Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Loïc Hervé, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’en venir aux dispositions de ce texte, je voudrais formuler deux réflexions.
La première concerne la censure par le Conseil constitutionnel de certaines dispositions de la loi pour une sécurité globale préservant les libertés, texte dont j’ai été le rapporteur avec Marc-Philippe Daubresse. Nous avions œuvré en commission pour le rendre le plus conforme possible à la Constitution. Nous sommes donc solidaires des conséquences de cette censure.
Nous devons dès lors nous montrer très vigilants dans l’examen du présent texte, afin d’éviter que se reproduise une telle censure, certes partiellement décidée au titre de l’article 45 de la Constitution, qui sanctionne les cavaliers législatifs, mais portant aussi sur le fond.
Ma seconde réflexion prendra la forme d’une interpellation. Monsieur le ministre, je souhaiterais interpeller le Gouvernement sur l’impérieuse nécessité de rénover le cadre juridique de la vidéoprotection.
Vous le savez, ce cadre n’est plus conforme à la réglementation européenne en matière de protection des données personnelles. Il ne permet ni aux responsables des traitements de connaître l’état réel de leurs obligations ni aux personnes concernées de savoir comment exercer leurs droits.
Il s’agit d’un chantier d’ampleur, d’un chantier nécessaire dans lequel le Parlement entend jouer tout son rôle. C’est pourquoi nous appelons de nos vœux le dépôt prochain d’un texte législatif sur le sujet. Seulement, monsieur le ministre, de grâce, que cela ne prenne pas la forme d’une habilitation à légiférer par ordonnance ! (M. le ministre délégué hoche la tête.) Le Parlement entend jouer son rôle plénier en la matière.
J’en viens à présent au projet de loi qui nous occupe cet après-midi.
Je me suis en premier lieu intéressé aux articles qui constituent la suite de la décision du Conseil constitutionnel sur la loi Sécurité globale que j’évoquais à l’instant.
Il s’agit d’abord de l’article 6, qui vise à accompagner la montée en puissance de la réserve civile de la police nationale, rebaptisée « réserve opérationnelle de la police nationale ». Les évolutions proposées vont dans le bon sens ; la commission vous propose de les adopter sans trop de modifications, comme nous l’avions fait en mars dernier.
S’agissant de la captation d’images par les forces de sécurité, le projet de loi comporte plusieurs dispositions visant à donner aux policiers et aux gendarmes les moyens de mieux tirer parti des nouvelles technologies de captation d’images.
Le projet de loi encadre le recours à la vidéosurveillance dans les cellules de garde à vue et de retenue douanière. Il donne également une base légale à l’usage des caméras aéroportées en matière administrative et à celui des caméras embarquées par les forces de sécurité intérieure.
Sur ces trois évolutions, la commission s’est attachée à trouver un équilibre entre l’opérationnalité de l’usage des caméras et la protection du droit au respect de la vie privée. Nous avons également choisi d’ouvrir l’usage des drones aux polices municipales, comme nous l’avions déjà fait en mars dernier.
Sur l’ensemble de ces points, quelques ajustements me semblent encore devoir être apportés. Le Conseil d’État a indiqué, dans un avis rendu jeudi dernier, qu’une base législative était nécessaire pour recourir aux drones en matière judiciaire. Nous ne pouvons pas laisser notre justice désarmée. C’est la raison pour laquelle la commission a donné un avis favorable à l’amendement du Gouvernement visant à répondre à cette invitation.
J’en arrive aux articles relatifs au contrôle des armes à l’échelle nationale, qui constituent une thématique nouvelle par rapport à la loi Sécurité globale.
Il est proposé, d’une part, de renforcer et de mieux définir les interdictions d’acquisition et de détention d’armes et, d’autre part, de mieux contrôler l’accès aux métiers de l’armurerie et de l’armement, en subordonnant l’accès aux formations à l’obtention d’une autorisation préalable. Ces évolutions, monsieur le ministre, vont dans le bon sens.
En matière de sécurité routière, le projet de loi entend renforcer la lutte contre les rodéos urbains en introduisant de nouvelles obligations déclaratives qui permettront d’identifier plus facilement les véhicules impliqués et leurs propriétaires. Il donne également de nouvelles prérogatives aux gardes particuliers assermentés.
Enfin, il me faut dire quelques mots de l’article 19, qui adapte les procédures répressives de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) ; vous savez, mes chers collègues, combien je suis attaché à cette autorité administrative indépendante. Depuis l’entrée en vigueur du règlement général sur la protection des données (RGPD), elle fait face à une augmentation importante du volume des affaires qu’elle traite ; les procédures qu’elle doit suivre apparaissent inadaptées.
Il est en conséquence prévu à cet article de les aménager et de les simplifier, afin que la CNIL dispose de procédures plus adaptées aux spécificités de chaque affaire. L’article 19 reprend l’essentiel des modifications apportées par le Sénat lors de l’examen d’une disposition similaire à l’occasion du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dit « 3DS » ; il me semble qu’il aboutit à un équilibre satisfaisant.
Demande de réserve
M. Marc Fesneau, ministre délégué. Madame la présidente, en application de l’article 44, alinéa 6, du règlement du Sénat, le Gouvernement demande la réserve des articles 1er à 4, 12 à 16 ainsi que 19 et 20, relevant du ministère de la justice, jusqu’à demain, mardi 19 octobre, à quatorze heures trente, afin que ceux-ci soient examinés en présence du garde des sceaux.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur cette demande de réserve formulée par le Gouvernement ?
Mme Catherine Di Folco, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Il est favorable, madame la présidente.
Mme la présidente. Il n’y a pas d’opposition ?…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Si, madame la présidente !
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Madame la présidente, je vous prie de me pardonner, mais c’est vous qui, par votre question, suscitez mon expression.
Que M. Dupond-Moretti ait décidé de faire campagne avec M. Macron, c’est son problème, mais cela ne peut pas se faire au prix de la désertion du débat parlementaire.
La commission a donné son accord : avons-nous le choix ? En tout état de cause, c’est insupportable ! Le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement accomplit sa tâche avec l’humilité qui est la sienne et ne dit mot, mais cela pose vraiment un problème, parce que nous sommes en campagne électorale et que personne n’est dupe.
Je note d’ailleurs, par la même occasion, que M. le président de la commission des lois, qui a lui aussi été prié de se trouver à Poitiers, se trouve également interdit d’être présent ici. On le voit : la campagne passe d’abord, le Parlement après ! Les Français apprécieront. (MM. Jean-Pierre Sueur et Guy Benarroche applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Marc Fesneau, ministre délégué. Malgré mon humilité, je souhaite répondre à Mme de La Gontrie. Le Gouvernement est représenté, la commission aussi ; ce n’est pas la première fois que cela se produit.
Par ailleurs, dans quelque période que ce soit, il arrive qu’un ministre, un président de commission, ou un parlementaire ne puisse être présent à une séance. Notre demande de réserve vise au contraire à permettre que M. le garde des sceaux soit présent ici pour débattre des éléments du texte qui le concernent.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Encore heureux !
M. Marc-Philippe Daubresse. Le ministre est à la disposition du Parlement, et non le contraire !
M. Marc Fesneau, ministre délégué. Cela ne me semble donc pas offensant pour le Parlement, même si je comprends que vous préféreriez que M. le garde des sceaux soit présent. Encore une fois, ce n’est pas la première fois que cela se produit.
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Je veux bien entendre toutes les explications, mais je souhaite rappeler le propos extrêmement clair de M. Kanner : ce texte n’a pas été mis à l’ordre du jour par le Gouvernement hier matin, mais bien il y a plusieurs semaines ; une conférence des présidents a eu lieu la semaine dernière et nous n’avons pas été informés alors que ni M. le ministre de l’intérieur ni M. le garde des sceaux ne seraient présents pour son examen.
Comprenez donc que nous soyons troublés par leur absence, pour le dire avec modération ! Je ne sais pas si celle-ci est due à leur implication dans la campagne électorale qui s’amorce, mais elle s’ajoute dans mon esprit à d’autres faits qui tendent à montrer que le Parlement et particulièrement le Sénat sont méprisés par le Gouvernement.
Je ne vous en veux pas personnellement, monsieur le ministre, mais si l’on recensait tous les comportements presque inacceptables du Gouvernement à l’égard du Sénat, la liste serait très longue. Comprenez qu’il arrive un moment où nous ne pouvons plus l’accepter ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Mme la présidente. Vos interventions, mes chères collègues, me conduisent à consulter le Sénat sur cette demande de réserve.
Je mets aux voix la demande de réserve formulée par le Gouvernement et acceptée par la commission.
(La demande est adoptée.)
Mme la présidente. En conséquence, la réserve est ordonnée.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie, par MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Taillé-Polian et M. Vogel, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après de la procédure accélérée, relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure (n° 47, 2021-2022).
La parole est à M. Guy Benarroche, pour la motion.
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce gouvernement prône toujours plus d’efficacité et de rapidité, notamment dans l’action législative ; il a fait de la procédure accélérée une règle plutôt qu’une exception.
Pourtant, le texte présenté nous paraît encombrer inutilement notre agenda : il s’agit d’un projet de loi portant diverses mesures hétéroclites dont le point commun est d’avoir déjà fait l’objet de discussions et d’avoir été rejetées par nos membres, ou censurées par le Conseil constitutionnel.
Ce texte est une dernière tentative électoraliste et sécuritaire, surfant tout à la fois sur l’idée d’un supposé laxisme judiciaire et sur celle d’un besoin accru de surveillance ou d’armement.
Sa première partie est guidée par la volonté de modifier les conditions de déclaration de l’irresponsabilité pénale.
Ce principe a valeur constitutionnelle, comme le rappelle le Conseil d’État dans son avis sur ce texte : il s’agit de « l’un des fondements anciens et constants du droit pénal », car « il ne peut y avoir de responsabilité sans libre arbitre ».
Puisque nous invoquons la constance, concernant l’indépendance de la justice et la séparation des pouvoirs, je rappellerai au Gouvernement et au garde des sceaux qui y est, je le sais, très attaché – il va encore le dire cet après-midi à Poitiers –, que le Président, pour sa part, n’a pas fait preuve d’une telle constance en déclarant, après la décision de la cour d’assises de décembre 2019 dans l’affaire Halimi et avant même que le cas soit étudié par la Cour de cassation : « Le besoin de procès est là. »
Cette déclaration, déplacée de la part de celui qui est constitutionnellement le garant de nos institutions, avait suscité de vives réactions, non des avocats ou des syndicats de magistrats, mais bien de la présidente de la Cour de cassation ainsi que de son procureur général : « les magistrats de la Cour de cassation doivent pouvoir examiner en toute sérénité et en toute indépendance les pourvois dont ils sont saisis », avaient-ils alors écrit.
Dans sa décision du 14 avril 2021 confirmant la déclaration d’irresponsabilité prononcée par la cour d’assises, la Cour de cassation a exprimé que celle-ci ne pouvait distinguer là où le droit ne le fait pas. En l’occurrence, la loi ne distingue pas l’origine du trouble psychique ayant conduit à l’abolition de ce discernement.
Aussi, plusieurs membres de notre assemblée, entendant ce qu’ils avaient perçu comme un appel du pied de la Cour de cassation, ont-ils entrepris, à juste titre, de modifier ce fameux article 122-1 du code pénal par deux propositions de loi. Celles-ci ont donné lieu à des travaux sérieux ; des discussions apaisées et constructives ont permis de conclure qu’il ne fallait pas toucher à cet article, mais plutôt améliorer le déroulement des débats et le rôle du juge du fond pour répondre à la demande d’un procès par les victimes. La commission a d’ailleurs réécrit en ce sens les dispositions du présent texte.
Toutefois, cette position n’était et n’est toujours pas celle de notre groupe, comme nous l’avions déjà expliqué à l’époque et comme nous le ferons tout à l’heure, si cette motion devait être rejetée. Mais ce que le Président Macron veut…
Ainsi, au lieu de poursuivre au sein de l’Assemblée nationale la discussion d’une proposition déjà travaillée au Sénat, le garde des sceaux a entamé une réflexion, puis construit un texte qui écarte l’application de l’ensemble de l’article 122-1 si l’abolition du discernement résulte d’un fait fautif antérieur, considérant a priori que quelqu’un qui se serait évadé volontairement de la réalité n’en serait pas si déconnecté.
Ce fait fautif présente, il est vrai, l’avantage d’être expressément mentionné dans le texte : il est caractérisé si « la personne a volontairement consommé des substances psychoactives dans le dessein de commettre l’infraction ».
J’ai déjà eu l’occasion de le dire : outre qu’elle semble promouvoir une théorie de la folie volontaire, cette vision est trop réductrice et ne trouve écho ni auprès des professionnels du droit ni auprès des professionnels de santé.
Oui, il aurait plutôt été essentiel de donner les moyens aux experts psychiatres de poursuivre leur mission de diagnostic et d’expertise dans des conditions plus adaptées, alors que ce texte, comme tant d’autres que ce gouvernement nous présente, semble court-circuiter les acteurs de la justice.
Je veux rappeler les mots de Paul Bensussan, expert psychiatre agréé par la Cour de cassation : « Aucun expert psychiatre ni juge ne déresponsabilise quelqu’un qui aurait pris un toxique pour se donner du “cœur à l’ouvrage” dans la perspective d’un crime prémédité. L’élément moral et intentionnel est bien là, donc la responsabilité est totale. »
Cela dit, même si nous devions considérer qu’il faut distinguer entre abolition volontaire et involontaire, ou encore que chacun a une connaissance fine de son état de santé ainsi que des effets de chacune de ses consommations – je vais loin dans les suppositions ! –, pourquoi, alors, limiter l’exception à la prise volontaire de substances psychoactives ? Pourquoi ne pas prendre en compte la non-prise de substances, puisque le sevrage alcoolique, par exemple, peut également causer des bouffées délirantes ?
Puis-je, sans aucune connaissance scientifique, métabolique ou psychiatrique sur ma possible fragilité mentale ou sur mon état actuel, sans être un expert en biologie, connaître la dose de substances psychoactives dans des produits illicites dont la composition n’est ni connue ni stable ? Pourrais-je connaître ma réaction si, alors que je suis fatigué, je prenais un produit inconnu ? Cela n’a pas de sens et vous le savez.
Sur ce point encore, le Gouvernement a été sourd aux discussions de notre assemblée. Notre groupe a bien compris que rien ne bougerait sur la partie du texte concernant la responsabilité pénale, car le Président de la République souhaite tenir sa promesse à ce sujet avant la prochaine élection ; dès lors, notre groupe considère qu’il n’y a pas lieu de poursuivre une délibération qui n’est pas opportune.
Nous posons le même diagnostic sur les autres parties du texte : il n’y a pas lieu, là non plus, de poursuivre la farce d’un débat. Devons-nous de nouveau prendre le temps d’une énième tentative aussi sécuritaire qu’électoraliste ? Cette loi est le septième texte sécuritaire de votre quinquennat, monsieur le ministre !
Nous aurions préféré discuter de votre première loi contre la pauvreté, un problème plus que jamais présent, tant la France reste caractérisée par une forte reproduction de la pauvreté. La crise a encore souligné le poids de ce déterminisme social, malgré la conviction forte que vous affichez quant aux effets de cette merveilleuse théorie du ruissellement, combinée à la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune et à d’autres mesures fiscales. Nous aurions pu tout aussi bien discuter du projet de loi qu’on nous avait promis sur le revenu universel, désormais abandonné.
Le projet que vous nous présentez, pour sa part, crée notamment de nouveaux délits autonomes réprimant les violences commises sur nos forces de sécurité. Je tiens à affirmer une nouvelle fois que nous condamnons ces violences, mais la qualité de dépositaire de l’autorité publique d’une victime de violence est déjà une circonstance aggravante de ces délits, ce qui permet l’application de peines plus lourdes.
Pour notre part, nous n’estimons pas que la lutte contre les violences envers les policiers doive nécessairement se distinguer de la lutte contre les violences envers l’ensemble des représentants de l’autorité.
Si vous refusez de considérer cette vision, écoutez au moins les alertes que vous lance la Défenseure des droits à ce sujet : « Le mouvement qui tend à créer un droit particulier pour les policiers ou les gendarmes les éloigne de la population sans les protéger davantage. » Écoutez le Conseil d’État, qui n’est pas dupe et voit dans la multiplication de créations d’infractions autonomes et dans la complexification du droit des « réponses législatives à des événements particuliers ».
Quant aux dispositions relatives à la captation d’images, elles justifient à elles seules, à nos yeux, cette motion de rejet.
Ces mesures avaient été à juste titre censurées par le Conseil constitutionnel. Les dispositions de l’article 7 de ce texte, relatif aux systèmes de vidéosurveillance, ont simplement été toilettées en réponse à cette décision, mais restent très problématiques sur de nombreux points. La surveillance par la vidéo ne doit pas se substituer aux moyens humains de surveillance, nous rappelait la CNIL.
La Défenseure des droits appelle, elle aussi, à la plus grande vigilance face à un texte dont le manque de précision compromet l’effectivité de la restriction de la vidéosurveillance, ce qui pourrait conduire à sa systématisation. En effet, aucune obligation de motiver son utilisation n’est prévue dans la procédure pénale et les « raisons sérieuses » invoquées ne correspondent à aucune réalité déterminée et définie.
L’article 8, cadeau assumé de la majorité gouvernementale à M. Estrosi, chantre autoproclamé d’une surveillance sécuritaire débridée, porte sur l’utilisation de caméras sur drones ou tout autre aéronef. Là encore, des mesures déjà censurées par le Conseil constitutionnel – au grand dam de leur chantre précité – nous reviennent, dans une version qui se veut mieux cadrée.
Je rappelle pourtant qu’un des garde-fous de la vidéosurveillance – que certains appellent « vidéoprotection » – réside dans l’obligation de faire savoir à la personne qu’elle se trouve dans une zone de vidéosurveillance, prérequis à tout le moins complexe à mettre en œuvre lorsque cette zone est mobile !
Outre le risque de captation d’images au sein des domiciles privés, Amnesty International rappelle qu’aucune évaluation des systèmes de vidéosurveillance fixe en usage dans les polices municipales n’a été menée et que la nécessité de déployer ces systèmes n’est en rien corroborée par des éléments d’analyse objectivés.
Le flou régnant sur la détermination du périmètre d’utilisation ne permet pas d’offrir les garanties suffisantes, vous le savez, y compris sur la protection du domicile, de la vie privée, voire du droit de manifester, si souvent bafoué. Notre groupe s’oppose à ces dispositions liberticides et ne souhaite pas les examiner moins d’un an après les avoir déjà contestées.
Enfin, j’aborderai les dispositions relatives aux mineurs.
Ce n’est pas la première fois que le principe de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant et de respect de ses droits est mis à mal par ce gouvernement ; à ce titre, les articles 12 à 16 ne constitueront malheureusement pas une exception.
Je n’ai malheureusement plus le temps de vous rappeler les propos qu’a tenus à ce sujet le président de notre groupe, Guillaume Gontard, lors de l’examen de la loi Sécurité globale ; il me faut en venir directement à ma conclusion.
Ce texte est le reflet d’une remise en cause des principes cardinaux de notre République et des règles fondamentales de la justice pénale, ainsi que d’une dérive sécuritaire sans fin, sous la pression de certains syndicats de policiers.
Notre groupe vous propose de jouer notre rôle de gardiens des valeurs républicaines et constitutionnelles, de gardiens d’une vision équilibrée de la sécurité nécessaire à notre pays, pour nos citoyens comme pour nos forces de l’ordre, de gardiens de notre temps de législateurs qui se sont prononcés à de très nombreuses reprises sur le sujet.
C’est pourquoi nous rejetons ce texte, tout autant sur le fond de ses propositions que sur sa forme et la vision de la société qu’il continue de nous offrir ; nous vous demandons donc, mes chers collègues, de voter cette question préalable.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Notre avis est défavorable.
Nous ne sommes pourtant pas loin de partager certaines des opinions exprimées par M. Benarroche dans sa défense de cette motion, notamment quant au caractère quelque peu hétéroclite de ce texte. Il s’agit en effet d’un ensemble de dispositions juxtaposées, d’une sorte de texte balai contenant tout ce qui n’a pas pu être d’ores et déjà adopté.
Par ailleurs, tout comme M. Benarroche, nous ne partageons pas la position du Gouvernement sur l’irresponsabilité pénale et sur la possibilité de s’en exonérer dans les conditions qui ont été évoquées. Toutefois, c’est précisément parce que nous ne partageons pas cette opinion qu’il va falloir en discuter ; nous le ferons au cours de ces deux jours de débat.
En outre, à mes yeux, ce n’est pas parce que le Conseil constitutionnel a invalidé un certain nombre de dispositions que nous ne devons plus en discuter. S’agissant de la captation d’images, notamment, le Conseil constitutionnel ne l’a pas interdite, il a seulement indiqué que la sécurité dont elle était entourée n’était pas suffisante.
C’est précisément parce que nous sommes en désaccord et parce que le Conseil constitutionnel, plutôt que d’interdire un certain nombre de dispositions, a demandé qu’elles soient précisées plus avant qu’il me semble normal que nous ayons ce débat aujourd’hui dans l’hémicycle ; c’est pourquoi, comme vous l’aurez compris, mes chers collègues, je vous demande de rejeter cette question préalable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre délégué. L’avis du Gouvernement est le même que celui de la commission, madame la présidente, pour presque les mêmes motifs.
On ne peut pas à la fois souhaiter que se tiennent des débats juridiques, des débats de fond, et tenter de les éliminer par une question préalable. Évidemment, si cette motion était votée, nous nous en tiendrions là.
Ensuite, un certain nombre de sujets de fond ont été évoqués ; je pense en particulier aux moyens d’intervention des forces de police et aux manières de les protéger, mais aussi aux sujets relatifs à la justice.
Sur tous ces sujets, comme M. le rapporteur l’a très bien rappelé, soit le Conseil constitutionnel a considéré, sans intervenir sur le fond, que les dispositions en question constituaient des cavaliers législatifs, auquel cas il n’est pas illogique que nous vous les présentions de nouveau, soit il est intervenu, non pour en interdire absolument la mise en œuvre, mais pour en fixer le cadre nécessaire ; de cela découle la nécessité de ce texte.
Comme la commission, nous sommes donc défavorables à cette motion.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite indiquer très amicalement à M. Benarroche les raisons pour lesquelles nous ne pourrons pas voter sa question préalable.
S’il n’y avait que le volet « sécurité » de ce texte, nous pourrions l’envisager. Certes, nous approuvons certaines de ces mesures, en particulier celles qui visent à mieux réprimer les violences à l’égard des forces de l’ordre ou qui améliorent le contrôle des armes, mais d’autres dispositions nous posent problème et ont suscité de notre part de nombreux amendements.
Toutefois, il convient aussi de considérer la première partie du texte, concernant l’irresponsabilité pénale. Je sais qu’il ne faut pas faire la loi à partir des événements de l’actualité, mais il nous semble tout de même difficile de prétendre qu’il n’y a pas lieu, après l’affaire Halimi, de délibérer sur le sujet ; nous ne serions pas compris si nous adoptions cette position. Nous pensons donc qu’il y a lieu de modifier la loi ; j’expliquerai de quelle manière.
En toute rigueur, si une question préalable s’imposait, il eût fallu aussi en déposer une lors de l’examen des propositions de Mme Goulet, lesquelles ont donné lieu à un débat riche, qui a abouti à retenir certaines des dispositions proposées aujourd’hui par M. Dupond-Moretti. On se demande d’ailleurs pourquoi ce dernier ne les a pas adoptées à l’époque ; sans doute tenait-il à imprimer sa marque sur ce texte !
Très sincèrement, il ne nous paraît donc pas que, sur ce sujet, on puisse soutenir qu’il n’y a pas lieu de délibérer, quelles que soient les dispositions que les uns et les autres soutiendront.