baisser le niveau d’eau des barrages et entraîner un report de la production d’électricité vers le gaz, la tension sur le marché du gaz engendrant elle-même une hausse des prix qui a un impact, sur le territoire national, pour nos ménages et nos entreprises.

Cette proposition de loi comprend deux articles.

L’article 1er prévoit que les installations hydrauliques aujourd’hui placées sous le régime de la concession et dont la puissance excède 4 500 kilowatts seront placées sous un régime de quasi-régie afin d’éviter la mise en concurrence.

L’article 2 inscrit l’objectif d’organiser un service public des énergies renouvelables dans le code de l’énergie.

Le devenir des concessions hydroélectriques est un sujet de préoccupation. Il y va de l’avenir de notre transition et de notre souveraineté énergétiques !

En 2015, puis en 2019, la Commission européenne a mis la France en demeure de faire en sorte que les marchés publics dans le secteur de l’énergie hydroélectrique soient attribués et renouvelés dans le respect du droit européen.

Ces mises en demeure visaient le renouvellement ou la prolongation de concessions hydroélectriques sans recours à des procédures d’appel d’offres. Ainsi le « stock » des contrats échus devrait-il atteindre, en 2023, le chiffre de 150 concessions – sur un total de 400, dont 80 % sont gérées par EDF.

Le Gouvernement réfléchissait à une réorganisation du groupe EDF et étudiait plusieurs scénarios pour le renouvellement des concessions, y compris la voie consistant à les renouveler sans mise en concurrence pour les confier à une structure publique dédiée contrôlée par l’État.

Il semble que le projet Hercule ait été abandonné au printemps dernier. Les enjeux sont structurants pour l’avenir de la souveraineté et de la transition énergétiques du pays.

Cette proposition de loi pose plusieurs difficultés, qui ont déjà été exprimées par M. le rapporteur. Je suivrai donc la position qu’il a émise au nom de la commission des affaires économiques du Sénat, tout en formulant le vœu qu’en concertation avec les différents acteurs concernés soit trouvée une réponse à la hauteur de l’enjeu : l’hydroélectricité doit être au cœur de la transition écologique et de la relance économique de la France ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.

M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’électricité que nous produisons et consommons dans notre pays provient majoritairement de l’énergie nucléaire. Ayant fait le choix responsable de décarboner le secteur de l’énergie, nous ne devons pas négliger pour autant l’impératif de disposer à l’avenir d’un mix énergétique stable assurant en priorité notre souveraineté, ainsi qu’une certaine indépendance.

À cet égard, je pense qu’il faut augmenter la place du nucléaire dans notre bouquet énergétique. Une telle augmentation est d’autant plus nécessaire qu’elle interviendrait dans un contexte où nous fermons nos centrales à charbon, étant précisé que le charbon est en plein essor en Asie, en Afrique, en Australie, et que beaucoup de nos voisins européens continuent et continueront de l’exploiter.

Nous devons donc, quant à nous, disposer d’une énergie nucléaire en quantité suffisante, complétée par des énergies renouvelables. Il y va de la nécessaire réindustrialisation de notre pays et de la restructuration de l’appareil productif autour de l’électromobilité. L’enjeu est aussi l’emploi, les cotisations étant nécessaires pour maintenir nos retraites, nos acquis sociaux, la sécurité sociale, socles de notre démocratie.

Parmi ces énergies renouvelables, il en est une qui est vieille comme le monde : c’est l’eau. La construction de barrages et de centrales et l’installation de stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) ont fait et font notre force hydroélectrique. Cette filière représente 25 000 emplois dans nos territoires et 12 % en moyenne de notre production électrique ; elle a aussi, avec les barrages, un rôle touristique.

Malheureusement, plusieurs projets de STEP sont retardés, car l’Europe ne donne pas à EDF le droit de proroger les concessions, notamment une en Corrèze, ce qui est absolument scandaleux. Si, à l’avenir, les appels d’offres étaient mondialisés, les barrages de la Dordogne ou de la Truyère pourraient se retrouver gérés depuis Pékin ou Shanghai. C’est inacceptable !

La gestion de ces infrastructures doit rester entre les mains des opérateurs nationaux, qui participent à la défense de nos intérêts stratégiques et de l’emploi. Les modalités de cette gestion ont aussi un impact sur la vie des territoires, notamment par le biais du lien financier avec les collectivités locales. Nous devons donc placer ce patrimoine hydroélectrique sous un régime protecteur.

Par cette proposition de loi, nos collègues écologistes, que je remercie, pointent un sujet essentiel pour l’avenir de nos barrages et centrales hydroélectriques, donc pour nos territoires : l’arrivée à terme de nombreuses concessions et le danger ainsi engendré pour la gestion future de ces infrastructures stratégiques.

L’hydroélectricité, comme le nucléaire, représente un enjeu de souveraineté pour notre pays. Elle n’est pas un bien comme un autre : il est important que sa production respecte des impératifs de sécurité et de sûreté spécifiques.

Placer les installations hydrauliques de plus de 4,5 mégawatts sous le régime de la quasi-régie présente les avantages d’une solution simple, mais aussi des inconvénients. Comme l’a justement fait remarquer le rapporteur, la mesure prévue à l’article 1er est juridiquement fragile ; elle est d’ailleurs défavorablement accueillie par les acteurs concernés.

Il est clair que le débat sur le régime applicable à l’exploitation des barrages hydroélectriques doit s’inscrire dans une réflexion globale menée à l’échelon européen, afin de prendre en considération les spécificités du secteur de la production électrique et de le protéger des influences étrangères.

J’en viens à l’article 2. La volonté d’un développement global des énergies renouvelables nous paraît consubstantielle aux engagements internationaux, européens et nationaux que nous avons pris. Reste, madame la secrétaire d’État, à relever le défi de cette protection nationale de l’hydroélectricité dans le cadre de la présidence de l’Union européenne que nous exercerons prochainement.

Pour toutes ces raisons, la majorité du groupe Les Indépendants s’abstiendra et le reste du groupe votera contre.

M. le président. La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de la proposition de loi initiale.

proposition de loi visant à maintenir les barrages hydroélectriques dans le domaine public et à créer un service public des énergies renouvelables

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à maintenir les barrages hydroélectriques dans le domaine public et à créer un service public des énergies renouvelables
Article 2 (début)

Article 1er

Le livre V du code de l’énergie est ainsi modifié :

1° L’article L. 511-5 est ainsi rédigé :

« Art. L. 511-5. – Sont placées sous le régime de quasi-régie défini à l’article L. 3211-1 du code de la commande publique les installations hydrauliques dont la puissance excède 4,5 mégawatts. » ;

2° L’article L. 521-18 est abrogé.

M. le président. L’amendement n° 1, présenté par MM. Gontard, Salmon, Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Labbé et Parigi et Mmes Poncet Monge, Taillé-Polian et M. Vogel, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 3

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Cette obligation entre en application au terme du contrat de concession de chaque installation.

II. – Après l’alinéa 3

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

« Les autres installations sont placées sous le régime de l’autorisation selon les modalités définies à l’article L. 531-1.

« La puissance d’une installation hydraulique, ou puissance maximale brute, au sens du présent livre est définie comme le produit de la hauteur de chute par le débit maximum de la dérivation par l’intensité de la pesanteur. » ;

La parole est à M. Daniel Salmon.

M. Daniel Salmon. Cet amendement vise à apporter à cet article plusieurs précisions juridiques dont la discussion en commission a révélé la nécessité.

D’une part, le régime de quasi-régie n’entrera en application qu’à l’échéance du contrat de concession. Aucune indemnité de changement de régime ne devra donc être versée, puisque la concession sera arrivée à son terme. Un premier écueil est ainsi levé.

D’autre part, seuls sont visés les barrages dont la puissance excède 4,5 mégawatts, les barrages dont la puissance est inférieure à ce seuil ne le sont pas. Là encore, une solution est trouvée à un problème qui a été fréquemment soulevé, celui des sociétés d’économie mixte hydroélectriques (SEMH) : celles-ci ne sont pas concernées par le texte.

J’ose croire qu’avec la levée de ces deux écueils cette proposition de loi a toute chance de faire consensus…

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrick Chauvet, rapporteur de la commission des affaires économiques. Cet amendement vise à corriger deux effets de bord identifiés par la commission en appliquant le mécanisme de quasi-régie aux seules installations hydrauliques concédées dont la concession est échue.

Si ces modifications sont utiles, elles ne suffisent pas à rendre le mécanisme de quasi-régie opérant.

Tout d’abord, le périmètre de la quasi-régie est trop large. D’une part, il engloberait non seulement les concessions du groupe EDF, mais aussi celles de ses concurrents. D’autre part, il n’exclurait pas les concessions transfrontalières.

Ensuite et plus encore, une quasi-régie nationale serait préférée aux sociétés d’économie mixte hydroélectriques locales.

Enfin, aucune condition financière n’est prévue.

Pour toutes ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Bérangère Abba, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. L’adoption de cette disposition viendrait utilement rétablir le régime d’autorisation pour les installations hydroélectriques de moins de 4,5 mégawatts. Dans la rédaction initiale de l’article 1er, ce régime d’autorisation était supprimé sans solution de substitution.

Il est également précisé que les installations hydroélectriques concernées ne seraient versées dans le régime de la quasi-régie qu’à compter de l’échéance de la concession, ce qui éviterait l’indemnisation des concessionnaires actuels.

Mes réserves tiennent à la situation complexe que l’on créerait à faire entrer ainsi les différentes concessions dans divers calendriers, une partie d’entre elles, celles qui sont déjà échues, étant placées sous le régime de la quasi-régie alors que les autres resteraient, sauf décision contraire, dans l’actuelle entité qui les gère. La scission de ces activités durerait potentiellement très longtemps, puisque certaines concessions n’arriveront à échéance qu’en 2050.

Dans la quasi-régie que nous voulons créer – je le réaffirme sans ambiguïté – pour gérer les concessions d’EDF, l’idée est bien d’affecter ces dernières en même temps, afin que l’entité de gestion demeure cohérente.

Malheureusement, les précisions apportées ne suffisent pas à rendre l’article 1er opérant, car la structure appelée à jouer le rôle de quasi-régie n’est pas créée. Ne sont précisées en effet ni les modalités de sa gouvernance ni les dispositions qui permettraient de s’assurer du respect des trois exigences fondant une quasi-régie : contrôle de l’État analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services ; absence de participation directe de capitaux privés au capital ; réalisation de plus de 80 % de l’activité dévolue aux missions qui lui sont confiées par l’État, en l’espèce l’exploitation des concessions hydroélectriques.

L’application de l’article ainsi amendé pourrait donc avoir, même involontairement, des effets négatifs.

C’est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.

M. Guillaume Gontard. J’apporterai quelques précisions en réponse aux avis qui viennent d’être émis par M. le rapporteur et par Mme la secrétaire d’État.

La question des SEMH est beaucoup revenue au cours de la discussion générale ; or elle est bel et bien évacuée, monsieur le rapporteur, puisque cet amendement a pour objet de mentionner que sont visées les seules concessions, d’une puissance supérieure à 4,5 mégawatts. Le fonctionnement des SEMH et la prise en charge des coûts supportés par les collectivités ne sont donc pas en question – nous sommes bien d’accord…

Je vous renvoie en particulier à la proposition de loi tendant à inscrire l’hydroélectricité au cœur de la transition énergétique et de la relance économique de Daniel Gremillet, qui traitait notamment des installations dont la puissance est inférieure à 4,5 mégawatts.

Madame la secrétaire d’État, après vous avoir écoutée, me voilà rassuré ! Nous souhaitions préciser que les concessions étaient reprises dans la quasi-régie à l’échéance du contrat ; on nous a répondu en interrogeant la viabilité financière d’un tel projet. Or vous vous apprêtez, me dites-vous, à les reprendre toutes d’un coup, ce qui me fait dire que vous avez la solution budgétaire : vous savez comment financer cette évolution, nouvelle plutôt très rassurante qui donne un certain crédit à notre proposition. Vous nous expliquerez certainement les détails financiers de l’affaire – je le ferai d’ailleurs pour notre compte, puisque nous avons bien sûr étudié le volet financier.

Les différentes concessions, qu’elles relèvent d’EDF, de la CNR ou de la SHEM, arrivant à terme à des dates différentes, nous pensons, nous, qu’il vaut mieux qu’elles soient reprises au fur et à mesure qu’elles échoient. C’est préférable notamment du point de vue de l’intégration des salariés dans la nouvelle structure.

Je répète également que, dans une quasi-régie, on peut trouver des établissements publics industriels et commerciaux (ÉPIC) ; on pourrait y trouver aussi bien EDF, la CNR ou la SHEM… À cet égard, le Gouvernement a le choix. Sur ce sujet également, madame la secrétaire d’État, j’aimerais des précisions.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.

(Larticle 1er nest pas adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à maintenir les barrages hydroélectriques dans le domaine public et à créer un service public des énergies renouvelables
Article 2 (fin)

Article 2

Le I de l’article L. 100-4 du code l’énergie est complété par un 12° ainsi rédigé :

« 12° D’organiser un service public des énergies renouvelables dont les objectifs visent à :

« a) Participer à la structuration de la recherche et du développement ;

« b) Planifier et coordonner le déploiement des énergies renouvelables sur l’ensemble du territoire et dans une logique de péréquation tarifaire et de solidarité territoriale ;

« c) Favoriser l’organisation de filières industrielles de production et la gestion des matériaux sur l’ensemble de leur cycle de vie ;

« d) Accompagner les porteurs de projets publics et privés ;

« e) Encourager l’appropriation citoyenne et la création de communautés énergétiques locales ;

« f) Favoriser l’atteinte des objectifs de développement des énergies renouvelables dans un cadre de sobriété et d’efficacité énergétiques. »

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que, si cet article n’était pas adopté, il n’y aurait plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi, dans la mesure où les deux articles qui la composent auraient été rejetés. Il n’y aurait donc pas d’explications de vote sur l’ensemble.

La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote sur l’article.

M. Guillaume Gontard. J’ai attentivement écouté les différents critiques et reproches qui ont pu être émis à l’encontre de notre proposition de loi. Je cherche encore l’autre solution ! Y a-t-il une autre solution à mettre sur la table pour répondre à cette question ? Je n’ai rien entendu de tel.

Un grand service intégré ? Je l’appelle de tous mes vœux ! Pourtant, ceux qui prônent aujourd’hui cette formule sont les mêmes qui, au gré de gouvernements différents, ont désintégré ce service auparavant intégré… (M. Fabien Gay sexclame.) Cette situation ne laisse pas de m’interroger – et ma remarque ne s’adressait évidemment pas à Fabien Gay…

Ce grand service intégré est-il compatible actuellement avec le droit européen ? On sait que non. On sait aussi – cela a été dit et rappelé – qu’il est urgent d’agir : 140 concessions sont arrivées à terme, pour lesquelles il faut trouver très rapidement une solution – pour des raisons de sécurité et d’investissements nécessaires, on ne peut pas en rester là.

La solution de la quasi-régie représente donc un simple premier pas vers un service public intégré.

Je ne comprends pas bien ce qui nous est opposé : je veux bien un service intégré, mais comment le mettre en œuvre rapidement, sinon immédiatement ? Par des négociations avec la Commission européenne ? De telles discussions ont déjà eu lieu ! Il est déjà écrit noir sur blanc que la quasi-régie est la seule solution pour sortir de l’impasse.

Pourquoi tourner autour du pot alors que la solution est là, sous nos yeux ?

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote sur l’article.

M. Fabien Gay. Je n’avais pas prévu d’intervenir, mais, compte tenu de ce que je viens d’entendre, je ne peux m’en dispenser.

Je veux bien recevoir toutes les leçons possibles et imaginables, mais, faut-il le rappeler, les écologistes ont été au gouvernement pendant le quinquennat de François Hollande ! Je me souviens très bien, moi, que Manuel Valls s’est aplati devant la Commission européenne sur la question des barrages hydroélectriques ! (Très bien ! et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Anne-Catherine Loisier applaudit également.)

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Ça, c’est fait !

M. Fabien Gay. S’il faut rappeler également que les écologistes – et d’autres… – ont voté tous les paquets énergétiques à l’échelon européen, je le ferai ! (M. Ronan Dantec sexclame.)

Pourquoi suis-je contre la quasi-régie ? Parce qu’il s’agit – vous l’avez dit – de la proposition du Gouvernement et de la Commission européenne ! Ils nous proposent cette solution pour ne pas avoir à soustraire la question de l’énergie aux lois du marché – car la quasi-régie ne sort pas la question des barrages hydroélectriques du marché !

Puisque vous semblez ne pas m’avoir entendu, je le répète : c’est un combat politique et nous l’assumons ! Nous sommes pour sortir l’énergie du secteur marchand. Bien sûr, c’est complexe ! Bien sûr, nous sommes seuls ! C’est une bataille politique qu’il est nécessaire de mener.

Depuis la libéralisation du marché européen de l’énergie, que l’on nous a vendue dès le Conseil européen de Barcelone, en 2002, nous sommes en difficulté : les consommateurs et les salariés en paient les conséquences aujourd’hui…

M. Gérard Longuet. C’est vrai.

M. Fabien Gay. Nous n’accepterons pas aujourd’hui la quasi-régie pour combattre demain, lorsqu’un nouveau gouvernement sera constitué à l’issue des élections présidentielle et législatives, le projet grand EDF qui est, précisément, un projet de quasi-régie. Nous pensons, nous, qu’il faut sortir l’hydroélectricité des lois du marché.

Surtout, je ne vous ai pas entendu préciser qui dirigerait le grand service public des énergies renouvelables : EDF ou une autre entité ?

M. Guillaume Gontard. C’est l’État !

M. Fabien Gay. Ce « grand service public » sera-t-il 100 % public ou bien libéralisé et vendu au privé, ainsi que le veut faire le Gouvernement, main dans la main avec la Commission européenne et, aujourd’hui, avec le groupe écologiste du Sénat ?

M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote sur l’article.

M. Daniel Salmon. Nous arrivons au terme de l’examen de cette proposition de loi.

Beaucoup a été dit. La tonalité générale est qu’il faut mettre nos barrages à l’abri de la concurrence. Quand on parle de nos barrages, on ne parle pas simplement d’électricité, quoiqu’ils soient hydroélectriques. Les barrages, c’est bien plus : l’irrigation, le tourisme, le refroidissement des centrales.

L’entité « barrages hydroélectriques » a donc une consistance propre, ce qui justifie de la traiter dans son ensemble, comme nous le faisons avec cette proposition de loi, sans la dissoudre dans ce grand service de l’énergie que certains appellent de leurs vœux. Il y a bel et bien une logique à scinder ce service en isolant les barrages.

Une quasi-régie est 100 % publique. D’aucuns soutiennent qu’un tel dispositif n’est pas encore assez public. Que vous faut-il ? Du 150 % public ? Soyons sérieux ! La notion de « quasi-régie » est juridiquement définie : c’est du 100 % public.

Je reviens sur certaines arguties pour le moins surprenantes – j’en ai déjà fait mention dans la discussion générale : nous oublierions l’hydrogène dans notre service public des énergies renouvelables. L’hydrogène n’est en rien une source d’énergie : c’est un vecteur d’énergie ! En d’autres termes, il n’a rien à faire là.

Quid du nucléaire ? nous demande-t-on également. Le nucléaire non plus n’est en rien une énergie renouvelable. L’uranium, que je sache, n’est pas renouvelable, sans même parler du fait qu’on n’en produit pas un gramme en France.

Cette proposition de loi est complètement cohérente. Je regrette de constater qu’elle ne sera pas adoptée : c’est remettre à beaucoup plus tard ce que nous pourrions faire aujourd’hui, d’autant que, on le voit bien, il n’y a pas de plan B !

Mes chers collègues, vous pouvez encore changer d’avis. Je vous y invite.

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote sur l’article.

M. Franck Montaugé. M. Gontard est provocateur : il n’y a que dans les partis totalitaires que tout le monde est toujours d’accord sur ce qui est proposé ! (Sourires.)

L’énergie fait partie des sujets extrêmement difficiles qui engagent profondément notre avenir. Hier, la commission des affaires économiques a auditionné un professeur d’université – quelqu’un qui sait de quoi il parle – qui était d’inspiration plutôt libérale, si j’ai bien compris. Il y a selon lui – il nous l’a dit clairement – un fort enjeu à ce que la réorganisation du marché de l’électricité se fasse dans un cadre vertical et intégré, ce que les membres de mon groupe et moi-même, mais nous ne sommes pas les seuls, appelons de nos vœux.

Je note par ailleurs – je tiens à le souligner, quoiqu’on puisse s’interroger sur ce qu’il faut entendre derrière les mots prononcés – que le ministre de l’économie lui-même, M. Le Maire, a dressé le constat de l’inefficacité du marché de l’électricité tel qu’il s’est construit au cours des décennies passées. Je dis, comme il semble le faire à en croire ses déclarations, que tout le monde y a gagné, depuis vingt ans, sauf le consommateur ! Cela pose tout de même un problème de fond.

Comme de nombreux collègues, je ne pense pas que ce soit en saucissonnant cette question de fond extrêmement complexe, qui va de la production à la vente, que nous la réglerons. Il s’agit d’un enjeu politique majeur pour notre pays dans les années à venir et il le faut le traiter dans sa globalité, en prenant en compte l’ensemble des modes de production d’énergie.

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Je remercie le groupe GEST d’avoir déposé cette proposition de loi qui a permis à chacun de louer les vertus de l’hydroélectricité. Le fait de débattre des capacités de production d’électricité en termes à la fois environnementaux et économiques me semble une bonne nouvelle et je suis heureuse de constater – je me tourne là aussi vers nos amis écologistes – que ces retenues d’eau sont à la source d’une satisfaction générale…

Finalement, madame la secrétaire d’État, le débat tourne autour de deux sujets : l’avenir d’EDF et la stratégie énergétique globale de la France.

En ce qui concerne l’avenir d’EDF, vous aurez compris que nous sommes tous un peu frustrés de ne pas avoir pu avoir de débat sur ce sujet. D’intenses négociations ont eu lieu avec la Commission européenne pour restructurer l’entreprise et, même si nous ne serons pas tous d’accord dans cet hémicycle sur les modalités précises de cette restructuration, il est évident que nous devons absolument débattre des moyens à mettre en œuvre pour donner à EDF de l’élan afin qu’elle dispose des capacités d’être leader dans son secteur.

J’ai cru comprendre que la France avait quasiment trouvé un accord avec la Commission européenne, ce qui rend encore plus frustrante, pour la représentation nationale, l’absence de débat sur ce sujet avant l’élection présidentielle. J’ajoute que cette absence de débat est également très dommageable pour EDF elle-même.

Ensuite, en ce qui concerne la stratégie énergétique globale de la France, il est bien difficile de l’appréhender. J’ai cru comprendre que des investissements étaient envisagés pour construire des SMR (Small Modular Reactors) ou pour développer une filière hydrogène. Nous avons beaucoup parlé d’éoliennes dans le cadre de l’examen, cet été, du projet de loi Climat et résilience. Nous parlons aujourd’hui d’hydroélectricité. Pour autant, quelle est la stratégie globale ?

C’est la raison pour laquelle la commission des affaires économiques et le groupe d’études Énergie du Sénat, présidé par Daniel Gremillet, se sont emparés de la question de la stratégie énergétique de notre pays. Nous comptons mener d’importants travaux sur ce sujet, qui constitue à l’évidence un vecteur essentiel de compétitivité et de souveraineté, tant pour la France que pour l’Europe.

Madame la secrétaire d’État, le débat sur la restructuration d’EDF n’est pas médiocre – d’ailleurs, il existe des points de vue très différents sur ce sujet – et nous aurions dû l’avoir avant l’élection présidentielle. J’ai bien compris qu’il n’était pas inscrit à l’agenda de communication du Président de la République ; pourtant, il est essentiel !

En tout cas, je ne doute pas que ces deux débats – l’avenir d’EDF et notre stratégie énergétique globale – nous occuperont dans les prochains mois !

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire dÉtat. Chacun l’a souligné, nous avons besoin de l’hydroélectricité, une énergie verte, flexible et décentralisée. Nous devons la garder dans le domaine public, tout simplement parce que l’eau est un bien commun et que nous devons sécuriser et préserver la ressource. C’est aussi une question de souveraineté énergétique.

C’est pourquoi le Gouvernement privilégie l’option d’un fonctionnement en quasi-régie pour les barrages hydroélectriques d’EDF. Cette solution nécessite un dialogue avec la Commission européenne et le Parlement et une concertation avec les élus locaux – je sais que vous menez ce type de dialogue dans vos départements respectifs et je vous en remercie.

J’ajoute, madame la présidente de la commission, que le Parlement peut décider d’inscrire à son ordre du jour tout type de débat et je vous rejoins sur le fait qu’un débat sur l’avenir d’EDF est tout à fait nécessaire. En tout état de cause, tous ces sujets auront des déclinaisons législatives, ce qui donnera lieu à des discussions.

En tout cas, le plan B dont vous parlez, monsieur le sénateur, se dessine. Même si nous n’avons pas encore d’accord global, nous avons déjà beaucoup avancé sur la conception de la régulation, notamment pour le nucléaire et l’hydroélectricité, ainsi que sur la réorganisation d’EDF. Je le redis, l’option d’une quasi-régie au sein d’EDF Holding reste prioritaire pour nous.

Nous ne pouvons pas, à ce stade, établir de calendrier précis et fixer des échéances. Il nous reste plusieurs mois de travaux et de débats avant de pouvoir présenter un projet complet de réorganisation d’EDF.

Cette réforme comportera plusieurs étapes : nous devrons d’abord conclure un accord avec la Commission européenne, puis finaliser l’organisation de l’entreprise et de ses filiales. Nous devrons aussi, naturellement, discuter avec les organisations syndicales, car nous ne pourrons pas arrêter un modèle sans mener de véritables concertations avec leurs représentants.

En parallèle, nous devrons préparer un véhicule législatif ; il sera soit spécifique, soit intégré à un autre projet de loi. D’ailleurs, de telles dispositions pourraient éventuellement être incluses dans le projet de loi qui est prévu pour juillet 2023 et qui déterminera les objectifs et fixera les priorités d’action de la politique énergétique nationale.

Vous le voyez, il y aura bien un débat parlementaire ; il se tiendra soit sur votre initiative, soit dans le cadre de dispositions législatives à venir.

M. le président. Je mets aux voix l’article 2.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 10 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 335
Pour l’adoption 14
Contre 321

Le Sénat n’a pas adopté.

Les articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire, puisqu’il n’y a plus de texte.

En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures quarante, est reprise à seize heures, sous la présidence de M. Georges Patient.)

PRÉSIDENCE DE M. Georges Patient

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Article 2 (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à maintenir les barrages hydroélectriques dans le domaine public et à créer un service public des énergies renouvelables
 

9

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer le contrôle par le Parlement de l'application des lois
Discussion générale (suite)

Recours pour excès de pouvoir des parlementaires

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, de la proposition de loi tendant à reconnaître aux membres de l’Assemblée nationale et du Sénat un intérêt à agir en matière de recours pour excès de pouvoir, présentée par M. Jean-Claude Requier et plusieurs de ses collègues (proposition n° 696 [2020-2021], texte de la commission n° 26, rapport n° 25).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Claude Requier, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer le contrôle par le Parlement de l'application des lois
Article unique

M. Jean-Claude Requier, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sans doute n’est-il pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer, comme l’affirmait Guillaume d’Orange, dit le Taciturne.

Le 23 décembre 2010, voilà maintenant plus de dix ans, notre ancien collègue et président du groupe du RDSE, Yvon Collin, déposait avec l’ensemble du groupe une proposition de loi tendant à reconnaître une présomption d’intérêt à agir des membres de l’Assemblée nationale et du Sénat en matière de recours pour excès de pouvoir. Le dispositif qu’il défendait était alors relativement large.

Par un article unique, les membres du Parlement étaient réputés justifier d’une qualité leur donnant intérêt à agir par la voie du recours pour excès de pouvoir contre une mesure réglementaire édictant une disposition relevant du domaine de la loi, contre une mesure réglementaire contraire à une disposition législative ou encore contre le refus du Premier ministre de prendre dans un délai raisonnable les mesures réglementaires d’application d’une disposition législative.

Malheureusement, ce dispositif n’a pas convaincu la majorité de notre hémicycle malgré l’élan de la réforme constitutionnelle du mois de juillet 2008 et la volonté affichée de renforcer les pouvoirs du Parlement.

Depuis lors, le Sénat n’est certes pas resté sans rien faire sur la question de l’application des lois – la richesse de notre débat annuel le montre bien –, mais il faut aussi admettre que cela demeure insuffisant.

En fait, nous faisons à chaque fois le constat que celui qu’Yvon Collin a dressé ici même il y a dix ans, lorsqu’il a présenté sa proposition de loi : « Si le Parlement vote souverainement la loi et exprime ainsi la volonté générale, il advient beaucoup trop souvent que la mise en œuvre de la loi, qui dépend du pouvoir réglementaire, se retrouve paralysée, pour ne pas dire annihilée, par les retards d’édiction des actes réglementaires, que ces retards soient involontaires ou, ce qui est plus grave, délibérés. »

La voie qu’il avait proposé d’ouvrir était-elle la bonne ? Du moins, elle a continué à faire écho au-delà du RDSE, puisque, dans son discours prononcé le 1er octobre 2020 à la suite de sa reconduction à la présidence du Sénat, Gérard Larcher défendit avec conviction la nécessité de « réfléchir à une procédure […] qui permette au Parlement de saisir le juge administratif, lorsqu’un décret d’application manque à l’appel ».

Notre groupe a alors considéré qu’il était plus qu’opportun de déposer à nouveau une proposition de loi poursuivant et affinant nos travaux antérieurs : les poursuivant, car les enjeux demeurent identiques, les affinant, parce que nous avons pu bénéficier d’un recul suffisant et d’un premier travail législatif éclairant.

Nous sommes donc désormais face à un nouveau texte, plus restreint, juridiquement plus contenu, sans qu’il perde pour autant de sa force politique – au contraire !

Ainsi, cette proposition de loi a pour objet de créer une forme de recours sui generis permettant au Parlement d’exercer un contrôle effectif et juridictionnel de l’action gouvernementale, ce qui, dois-je le rappeler, est l’une de ses missions constitutionnelles, puisque l’article 24 de la Constitution est explicite : le Parlement « contrôle l’action du Gouvernement ».

Ce recours sui generis pourrait être engagé dans trois cas distincts : d’abord, contre la carence du pouvoir réglementaire à prendre une mesure d’application de la loi dans un délai raisonnable, ensuite, contre une ordonnance prise en violation du champ de l’habilitation législative, enfin, contre un acte réglementaire autorisant la ratification ou l’approbation d’un traité, lorsque cette autorisation aurait dû relever de la compétence du législateur. Trois cas, donc, dans lesquels le droit en vigueur, au travers notamment de la jurisprudence du Conseil d’État, ne permet pas à un parlementaire, au président d’un groupe politique ou au président d’une commission permanente d’exercer un recours juridictionnel en cette seule qualité.

Les occasions n’ont pourtant pas manqué à nos juridictions de consacrer une telle possibilité, mais il a toujours été objecté que le recours pour excès n’avait pas pour finalité la continuation du débat parlementaire par d’autres moyens. Son objet serait restreint à l’examen d’un acte litigieux afin d’en vérifier la légalité.

C’est pourtant bien de cela qu’il est question ! Qui, plus qu’un parlementaire, est intéressé par le respect du domaine de la loi par un acte administratif réglementaire ?

Jamais le juge administratif, pourtant habituellement si prompt à façonner et à élargir son droit processuel, n’a admis un tel principe. Quelle étrangeté !

Alors que nous votons la loi, expression de la volonté générale, alors que nous cherchons par elle à déterminer les règles applicables dans notre République, alors que ces lois sont soumises au respect de nos principes fondamentaux, notamment via le Conseil constitutionnel, malgré cela, la représentation nationale n’est pas armée juridiquement pour assurer l’application de la loi et imposer au Gouvernement d’exécuter la volonté générale.

Voici pourtant plus de deux siècles que le parlementarisme s’est installé dans notre Nation. Depuis Rousseau, Locke et Montesquieu, notre société vit avec l’idée qu’il revient au Parlement d’écrire la loi et au Gouvernement de l’exécuter.

La Constitution de 1791 – la première à être issue de la Révolution de 1789 – était, en ce sens, plus explicite et formelle que la nôtre : « Le pouvoir exécutif est chargé de faire sceller les lois du sceau de l’État et de les faire promulguer. Il est chargé également de faire promulguer et exécuter les actes du Corps législatif… »

Voilà sa mission première, sa mission originelle, celle qui était là bien avant qu’il soit question pour le Gouvernement d’exécuter son programme.

En effet, à force de rationalisation et de recherche d’efficacité, cette idée de nos institutions est devenue une tradition dénaturée, indifférente au fait d’agir par une loi ou un règlement selon le domaine concerné, pourvu que l’on y retrouve un programme gouvernemental d’où proviendrait la volonté générale.

Nous croyons nécessaire, au contraire, de redonner au Parlement des moyens concrets et effectifs afin d’assurer ses prérogatives constitutionnelles, à commencer par sa mission de contrôle de l’action du Gouvernement.

Comme nous l’avons souligné dans l’exposé des motifs de cette proposition de loi, débattre chaque année de l’application des lois devant un hémicycle trop souvent clairsemé n’est pas suffisant pour garantir un véritable droit de suivi par le Parlement des lois qu’il vote.

Le contrôle de l’application des lois n’est pas une affaire politique : il relève de notre idée de l’État de droit et de la façon dont nous concevons l’essence même de nos institutions.

Vous conviendrez donc que l’introduction d’un nouveau droit de recours ouvert aux parlementaires n’a rien d’atypique. Bien au contraire, cela s’inscrit dans le sens de notre régime républicain, en permettant de rappeler au pouvoir exécutif le sens de sa fonction dans l’État, lorsque celui-ci empiète sur le pouvoir législatif ou néglige sa compétence.

Il reste cependant au moins un sujet dont nous devons débattre : celui des titulaires de ce recours pour excès de pouvoir. Notre proposition de loi initiale était maximaliste de ce point de vue.

M. Jean-Pierre Sueur. Elle était excellente !

M. Jean-Claude Requier. L’outil de contrôle était donné à tous les membres de l’Assemblée nationale et du Sénat à titre individuel.

Les travaux de la commission des lois, particulièrement ceux de sa rapporteure Maryse Carrère – je salue la très grande qualité de son travail –, sont venus restreindre le dispositif aux présidents des commissions permanentes.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur Sueur, nous examinerons les amendements un peu plus tard…

Notre première intention était de ne pas opérer de distinction entre chacun des membres du Parlement et, ainsi, de ne fermer la voie à personne.

Toutefois, j’entends les difficultés que cela pourrait poser, notamment le risque d’un engorgement de nos juridictions qui pourraient voir quelques députés ou sénateurs sourcilleux et trop zélés abuser de ce recours. (Sourires.)

Comme Platon, je veux bien faire preuve d’un peu de tempérance et discipliner – dans cet hémicycle du moins ! – mes désirs et mes passions ! (Nouveaux sourires.)

Pourquoi ne pas limiter le droit de recours à certains membres des assemblées ? Il reste néanmoins à trouver la mesure de cette limite. Faut-il réduire cette possibilité aux présidents des commissions permanentes ou l’étendre jusqu’aux présidents de groupe ?

Mme Nathalie Goulet. Il faut aller jusqu’aux présidents de groupe !

M. Jean-Claude Requier. Il y a là un véritable débat, que nos échanges permettront d’éclairer.

Quoi qu’il en soit, j’ai l’espoir que cette proposition de loi soit adoptée par notre assemblée et, le cas échéant, que la navette parlementaire aboutisse. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Maryse Carrère, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons tous ici connu la satisfaction de voir adopté un amendement auquel nous tenions particulièrement. Dans le même temps, combien d’entre nous se sont désespérés d’attendre la publication des règlements d’application nécessaires à son entrée en vigueur ?

C’est notamment contre cette situation frustrante que la proposition de loi déposée par Jean-Claude Requier tend à lutter.

Si, en vertu de l’article 24 de la Constitution, le Parlement « contrôle l’action du Gouvernement », aucun mécanisme ad hoc de nature constitutionnelle ou législative ne lui permet d’obtenir du Gouvernement la publication d’instruments d’application manquants. En effet, aucune règle ne fixe le délai maximum dont dispose le Gouvernement pour prendre ces décrets.

Face à cette absence de mécanisme institutionnel, le Sénat a choisi d’offrir un traitement politique à la question de l’application des lois, en publiant depuis 1972 un bilan annuel, ainsi que certains bilans exceptionnels, et en organisant des débats en séance publique dédiés à cette question, débats auxquels vous participez, monsieur le ministre.

Il faut le reconnaître, les bilans d’application récents témoignent de taux d’application globalement satisfaisants, qui s’expliquent notamment par un réel travail de suivi de la part du Secrétariat général du Gouvernement, ce qu’il convient de saluer.

Aujourd’hui, il ne nous est pas possible d’affirmer que le Gouvernement utilise le veto implicite qui lui est offert par la Constitution, puisqu’il s’efforce, au contraire, de veiller à la publication des décrets d’application dans le délai indicatif de six mois qu’il s’est fixé par circulaire.

Toutefois, malgré ces efforts, certains règlements manquent à l’appel et les parlementaires se trouvent désarmés pour réclamer leur publication. L’absence de mécanisme institutionnel permettant au Parlement d’obtenir la publication d’instruments d’application manquants est d’autant plus frustrante que le juge administratif a reconnu cette faculté aux justiciables sous certaines conditions.

Ainsi, le Conseil d’État considère, depuis 1964 et sa décision Dame Veuve Renard, que l’absence de publication d’instruments d’application dans un délai raisonnable constitue la méconnaissance d’une obligation permettant d’engager la responsabilité de l’État.

Le Conseil d’État a également jugé illégal le refus du Premier ministre de prendre un décret d’application nécessaire à l’entrée en vigueur d’une loi.

Alors que ce recours se montre efficace, le juge administratif s’est toujours montré frileux à l’ouvrir aux parlementaires, considérant qu’ils ne disposaient pas d’un intérêt à agir suffisant. Dans certains cas, il a contourné le problème, en se fondant sur une autre qualité du requérant-parlementaire pour ouvrir le recours. Dans d’autres cas, il a évité le problème, en rejetant la requête au fond sans se prononcer sur sa recevabilité.

En 2011, à l’occasion d’une saisine de notre collègue Jean Louis Masson, le Conseil d’État a abandonné cette stratégie, en indiquant clairement son refus de reconnaître à un parlementaire un intérêt à agir en cette seule qualité.

Cette jurisprudence regrettable pour nos assemblées a été dénoncée par le président du Sénat, Gérard Larcher, qui a récemment défendu la nécessité de « réfléchir à une procédure […] qui permette au Parlement de saisir le juge administratif, lorsqu’un décret d’application manque à l’appel ».

La proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise tend précisément à répondre à cet objectif et reprend la rédaction proposée par Jean-René Lecerf, rapporteur au nom de la commission des lois d’une précédente proposition de loi ayant le même objet, émanant également du groupe RDSE et examinée au début de l’année 2011.

Ainsi, son article unique tend à modifier l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires afin de créer une présomption irréfragable d’intérêt à agir au bénéfice des membres de l’Assemblée nationale et du Sénat pour introduire un recours pour excès de pouvoir contre les actes ayant principalement fait l’objet de recours dans les affaires introduites par des parlementaires devant le juge administratif.

Le premier cas vise le refus du Premier ministre de prendre dans un délai raisonnable les mesures réglementaires d’application d’une disposition législative.

Cette proposition de loi tend également à reconnaître aux parlementaires un intérêt à agir pour introduire un recours pour excès de pouvoir contre une ordonnance prise sur le fondement de l’article 38 de la Constitution, qui méconnaîtrait le champ d’habilitation fixé par le législateur.

Enfin, la proposition de loi tend à reconnaître un tel intérêt à agir pour contester « un acte réglementaire autorisant la ratification ou l’approbation d’un traité, lorsque le moyen unique soulevé est tiré de ce que cette autorisation aurait dû être accordée par la loi en vertu de l’article 53 de la Constitution ».

La première préoccupation de la commission des lois a été de vérifier la constitutionnalité du dispositif proposé. En ce sens, les travaux que j’ai conduits ont été rassurants.

En ce qui concerne une éventuelle violation du principe de séparation des pouvoirs, rappelons-nous que certains mécanismes de contrôle de l’action du Gouvernement sont prévus par la loi ordinaire, sans base constitutionnelle.

Il convient également de constater que cette proposition de loi ne crée pas de nouveaux recours, mais aménage un recours existant, déjà largement ouvert par le juge.

Certaines dispositions existantes créent d’ailleurs des présomptions légales d’intérêt à agir en faveur des membres du Gouvernement.

En outre, le recours pour excès de pouvoir est, en lui-même, un instrument de régulation des relations entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, puisqu’il permet d’apprécier la légalité des règlements et de faire concrètement respecter la hiérarchie des normes.

Par ailleurs, je souhaite rappeler que certaines lois ou décisions juridictionnelles ont incidemment modifié les relations entre le juge administratif et les pouvoirs exécutif ou législatif sans que la constitutionnalité de ces dispositifs ait été remise en cause. L’exemple le plus marquant est la loi du 8 février 1995, qui offre un droit d’injonction au juge administratif à l’encontre du pouvoir réglementaire.

Aussi, la commission des lois a adopté le dispositif proposé après avoir l’avoir modifié en trois points.

La modification la plus importante a limité le champ de l’intérêt à agir aux seuls présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, ainsi qu’aux présidents de leurs commissions permanentes.

Il convient, en effet, de privilégier en la matière un droit d’agir « institutionnel », permettant au Sénat, en tant qu’institution, de faire assurer le respect de la volonté du législateur par le pouvoir réglementaire. L’ouverture d’un intérêt à agir limité à ces organes est, de surcroît, cohérente avec le règlement du Sénat, qui confie aux commissions permanentes le suivi de l’application des lois.

La deuxième modification tend à permettre un recours contre tout refus de prendre une mesure réglementaire d’application, et non plus contre les seuls refus du Premier ministre. Cette précision permettra notamment les recours contre les refus de prendre des arrêtés ministériels.

Enfin, nous avons choisi d’ouvrir les recours contre une ordonnance dès lors qu’un des moyens soulevés porte sur le non-respect du champ de l’habilitation donnée par le Parlement, et non plus seulement lorsqu’il s’agit de l’unique moyen soulevé. Élargir le champ des moyens pouvant motiver la saisine réduira les cas dans lesquels le recours ultérieur d’une tierce personne sera nécessaire pour purger une ordonnance de l’ensemble de ses griefs.

La commission des lois vous propose donc d’examiner un texte enrichi par ses apports. Son adoption pourra réellement faire bouger les choses en matière d’application des lois. Aussi, je vous invite à l’adopter le plus largement possible. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et SER.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Monsieur le président, monsieur le président Requier, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi présentée aujourd’hui par le groupe du RDSE nous donne l’occasion de débattre de nouveau de la question de la bonne application des lois, à laquelle je sais le Sénat légitimement fort attaché.

En cette matière, la Haute Assemblée effectue un travail minutieux et particulièrement utile en publiant, depuis 1972, un rapport annuel sur le bilan de l’application des lois, auquel s’ajoute désormais le bilan du recours aux ordonnances, rapport qui fait l’objet d’un débat en séance publique. J’ai eu l’honneur d’y participer depuis 2019. Ce mécanisme de contrôle par le Parlement de l’action du Gouvernement permet aux sénateurs, tout autant que le contrôle régulier assuré par les commissions permanentes, de signaler certains décrets manquants et d’accélérer leur publication pour assurer la bonne application des lois votées – j’en suis souvent le témoin.

Cette proposition de loi s’inscrit également dans la continuité du débat qui s’est tenu au Sénat en 2011, sur l’initiative de votre ancien collègue, M. Yvon Collin, alors président du groupe du RDSE, et en présence de mon prédécesseur, M. Patrick Ollier. Les échanges de qualité qui eurent lieu, sur un texte proche, avaient néanmoins conduit au rejet de cette initiative sénatoriale.

La discussion du texte qui vous est soumis aujourd’hui, dans sa version adoptée par la commission, tend à ajouter à ce mécanisme de contrôle politique, que je viens de décrire et qui est mis en œuvre conformément à l’article 24 de la Constitution, l’intervention du juge administratif, devant lequel le président d’une commission permanente ou le président de l’Assemblée nationale ou du Sénat aurait un intérêt à agir pour introduire un recours pour excès de pouvoir.

Cette présomption d’intérêt à agir pourrait concerner trois types de situations : le refus de prendre dans un délai raisonnable les mesures réglementaires d’application d’une disposition législative ; la publication d’une ordonnance, en application de l’article 38 de la Constitution, qui méconnaîtrait le champ de l’habilitation fixé par la loi ; la prise d’un acte réglementaire autorisant la ratification ou l’approbation d’un traité, alors que celle-ci aurait dû être accordée par la loi.

Le Gouvernement salue la volonté du Sénat de s’assurer de la bonne application des lois et du respect de notre Constitution, mais il est davantage circonspect concernant l’ambition des auteurs de cette proposition de loi, laquelle tend à judiciariser, une fois de plus, les rapports entre les pouvoirs, alors qu’ils devraient demeurer, à notre sens, dans le champ politique.

En premier lieu, s’agissant de la philosophie générale du texte, on peut s’interroger sur sa conformité à notre Constitution, ou, à tout le moins, à l’esprit de celle-ci. Les rapports entre Gouvernement et Parlement sont, en effet, définis au titre V, qui prévoit, en cas de conflit entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif, ou lorsqu’un texte voté est soumis à un examen de constitutionnalité, que les parlementaires, les présidents d’assemblée, le Gouvernement ou le Président de la République, peuvent saisir le Conseil constitutionnel. L’intervention du juge administratif, jusqu’alors absent des rapports entre Gouvernement et Parlement, viendrait modifier cet équilibre des pouvoirs, auquel je nous sais tous très attachés.

C’est d’ailleurs ce que soulignent certains juristes, à l’instar des professeurs Thierry Rambaud et Agnès Roblot-Troizier : « Lorsque, saisi par un requérant lambda, le juge administratif annule un décret qui empiète sur la compétence législative, il est le censeur d’un acte pris par une autorité administrative et contesté par un administré. Si le requérant se prévaut de sa qualité de parlementaire et invoque l’atteinte aux prérogatives du Parlement, ce n’est plus l’administré qui est protégé, mais le Parlement ; ce n’est plus l’autorité administrative qui est sanctionnée, mais le pouvoir exécutif. Bien sûr, la réalité juridique est parfaitement identique et cette différence n’est que symbolique, mais admettre l’intérêt à agir des parlementaires en cette qualité, c’est prendre le risque d’apparaître comme une juridiction exerçant une fonction politique. »

Au demeurant, la Constitution renvoie à la loi organique ou aux règlements des assemblées le soin de fixer les modalités de mise en œuvre de certaines de ses dispositions. Il apparaît par conséquent étonnant que le législateur puisse lui-même se doter d’une telle prérogative vis-à-vis du Gouvernement au travers d’une loi ordinaire.

D’ailleurs, le Conseil constitutionnel censure régulièrement des dispositions législatives qu’il juge injonctives, comme le fait pour le Parlement de fixer un délai dans lequel doit être pris un décret.

En second lieu, on peut s’interroger sur la mise en œuvre de la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui en ce qu’elle viendra complexifier sensiblement un processus qui gagnerait, au contraire, à s’appuyer sur un dialogue sans doute encore plus efficace entre le Gouvernement et le Parlement. À raison, je le crois, votre rapporteure, Mme Maryse Carrère a souhaité limiter le champ d’application du nouveau dispositif, qui concernait initialement l’ensemble des parlementaires, aux seuls présidents de l’Assemblée nationale, du Sénat et de leurs commissions permanentes. Cependant, une mise en œuvre systématique du dispositif conduirait inévitablement à judiciariser l’application de la loi, en provoquant une multiplication des recours contentieux à l’égard d’un grand nombre de mesures réglementaires.

Si, à l’instar de Mme la rapporteure, on peut regretter le retard parfois pris pour la publication de certains décrets, je rappelle régulièrement que nous pouvons nous féliciter collectivement – même s’il est toujours possible de l’améliorer –, d’un taux d’application des lois de 88 %, et ce malgré le contexte difficile que nous avons connu depuis dix-huit mois. La multiplication des recours devant le juge administratif conduirait à substituer au temps politique, qui procède du dialogue régulier entre Gouvernement et Parlement et de la mise en œuvre de ses outils de contrôle, le temps juridictionnel, qui répond à sa logique et à ses contraintes propres, dans le contexte d’une hausse toujours continue du contentieux. Cette tendance risquerait, en outre, de provoquer des tensions inutiles au lieu de favoriser les échanges, qui ont toujours existé et qui permettent, le plus souvent, de surmonter les difficultés rencontrées.

Au-delà de l’application des lois, la proposition vise à mieux contrôler le respect du champ des habilitations à légiférer par ordonnances, accordées en vertu de l’article 38 de la Constitution.

Là encore, le Gouvernement comprend l’intention des sénateurs, qui souhaitent s’assurer du respect des habilitations qu’ils ont votées, mais il est plus interrogatif s’agissant de la méthode proposée. Le Parlement dispose déjà de la faculté de ratifier et, le cas échéant, de modifier tout ou partie d’une ordonnance, notamment parce qu’il la jugerait contraire à l’intention qu’il a exprimée dans son habilitation. La dernière réforme du règlement du Sénat a posé le principe d’un meilleur suivi des ordonnances et devrait conduire, comme cela a été fait sur l’ordonnance portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État, à des débats réguliers sur celles qui présentent un intérêt particulier pour les sénateurs. L’intervention du juge administratif dans cet exercice vient encore une fois faire concurrence tant au dialogue et aux débats qui existent entre le Parlement et le Gouvernement qu’aux outils dont les sénateurs disposent dans le cadre de la procédure législative.

En outre, il apparaît certain qu’un requérant ayant déjà intérêt à agir pourrait aisément soulever ce moyen dans le cadre d’un recours plus large contre l’ordonnance sans qu’il soit nécessaire qu’un parlementaire s’associe à sa démarche.

Enfin, la proposition de loi tend à renforcer le contrôle en matière de conventions internationales. La question soulevée est cette fois différente, puisqu’il ne s’agit pas du contrôle de l’application ou du respect de la loi votée par le Parlement, mais du respect par le Gouvernement des prescriptions de l’article 53 de notre Constitution, qui prévoit les cas où une loi doit intervenir.

Le Gouvernement est particulièrement réservé sur ce mécanisme, qui vient modifier l’équilibre institutionnel qui prévaut depuis 1958, et par lequel le Gouvernement seul décide de l’opportunité de soumettre l’autorisation de ratifier ou d’approuver un traité au Parlement, sous le contrôle du juge administratif, qui peut déjà être saisi par tout justiciable ayant un intérêt à agir. Il ne s’agit donc pas pour les parlementaires de contrôler la mise en œuvre de ce qu’ils ont voté, mais de pouvoir saisir le juge concernant une décision autonome de l’exécutif.

Vous l’aurez compris, ce qui pose question dans le débat qui nous occupe aujourd’hui n’est pas tellement l’intention des auteurs de la proposition de loi, que le Gouvernement partage en ce qu’elle vise à améliorer la qualité de notre droit – je salue à ce titre l’ambition du président Requier et de ses collègues –, mais plutôt les mécanismes qu’elle instaure et qui lui semblent contraires à l’esprit de nos institutions. Je sais que, malgré les critiques, parfois légitimes, à l’égard du Gouvernement, la discussion mettra tout de même en lumière le dialogue constructif qui existe et pourra encore se renforcer avec la Haute Assemblée, dans le souhait commun de voir les lois votées pleinement et rapidement appliquées. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer.

Mme Agnès Canayer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous abordons aujourd’hui l’examen d’une proposition de loi présentée par nos collègues du groupe du RDSE, dont l’objet est de reconnaître aux membres des assemblées parlementaires un intérêt à agir en matière de recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif.

Pourquoi vouloir ouvrir aux membres du pouvoir législatif une voie d’accès spécifique au juge ?

Pour les auteurs de la proposition de loi, l’intervention du juge administratif se révèle parfois nécessaire pour susciter la mise en œuvre de certaines mesures votées dans la loi, grâce, en particulier, aux fameux décrets d’application.

Évidemment, dans le cadre de ses missions constitutionnelles, le Parlement contrôle déjà l’action du Gouvernement, et donc l’application de la loi par ce dernier. Ce contrôle est toutefois de nature essentiellement politique, conformément aux principes de séparation des pouvoirs et d’interdiction des injonctions du Parlement au Gouvernement. Malheureusement, dans le régime semi-présidentiel français, marqué par le fait majoritaire, le contrôle politique seul ne suffit parfois pas à assurer la prise effective de l’ensemble des mesures figurant dans la loi.

Il se trouve plutôt que la prise des décrets d’application constitue un goulot d’étranglement de la mise en œuvre des lois votées. Cela a pu conduire à des situations de non-application de dispositions pourtant adoptées par la représentation nationale, mais qui demeuraient durablement dans l’attente d’une action du pouvoir réglementaire. Il y a visiblement là un problème démocratique auquel mes collègues sénateurs du RDSE ont tenté de répondre sous la forme d’une proposition de loi. C’est aussi ce que font habituellement les sénateurs du groupe Les Républicains à travers leurs contributions au groupe de travail sur les méthodes de contrôle parlementaire.

Parallèlement, la justice administrative s’est montrée passablement circonspecte quand elle fut confrontée à des recours formulés par certains de nos collègues parlementaires. Finalement, le Conseil d’État a choisi, en 2011, d’écarter les parlementaires ès qualités des prétoires, en particulier pour des raisons de séparation des pouvoirs.

Cependant, à l’argument de la stricte séparation des pouvoirs, on opposera le fait que les parlementaires disposent déjà d’un accès, en apparence bien plus exorbitant du droit commun, au juge constitutionnel, via le mécanisme de saisine ordinaire du Conseil constitutionnel. Il ne s’agirait donc aujourd’hui que de prévoir un nouvel accès, limité, à un type de recours déjà existant.

C’était sur ce dernier point que certaines des précédentes propositions de loi tendant à aller dans ce sens avaient buté. Le texte que nous examinons aujourd’hui a toutefois su tirer parti des travaux d’alors, afin d’offrir une solution plus robuste. Le dispositif a encore été amélioré par le rapporteur, notre collègue Maryse Carrère, et les membres de la commission des lois. Le texte initial de la proposition de loi prévoyait en effet d’ouvrir l’intérêt à agir en recours pour excès de pouvoir à l’ensemble des parlementaires. Cette démarche était éminemment compréhensible, mais risquait de prêter le flanc à certaines des critiques formulées par le juge, qui a mis en garde contre le risque de remise en cause de l’indivisibilité de la représentation nationale.

Sagement, notre rapporteur a proposé de limiter l’intérêt à agir aux présidents des assemblées et des commissions permanentes. Grâce à cela, la dimension institutionnelle des recours ainsi formulés serait consolidée, sans faire perdre la possibilité à l’opposition d’en être à l’origine, le président de la commission des finances appartenant traditionnellement à cette dernière.

Enfin, d’autres améliorations ont été votées en commission. La rapporteure a élargi le spectre des actes susceptibles de faire l’objet d’un recours. Plus encore, elle a proposé que les recours contre les ordonnances formulés par les parlementaires ne soient pas nécessairement limités à un moyen unique fondé sur la méconnaissance du périmètre d’habilitation fixé par le législateur, permettant donc de purger celles-ci de l’ensemble de leurs vices éventuels.

Pour conclure, je dirai que cette proposition de loi arrive à un moment où le revirement de jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la question des ordonnances de l’article 38 a créé un surcroît d’incertitude pour le législateur.

Mme Agnès Canayer. Dans ce contexte, le texte présenté par le président Requier et les membres du groupe du RDSE nous paraît donc de nature à apporter un complément bienvenu au contrôle de l’application des lois et surtout à renforcer le rôle du Parlement, à l’heure ce son rôle n’est plus assez considéré par l’exécutif.

C’est pour l’ensemble de ces raisons que notre groupe votera ce texte dans la rédaction résultant des travaux de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et SER.)

M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les difficultés du Gouvernement à prendre dans un délai raisonnable les textes réglementaires nécessaires à la bonne application du droit sont connues. Le contrôle de l’action du Gouvernement est une des fonctions de nos assemblées, mais il apparaît que nous sommes démunis pour enjoindre au Gouvernement d’agir ou pour le rappeler à l’ordre lorsqu’il méconnaît les limites dans lesquelles il doit inscrire son action.

Aussi, c’est avec grand intérêt que notre groupe a accueilli cette proposition de loi, dont les auteurs ont cherché à trouver une solution à ce problème récurrent. Nous le savons, les écueils à éviter sont nombreux pour ne pas fragiliser l’équilibre des pouvoirs prévus par la Constitution. Depuis 2008, une circulaire gouvernementale prévoit que les textes d’application sont pris dans les six mois de la promulgation d’une loi, mais, vous le savez, elle n’a pas réellement de valeur contraignante.

Toutefois, la Secrétaire générale du Gouvernement nous a présenté des chiffres montrant que, dans l’immense majorité des cas, cette consigne est suivie. Cela ne doit pas nous détourner du problème posé par l’incapacité des parlementaires à agir en cas de manquements du Gouvernement de nature à fragiliser leur action.

Certes, nous le savons, cette incapacité n’est pas totale. Parfois, le juge administratif a pu reconnaître un intérêt à agir à des parlementaires, mais à titre individuel, sans lien avec cette fonction de parlementaire. Nous pensons évidemment qu’il faut éviter une politisation du recours pour excès de pouvoir. À cet égard, il nous semble que la restriction du nombre de personnes pouvant se prévaloir d’un intérêt à agir dans le texte actuel est en réalité un peu politisée, puisqu’elle concentre ce pouvoir sur des personnes globalement issues de la majorité au sein de notre institution. Certes, l’option de faire bénéficier l’ensemble des parlementaires d’un intérêt à agir, ès qualités, ne semble pas viable pour des raisons pratiques de surcharge des tribunaux, mais aussi pour des raisons plus philosophiques. En effet, cela reviendrait à individualiser la représentation nationale.

Cependant, il nous apparaît essentiel, en tant que membres d’un groupe d’opposition, que l’ensemble des sensibilités politiques soient concernées par cette procédure, représentées par leur présidente ou leur président de groupe, et ce afin de mettre le Gouvernement face à sa responsabilité. C’est pourquoi nous proposerons un amendement en ce sens.

Le droit de contrôle de l’action gouvernementale, grâce aux offices parlementaires, aux semaines de contrôle en hémicycle et aux diverses modalités de questions, ne nous permet pas assez de nous assurer de la publication des décrets ou de revenir sur des ordonnances qui dépasseraient l’habilitation initiale.

Cette nouvelle capacité à agir, liée à la qualité de parlementaire, s’inscrit donc dans une logique autorisant plus de contrainte pour que le Gouvernement agisse conformément à la Constitution. Aussi, sous réserve de l’adoption de l’amendement que nous avons déposé, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’associera à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la semaine dernière, nous dénoncions les méthodes employées par le Gouvernement afin de faire passer des réformes de grande ampleur par ordonnances, sans même en débattre au sein du Parlement.

Aujourd’hui, le présent texte nous invite encore à dénoncer ces empiétements, qui participent au déclassement de notre rôle de parlementaires. Il faut en remercier nos collègues du groupe du RDSE.

Si, comme le prévoit l’article 24 de la Constitution, le Parlement « contrôle l’action du Gouvernement », le régime de la Ve République ne permet pas d’assurer réellement ce rôle, même après la révision constitutionnelle de 2008, dont la mise en œuvre n’est que partiellement respectée. Nos pouvoirs d’information et d’investigation sont essentiels, mais la reconnaissance d’un outil de contrôle de la pleine application des lois votées au sein de notre hémicycle manque.

La crise a exacerbé cette habitude du Gouvernement de tenir à l’écart le Parlement, en méprisant le processus législatif et la représentation nationale démocratique. Alors que les lois nécessitent des règlements d’application pour entrer effectivement en vigueur, il est fréquent que le Gouvernement ne respecte pas l’intention du législateur en s’abstenant de prendre ces décrets. Le Parlement n’ayant pas de moyens reconnus officiellement pour contraindre l’exécutif, il dépend souvent du bon vouloir de ce dernier, ce qui n’est pas acceptable. La motion de censure, quasiment impossible à mettre en œuvre en raison du fait majoritaire, aggravé par la proximité des élections présidentielles et législatives, est notre seule arme.

Le Gouvernement profite de ce déséquilibre en sa faveur. En 2020, le taux global d’application des lois a reculé, passant de 72 % à 62 %. Ce taux est moins élevé pour les textes issus de propositions de loi que pour ceux issus de projets de loi.

En même temps que l’exécutif use à foison de la procédure accélérée, des ordonnances qu’il ne prend même plus la peine de faire ratifier, les délais de publication des textes d’application de la loi s’allongent. Le processus législatif ordinaire respectant les prérogatives du Parlement est de moins en moins la norme.

Le juge reconnaît la faculté à des justiciables d’obtenir la publication d’actes d’application de la loi en engageant la responsabilité du Gouvernement du fait de la méconnaissance de ses obligations. Ce pouvoir d’injonction peut être utilisé si et seulement si un intérêt à agir est reconnu. Malgré leurs missions constitutionnelles, le juge administratif ne reconnaît pas aux parlementaires une présomption d’intérêt à agir en cas d’atteinte aux prérogatives du Parlement. Cette situation aboutit à des jugements incongrus, où l’intérêt à agir de parlementaires se fonde sur leur qualité de consommateur de produits pétroliers, d’actionnaire d’autoroute ou encore de téléspectatrice, comme cela fut le cas en son temps pour notre camarade Nicole Borvo Cohen-Seat.

Nous pensons, comme le professeur de droit Olivier Renaudie, que la réserve du Conseil d’État est dépassée. C’est pourquoi nous abondons dans le sens de cette proposition de loi, qui ne fait qu’aménager le recours pour excès de pouvoir déjà existant, afin de nous donner cet intérêt à agir contre le refus de prendre des mesures réglementaires d’application de la loi, ou encore contre les ordonnances qui sortent de leur champ d’habilitation.

La commission des lois a amélioré ces aspects du texte. Cependant, nous regrettons le recul consistant à restreindre le bénéfice de ce recours aux seuls présidents des assemblées parlementaires et des commissions permanentes. Nous ne comprenons pas que soient exclus du dispositif les groupes d’opposition et minoritaires.

Mme Éliane Assassi. Ce rééquilibrage institutionnel ne peut être un moyen dans les mains de certains, alors que nous avons tous la même qualité de parlementaire et les mêmes comptes à rendre aux citoyens.

La Ve République est à bout de souffle. L’hyperprésidentialisation et le musellement du Parlement empêchent un exercice démocratique du pouvoir. Cette proposition de loi tire en quelque sorte les conséquences de ce constat. Pour notre part, nous défendons un changement de régime constitutionnel bien plus global. Néanmoins, si notre amendement visant a minima à faire bénéficier de ce dispositif les présidents de groupes politiques des assemblées, ou un autre amendement qui s’en approche est adopté, nous voterons ce texte. Sinon, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président Requier, quelle bonne idée de nous avoir présenté ce texte ! Quel dommage que son examen ait été programmé un jeudi après-midi, ce qui nous empêche d’être plus nombreux ici à vous écouter et à vous soutenir pour redonner du pouvoir au Parlement, à un moment où celui-ci en a quand même besoin. En effet, nous nous sentons parfois démunis, voire découragés devant la multiplication des ordonnances et des procédures accélérées.

Je sais bien, monsieur le ministre, qu’une procédure accélérée dure de six mois à huit mois, comme vous nous l’avez expliqué l’autre jour, mais cela signifie une seule lecture dans chaque assemblée, ce qui est parfois trop court pour mener une réflexion sur un texte.

La lecture unique n’est pas satisfaisante, surtout si elle est noyée dans une diarrhée législative. Tout cela peut finir par des catastrophes, comme la suppression du renouvellement des juges consulaires. Vous vous rappelez certainement cette histoire, où les effets cumulés d’un certain nombre de textes ont fait « sauter » une disposition par mégarde.

Qu’est-ce que le contrôle sans moyen d’action et sans sanction ? Pour ma part, je crois tout à fait à ce recours pour excès de pouvoir, qui sera une arme puissante et légitime d’un contrôle effectif.

Nous avions eu un débat très important sur les conventions fiscales internationales. Le scandale des Pandora Papers nous rappelle que, dans cette matière, le Parlement arrive « à la fumée des cierges ». On ne peut absolument rien faire, puisque l’on ne peut pas amender les conventions fiscales. Même si le Sénat ne les vote pas, en général, elles sont quand même appliquées, comme dans le cas du Panama.

La loi relative à la régulation des naissances de 1967 a été appliquée en 1970. La loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR, a mis deux ans à être appliquée. La loi Littoral, votée en 1986, n’a été pleinement mise en application que dix-huit ans après. Il est vrai que ces délais énormes sont maintenant révolus, et heureusement, mais l’application de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ÉLAN, a néanmoins pris du temps.

Je veux revenir sur un exemple qui me tient à cœur, car il est pour moi emblématique des cas où l’action parlementaire n’a absolument aucun effet. Il s’agit de la création du répertoire national commun de la protection sociale en 2007 pour aider à gérer plus de 137 organismes de sécurité sociale contre 292 risques. En 2012, cette disposition n’était toujours pas appliquée. Malgré des questions écrites et des réponses ministérielles, rien n’est venu. En octobre 2014, de nouveau, un amendement est adopté lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale : toujours rien !

Résultat, depuis 2007, le répertoire national commun de la protection sociale n’est pas complet et ne fonctionne toujours pas. Ce point a été soulevé dans le cadre de la mission que le Premier ministre Édouard Philippe avait confiée à la députée Carole Grandjean et à moi-même. En auditionnant les représentants de la Cour des comptes, nous avons appris que le dispositif serait bientôt en place. Je vous rappelle qu’il a été voté en 2007… Finalement, en août 2021, surgit un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’inspection générale des finances (IGF) qui réfléchit à la façon d’organiser ce répertoire.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes à quelques jours de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, et nous allons nous retrouver avec les mêmes problèmes que l’année dernière, que l’année d’avant, etc. pour contrôler les dépenses de santé et coordonner les systèmes de soins. Tout cela n’est pas très raisonnable.

À la lumière de cet exemple, vous voyez bien que les outils dont nous disposons ne sont pas suffisants. Les amendements, les textes votés, la loi de financement de la sécurité sociale publiée, les questions écrites, les questions orales : rien n’y fait, ce répertoire, outil absolument indispensable pour la gestion de nos services de santé, n’est toujours pas en place !

Je le répète, je suis extrêmement favorable à la proposition de loi présentée par le président Requier. Comme je l’ai annoncé lors de l’examen en commission, j’ai également déposé un amendement pour étendre aux présidents de groupe politique cette possibilité, parce que je ne vois pas pourquoi les groupes d’opposition et minoritaires seraient privés de ce droit, qui est un droit absolument républicain. Il est donc normal de le partager dans une assemblée parlementaire.

Monsieur le ministre, je pense que nous avons beaucoup à gagner à travailler plus ensemble, pour plus d’efficacité de la loi. Il y va de l’accessibilité et de l’intelligibilité de nos textes législatifs. Comme je le disais, nous allons aborder l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Entre nous, trois minutes de temps de parole pour un rapporteur, quand on sait la masse de travail que représente un rapport, c’est tout simplement indécent. Ce texte va être voté dans un délai très contraint. Votre gouvernement n’y est pour rien, mais convenez que nous travaillons dans des conditions qui sont décourageantes.

On se plaint qu’il y ait trop peu de parlementaires présents en séance publique, mais c’est aussi parce que, tous tant que nous sommes, nous perdons un peu la foi dans notre capacité à amender ou à faire valoir nos arguments.

Tout cela pour dire que nous voterons des deux mains la proposition du président Requier. Nous allons évidemment soutenir les amendements qui visent à étendre aux présidents de groupe la possibilité de ce recours pour excès de pouvoir. Je sais que le Gouvernement, par l’entremise de son ministre des relations avec le Parlement, fait tout son possible pour que les rapports entre le Sénat et le Gouvernement soient excellents. Qu’il en soit remercié ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et GEST, ainsi que sur des travées des groupes CRCE, SER et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Stéphane Artano. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les auteurs de la présente proposition de loi ont entendu répondre au souhait de plusieurs de nos collègues et à celui du président de notre assemblée, Gérard Larcher, de reconnaître au Parlement, et plus précisément aux parlementaires, un intérêt à agir en matière de recours pour excès de pouvoir.

Sans aucun doute, ce nouvel outil permettra par la même occasion de renforcer les prérogatives qui se rattachent à notre mission de contrôle de l’action du Gouvernement.

L’objectif de ce texte s’inscrit donc naturellement dans la continuité de la proposition de loi déposée le 23 décembre 2010 par notre ancien collègue Yvon Collin.

Je rappelle que le succès de la procédure de recours pour excès de pouvoir est lié à la facilité d’accès au juge administratif qu’elle offre à tout justiciable qui justifie d’un intérêt à agir concernant un acte administratif qu’il estime contraire à la légalité. Au titre de cette facilité, l’acception très souple de l’intérêt à agir du requérant tient une large place. La condition d’un intérêt à agir n’est en effet qu’une vérification de l’adéquation entre l’auteur du recours et l’action qu’il intente. L’intérêt à agir permet alors, sans filtrer abusivement les recours, d’exclure ceux qui ne présentent aucun lien avec la situation du demandeur. Dès lors, le requérant qui justifie d’un intérêt direct, personnel et certain peut contester l’acte auquel il serait lié.

Eu égard à ce raisonnement, on peut s’interroger sur le cas des membres de nos deux chambres, pris à titre individuel. En d’autres termes, un parlementaire peut-il, ès qualités, exercer un recours pour excès de pouvoir contre un texte réglementaire ou une ordonnance ?

Le Conseil d’État est resté très longtemps évasif lorsqu’il avait à se prononcer sur la possibilité de reconnaître à nos collègues la qualité à agir afin d’enjoindre au Gouvernement de prendre une mesure réglementaire d’application d’une loi. Au regard de sa jurisprudence récente, le Conseil d’État estime qu’un parlementaire ne peut arguer de cette seule qualité pour justifier d’un intérêt à agir ou d’une présomption d’intérêt à agir contre le refus du Premier ministre de prendre une mesure réglementaire d’application de la loi.

Toutefois, on peut noter que le juge administratif accepte le recours classique en annulation avec injonction et astreinte contre la décision implicite ou explicite de ne pas adopter un décret à l’expiration d’un délai raisonnable, lorsque ce délai n’est pas précisé par la loi.

À l’heure actuelle, le Parlement ou les parlementaires n’ont aucun mécanisme institutionnel leur permettant d’obtenir la publication des mesures d’application d’un texte législatif dans un délai raisonnable.

Dans ce contexte, il semble nécessaire de donner au Parlement des moyens concrets et effectifs pour assurer ses prérogatives constitutionnelles. En l’espèce, comme l’a précisé Jean-Claude Requier, il faut mettre à la disposition des membres de l’Assemblée nationale et du Sénat, à titre individuel, un outil de contrôle de la pleine application de la loi qui s’étendrait au-delà du seul rôle d’information, qui relève pour sa part classiquement d’un contrôle politique.

Mes chers collègues, la présente proposition de loi se veut donc une réponse pragmatique et juridiquement encadrée à une question fondamentale, celle des moyens de garantir le respect de l’intention du législateur au travers du contrôle des mesures d’application d’une disposition législative.

Pour être cohérents avec notre texte et ne pas mettre le juge administratif dans une position délicate, nous devons déterminer le champ des bénéficiaires de ce droit à agir institutionnel. Doit-il être ouvert à tous les parlementaires, sans exception, ou faut-il le limiter aux seuls présidents des deux chambres et aux présidents des commissions permanentes, selon la rédaction proposée par la rapporteure à la commission et adoptée par celle-ci ?

Même si, dans un premier temps, la solution d’une limitation de la saisine a été privilégiée, nous pourrions aussi envisager une autre piste : ouvrir plus largement la porte de la saisine, en offrant cette possibilité aux présidents des groupes parlementaires, dans la volonté d’assurer une équité démocratique.

Vous aurez compris, mes chers collègues, que le RDSE vous appelle à soutenir cette proposition de loi dans un esprit constructif. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe CRCE et au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est une heureuse initiative que M. Requier a prise en déposant ce texte ; je tiens à l’en féliciter, ainsi que son groupe, car c’est une nécessité que de permettre aux parlementaires de saisir le Conseil d’État pour excès de pouvoir.

J’ai constaté que M. le ministre accueillait cette proposition de manière plutôt mitigée. Au moins, monsieur le ministre, vous n’avez pas atteint dans vos arguments les sommets de votre collègue du Gouvernement, qui avait répondu la semaine dernière à nos discours sur l’ordonnance réformant puissamment l’État républicain par des considérations que je qualifierai de « glaciales ».

Cela dit, j’espère que les choses s’amélioreront et que le Gouvernement reconnaîtra que l’excès d’ordonnances auquel nous assistons constitue une atteinte aux prérogatives du Parlement et à l’équilibre des pouvoirs ; j’espère surtout, monsieur le ministre, que, lorsque nous examinerons le 4 novembre prochain une nouvelle proposition de loi ayant pour objet de revenir à l’esprit et à la lettre de la révision constitutionnelle de 2008, à savoir que les ordonnances doivent recevoir une ratification expresse du Parlement, l’accueil du Gouvernement ne sera ni glacial ni mitigé, mais peut-être enthousiaste.

En tout cas, monsieur le ministre, vous aurez bien compris qu’il faut que les choses changent. Ce qui nous est proposé aujourd’hui, c’est un pas en avant dans la direction du changement. Je suis un réformiste, un socialiste réformateur ; je trouve donc que tous les pas qui vont dans le bon sens sont appréciables.

Je voudrais évoquer, monsieur le ministre, mes chers collègues, la singulière expérience que j’ai vécue en 2004. J’avais saisi le Conseil d’État au nom de soixante sénateurs qui considéraient que l’ordonnance prise par le Gouvernement sur les partenariats public-privé n’était pas du tout conforme à la loi d’habilitation que le Parlement avait adoptée. Plein d’espoir, j’ai assisté à l’audience, qui a duré quatre heures – et pendant laquelle, naturellement, on ne peut rien dire, ce qui est tout de même assez frustrant, mes chers collègues ; que voulez-vous, c’est la règle ! Toujours est-il que le Conseil d’État a considéré que, comme un alinéa de l’ordonnance en question avait été cité dans un amendement qui avait été adopté, alors que ni le Gouvernement ni d’ailleurs le Parlement ne s’en étaient rendu compte, cette ordonnance avait été implicitement ratifiée. Ainsi, le Conseil d’État a pu rejeter la requête des sénateurs sans avoir à statuer sur la recevabilité de celle-ci. Ainsi, de façon très élégante, il avait botté en touche.

Cette esquive s’est reproduite, comme l’a expliqué Mme Assassi à l’instant.

Il est vrai que M. Didier Migaud, qui était un membre éminent de l’Assemblée nationale, avait été admis à agir devant le Conseil d’État, non pas comme député, mais en tant que consommateur de produits pétroliers, ce qui est une caractéristique commune à beaucoup de Français ! (Sourires.)

Il est aussi vrai que M. François Bayrou s’est vu reconnaître un intérêt à agir en tant qu’actionnaire d’une société d’autoroute ; de ce fait, il connaissait bien le sujet !

Il est vrai enfin que Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, avec laquelle nous avons longtemps siégé dans cet hémicycle et dialogué, s’est vu reconnaître un intérêt à agir en tant qu’usager du service public de la télévision !

Vous apprécierez, mes chers collègues, le caractère assez pitoyable de ces palinodies !

C’est donc une bonne idée que de permettre aux parlementaires de saisir ès qualités le Conseil d’État. Vous craignez, monsieur Requier, qu’il y ait une inflation des recours. Mais tous les Français peuvent saisir la justice administrative, donc le Conseil d’État : ce n’est pas parce que quelques centaines de parlementaires supplémentaires pourront le faire que le système sera déséquilibré !

C’est pourquoi nous soutenons réellement votre initiative, mais il me faut vous dire, mon cher collègue, que le premier mouvement est souvent le bon ! Votre proposition de loi était parfaite ! Vous avez ensuite eu quelques scrupules, vous avez admis qu’il fallait limiter cette prérogative aux présidents des assemblées et de leurs commissions. Franchement, je ne comprends pas pourquoi. Établissons donc un droit pour tous les parlementaires !

C’est ce que nous vous proposons, mes chers collègues, dans un amendement qui, je l’espère, sera adopté. Si par malheur il ne l’était pas, nous avons déposé un amendement de repli, similaire à ceux de plusieurs de nos collègues, de manière à ce que, à tout le moins, les présidents de groupe puissent saisir le Conseil d’État.

J’espère donc que cette proposition de loi sera adoptée dans une rédaction respectant sa très belle intention initiale. En tout cas, je remercie encore le groupe du RDSE de nous l’avoir soumise ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte qui nous réunit aujourd’hui, au-delà de sa dimension technique, suscite un débat vivant qui avait déjà animé notre hémicycle en 2011 et qui se nourrit de travaux successifs et d’une jurisprudence elle-même évolutive.

À notre sens, la discussion sur la présente proposition de loi, qui vise à instituer une présomption d’intérêt à agir des parlementaires en matière de recours pour excès de pouvoir, peut intégrer deux principales évolutions.

La première évolution est celle de la jurisprudence du Conseil d’État sur cet intérêt à agir.

Alors que, jusqu’en 2011, comme cela a été bien rappelé, le Conseil d’État oscillait entre le contournement, préférant masquer le parlementaire derrière sa qualité d’administré, et l’évitement, la question récurrente a été tranchée par la négative en 2011, puis en 2020.

Plusieurs motifs de réticence, bien dégagés par la doctrine et rappelés par notre rapporteure, ont fondé le refus de reconnaître l’intérêt à agir des parlementaires, notamment la volonté de respecter le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs.

Ce motif m’amène à la seconde évolution qui doit être prise en compte dans le présent débat, à savoir celle des contours et des modalités de la séparation des pouvoirs.

Outre la question prioritaire de constitutionnalité, dont le Conseil constitutionnel est saisi sur renvoi du Conseil d’État, ou encore la possibilité pour ce dernier d’intervenir comme conseil des parlementaires sur les propositions de loi, certains auteurs soulignent l’apparition, dans la jurisprudence, d’un droit administratif des assemblées parlementaires.

Plus généralement, comme cela a été rappelé, des dispositions législatives impliquant des effets sur les relations entre le juge administratif et les pouvoirs exécutif ou législatif n’ont pas été jugées contraires au principe de séparation des pouvoirs, laissant penser que la présente proposition de loi serait conforme à la Constitution.

En réalité, plus encore que la question des catégories de personnes auxquelles il peut être reconnu un intérêt à agir – ce point sera abordé lors de l’examen des amendements –, c’est celle des types d’actes pouvant faire l’objet de la présomption d’intérêt à agir qui doit être posée.

Cette approche plus matérielle semble d’ailleurs de nature à répondre à l’inquiétude, légitimement soulignée par M. le ministre, d’une dénaturation du recours pour excès de pouvoir comme moyen de continuation du débat politique et vecteur de confusion des rôles.

Sur ce point, le champ de la proposition de loi est clairement plus réduit que celui du texte dont le Sénat avait débattu en 2011, où figurait le recours contre une mesure réglementaire édictant une disposition relevant du domaine de la loi.

La présente proposition de loi ne retient pas cette finalité, qui relèverait d’ailleurs plutôt de la Constitution au regard de la procédure de délégalisation régissant, en son article 37, les cas d’empiétement du pouvoir législatif sur le pouvoir réglementaire. Mais c’est là ouvrir un tout autre débat.

Outre les deux hypothèses qu’avait retenues le rapporteur de 2011, contre l’avis du gouvernement de l’époque, le présent texte prévoit une troisième hypothèse d’intérêt à agir : il s’agit du cas de recours contre une ordonnance prise sur le fondement de l’article 38 de la Constitution.

Sur ce dernier point, nous émettons quelques réserves sur la réécriture retenue en commission, qui reconnaît l’intérêt à agir dès lors qu’un des moyens soulevés porte sur le non-respect du champ de l’habilitation, et non pas seulement lorsqu’il s’agit de l’unique moyen soulevé, comme le prévoyait le texte initial. L’argument selon lequel cette extension permettrait de limiter les cas dans lesquels le recours ultérieur d’une tierce personne serait nécessaire pour purger une ordonnance de l’ensemble de ses griefs nous paraît contestable, la portée de l’intérêt à agir étant indissociable de la qualité de l’auteur auquel il est reconnu.

En tout état de cause, au-delà de cette légère divergence d’appréciation, le groupe RDPI soutiendra cette proposition de loi, dont l’apport lui semble pertinent et raisonnable, sans préjudice des prérogatives de contrôle que prévoit la Constitution. Il soutiendra également l’amendement de rétablissement du texte initial qui sera présenté tout à l’heure. (Applaudissements sur des travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une fois la loi adoptée, le rôle du législateur n’est pas terminé ; il est bon de le rappeler. Le contrôle de l’action du Gouvernement, avec l’exercice du pouvoir législatif, est au cœur des fonctions dévolues au Parlement. La Constitution, en son article 24, l’affirme clairement depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.

Une part importante de ce contrôle porte sur la mise en application des lois, qui constitue un enjeu primordial, car il apparaîtrait inadmissible que les lois votées ne soient pas appliquées dès leur promulgation, mais qu’elles restent lettre morte, partiellement ou totalement, comme l’ont rappelé Nathalie Goulet et plusieurs autres de nos collègues. À quoi bon voter des lois si elles ne produisent aucun effet ?

Aussi, s’assurer de la qualité de l’application des dispositions législatives, c’est préserver la sécurité juridique. Veiller à la mise en œuvre concrète des lois, c’est garantir la crédibilité de nos institutions parlementaires. Il y va du bon fonctionnement de notre démocratie !

À cet égard, la proposition de loi que nous examinons cet après-midi est pertinente et opportune, puisqu’elle tend à renforcer la fonction de contrôle du Gouvernement par le Parlement en ouvrant aux parlementaires un droit de recours devant le juge administratif dans trois cas spécifiques : contre le refus du Premier ministre de prendre des décrets d’application ; contre les ordonnances qui outrepasseraient le champ d’habilitation défini par la loi ; enfin, contre les décrets de ratification d’accords internationaux lorsque la ratification de ces accords nécessite une loi.

L’effectivité des lois votées par le Parlement dépend de la publication des mesures réglementaires d’application. Aussi, en permettant la prise de décrets toujours en attente de publication, cette initiative apporte une réponse pertinente ; elle pourrait remédier à des situations de blocage qui demeurent toutefois minoritaires au regard de l’ensemble des lois adoptées chaque année.

Il est également important de préciser que ce texte ne crée pas de nouvelles catégories de recours, mais adapte un recours qui existe déjà.

La commission a procédé à des ajustements. Elle a notamment souhaité limiter le champ des bénéficiaires de cet intérêt à agir aux seuls présidents des deux chambres, ainsi qu’aux présidents de leurs commissions permanentes. Cette position est sensée, dans la mesure où nos commissions permanentes assurent précisément le suivi de l’application des lois.

La commission a également tenu à préciser l’objet des recours pour excès de pouvoir. Ainsi, un recours sera possible contre tous les refus ministériels de prendre un règlement d’application, notamment dans le cas d’arrêtés ministériels, et non plus contre les seuls refus émanant du Premier ministre.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà les raisons pour lesquelles nous approuverons bien sûr cette proposition de loi, qui constitue une réelle avancée – je tiens à remercier nos collègues du groupe du RDSE de cette initiative – en renforçant les moyens du Parlement dans sa fonction de contrôle du Gouvernement et en lui permettant de mieux garantir le respect des intentions du législateur. Pour toutes ces raisons, notre groupe votera avec enthousiasme en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, SER, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Édouard Courtial.

M. Édouard Courtial. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 1er octobre 2020, le président de notre Assemblée défendait la nécessité de « réfléchir à une procédure qui permette au Parlement de saisir le juge administratif lorsqu’un décret d’application manque à l’appel ». Le texte que nous examinons aujourd’hui est une déclinaison de cette proposition.

Je tiens à saluer le travail de Mme la rapporteure, qui a su faire évoluer le dispositif en commission pour en améliorer l’efficience, en circonscrivant l’intérêt à agir et en précisant l’objet des recours pour lesquels il sera ouvert.

Cette proposition de loi tend à modifier l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires afin de créer une présomption irréfragable d’intérêt à agir au bénéfice des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, ainsi que des présidents de leurs commissions permanentes, pour leur permettre d’introduire un recours pour excès de pouvoir contre tout refus de prendre une mesure réglementaire d’application d’une disposition législative, et non contre les seuls refus du Premier ministre.

Cette précision, introduite en commission, permettra notamment les recours contre les refus de prendre des arrêtés ministériels rendus directement nécessaires par une disposition législative ou requis pour l’entrée en vigueur d’un décret d’application.

De même, le texte ouvre la possibilité d’un tel recours contre une ordonnance dès lors qu’un des moyens soulevés porte sur le non-respect du champ de l’habilitation donnée par le Parlement et non lorsqu’il s’agit de l’unique moyen soulevé. Élargir le champ des moyens pouvant motiver la saisine réduira les cas dans lesquels le recours ultérieur d’une tierce personne sera nécessaire pour purger une ordonnance de l’ensemble de ses griefs.

Comme cela a été rappelé, le contexte institutionnel a évolué, nous conduisant à avoir un regard nouveau sur ce texte qui reprend une proposition précédemment écartée par le Sénat. Cette mesure m’apparaît particulièrement nécessaire pour deux raisons principales.

D’une part, ce droit d’agir institutionnel, permettant au Sénat en tant qu’institution de faire assurer le respect de la volonté du législateur par le pouvoir réglementaire renforce le pouvoir de contrôle du Parlement sur le pouvoir exécutif. En effet, l’impossibilité actuelle de déposer un tel recours offre à ce dernier un droit de veto implicite en matière d’application des lois ; nous devons y répondre.

Le principal grief d’inconstitutionnalité que l’on fait à ce texte, à savoir une violation supposée de la séparation des pouvoirs, semble devoir être écarté. En effet, la présente proposition de loi ne crée pas de nouveaux recours, mais aménage un recours existant ; cette voie de recours est déjà, de manière objective, un instrument de régulation des relations entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif dans la mesure où elle permet de faire respecter concrètement la hiérarchie des normes.

D’autre part, elle permettra, je l’espère, de lutter contre une inflation normative que l’on peut bien qualifier de galopante, malgré les efforts du Sénat en la matière. En effet, cette nouvelle possibilité obligera le pouvoir exécutif à mieux juguler son besoin de création de normes et son envie de recourir aux ordonnances. S’il faut reconnaître que les récents bilans d’application des lois témoignent de taux d’application globalement satisfaisants, certains règlements manquent à l’appel malgré ces efforts. Les exemples sont légion de parlementaires dont un amendement a été adopté, mais qui attendent toujours le règlement d’application de cette disposition.

Mes chers collègues, dans un contexte où l’urgence est devenue la norme, le Parlement s’est souvent senti dépossédé de ses attributions, pourtant garantes de notre démocratie. Ce texte y apporte une réponse ; j’espère donc qu’il sera adopté par notre assemblée dans quelques instants. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDSE, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi tendant à reconnaître aux membres de l’assemblée nationale et du sénat un intérêt à agir en matière de recours pour excès de pouvoir

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer le contrôle par le Parlement de l'application des lois
Intitulé de la proposition de loi (début)

Article unique

Après l’article 4 septies de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, il est inséré un article 4 octies ainsi rédigé :

« Art. 4 octies. – Les présidents des assemblées parlementaires et les présidents de leurs commissions permanentes ont chacun intérêt à agir en cette seule qualité, par la voie du recours pour excès de pouvoir :

« 1° Contre le refus de prendre dans un délai raisonnable les mesures réglementaires d’application d’une disposition législative ;

« 2° Contre une ordonnance prise sur le fondement de l’article 38 de la Constitution lorsque l’un des moyens soulevés est tiré de ce que cette ordonnance méconnaîtrait le champ de l’habilitation fixé par la loi ;

« 3° Contre un acte réglementaire autorisant la ratification ou l’approbation d’un traité lorsque le moyen unique soulevé est tiré de ce que cette autorisation aurait dû être accordée par la loi en vertu de l’article 53 de la Constitution. »

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, sur l’article.

M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est proposé par M. Requier est important, parce qu’il vise à réaffirmer le pouvoir du Parlement et, notamment, la mission qui nous incombe au titre de l’article 24 de la Constitution : « Le Parlement vote la loi. Il contrôle l’action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques. »

Je voudrais vous dire combien il est difficile aujourd’hui, pour un sénateur, d’exercer cette mission constitutionnelle, tant nous nous heurtons à des difficultés pour obtenir des administrations, quelles qu’elles soient, les pièces à partir desquelles nous pouvons accomplir notre mission.

Pour rester bref, je n’en veux prendre qu’un exemple. J’ai demandé à plusieurs reprises des pièces administratives à des universités et à un ministère, qui me les ont refusées. J’ai saisi la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) qui m’a répondu ceci : « Rien n’empêche un élu de se prévaloir à titre personnel du droit d’accès relevant du code des relations entre le public et l’administration. Au cas d’espèce, un refus de communication ne me paraît pas justifié. Toutefois, la recherche d’information qui est la vôtre me paraît plutôt relever des modalités particulières de communication de documents du Gouvernement au bénéfice du Parlement dans ses fonctions officielles, dans lesquelles la CADA n’a pas à intervenir. » Celle-ci m’a donc refusé l’accès à ce document, tout en m’indiquant de façon officieuse que, si ma femme avait fait la même demande, rien ne se serait opposé à ce qu’elle obtienne le document ! (Sourires.)

J’ai donc à faire le triste constat qu’un parlementaire dans l’exercice d’une mission constitutionnelle a moins de pouvoirs que n’importe quel citoyen ou citoyenne. Il y a là un problème de fond qu’il convient de régler. La proposition de loi de M. Requier permet de mettre un pied dans la porte et ouvre le débat, mais il faudra aller beaucoup plus loin encore.

M. le président. Je suis saisi de cinq amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 4, présenté par MM. Sueur et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Remplacer les mots :

présidents des assemblées parlementaires et les présidents de leurs commissions permanentes ont chacun

par les mots :

membres de l’Assemblée nationale et du Sénat ont

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. J’ai présenté cet amendement lors de mon intervention dans la discussion générale. Je crois vraiment qu’il convient de revenir à l’esprit initial de cette proposition de loi et de faire figurer dans le texte que ce droit est ouvert à tous les parlementaires. C’est ce qu’exprimait encore récemment devant la commission des lois notre collègue Alain Richard, qui connaît bien le Conseil d’État.

Comme cela a été bien exprimé, dès lors que tous les Français peuvent saisir la justice administrative et, partant, dans le cadre de la procédure, le Conseil d’État lui-même, il n’y aurait aucun inconvénient à ce que tous les parlementaires puissent le faire, mais beaucoup d’avantages.

C’est pourquoi nous défendons ardemment l’esprit et la lettre de la proposition de loi de M. Requier dans sa version initiale.

M. le président. L’amendement n° 3, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Après le mot :

parlementaires

insérer les mots :

, les présidents de groupe politique de ces assemblées

La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Je crois également avoir été assez claire à ce sujet lors de mon intervention dans la discussion générale. J’ai bien compris les modifications apportées au texte par la commission des lois, mais j’estime sincèrement, pour toutes les raisons qui ont été exposées au cours de la discussion, que ce dispositif devrait être ouvert également aux présidents des groupes politiques de nos assemblées. Cela se justifie surtout par des raisons démocratiques et de respect du pluralisme : il s’agit de ne pas exclure les groupes d’opposition et minoritaires. Ce serait un geste fort de la part du Sénat que d’accepter cette mesure.

Rappelons enfin que c’est dans ce même esprit que notre assemblée avait adopté, lors de la révision constitutionnelle de 2008, un amendement de notre groupe tendant à élargir aux groupes parlementaires la possibilité de saisine du Conseil constitutionnel.

M. le président. L’amendement n° 5, présenté par MM. Sueur et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Remplacer les mots :

et les présidents de leurs commissions permanentes

par les mots :

, les présidents de leurs commissions permanentes et les présidents des groupes politiques

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement a le même objet que celui que vient de défendre Mme Assassi, mais il s’agit pour nous d’un amendement de repli, dans la mesure où nous persistons à demander que tous les parlementaires puissent saisir le Conseil d’État.

Un argument nous a été opposé : le président de la commission des finances serait issu des rangs de l’opposition, à l’Assemblée nationale comme au Sénat. Certes, mais cela ne figure dans aucun texte : c’est simplement une pratique. Par ailleurs, chacun sait que l’opposition ne se réduit pas à un seul groupe : il y a plusieurs groupes minoritaires et d’opposition. Or les groupes politiques des assemblées sont désormais reconnus par la Constitution.

Dès lors, à défaut de pouvoir tous saisir le Conseil d’État, il paraît juste que cette prérogative soit au moins élargie aux présidents des groupes parlementaires.

M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.

L’amendement n° 2 est présenté par Mme N. Goulet.

L’amendement n° 6 est présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, M. Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 2

Après le mot :

permanentes

insérer les mots :

et les présidents des groupes politiques

La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour présenter l’amendement n° 2.

Mme Nathalie Goulet. Cet amendement, tout comme les précédents, vise à ouvrir ce recours aux présidents des groupes politiques des assemblées, sachant que la majorité et l’opposition vont et viennent ; on n’est éternellement ni dans l’une ni dans l’autre ! Le respect républicain dû à chacun d’entre nous rend tout à fait évidente la nécessité d’ouvrir ce recours aux présidents des groupes politiques.

M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour présenter l’amendement n° 6.

Mme Mélanie Vogel. Cet amendement a les mêmes justifications que les précédents. Il nous paraît aussi qu’il n’est pas neutre de limiter ce droit aux présidents des assemblées et de leurs commissions permanentes, puisque ces postes sont distribuées en vertu de considérations politiques ; il est plus sage d’ouvrir ce droit à tous les groupes politiques. Comme cela a été répété, la simple présidence de la commission des finances n’est pas suffisante ; il peut y avoir des divisions entre les groupes d’opposition. L’adoption de cet amendement raisonnable ne ferait qu’ajouter quelques personnes supplémentaires à la liste ; nous vous invitons donc à le soutenir.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Maryse Carrère, rapporteure. L’amendement n° 4 de notre collègue Jean-Pierre Sueur tend à revenir à la rédaction initiale de la proposition de loi en ouvrant l’intérêt à agir prévu dans le texte à l’ensemble des parlementaires. Les amendements de repli n° 5, 3, 2 et 6 tendent, eux, à ouvrir ce droit aux présidents des groupes politiques, qui viendraient s’ajouter à ceux que nous avions initialement prévus.

Comme nous l’avons indiqué en commission, nous pensons – je réponds ainsi à vos interventions en discussion générale – qu’il convient de privilégier un droit d’agir permettant au Sénat, en tant qu’institution, de faire respecter la volonté du législateur par le pouvoir réglementaire. C’est la raison pour laquelle nous avons restreint l’intérêt à agir aux seuls présidents des commissions permanentes et aux présidents des deux chambres.

L’ouverture d’un intérêt à agir limité à ces organes est en outre cohérente avec le règlement du Sénat, qui confie aux commissions permanentes le suivi de l’application des lois.

L’intérêt à agir laissé aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat leur permettrait, le cas échéant, de faire droit à des demandes de recours n’émanant pas des présidents des commissions permanentes.

Nous sommes donc défavorables à l’ensemble des amendements dont l’adoption aurait pour effet de déplacer cette voie de recours sur un terrain politique. La véritable question est en effet la suivante : ce recours est-il un instrument juridique au service d’une meilleure application de la loi – c’est là, je pense, le sens de la proposition de loi de Jean-Claude Requier – ou s’agit-il de créer un faire-valoir politique au service du parlementaire qui l’introduit ?

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, nous privilégions bien sûr la première option. Néanmoins, il est important que le débat puisse avoir lieu en séance publique aujourd’hui, car il concerne l’ensemble de notre assemblée.

Dans tous les cas, l’adoption de l’un de ces amendements ne serait pas de nature à modifier le sens premier de cette proposition de loi.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Marc Fesneau, ministre délégué. L’amendement n° 4 de M. Sueur vise, comme il l’a indiqué lui-même, à revenir à la version initiale du texte et à étendre son périmètre. Le Gouvernement y est défavorable pour les raisons que j’ai déjà évoquées dans mon intervention liminaire.

Le Gouvernement s’en remettra à la sagesse de la Haute Assemblée sur les amendements nos 3, 5, 2 et 6, tout simplement pour faire écho à ce qui a été dit par un certain nombre de sénatrices – je pense à la sénatrice Vogel, à la présidente Assassi, à la sénatrice Goulet – sur la nécessité de garantir l’expression pluraliste d’une assemblée comme la vôtre.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Je souhaite répondre à Mme la rapporteure. En effet, ma chère collègue, vous avez dit, avec un excès de pudeur qui vous honore sans doute, qu’il existait un risque que cette voie de recours ne soit utilisée à des fins politiques.

Ma chère collègue, les présidents de groupes font certes de la politique, mais je vais vous faire un aveu : les présidents de commission aussi, de même que les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat ! Dès lors, puisque tous font de la politique, je pense franchement que votre argument est inopérant.

J’ajoute qu’il serait tout de même dommage, si vous persistiez dans votre position, madame la rapporteure, d’en venir à priver M. le président Requier lui-même d’intenter un recours, alors qu’il est l’auteur de la proposition de loi dont vous êtes signataire ! Il y aurait là quelque incohérence…

Parfois, les choses progressent : alors que j’ai qualifié de glaciales certaines déclarations faites la semaine dernière par un membre du Gouvernement, je salue aujourd’hui la position de M. le ministre, qui s’en remet à la sagesse du Sénat.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. J’irai évidemment dans le même sens que M. Sueur. Vous savez, madame la rapporteure, très souvent, lorsque des mesures d’exécution prennent du retard à l’allumage, c’est précisément parce que les textes posent problème politiquement. S’il a fallu dix-huit ans pour que soient publiés les décrets d’application de la loi Littoral, il faut croire que c’est parce qu’il a fallu au préalable gérer un certain nombre d’intérêts. Nous votons des lois, mais nous faisons évidemment de la politique.

Je pense que le Sénat s’honorerait à ouvrir le droit à agir aux présidents des groupes politiques. Cela me semblerait évident et normal. Je rappelle que la levée de l’immunité d’un parlementaire est également une question difficile, qui se règle parfois de manière politique. Les arbitrages rendus ne sont parfois pas exactement ceux que certains d’entre nous attendraient.

Je le répète, il me paraît essentiel que les présidents de groupes puissent intenter ce recours.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.

M. Jean-Claude Requier. Il est vrai que cette proposition de loi visait à permettre à tous les parlementaires de saisir le Conseil d’État. On craint cependant qu’une telle ouverture n’entraîne des excès – je ne vise personne, mais on a vu parfois certains collègues multiplier les amendements…

En revanche, je ne suis pas hostile au fait d’ouvrir ce droit aux présidents de groupe. On ne l’avait pas prévu initialement, au motif que le président de la commission des finances est issu de l’opposition, mais il est vrai qu’il ne représente pas tous les groupes d’opposition. Je ne vois donc pas d’inconvénient à ce que l’on ouvre ce droit aujourd’hui aux présidents de groupe, sachant qu’ils joueraient un rôle de filtre.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Maryse Carrère, rapporteure. Monsieur Sueur, je ne suis pas sûre qu’il existe des clivages politiques sur la question de savoir si la loi doit être appliquée. C’est peut-être pour cela que nous n’envisageons pas cette question de la même façon que vous.

Je suis certaine, monsieur Sueur, que vous n’auriez jamais refusé au président Requier, lorsque vous étiez président de la commission des lois, de former un recours en cas d’absence manifeste d’un décret. (Mme Nathalie Goulet sexclame.)

Ouvrir ce recours à l’ensemble des parlementaires créerait près de 1 000 requérants potentiels. Certains auraient nécessairement la tentation de détourner cet outil pour en faire une tribune politique en intentant des recours infondés ou systématiques. De tels recours abusifs auraient peut-être aussi des conséquences très néfastes et porteraient atteinte à la crédibilité du Parlement. En outre, ils affaibliraient l’outil que le groupe du RDSE a souhaité créer.

Tels sont les arguments que je souhaitais porter à votre connaissance.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 4.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 3.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, les amendements nos 5, 2 et 6 n’ont plus d’objet.

Je mets aux voix l’article unique, modifié.

(Larticle unique est adopté.)

Article unique
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer le contrôle par le Parlement de l'application des lois
Intitulé de la proposition de loi (fin)

Intitulé de la proposition de loi

M. le président. L’amendement n° 1, présenté par MM. Requier, Artano, Bilhac, Cabanel et Corbisez, Mme N. Delattre, MM. Fialaire, Gold et Guérini, Mme Guillotin, M. Guiol, Mme Pantel et M. Roux, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet intitulé :

Proposition de loi visant à renforcer le contrôle par le Parlement de l’application des lois

La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Les auteurs de ce texte avaient pour ambition initiale d’ouvrir un droit à chacun des parlementaires, ce qui justifiait son intitulé : « proposition de loi tendant à reconnaître aux membres de l’Assemblée nationale et du Sénat un intérêt à agir en matière de recours pour excès de pouvoir ».

Toutefois, au regard des modifications qui ont été apportées au texte, cet intitulé n’est plus adapté dans la mesure où tous les membres du Parlement ne disposeront pas de cette faculté à titre individuel. Il serait donc désormais plus juste d’intituler ainsi le texte : « proposition de loi visant à renforcer le contrôle par le Parlement de l’application des lois ».

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Maryse Carrère, rapporteure. La commission émet un avis favorable, car l’intitulé décrit l’objet principal de cette proposition de loi.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Marc Fesneau, ministre délégué. Sagesse, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l’intitulé de la proposition de loi est ainsi modifié.

Vote sur l’ensemble

M. le président. Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi dont le Sénat a rédigé ainsi l’intitulé : « proposition de loi visant à renforcer le contrôle par le Parlement de l’application des lois ».

(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements.)

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt-cinq, est reprise à dix-sept heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

Intitulé de la proposition de loi (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer le contrôle par le Parlement de l'application des lois
 

10

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à encourager les dons et adhésions aux associations à vocation sportive, culturelle et récréative dans le contexte de l'épidémie de covid-19
Discussion générale (suite)

Dons et adhésions aux associations dans le contexte de l’épidémie de covid-19

Rejet d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, de la proposition de loi visant à encourager les dons et adhésions aux associations à vocation sportive, culturelle et récréative dans le contexte de l’épidémie de covid-19, présentée par M. Éric Gold et plusieurs de ses collègues (proposition n° 383 [2020-2021], résultat des travaux de la commission n° 856 [2020-2021], rapport n° 855 [2020-2021]).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Éric Gold, auteur de la proposition de loi.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à encourager les dons et adhésions aux associations à vocation sportive, culturelle et récréative dans le contexte de l'épidémie de covid-19
Article additionnel avant l'article unique - Amendements n° 7 rectifié bis et n° 8 rectifié bis

M. Éric Gold, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la vie associative fait partie de notre quotidien à tous, d’une façon ou d’une autre. Elle est là, dans le paysage, à tel point qu’on peut vite perdre de vue son importance fondamentale pour notre société. Cette importance se traduit d’abord par des chiffres : on compte 1,5 million d’associations actives en France, 13 millions de bénévoles et 132 000 volontaires en service civique. On compte aussi 1,8 million d’emplois, dont une grande majorité est occupée par des femmes.

Au-delà des chiffres, on prend conscience de l’importance des choses, comme très souvent, lorsqu’on en est privé. Pendant la période la plus rude de l’épidémie de covid-19, les associations ont dû se mettre à l’arrêt. Cet arrêt a permis de mesurer le rôle fondamental qu’elles jouent et de prendre conscience de la diversité de leurs domaines d’intervention.

Quelles qu’elles soient, les associations constituent un pilier de notre vie démocratique, sociale et culturelle. Dans nos territoires, elles sont le creuset de la démocratie locale et de la participation citoyenne. Elles jouent un rôle d’alerte et d’innovation sociale.

Une association, c’est un endroit où l’on « fait ensemble », où chacun peut inscrire son engagement individuel dans un cadre collectif, agir de façon désintéressée dans une logique de partage et de réciprocité. C’est ce caractère solidaire, citoyen, de la vie associative qui doit être reconnu comme une composante essentielle du lien social, en dehors de toute logique purement comptable. Il est d’ailleurs bon de rappeler que de nombreux besoins sociétaux non satisfaits par les services publics sont pris en charge par des associations.

Même si l’on entend ici et là que notre société est de plus en plus individualiste, le fait associatif n’appartient pas au passé. Cette forme d’engagement est une nécessité pour l’avenir, pour inventer des solutions et contribuer à la construction d’un monde plus juste, plus humain, plus respectueux de nos ressources.

Mais la vitalité associative que connaît notre pays depuis longtemps n’est pas gravée dans le marbre, elle n’est pas acquise à tout jamais. La crise du covid-19 doit nous alerter sur la fragilité des associations, sur leur besoin d’accompagnement et, plus généralement, sur la nécessité de renforcer les politiques publiques de soutien au secteur associatif dans toute sa diversité.

En effet, il est bon de rappeler que 90 % des associations fonctionnent uniquement grâce aux bénévoles. Leur engagement a été durement éprouvé pendant la crise. Selon une étude de Recherches et Solidarités réalisée en avril 2021 auprès de 10 000 responsables associatifs, leur moral est en forte baisse. Si les pertes financières ont concerné 76 % des associations, une grande part d’entre elles ont été mises à l’arrêt pendant de longs mois.

Les associations ont subi de plein fouet la fermeture des lieux de rassemblement – gymnases, stades, piscines, théâtres, salles des fêtes –, au cœur de leurs activités. Dans ce contexte il a été difficile, pour les associations sportives, en raison de la suspension des compétitions, de l’annulation des entraînements, de la fermeture des vestiaires, de préserver la motivation des adhérents, qui ont été nombreux à reporter ou à résilier leur licence.

Cette chute exceptionnelle d’activité s’est accompagnée d’une diminution de l’emploi entre la fin de l’année 2019 et la fin de l’année 2020 : de 14 % dans les associations sportives, de 13 % dans le secteur des loisirs et de 7 % dans le milieu de la culture. Or l’emploi associatif représente tout de même 9 % de l’ensemble des emplois du secteur privé. Une attention toute particulière doit donc leur être accordée.

Je sais que le Gouvernement a pris la mesure de la situation en jouant un rôle d’amortisseur indispensable. D’après une estimation de la direction du budget, près de 600 millions d’euros d’aides spécifiques ont été accordés aux associations. Un fonds de solidarité spécifique a été mis en place pour soutenir les associations sportives les plus fragilisées, de même qu’un fonds d’urgence pour les fédérations, du fait de la diminution du nombre de licenciés. Les collectivités locales n’ont pas été en reste puisqu’elles ont maintenu leurs subventions malgré l’arrêt des activités.

La proposition de loi que je vous présente aujourd’hui a vocation à compléter ces aides par un soutien financier. Elle prévoit, dans sa version initiale, une majoration de la réduction d’impôt au titre des dons effectués par des particuliers, qui serait portée à 75 % contre 66 % actuellement, et rend l’adhésion annuelle éligible à un crédit d’impôt nouvellement créé, égal à 50 % du montant de la souscription, dans la limite de 100 euros.

Madame la secrétaire d’État, nous nous sommes rencontrés en amont de cette séance et vous m’avez fait part de vos remarques. Je sais le Gouvernement pleinement conscient de la situation et désireux de préserver le tissu associatif, au même rang que le tissu économique. Mais je considère que ces mesures sont insuffisantes. Surtout, elles ne touchent pas toute la vie associative dans sa diversité.

Permettez-moi d’insister sur les plus petites associations, les plus fragiles, celles que l’on trouve en milieu rural et qui sont indispensables à l’animation de nos communes. Celles-là ne disposent pas des ressources humaines suffisantes pour s’informer et solliciter les aides proposées par l’État depuis le début de la crise sanitaire.

Je vous ai alertée il y a quelques semaines sur les difficultés d’accès au Pass’Sport, qui ne semble pas avoir encore rencontré son public. Et pour cause : il est soumis pour les associations à la création d’un Compte Asso, qui complexifie inutilement la procédure. Il est ainsi fort probable que les 100 millions d’euros de crédits ne seront pas consommés, ce qui est particulièrement regrettable quand on connaît les bienfaits du sport sur la santé physique et psychologique, son importance pour la création de liens sociaux et pour le vivre ensemble…

En zone rurale, l’offre d’activités est sans commune mesure avec celle que l’on trouve dans les agglomérations. Les associations qui y sont présentes jouent un rôle primordial et tiennent généralement grâce à la bonne volonté et à l’engagement de quelques individus, qui méritent tout notre soutien. Pour beaucoup, les recettes proviennent de manifestations qu’elles organisent et qui n’ont pas pu se tenir durant de longs mois. Je suis convaincu qu’un coup de pouce supplémentaire est indispensable.

J’ai bien entendu aussi les remarques de la commission. Je trouve toutefois le rapport sévère et j’ai le sentiment de ne pas avoir rencontré les mêmes responsables associatifs. Ceux que je connais m’ont fait part de leurs difficultés et de leur volonté d’être davantage soutenus.

J’ai néanmoins pris le parti d’amender mon texte et de prendre en compte les commentaires du Gouvernement et de la commission.

Je vous présenterai donc huit amendements.

Le premier vise à limiter le dispositif de réduction d’impôt aux revenus perçus en 2021 afin d’apporter un soutien ponctuel dans le cadre de la sortie de crise et d’éviter que les associations d’aide aux plus démunis n’en pâtissent.

Deux amendements visent à préciser ou à restreindre le champ des associations concernées, jugé trop large lors de l’examen de la proposition de loi en commission.

Un amendement tend à appliquer la réduction d’impôt dans la limite de 20 % du revenu imposable, au lieu du plafond de 552 euros prévu pour les dons défiscalisés à hauteur de 75 %, afin d’empêcher un possible effet d’éviction.

Deux amendements visent à coordonner l’intitulé de la proposition de loi avec les modifications proposées et l’évolution de la situation sanitaire.

Enfin, je vous proposerai deux amendements visant à instaurer des mesures complémentaires de soutien aux clubs sportifs amateurs. L’un tend à inciter les associations à proposer la gratuité des inscriptions des enfants de moins de 12 ans. Le coût de cette mesure serait supporté par les fédérations qui disposent d’une trésorerie excédentaire. L’autre tend à rééquilibrer les finances des clubs amateurs grâce au versement, par les fédérations et les ligues professionnelles, d’une part significative de leurs droits d’exploitation audiovisuelle.

Mes chers collègues, j’ai la conviction que nous pouvons parvenir à un accord aujourd’hui pour améliorer la situation de notre tissu associatif. Vous connaissez comme moi la réalité : sur le terrain, les associations ne disposent pas de centaines d’employés ni d’une ingénierie leur permettant de surmonter ce genre de crise. L’immense majorité d’entre elles sont gérées par une poignée de bénévoles fatigués, qui n’ont ni le temps ni les moyens de chercher les aides disponibles.

J’ai conscience que mon texte n’est pas parfait, mais lorsque nous rentrerons tous dans nos territoires, après la séance, il serait bon que nous puissions dire aux associations, non pas seulement qu’elles méritent d’être aidées, mais que nous les avons réellement aidées. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Arnaud Bazin, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons cet après-midi une proposition de loi de notre collègue Éric Gold, dont l’objectif est double : encourager les dons aux associations à vocation sportive, culturelle et récréative et inciter les Français à adhérer à ces mêmes associations.

Cette proposition de loi comprend un article unique, mais prévoit deux dispositifs distincts.

En premier lieu, il est prévu de porter à 75 % le taux de la réduction d’impôt applicable aux dons aux associations à vocation sportive, culturelle et récréative, contre 66 % actuellement. Il s’agit donc, vous l’aurez compris, d’étendre le dispositif « Coluche » à ces associations.

En second lieu, la proposition de loi prévoit de créer un crédit d’impôt temporaire, assis sur les adhésions souscrites au cours de l’année 2021 auprès de ces mêmes associations. Le taux de ce crédit d’impôt serait égal à 50 % des dépenses exposées, dans la limite de 100 euros par souscription.

J’attire votre attention, mes chers collègues, sur le fait que le dispositif de la présente proposition de loi ne nous est pas totalement inconnu, puisqu’il a été présenté par voie d’amendement en juillet dernier, lors de l’examen du projet de loi de finances rectificatives pour 2021.

Au demeurant, la commission des finances a eu l’occasion d’examiner plusieurs dispositifs similaires au cours de la crise sanitaire ; je pense notamment à la majoration à 75 % du taux de réduction pour les dons consentis aux associations cultuelles ou au relèvement à 1 000 euros du plafond applicable pour le dispositif « Coluche », en faveur duquel nous nous sommes prononcés en 2020, puis en 2021.

Je commencerai par souligner que la commission des finances partage pleinement le constat et les préoccupations des auteurs de la proposition de loi : nos associations ont indéniablement beaucoup souffert des mesures sanitaires prises pour endiguer la crise du covid-19, qui ont notamment entraîné l’annulation de nombreuses activités, la chute du nombre d’adhésions et, par voie de conséquence, des difficultés financières.

Néanmoins, si nous partageons le diagnostic, force est de constater que nous ne sommes pas d’accord sur le remède. En effet, notre commission s’est attachée, lors de ses travaux, à préciser deux points.

Premièrement, quelle est la situation financière des associations sportives, culturelles et récréatives et quels sont leurs besoins à court terme ?

Deuxièmement, le dispositif proposé permet-il de répondre efficacement à ces besoins ?

S’agissant du premier point, il me semble que le pire a été évité pendant la crise, grâce à l’action conjointe de l’État et des collectivités territoriales. Ces dernières ont très largement maintenu leurs subventions publiques, en dépit de l’arrêt des activités, tandis que le Gouvernement a mis en œuvre de nombreuses mesures de soutien transversales, comme l’activité partielle, et des mesures sectorielles, comme la création de fonds d’urgence spécialisés.

Les associations à vocation sportive, culturelle et récréative ont-elles pu bénéficier de ces aides ? La réponse est oui, à hauteur de 600 millions d’euros – l’auteur de la proposition de loi nous l’a rappelé –, ce montant n’étant pas négligeable, vous en conviendrez.

Ce soutien significatif de l’État a permis de compenser très largement l’effet des mesures sanitaires auprès des associations sportives, culturelles et récréatives. Ainsi, selon la Cour des comptes, moins de 10 % des associations éligibles ont in fine sollicité le fonds de solidarité.

Avec la levée progressive des mesures sanitaires, la problématique est désormais tout autre : il s’agit non plus de survivre, mais de relancer les activités associatives, afin de permettre au secteur associatif de retrouver son dynamisme d’avant-crise.

Les travaux de notre commission ont ainsi démontré que, pour les associations, l’enjeu actuel est de réussir à remobiliser les bénévoles et les adhérents, pour retrouver une activité normale. Permettez-moi d’insister sur ce point. Les associations que nous avons interrogées sont unanimes : pour relancer la vie associative alors que l’après-crise se dessine, la priorité reste de trouver des bénévoles et des adhérents.

J’en viens à mon second point : le dispositif proposé permet-il de répondre à cette problématique ? Malheureusement, il semble que non, pour au moins trois raisons.

Premièrement, la majoration de la réduction d’impôt vise à encourager les dons alors que ces derniers ne représentent que 4,6 % des financements associatifs, contre 20 % pour les subventions publiques, lesquelles, on l’a vu, ont été largement maintenues, et 66 % pour les recettes d’activité. Ainsi, non seulement ce dispositif ne peut pas, par définition, avoir un effet majeur sur la situation économique des associations, mais en plus il ne répond absolument pas aux problématiques actuelles rencontrées par ces associations, qui ont besoin de recruter davantage de bénévoles et d’adhérents.

À cet égard, la création d’un crédit d’impôt assis sur les souscriptions pourrait à première vue constituer une initiative opportune. En réalité, il est permis de douter de l’efficacité d’un tel dispositif, étant donné le caractère différé de son effet sur la trésorerie des ménages. Admettons que le dispositif entre en vigueur dans les semaines à venir, soit à la fin de 2021 : non seulement il n’aurait pas d’effet avant la période de souscription des licences sportives, à savoir entre juin et septembre 2022, mais en plus le crédit d’impôt ne serait accordé aux ménages que l’année suivante, soit en 2023.

Mes chers collègues, il nous faut être réalistes : c’est aujourd’hui qu’il faut agir pour relancer les adhésions, pas dans un an, encore moins dans deux ans. Le recours à un crédit d’impôt me paraît dans ce contexte inadapté, en ce qu’il s’agit d’une incitation de long terme, qui ne permet pas de solvabiliser instantanément les ménages.

À court terme, il nous faut mobiliser des instruments budgétaires, comme le Pass’Sport, qui permet d’octroyer directement une subvention aux ménages pour financer l’adhésion à un club de sport.

À cet égard, je rappelle, mes chers collègues, que c’est uniquement parce qu’il est interdit à l’État de subventionner les cultes qu’une majoration de taux a été votée en faveur des associations cultuelles lors de l’examen du premier projet de loi de finances rectificative pour 2021. Le levier fiscal n’a ainsi été actionné que dans la mesure où il n’était pas envisageable de recourir à un soutien budgétaire.

J’en viens à mon troisième point : le champ d’application du dispositif proposé est très large et ne permet pas de cibler les structures en difficulté. En effet, les associations à vocation sportive, culturelle et récréative représentent 64 % des associations françaises, soit 892 603 structures.

J’y vois deux inconvénients majeurs. En premier lieu, de très nombreux organismes seraient éligibles à la réduction d’impôt, ce qui diluerait d’autant le caractère incitatif du taux majoré. En second lieu, il y a fort à craindre que la majoration de taux ne bénéficie essentiellement aux plus grosses structures, capables de mener des collectes de dons et ayant d’ores et déjà bénéficié des mesures de soutien. En effet, les petites associations non employeuses, qui ne peuvent s’appuyer sur des effectifs salariés, sont rarement à même de vérifier leur éligibilité à la réduction d’impôt et donc d’émettre des reçus fiscaux.

Pour toutes ces raisons, il me semble que le dispositif proposé s’inspire d’une intention tout à fait louable, mais ne constitue pas le bon instrument pour accompagner la reprise des activités associatives. Ce seul constat justifierait à lui seul le rejet de la présente proposition de loi, mais il y a plus inquiétant à mes yeux : l’extension de la réduction d’impôt « Coluche » serait lourde de conséquences dans le monde associatif. En effet, les associations à vocation sportive, culturelle et récréative seraient placées sur un pied d’égalité avec les organismes venant en aide aux personnes les plus démunies, comme les Restos du cœur, Action contre la faim ou encore Médecins sans frontières, qui perdraient leur avantage comparatif.

En pratique, dans sa rédaction actuelle, le dispositif proposé risquerait d’engendrer un effet d’éviction au détriment de ces organismes, qui pourraient voir leurs recettes diminuer. Dans le contexte actuel, alors que la précarité explose dans le contexte de la crise, pouvons-nous prendre cette responsabilité ?

Ce n’est pas tout, mes chers collègues. Le dispositif proposé conduirait également à ce que les associations à vocation sportive, culturelle et récréative bénéficient d’un avantage comparatif au détriment des organismes éligibles uniquement à la réduction d’impôt de droit commun de 66 %, parmi lesquels figurent notamment de nombreuses associations caritatives, comme la fondation Emmaüs.

Or, il me semble très discutable de gratifier des associations à vocation récréative d’un taux de réduction de 75 % quand certaines fondations œuvrant, par exemple, en faveur de l’insertion des chômeurs de longue durée, doivent se contenter d’un taux de 66 %. À mon sens, et les organismes auditionnés l’ont confirmé, une telle évolution serait inévitablement à l’origine de fortes dissensions au sein du monde associatif.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous recommande de suivre l’avis de la commission, et de ne pas adopter le texte de la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)

Mme Sarah El Haïry, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de lengagement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Gold, monsieur le rapporteur Bazin, je viens d’écouter avec attention vos propos et je ne vais pas nier l’évidence : je partage un très grand nombre des constats énoncés par le rapporteur et par l’auteur de la proposition de loi.

Le 2 mars dernier, d’abord ici, puis à l’Assemblée nationale, nous avons débattu de la situation du monde associatif et des conséquences de la crise. J’étais au banc du Gouvernement avec ma collègue Olivia Gregoire, et nous avons vu que les constats comme les diagnostics convergent : nous sommes dans une crise sanitaire sans précédent, qui nous a contraints à nous confiner physiquement pendant plusieurs mois, ce qui a eu des conséquences psychologiques sur l’énergie des bénévoles. Cette crise a menacé nos liens sociaux, notre manière de vivre et, pour les associations, cette situation a été doublement pénalisante. D’une part, de nombreux bénévoles sont âgés, et nous les avons invités à se protéger et à se mettre en retrait. D’autre part, les associations ont été contraintes dans leurs activités et ont dû en mettre certaines entre parenthèses.

Tout cela a aussi affecté leurs ressources et leurs revenus. Pour les associations sportives et culturelles, mesdames, messieurs les sénateurs, ce sont des entraînements, des cours rendus impossibles, des compétitions annulées, des festivals reportés. Et, pendant ce temps-là, les charges fixes ont continué à être assumées : des salaires, des cotisations, des loyers, des prêts à rembourser… La crise s’est prolongée, et ses conséquences se sont accumulées.

Dès la rentrée 2020, et à l’aube du deuxième confinement, dans les forums des associations, sur les différents territoires, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez été alertés : moins de monde qu’à l’accoutumée, moins d’adhésions que d’habitude, moins de bénévoles, des bénévoles plus hésitants.

Comment ne pas y réfléchir à deux fois avant de verser une cotisation, quand on ne sait pas quand l’activité pourra reprendre à plein, ou si l’on pourra l’exercer uniquement en dehors des périodes de couvre-feu ? Oui, c’est ainsi que 54 % des associations culturelles, 73 % des associations sportives et 65 % des associations de loisirs ont déclaré une baisse de leurs cotisations en 2020.

Sans même parler des conséquences sociales qui, elles, restent évidemment impossibles à chiffrer, il y a des conséquences économiques. En 2020, près de 11 000 associations ont fermé leurs portes. Bien sûr, le Gouvernement n’est pas resté inactif et, messieurs les sénateurs, vous l’avez rappelé l’un et l’autre. Il n’est pas resté inactif face à ce constat, qui dépasse nos différences de sensibilités politiques. Pendant la crise, les dispositifs de droit commun ont été ouverts, les associations ont été soutenues également par les collectivités, comme vous l’avez rappelé tous deux. Tout le monde a mis la main à la pâte, tout le monde a apporté l’énergie qu’il pouvait apporter.

Lorsque le Gouvernement a été formé par Jean Castex à l’été 2020, seules 15 000 associations employeuses avaient eu recours au fonds de solidarité. C’est très peu. Mais un an plus tard, grâce à l’énorme travail de ma collègue Olivia Gregoire, dont je souhaite saluer l’engagement, ce chiffre a augmenté de 50 %, et plus de 23 000 associations ont été finalement bénéficiaires d’un demi-milliard d’euros.

En prenant en compte les autres aides, non plus généralistes, mais sectorielles, il y a eu au total 171 000 aides distribuées à plus de 28 000 associations. Ce travail a été difficile, en raison de l’activité partielle, ou parce que seule la moitié des associations employeuses ont eu recours à ces aides, pour diverses raisons : manque d’information, sentiment d’illégitimité, associations ayant fait trop peu ou trop tardivement appel aux aides de l’État.

Partant de ce constat, nous avons mis en place un fonds d’urgence qui a été salué, le fonds UrgencESS, pour toutes les – très nombreuses – associations comptant de un à dix salariés. Quelque 30 millions d’euros ont ainsi été décaissés entre février et août 2021, et ont permis de soutenir plus de 5 000 structures et de préserver 16 000 emplois sur le plan national, majoritairement dans le sport et la culture. Il est important de le rappeler : les trois quarts de ces structures comptent moins de quatre salariés, ce sont de petites structures.

Ces fonds ont également permis un véritable accompagnement sur le long terme, via le dispositif local d’accompagnement, qui a été renforcé spécifiquement en 2021 grâce à votre soutien, mesdames, messieurs les sénateurs.

Ces mesures sectorielles ont également été prises par le ministère en charge des sports et par le ministère de la culture, qui gère plus de dix fonds d’urgence spécialisés : le fonds de sécurisation à la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem), le fonds d’urgence pour les artistes auteurs et les auteurs, le fonds de soutien du Centre national du livre, le fonds d’urgence pour le spectacle vivant, les fonds destinés au soutien des activités récréatives, auxquels s’ajoute un système d’indemnisation spécifique pour les intermittents du spectacle.

En ce qui concerne le sport, les fonds d’urgence de l’Agence nationale du sport ont été dotés de 15 millions d’euros en 2020 afin de soutenir les associations sportives les plus fragilisées par la crise, et notamment les structures non-employeuses qui n’ont pas bénéficié des aides de droit commun : 3 000 associations ont ainsi été financées, et ces fonds ont été également dotés de 15 millions d’euros en 2021.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne suis pas là, en cette fin d’après-midi, pour faire un état des lieux des aides que le Gouvernement a mises en place. Mais ces aides ont été utilisées, et je crois qu’il était nécessaire de le rappeler pour répondre au diagnostic et au constat partagés.

Leur création et leur déploiement soulignent toutefois en creux le fait – que vous avez parfois peut-être un peu moins souligné – que les associations ont subi cette crise comme acteurs économiques, mais aussi de manière plus structurelle : structurellement, elles sont plus vulnérables qu’un acteur économique ordinaire.

Et c’est peut-être sur ce point que nos orientations divergent, monsieur le sénateur. Là où vous misez sur une incitation fiscale pour les renforcer, je pense qu’il est plus judicieux d’utiliser des leviers économiques plus profonds, et d’accompagner le besoin aujourd’hui prioritaire d’un retour des bénévoles et des adhésions.

Je ne nierai certainement pas l’utilité que peut avoir la majoration d’une réduction d’impôt au titre des dons effectués par des particuliers ou des associations, ou un crédit d’impôt sur l’adhésion annuelle aux associations. Mais je les crois sincèrement plus complexes et, je dois le dire, plutôt inadéquats pour encourager le renforcement structurel et la pérennité de nos associations. Pour ma part, je suis convaincue qu’il est plus efficace d’agir sur le renforcement de leur trésorerie et sur leurs fonds propres.

Sur le premier volet, qui concerne la trésorerie des associations, je ne reviendrai que brièvement. J’étais devant vous au mois de mai pour l’adoption en deuxième lecture de deux propositions de loi en faveur des acteurs associatifs. Ces textes ont été promulgués dès le 1er juillet, date anniversaire d’ailleurs de la loi de 1901.

Sur le second volet, le Gouvernement a annoncé il y a quelques jours, par la voix de ma collègue Olivia Gregoire, un plan faveur de l’investissement dans les structures associatives employeuses. Ce plan s’appuiera principalement sur le développement des titres associatifs, encore trop peu connus aujourd’hui, peut-être encore perçus comme trop complexes.

Il s’articule en trois axes.

D’abord, démocratiser le financement des associations par les Français en leur permettant de flécher un placement qui leur tient à cœur, leur assurance vie, vers des titres associatifs, à compter de mars 2022, dans la continuité de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite Pacte, votée en 2019 et qui avait ouvert la possibilité d’aller vers les fonds de solidarité.

Ensuite, simplifier le recours aux titres associatifs, en fournissant aux associations des outils très concrets, clés en main – contrats types de financement, guides de bonnes pratiques – qui feront considérablement baisser le coût de l’expertise juridique, laquelle constitue parfois un frein ou un ralentisseur pour l’émission de ces titres associatifs.

Enfin, renforcer l’attractivité des titres associatifs en augmentant les fonds et leurs plafonds de rendement, attirer encore plus de financements de fonds à impact.

En agissant sur la trésorerie et les fonds propres, nous agissons pour l’avenir, mesdames, messieurs les sénateurs. Bien sûr, je sais que, dans vos territoires, les associations attendent plus que des annonces. Elles attendent en premier lieu des adhérents. Et c’est là où je vais vous rejoindre, monsieur le rapporteur, car c’est dans cette perspective que le Gouvernement a lancé une campagne de communication coécrite avec le monde associatif. Pour que les bénévoles reviennent, que les adhérents reviennent, un seul message : « Mon asso, je l’adore, j’y adhère ! ». C’est simple et cela peut faire sourire, mais cela répond au besoin premier. Cette campagne a été saluée par l’ensemble des acteurs et l’ensemble des secteurs du monde associatif, parce qu’elle a contribué à relancer la dynamique à la rentrée de septembre.

De même, le Pass’Sport a été mis en place dès le 1er juillet et vise une prise en charge de l’adhésion ou de la licence dans les associations sportives pour plus de 5 millions d’enfants issus de foyers modestes, d’abord. Il est utilisable dans les associations sportives, mais également dans toutes les associations fédérées, et dans celles qui sont présentes dans les territoires des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Le 30 novembre prochain, un bilan sera fait. S’il faut élargir ce dispositif, nous le ferons. La question a déjà été abordée ici, et nous nous tenons prêts à le faire évoluer, si nécessaire.

Enfin, le Gouvernement a généralisé le pass Culture, qui permet à tous les jeunes de 18 ans de bénéficier d’un crédit de 300 euros. On a beaucoup parlé de l’accès au livre, au cinéma, au concert, mais beaucoup moins de la possibilité de s’inscrire dans un cours de danse, de chant, de musique, ce qui est possible avec le pass Culture. À nous de le dire plus fort, de le rendre plus accessible ! Nous avons jusqu’au 30 novembre également, et chaque année, pour accompagner ces inscriptions.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous aurons l’occasion de revenir sur les raisons techniques pour lesquelles le Gouvernement est défavorable à cette proposition de loi, mais je vous fais pleine confiance, à vous tous et notamment au sénateur Gold, que je salue pour son engagement au service du secteur associatif, pour poursuivre ces travaux dans le cadre de l’examen de la loi de finances pour 2022, que vous entamerez bientôt.

Je souhaitais toutefois vous redire la pleine mobilisation du Gouvernement aux côtés des associations, à vos côtés également, dans la recherche de notre objectif commun : accompagner les associations dans leur diversité sur nos territoires, pour garantir ce qui est le plus précieux, nos liens sociaux. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. Paul Toussaint Parigi.

M. Paul Toussaint Parigi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui vise un objectif louable, la prise en compte du sort et du devenir des activités associatives qui, à la suite de la crise de la covid-19, pâtissent d’un essoufflement notable du nombre de bénévoles et d’adhérents.

Le dynamisme du monde associatif est un indicateur de la volonté d’engagement social et solidaire des citoyens, et ce texte a la vertu de poser la question de la manière dont nous pourrions envisager de lui donner un nouveau souffle, afin d’éviter que la démobilisation ne perdure.

La valeur de l’engagement associatif est précieuse, et la société que nous devrons reconstruire après cette crise ne doit pas laisser sur le bord de la route ce formidable secteur, pilier indispensable du tissu communautaire, vecteur de lien social et de solidarité.

Il faut nous en saisir ! Il est l’expression de l’engagement de chacun pour le bien commun au service de l’intérêt général.

Il symbolise la liberté de se réaliser, celle d’être utile aux autres en donnant de son temps, mais aussi de lutter contre l’isolement. Cette liberté, cette ouverture et cette possibilité de se construire ou de se reconstruire dans le cadre du monde associatif sont des valeurs suffisamment rares pour qu’elles méritent d’être encouragées, car elles restent aujourd’hui l’un des nobles moyens de prouver son engagement citoyen.

Pour toutes ces raisons, les réponses apportées doivent être justes et réellement incitatives.

Cependant, s’il est ici proposé de soutenir les associations en encourageant les dons et adhésions à travers une réduction d’impôt, le dispositif ne répond que très partiellement à leurs nécessités vitales, et risque d’aggraver les inégalités sociales et territoriales.

S’il est vrai que 20 % des associations ont besoin d’une aide financière exceptionnelle, leurs sujets d’inquiétude principaux se situent ailleurs. L’enjeu capital et nécessaire à leur survie reste, pour 68 % d’entre elles, de renouer avec leurs adhérents et, pour 38 % d’entre elles, de mobiliser les bénévoles. S’il est donc important d’envisager un soutien financier rapide à certaines associations, l’enjeu majeur est de ressusciter le lien avec ceux qui les font vivre.

En outre, il convient de rappeler que, en France, seuls 43 % des foyers fiscaux sont redevables de l’impôt sur le revenu. Ainsi, plus de la moitié des foyers ne seraient pas concernés par le dispositif proposé. Les effets positifs escomptés par le présent texte profiteraient surtout aux associations soutenues par des ménages relativement aisés.

Toute réduction d’impôt pour les ménages les plus aisés se traduit, en l’absence d’une compensation fiscale équivalente, par une réduction du service public ou des politiques de redistribution, et se traduit immanquablement par le creusement des inégalités et l’augmentation du taux de pauvreté. En conséquence, les pauvres paieraient le soutien des plus aisés à leurs associations !

Le rôle de l’État est pourtant de réunir les conditions pour que les citoyens et citoyennes puissent s’impliquer dans leurs associations. Voilà le vrai enjeu.

Reprécisons : la remobilisation des bénévoles dépend avant tout de l’amélioration de la conjoncture économique et de la situation sanitaire. Refaire vivre l’engagement au cœur du monde associatif, c’est assurer plus de sécurité financière aux ménages, c’est dissiper leur inquiétude du lendemain.

Or, ne nous leurrons pas, le spectre de la réforme des retraites, conjugué à celui de la réforme de l’assurance chômage, est un coup de poignard dans le dos des associations. Nous croyons sincèrement que des mesures fortes, comme le revenu d’existence ou la réduction du temps de travail, sont plus que jamais nécessaires. C’est ce que nous appelons de nos vœux.

Pour toutes ces raisons, nous nous abstiendrons de voter ce texte qui, s’il a le mérite de soulever des questions essentielles, ne contribue pas à résoudre la question de fond, sur laquelle nous attendons un engagement réel de l’État, qui s’enferre et s’obstine dans des politiques publiques contre-productives, et toujours au détriment des plus pauvres.

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme je l’ai dit en commission, cette proposition de loi a le mérite de nous inciter à nous interroger sur la situation de la vie associative.

Nous avons pu, avec nos collègues de la commission de la culture, et en nous appuyant sur les représentants du secteur, dresser un état des lieux après ces dix-huit mois de crise sanitaire. Arrêt des activités, annulation des événements et perte de bénévoles mettent aujourd’hui les associations dans une situation extrêmement tendue.

S’il faut mettre à l’honneur l’engagement des collectivités territoriales et le maintien des dons, et reconnaître l’intervention de l’État, les trous dans la raquette sont trop nombreux pour s’en satisfaire.

D’après les deux dernières enquêtes du mouvement associatif, 30 000 associations sont considérées comme en péril et 55 000 associations employeuses envisagent de réduire leurs effectifs, ou ont déjà procédé à des suppressions d’emplois. La reprise des activités, permise ces derniers mois, a par ailleurs montré la difficulté pour les associations d’attirer de nouveaux adhérents et bénévoles.

Au regard de ces éléments, nous ne pouvons donc nous satisfaire de la situation. Nous devons surtout nous interroger sur le modèle de soutien tel qu’il est mis en place. Pouvons-nous continuer, par exemple, à voir plus de 80 % des crédits consacrés au programme « Jeunesse et vie associative » vampirisés, si j’ose dire, par le service civique et le service national universel ? La plus-value sociale de ces deux dispositifs est somme toute restreinte, et le premier a montré de très nombreuses limites. J’ai d’ailleurs pu voir hier que le dispositif du revenu d’engagement semblait être enterré…

Plus largement, pouvons-nous nous satisfaire d’un soutien étatique aux associations qui passe plus largement par un abandon de recettes via la défiscalisation des dons ? On connaît tous les biais que cela crée… La proposition de loi qui nous est soumise créerait, excusez du terme, une concurrence entre les associations bénéficiant de la déduction à 66 % et celles bénéficiant de la déduction à 75 %. Nous avons tendance à être d’accord avec l’appréciation de notre commission des finances, exposée par le rapporteur, mais sans fermer les yeux sur le fait que la concurrence existe déjà et passe largement par la course aux dons. Tout l’enjeu d’un soutien étatique, c’est qu’il peut être universel.

Pouvons-nous enfin continuer à faire comme si le remplacement nécessaire de la réserve parlementaire par le Fonds pour le développement de la vie associative (FDVA) n’avait pas été un moins-disant pour les associations ? Non seulement la moitié des crédits ont disparu, mais nous constatons tous, depuis plusieurs années, une territorialisation du soutien aux associations, qui atteint aujourd’hui ses limites : 44 % des demandes de soutien sont déboutées, et les montants attribués sont largement inférieurs à ceux demandés.

Nos collègues du groupe du RDSE proposent de jouer sur les taux de défiscalisation pour encourager le don. Quand on voit la baisse des dons consécutive à la hausse de la CSG et au remplacement de l’ISF, le levier fiscal semble incitatif. Toutefois, la proposition de loi ne répond aucunement aux enjeux et pose même plusieurs problèmes à mes yeux.

Premièrement, il me semble qu’il faut remettre les choses en perspective. Le taux de 75 % existe déjà et concerne quasi exclusivement les associations d’aide aux personnes en difficulté ou victimes de violences. Sans nier l’intérêt social des associations sportives, culturelles et de loisirs, nous ne sommes pas dans le même cas. Pis, à lire la proposition de loi, les associations humanitaires et caritatives resteraient, elles, dans le champ des associations ouvrant droit à une réduction d’impôt de 66 %.

Deuxièmement, cela s’apparente à une fuite en avant, avec une dépendance aux dons encore renforcée. Nous aurons cette discussion lors de l’examen du projet de loi de finances, malgré les problèmes d’irrecevabilité. Il est urgent de réorienter la politique de soutien aux associations, en utilisant des leviers sous-utilisés aujourd’hui, comme le FDVA, mais aussi le Pass’Sport, qui pourrait être décliné, ou le pass Culture, sur lequel nous sommes plus circonspects, mais qui pourrait lui aussi être réorienté.

Malgré ces problématiques, nous nous abstiendrons sur cette proposition de loi. En effet, si nous sommes opposés au passage à 75 % de la réduction d’impôt, il est vrai que la question des leviers incitatifs à l’adhésion à une association se pose. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les membres du groupe Union Centriste remercient le groupe du RDSE d’avoir ouvert le débat sur l’accompagnement financier des associations, en particulier celles du monde sportif et du monde de la culture. Nous sommes néanmoins sensibles aux arguments avancés par le rapporteur Arnaud Bazin, mais aussi par Nadine Bellurot, à laquelle je veux rendre hommage pour son travail sur le sujet.

Chacune des réserves émises par nos rapporteurs nous paraît fondée. Le levier budgétaire, par le versement d’aides directes ciblées, est manifestement plus efficace pour soutenir le monde associatif que des mécanismes de dépense fiscale souvent mal calibrés et qui ne parviennent donc pas à atteindre le ou les objectifs fixés par le législateur.

Le soutien de l’État est loin d’avoir été négligeable puisque, comme cela a été rappelé, 600 millions d’euros d’aides spécifiques ont été versés dans le cadre de la crise sanitaire aux associations à vocation sportive, culturelle et récréative. Les aides budgétaires ont le mérite d’être tangibles pour l’ensemble des acteurs concernés.

À l’inverse, la portée incitative des réductions ou crédits d’impôt tels que ceux que proposent les auteurs de la présente proposition de loi apparaît souvent très aléatoire. Elle pourrait, en l’espèce, s’effacer devant un effet de pure aubaine, les bénéficiaires étant essentiellement ceux des contribuables qui, de toute manière, auraient pris d’eux-mêmes la décision de donner ou d’adhérer aux associations concernées.

Surtout, et notre collègue Bernard Delcros a insisté sur ce point en commission des finances, nous risquerions de créer des disparités entre associations, favorisant celles-ci, mais pénalisant celles-là, selon qu’elles sont ou non éligibles au taux majoré de réduction d’impôt sur le revenu.

C’est là précisément l’une des raisons pour lesquelles je suis, à titre personnel, défavorable à la multiplication des niches fiscales. J’estime que la loi fiscale doit être la même pour tous, sans qu’il faille réserver les mesures fiscales aux seules situations marginales que l’on désirerait modifier. Nous avons trop souvent tendance à intervenir pour tenter d’infléchir l’activité économique ou sociale dans un sens que nous espérons bénéfique.

Les faveurs interventionnistes font certes des heureux, ceux qui bénéficient des réductions ou des crédits d’impôt. De notre côté, nous sommes satisfaits au spectacle des contribuables qui viennent réclamer les avantages annoncés. Mais les constatations effectuées plus tard sont que les niches fiscales échouent souvent à redresser les situations auxquelles elles étaient censées remédier.

Plutôt que de créer de nouvelles dépenses fiscales, il me semble plus approprié d’en limiter le nombre et la portée. C’est une question d’équité autant que d’efficacité. À cet égard, l’abrogation, sur l’initiative du Gouvernement, loi de finances après loi de finances, de niches inefficientes, me paraît tout à fait justifiée. Sans doute faudra-t-il non pas entraver, mais accélérer ce mouvement de simplification et de clarification.

De manière plus générale, je suis farouchement opposé à toute mesure non financée, qu’elle soit ou non d’ordre fiscal.

Les interventions au moyen de niches fiscales présentent le double inconvénient d’avoir peu d’efficacité réelle et d’être très coûteuses. Leur accumulation conduit à un système fiscal d’une abyssale complexité, illisible pour le commun des contribuables. La fiscalité française, avec ses quelque 471 niches fiscales, si l’on en croit le rapport annexé au projet de loi de finances pour 2022, est devenue un maquis.

La pratique des niches, dont le nombre a augmenté depuis 2018, malgré l’effort de toilettage que j’ai évoqué, dégrade en profondeur le système fiscal en obligeant à compenser leur coût par la hausse des taux, qui deviennent alors excessifs, ou en creusant encore un peu plus le déficit faute d’économies budgétaires.

Les niches laissent non seulement des traces durables dans la législation fiscale, sous forme d’exceptions ou de régimes spéciaux, mais accentuent aussi les déséquilibres en diminuant les recettes. Pour ma part, vous le savez, mes chers collègues, je crois aux vertus de l’équilibre.

Pour l’ensemble des raisons évoquées par le rapporteur, et auxquelles je souscris, je voterai donc, avec l’ensemble du groupe Union Centriste, contre la proposition de loi, en dépit des intentions louables de ses auteurs. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Christian Bilhac. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens, au nom du groupe du RDSE, à remercier mon collègue Éric Gold d’avoir pris l’initiative de déposer cette proposition de loi, qui aborde un sujet de fond dont nous nous accordons tous ici à reconnaître l’importance.

À l’occasion de la crise sanitaire, l’État a versé 600 millions d’euros aux associations. Je m’inquiète et voudrais m’assurer que ces fonds aient aussi bénéficié au monde associatif qui en a le plus besoin, celui qui s’appuie en totalité sur l’engagement des bénévoles et qui n’a pas les moyens d’embaucher des salariés, je pense tout particulièrement aux acteurs associatifs du monde rural.

En premier lieu, il faut être particulièrement attentif à la répartition géographique de ces aides. Il semblerait qu’elle ait été assez déséquilibrée, notamment en faveur de l’Île-de-France et des grandes métropoles régionales.

Il faut considérer aussi la situation des plus petites associations, qui s’appuient sur les bénévoles et qui n’emploient pas de personnel. Elles n’ont pas eu accès aux crédits du chômage partiel ni bénéficié des aides à l’emploi durant la crise sanitaire ; plus généralement, elles n’ont reçu aucune aide, alors qu’elles ont été très durement frappées.

Les grosses associations ont eu accès à ces dispositifs, d’autant plus facilement qu’elles disposent des compétences et des moyens pour constituer leurs dossiers de demande de subvention, ce qui n’est pas le cas des petites associations qui ont donc subi, en quelque sorte, une double peine.

Pourtant le rôle de ces associations de proximité est essentiel : qu’elles soient sportives, culturelles ou récréatives, elles font vivre le tissu social, comme je le vois dans ma commune. Elles s’appuient sur des bénévoles qui s’engagent toute l’année pour les animer, sacrifiant souvent beaucoup de leur temps, de leur vie privée et parfois même de leurs moyens financiers personnels, pour assurer le fonctionnement matériel de ces structures associatives.

Les mesures de défiscalisation prévues par cette proposition de loi sont donc bienvenues en cette période de sortie de crise sanitaire, pleine d’incertitudes sur l’avenir de la pandémie.

Comme je l’ai rappelé en commission, j’ai interrogé oralement le Gouvernement dès le mois de février pour souligner le rôle essentiel des associations dans le monde rural.

Mme la secrétaire d’État Olivia Gregoire m’a répondu en évoquant cette aide de 600 millions d’euros aux associations. Depuis, j’ai mené mon enquête et, dans ma commune qui compte six associations sportives, culturelles ou récréatives, il s’avère qu’aucune d’entre elles n’a touché le moindre euro. Une fois de plus, les communes rurales et les associations rurales ont été les oubliées.

Il faut donc faire quelque chose ! Ce tissu associatif, je le répète, est essentiel. Les caisses sont vides, les adhérents sont partis et les bénévoles sont quelque peu désemparés. C’est pourquoi les dons de proximité au bénéfice de ces bénévoles qui encadrent ces associations pourraient soulager la situation financière de ce tissu associatif.

Lorsque la puissance publique ne parvient pas à atteindre toute sa cible, lorsqu’elle laisse certaines associations sur le bord du chemin, il n’est pas illégitime d’encourager les initiatives citoyennes.

Pour toutes ces raisons, le groupe du RDSE soutiendra cette proposition de loi, ainsi que les amendements qui ont été déposés pour améliorer la rédaction du texte initial. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jacques Grosperrin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi du groupe du RDSE visant à encourager les dons et adhésions aux associations à vocation culturelle, sportive et récréative dans le contexte sanitaire actuel a été rejetée par la commission des finances. Je ne reviendrai pas sur les motifs de ce rejet. Je les comprends, du principe de non-rétroactivité à celui d’égalité, du doute sur le concept de « récréatif » au rappel des aides versées pendant la crise. C’est donc bien ici du texte initial de la proposition de loi que nous débattons.

J’ai beaucoup travaillé sur ce sujet et je partage les préoccupations de mes collègues du groupe du RDSE. Je m’attacherai ici essentiellement au secteur sportif, même si l’ensemble du domaine associatif nécessite attention et soutien.

En février dernier, j’ai posé à Mme la ministre déléguée chargée des sports une question orale sur la situation financière très délicate des clubs sportifs, dont les activités étaient à l’arrêt depuis plusieurs mois. La reprise des activités pour les sports collectifs comme pour les sports individuels nous réjouit tous. Elle ne saurait toutefois dissimuler la réalité du secteur sportif en France à l’heure actuelle ni les problèmes auxquels il continue de faire face.

J’avais proposé des mesures exceptionnelles et je considère que mes propositions restent d’actualité. J’avais en particulier avancé l’idée qu’il soit possible de convertir les cotisations et adhésions d’ores et déjà versées en dons, sous réserve que les associations sportives remplissent les conditions pour en recevoir. Mon argumentaire touchait à la sécurisation des activités aussi bien qu’au maintien des emplois, préconisant ces mesures financières et fiscales exceptionnelles pour répondre à une situation elle-même exceptionnelle.

Je le répète, l’amélioration du contexte sanitaire n’a pas bouleversé l’équation : le sport français souffre, les menaces sont réelles. Il serait illusoire de se réjouir prématurément d’une amélioration qui viendrait automatiquement avec la reprise, qui date d’il y a à peine quelques semaines.

Mme la ministre m’avait répondu de façon prudente. Consciente des conséquences graves d’une saison blanche, elle ne rejetait pas a priori mes propositions. Nul n’ignore les aides versées pendant la crise. Beaucoup de mesures ont été prises pour soutenir les associations : mesures transversales, sectorielles, ensemble des mesures en faveur des associations sportives et culturelles. Je pense au fonds d’urgence du ministère de la culture, mais surtout au fonds d’urgence de l’Agence nationale du sport abondé à hauteur de 15 millions d’euros, et à l’allocation de rentrée scolaire sportive, qui représente 50 euros par enfant.

Nous n’en sommes pas quittes pour autant, au vu de la situation du sport aujourd’hui en France et de la place qui lui est laissée. Le rôle des structures et des éducateurs va au-delà du sport lui-même. C’est un outil d’accompagnement éducatif essentiel qui permet de travailler sur beaucoup d’autres thématiques : aide scolaire, citoyenneté, insertion des jeunes.

Le sport est vecteur de lien social et porteur de valeurs. La volonté de portage global de l’ensemble du secteur confié à monsieur le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, ne doit pas être vaine. Le sport doit disposer des moyens d’une vision républicaine ambitieuse. Cette vision ne peut se réduire à des considérations strictement juridiques ou administratives, au sortir de la période que nous venons de vivre et compte tenu des préoccupations d’une partie de notre jeunesse.

Je veux donc souligner à la fois les efforts de l’État et leur insuffisance, qui perdure. Je m’appuie sur de bonnes sources : celles des propos du Président de la République, tenus lorsqu’il a accueilli en septembre dernier les médaillés français olympiques et paralympiques de retour des jeux de Tokyo. Le président a affirmé que le bilan de Tokyo, décevant, n’était pas celui attendu, et annoncé sa volonté de « faire beaucoup plus » aux jeux de Paris en 2024. Il a promis que l’État ne ferait pas défaut pour soutenir le sport français et ses sportifs de haut niveau.

L’objectif affiché par le Président de la République de faire enfin de la France une « nation sportive » dans la perspective de 2024 est-il atteignable ? Les choses ne sont pas aussi simples. Les retards se sont accumulés et la crise du covid-19 n’a fait qu’y ajouter. Il est difficile de tout bousculer en trois ans. Il est impossible également, sauf à méconnaître complètement ce qu’est le sport ou à ne l’avoir jamais pratiqué, de prétendre que des médailles olympiques pourraient être le retour sur investissement automatique d’un argent public alloué dans l’urgence. Les sportifs, à tous les niveaux, méritent davantage de considération.

Je retiens le message sur les moyens : dans l’attente des mesures concrètes annoncées, notamment d’un plan massif pour les équipements sportifs de proximité, nous devons adopter les mesures qui aideront efficacement le sport dans le quotidien de ses pratiquants. Évitons la disparition d’une partie de nos clubs. Ils forment les championnes et champions du sport français de demain. Ne négligeons aucun moyen, car il y a un lien direct entre la base et la haute performance. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Didier Rambaud. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’intention des auteurs de cette proposition de loi est louable. Ce texte a le mérite, en effet, de faire un état des lieux sur notre tissu associatif. Cependant, le groupe RDPI ne votera pas son adoption. Il y a deux raisons à cela : tout d’abord, le dispositif lui-même appelle quelques réserves de ma part ; ensuite, l’État s’est déjà pleinement mobilisé pour soutenir les associations à vocation sportive, culturelle et récréative.

Cette proposition de loi présente deux dispositifs distincts. D’une part, il est prévu de majorer à 75 % le taux de la réduction d’impôt sur les dons, contre 66 % actuellement. D’autre part, il est proposé de créer un crédit d’impôt temporaire, assis sur les adhésions souscrites au cours de l’année 2021. Le taux de ce crédit d’impôt serait égal à 50 % des dépenses engagées, dans la limite de 100 euros par souscription. Comme cela a été souligné en commission, le dispositif ne nous est pas totalement inconnu, puisqu’il a été présenté par voie d’amendement en juillet dernier, lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative pour 2021.

Faire évoluer la législation pour faciliter le quotidien des associations me semble essentiel. Élu local pendant de nombreuses années, j’y suis, comme vous tous, très attaché. Néanmoins, la majoration de réduction d’impôt est permanente et ne cible pas spécifiquement la période de reprise du secteur. Par ailleurs, de très nombreux organismes seraient éligibles à la réduction d’impôt. De ce fait, on peut craindre que la majoration de taux ne bénéficie en réalité qu’aux grosses structures, capables de mener des collectes de dons. En effet, les petites associations qui n’emploient pas de salariés n’ont pas les moyens humains pour émettre des reçus fiscaux. Si l’intention est louable, le dispositif semble donc inadapté.

J’ajoute que la seconde disposition ne concerne que les sommes versées jusqu’au 31 décembre 2021. Force est de constater le caractère tardif de la proposition de loi. Cette inscription tardive à l’ordre du jour retire, il me semble, son effet incitatif à la mesure. Elle serait rétroactive certes, mais ne permettrait pas de participer à la relance.

Or je suis convaincu que l’enjeu actuel est bien la relance du pays, la relance du sport, la relance de la culture, la relance de nos associations !

Nous l’avons constaté : l’impact de la crise a été majeur pour le monde associatif, qui a subi une chute exceptionnelle de ses activités et une baisse des adhésions.

La situation s’avère toutefois plus nuancée. Comme le rappelle notre collègue Nadine Bellurot dans son rapport, les subventions publiques ont été maintenues et près de 79 000 associations employeuses ont pu bénéficier de l’activité partielle. Avec du recul, le plan de relance a globalement consacré 122 millions d’euros au seul secteur sportif et 2 milliards d’euros en direction des acteurs de la culture.

Dans le détail, le plan de relance a prévu l’augmentation du nombre de parcours emploi compétences dans le cadre du dispositif « 1 jeune, 1 solution », passant ainsi à 80 000 contrats en 2021, contre 20 000 initialement prévus.

Je souhaite également revenir sur le renforcement du dispositif des postes du Fonds de coopération de la jeunesse et de l’éducation populaire : 2 000 postes supplémentaires ont été créés pour 2021 et 2022, afin de permettre aux associations de pérenniser leurs actions.

Le sport a été également soutenu grâce au dispositif d’aide à l’emploi associatif dans le secteur sportif à destination des jeunes. Je pense au doublement du dispositif Sésame, destiné à accompagner des jeunes de 16 ans à 25 ans vers une formation d’éducateur sportif ou d’animateur. Je pense également au Pass’Sport, qui représente à lui seul le dispositif sectoriel le plus ambitieux, avec un montant estimé à 200 millions d’euros pour les associations sportives, culturelles et récréatives.

À ce propos d’ailleurs, le crédit d’impôt cumulé au Pass’Sport signifierait non seulement que l’État prendrait en charge les adhésions par la subvention, mais ajouterait à la subvention directe un crédit d’impôt, faisant ainsi passer la prise en charge au-delà de 100 % ! Au total, hors mesures transversales, environ 600 millions d’euros d’aides spécifiques ont été déployés afin de préserver la diversité du tissu associatif français.

Dans la mesure où l’articulation des dispositifs me paraît inadaptée, dans la mesure où la proposition de loi est examinée à contretemps et dans la mesure où le Gouvernement a soutenu, et continue de soutenir massivement le monde associatif, le groupe RDPI votera contre la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Franck Menonville.

M. Franck Menonville. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre société gardera longtemps les stigmates des restrictions sanitaires. La pandémie nous a contraints à prendre des mesures de distanciation sociale particulièrement éprouvantes pour nous tous. Cette période difficile aura au moins eu le mérite de nous rappeler une évidence : nous avons tous besoin de lien social.

Tout au long de la crise sanitaire, le tissu associatif s’est révélé aussi essentiel que fragile ; essentiel, car la société ne peut se passer de ses associations ; fragile, car les associations ne vivent que par l’engagement volontaire et les relations humaines.

C’est pourquoi je salue l’initiative du groupe du RDSE, et en particulier de notre collègue Éric Gold. La proposition de loi que nous examinons nous donne aujourd’hui l’occasion de nous interroger sur la situation du secteur associatif et de la placer au cœur de nos débats.

Depuis le début de la crise, beaucoup a été fait en faveur des acteurs de la vie associative. Nous connaissons votre engagement, madame la secrétaire d’État. Vous avez rappelé les initiatives que le Gouvernement a déjà prises, auxquelles il convient d’ajouter les nombreuses initiatives qu’ont prises également les collectivités territoriales.

Cette proposition de loi permettrait d’agir de façon complémentaire, en encourageant les souscriptions aux associations culturelles et sportives. Le dispositif vise en effet à encourager les Français à soutenir leurs structures de proximité et surtout, à s’engager dans le temps long.

Il a été dit que ce levier manquait un peu de pertinence, au motif qu’une faible part des ressources provient des adhésions. Cela revient à opposer le problème à la solution. Il n’est pas toujours souhaitable que le secteur associatif vive essentiellement des subventions publiques. Plus les ressources issues des contributions volontaires seront importantes, plus le lien avec les adhérents sera fort.

C’est pourquoi il me semble pertinent d’encourager ces souscriptions. Bien sûr, le dispositif n’est pas parfait. Bien sûr, il doit s’articuler avec les dispositifs existants. Bien sûr, il faut trouver le bon calendrier pour le mettre en œuvre, beaucoup d’orateurs précédents l’ont évoqué.

Soyons clairs : il est très peu probable que ce dispositif voie effectivement le jour. Nous continuerons donc de soutenir les dispositifs existants en faveur des associations, notamment le Pass’Sport pour les associations sportives. Le secteur associatif a trop souffert pendant la crise sanitaire. Nous devons donc envoyer un signal positif. Pour ma part, je soutiendrai cette initiative, même si, bien évidemment, je la considère comme perfectible. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Éric Jeansannetas.

M. Éric Jeansannetas. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en 2021, seulement 27 % des associations jugent leur situation bonne ou très bonne. Elles étaient 44 % en 2019 et ce chiffre n’a cessé de diminuer depuis. Ce chiffre, issu de l’enquête Covid-19 : où en sont les associations un an après ?, est révélateur des nombreuses difficultés auxquelles est confronté le monde associatif.

Je tiens donc à remercier chaleureusement mon collègue Éric Gold pour sa proposition de loi. Elle nous permet de mettre en lumière la situation de nos nombreuses associations qui jouent, nous en sommes tous conscients, un rôle indispensable dans notre pays.

Je partage son diagnostic : la crise sanitaire a durement touché le monde associatif. Beaucoup de structures se sont retrouvées à l’arrêt, ce qui a affecté leur trésorerie, leurs bénévoles et le lien avec leurs adhérents. En avril 2021, 40 % des associations, j’insiste sur ce chiffre, n’avaient pas repris leur activité.

Les dispositifs de soutien ont permis d’amortir, dans une certaine mesure, les effets de la crise, notamment le chômage partiel, qui a bien fonctionné. Toutefois, l’extrême variété du monde associatif implique des situations disparates selon les structures.

Le référé de la Cour des comptes en date du 10 mars 2021 indique que seulement 10 % des associations éligibles ont fait appel au fonds de solidarité. Avec un modèle fondé sur le chiffre d’affaires, ce fonds a été pensé pour les entreprises, non pour les associations et encore moins pour les petites structures.

Le fonds de soutien à l’économie sociale et solidaire, plus tardif, a été certes plus efficace, même si beaucoup d’associations n’y ont pas eu accès pour diverses raisons, notamment une certaine complexité administrative.

Au bout du compte, il apparaît tout de même que 40 % des associations attestent d’une perte de revenus d’activités significative en 2021, contre 29 % en 2020. L’une des préoccupations majeures des associations est ainsi la confirmation des subventions annoncées, de manière à disposer d’une certaine visibilité sur le moyen et sur le long terme.

Le texte que nous examinons aujourd’hui vise à activer le levier fiscal pour venir en aide aux associations. Il comporte deux objets : le premier consiste à relever le plafond de la déduction d’impôt de 66 % à 75 % pour les dons aux associations culturelles, sportives et récréatives, pour un montant inférieur ou égal à 1 000 euros ; le second ouvre droit à un crédit d’impôt égal à 50 % du montant de la souscription, dans la limite de 100 euros par souscription.

En ce qui concerne la première mesure, s’il est bien entendu louable de chercher à encourager les dons, il est possible de douter de son efficacité réelle dans la pratique. En effet, aucune étude n’atteste des effets positifs des dispositifs « Notre-Dame » ou « Coluche », sur lesquels se calque la mesure, malgré leur coût pour les finances publiques.

Je vous rappelle que le coût annuel du dispositif « Coluche » se situerait, selon les estimations, entre 80 millions et 100 millions d’euros et que la Cour des comptes a évalué, dans un rapport de septembre 2020 dressant un premier bilan de la reconstruction de Notre-Dame, le coût fiscal pour l’État à 48 millions d’euros au maximum pour le seul impôt sur le revenu.

Le champ d’application très large de cette déduction, qui concernerait 64 % des associations françaises, c’est-à-dire environ 893 000 structures, pourrait par ailleurs empêcher les petites structures, moins à même de mener des campagnes de dons, d’en bénéficier réellement.

Plutôt que de complexifier encore davantage le régime fiscal applicable à l’impôt sur le revenu, aux donations et aux adhésions, peut-être devrions-nous nous interroger sur la pertinence, à terme, d’une refonte complète du régime fiscal existant pour le financement des activités associatives, mais aussi, pourquoi pas, politiques ou syndicales.

En revanche, le crédit d’impôt pourrait constituer un outil intéressant pour mobiliser les adhérents, et c’est bien là la préoccupation première des associations. Il ressort de l’étude que j’ai citée en tout début d’intervention que le maintien du lien avec les bénéficiaires ou adhérents est une source d’inquiétude pour plus des deux tiers des associations. Il s’agit de la source d’inquiétude la plus fréquemment rapportée dans ces statistiques.

En tant que rapporteur spécial de la mission « Sport, jeunesse et vie associative », j’ai eu l’occasion d’auditionner le mouvement associatif. Ce dernier estime que cette mesure pourrait se révéler utile et souhaite la travailler avec le ministère et les commissions des finances des deux assemblées.

La proposition de loi vise à créer un crédit d’impôt qui serait en quelque sorte l’équivalent fiscal des politiques publiques territoriales menées par de nombreuses collectivités sous la forme d’un « chèque d’adhésion associative » ou « chèque sport ». Il convient de noter que cette limite de 100 euros s’applique par adhésion et semble ainsi en l’état cumulable, pour une personne qui adhérerait à plusieurs associations.

Cette mesure paraît de plus quelque peu inaboutie, notamment sur le plan du financement. Par ailleurs, elle ne crée pas une incitation immédiate, puisque son effet n’interviendrait, en cas de mise en œuvre du texte dans les semaines à venir, qu’en 2023, ainsi que l’a rappelé notre rapporteur. Elle présente cependant l’avantage de permettre d’inciter à l’adhésion toutes les familles qui ne paient pas d’impôt sur le revenu. Il me semble donc opportun de creuser cette piste de travail dans les semaines à venir.

Au-delà des questions de ressources, le monde associatif connaît depuis quelques années une crise du bénévolat, qui a sûrement été aggravée par la pandémie. Nous devons donc faire tout notre possible pour redonner aux Français l’envie de s’engager.

Le tissu associatif nous permet de faire vivre nos territoires. Il crée du lien social, répond à d’innombrables besoins de la population et constitue le socle de notre vivre ensemble, vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État.

Enfin, je souhaite profiter de cette tribune pour rendre hommage, d’une part aux collectivités territoriales, qui n’ont jamais cessé d’être à l’écoute des associations et de les accompagner et, d’autre part, aux associations, qui relèvent le défi de l’après-crise.

En conclusion, je remercie de nouveau mon collègue Éric Gold d’avoir ainsi attiré l’attention de notre Haute Assemblée sur la situation du monde associatif. Compte tenu des réserves que j’ai exprimées – je m’en excuse –, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’abstiendra sur ce texte, qui devra toutefois servir de piste de réflexion à un prochain travail destiné à soutenir le monde associatif. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Didier Rambaud applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie.

M. Marc Laménie. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur – en association avec notre collègue Nadine Bellurot –, mes chers collègues, permettez-moi de saluer l’initiative qu’ont prise le groupe RDSE et, en particulier, M. Éric Gold avec le dépôt de cette proposition de loi visant à encourager les dons et adhésions aux associations à vocation sportive, culturelle et récréative dans le contexte de l’épidémie de covid-19.

La crise sanitaire a eu, depuis mars 2020, de terribles répercussions sur le monde économique, social et associatif. Elle a entraîné une chute exceptionnelle des activités associatives. Certes, l’État a soutenu financièrement les associations à vocation sportive, culturelle et récréative, qui, selon le rapport de la commission, représentent 64 % du total des associations en France, soit 892 603 structures.

Pour autant, pendant cette période, tout s’est arrêté. Faute de bénévoles, nombre de petites structures n’ont pu tenir leurs assemblées générales, en particulier dans les villages. Ce fut le cas, par exemple, pour les trois ou quatre associations de la petite commune dont j’ai été maire.

La situation fut difficile également pour les structures beaucoup plus importantes et leurs salariés. Je pense aussi aux associations patriotiques et de mémoire, qui nous tiennent particulièrement à cœur, tant nous sommes toutes et tous attachés au devoir de mémoire. Ces associations, qui portent les valeurs hautement symboliques de la République, ont rencontré beaucoup de problèmes. Les bénévoles porte-drapeaux, par exemple, ont été sevrés de cérémonies qui, quand elles se tenaient, ont eu lieu en comité très restreint.

Heureusement, ces derniers mois, ces associations ont pu réunir à nouveau leurs assemblées générales, ce qui leur redonne un peu de vie. Les pouvoirs publics ont soutenu les associations au maximum, c’est vrai. Je n’oublie pas non plus les différentes lois de finances rectificatives, notamment celles de l’an dernier. Elles ont instauré différents dispositifs d’exonérations ou de reports de charge, ainsi que des prêts garantis par l’État, qui ont concerné de nombreuses associations.

Les subventions publiques ont été versées par l’État, mais également par les collectivités territoriales, qui soutiennent les bonnes volontés et les salariés qui œuvrent au sein des différentes associations.

La commission des finances estime que près de 600 millions d’euros d’aides spécifiques, hors mesures transversales, ont ainsi bénéficié aux associations sportives, culturelles et récréatives dans le cadre de la crise sanitaire. Cette somme comprend notamment 141 millions d’euros consacrés à l’augmentation des missions de service civique pour l’ensemble des associations, et 200 millions d’euros pour le Pass’Sport.

En matière de culture, le soutien aux festivals a mobilisé 30 millions d’euros, le soutien au spectacle vivant dans les territoires – théâtre, musique, cinéma – 53 millions d’euros. Grâce à ces aides, le festival Cabaret Vert, organisé par l’association FLaP, et le festival mondial des théâtres de marionnettes ont pu se tenir en août et en septembre dans les Ardennes.

Pour atteindre l’objectif de la proposition de loi, l’outil budgétaire apparaît globalement mieux adapté que l’outil fiscal. Pour toutes les raisons développées précédemment par mes collègues, en particulier par notre rapporteur, qui a notamment souligné les différences de traitement par rapport aux autres organismes d’intérêt général, il conviendrait de retravailler légèrement ces dispositifs.

Notre groupe suivra donc l’avis de la commission des finances. Bien que saluant l’initiative du groupe du RDSE, il votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Sarah El Haïry, secrétaire dÉtat. Ce débat nous a permis d’évoquer l’importance du travail associatif, mise en lumière par les travaux du groupe du RDSE et du sénateur Gold.

Au-delà du soutien continu aux associations dans toute leur diversité, notre mission consiste assurément à leur faciliter la vie et à faire en sorte que les bénévoles reviennent.

Dès le mois de novembre et afin d’alléger la charge administrative qui pèse trop lourdement, nous le savons, sur les bénévoles, l’outil Le Compte Asso leur permettra, par exemple, de ne renseigner qu’une seule fois leur statut et qu’une seule fois leur pièce d’identité.

Nous allons par ailleurs réviser le Pass’Sport, et l’élargir pour intégrer notamment un certain nombre d’associations dites récréatives – le secteur de la danse, par exemple –, qui se trouvaient jusqu’ici entre deux catégories.

Nous veillons également à l’accompagnement au quotidien. Je citerai ici l’initiative de ma collègue Olivia Gregoire, qui a permis que les associations qui n’étaient pas allées au bout de leur demande d’aides soient rappelées par France Active. Nous faisons face, c’est vrai, à un manque d’ingénierie.

Je retiendrai de vos propos liminaires la reconnaissance du soutien financier apporté aux associations pendant la crise, à la fois par l’État et par les collectivités territoriales, mais aussi l’importance du soutien humain, pour accompagner le retour des bénévoles à ce qui fait l’essentiel de leur engagement en leur facilitant la vie au maximum. Il convient de s’appuyer encore et toujours sur le soutien des collectivités, qui connaissent de près les associations.

Je terminerai par le soutien nécessaire aux associations patriotiques, qui ont été privées également d’une partie de leur raison d’être pendant le confinement, mais qui permettent de créer du lien entre les générations. Ce lien entre les générations, c’est aussi la transmission d’un engagement qui est absolument essentiel, dans un moment où notre pays a besoin d’unité.

En résumé, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, il faut apporter à nos associations un soutien financier, bien sûr ; un soutien qui leur facilite la vie, toujours ; enfin, un soutien visant à accompagner l’engagement de toutes les générations, dès le plus jeune âge, en profitant du fait que la vie associative et la jeunesse sont au cœur des missions du ministère de l’éducation nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.

proposition de loi visant à encourager les dons et adhésions aux associations à vocation sportive, culturelle et récréative dans le contexte de l’épidémie de covid-19

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à encourager les dons et adhésions aux associations à vocation sportive, culturelle et récréative dans le contexte de l'épidémie de covid-19
Article unique (début)

Articles additionnels avant l’article unique

M. le président. L’amendement n° 7 rectifié bis, présenté par MM. Gold, Requier, Bilhac, Artano et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Fialaire et Guérini, Mme Guillotin et MM. Roux, Guiol et Corbisez, est ainsi libellé :

Avant l’article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article L. 131-7 du code du sport est complété par une phrase ainsi rédigée : « Elles peuvent également prendre en charge tout ou partie du financement des inscriptions des enfants de moins de douze ans au sein des associations sportives. »

La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Avec votre permission, monsieur le président, je présenterai également l’amendement n° 8 rectifié bis.

M. le président. J’appelle également en discussion l’amendement n° 8 rectifié bis, présenté par MM. Gold, Requier, Bilhac, Artano et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Fialaire et Guérini, Mme Guillotin et MM. Roux, Guiol et Corbisez, et ainsi libellé :

Avant l’article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le deuxième alinéa de l’article L. 333-3 du code du sport est complété par une phrase ainsi rédigée : « La convention prévoit également de reverser une part significative de ces produits aux associations non professionnelles. »

Veuillez poursuivre, mon cher collègue.

M. Jean-Claude Requier. Ces deux premiers amendements visent à offrir des financements complémentaires aux clubs sportifs amateurs, qui ont été particulièrement touchés pendant la crise sanitaire. D’après une enquête réalisée par le Comité olympique français en octobre 2020, sur un échantillon de 36 000 clubs, on constatait un déficit de recettes de 376 millions d’euros. Cette baisse de ressources s’est ensuite amplifiée du fait de l’arrêt prolongé des activités.

Neuf clubs sur dix reposent uniquement sur le bénévolat et n’ont donc pas pu bénéficier du chômage partiel. Pour autant, beaucoup se sont organisés pour continuer à proposer des activités à distance et pour faire revenir les adhérents lors de la reprise.

L’amendement n° 7 rectifié bis vise à faire en sorte que les fédérations qui auraient des réserves prennent à leur charge les adhésions des moins de 12 ans dans les clubs.

L’amendement n° 8 rectifié bis vise à prévoir qu’une part significative des produits issus des droits d’exploitation audiovisuelle des clubs professionnels soit reversée aux clubs amateurs.

L’enjeu, au-delà de la survie de ces associations qui sont au cœur du lien social sur nos territoires, est d’ordre sanitaire. Le sport est indispensable à la santé. Or on sait que les confinements successifs ont entraîné une chute brutale de la pratique sportive, notamment chez les plus jeunes, chute qualifiée de « bombe à retardement sanitaire, qui va augmenter dans la durée les risques de pathologies », par le cardiologue du sport François Carré dans une tribune publiée dans Le Monde en février 2021.

Ces deux amendements visent donc à donner un coup de pouce supplémentaire aux clubs amateurs pour relancer leur activité et la pratique sportive des plus jeunes.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Arnaud Bazin, rapporteur. L’amendement n° 7 rectifié bis vise à rendre gratuite pour les enfants de moins de 12 ans la part revenant aux fédérations lors des inscriptions dans les clubs sportifs – une part allant aux fédérations lors des inscriptions et une part allant aux clubs.

La commission des finances y est défavorable, par cohérence avec son avis général sur le texte. Je donnerai néanmoins quelques éléments d’éclairage autour de cette question.

Tout d’abord, les fédérations ont déjà la possibilité d’ajuster leurs tarifs en fonction de l’état de fonctionnement des clubs et des capacités des adhérents à payer.

Par ailleurs, ce dispositif ne nous semble pas opérationnel ni réaliste, car de nombreuses fédérations sportives, à en croire les documents budgétaires, sont en situation financière déjà fragile. Leur nombre risque de tripler entre 2020 et 2022.

Il ressort de ces éléments d’analyse que trois fédérations sont déjà identifiées comme fragiles et cinq en situation dégradée. Il nous paraît donc difficile de les soumettre à une tension financière supplémentaire.

Enfin, cet amendement semble redondant avec les nombreuses initiatives qui ont déjà été mises en œuvre, je pense notamment au Pass’Sport. En pratique, quelque 5,4 millions d’enfants devraient bénéficier du Pass’Sport, à hauteur de 50 euros par enfant. Ce sont déjà des sommes considérables.

Pour toutes ces raisons, la commission est globalement défavorable à cet amendement.

L’amendement n° 8 rectifié bis vise à « rééquilibrer » les moyens financiers entre les associations sportives professionnelles et les associations sportives non professionnelles. Cet amendement soulève à nos yeux plusieurs difficultés.

Tout d’abord, la notion de « part significative » semble très imprécise et sujette à des interprétations variables selon les fédérations. Qu’entendons-nous par « part significative » ? Où faut-il placer le curseur ?

Dans ce contexte, il y a fort à craindre que l’adoption de cet amendement ne change pas grand-chose à la situation existante puisque les associations non professionnelles bénéficient d’ores et déjà d’une partie de ces produits d’exploitation.

Par ailleurs, vous n’ignorez pas que ce sujet est particulièrement épineux. Un équilibre a été trouvé aujourd’hui. Faut-il prendre le risque de fragiliser davantage les clubs professionnels ? Il semblerait plus pertinent d’aborder ce sujet dans le cadre des discussions budgétaires sur la mission « Sport, jeunesse et vie associative » afin de prendre en compte l’équilibre global des financements alloués aux associations sportives.

Pour toutes ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Sarah El Haïry, secrétaire dÉtat. Mon avis s’inscrira dans la continuité des propos du rapporteur. Le déploiement du Pass’Sport, qui vise à faciliter l’accès au sport pour les plus jeunes a évidemment vocation à s’élargir encore et à s’adapter. L’objectif visé par les auteurs de l’amendement n° 7 rectifié bis est louable, mais j’émets un avis défavorable.

Quant à l’amendement n° 8 rectifié bis, un système redistributif entre les associations professionnelles et amateurs existe déjà. La diversité des fédérations nous oblige à nous appuyer sur la même argumentation que celle qui a été avancée par M. le rapporteur. J’émets donc également un avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 7 rectifié bis.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 8 rectifié bis.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel avant l'article unique - Amendements n° 7 rectifié bis et n° 8 rectifié bis
Dossier législatif : proposition de loi visant à encourager les dons et adhésions aux associations à vocation sportive, culturelle et récréative dans le contexte de l'épidémie de covid-19
Article unique (fin)

Article unique

I. – Le II de la section V du chapitre Ier du titre Ier de la première partie du livre Ier du code général des impôts est ainsi modifié :

1° Le 20° est ainsi modifié :

a) Au b du 1 de l’article 200, le mot : « sportif, » et le mot : « culturel, » sont supprimés ;

b) La première phrase du premier alinéa du 1 ter du même article 200 est complétée par les mots : « , et au profit d’œuvres ou d’organismes d’intérêt général ayant un caractère sportif, culturel ou récréatif » ;

2° Il est ajouté un 36° ainsi rédigé :

« 36° Crédit d’impôt sur les souscriptions aux associations à caractère sportif, culturel ou récréatif au titre de l’année 2021

« Art. 200 septdecies. – I. – Lorsqu’elles n’entrent pas en compte pour l’évaluation des revenus des différentes catégories, ouvrent droit à un crédit d’impôt sur le revenu les sommes versées, jusqu’au 31 décembre 2021, par un contribuable domicilié en France au sens de l’article 4 B, au titre de la souscription à une association à caractère sportif, culturel ou récréatif entre le 1er janvier et le 31 décembre 2021.

« II. – Le crédit d’impôt est égal à 50 % des dépenses mentionnées au I effectivement supportées par le contribuable. Le montant du crédit d’impôt ne peut excéder 100 € par souscription.

« Le crédit d’impôt est imputé sur l’impôt sur le revenu après imputation des réductions d’impôt mentionnées aux articles 199 quater B à 200 bis, des crédits d’impôt et des prélèvements ou retenues non libératoires. S’il excède l’impôt dû, l’excédent est restitué.

« III. – Les sommes mentionnées au I ouvrent droit au bénéfice du crédit d’impôt, sous réserve que le contribuable soit en mesure de présenter, à la demande de l’administration fiscale, un reçu répondant à un modèle fixé par l’administration établi par l’organisme auprès duquel est souscrite l’adhésion. Le reçu mentionne le montant et la date des versements effectués ainsi que l’identité et l’adresse des bénéficiaires et de l’organisme émetteur du reçu. »

II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

M. le président. L’amendement n° 4 rectifié, présenté par MM. Gold, Requier, Bilhac, Artano et Cabanel, Mmes M. Carrère et N. Delattre, MM. Fialaire et Guérini, Mme Guillotin et MM. Roux, Guiol et Corbisez, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

1° À titre dérogatoire pour les revenus perçus en 2021, le 20° est ainsi modifié :

La parole est à M. Éric Gold.

M. Éric Gold. L’examen en commission de la proposition de loi a mis en évidence une imprécision concernant la période d’application de l’extension de la réduction d’impôt à 75 %.

Si le crédit d’impôt pour les souscriptions aux associations à vocation sportive ou culturelle est déjà limité dans le temps, puisqu’il concerne les souscriptions effectuées au cours de l’année 2021, un doute pouvait subsister pour la réduction d’impôt.

Il est ainsi proposé de limiter dans le temps l’extension de la réduction d’impôt de 75 % aux revenus perçus également au cours de l’année 2021.

L’objectif de cette proposition de loi est avant tout d’apporter un soutien ponctuel au monde associatif, confronté depuis l’an dernier aux conséquences de la crise sanitaire. L’extension de la réduction d’impôt de 75 % aux dons aux associations à vocation sportive ou culturelle ne s’appliquera ainsi qu’aux dons effectués en 2021, dans un souci d’optimiser l’incidence budgétaire de ces mesures.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Arnaud Bazin, rapporteur. Cet amendement irait a priori dans le bon sens, puisqu’il vise à limiter l’application de la mesure aux revenus perçus en 2021. Sa rédaction soulève cependant des difficultés techniques.

Tel qu’il est rédigé, l’amendement n’exclut pas l’application du plafond de 1 000 euros pour l’année 2020, prévue au 1 ter de l’article 200 du code général des impôts.

De surcroît, il pose un problème légistique : il aurait fallu inclure cette précision directement dans le dispositif. Cet amendement n’est donc pas opérant.

Enfin, étant donné que la commission préconise le rejet du texte, je suis défavorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Sarah El Haïry, secrétaire dÉtat. Le Gouvernement est extrêmement attaché au monopole des lois de finances en matière fiscale. Au-delà, l’effet d’éviction a été particulièrement souligné par l’ensemble des sénateurs en ce qui concerne la concurrence entre les associations. J’émets donc un avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 4 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 3 rectifié, présenté par MM. Gold, Requier, Bilhac, Artano et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Fialaire et Guérini, Mme Guillotin et MM. Roux, Guiol et Corbisez, est ainsi libellé :

Alinéas 4, 6 et 7

Remplacer les mots :

sportif, culturel ou récréatif

par les mots :

sportif ou culturel

La parole est à M. Éric Gold.

M. Éric Gold. Cet amendement vise également à tenir compte des remarques formulées lors de l’examen du texte en commission.

Le champ initial des associations concernées par la proposition de loi semble trop large. Notre volonté est bien de soutenir le plus efficacement possible le monde associatif.

Il est donc proposé de restreindre le dispositif de la proposition de loi aux associations à caractère sportif ou culturel.

M. le président. L’amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Gold, Requier, Bilhac, Artano et Cabanel, Mmes M. Carrère et N. Delattre, MM. Fialaire et Guérini, Mme Guillotin et MM. Roux, Guiol et Corbisez, est ainsi libellé :

Alinéas 4, 6 et 7

Remplacer le mot :

récréatif

par les mots :

de loisirs

La parole est à M. Éric Gold.

M. Éric Gold. Cet amendement est légèrement différent du précédent, mais il procède du même esprit. Il vise à préciser le champ des associations concernées par la proposition de loi.

En effet, lors de l’examen en commission, le terme « association à vocation récréative » a pu sembler imprécis, en particulier du point de vue fiscal.

Toutefois, les auteurs de cette proposition de loi souhaitent soutenir les associations assurant le maintien du lien social par le biais d’activités de loisirs qui ne sont pas nécessairement sportives ou culturelles au sens strict : clubs de jeux, associations festives, animations diverses, notamment pour les retraités.

C’est pourquoi il est proposé de parler d’associations de « loisirs » plutôt que d’associations « récréatives ».

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Arnaud Bazin, rapporteur. Ces deux amendements visent à répondre en partie aux observations de la commission des finances, qui relevait que le champ du dispositif proposé semblait excessivement large.

Néanmoins, dans la mesure où la commission des finances demande le rejet de cette proposition de loi, elle est défavorable à ces deux amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Sarah El Haïry, secrétaire dÉtat. Je salue les travaux du sénateur Gold. J’émettrais bien volontiers un avis de sagesse, puisque ces amendements tendent à apporter des précisions et s’inscrivent dans une nomenclature Insee, mais étant opposée à l’esprit global du texte je préfère en demander le retrait.

M. le président. Monsieur Gold, les amendements nos 3 rectifié et 2 rectifié sont-ils maintenus ?

M. Éric Gold. Non, je les retire, monsieur le président.

M. le président. Les amendements nos 3 rectifié et 2 rectifié sont retirés.

L’amendement n° 5 rectifié, présenté par MM. Gold, Requier, Bilhac, Artano et Cabanel, Mmes M. Carrère et N. Delattre, MM. Fialaire et Guérini, Mme Guillotin et MM. Roux, Guiol et Corbisez, est ainsi libellé :

I. – Après l’alinéa 4

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…) La dernière phrase du premier alinéa du 1 ter du même article 200 est complétée par les mots : « , et pour les œuvres ou organismes d’intérêt général à caractère sportif ou culturel, pour l’imposition des revenus de l’année 2021, dans la limite de 20 % du revenu imposable » ;

II. – Pour compenser la perte de recettes résultant du I, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

. – La perte de recettes résultant pour l’État du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

La parole est à M. Éric Gold.

M. Éric Gold. Toujours afin de tenir compte des remarques formulées par la commission et pour améliorer la rédaction du dispositif, cet amendement tend à limiter la réduction d’impôt à un montant maximum correspondant à 20 % du revenu imposable.

La version actuelle prévoit une limitation à hauteur d’un montant forfaitaire de 552 euros par an, comme c’est le cas pour le dispositif « Coluche ». Or cette limitation forfaitaire plutôt que proportionnelle pourrait entraîner un effet d’éviction lors du passage de la réduction d’impôts à 66 % à la réduction d’impôt à 75 %, la limite de 552 euros étant plus vite atteinte qu’une limite en proportion des revenus.

Cette situation pourrait avoir un effet contraire à celui souhaité, c’est-à-dire paradoxalement désinciter les particuliers à soutenir financièrement les associations.

Cet amendement vise donc à adapter le plafonnement de la réduction à 75 % dans le dispositif de la proposition de loi. Comme celui-ci est temporaire, il n’y a pas de difficulté particulière à mettre en place une telle dérogation.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Arnaud Bazin, rapporteur. Je suis défavorable à cet amendement, qui va bien plus loin que ce qui était initialement prévu dans le cadre de la proposition de loi, puisqu’il vise à relever le plafond applicable pour la réduction d’impôt au taux de 75 % de 1 000 euros actuellement à 20 % du revenu imposable.

Non seulement cette disposition serait potentiellement extrêmement coûteuse pour les finances publiques, mais en plus, si cet amendement était adopté dans cette rédaction, les associations à caractère sportif et culturel bénéficieraient d’un très net avantage sur les organismes éligibles au dispositif « Coluche », pour lesquels le plafond initial continuerait à s’appliquer. C’est un énorme problème, qui a été souligné à plusieurs reprises dans la discussion générale.

Le dispositif proposé n’est pas adapté et présente des effets de bord importants : il aurait été plus judicieux de revenir sur l’alinéa 3 de l’article unique de la proposition de loi, afin de rétablir la réduction au taux de 66 % pour la fraction de dons qui excède 1 000 euros.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Sarah El Haïry, secrétaire dÉtat. Défavorable, car nous sommes attachés au monopole de la loi de finances en matière fiscale.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 5 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je vais mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi.

Le vote sur l’article vaudra vote sur l’ensemble de la proposition de loi. En cas de rejet, les amendements nos 6 rectifié et 9 rectifié portant sur l’intitulé de la proposition de loi deviendraient sans objet.

Y a-t-il des demandes d’explication de vote ?…

Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi visant à encourager les dons et adhésions aux associations à vocation sportive, culturelle et récréative dans le contexte de l’épidémie de covid-19.

(Larticle unique nest pas adopté.)

M. le président. En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante-cinq, est reprise à dix-neuf heures.)

M. le président. La séance est reprise.

Article unique (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à encourager les dons et adhésions aux associations à vocation sportive, culturelle et récréative dans le contexte de l'épidémie de covid-19
 

11

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs
Discussion générale (suite)

Protection de la rémunération des agriculteurs

Adoption définitive des conclusions modifiées d’une commission mixte paritaire sur une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs (texte de la commission n° 4, rapport n° 3).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la rapporteure.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs
Article 1er A

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà arrivés à la dernière étape d’une procédure législative fructueuse, puisqu’elle a abouti à un vote favorable de la commission mixte paritaire le 4 octobre dernier.

Les débats entre députés et sénateurs ont été vifs. Ils ont connu des rebondissements pour aboutir finalement à un consensus sur ce sujet qui nous tient à cœur à tous nos collègues, à savoir assurer une meilleure et une plus juste rémunération à nos agriculteurs. Au-delà, il s’agit de pérenniser nos exploitations pour assurer notre souveraineté alimentaire.

Je tiens à saluer l’esprit d’écoute qui a présidé à nos échanges, à remercier mon collègue rapporteur de l’Assemblée nationale, ceux qui l’ont entouré et notre présidente de commission avec laquelle nous avons étroitement travaillé.

L’accord auquel nous sommes parvenus est le fruit d’un dialogue nourri et respectueux entre les deux assemblées, mais aussi avec vous et vos services, monsieur le ministre. Nous savons combien ces « correctifs » de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite « loi Égalim 1 », vous tiennent à cœur.

Le Sénat avait et a toujours quelques réserves quant à la portée de cette loi, qui ne s’intéresse qu’au prix. Comment parler de « revenu » sans considérer les charges toujours croissantes et la perte de compétitivité sur les marchés à l’export ? Comment parler « avenir des agriculteurs » et « souveraineté alimentaire » sans tenir compte d’une politique agricole commune (PAC) et d’une stratégie Farm to Fork faisant l’actualité aujourd’hui, qui pourraient conduire à une chute de production agricole estimée entre 7 % et 12 % ?

Dès lors, nous craignons, monsieur le ministre, que cette proposition de loi ne soit toujours pas à la hauteur des espoirs suscités chez nos agriculteurs.

Néanmoins, le travail mené par la commission des affaires économiques et par l’ensemble de mes collègues en séance a été largement reconnu et préservé par la commission mixte paritaire.

S’agissant des options de l’industriel pour afficher, dans ses conditions générales de vente, la part des matières premières agricoles dans son tarif, le Sénat a fait le choix de revenir sur les trois possibilités offertes initialement.

La nouveauté, issue des débats du Sénat, réside dans le fait que ces trois options sont désormais mises sur le même plan, non hiérarchisées, avec interdiction pour le distributeur d’imposer le choix de l’une plus que de l’autre, sous peine de sanctions.

Les débats au Sénat ont également permis de simplifier considérablement les mécanismes instaurés par cette proposition de loi, les rendant plus adaptables et plus réalistes pour les acteurs économiques, ainsi que plus lisibles, en définitive, pour les consommateurs.

Le dispositif de non-négociabilité des matières premières agricoles et donc de protection de la rémunération des agriculteurs s’appliquera désormais à tous les produits alimentaires, quel que soit leur volume dans le produit. Il ne dépendra plus de la recette choisie par l’industriel. C’est une sécurité et un gage de meilleure rémunération pour le producteur.

Un décret permettra, le cas échéant, d’exclure certains produits très spécifiques pour lesquels le dispositif de la loi ne serait pas opportun.

La commission mixte paritaire a également conservé la clause générale de renégociation des prix des contrats de produits alimentaires en fonction de l’évolution des intrants, comme le transport, l’énergie ou les emballages. Il s’agit d’un principe de réalisme dont l’actualité nous rappelle chaque jour la pertinence et l’urgence.

L’encadrement inédit proposé par le Sénat sur les produits vendus sous marque de distributeur et l’encadrement lié aux pénalités logistiques figurent dans le texte final, excepté quelques légères modifications.

Désormais, les contrats sous marque de distributeur (MDD) disposeront d’une clause de révision automatique du prix en fonction de l’évolution du coût des matières premières agricoles.

Concernant l’exclusion des fruits, légumes et bananes de la majoration de 10 % du seuil de revente à perte (SRP+10), un arrêté ministériel pourra exempter de l’expérimentation en cours certains produits pour lesquels la mesure s’est révélée dangereuse et coûteuse.

S’agissant du comité de règlement des différends, en cas de litige sur l’exécution d’un contrat, les parties auront toujours la possibilité de saisir le juge en la forme des référés, ce qui constitue une incitation supplémentaire pour privilégier un règlement amiable du conflit.

Enfin, sur affichage de l’origine de certains produits, afin de préserver toutes les chances d’aboutir au décret de notification, nous avons accepté que l’ordre pondéral décroissant de l’origine des miels ne figure pas explicitement dans la loi. M. le ministre s’est s’engagé à proposer un décret rédigé dans les termes les plus exigeants, et à le confirmer ou à le modifier en fonction de la réponse de la Commission européenne. Nous faisons donc le choix de la confiance et nous espérons bien évidemment le déblocage rapide d’une situation qui perdure depuis plus d’un an.

Tels sont, mes chers collègues, les différents points sur lesquels la commission mixte paritaire a adopté un texte commun.

Je vous invite donc à adopter ces conclusions qui comportent des avancées, certes partielles, mais néanmoins attendues par les agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de lagriculture et de lalimentation. Monsieur le président, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est avec un très grand plaisir que je m’exprime devant vous ce soir, car j’ai la conviction que cette nouvelle loi permettra à l’agriculture de redevenir ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être, à savoir un métier d’avenir, un beau métier, qui non seulement permet de produire, d’entretenir les paysages et de chérir la biodiversité, mais aussi de faire vivre des femmes et des hommes qui, chaque jour, se lèvent tôt pour nourrir le peuple de France.

Les avancées, vous l’avez souligné, madame la rapporteure, sont grandes également parce que ce texte permettra d’agir réellement sur les rapports de force en permettant de garantir cette fameuse « marche en avant » du prix et en apportant de la transparence de façon à passer de la défiance à la confiance dans les relations commerciales.

Cette loi donne tout son sens au travail parlementaire au service de l’intérêt général. Je voudrais vous remercier sincèrement du travail collectif qui a été réalisé ici depuis la loi Égalim 1 jusqu’à aujourd’hui.

Les discussions furent parfois âpres, je le sais, mais quel bel exemple de démocratie que de tels débats aient permis d’aboutir à un vote à l’unanimité en commission mixte paritaire. C’est suffisamment rare pour être souligné, et j’en remercie celles et ceux d’entre vous qui y ont participé, car c’est le témoignage d’un vrai travail partenarial.

Je ne peux que me satisfaire des principales dispositions de ce texte. Elles sont conformes à mes convictions exprimées depuis le début sur la transparence, sur la contractualisation pluriannuelle, sur l’équilibre du rapport de force entre les différents maillons de la chaîne agroalimentaire, au profit de nos agriculteurs.

La commission mixte paritaire a ainsi réintroduit la possibilité pour le fournisseur de donner le prix de chaque matière première agricole qui compose son produit, aux côtés de modalités plus agrégées.

De même, elle a finalement maintenu le comité de règlement des différends.

Enfin, en ce qui concerne le seuil, elle a accepté que le champ de l’article 2 puisse être restreint par décret dans une fourchette allant de 0 % à 25 %.

Sur la difficile question du seuil de revente à perte pour les fruits et légumes, l’article voté en séance au Sénat a été amendé en commission mixte paritaire pour que cette légère entaille à l’augmentation du SRP ne puisse être autorisée qu’en cas de preuve que le revenu des agriculteurs est affecté et surtout à la demande de l’interprofession. Comme nous l’avons toujours fait depuis le début de la législature et comme vous nous y encouragez, nous responsabiliserons les acteurs au sein de l’interprofession, sachant qu’y siègent certes les producteurs, mais aussi, dans beaucoup de cas, des industriels et des distributeurs.

Enfin, le Sénat a introduit dans la loi des dispositions sur l’étiquetage. Elles ont été confirmées par la commission mixte paritaire, ce qui permettra enfin de mettre en place des mesures qui me sont chères et qui avaient été votées ici même en juin 2020 dans la loi relative à la transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires.

Je pense, par exemple, à l’obligation d’indiquer l’origine des viandes dans les cantines ou en restauration. C’est un de mes combats et je compte bien le mener jusqu’au bout, parce que le consommateur a le droit de savoir d’où vient ce qu’il mange et parce que l’information sur la qualité nutritionnelle des produits fait partie de ce qu’il est en droit d’attendre.

Nous sommes allés encore plus loin, grâce au vote d’un amendement du Gouvernement au Sénat, puisque nous avons étendu cette obligation aux plats préparés. En effet, comme j’ai coutume de le dire, si un poulet français n’a rien à voir avec un poulet ukrainien, un nugget français n’a rien à voir non plus avec un nugget ukrainien. Il fallait donc absolument que cette information soit aussi transmise aux consommateurs.

La commission mixte paritaire a accepté également de revoir les modalités de rédaction du Sénat sur les articles relatifs à l’étiquetage. Je pense à la disposition sur le miel, qui permettra enfin, là aussi, de prendre rapidement les textes correspondants. Je sais que certaines modalités d’écriture tenaient à cœur à certains d’entre vous, à commencer par Mme la rapporteure. Mais il n’était pas possible de les maintenir en l’état, l’Union européenne l’avait signalé. Cela étant, je m’engage ici solennellement à défendre ce dossier au niveau européen, ainsi que toutes les thématiques importantes liées à l’origine des produits.

Le règlement concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires sera sur la table des négociations l’an prochain à Bruxelles. Nous aurons alors l’occasion de revenir très concrètement et structurellement sur le sujet. Comme je l’ai souligné récemment, les règles du commerce sur ces points ne sont pas admissibles. Que l’on puisse interdire à un État d’indiquer l’origine des miels par ordre pondéral décroissant sur une étiquette, c’est totalement incompréhensible pour le citoyen. Il faut donc changer les choses.

Il nous faut maintenant aller vite pour mettre en œuvre cette loi Égalim 2 avant les prochaines négociations commerciales qui s’annoncent. C’est un texte qui, loin de complexifier, régule. Je réunirai très bientôt les parties prenantes pour expliquer ce texte dans le détail et je mettrai en consultation dans les plus brefs délais les projets de décrets d’application, en particulier celui sur les filières exemptées de l’article 2 en raison de leurs spécificités et celui sur les dates avancées d’obligation de contractualisation au titre de l’article 1er.

Enfin, des formations sont d’ores et déjà prévues pour les entreprises et les acteurs concernés. Ma collègue Agnès Pannier-Runacher et moi-même ne manquerons pas de réunir très prochainement le comité de suivi des négociations commerciales et de mettre en œuvre tous les dispositifs de contrôle qui s’imposent.

Pour conclure, je voudrais une nouvelle fois vous remercier toutes et tous. Je remercie notamment Mme la rapporteure, ainsi que les députés, au premier rang desquels Grégory Besson-Moreau, qui a défendu cette proposition de loi. Je salue cet engagement collectif et collégial pour faire en sorte que nous puissions revenir définitivement sur la loi de modernisation de l’économie et réintroduire les dispositifs de la loi sur la loyauté et l’équilibre des relations commerciales, dite « loi Galland », voire aller au-delà.

Ce texte n’épuise pas tout, notamment la question des charges que vous avez évoquées, mais il constitue une étape très importante. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE et Les Républicains.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat examinant après l’Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, il se prononce par un seul vote sur l’ensemble du texte en ne retenant que les amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement.

Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs
Article 1er

Article 1er A

(Supprimé)

Article 1er A
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs
Article 1er bis A

Article 1er

La section 2 du chapitre Ier du titre III du livre VI du code rural et de la pêche maritime est ainsi modifiée :

1° L’article L. 631-24 est ainsi modifié :

a) Le I est ainsi rédigé :

« I. – Tout contrat de vente de produits agricoles livrés sur le territoire français est conclu sous forme écrite et est régi, dans le respect des articles 1365 et 1366 du code civil, par le présent article.

« Le présent article et les articles L. 631-24-1 à L. 631-24-3 ne s’appliquent ni aux ventes directes au consommateur, ni aux cessions réalisées au bénéfice des organisations caritatives pour la préparation de repas destinés aux personnes défavorisées, ni aux cessions à prix ferme de produits agricoles sur les carreaux affectés aux producteurs et situés au sein des marchés d’intérêt national définis à l’article L. 761-1 du code de commerce ou sur d’autres marchés physiques de gros de produits agricoles.

« Un décret en Conseil d’État peut fixer un ou plusieurs seuils de chiffre d’affaires en-dessous desquels le présent article n’est pas applicable aux producteurs ou aux acheteurs de produits agricoles. Ces seuils peuvent, le cas échéant, être adaptés par produit ou catégorie de produits. » ;

b) Le II est ainsi modifié :

– après le mot : « agricole », la fin du premier alinéa est supprimée ;

– à la première phrase du second alinéa, les mots : « , pour les secteurs dans lesquels la contractualisation est rendue obligatoire en application de l’article L. 631-24-2 du présent code, » sont supprimés et les mots : « , dans tous les cas, » sont remplacés par le mot : « est » ;

c) Le III est ainsi modifié :

– le 1° est ainsi rédigé :

« 1° Au prix et aux modalités de révision automatique, à la hausse ou à la baisse, de ce prix, selon une formule librement déterminée par les parties, ou aux critères et modalités de détermination du prix, parmi lesquels la pondération des indicateurs mentionnés au quinzième alinéa du présent III ; »

– au 2°, après le mot : « quantité », il est inséré le mot : « totale » ;

– le 5° est complété par les mots : « , qui ne peut être inférieure à trois ans » ;

– le 7° est complété par une phrase ainsi rédigée : « En cas d’aléa sanitaire ou climatique exceptionnel indépendant de la volonté des parties, aucune pénalité ne peut être imposée à un producteur ne respectant pas les volumes prévus au contrat. » ;

– après le même 7°, sont insérés six alinéas ainsi rédigés :

« La durée minimale des contrats de vente et accords-cadres mentionnée au 5° du présent III peut être augmentée jusqu’à cinq ans par extension d’un accord interprofessionnel en application de l’article L. 632-3 ou, à défaut, par décret en Conseil d’État. L’accord interprofessionnel ou le décret en Conseil d’État peut prévoir que la durée minimale des contrats portant sur un produit, dont le producteur a engagé la production depuis moins de cinq ans, est augmentée dans la limite de deux ans. Un producteur peut renoncer, expressément et par écrit, à ces augmentations de la durée minimale du contrat.

« Les contrats portant sur un produit dont le producteur a engagé la production depuis moins de cinq ans ne peuvent être résiliés par l’acheteur avant le terme de la période minimale, sauf en cas d’inexécution par le producteur ou en cas de force majeure. Ils fixent la durée de préavis applicable en cas de non-renouvellement.

« Lorsqu’un acheteur a donné son accord à la cession d’un contrat par le producteur à un autre producteur engagé dans la production depuis moins de cinq ans, la durée restant à courir du contrat cédé, si elle est inférieure à la durée minimale fixée en application du présent III, est prolongée pour atteindre cette durée.

« Sont considérés comme un producteur ayant engagé une production depuis moins de cinq ans l’exploitant qui s’est installé ou a démarré une nouvelle production au cours de cette période ainsi qu’une société agricole intégrant un nouvel associé répondant aux conditions fixées au présent alinéa et détenant au moins 10 % de son capital social.

« Un décret en Conseil d’État précise les produits considérés comme relevant de la même production pour l’application du présent article.

« Les dispositions relatives à la durée minimale du contrat prévues au présent III ne sont applicables ni aux produits soumis à accises, ni aux raisins, moûts et vins dont ils résultent. » ;

– au début de l’avant-dernier alinéa, sont ajoutées deux phrases ainsi rédigées : « La proposition de contrat ou d’accord-cadre constitue le socle de la négociation entre les parties. Au titre des critères et modalités de révision ou de détermination du prix mentionnés au 1° du présent III, elle prend en compte un ou plusieurs indicateurs relatifs aux coûts pertinents de production en agriculture et à l’évolution de ces coûts. » ;

– au début de la première phrase du même avant-dernier alinéa, les mots : « Les critères et modalités de détermination du prix mentionnés au 1° du présent III prennent en compte un ou plusieurs indicateurs relatifs aux coûts pertinents de production en agriculture et à l’évolution de ces coûts » sont remplacés par les mots : « Dans le contrat ou dans l’accord-cadre, les parties définissent librement ces critères et ces modalités de révision ou de détermination du prix en y intégrant, outre le ou les indicateurs issus du socle de la proposition » ;

– à la deuxième phrase dudit avant-dernier alinéa, le mot : « diffusent » est remplacé par le mot : « publient » ;

– le même avant-dernier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « À défaut de publication par une organisation interprofessionnelle des indicateurs de référence dans les quatre mois qui suivent la promulgation de la loi n° … du … visant à protéger la rémunération des agriculteurs, les instituts techniques agricoles les élaborent et les publient dans les deux mois suivant la réception d’une telle demande formulée par un membre de l’organisation interprofessionnelle. » ;

– il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Les contrats, accords-cadres et propositions de contrat et d’accord-cadre mentionnés au premier alinéa du présent III ne comportent pas de clauses ayant pour effet une renégociation ou une modification automatique du prix liée à l’environnement concurrentiel. » ;

d) Au début de la première phrase du VI, sont ajoutés les mots : « Sans préjudice du 5° du III, » ;

e) Il est ajouté un VIII ainsi rédigé :

« VIII. – Lorsque le contrat ou l’accord-cadre ne comporte pas de prix déterminé, l’acheteur communique au producteur et à l’organisation de producteurs ou à l’association d’organisations de producteurs, avant le premier jour de la livraison des produits concernés par le contrat, de manière lisible et compréhensible, le prix qui sera payé. » ;

1° bis Au premier alinéa de l’article L. 631-24-1, les mots : « à l’avant-dernier » sont remplacés par les mots : « au quinzième » ;

2° L’article L. 631-24-2 est ainsi rédigé :

« Art. L. 631-24-2. – Par dérogation au I de l’article L. 631-24, en vertu de l’extension d’un accord interprofessionnel en application de l’article L. 632-3 ou, en l’absence d’accord étendu, en vertu d’un décret en Conseil d’État qui précise les produits ou catégories de produits concernés et pris après concertation avec les organisations interprofessionnelles compétentes, le contrat de vente ou l’accord-cadre peut ne pas être conclu sous forme écrite. Dans cette hypothèse, si le contrat est tout de même conclu sous forme écrite, il est régi par l’article L. 631-24, à l’exception du 5° du III du même article L. 631-24. Lorsque la durée du contrat est inférieure à trois ans, par dérogation au 1° du même III, il peut ne pas comporter de clause relative aux modalités de révision automatique, à la hausse ou à la baisse, du prix fixe. La durée du contrat peut alors tenir compte de la durée des contrats par lesquels l’acheteur revend des produits comportant un ou plusieurs produits agricoles.

« Au cas où un accord est adopté et étendu après la publication du décret en Conseil d’État mentionné au premier alinéa du présent article, l’application de celui-ci est suspendue pendant la durée de l’accord.

« Pour les produits ou catégories de produits agricoles pour lesquels il n’existe pas d’interprofession représentative, la dérogation prévue au même premier alinéa fait l’objet d’une demande, motivée et accompagnée de toutes données utiles à l’appréciation de sa pertinence, par une organisation professionnelle représentant des producteurs.

« Dans le cas où la conclusion d’un contrat écrit n’est pas obligatoire, le producteur peut exiger de l’acheteur une offre de contrat écrit, conformément au 1 bis des articles 148 et 168 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) n° 922/72, (CEE) n° 234/79, (CE) n° 1037/2001 et (CE) n° 1234/2007 du Conseil. » ;

2° bis Le III de l’article L. 631-24-3 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Toutefois, dans le cadre de leurs missions et conformément au règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) n° 922/72, (CEE) n° 234/79, (CE) n° 1037/2001 et (CE) n° 1234/2007 du Conseil, les organisations interprofessionnelles élaborent et publient les indicateurs mentionnés au quinzième alinéa du III de l’article L. 631-24 du présent code. » ;

3° L’article L. 631-25 est ainsi modifié :

a) Au début du 3°, sont ajoutés les mots : « Lorsque la conclusion de contrats de vente et d’accords-cadres écrits a été rendue facultative dans les conditions prévues à l’article L. 631-24-2, » ;

a bis) (Supprimé)

b) Au premier alinéa du 6°, les mots : « a été rendue obligatoire » sont remplacés par les mots : « n’a pas été rendue facultative » ;

3° bis Au septième alinéa de l’article L. 631-27, les mots : « à l’avant-dernier » sont remplacés par les mots : « au quinzième » ;

3° ter À la deuxième phrase du troisième alinéa de l’article L. 632-2-1, le mot : « diffusent » est remplacé par le mot : « publient » et les mots : « à l’avant-dernier » sont remplacés par les mots : « au quinzième » ;

4° À la seconde phrase du quatrième alinéa et au sixième alinéa de l’article L. 682-1, les mots : « à l’avant-dernier » sont remplacés par les mots : « au quinzième ».

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs
Article 1er bis

Article 1er bis A

(Supprimé)

Article 1er bis A
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Article 1er ter

Article 1er bis

I. – Dans la clause de prix des contrats de vente de produits agricoles mentionnés à l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime, les parties peuvent convenir de bornes minimales et maximales entre lesquelles les critères et les modalités de détermination ou de révision du prix, intégrant notamment un ou plusieurs indicateurs relatifs aux coûts pertinents de production en agriculture, produisent leurs effets.

II. – Un décret, de l’élaboration duquel les parties prenantes sont informées, définit, pour un ou plusieurs produits agricoles, les conditions d’une expérimentation de l’utilisation obligatoire d’un modèle de rédaction de la clause mentionnée au I.

Cette expérimentation, d’une durée maximale de cinq ans, vise à évaluer les effets de l’utilisation de la clause mentionnée au même I sur l’évolution du prix de vente des produits concernés et sur la concurrence.

II bis. – Est passible de l’amende administrative prévue à l’article L. 631-25 du code rural et de la pêche maritime le fait, pour un producteur, une organisation de producteurs, une association d’organisations de producteurs ou un acheteur de produits agricoles de conclure un contrat écrit ou un accord-cadre écrit ne comportant pas la clause dont l’utilisation a été rendue obligatoire par le décret mentionné au II du présent article.

III. – Six mois avant le terme de cette expérimentation, le Gouvernement remet au Parlement un rapport d’évaluation de l’expérimentation.

Article 1er bis
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Article 2

Article 1er ter

Le sixième alinéa de l’article L. 682-1 du code rural et de la pêche maritime est complété par une phrase ainsi rédigée : « L’observatoire publie, chaque trimestre, un support synthétique reprenant l’ensemble des indicateurs, rendus publics, relatifs aux coûts pertinents de production en agriculture mentionnés au quinzième alinéa du même III, à l’article L. 631-24-1 et aux II et III de l’article L. 631-24-3. »

Article 1er ter
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs
Article 2 bis AA

Article 2

I. – Le titre IV du livre IV du code de commerce est ainsi modifié :

1° Après l’article L. 441-1, il est inséré un article L. 441-1-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 441-1-1. – I. – Pour les produits alimentaires et les produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie, les conditions générales de vente, à la décision du fournisseur et sans que l’acheteur ne puisse interférer dans ce choix :

« 1° Soit présentent, pour chacune des matières premières agricoles et pour chacun des produits transformés composés de plus de 50 % de matières premières agricoles qui entrent dans la composition du produit mentionné au premier alinéa du présent I, sa part dans la composition dudit produit, sous la forme d’un pourcentage en volume et d’un pourcentage du tarif du fournisseur ;

« 2° Soit présentent la part agrégée des matières premières agricoles et des produits transformés composés de plus de 50 % de matière première agricole qui entrent dans la composition du produit mentionné au même premier alinéa, sous la forme d’un pourcentage en volume et d’un pourcentage du tarif du fournisseur ;

« 3° Soit prévoient, sous réserve qu’elles fassent état d’une évolution du tarif du fournisseur du produit mentionné audit premier alinéa par rapport à l’année précédente, l’intervention d’un tiers indépendant, aux frais du fournisseur, chargé de certifier au terme de la négociation que, conformément au II de l’article L. 443-8, elle n’a pas porté sur la part de cette évolution qui résulte de celle du prix des matières premières agricoles ou des produits transformés mentionnés au premier alinéa du présent I. Dans ce cas, le fournisseur transmet au tiers indépendant les pièces nécessaires à cette certification. Cette certification est fournie au plus tard dans le mois qui suit la conclusion du contrat. En l’absence de ladite certification, si les parties souhaitent poursuivre leur relation contractuelle, elles modifient leur contrat dans un délai de deux mois suivant la signature du contrat initial.

« Le tiers indépendant est astreint au secret professionnel pour les faits, actes et renseignements dont il a connaissance à raison de ses fonctions. Le recours à un tiers indépendant ne dispense pas le fournisseur de conserver un exemplaire des pièces justificatives afin de répondre, le cas échéant, aux demandes de l’administration.

« Tout manquement au présent I est passible d’une amende administrative dans les conditions prévues au VI de l’article L. 443-8.

« Un décret peut prévoir que l’obligation prévue au présent I ne s’applique pas aux produits alimentaires et produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie dont la part agrégée des matières premières agricoles et des produits transformés composés de plus de 50 % de matières premières agricoles, composant ces produits, est inférieure ou égale à un seuil qui ne peut excéder 25 %.

« II. – A. – Pour l’application du 1° du I, l’acheteur peut, à ses frais, demander au fournisseur de mandater un tiers indépendant pour attester l’exactitude des éléments figurant dans les conditions générales de vente. Dans ce cas, le fournisseur transmet, sous dix jours, au tiers indépendant les pièces justifiant l’exactitude de ces éléments.

« B. – Pour l’application du 2° du I, l’acheteur peut, à ses frais, demander au fournisseur de mandater un tiers indépendant pour attester l’exactitude des éléments figurant dans les conditions générales de vente. En cas d’inexactitude ou de tromperie volontaire de la part du fournisseur quant à la part agrégée des matières premières agricoles dans le volume du produit ou dans son tarif du fournisseur, constatée par le tiers indépendant et entraînant l’impossibilité de délivrer l’attestation mentionnée à la première phrase du présent B, les frais d’intervention du tiers indépendant sont à la charge du fournisseur.

« C. – Dans le cadre de l’application des 1° et 2° du I, la mission du tiers indépendant consiste exclusivement, sur la base d’un contrat conclu avec le fournisseur, à réceptionner les pièces transmises par le fournisseur et les pièces justificatives, à attester l’exactitude des informations transmises, notamment la détermination de la part unitaire ou agrégée des matières premières agricoles et produits transformés dans le tarif du fournisseur, et à transmettre cette attestation à l’acheteur dans un délai de dix jours à compter de la réception des pièces mentionnées au présent C.

« D. – Le tiers indépendant est astreint au secret professionnel pour les faits, actes et renseignements dont il a connaissance à raison de ses fonctions.

« Le recours à un tiers indépendant ne dispense pas le fournisseur de conserver un exemplaire des pièces justificatives afin de répondre, le cas échéant, aux demandes de l’administration.

« III. – Le prix de la matière première agricole est celui payé pour la livraison de produits agricoles, au sens des articles 148 et 168 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) n° 922/72, (CEE) n° 234/79, (CE) n° 1037/2001 et (CE) n° 1234/2007 du Conseil, par un premier acheteur, par une organisation de producteurs avec transfert de propriété ou par une coopérative agricole.

« IV. – Les conditions générales de vente indiquent si un contrat de vente, conclu en application de l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime, portant sur les matières premières agricoles entrant dans la composition du produit alimentaire ou du produit destiné à l’alimentation des animaux de compagnie, est déjà conclu.

« V. – Le présent article n’est applicable ni aux grossistes au sens du II de l’article L. 441-4 pour leurs actes d’achat et de revente, ni à certains produits alimentaires, catégories de produits alimentaires ou produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie, dont la liste est définie par décret, pris après concertation avec les organisations interprofessionnelles concernées.

« VI. – Un décret peut fixer la liste des professions présumées présenter les garanties pour exercer la mission de tiers indépendant. » ;

2° Le chapitre III est complété par un article L. 443-8 ainsi rédigé :

« Art. L. 443-8. – I. – Pour les produits alimentaires et les produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie pour lesquels les conditions générales de vente sont soumises au I de l’article L. 441-1-1, une convention écrite conclue entre le fournisseur et son acheteur mentionne les obligations réciproques auxquelles se sont engagées les parties à l’issue de la négociation commerciale, dans le respect des articles L. 442-1 et L. 442-3. Cette convention est établie soit dans un document unique, soit dans un ensemble formé par un contrat-cadre et des contrats d’application.

« La convention mentionne chacune des obligations réciproques et leur prix unitaire, auxquelles se sont engagées les parties à l’issue de la négociation commerciale.

« Lorsqu’elle est conclue avec un distributeur, la convention est conclue dans les conditions prévues aux articles L. 441-3 et L. 441-4, sous réserve du présent article.

« II. – La négociation commerciale ne porte pas sur la part, dans le tarif du fournisseur, du prix des matières premières agricoles et des produits transformés mentionnés au I de l’article L. 441-1-1.

« Lorsque le fournisseur a fait le choix de faire figurer dans ses conditions générales de vente les éléments mentionnés au 1° ou 2° du même I, la convention mentionne, aux fins de concourir à la détermination du prix convenu, la part du prix unitaire ou agrégé des matières premières agricoles et des produits transformés mentionnés au même 1° ou 2°, tels qu’ils figurent dans les conditions générales de vente. La convention précise les modalités de prise en compte de ce prix d’achat dans l’élaboration du prix convenu.

« III bis. – (Supprimé)

« III ter. – La convention comporte une clause de révision automatique des prix du contrat en fonction de la variation du coût de la matière première agricole, à la hausse ou à la baisse, entrant dans la composition du produit alimentaire ou du produit destiné à l’alimentation des animaux de compagnie. Les parties déterminent librement, selon la durée du cycle de production, la formule de révision et, en application du III de l’article L. 631-24-1 du code rural et de la pêche maritime, les indicateurs utilisés. Lorsque l’acquisition de la matière première agricole par le fournisseur fait l’objet d’un contrat écrit en application du I du même article L. 631-24-1, la clause de révision inclut obligatoirement les indicateurs relatifs aux coûts de production en agriculture.

« IV. – A. – La convention mentionnée au I est conclue pour une durée d’un an, de deux ans ou de trois ans.

« B. – La convention est conclue au plus tard le 1er mars et le fournisseur communique ses conditions générales de vente à l’acheteur au plus tard trois mois avant cette date.

« C. – Le distributeur dispose d’un délai d’un mois à compter de la réception des conditions générales de vente pour soit motiver explicitement et de manière détaillée, par écrit, le refus de ces dernières ou, le cas échéant, les dispositions des conditions générales de vente qu’il souhaite soumettre à la négociation, soit notifier leur acceptation.

« V. – Sans préjudice des articles L. 442-1 à L. 442-3, tout avenant à la convention mentionnée au I du présent article fait l’objet d’un écrit, qui mentionne l’élément nouveau le justifiant.

« VI et VI bis. – (Supprimés)

« VII. – Tout manquement au présent article est passible d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale. Le maximum de l’amende encourue est doublé en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive. » ;

2° bis À la seconde phrase du VI de l’article L. 441-4, les mots : « notifier par écrit les motifs de » sont remplacés par les mots : « motiver explicitement et de manière détaillée par écrit le » ;

3° Après le mot : « écrits », la fin du dernier alinéa du I de l’article L. 443-2 est ainsi rédigée : « est obligatoire en application de l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime. » ;

4° (nouveau) Au I de l’article L. 443-4, la référence : « et L. 443-2 » est remplacée par les références : «, L. 443-2 et L. 443-8 ».

II. – Le tableau constituant le second alinéa du 4° du I de l’article L. 950-1 du code de commerce, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2021-859 du 30 juin 2021 relative aux pratiques commerciales déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d’approvisionnement agricole et alimentaire, est ainsi modifié :

1° La vingt-deuxième ligne est ainsi rédigée :

 

«

Article L. 440-1

la loi n° … du … visant à protéger la rémunération des agriculteurs

» ;

2° La vingt-troisième ligne est remplacée par trois lignes ainsi rédigées :

 

«

Article L. 441-1

l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019

Article L. 441-1-1

la loi n° … du … visant à protéger la rémunération des agriculteurs

Article L. 441-2

l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019

» ;

3° La vingt-cinquième ligne est ainsi rédigée :

 

«

Article L. 441-4

la loi n° … du … visant à protéger la rémunération des agriculteurs

» ;

4° La trente et unième ligne est ainsi rédigée :

 

«

Article L. 442-1

la loi n° … du … visant à protéger la rémunération des agriculteurs

» ;

5° La trente-sixième ligne est remplacée par trois lignes ainsi rédigées :

 

«

Article L. 443-1

l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019

Article L. 443-2

la loi n° … du … visant à protéger la rémunération des agriculteurs

Article L. 443-3

l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019

» ;

6° Après la même trente-sixième ligne, est insérée une ligne ainsi rédigée :

 

«

Article L. 443-8

la loi n° … du … visant à protéger la rémunération des agriculteurs

»

Article 2
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Article 2 bis A

Article 2 bis AA

I. – L’article L. 441-8 du code de commerce est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, les mots : « alimentaires figurant sur une liste fixée par décret » sont remplacés par le mot : « alimentaires » et les mots : « des matières premières agricoles et alimentaires et des produits agricoles et alimentaires et, le cas échéant, des coûts de l’énergie » sont remplacés par les mots : « des matières premières agricoles et alimentaires et des produits agricoles et alimentaires, de l’énergie, du transport et des matériaux entrant dans la composition des emballages, » ;

2° Après le mot : « renégociation », la fin du deuxième alinéa est supprimée.

II. – À la première phrase du VI de l’article L. 521-3-1 du code rural et de la pêche maritime, les mots : « mentionnés au premier alinéa de l’article L. 441-8 du code de commerce » sont remplacés par les mots : « agricoles et alimentaires figurant sur une liste fixée par décret ».

Article 2 bis AA
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Article 2 bis B

Article 2 bis A

(Supprimé)

Article 2 bis A
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Article 2 bis C

Article 2 bis B

L’article L. 441-7 du code de commerce est ainsi modifié :

1° Le I est complété par trois alinéas ainsi rédigés :

« La détermination du prix tient compte des efforts d’innovation réalisés par le fabricant à la demande du distributeur.

« Le contrat comporte une clause de révision automatique des prix en fonction de la variation du coût de la matière première agricole ou des produits transformés soumis aux dispositions du I de l’article L. 441-1-1 du présent code entrant dans la composition des produits alimentaires. Les parties déterminent librement la formule de révision, en tenant compte notamment des indicateurs relatifs aux coûts de production en agriculture mentionnés au III de l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime.

« Le distributeur peut demander au fabricant de mandater un tiers indépendant pour attester, sous quinze jours, l’exactitude de la variation du coût de la matière première agricole supportée par le fabricant. Dans ce cas, le fabricant remet sous dix jours au tiers indépendant les pièces justifiant l’exactitude de ces éléments. Les frais d’intervention du tiers indépendant sont à la charge du distributeur. En cas d’inexactitude ou de tromperie volontaire de la part du fabricant quant à la variation du coût de la matière première agricole ou du produit transformé, constatée par le tiers indépendant et entraînant l’impossibilité de délivrer l’attestation mentionnée à la première phrase du présent alinéa, ces frais sont à la charge du fabricant. Le tiers indépendant est astreint au secret professionnel pour les faits, actes et renseignements dont il a pu avoir connaissance à raison de ses fonctions. » ;

2° Après le même I, sont insérés des I bis, I ter et I quater ainsi rédigés :

« I bis. – En cas d’appel d’offres portant sur la conception et la production de produits alimentaires selon des modalités répondant aux besoins particuliers de l’acheteur et vendus sous marque de distributeur, l’appel d’offres comporte un engagement du distributeur relatif au volume prévisionnel qu’il souhaite faire produire.

« I ter. – Le contrat mentionné au I comporte une clause relative au volume prévisionnel que le distributeur s’engage à faire produire sur une période donnée ainsi qu’un délai raisonnable de prévenance permettant au fabricant d’anticiper des éventuelles variations de volume.

« I quater. – Le contrat définit la durée minimale du préavis contractuel à respecter en cas de rupture de la relation contractuelle. Il prévoit le sort et les modalités d’écoulement des emballages et des produits finis en cas de cessation de contrat. » ;

3° Sont ajoutés des III à VII ainsi rédigés :

« III. – Le contrat mentionné au I comporte une clause de répartition entre le distributeur et le fournisseur des différents coûts additionnels survenant au cours de l’exécution du contrat.

« IV. – Aucune dépense liée aux opérations promotionnelles d’un produit vendu sous marque de distributeur ne peut être mise à la charge du fabricant.

« V. – Le contrat établit un système d’alerte et d’échanges d’informations périodiques entre le distributeur et le fabricant afin d’optimiser les conditions d’approvisionnement et de limiter les risques de ruptures.

« VI. – Tout manquement aux dispositions du présent article est passible d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale.

« Le maximum de l’amende encourue est porté à 150 000 € pour une personne physique et 750 000 € pour une personne morale en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive.

« VII. – (Supprimé) ».

Article 2 bis B
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Article 2 bis D

Article 2 bis C

Le titre IV du livre IV du code de commerce est ainsi modifié :

1° Le 3° du I de l’article L. 442-1 est ainsi rédigé :

« 3° D’imposer des pénalités logistiques ne respectant pas l’article L. 441-17 ; »

2° Le chapitre Ier est complété par une section 4 ainsi rédigée :

« Section 4

« Pénalités logistiques

« Art. L. 441-17. – I. – Le contrat peut prévoir la fixation de pénalités infligées au fournisseur en cas d’inexécution d’engagements contractuels. Il prévoit une marge d’erreur suffisante au regard du volume de livraisons prévues par le contrat. Un délai suffisant doit être respecté pour informer l’autre partie en cas d’aléa.

« Les pénalités infligées aux fournisseurs par les distributeurs ne peuvent dépasser un montant correspondant à un pourcentage du prix d’achat des produits concernés. Elles doivent être proportionnées au préjudice subi au regard de l’inexécution d’engagements contractuels.

« Il est interdit de procéder au refus ou au retour de marchandises, sauf en cas de non-conformité de celles-ci ou de non-respect de la date de livraison.

« La preuve du manquement doit être apportée par le distributeur par tout moyen. Le fournisseur dispose d’un délai raisonnable pour vérifier et, le cas échéant, contester la réalité du grief correspondant.

« Il est interdit de déduire d’office du montant de la facture établie par le fournisseur les pénalités ou rabais correspondant au non-respect d’un engagement contractuel.

« Seules les situations ayant entraîné des ruptures de stocks peuvent justifier l’application de pénalités logistiques. Par dérogation, le distributeur peut infliger des pénalités logistiques dans d’autres cas dès lors qu’il démontre et documente par écrit l’existence d’un préjudice.

« Dès lors qu’il est envisagé d’infliger des pénalités logistiques, il est tenu compte des circonstances indépendantes de la volonté des parties. En cas de force majeure, aucune pénalité logistique ne peut être infligée.

« II. – Le distributeur ne peut exiger du fournisseur un délai de paiement des pénalités mentionnées au présent article inférieur au délai de paiement qu’il applique à compter de la réception des marchandises.

« Art. L. 441-18. – I. – En cas d’inexécution d’un engagement contractuel du distributeur, le fournisseur peut lui infliger des pénalités. Celles-ci ne peuvent dépasser un montant correspondant à un pourcentage du prix d’achat des produits concernés. Elles doivent être proportionnées au préjudice subi au regard de l’inexécution d’engagements contractuels. La preuve du manquement doit être apportée par le fournisseur par tout moyen. Le distributeur dispose d’un délai raisonnable pour vérifier et, le cas échéant, contester la réalité du grief correspondant.

« II. – (Supprimé)

« Art. L. 441-19. – Pour l’application des articles L. 441-17 et L. 441-18, un guide des bonnes pratiques est publié et actualisé régulièrement. »

Article 2 bis C
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Article 2 bis EA

Article 2 bis D

Le I de l’article L. 442-1 du code de commerce est complété par un 4° ainsi rédigé :

« 4° S’agissant des produits alimentaires et des produits destinés à l’alimentation des animaux domestiques soumis aux dispositions du I de l’article L. 441-1-1, de pratiquer, à l’égard de l’autre partie, ou d’obtenir d’elle des prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou des modalités de vente ou d’achat discriminatoires et non justifiés par des contreparties réelles prévues par la convention mentionnée à l’article L. 443-8 en créant, de ce fait, pour ce partenaire, un désavantage ou un avantage dans la concurrence. »

Article 2 bis D
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Article 2 bis E

Article 2 bis EA

(Supprimé)

Article 2 bis EA
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Article 2 bis

Article 2 bis E

L’article 125 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique est ainsi modifié :

1° Le I est complété par les mots : « , à l’exception des produits assujettis aux droits de consommation mentionnés au I de l’article 403 du code général des impôts » ;

2° Après le même I, sont insérés des I bis et I ter ainsi rédigés :

« I bis. – Pour les produits assujettis aux droits de consommation mentionnés au I de l’article 403 du code général des impôts, le prix d’achat effectif défini au deuxième alinéa du I de l’article L. 442-5 du code de commerce est majoré d’un montant égal au produit d’un coefficient 0,1 par une valeur P, égale au prix d’achat effectif défini au même deuxième alinéa minoré du montant des droits de consommation mentionnés au I de l’article 403 du code général des impôts et du montant des cotisations prévues à l’article L. 245-7 du code de la sécurité sociale.

« I ter. – Un arrêté du ministre chargé de l’agriculture peut fixer la liste de certains produits mentionnés aux parties IX et XI de l’annexe 1 au règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) n° 922/72, (CEE) n° 234/79, (CE) n° 1037/2001 et (CE) n° 1234/2007 du Conseil pour lesquels, par dérogation, le I du présent article n’est pas applicable, dans les conditions suivantes :

« 1° L’application du même I se traduit par une baisse du revenu du producteur agricole en raison de la saisonnalité des productions concernées et de leurs ventes ou de modalités particulières de commercialisation de ces produits ;

« 2° La dérogation prévue au premier alinéa du présent I ter fait l’objet d’une demande, motivée et accompagnée de toutes données utiles pour l’appréciation du critère prévu au 1°, par l’interprofession représentative des denrées ou catégories de denrées concernées ou, lorsqu’il n’existe pas d’interprofession pour ce type de denrées ou de catégorie de denrées, par une organisation professionnelle représentant des producteurs. » ;

3° Le premier alinéa du IV est ainsi modifié :

a) Après le mot : « consommateur », la fin est supprimée ;

b) Sont ajoutées quatre phrases ainsi rédigées : « Le rapport remis avant le 1er octobre 2022 analyse notamment l’usage qui a été fait par les distributeurs, depuis 2019, du surplus de chiffre d’affaires enregistré à la suite de la mise en œuvre du I et détaille la part de ce chiffre d’affaires supplémentaire qui s’est traduite par une revalorisation des prix convenus entre les distributeurs et leurs fournisseurs de produits alimentaires et de produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie et celle qui s’est traduite par une baisse des prix de vente à la consommation ou par un reversement au consommateur sous la forme de promotions ou de crédits récompensant leur fidélité. Il analyse la part de ce chiffre d’affaires supplémentaire qui s’est traduite, le cas échéant, par une diminution des prix de vente des produits alimentaires vendus sous marque de distributeur. Ce rapport précise également, le cas échéant, la part de l’augmentation de chiffre d’affaires enregistrée par les fournisseurs de produits alimentaires et de produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie qui a donné lieu à une revalorisation des prix d’achat des produits agricoles. Le rapport évalue, enfin, les effets de la dérogation prévue au I ter sur le revenu des producteurs concernés. »

Article 2 bis E
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Article 3

Article 2 bis

I. – Un affichage destiné à apporter au consommateur une information relative aux conditions de rémunération des producteurs de produits agricoles fait l’objet d’une expérimentation pour une durée maximale de cinq ans. Cet affichage s’effectue par voie de marquage ou d’étiquetage ou par tout autre procédé approprié, y compris par voie électronique. Il fait notamment ressortir, de façon facilement compréhensible pour les consommateurs, l’impact en termes de rémunération des producteurs des prix auxquels sont achetés leurs produits.

Les expérimentations visent à évaluer différentes méthodologies et modalités d’affichage.

Cette méthodologie prend en compte l’impact négatif sur la rémunération des agriculteurs français d’un approvisionnement en matière première agricole importée.

II. – L’expérimentation tient compte d’un double objectif de diversité et de représentativité, notamment territoriales. Elle porte sur la filière viande bovine et les produits laitiers, sur certaines productions agricoles issues de l’agriculture biologique ainsi que sur certaines autres productions agricoles, définies par décret.

Durant la phase d’expérimentation, les personnes publiques ou privées qui souhaitent mettre en place un affichage destiné à apporter au consommateur une information relative aux conditions de rémunération des producteurs de produits agricoles doivent mentionner le caractère expérimental de l’affichage à proximité immédiate de celui-ci.

Le bilan de chaque expérimentation est transmis par le Gouvernement au Parlement.

III. – (Supprimé)

Article 2 bis
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Article 3 bis

Article 3

La section 4 du chapitre Ier du titre III du livre VI du code rural et de la pêche maritime est ainsi modifiée :

1° A L’article L. 631-27 est ainsi modifié :

a) (Supprimé)

b) À l’avant-dernier alinéa, le mot : « publiques » est remplacé par le mot : « publics » ;

c) Avant le dernier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Il peut également rendre publics les refus des parties de communiquer les éléments nécessaires à la médiation des litiges prévus au deuxième alinéa du présent article. » ;

1° L’article L. 631-28 est ainsi modifié :

a) Le premier alinéa est ainsi modifié :

– après la première occurrence du mot : « à », sont insérés les mots : « la conclusion ou à » ;

– après la seconde occurrence du mot : « agricoles », sont insérés les mots : « et, en cas d’échec de la médiation, d’une saisine du comité de règlement des différends commerciaux agricoles mentionné à l’article L. 631-28-1 » ;

– sont ajoutés les mots : « et sauf pour certaines filières, dont la liste est définie par décret, pour lesquelles des modes alternatifs de règlement des différends ont été mis en place » ;

b) Le dernier alinéa est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« En cas d’échec de la médiation, dans un délai d’un mois à compter du constat de cet échec, toute partie au litige, après en avoir informé les parties, peut saisir le comité de règlement des différends commerciaux agricoles. Toute partie à un litige relatif à l’exécution d’un contrat peut, le cas échéant, saisir le président du tribunal compétent pour qu’il statue sur le litige selon la procédure accélérée au fond sur la base des recommandations du médiateur des relations commerciales agricoles. La saisine du président du tribunal compétent selon ces modalités est également ouverte au terme du délai prévu au présent alinéa.

« Par dérogation au premier alinéa, en cas d’échec de la médiation portant sur un litige mentionné au cinquième alinéa de l’article L. 441-8 du code de commerce, toute partie au litige peut directement saisir le juge compétent. » ;

2° Après le même article L. 631-28, sont insérés des articles L. 631-28-1 à L. 631-28-4 ainsi rédigés :

« Art. L. 631-28-1. – I. – Le comité de règlement des différends commerciaux agricoles connaît des litiges mentionnés à l’article L. 631-28 du présent code, à l’exception des litiges mentionnés au cinquième alinéa de l’article L. 441-8 du code de commerce, et statue sur le litige sur la base des recommandations non contraignantes du médiateur des relations commerciales agricoles.

« Il établit et rend publiques des lignes directrices qui précisent les modalités d’application des articles L. 631-24 et L. 631-24-2 du présent code.

« II. – Il comprend cinq membres, nommés pour une durée de cinq ans par décret pris sur le rapport du ministre chargé de l’agriculture :

« 1° Un membre ou ancien membre du Conseil d’État, de la Cour de cassation, de la Cour des comptes ou des autres juridictions administratives ou judiciaires, président du comité ;

« 2° Deux personnalités choisies en raison de leur expérience passée en matière de relation commerciale ;

« 3° Une personnalité ayant exercé son activité dans le secteur de la production de produits agricoles ;

« 4° Une personnalité ayant exercé son activité dans le secteur de la transformation, notamment de produits agricoles ;

« 5° (Supprimé)

« Le comité comprend également cinq membres suppléants, désignés dans les mêmes conditions que les membres titulaires.

« L’écart entre le nombre de femmes et le nombre d’hommes parmi l’ensemble des membres, d’une part, et parmi les membres titulaires, d’autre part, n’est pas supérieur à un.

« En cas de vacance de la présidence du comité ou en cas d’empêchement pour quelque cause que ce soit, les fonctions du président sont provisoirement exercées par son suppléant.

« Le mandat des membres du comité n’est renouvelable qu’une seule fois.

« Les membres du comité de règlement des différends commerciaux agricoles exercent leurs fonctions en toute impartialité, sans recevoir d’instruction du Gouvernement, ni d’aucune institution, personne, entreprise ou organisme.

« III. – Le comité dispose d’un secrétariat et peut faire appel à des rapporteurs extérieurs mis à disposition par l’État.

« Dans l’exercice de leurs fonctions, les agents mis à la disposition du comité exercent leurs fonctions en toute impartialité, sans recevoir d’instruction du Gouvernement, ni d’aucune institution, personne ou entreprise, ni d’aucun organisme.

« Ils sont tenus au secret professionnel pour les faits, actes et renseignements dont ils ont connaissance en raison de leurs fonctions.

« Art. L. 631-28-2. – L’instruction et la procédure devant le comité de règlement des différends commerciaux agricoles sont contradictoires. Chaque partie peut être assistée ou représentée par toute personne de son choix.

« Le comité délibère à la majorité des membres présents. Il ne peut délibérer que si tous ses membres, titulaires ou suppléants, sont présents. Il délibère hors la présence du rapporteur.

« Les débats devant le comité ont lieu en séance publique après lecture du rapport par le rapporteur. Toutefois, le huis clos est de droit si l’une des parties le demande. Le président du comité peut également décider que la séance a lieu ou se poursuit hors la présence du public, si la préservation du secret des affaires l’exige.

« Le comité se prononce dans un délai d’un mois à compter de la date de la saisine. Le délai peut être porté à deux mois si la production de documents est demandée à l’une ou l’autre des parties. Ce délai de deux mois peut être prorogé sous réserve de l’accord de la partie qui a saisi le comité.

« Art. L. 631-28-3. – I. – Pour les litiges relatifs à la conclusion d’un contrat ou d’un accord-cadre, la décision du comité de règlement des différends commerciaux agricoles est motivée et précise les conditions devant être remplies pour assurer la conformité du contrat aux articles L. 631-24 et L. 631-24-2.

« Pour les litiges relatifs à l’exécution ou à la renégociation d’un contrat ou d’un accord-cadre, la décision du comité est motivée et précise les modifications devant être apportées au contrat ou à l’accord-cadre pour assurer la conformité du contrat aux mêmes articles L. 631-24 et L. 631-24-2.

« II. – Le comité peut enjoindre aux parties de se conformer à sa décision. Cette injonction peut être assortie d’une astreinte pour contraindre les parties :

« 1° Pour les litiges relatifs à la conclusion d’un contrat ou d’un accord-cadre, à conclure un contrat à certaines conditions conformes aux articles L. 631-24 et L. 631-24-2, en application de la décision mentionnée au I du présent article ;

« 2° Pour les litiges relatifs à l’exécution ou à la renégociation d’un contrat ou d’un accord-cadre, à modifier ou à renégocier un contrat pour le mettre en conformité avec les articles L. 631-24 et L. 631-24-2, en application de la décision mentionnée au I du présent article.

« L’astreinte est prononcée dans la limite de 5 % du chiffre d’affaires journalier moyen, par jour de retard à compter de la date fixée par le comité. Le chiffre d’affaires pris en compte est calculé sur la base des comptes de l’entreprise relatifs au dernier exercice clos à la date de la décision.

« L’astreinte mentionnée au 1° du présent II est prononcée jusqu’à la conclusion du contrat en application de la décision mentionnée au I ou jusqu’à ce qu’une partie décide de mettre fin à la négociation du contrat. Dans ce cas, cette partie notifie sa décision au président du comité.

« L’astreinte mentionnée au 2° du présent II est prononcée jusqu’à la modification du contrat en application de la décision mentionnée au I ou jusqu’à ce qu’il soit mis fin à la relation contractuelle, le cas échéant dans le respect du délai de préavis prévu au contrat.

« L’astreinte est liquidée par le comité, qui en fixe le montant définitif, et est recouvrée comme une créance de l’État étrangère à l’impôt et au domaine.

« III. – Le comité peut, après avoir entendu les parties en cause, prendre les mesures conservatoires qui lui apparaissent nécessaires.

« Ces mesures ne peuvent intervenir que s’il est porté une atteinte grave et immédiate aux intérêts de l’une des parties au litige.

« Pour les litiges relatifs à la conclusion d’un contrat ou d’un accord-cadre, les mesures conservatoires sont exécutées jusqu’à la conclusion du contrat en application de la décision mentionnée au I ou jusqu’à ce qu’une partie décide de mettre fin à la négociation du contrat. Dans ce cas, cette partie notifie sa décision au président du comité.

« Pour les litiges relatifs à l’exécution ou à la renégociation d’un contrat ou d’un accord-cadre, les mesures conservatoires sont exécutées jusqu’à la modification du contrat en application de la décision mentionnée au même I ou jusqu’à ce qu’il soit mis fin à la relation contractuelle, le cas échéant dans le respect du délai de préavis prévu au contrat.

« Les mesures conservatoires doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l’urgence.

« IV. – La décision est notifiée aux parties.

« V. – Si les injonctions ou les mesures prévues aux II et III ne sont pas respectées, le comité peut prononcer une sanction pécuniaire dans les conditions prévues à l’article L. 631-25.

« Art. L. 631-28-4. – Les décisions et les mesures conservatoires prises par le comité de règlement des différends commerciaux agricoles en application de l’article L. 631-28-3 sont susceptibles de recours en annulation ou en réformation devant la cour d’appel de Paris.

« Le recours n’est pas suspensif. Toutefois, le sursis à exécution de la décision peut être ordonné par le premier président de la cour d’appel de Paris si elle est susceptible d’entraîner des conséquences manifestement excessives ou s’il est survenu, après sa notification, des faits nouveaux d’une exceptionnelle gravité.

« Le président du comité peut former un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris ayant annulé ou réformé une décision prise en application de la présente section et peut présenter des observations devant la Cour de cassation. » ;

3° L’article L. 631-29 est abrogé.

Article 3
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Article 3 ter

Article 3 bis

I. – Le Gouvernement remet chaque année au Parlement, au plus tard le 31 décembre, un rapport sur sa politique de contrôle en matière de pratiques commerciales trompeuses portant sur l’affichage de l’origine des denrées alimentaires. Ce rapport précise le nombre de contrôles effectués dans l’année, les résultats de ces enquêtes, le montant et les motifs de ces sanctions ainsi que les mesures prises pour mieux lutter contre ces pratiques trompeuses et donne des exemples anonymes de pratiques trompeuses en la matière ayant fait l’objet de sanctions.

II. – L’article L. 121-4 du code de la consommation est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« 24° De faire figurer un drapeau français, une carte de France ou tout symbole représentatif de la France sur les emballages alimentaires lorsque les ingrédients primaires définis par le règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires, modifiant les règlements (CE) n° 1924/2006 et (CE) n° 1925/2006 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 87/250/CEE de la Commission, la directive 90/496/CEE du Conseil, la directive 1999/10/CE de la Commission, la directive 2000/13/CE du Parlement européen et du Conseil, les directives 2002/67/CE et 2008/5/CE de la Commission et le règlement (CE) n° 608/2004 de la Commission ne sont pas d’origine française.

« Par dérogation au 24° du présent article, sont exclus du dispositif les ingrédients primaires dont l’origine France est difficile, voire impossible à garantir, car issus de filières non productrices en France ou dont la production est manifestement insuffisante sur le territoire. »

III. – Un décret détermine la liste des filières concernées ainsi que les conditions d’application du II.

Article 3 bis
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Article 4

Article 3 ter

(Supprimé)

Article 3 ter
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Article 4 bis

Article 4

I. – L’article L. 412-4 du code de la consommation est ainsi modifié :

1° (Supprimé)

2° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Sans préjudice des exigences d’étiquetage prévues par des dispositions particulières du droit de l’Union européenne, lorsque le pays d’origine ou le lieu de provenance de la denrée alimentaire est indiqué et qu’il n’est pas celui de son ingrédient primaire, le pays d’origine ou le lieu de provenance de l’ingrédient primaire est également indiqué ou le pays d’origine ou le lieu de provenance de l’ingrédient primaire est indiqué comme étant autre que celui de la denrée alimentaire. Cette information est inscrite à un endroit apparent de manière à être facilement visible, clairement lisible et, le cas échéant, indélébile. Elle n’est en aucune façon dissimulée, voilée, tronquée ou séparée par d’autres indications ou images ou tout autre élément interférant. » ;

2° bis Les deuxième à avant-dernier alinéas sont ainsi rédigés :

« Le consommateur est informé, au moyen de l’étiquetage, de l’origine du cacao des produits à base de cacao et de chocolat et de l’origine de la gelée royale.

« Il est également informé de tous les pays d’origine des miels composant un mélange de miels en provenance de plus d’un État membre de l’Union européenne ou d’un pays tiers, qui sont indiqués sur l’étiquette du produit.

« Les modalités d’application des troisième et quatrième alinéas du présent article sont fixées par décret en Conseil d’État après que la Commission européenne a déclaré compatible avec le droit de l’Union européenne l’obligation prévue au présent article. » ;

3° et 4° (Supprimés)

II. – La section 2 du chapitre II du titre Ier du livre IV du code de la consommation est ainsi modifiée :

1° L’article L. 412-11 est ainsi rédigé :

« Art. L. 412-11. – Dans les établissements titulaires d’une licence de débit de boissons à consommer sur place ou à emporter ou d’une licence de restaurant, les consommateurs sont informés, par un affichage lisible sur les menus, cartes des vins ou tout autre support, de la provenance et, le cas échéant, de la dénomination de l’appellation d’origine protégée ou de l’indication géographique protégée des vins mis en vente sous forme de bouteille, de pichet ou de verre.

« Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’État après que la Commission européenne a déclaré compatible avec le droit de l’Union européenne l’obligation prévue au présent article. » ;

2° L’article L. 412-12 est ainsi rédigé :

« Art. L. 412-12. – Afin de ne pas induire en erreur le consommateur quant à l’origine de la bière, le consommateur est informé, au moyen d’un étiquetage mettant en évidence ces indications, du nom du brasseur et du lieu de brassage des bières.

« Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’État après que la Commission européenne a déclaré compatible avec le droit de l’Union européenne l’obligation prévue au présent article. »

Article 4
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Article 5

Article 4 bis

Le I de l’article L. 412-9 du code de la consommation est ainsi modifié :

1° Au début, sont ajoutés les mots : « Sans préjudice de l’article L. 412-1, » ;

2° Après le mot : « livrer », sont insérés les mots : « ou dans les établissements sans salle de consommation sur place et proposant seulement des repas à emporter ou à livrer » ;

3° Sont ajoutés les mots : « , ainsi que pour les viandes utilisées en tant qu’ingrédient dans des préparations de viandes et des produits à base de viande lorsque l’opérateur a connaissance de cette information en application d’une réglementation nationale ou européenne ».

Article 4 bis
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Article 6

Article 5

Le code de la consommation est ainsi modifié :

1° Au 1° de l’article L. 121-22, après le mot : « titre », sont insérés les mots : « soit de l’article L. 122-24 du présent code, » ;

2° La section 3 du chapitre II du titre II du livre Ier est complétée par une sous-section 7 ainsi rédigée :

« Sous-section 7

« Opérations de dégagement relatives aux produits agricoles ou de première transformation

« Art. L. 122-24. – Toute publicité pratiquée en dehors des magasins relative à une opération de dégagement de produits alimentaires ou de catégories de produits alimentaires définis par décret, à l’exception des fruits et légumes frais, associant plusieurs magasins est autorisée par l’autorité administrative compétente après avis de l’organisation interprofessionnelle concernée.

« L’avis de l’organisation interprofessionnelle est réputé favorable en l’absence de réponse dans un délai fixé par le décret mentionné au premier alinéa.

« La publicité est réputée autorisée en l’absence de réponse de l’administration dans un délai fixé par le même décret.

« Une opération de dégagement est une opération promotionnelle visant à écouler une surproduction de produits alimentaires. »

Article 5
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Article 2

Article 6

I. – L’article 1er et le 3° du I de l’article 2 sont applicables aux accords-cadres et contrats conclus à compter d’une date fixée par décret, pour chaque filière, et au plus tard le 1er janvier 2023.

Les accords-cadres et contrats en cours à la date d’entrée en vigueur de l’article 1er doivent être mis en conformité avec l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction résultant de la présente loi, lors de leur prochain renouvellement, et au plus tard un an après l’entrée en vigueur de l’article 1er. Les organisations de producteurs, les associations d’organisations de producteurs ou les producteurs concernés proposent aux acheteurs un avenant à cet effet ou leur demandent par écrit de leur proposer cet avenant.

Toutefois, les contrats établis sur la base d’un contrat-type défini dans le cadre d’un accord interprofessionnel étendu peuvent être renouvelés ou prolongés avant la mise en conformité de ce contrat-type. Ils doivent en toute hypothèse être mis en conformité au plus tard un an après l’entrée en vigueur du même article 1er.

II. – Les 1°, 2° et 2° bis du I de l’article 2 et l’article 2 bis D entrent en vigueur dans les conditions suivantes :

1° Les conditions générales de vente communiquées à compter du premier jour du mois suivant la publication de la présente loi sont soumises au 1° du I de l’article 2 ;

2° Les conventions conclues sur la base de négociations commerciales fondées sur des conditions générales de vente conformes au même 1° sont soumises au 2° du I de l’article 2 et à l’article 2 bis D ;

3° En tout état de cause, à compter du 1er janvier 2022 :

a) Les conventions sont conclues à la suite de négociations commerciales fondées sur des conditions générales de vente conformes au 1° du I de l’article 2 et sont soumises au 2° du même I de l’article 2 et à l’article 2 bis D ;

b) Les conventions en cours qui n’ont pas été conclues conformément au 2° du I de l’article 2 sont mises en conformité avec ses dispositions au plus tard le 1er mars 2023.

II bis. – L’article 2 bis B entre en vigueur le 1er janvier 2022.

Les conventions en cours à la date d’entrée en vigueur du même article 2 bis B sont mises en conformité avec ses dispositions au plus tard le 1er janvier 2023.

III. – L’article 3 n’est pas applicable aux médiations en cours à la date de publication de la présente loi.

IV. – L’article 4 entre en vigueur le 1er juillet 2022.

V. – L’article 5 entre en vigueur le 1er janvier 2022.

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M. le président. Nous passons à la présentation des amendements du Gouvernement.

article 1er a à article 1er ter

M. le président. Sur les articles 1er A à 1er ter, je ne suis saisi d’aucun amendement.

Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?…

Le vote est réservé.

article 2

Article 6
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Explications de vote sur l'ensemble (début)

M. le président. L’amendement n° 3, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 17

Compléter cet alinéa par les mots :

, en raison des spécificités de leur filière de production

La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, monsieur le président, ma présentation vaudra pour les cinq amendements du Gouvernement, qui sont tous des amendements rédactionnels ou de mise en cohérence juridique. Je ne m’étendrai pas davantage…

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. Favorable sur les cinq amendements.

M. le président. Le vote est réservé.

L’amendement n° 4, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 26, deuxième et dernière phrases

Remplacer la référence :

L. 631-24-1

par la référence :

L. 631-24

L’amendement n° 5, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

I. – Alinéas 37 et 38

Supprimer ces alinéas.

II. – Après l’alinéa 42

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

3° bis La vingt-septième ligne est remplacée par deux lignes ainsi rédigées :

« 

Article L. 441-8

la loi n° … du … visant à protéger la rémunération des agriculteurs

Articles L. 441-9 et L. 441-10

l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019

 » ;

Je rappelle que le Gouvernement a déjà présenté ces amendements et que la commission a émis un avis favorable sur chacun d’entre eux.

Le vote est réservé.

article 2 bis aa

M. le président. L’amendement n° 2, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 3

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

bis. – À l’article L. 954-3-5 du code de commerce, les mots : « figurant sur une liste fixée » sont remplacés par les mots : « agricoles et alimentaires » et les mots : « dont la liste est fixée » sont supprimés.

Je rappelle que le Gouvernement a déjà présenté cet amendement et que la commission y est favorable.

Le vote est réservé.

articles 2 bis a à 2 bis c

M. le président. Sur les articles 2 bis A à 2 bis C, je ne suis saisi d’aucun amendement.

Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?…

Le vote est réservé.

article 2 bis d

M. le président. L’amendement n° 1, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Remplacer le mot :

domestiques

par les mots :

de compagnie

Je rappelle que le Gouvernement a déjà présenté cet amendement et que la commission y est favorable.

Le vote est réservé.

articles 2 bis ea à 6

M. le président. Sur les articles 2 bis EA à 6, je ne suis saisi d’aucun amendement.

Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?…

Le vote est réservé.

Vote sur l’ensemble

Article 2
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Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je donne la parole à M. Fabien Gay, pour explication de vote.

M. Fabien Gay. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme cela a été évoqué durant les débats sur la proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs, malgré les efforts du législateur, des rapports parlementaires et des témoignages de nombreux exploitants et professionnels du secteur agro-industriel, la rémunération des agriculteurs demeure clairement insuffisante.

Pis, le revenu paysan a continué de se dégrader au profit de l’agro-industrie et de la distribution. Il sera encore fragilisé par l’augmentation des coûts de production, en raison de la hausse mondiale du prix des céréales et du prix de l’énergie.

Ce nouveau texte apportera-t-il des améliorations ? Nous ne le pensons pas, même s’il comporte des mesures intéressantes comme la mise en place d’un « tunnel des prix », la création d’un comité de règlement des différends commerciaux agricoles ou encore le fait de sortir le prix des matières premières agricoles du cadre de la négociation tarifaire entre les industriels et les distributeurs. Ces avancées, souvent dues au Sénat et à Mme la rapporteure, nous paraissent toutefois insuffisantes, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, sortir le prix des matières premières agricoles du cadre de la négociation tarifaire n’empêchera pas les industriels d’imposer des prix bas à leurs fournisseurs afin d’accroître leurs marges.

Ensuite, vous nous parlez, monsieur le ministre, de renforcer les indicateurs de production, mais vous renvoyez une fois de plus aux interprofessions, alors que l’on pourrait confier un rôle beaucoup plus important à l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires et à FranceAgriMer. En cela, vous faites l’impasse sur un renforcement effectif de la prise en compte des indicateurs de coût de production dans la contractualisation et dans la « construction du prix en marche avant ». Nous pourrions également évoquer la possibilité qu’a la grande distribution de s’approvisionner sur le marché européen, voire mondial, et de contourner la réglementation nationale en passant par des centrales d’achat dont le siège est à l’étranger.

Au fond, tant que nous ne me remettrons pas en cause la loi de modernisation de l’économie (LME), il sera impossible de rééquilibrer le face-à-face entre un cartel d’acheteurs, représentés par une poignée de centrales d’achat, le secteur de la transformation, qui connaît une concentration confinant au monopole dans certaines filières comme le lait et la viande, et 300 000 à 400 000 producteurs insuffisamment organisés.

Dans la même logique, vous refusez de reconnaître une exception agricole sur le modèle de l’exception culturelle, alors même que nous savons que le marché ne fonctionne pas. Agriculture et concurrence sont antinomiques. Le développement rationnel de la production agricole, l’assurance d’un niveau de vie équitable pour la population agricole, la stabilisation des marchés, la sécurité des approvisionnements, ainsi que des prix raisonnables pour les consommateurs sont des objectifs supérieurs de la PAC, mais force est de constater que ceux-ci ne sont pas respectés tant que prédomine le dogme de la primauté des sacro-saintes règles du droit de la concurrence.

En définitive, ce texte n’ouvre pas de nouvelles perspectives au monde agricole : rien sur la régulation des volumes de production à l’échelle européenne et la lutte contre la concurrence déloyale qui sont pourtant des enjeux décisifs si l’on veut protéger le revenu paysan ; refus d’interdire à l’aval d’acheter des produits agricoles en dessous des coûts de production en France ; refus d’étendre la notion de prix abusivement bas aux produits importés ; refus, enfin, de renoncer aux accords de libre-échange mortifères pour notre planète et notre agriculture – vous connaissez le combat que nous menons sur cette question.

Le rapport de force au sein de la chaîne alimentaire restera inégal, et il ne peut y avoir de rééquilibrage des relations commerciales entre amont agricole, transformateurs et distributeurs sans intervention forte de la puissance publique.

Pour toutes ces raisons, et malgré les avancées que comporte ce texte, nous ne le voterons pas.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Moga, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)

M. Jean-Pierre Moga. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous pouvons donner un satisfecit général à la commission mixte paritaire pour avoir trouvé un accord sur la présente proposition de loi. D’autant que de nombreux apports du Sénat ont été maintenus, ce dont nous nous félicitons !

Car, si nous partageons évidemment l’esprit de ce texte, les apports sénatoriaux se fondaient sur un triptyque concret : étendre le champ d’application du texte afin de toucher le plus grand nombre d’agriculteurs, simplifier les dispositifs afin de les rendre plus applicables, rééquilibrer le rapport de force entre agriculteurs et industrie agroalimentaire, d’une part, et grande distribution, d’autre part.

Qu’il s’agisse de l’élargissement du principe de non-négociabilité, de la simplification du mécanisme de sanctuarisation des matières premières agricoles dans les négociations commerciales ou de l’affichage des produits, j’estime que notre institution a été force de proposition.

Elle prône également un pragmatisme bienvenu, par exemple en excluant certaines filières du relèvement du seuil de revente à perte ou en soutenant une clause de renégociation des prix en fonction de l’évolution de coûts.

Je tiens ici à féliciter la rapporteure pour son engagement et ses initiatives, de même que je tiens à saluer les travaux de notre commission relatifs au suivi de la loi Égalim et l’esquisse d’ajustements, eux aussi concrets et pertinents, pour perpétuer l’esprit des États généraux de l’alimentation.

Malgré ces motifs de satisfaction, il ne peut s’agir d’un blanc-seing. Des doutes fondés subsistent sur l’efficacité réelle du texte quand Égalim 1 n’avait déjà pas tenu ses promesses. En réalité, le problème est complexe, ancien et multidimensionnel.

Quid de l’accroissement général du niveau d’endettement des agriculteurs ? De la volatilité accrue des prix de l’énergie qui représentent entre 9 % et 20 % des charges ? Du pilotage de la valeur ajoutée face à la concentration et alliances commerciales des grandes enseignes ? De l’évaluation des 1,2 milliard d’euros du plan de relance fléchés vers les secteurs agricole et alimentaire avec l’objectif d’une souveraineté alimentaire trouvée ou retrouvée ?

Aussi, le groupe Union Centriste votera en faveur de ce texte et restera force de proposition pour améliorer les conditions de travail et de vie de nos agriculteurs. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour cette loi dite « Égalim 2 », la commission mixte paritaire est parvenue à un accord en intégrant une grande majorité des apports du Sénat. Nous devons être fiers de nos travaux qui vont au-delà des convictions politiques et sont conduits dans le seul intérêt général. Nous avons pointé la complexité des mesures et parfois leur inefficacité, mais critiquer, c’est facile, améliorer, c’est mieux.

La commission mixte paritaire a donc intégré les propositions suivantes : des sanctions en cas de non-recours à la clause de « tunnel de prix » ; une clause de renégociation en cas d’évolution du coût des intrants ; une sanction en cas de non-respect des dispositions sur l’encadrement des volumes prévisionnels au sein des contrats MDD ; un renforcement de l’interdiction des pénalités logistiques.

Le Sénat a obtenu également un élargissement du dispositif de non-négociabilité, pour protéger le prix de certaines denrées entrant dans la composition d’un produit alimentaire.

Le texte voté à l’Assemblée nationale fixait un seuil minimal – plus de 25 % de la composition – pour mettre en pratique la non-négociabilité. La commission mixte paritaire a fait disparaître ce seuil. Le principe de non-négociabilité s’appliquera à tous les produits alimentaires utilisés. Ce dispositif concernera un tiers des rayonnages, car il sera appliqué aux produits vendus sous marque de distributeur.

Toutes ces mesures sont des avancées notables, mais ce texte ne règle toujours pas le problème crucial du partage de la valeur. Je rappelle qu’il vise à protéger la rémunération des agriculteurs. Tel est son titre, et c’est une très belle intention !

Dimanche, j’étais à Foulayronnes, dans le Lot-et-Garonne, invité par Patrick Maurin, plus connu comme le « marcheur de Marmande », qui organisait la première édition de Rencontr’Agri. Un éleveur a témoigné au sujet de la vente de la viande qui, aujourd’hui, lui est achetée au même prix qu’à son père il y a vingt ans. Trouvez-vous cela normal ? Alors même que tout s’enflamme, et notamment le coût des matières premières et celui de la mise aux normes… Pour le lait, il a expliqué que quelques centimes de plus par litre lui permettraient de gagner quelques milliers d’euros supplémentaires par an – de l’oxygène face aux dépenses que je viens de citer.

Lundi, j’ai rencontré la présidente et le directeur du marché d’intérêt national de Montpellier : même constat. Les maraîchers vendent eux aussi leurs salades au même prix qu’il y a vingt ans. Trouvez-vous cela normal ?

Nous réunir, faire avancer les textes de loi par petite dose, c’est bien, mais comment répondre au constat que le partage de la valeur n’existe toujours pas ? Ce n’est malheureusement pas cette proposition de loi qui changera la donne.

Je veux redire ici qu’il nous faut du courage pour revoir ensemble la copie de la loi de modernisation de l’économie de 2008, qui a libéralisé les relations commerciales et déséquilibré toute la chaîne. Quand aurons-nous l’honnêteté de nous pencher vraiment sur les effets de cette loi ?

Je regrette que la commission mixte paritaire ait refusé la demande du Sénat d’un rapport sur les conséquences de la LME. Qu’est-ce que cela signifie ? Que nous préférons faire l’autruche. Aucune évaluation de ses conséquences sur l’agriculture depuis 2008, et pourtant on continue, alors même que de nombreux experts ont pointé du doigt cette loi par laquelle tout est arrivé, notamment la guerre des prix qui a asphyxié les paysans. Cela me met en colère ! On préfère se contenter de rapiécer des textes de loi par d’autres textes de loi : Égalim 1, Égalim 2, bientôt peut-être Égalim 3…

Mais à quand l’égalité ? L’égalité dans le respect accordé à tous les maillons de la chaîne et surtout au premier, sans lequel les autres ne pourraient ni travailler ni vivre : les paysans. Faut-il rappeler qu’à la base l’agriculteur prend tous les risques ? Il s’endette, il travaille la terre, il nourrit ses animaux, il s’adapte aux évolutions climatiques, aux goûts des consommateurs… Et, in fine, il ne décide de rien. Il subit. Il doit accepter un prix qui lui est imposé, car il sait qu’il sera déréférencé s’il ne s’y plie pas.

Quand oserons-nous redonner le pouvoir aux paysans ? Il est urgent de se saisir de cette question, car, demain, quelle sera notre agriculture ? Les enjeux, nous les connaissons : économie, santé publique, environnement, indépendance alimentaire, aménagement du territoire…

Quand on sait que la moyenne d’âge des agriculteurs est de 55 ans, comment intéresser les jeunes ? Comment leur donner envie de s’installer s’il n’y a pas de véritable vision partagée et de revenus à l’horizon ?

Si l’on prend aussi en compte – j’en ai parlé récemment – le e-commerce qui a investi le marché alimentaire et notamment celui du bio, il faut anticiper. Avec une part de marché de près de 8 % qui a explosé avec la crise sanitaire, ce mode de distribution ne va cesser de croître rapidement, avec toujours les mêmes méthodes agressives pour réduire les prix.

Je vous repose donc la question, monsieur le ministre : quand oserons-nous redonner le pouvoir aux agriculteurs ? Vous le savez, face aux colosses d’argent, le paysan d’argile se brise bien trop souvent…

Malgré tout, nous voterons ce texte, car il comporte des avancées. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Franck Montaugé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’issue de la commission mixte paritaire, je déplore toujours, avec mon groupe, le manque d’ambition de cette proposition de loi qui ne réglera pas de façon significative, dans la durée et pour la plupart des agriculteurs en difficulté, la question de leur juste rémunération.

Il est notoire que la conception de nouveaux mécanismes de contournement des dispositifs que contient ce texte est déjà à l’œuvre pour les acteurs qui ne consentent pas à l’effort d’intérêt général. Permettez-moi de dire que, dans ce contexte, notre enthousiasme est pour le moins mesuré ! Comme nous l’avions relevé lors des débats au Sénat, le texte n’est pas à la hauteur des enjeux auxquels font face de très nombreux agriculteurs français. Seule une remise à plat complète du système permettra d’apporter des réponses adaptées et efficaces.

La politique des petits pas appliquée depuis 2017 sur la question des rapports de force entre les acteurs de la chaîne de production agroalimentaire doit prendre fin. Une réforme de la LME de 2008 et de son orientation, beaucoup trop peu protectrice de la valeur dont le producteur est à l’origine, est urgente.

Dans le cadre d’une telle réforme que je souhaite voir appliquer, si l’avenir devait confirmer nos craintes, la définition et la mise en place juridique d’une véritable « exception agriculturelle » seraient indispensables.

Pour l’heure, nous prenons date avec le Gouvernement et nous demandons expressément qu’une évaluation complète de la mise en œuvre des deux lois Égalim soit menée dès 2022. La commission des affaires économiques du Sénat procédera à cette évaluation, comme elle l’a fait pour la loi Égalim 1. Nous prendrons notre part de ce travail au service des agriculteurs de nos territoires.

Mais parce que le produit des ventes au premier acheteur ne constitue pas l’intégralité du revenu, la réforme de la politique agricole commune, en cours de finalisation, aura aussi un impact sensible sur le revenu des agriculteurs.

Si je regrette, avec mon groupe, la baisse de ce budget de près de 10 % à euros constants pour la France, le plan stratégique national qui le traduit dans nos territoires doit aussi contribuer à la juste reconnaissance du travail des producteurs et à la préservation de la « Ferme France » dans toute sa diversité.

Monsieur le ministre, lors de la discussion du projet de loi Climat et résilience, vous aviez accepté, sur notre proposition, et je vous en remercie, d’introduire dans le livre préliminaire du code rural la possibilité de reconnaître les externalités de l’agriculture, ses effets positifs sur le climat, la biodiversité, etc.

Sur le budget de l’État, et non sur celui de la PAC, envisagez-vous de payer des prestations pour services environnementaux (PSE) aux agriculteurs ? Si tel était le cas, dans quelques jours, la discussion du projet de loi de finances pour 2022 nous donnerait ainsi l’occasion de contribuer directement à l’amélioration du revenu des agriculteurs.

Je constate avec plaisir que les députés se sont saisis de cette question lors de l’examen de la première partie du projet de loi de finances. Le Sénat apportera, je l’espère, sa contribution à ce dispositif qui doit s’ajouter aux autres. Le devenir des territoires intermédiaires ou à faible potentiel doit aussi être traité dans ce cadre.

À cet égard et vous le savez, monsieur le ministre, les enjeux sont considérables pour les territoires et pour beaucoup d’agriculteurs dont certains ont été injustement exclus du règlement des zones défavorisées ou à handicaps naturels. Le Gers est douloureusement concerné, vous le savez aussi. Nous avons besoin de vous !

Il nous faudra aussi des réponses concrètes sur les outils de gestion des risques. Sans anticiper les débats que nous aurons sur les dispositifs d’assurance individuelle ou de prise en compte par la Nation des aléas de grande ampleur, je regrette que nulle part il ne soit question de garantie et de stabilisation du revenu agricole.

Pourtant à droit constant européen, il serait possible de mettre en place un fonds de stabilisation du revenu dans le cadre, par exemple, du règlement européen n° 1305/2013. En 2016, le Sénat, sur la proposition qu’Henri Cabanel et moi-même avions faite, avait voté à l’unanimité une proposition de loi en ce sens. Le Gouvernement pourrait utilement la reprendre. Ce serait une pierre supplémentaire apportée à l’édifice, bien fragile encore, de la juste rémunération des producteurs agricoles.

Cependant et parce que le texte qui nous est soumis ouvre le champ de l’expérience dans le sens des objectifs que nous partageons, nous le voterons, sans illusion et avec le sentiment d’un travail inachevé, perfectible… éminemment perfectible ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis, pour explication de vote.

M. Bernard Buis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le lundi 4 octobre dernier, après deux heures de cordiales discussions et une interruption de séance, nous nous sommes accordés à l’unanimité pour que la commission mixte paritaire puisse aboutir. Je tiens à remercier tous les participants, et particulièrement Mme la rapporteure, toujours à la recherche du meilleur consensus possible.

Cet accord a été réalisé en coconstruction avec les acteurs de la chaîne alimentaire, dans l’intérêt d’une meilleure répartition de la valeur de l’amont à l’aval. Le texte rééquilibre désormais le rapport de force avec les industriels et les distributeurs, et porte des avancées importantes pour nos agriculteurs.

Cette issue favorable s’inscrit dans la vision stratégique travaillée depuis quatre ans par la majorité présidentielle pour remettre de la valeur dans l’agriculture. Dès 2017, dans son programme de campagne, Emmanuel Macron avait l’ambition que nos agriculteurs puissent vivre de leur travail par un juste prix payé. La loi Égalim avait posé les jalons de cette nouvelle philosophie des relations commerciales : ainsi, l’encouragement à la structuration des filières, l’élaboration des indicateurs de référence, le relèvement du seuil de revente à perte (SRP) devaient être des marqueurs pour repenser les maillons de la chaîne agroalimentaire. En d’autres termes, Égalim 1 a permis des avancées notables et un changement de paradigme.

Deux ans plus tard, le texte présenté ici avec l’appui du député et rapporteur Grégory Besson-Moreau consolidera ces avancées. Il permettra de donner plus de richesse à nos agriculteurs, et de couvrir les coûts de production dans un grand nombre de secteurs. Je me permettrai de relever quelques avancées notables.

Nous sécurisons la rémunération des producteurs agricoles par les industriels en améliorant la transparence du coût d’achat de la matière première agricole dans les conditions générales de vente. Cet article a fait l’objet de nombreuses prises de position. Finalement, nous sommes parvenus à un bel « atterrissage » : nous réintroduisons l’option 1 de l’article 2 pour un effet de seuil à 0 %, avec possibilité, par décret, de remonter à 25 % les matières en agrégé. Cette possibilité était une demande du monde agricole et de la grande distribution, mais également de l’industrie agroalimentaire.

D’autre part, nous automatisons les contrats écrits et pluriannuels en matière de vente de produits agricoles entre un producteur et son premier acheteur, pour une durée minimale de trois ans, avec une formule de révision automatique des prix.

Aussi, l’encadrement plus strict des contrats soumis à MDD introduit au Sénat doit permettre à ce marché florissant pour la grande distribution de ne pas être un moyen d’exercer une pression à la baisse sur les prix payés aux producteurs.

Nous permettons aux industriels de répercuter en cascade les prix agricoles en raison de la non-négociabilité des prix entre industriels et commerces.

Nous bonifions la loi relative à la transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires. Cela permettra de montrer aux consommateurs que nos agriculteurs font des produits de grande qualité.

Enfin, chacun a pu faire un pas concernant la dérogation en faveur de l’exclusion du secteur des fruits et légumes du relèvement du SRP. Nous serons toutefois vigilants sur cette expérimentation qui pourrait avoir des effets indésirables pour les circuits courts.

Avec cette commission mixte paritaire conclusive, nous démontrons que c’est l’ensemble des partis républicains qui sont derrière notre agriculture. Nos agriculteurs nous nourrissent chaque jour, nous devons en être fiers et reconnaissants. Avec l’appui de notre ministre, aussi volontariste qu’opiniâtre pour l’intérêt de notre agriculture, continuons à accompagner nos paysans dans les mutations qui leur sont demandées pour l’environnement, la sécurité alimentaire et la qualité des produits.

Une fois cette loi votée, elle pourra s’appliquer dès sa publication aux négociations qui démarreront prochainement. Merci, monsieur le ministre, d’accélérer la publication du texte et des décrets d’application nécessaires ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Franck Menonville, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE.)

M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, compléter et corriger la loi Égalim était une nécessité, et tel est l’objectif de ce texte. Garantir un revenu digne à nos agriculteurs qui contribuent à notre souveraineté alimentaire est aussi un impératif.

Nous saluons le travail effectué par le Parlement, et surtout l’accord trouvé entre nos deux assemblées. L’action du Sénat est à souligner : je me réjouis que nos apports aient été conservés. Je pense notamment à l’extension du champ d’application de la loi au bénéfice du plus grand nombre, à la simplification des dispositifs et au rééquilibrage des rapports de force.

Comme à de multiples reprises, le Sénat, chambre des territoires, a su insuffler le réalisme et la praticité nécessaires à un texte qui en manquait quelque peu – je remercie Mme la rapporteure pour son travail.

Vous l’avez dit, monsieur le ministre, la loi Égalim n’est pas la seule problématique : il faut aussi que nous attaquions urgemment à certains pans de la LME, qui est un accélérateur de la guerre des prix.

Je tiens à saluer une avancée notable prévue par ce texte : l’encadrement des ventes sous marque de distributeur. Apport important, ce point a été préservé dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire. C’est encourageant pour l’ensemble de la chaîne agricole et c’est un élément significatif pour la rémunération des agriculteurs.

Autre point de satisfaction, le maintien de la clause générale de renégociation. J’en avais proposé une réorganisation et je me félicite que cela ait été conservé. L’évolution des prix du transport ou encore celle de l’électricité sont à prendre en compte. À la lumière des événements récents dans le secteur de l’énergie avec la hausse des prix de l’électricité, ce mécanisme me paraît d’autant plus essentiel.

Enfin, l’article 3 bis dans sa nouvelle rédaction, issue de nos travaux dans l’hémicycle, est également présent dans le texte final. Il répond à une volonté des citoyens d’être mieux informés de l’origine des produits, avec l’affichage qui en découle. J’avais d’ailleurs déposé au nom de mon groupe des amendements qui allaient dans le même sens.

Pour conclure, je crois que ce texte représente une étape importante dans les objectifs d’une meilleure rémunération des agriculteurs tout en stabilisant le système et la filière agroalimentaires. Cependant, d’autres composantes du revenu des agriculteurs telles que les charges et les distorsions de concurrence doivent aussi trouver leur place dans nos politiques publiques.

Comme l’a dit la présidente de la commission des affaires économiques, nous souhaitons poursuivre l’action du groupe de suivi et d’évaluation de la loi Égalim dont les travaux ont d’ailleurs alimenté nos débats. C’est absolument nécessaire.

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants, convaincu des évolutions positives contenues dans le texte élaboré par la commission mixte paritaire, votera en sa faveur, car il représente un compromis satisfaisant. Je souhaite à cet instant saluer également votre détermination, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à Mme Micheline Jacques, pour explication de vote.

Mme Micheline Jacques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à quelques mois de l’élection présidentielle, le Parlement était de nouveau appelé à légiférer sur la rémunération des agriculteurs, sujet ô combien important en termes tant de justice sociale que de souveraineté alimentaire.

On s’en souvient, la loi Égalim 1 avait suscité un immense espoir dans la profession agricole, mais le « ruissellement » de la valeur n’a jamais été au rendez-vous. Pis encore, les revenus des agriculteurs n’ont cessé de diminuer au cours des dernières années.

Le Sénat avait très tôt dénoncé les malentendus de cette loi qui n’agissait que sur les prix, donc seulement sur un cinquième des recettes des agriculteurs, et qui ne prévoyait aucun levier concernant les charges d’exploitation, la simplification des normes, la perte de compétitivité ou encore la lutte contre la concurrence déloyale. Par ailleurs, ce texte, en contradiction avec l’ambition affichée, tendait à augmenter les charges pesant sur les agriculteurs.

Quand la proposition de loi Égalim 2 est arrivée sur le bureau du Sénat, le scepticisme l’a de nouveau emporté. Les sénateurs du groupe Les Républicains ont jugé le texte complexe, susceptible d’ouvrir de nouveaux contentieux, de déséquilibrer encore davantage les négociations commerciales, de fragiliser les PME de l’agroalimentaire et de menacer la médiation des relations commerciales.

Pour autant, la majorité sénatoriale a cherché à donner plus d’ambition au texte en le modifiant substantiellement. Elle a jugé que la proposition de loi présentait des points positifs qu’il fallait accompagner et amplifier. En amont, la vente de produits agricoles devra désormais passer par des contrats écrits, le prix sera déterminé en tenant compte d’indicateurs de référence et ce dernier pourra fluctuer selon une clause de révision automatique du prix. En aval, l’industriel devra afficher la part des matières premières agricoles dans son tarif fournisseur, cette part devenant non négociable, et le prix du contrat pourra lui aussi fluctuer selon une clause de révision automatique du prix. L’objectif est de sanctuariser le prix des matières premières agricoles tout au long de la chaîne de valeur.

La commission mixte paritaire a retenu nombre d’avancées adoptées au Sénat : l’application du principe de non-négociabilité sur un maximum de matières premières indépendamment du volume des différents ingrédients, la simplification du mécanisme visant à sanctuariser les prix des matières premières agricoles dans la négociation commerciale, l’encadrement des contrats de produits alimentaires vendus sous marque de distributeur, l’expérimentation de l’exclusion des fruits et légumes du relèvement du seuil de revente à perte mis en œuvre depuis la loi Égalim 1, l’encadrement des pénalités logistiques, la clause de renégociation des prix en fonction de l’évolution de coûts comme l’énergie, le transport ou les emballages, la possibilité de saisir le juge des référés en cas d’échec de la médiation… Tout cela permet d’aboutir à un texte plus équilibré et qui aura plus d’impact sur le terrain.

C’est pourquoi le groupe Les Républicains votera en faveur des conclusions de la commission mixte paritaire.

Il est maintenant de la responsabilité des acteurs de la chaîne alimentaire de respecter ces règles, notamment dans les box de négociation. La commission des affaires économiques du Sénat sera très vigilante sur l’application du texte et sur ses effets sur les acteurs concernés ; elle poursuivra ses travaux dans le cadre de la mission de suivi qu’elle avait mise en place pour la loi Égalim 1. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.

M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme cela a été dit à de nombreuses reprises, ce texte ne permettra malheureusement pas à lui seul de régler la problématique essentielle du revenu des agriculteurs.

Certes, il comporte quelques avancées, comme le rémunérascore, l’expérimentation du « tunnel de prix », la lutte contre les pratiques industrielles déloyales concernant le made in France. Le Sénat a également permis d’aller plus loin sur les marques de distributeurs. L’étiquetage des miels est un combat de longue date pour les apiculteurs, et nous serons vigilants sur son application.

Si l’on peut espérer que ces mesures aient un impact, ce dernier sera, nous le savons, bien trop limité.

Tant que nous continuerons à soumettre notre agriculture à la course au moins-disant social et environnemental sur le marché mondial, il est illusoire de croire que nous pourrons relever les défis de la transition écologique, de la souveraineté alimentaire et du revenu agricole. Le rapport de force restera favorable au secteur de la grande distribution, toujours plus concentré et engagé dans la guerre des prix.

Ainsi, les principaux leviers qui permettraient de « protéger la rémunération des agriculteurs » ne sont pas abordés dans la loi, qui n’enclenchera pas la construction de circuits de proximité, vecteurs de commerce équitable pour nos agriculteurs et de relocalisation de l’alimentation.

Ce texte ne permettra pas le travail pourtant nécessaire sur l’accès à une alimentation de qualité pour toutes et tous, via la construction d’une sécurité sociale de l’alimentation.

Il ne mettra pas fin à la concurrence déloyale des produits importés ne respectant pas nos normes sociales et environnementales.

Il ne permettra pas non plus de rémunérer les services environnementaux que les agriculteurs engagés dans la transition fournissent aujourd’hui gratuitement. Il ne permettra donc pas de soutenir les pratiques qui, comme l’agriculture paysanne biologique, sont source de résilience et de valeur ajoutée.

Je dois vous dire, monsieur le ministre, que j’ai été dérangé, voire agacé, à la lecture de la tribune que vous avez fait paraître hier dans la presse. Vous nous proposez de délaisser l’agroécologie, jugée trop coûteuse…

M. Julien Denormandie, ministre. Je n’ai pas dit cela !

M. Joël Labbé. Je vous cite : « Mais force est de constater que ces transitions, bien trop souvent, se font au détriment du compte de résultat des agriculteurs, et donc de la pérennité de leurs exploitations. »

Vous savez bien, monsieur le ministre, que les exploitations qui travaillent en produisant le moins possible d’externalités négatives ont des comptes de résultat intéressants.

À vous lire, nous avons l’impression qu’il n’y aurait plus qu’un seul modèle agricole à suivre, vers lequel vous assumez vouloir mettre le paquet. Il est fondé sur l’innovation dirigée vers la robotique, le numérique et la génétique – lorsque l’on parle de génétique, les organismes génétiquement modifiés (OGM) ne sont pour nous jamais loin, ce que nous ne pouvons pas accepter.

Une agriculture où des drones et des satellites distribueraient une « juste dose » d’engrais chimiques ou de pesticides ne correspond pas à ce qu’attendent nombre de nos concitoyens, qui plaident en faveur d’une agriculture paysanne, biologique, très demandée sur le territoire.

Cette agriculture où les robots remplaceraient les agriculteurs correspond à un modèle soumis au jeu destructeur de la concurrence mondialisée, placé entre les mains de multinationales de la semence et de la chimie, et qui nous est proposé au motif de rémunérer décemment les agriculteurs. Cela ne nous convient pas, pas plus qu’à une partie importante de la population française, les paysans compris !

Plutôt que de travailler sur la valeur ajoutée, la résilience, l’autonomie des paysans via des solutions agronomiques qui se développent déjà partout dans les territoires, vous nous proposez de participer à une course mondiale vers ce que votre logique présente comme la nécessaire concentration d’exploitations hyper-technologiques, validant de fait un plan social agricole synonyme de perte de revenus pour une majorité d’agriculteurs, qui d’ailleurs ne pourront pas continuer à travailler.

Monsieur le ministre, vous parlez de la recherche, mais les moyens attribués à la recherche en information et technologie pour les agroprocédés (ITAP) sont complètement insuffisants. Vous dites ne pas opposer les agricultures, ne les opposez donc pas ! Une autre agriculture, paysanne, demande à vivre dans ce pays.

La dernière fois, au nom du groupe écologiste, j’avais voté ce texte avec beaucoup de réserves. Je vais encore le voter en raison des avancées qu’il permet, mais cette fois ce sera à reculons.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par les amendements du Gouvernement, l’ensemble de la proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs.

(La proposition de loi est adoptée définitivement.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs
 

12

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 18 octobre 2021 :

À seize heures et le soir :

Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure (texte de la commission n° 47, 2021-2022).

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante.)

 

nomination de membres dune délégation sénatoriale

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 du règlement, la liste des candidatures à la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation préalablement publiée est ratifiée.

Sont proclamés membres de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation :

MM. Bernard Buis, Thierry Cozic, Mme Chantal Deseyne, MM. Thomas Dossus, Hervé Gillé, Mmes Muriel Jourda, Christine Lavarde, MM. Franck Menonville, Jean-Marie Mizzon et Olivier Paccaud.

nomination dun membre dune commission

Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires a présenté une candidature pour la commission de la culture, de léducation et de la communication.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai prévu par larticle 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : Mme Mélanie Vogel est proclamée membre de la commission de la culture, de léducation et de la communication.

 

Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

ÉTIENNE BOULENGER