M. le président. La parole est à Mme Micheline Jacques, pour explication de vote.
Mme Micheline Jacques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à quelques mois de l’élection présidentielle, le Parlement était de nouveau appelé à légiférer sur la rémunération des agriculteurs, sujet ô combien important en termes tant de justice sociale que de souveraineté alimentaire.
On s’en souvient, la loi Égalim 1 avait suscité un immense espoir dans la profession agricole, mais le « ruissellement » de la valeur n’a jamais été au rendez-vous. Pis encore, les revenus des agriculteurs n’ont cessé de diminuer au cours des dernières années.
Le Sénat avait très tôt dénoncé les malentendus de cette loi qui n’agissait que sur les prix, donc seulement sur un cinquième des recettes des agriculteurs, et qui ne prévoyait aucun levier concernant les charges d’exploitation, la simplification des normes, la perte de compétitivité ou encore la lutte contre la concurrence déloyale. Par ailleurs, ce texte, en contradiction avec l’ambition affichée, tendait à augmenter les charges pesant sur les agriculteurs.
Quand la proposition de loi Égalim 2 est arrivée sur le bureau du Sénat, le scepticisme l’a de nouveau emporté. Les sénateurs du groupe Les Républicains ont jugé le texte complexe, susceptible d’ouvrir de nouveaux contentieux, de déséquilibrer encore davantage les négociations commerciales, de fragiliser les PME de l’agroalimentaire et de menacer la médiation des relations commerciales.
Pour autant, la majorité sénatoriale a cherché à donner plus d’ambition au texte en le modifiant substantiellement. Elle a jugé que la proposition de loi présentait des points positifs qu’il fallait accompagner et amplifier. En amont, la vente de produits agricoles devra désormais passer par des contrats écrits, le prix sera déterminé en tenant compte d’indicateurs de référence et ce dernier pourra fluctuer selon une clause de révision automatique du prix. En aval, l’industriel devra afficher la part des matières premières agricoles dans son tarif fournisseur, cette part devenant non négociable, et le prix du contrat pourra lui aussi fluctuer selon une clause de révision automatique du prix. L’objectif est de sanctuariser le prix des matières premières agricoles tout au long de la chaîne de valeur.
La commission mixte paritaire a retenu nombre d’avancées adoptées au Sénat : l’application du principe de non-négociabilité sur un maximum de matières premières indépendamment du volume des différents ingrédients, la simplification du mécanisme visant à sanctuariser les prix des matières premières agricoles dans la négociation commerciale, l’encadrement des contrats de produits alimentaires vendus sous marque de distributeur, l’expérimentation de l’exclusion des fruits et légumes du relèvement du seuil de revente à perte mis en œuvre depuis la loi Égalim 1, l’encadrement des pénalités logistiques, la clause de renégociation des prix en fonction de l’évolution de coûts comme l’énergie, le transport ou les emballages, la possibilité de saisir le juge des référés en cas d’échec de la médiation… Tout cela permet d’aboutir à un texte plus équilibré et qui aura plus d’impact sur le terrain.
C’est pourquoi le groupe Les Républicains votera en faveur des conclusions de la commission mixte paritaire.
Il est maintenant de la responsabilité des acteurs de la chaîne alimentaire de respecter ces règles, notamment dans les box de négociation. La commission des affaires économiques du Sénat sera très vigilante sur l’application du texte et sur ses effets sur les acteurs concernés ; elle poursuivra ses travaux dans le cadre de la mission de suivi qu’elle avait mise en place pour la loi Égalim 1. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme cela a été dit à de nombreuses reprises, ce texte ne permettra malheureusement pas à lui seul de régler la problématique essentielle du revenu des agriculteurs.
Certes, il comporte quelques avancées, comme le rémunérascore, l’expérimentation du « tunnel de prix », la lutte contre les pratiques industrielles déloyales concernant le made in France. Le Sénat a également permis d’aller plus loin sur les marques de distributeurs. L’étiquetage des miels est un combat de longue date pour les apiculteurs, et nous serons vigilants sur son application.
Si l’on peut espérer que ces mesures aient un impact, ce dernier sera, nous le savons, bien trop limité.
Tant que nous continuerons à soumettre notre agriculture à la course au moins-disant social et environnemental sur le marché mondial, il est illusoire de croire que nous pourrons relever les défis de la transition écologique, de la souveraineté alimentaire et du revenu agricole. Le rapport de force restera favorable au secteur de la grande distribution, toujours plus concentré et engagé dans la guerre des prix.
Ainsi, les principaux leviers qui permettraient de « protéger la rémunération des agriculteurs » ne sont pas abordés dans la loi, qui n’enclenchera pas la construction de circuits de proximité, vecteurs de commerce équitable pour nos agriculteurs et de relocalisation de l’alimentation.
Ce texte ne permettra pas le travail pourtant nécessaire sur l’accès à une alimentation de qualité pour toutes et tous, via la construction d’une sécurité sociale de l’alimentation.
Il ne mettra pas fin à la concurrence déloyale des produits importés ne respectant pas nos normes sociales et environnementales.
Il ne permettra pas non plus de rémunérer les services environnementaux que les agriculteurs engagés dans la transition fournissent aujourd’hui gratuitement. Il ne permettra donc pas de soutenir les pratiques qui, comme l’agriculture paysanne biologique, sont source de résilience et de valeur ajoutée.
Je dois vous dire, monsieur le ministre, que j’ai été dérangé, voire agacé, à la lecture de la tribune que vous avez fait paraître hier dans la presse. Vous nous proposez de délaisser l’agroécologie, jugée trop coûteuse…
M. Joël Labbé. Je vous cite : « Mais force est de constater que ces transitions, bien trop souvent, se font au détriment du compte de résultat des agriculteurs, et donc de la pérennité de leurs exploitations. »
Vous savez bien, monsieur le ministre, que les exploitations qui travaillent en produisant le moins possible d’externalités négatives ont des comptes de résultat intéressants.
À vous lire, nous avons l’impression qu’il n’y aurait plus qu’un seul modèle agricole à suivre, vers lequel vous assumez vouloir mettre le paquet. Il est fondé sur l’innovation dirigée vers la robotique, le numérique et la génétique – lorsque l’on parle de génétique, les organismes génétiquement modifiés (OGM) ne sont pour nous jamais loin, ce que nous ne pouvons pas accepter.
Une agriculture où des drones et des satellites distribueraient une « juste dose » d’engrais chimiques ou de pesticides ne correspond pas à ce qu’attendent nombre de nos concitoyens, qui plaident en faveur d’une agriculture paysanne, biologique, très demandée sur le territoire.
Cette agriculture où les robots remplaceraient les agriculteurs correspond à un modèle soumis au jeu destructeur de la concurrence mondialisée, placé entre les mains de multinationales de la semence et de la chimie, et qui nous est proposé au motif de rémunérer décemment les agriculteurs. Cela ne nous convient pas, pas plus qu’à une partie importante de la population française, les paysans compris !
Plutôt que de travailler sur la valeur ajoutée, la résilience, l’autonomie des paysans via des solutions agronomiques qui se développent déjà partout dans les territoires, vous nous proposez de participer à une course mondiale vers ce que votre logique présente comme la nécessaire concentration d’exploitations hyper-technologiques, validant de fait un plan social agricole synonyme de perte de revenus pour une majorité d’agriculteurs, qui d’ailleurs ne pourront pas continuer à travailler.
Monsieur le ministre, vous parlez de la recherche, mais les moyens attribués à la recherche en information et technologie pour les agroprocédés (ITAP) sont complètement insuffisants. Vous dites ne pas opposer les agricultures, ne les opposez donc pas ! Une autre agriculture, paysanne, demande à vivre dans ce pays.
La dernière fois, au nom du groupe écologiste, j’avais voté ce texte avec beaucoup de réserves. Je vais encore le voter en raison des avancées qu’il permet, mais cette fois ce sera à reculons.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par les amendements du Gouvernement, l’ensemble de la proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs.
(La proposition de loi est adoptée définitivement.)
12
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 18 octobre 2021 :
À seize heures et le soir :
Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure (texte de la commission n° 47, 2021-2022).
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante.)
nomination de membres d’une délégation sénatoriale
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 du règlement, la liste des candidatures à la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation préalablement publiée est ratifiée.
Sont proclamés membres de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation :
MM. Bernard Buis, Thierry Cozic, Mme Chantal Deseyne, MM. Thomas Dossus, Hervé Gillé, Mmes Muriel Jourda, Christine Lavarde, MM. Franck Menonville, Jean-Marie Mizzon et Olivier Paccaud.
nomination d’un membre d’une commission
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires a présenté une candidature pour la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : Mme Mélanie Vogel est proclamée membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER