Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
MM. Daniel Gremillet, Loïc Hervé.
2. Questions d’actualité au Gouvernement
M. Pierre-Jean Verzelen ; M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics.
déclaration du président de la république sur le droit d’amendement
M. Bruno Retailleau ; M. Jean Castex, Premier ministre ; M. Bruno Retailleau.
loi climat et droits à construire
Mme Sylvie Vermeillet ; Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement ; Mme Sylvie Vermeillet.
situation des accompagnants des élèves en situation de handicap
Mme Michelle Gréaume ; Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement ; Mme Michelle Gréaume.
dispositif « français langue maternelle »
Mme Samantha Cazebonne ; M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie ; Mme Samantha Cazebonne.
rapport de france stratégie sur la réforme de la fiscalité du capital
M. Vincent Éblé ; M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics ; M. Vincent Éblé.
financement des aides à domicile par les départements
Mme Maryse Carrère ; Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie ; Mme Maryse Carrère.
inscription du cancer de la prostate lié aux pesticides au tableau des maladies professionnelles
M. Joël Labbé ; M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Joël Labbé.
logement et maisons individuelles
Mme Dominique Estrosi Sassone ; Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement ; Mme Dominique Estrosi Sassone.
condamnation de l’état pour carences dans la lutte contre le changement climatique
Mme Angèle Préville ; Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité ; Mme Angèle Préville.
hausse du prix de l’énergie (i)
M. Jean-François Husson ; M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics ; M. Jean-François Husson.
action de l’état contre les licenciements par les entreprises bénéficiaires d’aides covid
M. Vincent Capo-Canellas ; M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, chargé des retraites et de la santé au travail ; M. Vincent Capo-Canellas.
manque de remplaçants dans les écoles et collèges
Mme Béatrice Gosselin ; Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement ; Mme Béatrice Gosselin.
hausse du prix de l’énergie (ii)
M. Jean-Claude Tissot ; M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics.
place de la nouvelle-calédonie dans le pacifique
M. Pierre Frogier ; M. Jean Castex, Premier ministre.
commémorations du 17 octobre 1961
M. Stéphane Le Rudulier ; M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur ; M. Stéphane Le Rudulier.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
3. Mise au point au sujet d’un vote
4. Fonction de directrice ou de directeur d’école. – Adoption en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports
M. Julien Bargeton, rapporteur de la commission de la culture
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 9 rectifié bis de Mme Sonia de La Provôté. – Adoption.
Amendement n° 1 de Mme Céline Brulin. – Rejet.
Amendement n° 11 de Mme Marie-Pierre Monier. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 14 de Mme Marie-Pierre Monier. – Rejet.
Amendement n° 15 de Mme Marie-Pierre Monier. – Rejet.
Amendement n° 4 de Mme Céline Brulin. – Rejet.
Amendement n° 5 de Mme Céline Brulin. – Rejet.
Amendement n° 3 de Mme Céline Brulin. – Rejet.
Amendement n° 17 de Mme Marie-Pierre Monier. – Rejet.
Amendement n° 19 de Mme Marie-Pierre Monier. – Retrait.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 7 rectifié bis de Mme Sonia de La Provôté. – Retrait.
Amendement n° 25 du Gouvernement. – Rejet.
Adoption de l’article.
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
Suspension et reprise de la séance
5. Réforme de l’adoption. – Discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission des lois
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Nathalie Delattre
6. Communication d’un avis sur un projet de nomination
7. Réforme de l’adoption. – Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussions générale (suite) :
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 45 rectifié de M. Jean-Claude Requier. – Rejet.
Amendement n° 16 rectifié ter de M. Gilbert Favreau. – Retrait.
Adoption de l’article.
Amendement n° 1 de Mme Mélanie Vogel. – Rejet.
Amendement n° 3 de Mme Mélanie Vogel. – Rejet.
Amendement n° 20 rectifié de M. Hervé Marseille. – Rejet.
Amendement n° 63 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 67 du Gouvernement. – Devenu sans objet.
Amendement n° 21 rectifié de M. Hervé Marseille. – Retrait.
Amendement n° 2 de Mme Mélanie Vogel. – Rejet.
Amendement n° 53 du Gouvernement. – Adoption.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 54 du Gouvernement. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 24 de Mme Éliane Assassi. – Retrait.
Amendement n° 28 rectifié de M. Xavier Iacovelli. – Retrait.
Amendement n° 29 rectifié de M. Xavier Iacovelli. – Rejet.
L’article demeure supprimé.
Amendement n° 49 rectifié de M. Xavier Iacovelli. – Rejet.
Amendement n° 12 de Mme Laurence Harribey. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 39 rectifié de M. Jean-Claude Requier. – Rejet.
Amendement n° 40 rectifié de M. Jean-Claude Requier. – Rejet.
Amendement n° 55 du Gouvernement. – Rejet.
L’article demeure supprimé.
Amendement n° 46 rectifié bis de M. Jean-Claude Requier. – Rejet.
Amendement n° 7 rectifié de Mme Mélanie Vogel. – Rejet.
Amendement n° 26 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 15 de Mme Laurence Harribey. – Rejet.
Amendement n° 30 rectifié de M. Xavier Iacovelli. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 4 de Mme Mélanie Vogel. – Retrait.
Amendement n° 56 du Gouvernement. – Rejet.
L’article demeure supprimé.
Amendement n° 50 rectifié de M. Xavier Iacovelli. – Rejet.
Amendement n° 51 rectifié ter de M. Xavier Iacovelli. – Adoption.
Amendement n° 43 rectifié de M. Jean-Claude Requier. – Retrait.
Adoption de l’article modifié.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État
Amendement n° 52 rectifié de M. Xavier Iacovelli. – Rejet.
L’article demeure supprimé.
Articles 10 ter et 11 – Adoption.
Amendement n° 13 de Mme Laurence Harribey. – Retrait.
Amendement n° 11 de Mme Michelle Meunier. – Rejet.
Amendement n° 32 rectifié de M. Xavier Iacovelli. – Rejet.
L’article demeure supprimé.
Amendement n° 34 rectifié de M. Xavier Iacovelli. – Adoption de l’amendement rétablissant l’article.
Amendement n° 22 de Mme Dominique Vérien. – Devenu sans objet.
Article 11 quinquies (supprimé)
Amendement n° 35 rectifié de M. Xavier Iacovelli. – Retrait.
Amendement n° 61 du Gouvernement. – Rejet.
L’article demeure supprimé.
Amendement n° 57 du Gouvernement. – Rejet.
L’article demeure supprimé.
Amendement n° 62 rectifié du Gouvernement. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 37 rectifié de M. Xavier Iacovelli. – Rejet.
Amendement n° 38 rectifié de M. Xavier Iacovelli. – Rejet.
Amendement n° 58 du Gouvernement. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 41 rectifié de M. Jean-Claude Requier. – Rejet.
Amendement n° 27 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 64 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 65 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Article 18 (suppression maintenue)
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Daniel Gremillet,
M. Loïc Hervé.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous rappelle que la séance est retransmise sur Public Sénat et sur notre site internet.
J’appelle chacun de vous à être attentif au respect des uns et des autres, ainsi qu’à celui du temps de parole.
hausse des prix du carburant
M. le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen, pour le groupe Les Indépendants – République et territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Pierre-Jean Verzelen. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la reprise de l’économie mondiale et nationale entraîne des tensions sur les marchés, une augmentation des prix et des difficultés d’approvisionnement. Cela concerne les matières premières, les marchandises et, évidemment, les énergies.
Les particuliers et les entreprises subissent une augmentation significative des prix du carburant. La semaine dernière, les tarifs du diesel ont atteint des records historiques, à plus de 1,50 euro du litre. Et encore, c’était la semaine dernière !
Au moment de la crise des gilets jaunes, le gouvernement de l’époque avait annoncé l’extension et l’augmentation du chèque énergie, pour finalement se raviser quelques semaines plus tard.
Aujourd’hui, nous sommes de nouveau devant le même type de difficultés et, tous, nous attendons rapidement les mesures que le Gouvernement va proposer afin de répondre au sujet essentiel qui concerne la vie des Français : je veux évidemment parler du pouvoir d’achat.
Il faudrait non pas uniquement prendre en compte une ou des catégories de la population, mais bien apporter une réponse globale et, surtout, ne pas oublier les classes moyennes qui sont souvent à la limite des seuils fixés pour bénéficier des mesures de soutien et d’accompagnement.
Depuis quelques jours, comme d’autres collègues, j’ai été sollicité par des entreprises de transport, de travaux publics ou d’autres secteurs d’activité, qui nous signalent des allongements des délais de livraison de carburant, et même des rationnements. Si cette situation se confirmait et devait se prolonger, chacun imagine et comprend les conséquences, les réactions et les répercussions que cela aurait dans le pays.
Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, quelles sont les mesures envisagées pour limiter la flambée des prix ?
Par ailleurs, dans la limite des informations dont vous disposez, pouvez-vous nous dire quelle est la réalité du niveau des stocks de carburant dans le pays ? Sommes-nous menacés d’une pénurie dans les semaines à venir ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Nathalie Delattre applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Verzelen, vous avez abordé le sujet de la crise du carburant, à tout le moins les difficultés rencontrées par les ménages, comme par les entreprises, pour la fourniture et l’approvisionnement en carburant du fait de la hausse des cours.
Je voudrais souligner deux points.
Tout d’abord, vous avez eu raison de rappeler qu’il s’agissait là d’un problème mondial, avec une hausse des cours liée non seulement à la reprise économique, mais aussi à la limitation de certaines productions. La hausse des cours est donc constatée partout dans le monde, et en Europe en particulier.
Ensuite, j’y insiste, ce problème est particulièrement complexe. Au cours des vingt dernières années, toutes les majorités successives ont eu, je le crois, à affronter à un moment ou à un autre des difficultés liées au prix de l’énergie et du carburant, et toutes ont pu éprouver la difficulté qu’il y avait à apporter une réponse qui soit à la fois efficace, juste et durable.
Nous avons réagi, et cela de deux manières.
Tout d’abord, nous avons anticipé les difficultés pour les ménages : le Premier ministre a annoncé il y a quelques semaines le versement de 100 euros aux ménages bénéficiaires du chèque énergie. Cette somme s’ajoute aux 150 euros qu’ils ont perçus en mars dernier et aux 150 euros qu’ils percevront en mars 2022. Cela permettra à ces 5,8 millions de ménages de faire face au coût de l’énergie.
Ensuite, dans le cadre de l’examen de la loi de finances, j’ai eu à défendre un amendement, que l’Assemblée nationale a adopté, visant à moduler la fiscalité sur l’électricité et le gaz. Pour le seul volet concernant l’électricité, il s’agit d’un engagement de l’État à hauteur de 5 milliards d’euros pour la totalité de l’année 2022.
Se pose enfin la question des entreprises les plus consommatrices d’énergie, sur laquelle vous appelez notre attention. Ma collègue Agnès Pannier-Runacher a ouvert un cycle de concertation avec les entreprises en question pour examiner la façon de les accompagner et de faire en sorte que les coûts soient les plus amortis possible, mais aussi de garantir l’approvisionnement.
Je voudrais vous rassurer sur le fait que nous n’avons pas de difficultés d’approvisionnement : il n’y a pas de risque de pénurie. Notre difficulté est liée au niveau des cours, non à la disponibilité des carburants ou de l’énergie nécessaire au fonctionnement de l’économie française. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
déclaration du président de la république sur le droit d’amendement
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe Les Républicains. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Monsieur le Premier ministre, lundi dernier, à Poitiers, les foudres de Jupiter se sont abattues sur les parlementaires.
Si j’ai bien compris le Président de la République, l’inflation normative, c’est la faute au Parlement ! C’est donc, mes chers collègues, notre faute, votre faute, puisque nous avons le mauvais goût d’utiliser un droit garanti par la Constitution et très encadré : le droit d’amendement.
Franchement, monsieur le Premier ministre, il fallait oser, quand on voit la multiplication des ordonnances, qui atteignent un niveau sans précédent depuis le début de la Ve République et qui sont de moins en moins soumises au Parlement pour leur ratification, quand on voit la multiplication des amendements de dernière minute, déposés sans passer par le Conseil d’État et sans étude d’impact, pesant parfois des milliards d’euros, et quand on voit la complexification à l’envi de l’action publique…
Un seul exemple : nous venons d’enchaîner ici, dans notre assemblée, l’examen de deux textes sur la justice. Soit ! Mais, en même temps, le Président de la République ouvre à Poitiers les États généraux de la justice.
Lundi dernier, je le sais, vous n’étiez pas aux côtés du Président de la République, mais aux côtés du Pape, et ce n’est pas moi, monsieur le Premier ministre, qui vais vous le reprocher ! (Rires.) Mais la déclaration de Poitiers, était-ce de l’humour ou était-ce une diversion pour faire porter le chapeau au pouvoir législatif, en prenant à témoin l’autorité judiciaire ? (Applaudissements prolongés sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées des groupes INDEP, SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Jean Castex, Premier ministre. Cher président Retailleau, je reconnais là votre talent pour essayer de faire dire au Président de la République ce qu’il n’a pas dit (M. Martin Lévrier applaudit. – Vives exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) et d’en tirer des enseignements politiques erronés.
Je pourrais d’ailleurs me rasseoir après vous avoir lu – écoutez bien ! – cet extrait pertinent : « Nous avons collectivement contribué à une inflation législative. » Je répète : « Nous avons collectivement contribué à une inflation législative. » (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je connais ce jeu, car je commence à avoir quelques heures de vol. (Dénégations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.) Je pourrais vous citer des rapports du Sénat qui font état d’une inflation législative dans notre pays ! J’ai aussi le souvenir du rapport du Conseil d’État, paru quand j’étais étudiant, qui parlait de « la loi bavarde ».
Je n’ignore pas, soyez-en sûr, monsieur le président Retailleau, que la loi est votée par le Parlement et que le Gouvernement contribue à son élaboration, y compris au travers du droit d’amendement.
M. Jérôme Bascher. Et à la dernière minute !
M. Jean Castex, Premier ministre. Je sais parfaitement tout cela, comme vous.
Vous l’avez dit, à Poitiers, avec le garde des sceaux, le Président de la République a lancé les États généraux de la justice, un sujet majeur ! Le juge est « la bouche de la loi », disait, vous le savez bien, Montesquieu. Oui, la loi est devenue de plus en plus bavarde, et c’est, je le répète, une responsabilité collective.
En effet, vous avez parfaitement raison, le Président de la République a cité aussi le droit d’amendement, en disant à son sujet – pardonnez-moi de le citer encore –, qu’il « est évidemment un droit légitime du Parlement ». (Marques d’ironie sur les travées des groupes Les Républicains et SER.)
M. Jean-François Husson. Encore heureux !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est un droit constitutionnel !
M. Jean Castex, Premier ministre. Il a ajouté, et j’en terminerai là – pas simplement parce que je suis allé à Rome lundi dernier, mais parce que je n’ai pas le goût de la polémique inutile (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) –, qu’il fallait de toute façon pour régler ces problèmes, vous le savez également, une révision constitutionnelle. Et que je sache, une révision constitutionnelle ne se fait pas sans le Parlement ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour la réplique.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le Premier ministre, le problème et la vérité, c’est que le souci du Président de la République est non pas tant l’exercice du droit d’amendement que le Parlement lui-même !
Il a malheureusement cédé à une conception très autocentrée de la Ve République, selon laquelle, pour que le président de la République soit grand, le Parlement devrait être petit. Cela ne grandit pas la démocratie, car, quand on met hors jeu les mécanismes institutionnels habituels, notamment de contre-pouvoirs, d’autres circuits, d’autres mécanismes, se mettent en place ; je pense à la judiciarisation ou à tous ces réseaux sociaux qui sont comme une cour d’assises gigantesque.
À ce compte-là, personne ne gagne ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
loi climat et droits à construire
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Sylvie Vermeillet. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la loi Climat et résilience établit l’objectif zéro artificialisation nette des sols d’ici à 2050. Elle prévoit que, à l’échelle des schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet), la consommation de terres pour les dix ans à venir représentera la moitié de celle des dix années passées.
Autrement dit, les territoires qui ont massivement construit ou artificialisé dans les dix dernières années, c’est-à-dire à l’évidence les métropoles, pourront encore et toujours s’étendre (Très juste ! sur les travées du groupe Les Républicains.), alors que les territoires ruraux plus économes n’auront quasiment plus de possibilités de développement.
À l’échelle du Sraddet de Franche-Comté, les trois départements du Jura, du Doubs et de la Haute-Saône se verront donc attribuer la moitié de pas grand-chose : selon mes calculs, trois fois rien ! Ainsi, la loi Climat pénalise les bons élèves.
S’ajoute à cela que la direction départementale des territoires (DDT) refuse quasiment systématiquement les certificats d’urbanisme aux petites communes ne disposant pas de document d’urbanisme. Et que dire des commissions départementales de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF), dans lesquelles, bien qu’ils détiennent la compétence urbanisme, les élus sont minoritaires ?
Vendredi dernier, les maires du Jura, réunis en assemblée générale, ont exprimé leur ras-le-bol, car, bien qu’ils soient en début de mandat, leurs espoirs de développement passent inéluctablement par des affrontements avec la DDT ou les bureaux d’études.
Madame la ministre, est-il juste que les territoires économes en terres agricoles se sacrifient pour ceux qui en ont abusé ? Pourquoi pas l’inverse ? Une évolution de la loi est-elle possible pour éviter la révolte des maires ruraux ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée du logement. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Madame la sénatrice Sylvie Vermeillet, la loi Climat et résilience fixe effectivement une trajectoire ambitieuse à long terme, celle d’atteindre en 2050 le zéro artificialisation nette. Cette trajectoire est essentielle pour préserver nos terres et lutter contre le réchauffement climatique.
Le Gouvernement est très attaché au respect des prérogatives des élus locaux (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) et à la prise en compte des efforts passés. C’est la raison pour laquelle cette lutte contre l’artificialisation des sols va se faire en deux temps : il a été prévu un mécanisme de réduction par deux pour les dix prochaines années, ce qui laisse le temps d’aller vers un objectif plus ambitieux ensuite.
Surtout, la territorialisation que vous appelez de vos vœux a été discutée et aménagée dans le cadre de l’examen de cette loi dans cet hémicycle. En effet, nous avons inscrit dans le texte le principe selon lequel les efforts déjà réalisés par les territoires doivent être pris en compte, afin que ceux qui ont moins artificialisé puissent mieux se mobiliser pour la suite.
Ainsi, ceux qui ont déjà fait des efforts de réduction en matière de consommation d’espaces naturels seront récompensés. C’est aussi le sens de la conférence des SCoT (schémas de cohérence territoriale), qui a été inscrite dans la loi : elle fera des recommandations pour que la gestion au niveau régional soit ensuite déclinée aux niveaux intercommunal et communal.
Nous portons donc le même souci de territorialisation de ces objectifs que vous : l’objectif à 50 % était un objectif régional. En revanche, en infrarégional, il sera possible de le négocier, en fonction des efforts déjà réalisés, des besoins et des trajectoires locales. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet, pour la réplique.
Mme Sylvie Vermeillet. Madame la ministre, j’ai bien l’impression que vous territorialisez à l’envers ! Nous pouvons vous renvoyer aux refus de certificat d’urbanisme (CU) par la DDT ; vous verrez à quoi sert l’observatoire !
Par ailleurs, l’enfrichement progresse, et il n’existe aucune politique d’État pour lutter contre ce phénomène. Dans le Jura, les deux tiers de la consommation des terres agricoles sont liés à l’enfrichement, et non à l’urbanisme.
Enfin, à quoi bon faire des plans de relance si l’on n’a pas la possibilité de développer nos territoires dans la ruralité ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et INDEP.)
situation des accompagnants des élèves en situation de handicap
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Michelle Gréaume. Madame la secrétaire d’État, hier, les accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH), profession en grande majorité féminine, se sont une nouvelle fois mobilisés pour une meilleure reconnaissance de leur métier, mais aussi pour l’amélioration de leurs conditions de travail, de leurs salaires, donc de l’accueil en milieu scolaire des enfants en situation de handicap.
En 2018, était lancé un « plan pour une école inclusive ». L’objectif, ambitieux, était de permettre à chaque enfant en situation de handicap d’être scolarisé et accompagné à la hauteur de ses besoins à l’orée de 2022.
Nous sommes presque en 2022, et un constat s’impose : les engagements pris n’ont pas été respectés, faute de moyens et de recrutements en nombre suffisant. Trop d’enfants ne bénéficient toujours pas de l’accompagnement nécessaire à leur intégration et à leur réussite scolaire.
La réalité, c’est que vous avez choisi de faire plus avec moins. Sans surprise, les pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL) sont devenus des outils de gestion et de mutualisation de la pénurie. En multipliant le nombre des enfants suivis par un seul accompagnant, parfois sur des aires géographiques importantes, vous avez accentué la précarité de ces femmes et de ces hommes, tout en privant les enfants, partiellement et parfois totalement, d’un accompagnement indispensable.
Madame la secrétaire d’État, les revendications des accompagnants sont claires. Quelles réponses comptez-vous y apporter en matière de recrutement, de formation, de salaire et de statut de la fonction publique digne de ce nom ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la jeunesse et de l’engagement.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice Michelle Gréaume, le ministre de l’éducation nationale, qui est retenu à l’Assemblée nationale pour l’examen de la loi de finances, m’a demandé de rappeler que l’école de la République est évidemment une école attentive à tous ses élèves et capable de les accueillir tous.
La scolarisation des élèves en situation de handicap est la priorité du Gouvernement, que porte au quotidien ma collègue Sophie Cluzel. Le Gouvernement a souhaité la création d’un véritable service public de l’école inclusive.
À l’école inclusive sont consacrés plus de 3,3 milliards d’euros par an, avec une augmentation de plus de 60 % depuis 2017. Pour la première fois, la part des élèves en situation de handicap à l’école en France est plus importante dans le second degré que dans le premier.
Nous scolarisons davantage, nous scolarisons plus longtemps et nous offrons un véritable parcours d’insertion : c’est notre priorité. Depuis 2017, le Gouvernement n’a eu de cesse de sécuriser la profession des AESH, dont le statut et la condition étaient souvent, il faut le reconnaître, précaires, comme vous l’avez rappelé, madame la sénatrice.
Désormais, ces 125 000 AESH sont recrutés en CDD, qui débouchent sur des CDI au bout de six mois pour une partie d’entre eux. Grâce à la loi pour une école de la confiance de 2019, ces agents disposent d’un nouveau cadre de gestion, d’une formation renforcée et de nouvelles prestations sociales. Depuis la rentrée, une nouvelle échelle de rémunération des AESH a été mise en place, permettant une revalorisation régulière et automatique des carrières.
Cette année, 60 millions d’euros ont été affectés au reclassement des personnels, avec de nouveaux indices. La réflexion se poursuit avec les organisations syndicales, les collectivités et Sophie Cluzel sur le temps de travail, sur plus de quotité disponible. Ce sont plus de 1 300 unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS), 250 structures dédiées et une organisation territoriale entièrement repensée qui ont été mises en place. De même, les familles sont mieux écoutées.
Dans votre département, madame la sénatrice, 21 273 élèves en situation de handicap sont scolarisés aujourd’hui, en hausse, depuis 2020, de 6 %. Quelque 53 % d’entre eux bénéficient d’un accompagnement humain. Le département est entièrement couvert par des PIAL, qu’ils soient publics ou privés – 88 publics et 30 privés.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour la réplique.
Mme Michelle Gréaume. Madame la secrétaire d’État, j’entends bien votre réponse, mais elle n’est pas à la hauteur de la situation et des revendications de ces professionnels.
Pour réussir le pari de l’école inclusive, il ne suffit pas de faire un peu plus ou un peu mieux. Il faut débloquer des moyens à la hauteur des besoins. Or le compte n’y est pas !
Ne voyez-vous pas, n’entendez-vous pas ces femmes et ces hommes qui nous disent qu’ils n’en peuvent plus de ces horaires décalés, de ces salaires de misère, de ces vies éclatées ? Entendez-vous cet appel au respect de leur dignité ? Il est grand temps que la France valorise ces salariés. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
dispositif « français langue maternelle »
M. le président. La parole est à Mme Samantha Cazebonne, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
C’est sa première intervention au sein de notre hémicycle. Ma chère collègue, je vous souhaite le meilleur !
Mme Samantha Cazebonne. Je vous remercie, monsieur le président.
Monsieur le secrétaire d’État chargé du tourisme et des Français de l’étranger, nous connaissons votre soutien sans faille, ainsi que celui des sénateurs représentant les Français établis hors de France, dont Olivier Cadic, et des députés de la majorité, aux associations « français langue maternelle » (FLAM), qui permettent à de plus en plus d’enfants français résidant à l’étranger de rester francophones et de conserver un lien fort avec la culture française.
En effet, les associations FLAM jouent un rôle essentiel au sein du vaste réseau de l’enseignement français à l’étranger. Pour les enfants français ne pouvant être scolarisés dans un établissement français à l’étranger, que ce soit pour des raisons financières ou pour des raisons géographiques, elles constituent un lieu d’apprentissage et de transmission culturelle qui nourrit l’attachement à notre pays.
Touchées de plein fouet par la crise liée à la pandémie de covid-19, elles ont montré une grande force de résilience, notamment en se partageant à travers le monde des conseils et en procédant à des échanges de bonnes pratiques pour offrir aux enfants un enseignement et des activités en ligne de qualité.
Elles ont eu besoin de soutien financier, comme toutes les structures accueillant du public : l’État français les a entendues en 2020 et continue de les entendre en 2021, puisque vous avez annoncé une augmentation du budget qui sera alloué à leurs subventions, à hauteur de 1 million d’euros, pour accompagner leur développement et leur pérennisation, et pour leur permettre d’être à la hauteur de leur mission.
Ma question concerne le périmètre de ces subventions : est-il envisagé de l’élargir, afin de favoriser la croissance de ce réseau et des structures qui le composent ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie. Madame la sénatrice Samantha Cazebonne, tout d’abord, permettez-moi de vous féliciter pour votre élection comme sénatrice des Français établis hors de France. J’y joins mes salutations républicaines à vos cinq collègues qui ont été élus en même temps.
Vous évoquez un sujet majeur, celui du maintien du lien de la France et de la langue française avec ces enfants, qu’ils soient Français ou binationaux, qui sont parfois scolarisés dans des systèmes nationaux locaux sans avoir la faculté de pratiquer la langue française à l’école.
Je veux saluer l’action inlassable des centaines de bénévoles qui, de par le monde, animent ce fantastique réseau de plus de 170 associations, présent dans quarante pays et grâce auquel 15 000 jeunes maintiennent ce lien et le développent au travers d’activités à la fois d’enseignement et extrascolaires.
Aujourd’hui, nous fêtons les vingt ans de ce réseau. Depuis le début, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères veille à aider ces associations, lors de leur création et à l’amorçage. Aujourd’hui, il est temps d’aller au-delà.
C’est pourquoi le Gouvernement a fait un choix fort, celui de doubler les crédits dédiés à l’accompagnement des associations FLAM. J’ai pu constater une fois encore, il y a peu de temps, au Portugal, que la création de nouvelles associations répondait à de véritables besoins. Cela permettra d’aider de nouvelles associations.
Par ailleurs, nous souhaitons travailler avec vous, madame la sénatrice, et avec la Fédération internationale des FLAM qui a été mise en place – j’ai naturellement une pensée pour Marine Havel –, afin de travailler sur le règlement d’intervention, de l’actualiser, de le toiletter et de faire en sorte qu’il puisse accompagner ces associations, qui font parfois face au défi d’une certaine professionnalisation.
Nous nous attachons à ce travail, dont je souhaite qu’il débouche dans les toutes prochaines semaines, pour aider encore plus fortement ces associations. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Samantha Cazebonne, pour la réplique.
Mme Samantha Cazebonne. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État.
Nous nous tenons prêts à travailler à vos côtés, avec l’ensemble des membres de ces associations, pour trouver toutes les solutions qui permettront au réseau de se développer et pour répondre à tous les problèmes relatifs à l’éducation qui se posent aux Français de l’étranger. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
rapport de france stratégie sur la réforme de la fiscalité du capital
M. le président. La parole est à M. Vincent Éblé, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Vincent Éblé. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, à la fin de la semaine dernière, France Stratégie, organisme placé sous l’autorité de Matignon, a confirmé dans une étude détaillée que la réforme de la fiscalité du patrimoine lancée en 2018 n’avait pas produit les effets escomptés. Nous l’avions affirmé dans un rapport parlementaire que j’avais signé, avec le rapporteur général de la commission des finances de l’époque, dès 2019.
Non, réduire fortement la contribution des foyers fiscaux les plus riches aux charges de l’État – un cadeau de 1,5 million d’euros par an pour les cent ménages français les plus fortunés, tout de même ! – n’a produit aucun effet sur les dynamiques économiques de nos entreprises : pas de soutien à l’investissement, pas de croissance supplémentaire, pas d’effet bénéfique, pas ce prétendu ruissellement auquel ne croyaient que les crédules par intérêt.
En revanche, on observe une forte croissance de la richesse et des dividendes distribués aux plus riches. Ceux-là, qui représentent 0,1 % des contribuables, soit 38 000 foyers fiscaux, récoltent désormais les deux tiers des dividendes distribués par nos entreprises, alors qu’ils n’en touchaient que 50 % avant la réforme.
Allez-vous enfin reconnaître l’échec de cette politique de cadeau fiscal aux plus riches et réintroduire un peu de justice et de progressivité à l’heure où les plus modestes de nos concitoyens payent à la pompe et par leur consommation des contributions croissantes aux charges de l’État ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, vous faites mention du rapport de France Stratégie, qui, comme vous l’avez noté, étudie les effets de la politique fiscale du Gouvernement jusqu’à l’année 2019 ; il faudra prendre le temps d’examiner dans quelques mois les résultats pour les années 2020 et 2021 et de suivre les recommandations de ce même rapport, selon lesquelles il faut un certain délai pour mesurer les effets les plus immédiats de toute réforme en matière de fiscalité.
Au-delà de ce rapport de France Stratégie, qui, par ailleurs, pointe un certain nombre d’aspects extrêmement positifs de la politique économique du Gouvernement, je vous invite à lire le rapport économique, social et financier de la direction du Trésor, qui est placée sous l’autorité du ministère de l’économie et des finances. Ce document pointe un certain nombre d’éléments qui vont à contre-courant de tout ce que vous avez affirmé dans votre question.
Tout d’abord, sur la question du pouvoir d’achat, il relève que, au cours de ce quinquennat, le pouvoir d’achat des ménages de toutes les classes sociales du pays aura augmenté en moyenne de 1,7 % par an, soit deux fois plus vite qu’au cours des dernières années et cinq fois plus vite qu’au cours de la période 2012-2017.
Ce rapport, dont la presse s’est fait l’écho, indique également que le pouvoir d’achat des 10 % des ménages les plus défavorisés augmente deux fois plus vite en pourcentage que le pouvoir d’achat des 10 % des ménages les plus favorisés dans notre pays.
Enfin, la politique fiscale que nous avons mise en place permet à notre pays d’être, pour la troisième année consécutive, le premier pays de la zone euro en termes d’attractivité pour les investissements étrangers.
Nous sommes cette année le premier pays en termes de croissance économique et, depuis quelques semaines, nous connaissons un taux de chômage qui est l’équivalent de celui de la fin de 2007, c’est-à-dire le plus bas depuis quinze ans. C’est le signe de la réussite économique, parce que la meilleure façon de lutter contre la pauvreté et de rétablir l’égalité que vous appelez de vos vœux, c’est de permettre à chacun d’avoir un travail et un revenu.
La politique économique que nous menons est efficace : elle l’a montré à l’aune de la crise, elle le montre encore à l’aune de la relance. Nous continuerons évidemment à appuyer sur les mêmes fondamentaux pour faire en sorte que notre pays se redresse et que, ensuite, nous puissions construire l’économie de la France de 2030. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Éblé, pour la réplique.
M. Vincent Éblé. Monsieur le secrétaire d’État, le prétendu ruissellement, même le président Biden a reconnu qu’il n’existait pas !
Vous nous dites réduire les impôts de tous, mais la réforme de la taxe d’habitation est un cadeau payé par les collectivités. Ceux qui l’acquittent ne peuvent ni frauder ni délocaliser, ce dont ne se privent pas les évadés fiscaux. Je vous invite à consulter les Pandora Papers : les sommes en jeu représentent au total plus de 11 000 milliards d’euros, soit l’équivalent de vingt-quatre fois la dette de notre pays !
Vous nous dites avoir tout bien fait et vous n’écoutez ni nos rapports ni nos amendements. Je comprends mieux pourquoi le Président de la République propose de réduire les pouvoirs du Parlement en la matière ! (M. François Patriat manifeste son agacement.)
Monsieur le ministre, il est temps de cesser de masquer la réalité en essayant de rendre invisibles les évidences. Les contribuables français modestes savent compter et ne sont pas dupes des jeux de bonneteau dans lesquels l’on reprend d’une main le double de ce que l’on a donné de l’autre ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
financement des aides à domicile par les départements
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Maryse Carrère. Madame la ministre, appliqué depuis le 1er octobre 2021, l’avenant n° 43 à la convention collective nationale de la branche de l’aide, de l’accompagnement, des soins et des services à domicile prévoit la revalorisation des rémunérations de l’ensemble des salariés de ce secteur.
Cette revalorisation est attendue et nécessaire, compte tenu de l’engagement de ces salariés auprès des personnes fragiles et en perte d’autonomie ; salariés qui, eux-mêmes, sont souvent en situation de précarité, travaillent à temps partiel et ont été et sont encore en première ligne face à la crise sanitaire.
Concrètement, si cette mesure est bienvenue, elle ajoute pour les départements une charge qu’ils ne pourront pas tous assumer. C’est aussi un changement de paradigme pour la collectivité, qui devra dorénavant financer directement des salaires, alors qu’elle n’intervenait jusque-là que dans l’aide directe à la personne.
Pour le département des Hautes-Pyrénées, cela représentera un surcoût net de 435 000 euros en 2021 et près de 4,4 millions d’euros en 2022. C’est d’autant plus inquiétant que, au niveau national, le surcoût paraît sous-estimé et se situe plus près des 700 millions d’euros que des 359 millions d’euros annoncés.
Je ne m’étendrai pas sur les finances des départements,…
M. Bruno Sido. C’est la misère !
Mme Maryse Carrère. … qui peinent encore plus à cause de charges toujours plus importantes et de dotations toujours plus faibles, alors que leurs investissements devraient en faire des acteurs majeurs de la relance économique.
Si l’État a prévu de participer à hauteur de 50 % de ces dépenses nouvelles, il se trouve qu’il récupérera en recettes les charges sociales prélevées sur ces augmentations de salaire. L’opération est bien calculée : on vous donne d’une main pour reprendre de l’autre !
Aussi, ma question est-elle simple, madame la ministre : compte tenu de cette nouvelle recette, entendez-vous soutenir de manière plus importante les départements ? Envisagez-vous d’entendre leur voix et de revoir avec eux les dispositions de l’avenant n° 43 ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’autonomie.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Madame la sénatrice Maryse Carrère, vous l’avez rappelé, la crise sanitaire a montré au plus grand nombre ces invisibles dont personne ne parlait, qui étaient mal payés et qui espéraient une revalorisation salariale depuis des décennies.
Les partenaires sociaux ont trouvé un accord autour de l’avenant n° 43 sur la refonte des grilles salariales, avec à la clé des augmentations financières historiques moyennes de 13 % à 15 %.
Si le Gouvernement a donné son accord à l’agrément de cet avenant, c’est à la condition que l’État puisse bien sûr aider les départements, dont c’est la compétence, à assumer financièrement ce saut qualitatif.
Vous avez voté dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 une enveloppe reconductible de 200 millions d’euros destinée à prendre en charge la moitié du coût normalement dévolu au département. Les dépenses réelles dans votre département des Hautes-Pyrénées seront bien sûr compensées à hauteur de 70 % pour celles qui ont été engagées depuis le 1er octobre dernier, et de 50 % les années suivantes.
Je m’engage d’ailleurs à regarder de près la situation dans votre département avec son président, comme je le fais partout ailleurs.
Là où certains semblent découvrir ce métier – ce n’est pas votre cas –, sa nécessité et ses difficultés, j’agis donc avec le Gouvernement pour en renforcer la dignité et l’attractivité. Soyez fiers d’avoir permis ces revalorisations méritées.
Nous ne nous arrêtons pas là. Vous aurez l’occasion, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, de faciliter les augmentations salariales aux autres aides à domicile grâce à l’instauration d’un tarif minimum garanti de 22 euros l’heure, donnant plus de marge de manœuvre à l’ensemble des structures. La différence de tarif sera intégralement compensée par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), donc par l’État.
En outre, je présenterai un amendement visant à induire une dotation qualité qui aidera de nouveau les départements et les structures cocontractantes, à hauteur de 3 euros l’heure.
Vous le voyez, il ne suffit pas de parler de ces femmes, ni même, pour certains, de les filmer. Il faut agir, et c’est ce que les départements feront avec l’aide de l’État, si le Parlement est à nouveau au rendez-vous. (M. Martin Lévrier applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour la réplique.
Mme Maryse Carrère. Madame la ministre, je ne puis que regretter que ces débats n’aient pas lieu dans le cadre de la loi Grand Âge et autonomie, qui aurait été nécessaire tant ce secteur connaît de grandes difficultés.
Nous aurons l’occasion d’en discuter de nouveau lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Jean-Claude Requier. Très bien !
inscription du cancer de la prostate lié aux pesticides au tableau des maladies professionnelles
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Joël Labbé. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Hier, le Parlement européen a voté la stratégie dite « de la ferme à la fourchette » et entériné ainsi l’objectif de réduction de 50 % des pesticides à l’horizon de 2030. Il s’agit là d’un signal extrêmement fort, qui nous montre que nous pouvons et devons aller plus loin et plus vite sur cette question.
Au sujet des pesticides, on apprenait également hier que la Commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture (Cosmap) avait rendu un avis favorable – enfin ! – à la reconnaissance du cancer de la prostate lié aux pesticides comme maladie professionnelle chez les agriculteurs.
Cela constitue une avancée indispensable pour les agriculteurs et salariés victimes, alors que les études scientifiques alertent depuis longtemps sur ce lien entre cancer et pesticides, en métropole, mais aussi aux Antilles, où le scandale du chlordécone pèse lourd sur la santé des populations.
Cet avis appelle une réponse forte et urgente du Gouvernement. Aussi, monsieur le ministre, quand allez-vous publier le décret qui permettrait une telle inscription ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur, à la question précise de la reconnaissance du cancer de la prostate comme maladie professionnelle, la réponse est oui : la Cosmap a statué récemment, le 12 octobre dernier, et rendu un avis reconnaissant cette maladie pour ceux qui utilisent des pesticides à des fins professionnelles.
Le Gouvernement vient de recevoir cet avis, qui émane d’une commission où siègent les partenaires sociaux et des experts. À l’unanimité, les partenaires sociaux ont voté en faveur de la reconnaissance de cette maladie professionnelle.
Je vous l’annonce : oui, conformément à l’avis de la Cosmap je prendrai le décret, permettant d’inscrire ce cancer au tableau des maladies professionnelles.
Ce faisant, nous allons dans le sens des indications d’ores et déjà données par le Président de la République afin de mieux reconnaître les maladies professionnelles, ainsi que dans le sens de la politique menée par le Gouvernement à ce sujet.
Vous avez commencé votre question en mentionnant la fameuse stratégie Farm to Fork, que vous avez abordée sous un certain angle ; c’est d’ailleurs votre droit. Je me permets néanmoins d’appeler l’attention de la Haute Assemblée, avec la sagesse qui la caractérise, sur un point : dans tous les débats relatifs à l’agriculture, il manque une approche nourricière.
Aujourd’hui, y compris à la Commission européenne, plus personne ne met d’abord sur la table le fait que le rôle premier de l’agriculture est nourricier.
Alors que plusieurs études indiquent que la production agricole européenne diminuera probablement de 12 % à 13 %, l’énorme sujet du rôle nourricier de l’agriculture européenne et, singulièrement, de l’agriculture française est posé. Il est temps que chacun puisse être impliqué dans cette question de l’agriculture nourricière. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour la réplique.
M. Joël Labbé. S’agissant de l’agriculture nourricière, monsieur le ministre, une étude de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) réalisée en 2018 montre que l’Union européenne peut nourrir la population européenne, mais à certaines conditions.
En ce qui concerne le décret, je vous remercie de votre réponse claire et précise. Il faut que ce texte permette une indemnisation incluant l’ensemble des victimes. Il serait en effet inadmissible de proposer des conditions d’accès trop restrictives aux indemnisations – nous le savons, il faut parfois suivre un véritable parcours du combattant pour être reconnu comme victime d’une maladie professionnelle.
Nous serons vigilants et veillerons à ce que le tableau adopté ne soit pas un tableau au rabais : les associations de victimes demandent notamment qu’un délai d’exposition de cinq ans soit retenu et que le délai de prise en charge soit allongé à quarante ans.
Il nous faudra également prendre en compte plus largement l’impact des pesticides sur l’ensemble de la population, car c’est aussi de notre santé et de notre environnement à tous qu’il est question.
Monsieur le ministre, je voulais vous interroger également sur le prosulfocarbe, qui est extrêmement volatil et qui pose des problèmes, mais je garde cette question pour une prochaine fois, tout en la mentionnant tout de même ! (Sourires. – Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
logement et maisons individuelles
M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Dominique Estrosi Sassone. Ma question s’adresse à Mme la ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement.
M. Christian Cambon. Ah !
Mme Dominique Estrosi Sassone. « Nous devons désormais l’affirmer de façon claire : le modèle à l’ancienne du pavillon dont on peut faire le tour n’est plus soutenable et nous mène à une impasse. »
Par ces propos déconnectés du réel, madame la ministre, vous avez touché au cœur du rêve français : 75 % de nos compatriotes voudraient posséder une maison. La maison individuelle, c’est celle des Français et spécifiquement celle des classes moyennes et populaires, qui travaillent et veulent se constituer un patrimoine.
Économiquement, la production de 120 000 maisons individuelles par an est une remarquable source d’activité dans nos territoires.
Aussi, faire le procès de l’habitat individuel comme principal responsable de l’artificialisation des sols est totalement faux. La politique malthusienne de limitation de l’artificialisation des sols pour le logement conduit indirectement à une politique antisociale.
Madame la ministre, quand allez-vous cesser de mettre la pression sur les maires, qui ne peuvent plus construire ? Quand allez-vous cesser de prôner par pure idéologie une espèce de politique de décroissance en matière de logement ?
Dans notre pays, nous manquons cruellement de logements, et pas uniquement de logements sociaux ou d’immeubles, mais bien aussi de maisons. Aggravée par vos politiques schizophréniques, la crise du logement n’a jamais été aussi importante ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée du logement.
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Madame la sénatrice Estrosi Sassone, je vous remercie de cette question (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.), qui va me permettre de préciser les termes que j’ai employés.
Non, je ne suis pas contre la maison individuelle ! (Mêmes mouvements.) Non, le Gouvernement n’a pas l’intention d’en finir avec la maison individuelle, qui est le rêve des Français, et ce rêve est légitime. (Mêmes mouvements.)
Le problème posé est une question d’urbanisme : qui peut dire que les lotissements issus de l’urbanisme des années 1960 et 1970, situés dans la périphérie toujours plus éloignée des villes, répondent correctement à ce rêve ?
La construction de ces lotissements a trois conséquences : la première, c’est la désertification des centres-villes, les commerces ayant progressivement fermé dans le centre de nos petites villes et de nos villes moyennes. Le Gouvernement, avec Jacqueline Gourault, porte le programme Action cœur de ville. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. Cela n’a rien à voir !
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. La deuxième conséquence est une forme d’isolement et de perte de lien social. Je rencontre les Français dans tous mes déplacements : ils attendent un meilleur accès aux transports en commun, davantage de services et plus de lieux de convivialité.
La troisième conséquence, c’est bien la perte de terres naturelles et agricoles. Nous perdons toutes les cinq minutes en France l’équivalent d’un terrain de football, et nous avons perdu un quart de nos terres agricoles ces dernières années.
La maison individuelle n’est pas en cause ; elle a sa place dans notre modèle d’urbanisme. Mais où et comment construire ces maisons individuelles ? Pour loger tous les Français, nous avons besoin de toutes les formes d’habitat. Nous avons besoin de rénover les corps de ferme, les centres-villes et les centres-villages, comme de construire sur des friches.
Ce débat est important et mérite mieux que des caricatures. Je sais que vous en êtes convaincus. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et GEST. – Mme Marie-Pierre de La Gontrie applaudit également. – Huées sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour la réplique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Dominique Estrosi Sassone. Madame la ministre, il faut arrêter les caricatures et cesser d’opposer le rural à l’urbain, la croissance à la décroissance, le logement individuel au logement collectif. (Protestations sur les travées du groupe GEST.)
Il faut cesser de régenter la vie des Français. Il faut cesser de rendre les Français coupables de leur mode de vie. Il faut retrouver le respect des Français et de leur liberté, développer une volonté politique et, surtout, en finir avec votre vision d’élite parisienne écologiste, éloignée des territoires, des habitants et de leurs préoccupations ! (Bravo ! et applaudissements prolongés sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Protestations sur les travées du groupe GEST.)
condamnation de l’état pour carences dans la lutte contre le changement climatique
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Angèle Préville. Monsieur le Premier ministre, comment en sommes-nous arrivés là ?
Par un jugement du 14 octobre, le tribunal administratif de Paris a enjoint au Gouvernement de prendre toutes les mesures utiles de nature à réparer le préjudice écologique et à prévenir l’aggravation des dommages. Déjà, le 3 février dernier, le tribunal pointait la carence fautive de l’État.
Arrêtons-nous au symbole, qui est fort : face à la menace que représente le dérèglement climatique, avec son cortège infernal de dommages dorénavant plus fréquents et plus intenses – sécheresse, inondations, tempêtes… –, et face à la détérioration inexorable de la nature, des citoyens saisissent le tribunal parce que leur gouvernement ne prend pas les bonnes mesures.
Les citoyens ont gagné, l’État a été condamné. La condamnation acte l’inaction du Gouvernement, c’est-à-dire le fait de ne pas avoir respecté les engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Nous, parlementaires, nous n’avons pas cessé de vous interpeller et de déposer des amendements pour rehausser les ambitions de vos projets de loi, trop souvent en vain.
Non seulement vous n’avez pas concrètement intégré la stratégie nationale bas-carbone dans les lois, mais vous n’avez même pas consenti aux mesures parfois les plus dérisoires, comme l’interdiction de la publicité lumineuse.
La situation est grave. On le sait, le coût des catastrophes climatiques a déjà triplé ces dernières années, et nous allons tous payer très cher cette inaction, en vies humaines, tout d’abord, en dégâts matériels, ensuite, en difficultés de tous ordres, enfin ; je pense particulièrement aux agriculteurs.
Monsieur le Premier ministre, nous venons tout juste de voter une loi Climat manifestement insuffisante. Sachant que vous avez jusqu’au 31 décembre 2022 pour agir, comment votre gouvernement compte-t-il s’attaquer à ce problème ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la biodiversité.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Madame la sénatrice Préville, le Gouvernement prend évidemment acte de cette décision du tribunal administratif de Paris, qui donne à l’État jusqu’au 31 décembre 2022 pour compenser l’excès d’émissions de CO2 constaté entre 2015 et 2018.
J’insiste sur les dates : puisqu’il a eu lieu entre 2015 et 2018, ce dépassement des objectifs d’émission des gaz à effet de serre dans le cadre de la stratégie nationale bas-carbone adoptée en 2015 n’est donc pas lié à la politique actuellement menée.
Pour autant, nous devons effectivement compenser ce dépassement des objectifs par un rehaussement des budgets carbone, de manière à accélérer l’effort de réduction de ces émissions, notamment au cours des périodes 2019-2023, 2024-2028 et 2029-2033.
Plusieurs moyens ont visé ce but. La loi relative à l’énergie et au climat de 2019 a permis d’accélérer la décarbonation de notre mix énergétique, avec l’arrêt des centrales à charbon ou le développement accru des énergies renouvelables.
MaPrimeRénov’ et le chèque énergie ont accéléré la rénovation thermique des logements et amélioré le budget des ménages.
La loi d’orientation des mobilités a engagé la décarbonation massive des transports et permis l’investissement de 13,4 milliards d’euros, d’ici à 2022, pour le développement massif des bornes électriques.
La création de zones à faibles émissions, la prime à la conversion, les bonus écologiques, les forfaits mobilité durable sont autant de mesures qui ont été prises pour une mobilité plus durable.
Enfin, le plan de relance a amplifié de manière inédite les budgets, multipliant les possibles quant à la rénovation thermique des bâtiments publics, à la rénovation du réseau ferroviaire, à la décarbonation de l’industrie ou encore à l’investissement dans les énergies et les technologies vertes. (Marques d’impatience sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme Angèle Préville. Et la question ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Nous avons donc mis en œuvre un bouquet de solutions. Vous le savez, la vitesse de réduction des émissions a doublé depuis le début du quinquennat.
L’effort est donc massif, et nous l’amplifions avec les plans de relance et d’investissement, par des financements publics en faveur de la transition qui sont passés de 26 milliards d’euros en 2019 à 33 milliards d’euros en 2022. Cet ensemble de moyens doit nous permettre d’atteindre les objectifs climatiques qui sont actuellement fixés pour 2030. Le plan d’investissement France 2030 s’y emploiera également.
Dans le même temps, nous engagerons lors des semaines prochaines des concertations afin d’élaborer des feuilles de route de décarbonation dans les filières les plus émissives. (Marques d’impatience sur les travées des groupes SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Il faut conclure !
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Nous organisons le contrôle et le suivi avec le Haut Conseil pour le climat. Bref, nous sommes pleinement mobilisés. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour la réplique.
Mme Angèle Préville. Madame la secrétaire d’État, des mesures sont enclenchées, mais le tribunal vous rappelle à l’ordre : cela ne suffit pas. Telle est la question ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
hausse du prix de l’énergie (i)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour le groupe Les Républicains.
M. Jean-François Husson. En 2017, je dénonçais dans cet hémicycle les risques que représentait une hausse brutale de la fiscalité sur les carburants, la fameuse taxe carbone, quelques mois à peine après l’épisode des bonnets rouges. L’automne 2018 me donnait raison, avec la colère des gilets jaunes.
J’ignore la couleur que pourrait prendre un prochain mouvement de colère naissant du manque des décisions qu’il vous revient de prendre pour débloquer une situation de plus en plus critique, tant pour nos concitoyens que pour nos entreprises, en raison de la flambée des prix des énergies.
Le Gouvernement tergiverse, hésite, tâtonne, fait des déclarations contradictoires : chèque essence, chèque énergie, baisse de taxes, bouclier tarifaire… Les Français aujourd’hui pris au piège attendent du Gouvernement des actes forts et une vision claire.
Ma question est relativement simple : quelle est la stratégie du Gouvernement pour répondre à l’urgence ? Quelles sont les stratégies à moyen et à plus long terme ? Et surtout, quels en seront les coûts pour les finances publiques françaises ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Monsieur Husson, vous avez posé plusieurs questions.
J’ai dit tout à l’heure, lors de ma réponse au sénateur Verzelen, que le sujet de l’énergie était complexe, parce que les modifications de tarif sont toujours difficiles à mettre en œuvre, et j’ai rappelé que les différentes majorités qui se sont succédé depuis vingt ans ont toutes rencontré des difficultés avec le coût de l’énergie.
Le Gouvernement a pris une première décision, celle d’accompagner les ménages les plus fragiles avec un chèque énergie exceptionnel de 100 euros annoncé par le Premier ministre.
À l’Assemblée nationale, où ils ont été adoptés avant que vous n’en débattiez, nous avons proposé deux mécanismes fiscaux visant à ajuster la fiscalité sur l’électricité et le gaz, de manière que le tarif du gaz soit bloqué au niveau actuel et que celui de l’électricité ne puisse augmenter de plus de 4 %.
Nous continuons actuellement à travailler sur ce sujet. Toutes les pistes sont ouvertes pour que nous apportions la réponse la plus juste, la plus efficace et la plus rapide possible aux Français confrontés à l’augmentation des prix du carburant.
Monsieur le rapporteur général de la commission des finances, vous n’avez pas indiqué quelle option vous privilégiez pour cette réponse… En tant que ministre des comptes publics, je suis preneur de toute proposition.
M. Jérôme Bascher. Vous avez progressé !
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Je le répète, il s’agit d’un sujet extrêmement complexe. D’ailleurs, le débat ne concerne pas que le Gouvernement : j’ai entendu M. Barnier appeler à une baisse des taxes, mais j’ai aussi entendu Mme Pécresse affirmer que c’était trop coûteux et inefficace. C’est la démonstration que, dans toutes les familles politiques, le débat ne semble ni totalement fermé ni facile sur ce sujet.
Vous m’avez interrogé sur le coût pour les finances publiques. Je puis d’ores et déjà vous indiquer le coût des mesures que nous avons prises.
Le chèque énergie représente 600 millions d’euros, qui seront financés lors de l’examen du prochain projet de loi de finances rectificative. Le mécanisme d’ajustement de la taxe sur l’électricité représente 5,1 milliards d’euros à l’échelle d’une année pleine – l’adoption d’un amendement que j’avais déposé à l’Assemblée nationale a permis sa mise en œuvre. Nous devrons calculer le coût du mécanisme fiscal sur le gaz, qui sera activé mois après mois, et nous aurons donc un suivi à faire de cette mesure.
En ce qui concerne les mesures relatives au prix des carburants, le chef du Gouvernement aura l’occasion de s’exprimer prochainement. Je le répète, nous cherchons l’efficacité et la rapidité, et nous saurons déterminer à ce moment-là le coût précis d’un tel dispositif pour les finances publiques. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour la réplique.
M. Jean-François Husson. Monsieur le ministre, j’illustrerai ma réponse avec des éléments concrets.
En Meurthe-et-Moselle, Saint-Gobain Pont-à-Mousson, une entreprise engagée dans la décarbonation, a vu le prix du gaz multiplié par sept depuis le début de l’année, ce qui entraîne pour elle un surcoût de 400 millions d’euros.
Vous connaissez l’envolée des prix à la pompe. Le poids de la facture énergétique en 2019 est de 45 milliards d’euros, soit les trois quarts de notre déficit commercial, qui, la même année, s’élevait à 60 milliards d’euros.
Il est urgent d’agir, monsieur le ministre ! Nous avons besoin d’une lecture propre de ce problème. Vous avez annoncé fermer Fessenheim, avant de faire volte-face à six mois des élections. Comment voulez-vous aujourd’hui que les Français s’y retrouvent ?
M. le président. Il faut conclure !
M. Jean-François Husson. Notre force, c’est l’électricité d’origine nucléaire. Soutenez-la ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. C’est ce que nous faisons !
action de l’état contre les licenciements par les entreprises bénéficiaires d’aides covid
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Vincent Capo-Canellas. Ma question s’adresse à Mme la ministre déléguée chargée de l’industrie ou à Mme la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion. En effet, elle porte sur la contradiction plus qu’apparente entre le discours concernant la relocalisation des entreprises et un certain nombre de délocalisations qui se poursuivent.
Malgré les aides que nous avons votées ici aux entreprises pour soutenir l’emploi, nous constatons que, dans nos territoires, certaines entreprises, finalement très peu citoyennes, sitôt le confinement passé, ferment leur site et délocalisent leur production à l’étranger.
Je voudrais juste citer un exemple situé dans ma commune du Bourget. Quelque 150 emplois sont menacés d’être supprimés par la fermeture de l’unique site logistique français de la marque H&M. L’approvisionnement se fera désormais entièrement depuis l’étranger. Cette marque de prêt-à-porter très connue veut des consommateurs français, mais elle ne veut pas d’emplois en France pour distribuer ses produits…
Cet exemple n’est malheureusement pas isolé. L’État est-il à ce point impuissant devant les délocalisations et incapable de préserver l’emploi ? Ne disposez-vous pas de moyens de pression sur une entreprise aidée par la Nation, qui n’a d’autre urgence, une fois les confinements terminés, que de licencier pour approvisionner ses boutiques depuis l’étranger, avec d’ailleurs des camions qui circuleront sur nos routes ?
Face au cynisme de certaines entreprises qui veulent séduire les consommateurs, mais qui refusent les emplois en France, je peine à penser que le Gouvernement ne se préoccupe pas du sort des salariés. Ceux-ci discutent en ce moment d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) et entendent les représentants du ministère de l’industrie leur dire que l’État ne peut pas questionner la motivation économique de ces licenciements !
D’où ma question : allez-vous mettre en cohérence votre discours défendant la relocalisation et votre gestion des fermetures de sites, qui se multiplient au profit d’implantations à l’étranger ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des retraites et de la santé au travail.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, chargé des retraites et de la santé au travail. Monsieur le sénateur Vincent Capo-Canellas, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de la ministre du travail, qui est retenue au sommet social tripartite européen.
Vous me questionnez sur les entreprises ayant bénéficié d’accompagnements et d’aides financières et sur leur situation économique aujourd’hui. Vous pointez le sujet de l’entreprise H&M et de la fermeture de son entrepôt du Bourget.
Comme vous, nous pensons que cette situation n’est pas acceptable, mais elle est celle de l’entreprise. Nous devons tenir l’engagement d’accompagner les 153 salariés et collaborateurs de ce site logistique, afin qu’ils bénéficient des meilleures conditions d’accompagnement et de reclassement et qu’ils puissent trouver un emploi pérenne dans votre environnement. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)
En ce qui concerne H&M, cette entreprise de distribution et de confection n’a pas bénéficié d’aides particulières de l’État : ce sont ses salariés qui en ont bénéficié.
Les salariés des points de vente de H&M, comme ceux de l’entrepôt logistique, ont bénéficié relativement modestement du chômage partiel pendant la première partie de la crise du covid, entre le mois d’avril et le mois de juin de l’année dernière ; je le rappelle, ce choix fait par le Gouvernement a permis de protéger 9 millions d’emplois, dont ceux des salariés que vous évoquez aujourd’hui.
En ce qui concerne l’entrepôt du Bourget, vous suivez le sujet, je l’ai bien compris. Un PSE a lieu, les instances représentatives du personnel doivent se positionner.
Vous savez aussi qu’une réunion a eu lieu à la mairie du Bourget sous la conduite de M. le préfet. Mme la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion est particulièrement attentive à ce qui sera proposé aux salariés en matière d’accompagnement dans le cadre de ce PSE. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Éliane Assassi. C’est scandaleux !
M. le président. Il faut conclure !
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Vous le savez, j’ai défendu à de nombreuses reprises les congés de reclassement.
Monsieur le sénateur, voilà ce que je voulais vous dire, tout en vous rappelant l’attention que Mme la ministre porte à ce sujet.
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour la réplique.
M. Vincent Capo-Canellas. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, d’avoir déclaré que la situation n’était pas acceptable en elle-même.
Cela pose une question plus générale, celle du suivi des entreprises qui ont bénéficié d’aides. Certes, les salariés bénéficiaient de l’activité partielle de longue durée (APLD), bien évidemment, mais il y a tout de même une forme de cynisme à laisser tout le monde se débrouiller et à partir à l’étranger sitôt ces aides terminées. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Fabien Gay. Il fallait conditionner les aides !
manque de remplaçants dans les écoles et collèges
M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Béatrice Gosselin. Je tiens à associer notre collègue Sophie Primas à cette question.
Début d’année particulièrement rocambolesque à Guerville, dans les Yvelines, pour une classe de CM1-CM2 ! En effet, les vingt-huit élèves de cette classe ont connu pas moins de cinq enseignants différents en un mois et demi, sans compter la semaine de cours à distance, pour cause de covid-19. Ils auront ainsi connu trois remplacements en quinze jours et un enseignant titulaire arrivé le 20 septembre et quittant la profession le 7 octobre…
Dans le même établissement, une enseignante de maternelle est en arrêt maladie depuis la rentrée ; sa remplaçante est elle-même tombée malade et, du 20 septembre au 4 octobre, les enfants ont été répartis dans deux autres classes, perturbant sérieusement le travail scolaire.
S’agit-il d’une malchance, comme le prétend l’éducation nationale ? Nous le savons tous, l’absence d’un professeur des écoles donne parfois lieu à un non-remplacement, ce qui dégrade temporairement le fonctionnement optimal de l’école.
Dans le Sud-Manche, au collège d’Avranches, où le professeur de technologie est absent depuis le début de l’année, des élèves n’ont pas cours, ce qui représente deux heures hebdomadaires passées en salle d’étude !
Les postes vacants faute de professeurs se multiplient depuis la rentrée dans de nombreux autres départements, et les parents d’élèves dénoncent une gestion administrative hasardeuse.
Le code de l’éducation prévoit, aux articles L. 131-1 et suivants, le principe de l’obligation scolaire. Il incombe donc à l’État d’assurer la mise en application de cette obligation pour les enfants de 3 à 16 ans. Or force est de constater que le ministère de l’éducation nationale ne tient pas ses engagements d’égalité dans l’éducation de nos enfants.
Cette situation oblige certains parents à se tourner vers des cours particuliers pour compenser les carences de l’État. Ce sont, évidemment, les familles les plus aisées qui ont la possibilité de prendre en charge ces cours, ce qui fragilise les enfants des foyers les plus précaires.
Quelles mesures comptez-vous prendre, madame la secrétaire d’État, pour que notre pays tienne enfin sa promesse d’égalité dans l’éducation de nos enfants ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la jeunesse et de l’engagement.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement. Madame la sénatrice, l’égalité des chances et la réussite de chacun de nos enfants, ainsi que des transformations en profondeur, constituent évidemment la priorité du ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.).
Au-delà, cela rejoint la volonté de tous – familles, élus locaux, avec le périscolaire et l’extrascolaire, et associations –, car personne n’a la volonté de ne pas aider ou de ne pas accompagner ces enfants : c’est le projet d’une nation.
De manière très concrète, justice sociale, élévation du niveau scolaire, retour à l’essentiel – lire, écrire, compter, respecter autrui –, dédoublement des classes en CP et en CE1 en réseaux d’éducation prioritaire (REP) et en REP+, plafonnement à 24 élèves des classes de grande section, de CP et de CE1, cela concerne plus de 300 000 enfants, soit plus de 20 % d’une classe d’âge d’ici à 2022.
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas la question !
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État. J’en viens au cœur de votre question, qui portait sur le remplacement des professeurs, madame la sénatrice. (Ah ! sur les travées des groupes Les Républicains et CRCE.)
Évidemment, il y a un objectif de continuité d’un service public de qualité ; c’est la préoccupation majeure de tous. Notre pays, nous pouvons le reconnaître, a tenu durant cette crise parce que les enseignants sont restés mobilisés et parce que nous avons gardé les écoles ouvertes. Cela fait notre fierté. Cela procédait de la volonté du Premier ministre, mise en œuvre par le ministre de l’éducation nationale.
Depuis 2020, les moyens alloués au remplacement ont été exceptionnels, mais, il faut le dire, il y a eu des autorisations spéciales d’absence,… (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Un peu de laxisme, en somme !
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État. … des congés maladie ordinaires, des cours à distance et des absences de longue durée, couvertes par des enseignants titulaires.
Oui, madame la sénatrice, il y a, dans toutes les académies, des tensions, y compris en technologie ; c’est réel.
M. Laurent Duplomb. C’est le ministère du laxisme !
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État. Toutefois, depuis la dernière rentrée scolaire, des solutions existent pour les absences de courte durée, qui sont déployées afin de répondre à la priorité, c’est-à-dire aux besoins des enfants : cours en ligne ou travaux en autonomie encadrés par des assistants d’éducation. Dans l’académie de Normandie, tous les leviers sont mobilisés au maximum.
M. Alain Houpert. Oui, sans doute… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État. Enfin, la mobilisation du chef d’établissement – vous le connaissez, madame la sénatrice – du collège de la Chaussonnière, à Avranches, que vous avez cité, a fait beaucoup. Évidemment, on ne s’y habituera pas, et il faut améliorer l’attractivité de nos métiers.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État. Pour conclure, je dirais que tout le Grenelle de l’éducation a vocation à créer de l’attractivité, pour qu’il y ait encore plus de professeurs dans notre pays. (M. Martin Lévrier applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin, pour la réplique.
Mme Béatrice Gosselin. Je connais l’implication des enseignants dans leur métier, madame la secrétaire d’État, notamment pendant la crise de la covid-19.
Néanmoins, une anticipation et une organisation structurées et pragmatiques permettraient aux enseignants de faire leur travail, afin qu’il y ait une continuité dans l’éducation de nos enfants. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
hausse du prix de l’énergie (ii)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, j’aurais aimé m’adresser à Mme Pompili, mais, manifestement, celle-ci n’est pas là…
Depuis plusieurs semaines, nous assistons à une hausse continue des tarifs des énergies, avec une multiplication par deux du prix du gaz, par trois de celui du pétrole et par neuf de celui de l’électricité.
Cette flambée des prix constitue une atteinte directe au pouvoir d’achat de nos concitoyens, qui sont de plus en nombreux à tomber dans la précarité énergétique. Or le sage conseil de « mettre un pull » se révèle aujourd’hui un peu court, monsieur le ministre…
Ce phénomène touche toute notre société, de ceux qui sont contraints de prendre leur voiture pour aller au travail, notamment dans les zones rurales, à nos concitoyens vivant dans l’une des trop nombreuses passoires thermiques.
Les deux constats que nous pouvons faire aujourd’hui sont que la libéralisation à l’extrême du marché de l’énergie ne fonctionne pas et que l’Europe de l’énergie est aux abonnés absents.
Alors que certains économistes prédisent un doublement des tarifs de l’énergie au cours des vingt prochaines années, il est urgent de réfléchir à un autre modèle, impliquant une programmation de long terme pour notre bouquet énergétique.
Vous me répondrez sûrement, monsieur le ministre des comptes publics, que les annonces préélectorales du gouvernement auquel vous appartenez répondent à l’urgence sociale, mais il s’agit de mesures court-termistes et insuffisantes.
Dans une récente étude, l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, dite Agence de la transition écologique) précise ainsi que le chèque énergie devrait s’élever à 710 euros pour être opérant ! Espérons donc que votre prochaine annonce liée à la hausse des carburants constitue une réelle aide pour les ménages et non pas seulement un chèque de l’État au groupe Total…
Les solutions proposées aujourd’hui ne doivent pas s’extraire de l’indispensable transition énergétique. Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) nous rappelle l’urgence d’agir efficacement pour les décennies à venir.
Hausse des prix de l’énergie, augmentation du prix des produits agricoles : il est temps d’agir pour éviter une explosion des situations de pauvreté, sur fond de précarité alimentaire et énergétique.
Ainsi, monsieur le ministre, à l’aube de la présidence française de l’Union européenne, existe-t-il une stratégie du Gouvernement pour répondre non seulement aux enjeux immédiats de pouvoir d’achat de nos concitoyens, mais encore à la nécessité de réorienter en profondeur la politique européenne de l’énergie ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur Jean-Claude Tissot, tout d’abord, veuillez me le pardonner, je souhaite répéter un certain nombre d’éléments que j’ai déjà indiqués précédemment à vos collègues.
D’une part, pour répondre à la situation des ménages les plus fragiles, le Premier ministre a décidé d’augmenter le chèque énergie de 100 euros, ce qui, sur une année glissante, portera ce dispositif à 400 euros : 150 euros au mois de mars 2021, quelque 150 euros en mars 2022 et une bonification exceptionnelle de 100 euros versée dans les prochains jours.
D’autre part, nous avons prévu, dans le cadre du projet de loi de finances, des mécanismes d’ajustement fiscal, que j’ai évoqués précédemment, sur la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE) pour ce qui concerne l’électricité, ainsi que la possibilité, pour le Gouvernement, d’actionner un mécanisme garantissant un gel du prix du gaz jusqu’à la fin de l’année 2022, puisque le dispositif adopté par l’Assemblée nationale couvre la totalité de l’année prochaine.
En outre, nous travaillons sur d’autres mesures pour accompagner les Français et traiter la question du pouvoir d’achat que pose l’augmentation du prix des carburants et des énergies.
Au-delà de ces réponses, que vous avez qualifiées de « court-termistes » – vous comprendrez que je ne partage pas cette appréciation, car il s’agit de réponses d’utilité, nécessaires pour accompagner les Français face à cette augmentation du prix du gaz, donc de la vie quotidienne –, je vous rejoins lorsque vous appelez de vos vœux une stratégie de long terme.
Cette stratégie a trait, en premier lieu, à la production d’électricité, et les annonces du Président de la République, dans le cadre du plan d’investissement France 2030, ont pour objectif de garantir à la France plus de souveraineté en matière de production d’énergie, donc de maîtrise du prix de celle-ci.
Cette stratégie touche, d’autre part, à la diminution de la consommation, ce qui passe tant par l’adaptation de notre économie que par une meilleure isolation des bâtiments.
Ainsi, dans le cadre du plan de relance, nous avons financé, pour l’année 2021, quelque 800 000 dossiers dits « MaPrimeRénov’ », ce qui représente autant de logements de particuliers qui consommeront moins d’énergie.
En outre, nous veillons, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2022, à ce que le niveau des crédits dont dispose le ministère du logement pour MaPrimeRénov’ soit reconduit à hauteur de 2 milliards d’euros, ce qui permettra de financer la rénovation d’autant de logements. Voilà l’un des exemples de ce que nous mettons en place pour mettre en œuvre la stratégie durable que vous appelez de vos vœux.
place de la nouvelle-calédonie dans le pacifique
M. le président. La parole est à M. Pierre Frogier, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pierre Frogier. Monsieur le Premier ministre, l’annulation récente du « contrat du siècle », vécue comme un camouflet, vient nous rappeler que le déplacement du centre de gravité du monde de l’océan Atlantique vers le Pacifique, pressenti depuis des années, est désormais une réalité.
Une nouvelle partie du « grand jeu » se joue entre les États-Unis et la Chine, dans cette zone, renommée indo-pacifique. Washington y soutient et y mobilise ses alliés et partenaires affinitaires, afin de contrer l’expansionnisme de Pékin. Peut-on le lui reprocher ? Doit-on s’en étonner ?
Certes, la vocation de la France est de demeurer une puissance d’équilibre, mais ne fallait-il pas donner plus de consistance à notre stratégie indo-pacifique qui, manifestement, ne relève que de l’incantation ?
Pourquoi ne pas affirmer que les collectivités françaises d’Océanie – la Polynésie française, Wallis-et-Futuna, la Nouvelle-Calédonie – assurent à la France un statut de puissance riveraine, afin que sa voix compte dans la conversation stratégique ?
Pourquoi ne pas affirmer que, disposant d’une superficie terrestre et maritime importante, assortie de ressources minérales significatives, la Nouvelle-Calédonie est au cœur de cette partie du Pacifique où se décide, comme pendant la Seconde Guerre mondiale, l’issue de la partie de jeu de go engagée entre puissances rivales ?
Pourquoi ne pas reconnaître que, étant « limitrophe » de l’Australie, cette collectivité offre à la France, donc à l’Union européenne, une frontière commune avec cette île-continent ?
Monsieur le Premier ministre, l’indifférence générale qui a régné pendant tant d’années en métropole par rapport à l’avenir de la Nouvelle-Calédonie donne la mesure de notre inconscience ! Ayant vous-même élevé le dogme de la neutralité de l’État au-dessus de toute considération pratique de sérieux et de responsabilité, vous avez réduit la vision de la France dans la zone à un face-à-face entre les indépendantistes et la « méchante puissance colonisatrice ».
Monsieur le Premier ministre, que dites-vous à nos alliés, qui considèrent que l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie aurait des conséquences décisives pour l’avenir du Pacifique ouest ? (Marques d’impatience sur les travées du groupe SER, où l’on signale que le temps de parole de l’orateur est écoulé. – Silence ! sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. C’est moi qui contrôle le respect du temps de parole !
Veuillez poursuivre, monsieur Frogier.
M. Pierre Frogier. Pour terminer, mes chers collègues, je vous demande d’avoir une pensée pour nos compatriotes qui, quelle que soit leur origine, réaffirmeront, malgré tout, le 12 décembre prochain, leur amour de la France, afin que nos valeurs perdurent par-delà les océans. (Bravo ! et applaudissements prolongés sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Jean Castex, Premier ministre. Je vous remercie, monsieur le sénateur, de me donner l’occasion d’évoquer une nouvelle fois, devant la représentation nationale, ce sujet extrêmement important qu’est l’avenir de la Nouvelle-Calédonie et de la présence de la France dans cette région du monde.
Veuillez m’excuser, monsieur le sénateur, mais je vous ai trouvé, dans certaines de vos appréciations à l’endroit du gouvernement que j’ai l’honneur de diriger, quelque peu sévère. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) Mais oui !
Je n’en ai pas été, je dois le confesser, complètement surpris, car je n’oublie pas que, quand j’ai reçu, pour discuter de l’avenir de l’île, l’ensemble des délégations à Paris, entre le 26 mai et le 1er juin dernier, vous aviez décidé de boycotter ces rencontres, ce qui n’est jamais, monsieur le sénateur, une bonne position. (M. Pierre Frogier fait un signe de dénégation.)
Si vous aviez été là, vous auriez constaté – j’en ai déjà rendu compte au Sénat – que nous avons poursuivi, avec les parties prenantes, la mise en œuvre des accords de Nouméa, dont vous étiez signataire, monsieur le sénateur, et que nous avons fixé – ce n’était pas évident – la date du 12 décembre prochain pour la tenue de la troisième consultation référendaire prévue par ces accords.
M. Rémy Pointereau. Ce n’est pas la question !
M. Jean Castex, Premier ministre. Vous auriez également constaté que nous avons éclairé les parties, de manière approfondie et comme jamais auparavant, sur les conséquences du « oui » et du « non »,…
M. Pierre Frogier. À la bonne heure !
M. Jean Castex, Premier ministre. … que nous avons mieux fixé les orientations pour l’après-12 décembre, quel que soit le résultat du scrutin, et que nous avons réaffirmé – je réponds ainsi à votre question, monsieur le sénateur –, après le Président de la République et avec le ministre des outre-mer, notre souhait fort que le choix des Néo-Calédoniens soit celui de la France !
Nous avons donc réaffirmé plus que jamais la stratégie de la France dans l’Indo-Pacifique, et ce quelles que soient les décisions totalement contestables du gouvernement australien.
Je veux néanmoins vous rappeler que celui qui s’humilie, c’est celui qui renie sa signature. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Pierre Sueur. C’est vrai !
M. Jean Castex, Premier ministre. Ainsi, contrairement à ce que vous dites, nous sommes loin, très loin, de l’indifférence que vous avez cru déceler dans notre attitude.
J’en profite pour signaler au Sénat que, à l’inverse, nous manifestons en permanence notre pleine solidarité à l’égard de ce territoire, la Nouvelle-Calédonie, frappé par la covid-19, un sujet que vous n’avez pas évoqué dans votre question.
La situation sur ce front s’améliore, vous le savez ; nous en sommes à 223 cas pour 100 000 habitants, alors que nous en étions à 1 300 cas voilà quelques semaines. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Ce n’est pas la question !
M. Jean Castex, Premier ministre. La vaccination progresse en Nouvelle-Calédonie ; c’est une excellente chose.
Cette solidarité se manifeste par des renforts que la métropole envoie vers l’île, comme elle l’a fait pour tous les territoires ultramarins. Il y a ainsi, en permanence, 300 personnes venues de métropole qui aident nos concitoyens de Nouvelle-Calédonie, et, je vous l’annonce, nous allons renforcer notre aide de cinq lits de réanimation supplémentaires, par l’envoi d’un détachement du service de santé des armées.
Donc, oui, monsieur le sénateur Frogier, sur ce sujet comme sur tous les autres, le gouvernement de la République est pleinement mobilisé ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
commémorations du 17 octobre 1961
M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Le Rudulier. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Des « crimes inexcusables pour la République » : tels sont les propos tenus, samedi dernier, par le Président de la République à l’occasion de la commémoration du massacre du 17 octobre 1961 à Paris, un sujet extrêmement sensible et délicat, dès lors que l’on touche aux relations franco-algériennes et tout particulièrement à la période coloniale.
Or l’itinérance mémorielle du Président de la République devient, à masure que son quinquennat avance, une forme d’errance mémorielle. Ce nouvel acte de repentance sur l’Algérie, en dehors de toute contextualisation, introduit une nouvelle fracture au sein de notre société. Cette propagande victimaire semble des plus inconvenantes et revêt une forme d’indécence.
Aussi, monsieur le Premier ministre, ma question est somme toute assez simple : pourquoi devoir s’excuser en permanence de notre histoire ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Murmures sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur Le Rudulier, une grande nation est sans doute celle qui regarde son histoire avec vérité. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville. Eh oui !
M. Gérald Darmanin, ministre. Par ailleurs, je n’ai pas de leçons de patriotisme à recevoir, moi dont le grand-père a choisi la France ! (Marques d’ironie sur les mêmes travées.)
Monsieur le sénateur, une grande nation est celle qui fait la vérité pour elle-même et non pour plaire aux autres, parce qu’elle exige justement des autres de faire la vérité également sur leur histoire.
Vous avez regretté que cela se soit fait « en dehors de toute contextualisation », mais il y a bien eu, le 17 octobre 1961, des milliers de personnes – des femmes, des enfants, des hommes – qui ont manifesté ; il y a bien eu des blessés par centaines et il y a bien eu des dizaines de morts du fait d’agents publics français. C’est une vérité historique ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et SER.)
Mme Catherine Conconne. Tout à fait !
M. Gérald Darmanin, ministre. Dire cette vérité et reconnaître ses crimes, ce qu’a fait le Président de la République, comme l’avait fait avant lui Bertrand Delanoë en tant que maire de Paris. Ce n’est en aucun cas une errance, monsieur le sénateur ; c’est considérer que nous devons regarder notre histoire en face et que nous demandons à tous les pays de faire de même.
Aussi, devant la vérité – les années 1960 relèvent désormais du temps des historiens –, il faut peut-être que nous soyons tous unis et que nous ne cherchions pas à faire de la politique politicienne, surtout quand autant de morts relèvent de la responsabilité de la République ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier, pour la réplique.
M. Stéphane Le Rudulier. Monsieur le ministre, toute histoire nationale a sa part d’ombre et de lumière, mais, quand on considère notre roman national, on y trouve fort heureusement plus de lumière que d’ombre.
Mme Catherine Conconne. N’importe quoi !
M. Stéphane Le Rudulier. Nous devons tous, ici, être fiers de notre histoire nationale.
Or la repentance à répétition du Président de la République,…
Mme Éliane Assassi. Cessez de dire cela !
M. Stéphane Le Rudulier. … c’est la porte ouverte à la concurrence des mémoires, qui dressent les Français les uns contre les autres en fonction de leur origine. (Huées sur les travées des groupes CRCE et GEST.)
Le chemin de la réconciliation avec l’Algérie est semé d’embûches, mais, pour se réconcilier, monsieur le ministre, il faut être deux. Cette réciprocité est indispensable à l’apaisement de nos relations. Or nous sommes aujourd’hui dans un système de mémoire « hémiplégique » (Mêmes mouvements.),…
Mme Éliane Assassi. On ne peut pas utiliser n’importe quels mots !
M. Stéphane Le Rudulier. … dans lequel seule la France consent à l’effort de vérité historique, alors même que, dans cette histoire douloureuse, les torts sont partagés.
M. le président. Il faut conclure !
M. Stéphane Le Rudulier. Pour conclure, je voudrais citer Marc Bloch, selon lequel « l’anachronisme est le pire péché de l’historien ». Cela vaut aussi, monsieur le ministre, pour le Président de la République… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Huées sur les travées des groupes CRCE et GEST.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Notre prochaine séance de questions d’actualité au Gouvernement aura lieu le mercredi 27 octobre 2021, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Valérie Létard.)
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
3
Mise au point au sujet d’un vote
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
M. Jean-Pierre Decool. Madame la présidente, lors du scrutin n° 11 du 19 octobre 2021, l’ensemble des membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires souhaitait voter pour.
Mme la présidente. Acte est donné de votre mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin concerné.
4
Fonction de directrice ou de directeur d’école
Adoption en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, créant la fonction de directrice ou de directeur d’école (proposition n° 875 [2020-2021], texte de la commission n° 57, rapport n° 56).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, on retient souvent de Charles Péguy ses écrits sur les professeurs, ces fameux « hussards noirs » qui font partie des emblèmes de notre nation. On oublie trop souvent qu’il a écrit sur une autre fonction essentielle de notre école, celle de directrice et de directeur d’école, dont il disait qu’« elle résume à elle seule l’ordre de notre belle société ».
Aujourd’hui, je veux faire miens ses mots. En effet, par-delà d’éventuelles divergences, tout ce que nous nous dirons sera, j’en suis certain, une manière de rendre hommage de façon unanime à cette fonction.
Ils sont un repère pour tout le monde, les parents, les élèves, les professeurs, les maires. Le matin, ils accueillent les enfants à la grille. Au téléphone, ils font face à l’imprévu avec l’inspecteur ou l’inspectrice. Ils sont à l’écoute des parents qui s’interrogent sur l’avenir de leurs enfants. Ils font face parfois à une certaine agressivité de notre société. Ils font face à toutes les difficultés, sont les partenaires de bien des interlocuteurs. Mais ils vivent aussi l’une des plus belles aventures du monde, en accompagnant le développement des enfants. Ils sont justes avec les élèves dans toutes les situations. Tout simplement, ils sont ceux qui fertilisent notre société.
Ils ont été en première ligne durant la crise sanitaire pour organiser la continuité des enseignements, et c’est grâce à eux que nous pouvons nous enorgueillir d’être, dans le monde, l’un des pays à avoir maintenu nos écoles ouvertes le plus longtemps. Je veux une nouvelle fois leur exprimer, à eux, mais aussi à tous les acteurs de l’éducation nationale, notre gratitude.
Nous pouvons afficher une maîtrise de la situation dans les écoles depuis la rentrée, car ils ont su s’adapter à toutes les règles contraignantes liées à la situation sanitaire.
Aujourd’hui, que demandent-ils ? Vous le savez, nous avons mené de larges consultations, par voie d’enquêtes ou de concertations. Ils demandent que l’on reconnaisse leur rôle, qu’on leur donne plus d’autonomie et de liberté, qu’on leur fasse confiance pour prendre, en responsabilité, les décisions qui s’imposent dans l’exercice de leurs fonctions. Ils réclament de pouvoir, au quotidien, se consacrer aux fonctions les plus importantes qui leur incombent.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez rencontré nos directeurs et directrices d’école. Vous connaissez nos territoires, nos directeurs d’école et leurs difficultés. Vous ne voulez pas en rester au statu quo. Vous voulez que, sur tous les plans, les choses avancent.
Nous avons fait un certain nombre de choses, avant même cette proposition de loi, pour améliorer les conditions d’exercice des directeurs d’école. Permettez-moi de les rappeler.
Des mesures ont déjà été prises pour améliorer les conditions d’exercice des directeurs : dès l’été de 2019, le chantier de l’amélioration de la situation des directrices et des directeurs a été mis à l’agenda social. Cela s’est fait au travers une grande consultation, dont les résultats sont publics, et qui a permis de mesurer l’ampleur de leurs attentes.
En premier lieu, nous avons octroyé, dans le cadre réglementaire existant, la pleine responsabilité de la programmation et de la mise en œuvre des 108 heures annuelles de service.
En deuxième lieu, nous avons amélioré leurs outils numériques de gestion, afin qu’ils puissent se recentrer sur l’essentiel, à savoir le pilotage de leur école.
En troisième lieu, nous avons expérimenté, depuis la dernière rentrée, une fonction de référent pour les directrices et directeurs d’école. Ceux-ci, on le sait, avaient besoin de cette interlocution.
En quatrième lieu, nous avons décidé le versement d’une indemnité exceptionnelle de 450 euros à l’automne 2020 aux directeurs d’école. Cette indemnité annuelle a été pérennisée en 2021.
Depuis la rentrée de 2021, comme je m’y étais engagé, un nouveau régime de décharges a été installé : 600 emplois supplémentaires y sont consacrés, ce qui a permis de proposer de nouvelles décharges. Désormais, 40 % des directeurs et directrices en bénéficient. Des discussions sont en cours avec les organisations syndicales pour aller de l’avant dès la rentrée 2022.
Enfin, les directeurs d’école ont bénéficié d’avancées majeures permises par le Grenelle : la pérennisation de l’indemnité de 450 euros que je viens d’évoquer ; la prime d’équipement informatique de 176 euros par an, dont bénéficient également les professeurs ; la prime d’attractivité, qui peut monter jusqu’à 1 400 euros par an pour les débuts de carrière, à laquelle viendront s’ajouter, en février 2022, 800 euros supplémentaires pour les débuts de carrière, cette prime étant dégressive pour les milieux et fins de carrière ; un plus important taux d’accès à la classe exceptionnelle, sans parler des mesures comme les primes en REP+, le réseau d’éducation prioritaire renforcé.
Aujourd’hui, avec cette proposition de loi, il s’agit d’aller au-delà, en permettant aux directeurs et directrices d’être pleinement les pilotes pédagogiques de l’école dont ils s’occupent.
Cette proposition de loi s’inscrit dans la droite ligne de ce que nous avons fait jusqu’ici : reconnaître par la loi la fonction de directrice et de directeur d’école, son autonomie, son accompagnement matériel et humain. Il faudra aussi aller plus loin dans l’aide que nous devons collectivement fournir aux directeurs d’école. Je n’en doute pas, ce point sera présent dans nos débats.
Reconnaître leur fonction, c’est reconnaître la mission qui est la leur, une mission de stimulation, de coordination, d’encouragement et d’harmonisation des initiatives de l’équipe pédagogique, en tenant compte notamment de la diversité de la taille des écoles.
Reconnaître leur fonction, c’est reconnaître leur rôle de pilote au sein d’un collectif, contribuant à l’échange de pratiques, à la coordination des enseignements, pour une meilleure continuité des apprentissages. C’est aussi reconnaître leur rôle de proposition dans l’accompagnement de proximité et la formation, pour qu’ils puissent mieux répondre aux besoins de l’équipe des professeurs de leur école.
Avec les « constellations », c’est-à-dire la façon dont sont conçues les formations continues à l’école primaire, on a un bel exemple de cette horizontalité, de cette volonté de tenir compte des besoins au plus près du terrain.
Reconnaître leur fonction, c’est leur permettre de mieux porter le projet d’école auprès des collectivités et des parents d’élèves, mais aussi auprès de la hiérarchie éducative. Le directeur d’école – c’était vrai déjà au temps de Charles Péguy –, est le porte-parole de l’école au centre du village ou du quartier. Reconnaître sa fonction, c’est aussi reconnaître l’école.
L’examen en séance devra nous permettre d’avancer sur ce sujet, un trouvant un consensus pour lever les points de blocage qui se sont manifestés lors de l’examen en commission.
Je veux tout d’abord saluer le travail que vous avez réalisé, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis le début de l’examen de ce texte. Vous avez su l’enrichir, et nous avons su, je crois, tenir compte de ces enrichissements. Vous avez su trouver un équilibre entre la volonté d’avancer sur cet enjeu majeur, conformément aux attentes des acteurs de terrain, et les craintes qui s’étaient exprimées çà et là.
Je veux rendre hommage à la députée Cécile Rilhac, qui est l’origine de ce texte. C’est un bel exemple de la maturation d’un sujet, notamment par le dialogue entre les deux assemblées et le travail de chaque chambre, qui a écouté les acteurs de terrain.
Vous l’avez fait, notamment, pour ce qui concerne l’article 1er, qui consacre une autorité fonctionnelle au directeur ou à la directrice d’école. Les travaux du Sénat ont permis de faire évoluer cet article et de lever toute ambiguïté, tout en réaffirmant cette fonction, si essentielle.
La nouvelle version est parfaitement claire et de nature à rassurer ceux qui avaient des doutes sur nos intentions. Elle a été adoptée en l’état par vos collègues députés, je tiens à le souligner.
Certaines réserves se sont exprimées lors de l’examen en commission. Il convient de résoudre ces quelques difficultés et de rechercher le consensus le plus large possible.
J’en viens donc à l’article 2 bis. Il tend à donner la possibilité à l’État, aux communes ou à leurs groupements, dans le cadre de leurs compétences respectives – j’insiste sur ce point –, de mettre à la disposition des directeurs d’école des moyens d’assistance administrative et matérielle.
Vous avez supprimé la mention des collectivités, craignant qu’elles ne se voient imposer une charge nouvelle. Je vous le dis très clairement : il n’y aura pas de charge nouvelle pour les communes. Il s’agit simplement d’acter dans la loi la faculté de proposer une aide aux directeurs, afin de les soulager dans leurs tâches administratives.
Nous ne pouvons le faire sans évoquer les communes, dont certaines agissent d’ores et déjà, car ce serait porter atteinte au principe de partage des compétences, auquel cette chambre, je le sais, est particulièrement attachée.
Le rôle de l’État, dans ce dossier, est de se substituer à elles lorsqu’elles n’en ont pas les moyens, comme nous le faisons en bien des endroits. Il ne s’agit pas d’expliquer aux communes qui agissent depuis des années que tel n’est pas leur rôle. Nous souhaitons simplement nous assurer qu’un minimum d’équité est assuré sur l’ensemble du territoire.
Aussi, je vous proposerai tout à l’heure de réintroduire cette mention par voie d’amendement.
Tout d’abord, je n’imagine pas un seul instant que, dans un texte aussi fondamental pour l’école, les communes ne soient pas une seule fois mentionnées, alors qu’elles constituent un acteur prépondérant.
Ensuite, je suis très attaché, et je sais que vous l’êtes aussi, à préserver le couple maire-directeur d’école, car je sais combien cette entente est fondamentale, en particulier dans nos territoires ruraux, où elle joue un rôle moteur dans l’« alliance éducative », qui représente un interlocuteur privilégié pour de nombreuses familles.
Enfin, il est souhaitable que les deux chambres puissent s’accorder sur les équilibres qui ont été trouvés au fil des discussions, afin d’envoyer un signal très clair aux directeurs d’école qui nous regardent.
En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte que vous allez examiner aujourd’hui constitue une avancée décisive pour notre école. Je veux saluer l’important travail parlementaire accompli. Je pense bien évidemment à Cécile Rilhac, que j’ai déjà citée, mais aussi à l’ancienne sénatrice Françoise Laborde et au sénateur Max Brisson, qui ont constamment nourri nos travaux et nos réflexions.
Cette proposition de loi vient parachever notre action déterminée en faveur de l’école primaire, avec le renforcement constant des moyens pour le premier degré – nous en reparlerons dans le cadre de la discussion budgétaire –, la formation des enseignants, l’apprentissage des savoirs fondamentaux, ainsi que le dédoublement des classes en réseau d’éducation prioritaire renforcée, ce qui a permis de limiter les effectifs partout ailleurs.
Nous devons être au rendez-vous de l’attente de ces serviteurs de la République que sont les directrices et directeurs d’école, reconnaître leur engagement et leur dévouement au service de nos élèves, de notre école et de l’avenir de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Julien Bargeton, rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous arrivons à la fin des échanges entre les deux assemblées sur ce texte.
Au moment où nous examinons cette proposition de loi, je souhaite saluer l’engagement de l’ensemble des directeurs des écoles, qui jouent un rôle fondamental, comme l’a encore montré la crise du Covid. Ils sont les interlocuteurs privilégiés des parents d’élèves, des maires et du système éducatif. Aujourd’hui, nous pouvons collectivement leur rendre hommage.
La pandémie a entraîné dans leurs fonctions des changements, dont certains seront sans doute pérennisés, eu égard à la nouvelle vision de leur rôle fondamental qui a émergé.
Pourtant, de façon paradoxale, ils ne sont pas reconnus et ne disposent pas de réels cadres juridiques pour agir, alors même que leurs missions sont essentielles. C’est cela avant tout que répare ce texte.
Le texte de notre collègue députée Cécile Rilhac permet des avancées significatives, qu’il convient de saluer, en faveur des directeurs d’école. Elles s’inscrivent dans le cadre des travaux menés au Sénat par Françoise Laborde et Max Brisson, lesquels avaient fait apparaître un triple consensus : les directeurs d’école ont besoin de temps, de formation et de moyens. Nous sommes tous d’accord pour le dire. Ensuite, bien entendu, les dispositifs prévus par le texte peuvent faire l’objet de débats, mais la volonté politique est partagée entre le Parlement et le Gouvernement.
Vous l’avez dit, monsieur le ministre, vous avez accru les temps de décharge à partir de cette rentrée 2021. Par ailleurs, la loi de finances pour 2022 viendra pérenniser l’indemnité exceptionnelle versée à la rentrée scolaire 2020. D’autres mesures sont également prévues dans le cadre du Grenelle de l’éducation. Aujourd’hui, nous avons l’occasion d’améliorer le rôle de directeur d’école.
Les points d’accord sont nombreux, je veux le souligner. L’autorité fonctionnelle constitue un apport important du Sénat, qui permet aux directeurs d’école de disposer de l’autorité pour assurer le bon fonctionnement de l’école, ainsi que les missions qui leur sont confiées. C’est évidemment une avancée importante.
Nous avons également supprimé toute mesure de contingentement qui aurait pu être opposée à l’avancement.
Par ailleurs, nous avons retenu le principe selon lequel le temps de décharge doit être suffisant pour effectuer de manière effective les missions.
En outre, nous avons intégré, dans le cadre de la formation initiale des enseignants, une formation sur les missions exercées par les directeurs d’école. C’est la reprise de l’une des préconisations du rapport Brisson-Laborde.
Outre ces convergences aux articles 1er et 2, je rappelle que six des neuf articles ont été votés conformes entre les deux chambres. Il s’agit notamment de la création d’un référent « direction d’école » par département, de l’élection par voie électronique des représentants des parents d’élèves et les conditions d’élaboration du plan de sécurité.
Ont également été supprimés, de façon conforme entre les deux chambres, certains éléments qui avaient été introduits, à savoir le conseil de la vie scolaire et les demandes de rapport.
Les points d’accord sont donc importants. Certes, l’Assemblée nationale a procédé à un ajout, à l’article 1er, concernant les « chargés d’école », c’est-à-dire les enseignants de classe unique. Une telle situation concerne environ 8 % des écoles en France, ce qui n’est pas rien. Les classes uniques font battre le cœur des villages ruraux. Ces chargés d’école, sans être directeurs, assurent un certain nombre de leurs missions.
Leur mention dans la loi interroge. Aussi, la discussion de l’amendement déposé par notre collègue Sonia de La Provôté permettra de vous entendre, monsieur le ministre, sur leur inclusion dans cet article 1er.
Il ne faudrait pas que la reconnaissance des chargés d’école par leur mention à l’article 1er soit, au bout du compte, préjudiciable à ces derniers. La question posée est la suivante : toutes les dispositions relatives au temps de décharge leur sont-elles applicables, comme c’est le cas actuellement ? J’espère que notre débat nous permettra d’aborder ces questions.
J’en viens maintenant aux désaccords, qui sont trop nombreux pour espérer un vote conforme aujourd’hui. Pour autant, je souhaite que nous puissions aboutir à un accord sur ce texte très attendu.
Premièrement, l’Assemblée nationale a supprimé l’obligation d’une formation certifiante pour devenir directeur d’école. C’était l’une des recommandations du rapport Brisson-Laborde.
Deuxièmement, il en est de même pour l’obligation d’une formation continue tous les cinq ans. Les textes évoluent régulièrement, les missions se diversifient. Je pense notamment à la labellisation Paris 2024, aux cités éducatives, aux contrats locaux d’accompagnement, à la prévention, à la détection du harcèlement scolaire et au cyberharcèlement. Dans la mesure où de nouveaux sujets apparaissent sans cesse, il semblait être justifié qu’une formation continue obligatoire soit organisée tous les cinq ans pour y faire face.
Troisièmement, l’Assemblée nationale est revenue sur l’obligation, pour les services déconcentrés de l’éducation nationale, de présenter chaque année les recours et l’utilisation du temps de décharge des directeurs devant la commission départementale de l’éducation. Cette disposition avait été introduite à la suite d’un constat : les directeurs d’école ne peuvent pas toujours utiliser leur temps de décharge ; nous l’avons entendu dans le cadre de nos auditions.
Vous avez annoncé pour la rentrée 2021, monsieur le ministre, des mesures permettant de garantir des jours de décharge effectifs et réguliers. Je tiens à saluer cette avancée. Toutefois, le rendez-vous annuel que nous envisageons dans chaque département serait l’occasion de faire le point sur la réalité des décharges.
Ces trois points de désaccord devraient pouvoir être surmontés si nous avançons avec la volonté commune d’aboutir à un accord, nos divergences ne paraissant pas insolubles.
Vous l’avez dit, monsieur le ministre, un réel désaccord demeure entre l’Assemblée nationale et le Sénat sur les modalités des aides matérielles et humaines apportées aux directeurs d’école.
Selon moi, ce qui va sans dire va mieux en le disant. La réalité, c’est une compétence partagée respectueuse de chacun.
Néanmoins, le Sénat a voté en première lecture une obligation d’intervention de l’État et la suppression de toute référence aux communes et leurs groupements, puisqu’il ne veut pas sembler ajouter une charge supplémentaire aux communes. Vous vous en êtes expliqué, monsieur le ministre. Quoi qu’il en soit, c’est la position majoritaire au Sénat, et c’est l’un des points majeurs de divergence.
Selon moi, nous pourrions aboutir à une rédaction commune, chaque assemblée faisant un pas vers l’autre. Nous verrons si nous y parviendrons !
Nous sommes nombreux, dans cet hémicycle, à vouloir améliorer la situation des directeurs d’école. Le texte est attendu par les principaux concernés, et il ne faudrait pas qu’il bute sur un sujet certes important, mais qui ne constitue pas le cœur du texte. Nous avons la possibilité d’avancer ensemble, et c’est dans cet esprit que votre rapporteur a voulu travailler.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je nous souhaite des débats sereins, dans l’esprit des travaux menés en commission. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Max Brisson et Cédric Vial applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le constat sur la situation des directeurs et directrices d’école est unanime : c’est celui d’un accroissement de leurs missions et de leurs responsabilités, sans que leur statut et leurs conditions de travail s’adaptent à ces charges.
Notre collègue Max Brisson et Françoise Laborde, ancienne sénatrice du groupe RDSE, l’ont très bien exposé dans leur rapport. « Le pair parmi ses pairs » est sur tous les fronts : éducatif, administratif, extrascolaire et même sécuritaire. La crise sanitaire a d’ailleurs illustré la capacité des directeurs à assumer de nombreuses missions, dont certaines se situent en dehors du contrat initial.
J’ajoute qu’ils doivent également faire face, ainsi que les enseignants, à une évolution défavorable de leurs relations avec les parents d’élèves, ces derniers donnant parfois plus de crédit à la parole de leur enfant qu’à celle du professeur.
Les chiffres sont éloquents : près de 50 % des directeurs d’école déclarent avoir été insultés au cours de l’année 2017-2018, plus des trois quarts de ces actes ayant été commis par des parents.
Malgré tout cela, dans nos écoles, le dévouement est toujours au rendez-vous. Ce dévouement, je l’ai dit, est bien souvent exceptionnel. Combien de directeurs dépassent leur temps de travail ? Près de 90 % d’entre eux estiment travailler plus de 45 heures par semaine. C’est cette situation difficile qui nous commande d’agir vite, avant que les vocations ne se fassent de plus en plus rares.
Sans méconnaître les efforts que le Gouvernement a consentis en faveur des directeurs d’école et qu’il a rappelés, nous devons franchir une étape supplémentaire. La proposition de loi que nous examinons va dans ce sens. Elle répond en effet à plusieurs nécessités : renforcer le pouvoir d’initiative des directeurs d’école, reconnaître la spécificité de la fonction, ou encore leur apporter une aide administrative et matérielle.
En première lecture, mon groupe a soutenu le texte amélioré par le Sénat, qu’il s’agisse de l’attribution d’une autorité fonctionnelle, de l’accent mis sur la formation à la fonction de directeur ou de l’inscription dans la loi du principe de la décharge d’enseignement.
Nous abordons cette seconde lecture dans le même état d’esprit, même si, notre collègue rapporteur l’a souligné, le Sénat et l’Assemblée nationale divergent sur plusieurs dispositifs, en particulier aux articles 2 et 2 bis.
Il est en effet dommage de revenir sur les garanties apportées par notre assemblée en matière de formation et de décharge. Ce dernier point est essentiel à l’amélioration des conditions de travail des directeurs ; c’est un objectif central du texte.
S’agissant de l’article 2 bis sur la garantie d’une aide matérielle et financière, nous souhaitons sortir de toute ambiguïté : si les communes ou leurs groupements peuvent apporter une aide matérielle, comme c’est déjà bien souvent le cas, l’aide administrative au directeur doit exclusivement relever de l’État.
Nous attendons une rédaction conforme, en commission mixte paritaire (CMP), qui rappelle les responsabilités que l’État doit assumer et le soutien aux écoles qu’apportent les collectivités.
Mes chers collègues, malgré ces quelques points d’achoppement, nous nous dirigeons vers un texte dont les mesures sont attendues par tous ceux qui font vivre nos écoles.
Sans prétendre tout résoudre, la proposition de loi apportera une plus juste reconnaissance du travail accompli quotidiennement par les directeurs et directrices, et tout cela au bénéfice des élèves, car l’essentiel est bien là.
Pour conclure, je me permettrai de décliner ces propos de Jules Ferry : « L’enseignement est un devoir de justice envers les citoyens. » Aussi, il me semble que garantir les meilleures conditions de cet enseignement est notre devoir. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Franck Menonville applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Marie-Pierre Monier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est l’occasion ou jamais de le dire clairement : non, l’école de la République n’est pas une entreprise !
Au début du mois de septembre dernier, le Président de la République s’est rendu à Marseille et nous a informés qu’il avait eu une idée, et pas n’importe laquelle : une idée qui allait résoudre les difficultés des écoles marseillaises ! Pour y parvenir, on allait lancer une expérimentation afin d’autoriser les directeurs et les directrices d’école à recruter eux-mêmes leur équipe pédagogique…
Emmanuel Macron a ainsi laissé libre cours à sa vision libérale de l’école, celle qu’il partage avec vous, monsieur le ministre, et qui, sous couvert d’offrir plus de libertés et de prérogatives aux directeurs et directrices, les transforme en recruteurs et chefs d’entreprise, loin de notre conception de l’école républicaine. Aux termes de celle-ci, je le rappelle, s’appuyer sur la fonction publique pour enseigner à nos enfants est indispensable, car c’est un gage de qualité et la seule manière de garantir l’égalité de traitement à laquelle ils et elles ont droit.
Pour l’examen en seconde lecture de ce texte, nous ne traiterons bien sûr pas de ce point précis du recrutement par les directeurs et directrices d’école. Mais, au fond, en nous attaquant à la question de la nature profonde de leur fonction, c’est bien la vision de l’école que nous voulons porter qui est en jeu.
Les directeurs et les directrices d’école sont le cœur de l’école de la République, cette institution qui permet à nos enfants de devenir des femmes et des hommes capables de penser par eux-mêmes, de se construire, quel que soit leur milieu d’origine, et de faire vivre à leur tour nos valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité et de laïcité. Une telle ambition mérite qu’on lui offre, qu’on leur offre, des moyens à la hauteur !
Nos débats, en première comme en seconde lecture, ont bien montré que nous partageons toutes et tous, de bonne foi, un même constat : il faut mieux reconnaître et mieux valoriser les directeurs et directrices d’école dans l’exercice de leur mission. Mais il est évident que nous différons sur les manières d’y parvenir.
Au cœur des préoccupations des directeurs et directrices d’écoles, on retrouve des problématiques très concrètes : manque de temps pour les décharges d’activité, l’aide administrative, la formation. Nous estimons, au sein du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, que c’est par de tels leviers que nous pourrons répondre à leurs attentes, et non par l’affirmation d’une position d’autorité, dont ils ne sont pas demandeurs, sur leurs collègues.
L’école du premier degré s’inscrit en effet dans une vision collective, incarnée par le conseil des maîtres dont fait partie le directeur d’école. Son appartenance au corps enseignant est pour ses pairs un atout, car elle constitue un gage de sa bonne compréhension des ressorts de leur métier.
En première lecture, nous nous étions inquiétés de la suppression de la mention explicitant que le directeur d’école « n’exerce pas d’autorité hiérarchique sur les enseignants de son école », ainsi que de l’introduction d’une notion trouble d’« autorité fonctionnelle ».
Nous constatons à regret que les députés de la majorité ont fait le choix de persister dans cette voie, à rebours de la rédaction initiale du texte, et nous présenterons, bien entendu, plusieurs amendements pour clarifier ce point.
Nous regrettons aussi que la deuxième lecture à l’Assemblée nationale soit revenue sur plusieurs avancées introduites dans notre hémicycle.
Je pense en particulier à l’obligation d’une formation régulière pour les directeurs et directrices, à la mise en place d’un point annuel d’évaluation de l’utilisation des décharges ou encore à l’affirmation de la responsabilité de l’État en matière d’assistance administrative et matérielle. Nous avons salué la réintroduction de certaines de ces dispositions lors du récent passage en commission et nous espérons qu’elles survivront à la commission mixte paritaire.
Nous porterons une attention toute particulière au point épineux du financement de l’aide matérielle et administrative, qui devra être réglé par une solution permettant de préserver les finances exsangues des collectivités.
D’autres points positifs sont également à souligner dans ce texte, à l’image de la mise en place d’un référent « direction d’école » dans chaque direction des services départementaux de l’éducation nationale (DSDEN), référent qui aura été à la direction d’une école auparavant. Cet interlocuteur privilégié sera un atout, et nous le saluons.
Néanmoins, nous n’aurons de cesse de le répéter : ce que les directeurs et directrices souhaitent avant tout, c’est d’être soulagés concrètement dans leurs tâches administratives et d’obtenir les moyens humains et financiers nécessaires pour mener leurs missions à bien.
Or, sur ces points essentiels, ce texte offre trop peu de réponses concrètes. La question des décharges, renvoyée au champ réglementaire, en est un exemple criant. Pourquoi être revenu sur la rédaction initiale proposée par l’auteure du texte, qui avait au moins le mérite d’arrêter un volume minimal et, surtout, lisible de décharges horaires en fonction du nombre de classes ?
Quant à la question des formations, il est certes positif que ce texte rende obligatoire de proposer des formations dédiées aux directeurs et directrices d’école tous les cinq ans. Je regrette cependant que notre amendement visant à préciser qu’il s’agissait d’un seuil minimum et qu’il était donc possible de proposer des formations à intervalle plus régulier ait été retoqué en vertu de l’article 40 de la Constitution.
Dans sa lettre d’adieu, la directrice Christine Renon, qui a mis fin à ses jours au sein même de son école, nous adressait un cri d’alarme : « Le travail des directeurs est épuisant… Les directeurs sont seuls. »
Avons-nous su, depuis lors, nous montrer à la hauteur en répondant à ce drame, comme nous avions le devoir de le faire ? Ce texte permettra-t-il de résoudre les difficultés des directeurs et directrices et d’école ? Rendra-t-il réellement leurs missions plus lisibles, comme ils et elles le demandent ?
Je ne le crois pas, et je vous donne rendez-vous lors de l’examen du prochain projet de loi de finances pour, enfin, voter les crédits qui financeront les créations de postes, les heures de décharges, les outils matériels et les formations dont ils et elles ont vraiment besoin. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Samantha Cazebonne.
Mme Samantha Cazebonne. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment où nous abordons en séance publique la seconde lecture de la proposition de loi créant la fonction de directrice ou de directeur d’école, j’aimerais commencer par saluer les nombreuses convergences entre nos deux assemblées.
En effet, six des neuf articles du texte ont été votés ou supprimés conformes par nos deux chambres. Je veux croire que ce chiffre témoigne d’une volonté commune de chercher des compromis, afin de faire adopter un texte que les principaux concernés attendent urgemment.
Par ailleurs, la proposition de loi s’est considérablement enrichie au gré de son parcours parlementaire. Notre groupe se réjouit que de nombreux apports du Sénat, introduits en première lecture, aient été conservés par l’Assemblée nationale. Je pense naturellement à la reconnaissance de l’autorité fonctionnelle, qui permettra demain aux directrices et directeurs d’assurer le bon fonctionnement de leurs écoles.
Je pense aussi à la suppression des mesures de contingentement pouvant être opposées à l’avancée de grade des directrices et directeurs d’école, puisque ce contingentement pénalisait les enseignants qui n’exercent pas la fonction de directeur d’école.
Je pense, enfin, au maintien partiel du principe selon lequel le temps de décharge accordé au directeur d’école doit être suffisant pour lui permettre de remplir de manière effective ses missions.
Ces apports successifs à l’occasion de la navette parlementaire, ce sont les directrices et les directeurs d’école qui en seront les principaux bénéficiaires, et il faut à ce titre s’en réjouir.
Néanmoins, nous le savons tous ici, de profonds désaccords persistent entre nos deux assemblées : sur les formations certifiantes, sur la formation continue, mais aussi sur l’assouplissement des conditions de nomination des directeurs d’école en cas de postes vacants.
Par ailleurs, et c’est le désaccord le plus profond, il y a le financement de l’aide administrative et financière des directrices et directeurs d’école, à l’article 2 bis. La rédaction issue de la commission de la culture du Sénat contraint l’État à apporter une telle aide et ne mentionne plus les communes et les groupements de communes.
Or certaines communes financent déjà une aide administrative pour les directrices et directeurs d’école. Notre groupe s’interroge donc sur cette rédaction qui exclut les communes et leurs groupements de ce dispositif, d’autant plus que l’école est historiquement une compétence des communes.
Nous courrons peut-être le risque, d’une certaine manière, d’opposer les communes et leurs groupements à l’État et de rigidifier leur rapport, alors qu’il faudrait au contraire encourager les conventions et fluidifier les liens entre ces deux parties.
Le régime de décharge qui prévaut aujourd’hui à Paris pour les directeurs des écoles publiques de plus de cinq classes est un exemple bien connu de ces conventions qui existent déjà entre les communes et l’État.
Vous le savez, depuis 1982, la Ville de Paris verse une participation financière à l’État, qui correspond au coût des enseignants remplaçant les directeurs d’école déchargés de classe. D’autres communes mettent aussi des aides de gardiennage et de conciergerie à disposition des directrices et directeurs d’écoles, et souhaitent continuer à le faire.
Pour toutes ces raisons, notre groupe s’abstiendra sur ce texte, tout en espérant qu’un accord sera trouvé en commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
M. Jean-Pierre Decool. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne », car « l’ignorance est la nuit qui commence l’abîme ». Ces vers visionnaires de Victor Hugo évoquent le rôle central de l’école dans le modèle de société que nous défendons.
Au centre de ces sanctuaires de la République se trouvent les directeurs d’école. À eux seuls, ils organisent le bon fonctionnement de l’établissement, animent l’équipe pédagogique et représentent l’indispensable courroie de transmission entre enseignants, parents d’élèves, municipalité et direction académique.
Malgré ce rôle de premier plan, les directeurs d’école manquent de temps, de formation, de soutien et de reconnaissance. C’est pourquoi cette proposition de loi créant la fonction de directeur d’école est très attendue. Son adoption permettra d’apporter des réponses concrètes, au sein d’un cadre juridique renforcé, à celles et ceux dont le dévouement au service de la Nation n’est plus à démontrer.
Je salue le travail de la commission. En effet, elle a rétabli un certain nombre de points importants, adoptés en première lecture par notre assemblée.
À l’article 2 de cette proposition de loi, je suis favorable à l’assouplissement des modalités de nomination en cas de vacance du poste de directeur d’école.
Près d’une école sur quatre dispose d’un enseignant faisant fonction de directeur ; cette situation est particulièrement fréquente en milieu rural. Ainsi, il sera encore possible de nommer des enseignants volontaires non inscrits sur la liste d’aptitude en cas de vacance du poste de directeur d’école.
L’accès à la liste d’aptitude sera par ailleurs facilité pour les professeurs des écoles justifiant d’au moins un an d’expérience dans la fonction de directeur. Afin de les accompagner au mieux dans leurs missions, une formation leur sera proposée tous les cinq ans au moins.
La commission a rétabli l’article 2 bis dans la version adoptée par le Sénat en première lecture. Il s’agit de répondre à la demande de soutien matériel et administratif formulée par de nombreux directeurs d’école, de façon équilibrée sur l’ensemble du territoire.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, quelques semaines après la remise du rapport de la mission d’information sur le harcèlement scolaire, je souhaite attirer votre attention sur le rôle central des directeurs d’école en matière de climat scolaire. Ces derniers sont amenés à participer de façon active à la prévention et à la détection des situations de harcèlement, en partenariat avec la direction académique, les forces de l’ordre et les parents d’élèves.
Trop souvent encore, l’équipe pédagogique se sent démunie faute de formation pour gérer ces situations. Les directeurs auront un rôle important dans le déploiement du programme pHARe, ou programme de lutte contre le harcèlement à l’école, à la rentrée prochaine.
La lutte contre le harcèlement scolaire est une démarche globale, mobilisant l’ensemble du personnel scolaire. Les problèmes de violence à l’école commençant dès le plus jeune âge, nous devons intensifier les efforts et l’accompagnement des équipes pour permettre à chaque enfant de bénéficier d’une scolarité sans violence.
Mes chers collègues, je pense avoir été clair dans mes prises de position.
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en juin 2020, avec ma collègue Françoise Laborde, pour laquelle j’ai une pensée amicale, je remettais un rapport identifiant seize propositions adoptées par notre commission de la culture, de l’éducation et de la communication, au moment même où la proposition de loi qui nous rassemble ce jour était déposée à l’Assemblée nationale. Simple hasard du calendrier parlementaire ? Peut-être…
Pour ma part, je préfère constater le croisement de nos travaux, démontrant que les parlementaires des deux assemblées sont animés par une même volonté, celle d’améliorer la situation des directrices et des directeurs d’école. Et je veux saluer, monsieur le ministre, les belles paroles que vous avez prononcées à leur endroit lors de votre intervention liminaire.
Dans ce contexte, je souhaite saluer également notre rapporteur, Julien Bargeton, dont les travaux ont permis de trouver un juste équilibre sur un sujet pourtant propice à débat et à passion.
C’est d’ailleurs cette passion qui m’animait, monsieur le ministre, lorsque j’essayais de soulever la question de « l’autorité fonctionnelle » du directeur d’école au cours de nos discussions sur le projet de loi pour une école de la confiance. Ce jour-là, je m’étais heurté à votre refus : vous estimiez que « le sujet important de la direction d’école devait être traité avec sérénité, dans le cadre d’une vision systémique et en donnant toute sa place au dialogue social ».
Cette vision systémique était, elle, au rendez-vous lorsque le chef de l’État annonçait à Marseille, certes, dans un cadre expérimental et pour certaines écoles de la cité phocéenne, que le directeur pourrait désormais choisir les professeurs de l’école qu’il dirige.
Dès lors, dans ces conditions, pourquoi le directeur n’évaluerait-il pas ces mêmes professeurs et n’aurait-il pas finalement cette « autorité hiérarchique », grande absente de cette proposition de loi, comme une sorte de « non-dit » qui en dit finalement long sur un texte pris entre le marteau de la prudence inspirée par les froncements de sourcils de certaines organisations syndicales et l’enclume des annonces présidentielles ?
Toutefois, revenons à l’essentiel. Au cours du premier passage de ce texte dans notre hémicycle, j’avais souligné les demandes les plus fortes des directeurs d’école : davantage de formations, davantage de temps pour exercer leurs missions, davantage d’aides administratives, ainsi qu’une reconnaissance de leurs missions. Les directrices et les directeurs ont bien besoin qu’on leur fasse confiance. C’est d’ailleurs l’objet de cette proposition de loi de notre collègue députée Cécile Rilhac.
Il est vrai que, sur le sujet, l’Assemblée nationale et le Sénat ont utilement travaillé. Cela devrait d’ailleurs nous permettre de trouver, du moins je l’espère, un accord sur une version du texte qui sortira l’éducation nationale d’une ornière dogmatique rendant taboue, jusqu’à aujourd’hui, la reconnaissance de l’autorité des directeurs d’école.
Oui, mes chers collègues, l’autorité fonctionnelle est posée de manière claire. Les mots sont pesés, et ce sont ceux du Sénat ! Mais les moyens pour en améliorer l’exercice restent, quant à eux, à consolider.
Voilà pourquoi, si je me félicite de cette avancée conjointe, j’ai souhaité rétablir en commission un certain nombre de points modifiés par l’Assemblée nationale. Sur ces sujets, nous aurons un débat et un dialogue avec nos collègues députés.
C’est le cas pour la formation initiale : je ne comprends pas la suppression de sa « dimension certifiante », quand on sait que les futurs principaux de collège y consacrent une année, couronnée par l’entrée dans un nouveau corps.
Je ne comprends pas davantage le refus de fixer un seuil minimal pour que les directeurs en fonction retrouvent le chemin de la formation continue ; nous avons envisagé cette dernière tous les cinq ans.
De même, je ne comprends pas que les directrices et les directeurs ne puissent pas être considérés comme participant pleinement à l’encadrement et à la bonne organisation de l’enseignement du premier degré.
J’ai la même incompréhension sur la question des temps de décharge. La majorité à l’Assemblée nationale a certes accepté notre rédaction, reprenant l’idée selon laquelle la décharge doit permettre aux directrices et directeurs de remplir effectivement leurs fonctions. Mais alors, pourquoi reculer sur l’obligation d’une présentation annuelle par le directeur académique des services de l’éducation nationale (Dasen), devant le conseil départemental de l’éducation nationale (CDEN), de l’état réel de l’exécution des décharges, qui permettrait d’instaurer une transparence qui n’existe pas aujourd’hui ?
En effet, l’on sait qu’un certain nombre de décharges annoncées ne sont pas réellement effectuées, faute notamment de capacités de remplacement.
Mes chers collègues, la seconde version de la proposition de loi qui nous est revenue de l’Assemblée nationale nous invite à poursuivre le travail, en particulier sur l’article 2 bis, dont parlera Cédric Vial. Il est important pour nous de clarifier les choses, et nous avons besoin de vous entendre, monsieur le ministre, afin de fixer un point de vue.
Vous comprendrez que l’on fasse entendre, dans cette assemblée, le souhait des communes et des groupements de communes d’exercer leurs compétences scolaires pleinement, mais pas au-delà des compétences que leur confère la loi.
C’est pour cette raison, monsieur le ministre, mes chers collègues, que, sans aller aussi loin que le Président de la République, nous avons rendu à ce texte la consistance qu’il se doit d’avoir et rétabli une version plus ambitieuse. Nous voulons offrir aux directrices et aux directeurs d’école les moyens de remplir leurs missions de manière effective. Le texte issu de la commission vise le juste équilibre. Le groupe Les Républicains le défendra et le votera.
Pour la suite, nous sommes prêts au dialogue avec l’Assemblée nationale, à condition que l’ambition finale soit au rendez-vous. Alors, et seulement dans ces conditions, un accord sera possible. Notre ambition sera collective, et j’espère que, sur ce texte, elle sera conclusive. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Sonia de La Provôté applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Monique de Marco. (M. Daniel Salmon applaudit.)
Mme Monique de Marco. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, surchargés, survoltés, stressés, les directrices et directeurs d’école nous alertent depuis longtemps sur leur charge de travail, et plus encore avec la crise sanitaire. Je précise que 73 % d’entre eux sont des femmes ; je parlerai donc ici des « directrices », mais sans oublier pour autant les directeurs !
Les directrices manquent de temps. Leurs tâches se multiplient, pas toujours pour des raisons utiles au bon fonctionnement des écoles. Elles ont souvent des temps de décharge insuffisants et souffrent d’un déficit d’aide administrative. Leur demande la plus récurrente porte sur l’amélioration de ces conditions de travail en y mettant les moyens, comme en témoigne la grande enquête menée en 2019, à laquelle elles ont été très nombreuses à répondre.
Il y a un vrai décalage entre leurs demandes et la proposition de loi. Celle-ci apporte peu de réponses sur les véritables enjeux. Au lieu de cela, cette proposition de loi met en place une « autorité fonctionnelle » controversée et crée un statut spécifique.
Néanmoins, qui a demandé ce statut ? Pas les enseignantes, qui sont très attachées au fonctionnement collégial. Pas les syndicats, dont la majorité s’est opposée à cette proposition de loi. Pas les directrices et directeurs eux-mêmes : lors de la consultation de 2019, la création d’un statut à part n’émergeait pas parmi les demandes prioritaires ; près de 90 % des directrices interrogées ne le citaient pas comme une solution.
En quoi ce nouveau statut spécifique et l’autorité fonctionnelle que vous défendez sont-ils l’expression de la « reconnaissance » du travail essentiel des directrices et directeurs d’école ?
La reconnaissance, ce serait de lancer une véritable réflexion sur la simplification administrative, pour faciliter le travail des équipes pédagogiques.
La reconnaissance, ce serait de faire en sorte que l’État soit au rendez-vous, que l’inspection académique réponde dans les temps, que les directrices disposent de décharges suffisantes et d’aides pérennes pour les assister dans leurs tâches quotidiennes. Par exemple, en évitant de supprimer brutalement les emplois aidés, comme le Gouvernement l’a fait en 2017 ; les écoles, mais aussi leurs partenaires dans les collectivités, en ont beaucoup souffert et en souffrent encore.
Face à cela, on ne voit pas bien ce que changera la nouvelle « autorité fonctionnelle » des directrices. L’écrasante majorité d’entre elles estime que ce n’est pas en leur confiant davantage d’autorité et d’indépendance que l’on pourra améliorer la situation.
En leur confiant des missions supplémentaires de coordination et de formation, ce texte risque d’accroître encore leur charge de travail. Pis, l’autorité fonctionnelle crée de la défiance. Vous affirmez que cela ne constitue pas une autorité hiérarchique sur les autres professeurs. Mais quelles garanties en avons-nous ? Le concept est tellement flou dans le texte qu’il peut être facilement dévoyé.
Justement, le Président de la République vient d’annoncer le lancement, dans cinquante écoles de Marseille, d’une expérimentation qui donnerait un pouvoir hiérarchique au directeur en le transformant en chef d’entreprise recruteur. La philosophie derrière cette mesure est que les problèmes de l’école pourraient se régler par l’autorité, dans une vision très verticale du pouvoir chère à M. Macron.
Toutefois, les problèmes de l’école ne peuvent se traiter que par la collégialité. C’est un mode d’organisation auquel les enseignantes sont attachées et qui fonctionne très bien.
Ce qui ne fonctionne pas, c’est quand on leur demande de faire toujours plus, avec des moyens qui ne suivent pas. Nous ne voulons pas de cette vision managériale et court-termiste ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Céline Brulin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi a suivi son parcours législatif jusqu’à cette deuxième lecture au Sénat, sans convaincre les premiers intéressés, les directrices et directeurs d’école, qui ont continué de se mobiliser contre elle, sans nous convaincre, non plus, qu’une autorité fonctionnelle liée à la direction d’école serait la réponse aux problèmes qu’ils rencontrent.
Ces problèmes, je le rappelle, tiennent essentiellement à la multiplication de tâches administratives, chronophages, à des consignes pas toujours claires émises par les autorités académiques et à un manque de moyens et de soutien administratif ou hiérarchique.
Au contraire, de nouveaux développements sont venus inquiéter davantage encore.
Tout d’abord, il y a le refus, de poids, de la précision selon laquelle les directeurs et directrices n’exercent pas d’autorité hiérarchique sur leur équipe. Cette originalité, qui en chiffonne certains, les directeurs et plus globalement les équipes la considèrent comme un atout pour le fonctionnement et la cohésion des écoles. Être des pairs parmi leurs pairs, voilà ce qu’ils demandent, et peut-être encore plus après la crise sanitaire qu’ils ont dû gérer.
J’avais eu l’occasion de dire lors de la première lecture combien nous y perdrions s’ils devenaient des gestionnaires, suivant ainsi le mouvement constaté dans d’autres services publics, où la finalité des missions finit parfois par se noyer dans la technocratie.
Ensuite, il y a eu la volonté, exprimée par le Président de la République à Marseille, que les directeurs d’école recrutent les enseignants. Comme si cela allait rendre plus attractives les écoles peu demandées ou qui connaissent une trop grande rotation dans leurs équipes… L’exemple du dispositif Éclair, qui partait du même principe, est d’ailleurs éclairant : il a été un échec dans le secondaire.
C’est précisément le statut de fonctionnaire qui permet qu’il y ait un enseignant devant chaque élève. Regardons ce qui se passe avec la désertification médicale et gardons-nous bien de suivre le même chemin en matière éducative !
Une inquiétude supplémentaire est suscitée par le projet que les inspecteurs généraux soient placés sous le régime de l’emploi fonctionnel, avec toutes les questions que cela pose en termes d’indépendance et sur la nature des objectifs qu’ils auront à poursuivre.
Une nouvelle architecture se dessine ainsi. Il n’est pas certain que la réussite des élèves et la réduction des inégalités, qui restent les principaux enjeux de l’école en France, y gagnent. Finalement, les directeurs et directrices d’école risquent de devoir remplir plus de tâches encore : la formation ou l’encadrement, par exemple, en échange de moyens supplémentaires dont on attend la concrétisation.
Je veux redire, à la suite d’autres de nos collègues, combien nous manquons de remplaçants dans nos différents départements. Les décharges auxquels les directeurs pourront désormais prétendre en pâtiront, comme les efforts de formation à engager.
Les directeurs demandaient une revalorisation de leur fonction ; on préfère assouplir les conditions d’accession à ladite fonction. Gérer la pénurie de postes, au lieu de gérer la pénurie de volontaires, n’est pas la solution à nos yeux.
Les quelques motifs de satisfaction, comme la reconnaissance du statut de chargé d’école ou l’obligation, inscrite dans le texte par notre commission, de présenter chaque année devant le conseil départemental de l’éducation nationale un rapport sur l’effectivité des décharges et des remplacements, ne suffisent malheureusement pas à rendre ce texte acceptable à nos yeux.
Néanmoins, je me félicite que deux de nos amendements, visant le périscolaire et la responsabilité des directeurs en matière de plan de sécurisation des écoles – notre groupe les avait fait adopter en première lecture –, soient inscrits dans le texte définitif.
M. Julien Bargeton, rapporteur. Tout à fait !
Mme Céline Brulin. Enfin, malgré les propos que vous avez tenus à l’instant, monsieur le ministre, et que vous avez voulus rassurants j’invite tous nos collègues à rejeter l’amendement que vous avez déposé visant à impliquer les communes dans le soutien matériel et administratif apporté aux directeurs d’école.
Une telle responsabilité incombe à l’État ! Celui-ci ne saurait une fois encore se décharger de ses obligations sur les collectivités, qui ne connaissent que trop ce mouvement. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Sonia de La Provôté. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Laurent Burgoa applaudit également.)
Mme Sonia de La Provôté. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte qui nous réunit aujourd’hui participe d’une volonté commune au législateur et à l’exécutif : celle d’améliorer la situation et de reconnaître le travail des directrices et directeurs d’école.
Véritables couteaux suisses de l’école de la République sur le terrain, les directrices et directeurs d’école ont vu croître, ces dernières années, leurs responsabilités, ainsi que le temps qu’ils doivent y consacrer.
Pourtant, leur fonction n’a connu aucune modification législative majeure depuis 2005. La crise sanitaire, au plus fort de laquelle ils ont été les garants de la continuité pédagogique, a renforcé le constat posé par mes collègues Max Brisson et Françoise Laborde dans leur rapport publié dès le mois de juin 2020 : celui d’un statu quo intenable.
Déjà, en septembre 2019, le terrible drame que nous avons tous en mémoire, accusant leur solitude, leur stress et l’accumulation de tâches administratives chronophages, avait mis en lumière l’urgence qu’il y avait à agir.
Saluons donc ici le travail effectué par notre collègue et notre ex-collègue, qui a largement inspiré cette proposition de loi, celui, aussi, de Mme la députée Cécile Rilhac, ainsi que celui de notre rapporteur Julien Bargeton, que je remercie de sa rigueur et de son sens de l’écoute et de l’équilibre.
L’Assemblée nationale ayant supprimé un certain nombre des apports du Sénat, le débat de ce jour a vocation à rétablir une rédaction plus proche de l’esprit du rapport sénatorial.
Heureusement, l’apport majeur de ce texte a été conservé : la consécration de l’autorité fonctionnelle. « Pairs parmi leurs pairs », les directeurs ne pouvaient être rendus titulaires d’une autorité hiérarchique ; aucune revendication en ce sens n’émanait d’ailleurs d’eux.
L’autorité fonctionnelle est une délégation de compétences de l’autorité administrative, qui permet le bon fonctionnement de l’école et la réalisation des missions confiées dans la limite de cette délégation. Elle n’est donc pas, je tiens à le rappeler, une circonlocution qui masquerait la reconnaissance de l’autorité hiérarchique.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai souhaité déposer un amendement visant à clarifier l’article 2 et à y inscrire que le directeur « participe au bon fonctionnement de l’institution scolaire », cet énoncé me paraissant mieux respecter l’esprit de l’article 1er et le principe de l’autorité fonctionnelle ; nous en discuterons.
Heureusement, derechef, ont été conservés les apports relatifs à la décharge, le principe selon lequel celle-ci doit permettre aux directeurs de remplir effectivement leurs fonctions étant consacré.
Je souhaite par ailleurs saluer le rétablissement par la commission de la culture du Sénat de dispositions supprimées à l’Assemblée nationale.
Je citerai l’obligation de suivre une formation certifiante pour être nommé directeur d’une école de grande taille. Tout en étant sensible à l’argument de la raréfaction des candidats qu’une généralisation aurait pu entraîner, je regrette néanmoins que cette obligation ne concerne pas l’ensemble des écoles.
Je regrette également l’assouplissement des conditions de nomination des directeurs d’école en cas de postes vacants, via un dispositif fondé sur le volontariat et sécurisé par une formation ; le principe selon lequel une formation destinée aux directeurs d’école leur est obligatoirement proposée tous les cinq ans ; enfin, la périodicité annuelle du dialogue entre l’inspection académique et le directeur d’école, qui permettra de mieux évaluer la répartition des temps de décharge eu égard aux charges de la fonction, en tenant compte des motifs pour lesquels ceux-ci ont été utilisés. Il y va d’une nécessaire transparence.
En outre, le retour à la rédaction du Sénat concernant l’assistance administrative et matérielle accordée aux directeurs d’école était essentiel : cette compétence relevant de l’État, c’est à lui, avant tout, de la prendre en charge, mais nous discuterons probablement de la nécessité d’adapter ce principe à la réalité du terrain.
J’ai déposé un amendement ayant pour objet que le Gouvernement clarifie sa position sur l’assimilation des chargés d’école aux directeurs d’école, telle qu’elle figure dans la version de l’article 1er adoptée par l’Assemblée nationale. Cette assimilation en est-elle vraiment une ? Les chargés d’école bénéficieront-ils des dispositifs prévus par cette proposition de loi, en particulier à l’article 2 ?
Cette notion de « chargé d’école » doit être précisée : il ne saurait s’agir d’être directeur sans l’être vraiment.
Ainsi mes collègues du groupe Union Centriste et moi-même estimons-nous que certains points sont à clarifier ou à améliorer, ce que notre débat permettra de faire. Nous saluons néanmoins l’esprit de cette proposition de loi, qui s’appuie pleinement sur le travail sénatorial et a largement bénéficié des échanges parlementaires.
Je formule donc le souhait que la commission mixte paritaire soit conclusive, car la situation doit évoluer vers une reconnaissance réelle et nette du rôle des directrices et directeurs d’école.
Ce texte est attendu sur le terrain ; la demande est forte pour qu’il soit adopté au plus vite. Un signal important serait ainsi envoyé à celles et à ceux dont l’action a tant été mise en lumière lors de la crise sanitaire – ils sont un indispensable pilier de notre organisation scolaire et l’honneur de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Cédric Vial. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Cédric Vial. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est un petit texte que celui-ci, mais un texte important ! L’adoption de cette proposition de loi restera comme un moment fort dans l’histoire de l’école primaire, car nous créons la fonction de directrice ou de directeur d’école.
Toutefois, cette fonction existe déjà, penseront forcément ceux qui nous regardent, nous écoutent ou nous lisent : dans chaque école il y a un directeur ou une directrice – en titre, oui, mais pas totalement dans les faits ! Si ce texte est important, c’est qu’il est tout bonnement incongru que la reconnaissance que méritent les directeurs d’école ne leur ait pas été apportée plus tôt.
La République sait ce qu’elle doit à ces hommes et ces femmes de terrain, ces préposés de première ligne du service public de l’enseignement ; c’est pourquoi je me réjouis que le Sénat, au travers de cette proposition de loi créant la fonction de directeur d’école, leur offre, enfin, une pleine reconnaissance institutionnelle, ainsi que quelques moyens pour les aider à exercer leurs missions.
Chacun gardera en souvenir que, lors de la crise sanitaire, l’école a tenu bon et les directeurs d’école ont gardé le cap, assurant à la fois la continuité de l’enseignement, le lien social et l’ordre sanitaire dans leurs établissements.
Ils ont fait preuve d’un véritable engagement, allant souvent bien au-delà de leurs missions officielles. Nous leur devons beaucoup, nous le savons, et notre devoir est de leur faciliter la tâche.
Les directeurs d’école ont besoin de voir consolider leur capacité d’agir, d’arbitrer et d’organiser au sein de leur établissement. Cette proposition de loi va à cet égard dans le bon sens, puisqu’elle permet d’institutionnaliser leur fonction et de clarifier leurs responsabilités, sans alourdir leur charge de nouvelles missions.
Quelle est la différence entre un groupe de musiciens et un orchestre ? C’est l’harmonie ! (Sourires.)
Un orchestre est un groupe de musiciens jouant une partition commune sous la coordination d’un chef. Sans chef d’orchestre, il n’y a pas d’harmonie symphonique : il n’y a tout simplement pas d’orchestre, seulement des musiciens.
M. Jean-Raymond Hugonet. Très bien !
M. Cédric Vial. Le directeur ou la directrice d’école est ce chef d’orchestre. Pour exercer cette fonction, il doit d’abord être reconnu comme tel par tous les musiciens ; il doit aussi être formé à ce rôle et disposer d’une partition, ainsi que d’une baguette.
Nous pouvons donc nous féliciter d’avoir obtenu la reconnaissance de leur autorité fonctionnelle, étape primordiale pour assurer en toute légitimité la coordination de l’équipe éducative, tout en préservant le respect de la liberté pédagogique de chaque enseignant.
La crise sanitaire avait malheureusement mis en exergue le défaut de légitimité des directeurs, parfois impuissants ou contestés lorsqu’il s’est agi pour eux de faire appliquer les protocoles sanitaires au sein de leur école auprès de leurs collègues. L’autorité ne remplace pas le dialogue, mais elle l’accompagne efficacement et le rend plus légitime.
Les directeurs ont désormais un peu de la reconnaissance qu’ils méritent ; ils ont un statut, une formation améliorée, des avancements facilités, un système de décharge clarifié et des missions plus distinctes, assorties d’une autorité fonctionnelle définie.
Dans le cadre de la navette parlementaire, je me réjouis que l’Assemblée nationale ait tenu compte du travail du Sénat, en reprenant un certain nombre de nos amendements.
J’en citerai deux que j’avais déposés en première lecture, que vous aviez accepté de voter, mes chers collègues, et que l’Assemblée nationale a validés, désormais définitivement. Il s’agissait d’amendements de simplification, dont l’objet était que la tâche des directeurs ne soit pas encore alourdie.
Le premier tendait à supprimer le Conseil de la vie scolaire, nouvelle instance dont ni les objectifs ni les moyens n’étaient opérationnels. Le second visait à faire respecter les compétences respectives des collectivités locales et de l’État dans l’organisation des activités périscolaires, quand le texte initial, introduisant de l’incertitude, risquait de favoriser des disparités territoriales, entre le monde rural et le monde urbain notamment.
La clarté est un gage d’entente entre l’État et les collectivités et une condition d’efficacité de l’action publique.
Reste bien sûr un débat à trancher, sur l’article 2 bis, concernant l’aide administrative et matérielle qui doit être apportée à ces directeurs. Notre ligne demeure inchangée : celle de la clarté et du respect des compétences de chacun – l’État doit assumer les siennes, les collectivités feront de même.
N’allons pas ouvrir aujourd’hui la boîte de Pandore. Tout d’abord, ce n’est pas souhaitable. Ensuite, ce texte doit être celui des directeurs d’école ; nous nous devons de le rendre consensuel. Ce n’est pas le moment d’introduire des glissements de compétences ou de redéfinir des périmètres d’intervention établis, qui fonctionnent bien actuellement tels qu’ils sont – ce faisant, de mon point de vue, on porterait un mauvais coup à ce texte et à ce qu’il représente pour tous les directeurs d’école.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, j’espère ce consensus, je le souhaite et j’y crois.
C’est un petit texte que nous nous apprêtons à voter, mais, pour les législateurs que nous sommes, c’est un beau moment ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi créant la fonction de directrice ou de directeur d’école
Article 1er
(Non modifié)
L’article L. 411-1 du code de l’éducation est ainsi modifié :
1° AA À la première phrase, après le mot : « directeur », sont insérés les mots : « ou chargé d’école » ;
1° A À la même première phrase, les mots : « ou élémentaire » sont remplacés par les mots : « , élémentaire ou primaire » ;
1° B La deuxième phrase est supprimée ;
1° Après le mot : « éducative », la fin de la troisième phrase est ainsi rédigée : « , entérine les décisions qui y sont prises et les met en œuvre. » ;
2° Après la même troisième phrase, sont insérées trois phrases ainsi rédigées : « Il organise les débats sur les questions relatives à la vie scolaire. Il bénéficie d’une délégation de compétences de l’autorité académique pour le bon fonctionnement de l’école qu’il dirige. Il dispose d’une autorité fonctionnelle dans le cadre des missions qui lui sont confiées. »
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Grosperrin, sur l’article.
M. Jacques Grosperrin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi s’inscrit dans la continuité du travail réalisé par Max Brisson et Françoise Laborde ; nous nous en réjouissons.
J’ai apprécié, monsieur le ministre, votre propos liminaire sur les apports du Sénat à ce texte ; j’espère que nous parviendrons à un accord à l’issue de la CMP. Citant Péguy, vous avez parlé d’« ordre ». C’est précisément un tel rôle, fondamental – leur rendant hommage, vous l’avez souligné –, que jouent les directeurs d’école, ou plutôt ceux qui remplissaient déjà cet office sans que personne ou presque sache que la fonction proprement dite n’existait pas…
Il importe donc de reconnaître leur rôle. Je m’interroge néanmoins sur la différence entre l’autorité fonctionnelle et l’autorité hiérarchique : à défaut d’inscrire l’autorité hiérarchique dans la loi, on s’abstient de graver dans le marbre la figure du directeur comme coordonnant l’action des enseignants.
Je m’interroge également sur l’absence de formation. La formation, c’est important ; on le voit bien dans les établissements scolaires du second degré, collèges ou lycées.
Vous savez que je suis un chantre de l’école du socle. Il a pu m’arriver, en la matière, de mal me faire comprendre de certains de mes collègues ; c’est l’idée de continuum qui me semble importante.
Si nous voulons sauver nos écoles rurales, qui sont de petites écoles, il est fondamental de mettre en œuvre cette école du socle commun, du CP jusqu’à la troisième. Le socle permettra les échanges de service ; il permettra, surtout, de conserver les écoles rurales. Ne faut-il pas adopter une rédaction qui laisse ouverte la possibilité de fonctionner de cette manière ?
Enfin, au moment où le Parlement travaille sur cette question, je regrette que le Président de la République soit intervenu à Marseille pour faire des propositions allant dans le sens de l’autonomie et du libre choix par les directeurs d’école de leurs enseignants et de leurs collègues. Je ne suis pas contre ; simplement, de tels propos peuvent créer le trouble.
Ce n’est pas le rôle du Président de la République que de faire ce genre de propositions : c’est à nous qu’il revient de le faire, en tout cas d’en débattre, et je suis ravi que l’occasion nous en soit donnée aujourd’hui.
Mme la présidente. L’amendement n° 9 rectifié bis, présenté par Mme de La Provôté, M. Le Nay, Mme Vérien, M. Longeot, Mmes Dindar et Billon, M. Détraigne, Mmes Doineau, Sollogoub et Jacquemet, MM. Chauvet et P. Martin, Mme Saint-Pé, MM. Mizzon, Delahaye, Louault, Henno et Laugier, Mme Loisier, M. Levi et Mme Devésa, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Sonia de La Provôté.
Mme Sonia de La Provôté. Cet amendement, auquel il a été fait référence en discussion générale, est un amendement d’appel ayant pour objet que le Gouvernement exprime sa position sur l’assimilation des chargés d’école aux directeurs d’école et réponde notamment aux questions qui ont été posées sur ce point à M. le ministre.
Les chargés d’école bénéficieront-ils véritablement du statut de directeur d’école et de l’accompagnement afférent, tel qu’il est prévu dans cette proposition de loi ? En d’autres termes, nous souhaitons voir clarifier cette notion de chargé d’école, introduite en deuxième lecture à l’Assemblée nationale.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Julien Bargeton, rapporteur. Comme vient de l’annoncer Mme de La Provôté, la commission souhaite entendre la position du ministre sur l’inscription des chargés d’école – il s’agit d’une nouveauté de la deuxième lecture à l’Assemblée nationale – à l’article 1er du texte.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Nous avons en effet introduit ce sujet à l’Assemblée nationale.
Pour être tout à fait précis, le chargé d’école est assimilé à un directeur d’école. La question qui nous est posée est en quelque sorte une question de forme : faut-il ou non expliciter l’existence du chargé d’école ?
Ce n’est certes pas la disposition la plus importante de cette future loi. De deux choses l’une : soit nous considérons que le chargé d’école est à l’évidence implicitement concerné par toute mention de la directrice ou du directeur d’école – telle est plutôt ma position –, soit nous considérons qu’il est nécessaire de l’expliciter.
Ma réponse vise à dissiper toute ambiguïté : elle signifie que, derrière les mots « directeur d’école », il faut évidemment entendre aussi le chargé d’école. D’un point de vue que je qualifierais volontiers de légistique, il ne me semble pas indispensable de faire figurer dans le texte les mots « chargé d’école ».
J’émets néanmoins un avis de sagesse sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est donc l’avis de la commission ?
M. Julien Bargeton, rapporteur. Nous penchions pour émettre un avis de sagesse ; au regard de ces explications, nous le maintenons. Je crois comprendre qu’il ne serait pas extrêmement grave que nous supprimions cette mention.
Conformément à l’avis émis en commission, je m’en remets sur cet amendement à la sagesse de la Haute Assemblée.
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Il semble que M. le ministre nous ait invités à voter l’amendement de Sonia de La Provôté et, ainsi, à revenir à la rédaction de l’article 1er, telle qu’elle était issue des travaux du Sénat en première lecture.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre Monier. Il était bon d’engager le débat en commission sur ce sujet.
Les chargées d’école représentent environ 8 % des directrices – il s’agit majoritairement de femmes et, pour une fois, le féminin l’emporte sur le masculin –, qui assument pleinement ces fonctions. Reconnaître leur existence exige de ne pas les différencier des autres directrices et directeurs en créant un nouveau « corps » : ce sont bel et bien des directrices et des directeurs d’école.
Mme la présidente. Je suis saisie de sept amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 1, présenté par Mme Brulin, MM. Bacchi, Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 6, deuxième et dernière phrases
Supprimer ces phrases.
La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Par cet amendement, sans surprise, nous proposons de ne pas sanctuariser cette autorité fonctionnelle ; c’est là le cœur de cette proposition de loi, en quelque sorte, comme l’ont dit les uns et les autres.
Monsieur le ministre, je voudrais vous interpeller : vous avez eu des mots très justes sur les directeurs et directrices des écoles dans votre propos liminaire. Mais il se trouve que ceux-ci sont opposés à l’autorité fonctionnelle ; c’est d’ailleurs ce que révèle une enquête que vous avez vous-même commandée, où ils ont pu exprimer leurs attentes. Ce n’est pas cela qu’ils attendent !
Je trouve tout de même très curieux que, après la crise sanitaire que nous venons de traverser – j’espère qu’elle est finie –, compte tenu du rôle qu’ils ont joué et que vous avez eu raison de souligner, on leur propose, en guise de remerciement, si j’ose dire, un statut qu’ils ne demandent pas et qu’ils considèrent même comme contre-productif dans l’exercice de leur mission.
Personne ici n’a la naïveté de croire que cette autorité fonctionnelle pourrait, comme par magie, donner aux directeurs d’école un rôle dans la société à la hauteur de la mission qu’ils assument. J’aimerais donc que, à l’occasion de ce débat, vous précisiez à notre intention, monsieur le ministre, comment vous pensez que les choses vont se décliner concrètement. Auront-ils, par exemple, une lettre de mission ?
Il me semble qu’est à l’étude, dans le cadre du protocole relatif aux parcours professionnels, carrières et rémunérations et à l’avenir de la fonction publique (PPCR), une part variable qui prendrait la forme d’une rémunération collective perçue à l’identique par tous les enseignants d’une école. Les directeurs auront-ils à cet égard un rôle particulier à jouer ? Pour que nos débats soient tout à fait éclairés, il faut creuser un peu davantage sous les mesures proposées.
Mme la présidente. Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 12 est présenté par Mmes Monier et S. Robert, MM. Kanner, Antiste, Assouline, Chantrel, Lozach, Magner et Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 21 est présenté par Mme de Marco, MM. Dossus, Benarroche, Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Taillé-Polian et M. Vogel.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 6, dernière phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, pour présenter l’amendement n° 12.
Mme Marie-Pierre Monier. Cet amendement de repli vise à supprimer la mention en vertu de laquelle le directeur disposerait d’une autorité fonctionnelle dans le cadre de ses missions.
En effet, la formulation proposée est trop floue ; en outre, elle est dangereuse. Le dispositif prévu ne précise pas sur qui s’exerce cette autorité fonctionnelle : les enseignants ? Les personnels ? La communauté éducative ? Il nous semble dangereux que le directeur bénéficie d’une quelconque autorité sur les enseignants, qui, on l’a dit, sont ses pairs, puisque lui-même est issu de ce corps.
Comme vient de le dire ma collègue, il faudrait vraiment définir ce qu’est cette autorité fonctionnelle. Quant aux « missions » qui sont « confiées » au directeur d’école, s’agit-il de celles qui lui sont attribuées par délégation de compétences de l’inspecteur d’académie, dont il est question dans la phrase précédente ? Ou s’agit-il des missions qui lui sont confiées par la loi, étant entendu qu’elles sont amplifiées par la présente proposition de loi, puisque le directeur effectuera désormais des actions de formation ?
Au bout du compte, cette phrase est source de malentendus et de contentieux. Quant au postulat qui la sous-tend, il ne correspond pas à notre vision de la fonction des directeurs d’école.
Mme la présidente. La parole est à Mme Monique de Marco, pour présenter l’amendement n° 21.
Mme Monique de Marco. Cet amendement vise à supprimer la notion d’autorité fonctionnelle.
La création d’une telle autorité fonctionnelle ne répond en rien aux demandes de la profession, comme il a été dit. De surcroît, cette notion demeure très vague. N’étant pas définie dans le texte, elle suscite de nombreuses inquiétudes quant à l’instauration d’une autorité hiérarchique qui serait exercée sur ses collègues par le directeur ou la directrice.
Les enseignants, les directeurs et les directrices sont attachés au fonctionnement collégial de leur équipe ; l’exercice d’une autorité fonctionnelle pourrait remettre en cause cet équilibre. Prenons garde à l’image du chef d’orchestre : je rappelle qu’un chef d’orchestre mène souvent les musiciens à la baguette !
M. Jacques Grosperrin. Mais cela fonctionne !
Mme la présidente. L’amendement n° 11, présenté par Mmes Monier et S. Robert, MM. Kanner, Antiste, Assouline, Chantrel, Lozach, Magner et Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 6, dernière phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
Il n’exerce pas d’autorité hiérarchique sur les enseignants de son école.
La parole est à Mme Marie-Pierre Monier.
Mme Marie-Pierre Monier. En commission, lors de la première lecture, nous avions proposé la précision suivante : « Le directeur n’exerce pas d’autorité hiérarchique sur les enseignants de son école ».
Repoussant tout renvoi à l’existence ou à l’absence d’une autorité hiérarchique, notre rapporteur avait argué qu’une telle précision serait de nature à jeter le doute sur la question des rapports entre directeur et enseignants, alors même que cette question n’était pas abordée dans le texte.
À l’issue de la première lecture : le doute, encore lui, était définitivement de mise, nos collègues de la majorité sénatoriale introduisant en séance publique une notion d’autorité fonctionnelle, notion maintenue par l’Assemblée nationale, dont ce n’était pourtant pas la vision initiale ! Il nous paraît donc essentiel de réaffirmer l’absence de lien hiérarchique entre le directeur et ses collègues, condition sine qua non d’un exercice apaisé des fonctions de direction.
Le directeur ne doit pas passer au-dessus des équipes pédagogiques ; il reste un pair parmi les pairs. Les directeurs sont d’ailleurs dans leur quasi-totalité très attachés à la notion de collectif et ont réaffirmé à de nombreuses reprises qu’ils ne souhaitaient pas un statut spécifique ; or cette question se profile derrière celle de l’autorité hiérarchique.
Aussi, soyons clairs, voulez-vous, oui ou non, que le directeur soit un supérieur hiérarchique ? Si la réponse est non, pourquoi ne pas l’écrire clairement ?
Mme la présidente. Les trois amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 2 est présenté par Mme Brulin, MM. Bacchi, Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 13 est présenté par Mmes Monier et S. Robert, MM. Kanner, Antiste, Assouline, Chantrel, Lozach, Magner et Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 22 est présenté par Mme de Marco, MM. Dossus, Benarroche, Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Taillé-Polian et M. Vogel.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 6
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Il n’exerce pas d’autorité hiérarchique sur les enseignants de son école.
La parole est à Mme Céline Brulin, pour présenter l’amendement n° 2.
Mme Céline Brulin. Comme ma collègue, je pense que, en matière d’autorité hiérarchique, il faut dire les choses et les clarifier, comme le demandent les enseignants. Cette formulation a été introduite, supprimée, réintroduite, de nouveau supprimée… Il y a là une attente forte.
Pour illustrer mon propos, je voudrais reprendre l’image que Cédric Vial a utilisée en disant qu’un orchestre avait besoin de chef. Je vais peut-être faire sourire certains de mes collègues, mais il se trouve qu’il existe des orchestres sans chef, précisément. Il en est même qui théorisent ce choix : sans chef, disent-ils, on est responsabilisé jusqu’au dernier pupitre !
Cette image correspond assez bien à ce que les équipes enseignantes et les directeurs d’école veulent. C’est pourquoi nous proposons de préciser que les directeurs n’exerceront pas d’autorité hiérarchique sur les enseignants de leur école.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, pour présenter l’amendement n° 13.
Mme Marie-Pierre Monier. Il est défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. La parole est à Mme Monique de Marco, pour présenter l’amendement n° 22.
Mme Monique de Marco. Il s’agit d’un amendement de repli : si nous maintenons la mention d’une autorité fonctionnelle, pourquoi ne pas préciser qu’elle n’entraîne pas de lien hiérarchique ? Cela permettrait de clarifier cette disposition et de la rendre beaucoup plus acceptable.
Écrivons-le ! Je vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir prendre en considération cette demande de clarification de la notion d’autorité fonctionnelle.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Julien Bargeton, rapporteur. L’amendement n° 1 et les amendements identiques nos 12 et 21 ont pour objet de supprimer l’autorité fonctionnelle. Le Sénat souhaite au contraire l’inscription de cette notion dans la loi. La commission a donc émis un avis défavorable sur ces tris amendements.
Quant aux quatre amendements suivants, l’amendement n° 11 et les amendements identiques nos 2, 13 et 22, ils visent à ajouter au texte la mention de l’absence d’autorité hiérarchique.
Nous partageons avec vous, mes chers collègues, la volonté d’avoir une école apaisée. Il semble néanmoins à la commission que l’ajout spécifique proposé serait plutôt susceptible de créer des tensions, puisque le directeur se verrait sans cesse renvoyer cette absence d’autorité hiérarchique. Une telle précision nous a donc semblé inutile.
J’ajoute que je suis très sensible à l’hommage qui est rendu, notamment, à l’ensemble Les Dissonances de David Grimal, un orchestre que j’écoute régulièrement et apprécie énormément. Reste qu’il arrive aux meilleurs groupes, y compris à la Haute Assemblée, d’avoir un président, autrement dit un chef d’orchestre… (Sourires.)
La commission émet donc un avis défavorable sur l’ensemble des amendements en discussion.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Cette discussion avance de façon itérative ; elle est intéressante aussi à cet égard.
Sans refaire tous les débats que nous avons déjà eus, je voudrais commencer par répondre à Mme la sénatrice Brulin : rien d’univoque ne se dégage des enquêtes ou des consultations. Soyons honnêtes, tous autant que nous sommes : je ne saurais prétendre que tous les directeurs d’école sont favorables à l’évolution qui se profile, mais gardons-nous de dire, à l’inverse, qu’ils y sont tous défavorables, car c’est loin d’être le cas.
Les réponses à cette question n’épousent d’ailleurs aucun clivage classique, y compris dans le monde syndical. On le voit dans nos débats : on y trouve de la nuance et un spectre de sensibilités. C’est d’ailleurs très bien comme ça : c’est ainsi que l’on arrive à un travail législatif fin et adapté aux réalités de la société.
Je réponds en même temps aux propos de M. le sénateur Brisson : il faut en effet une vision systémique, laquelle réclame du temps et une articulation entre ce dont nous parlons aujourd’hui et les différentes mesures que j’ai pu prendre depuis que nous avons ouvert ce dossier, en matière de décharge des directeurs d’école par exemple. C’est donc d’une manière quelque peu différente que nous abordons ce sujet par rapport à l’état du problème, tel qu’il se posait voilà deux ans.
Il y a là, aussi, une illustration des vertus du bicamérisme ; vous êtes plusieurs à l’avoir souligné, et il est important de le faire ! Il est indiscutable que le Sénat a déjà apporté beaucoup à ce texte, sans grand rapport, d’ailleurs, avec les clivages politiques qui traversent la Haute Assemblée ou les positionnements classiques qui y ont cours, mais sur la base d’un vrai travail. Rappelons aussi, comme je l’ai dit en introduction, le rôle qu’a joué originellement le rapport de Max Brisson et Françoise Laborde.
Nous sommes tous animés, de bonne foi, par un seul objectif : améliorer l’école primaire de notre pays.
Quant au mot d’« autorité »– quel que soit l’adjectif qu’on lui accole, « fonctionnelle », « hiérarchique », que sais-je ? –, ce ne doit pas être un tabou. De l’autorité, il y en a en permanence dans notre organisation, par exemple dans le second degré ; cela n’inquiète personne. Et si l’on décidait demain de faire disparaître les chefs d’établissement, l’inquiétude serait grande, à juste titre.
De la même façon, dans d’autres lieux – j’ai souvent cité le Québec, mais j’aurais pu mentionner bien d’autres pays –, le directeur d’école a tout simplement une autorité tout à fait reconnue.
De surcroît, comme le disait le sénateur Vial, les Français pensent que le directeur a une réelle autorité consacrée par les textes ; ce que nous allons faire va plutôt consacrer par le droit ce qui existe déjà dans les faits, ou du moins dans les esprits.
Toutefois, précisément, dans les faits, c’est-à-dire dans la vie quotidienne, les directeurs et des directrices se retrouvent souvent dans des situations difficiles ou perdent du temps en raison du vide juridique existant ; cela aussi, il faut le reconnaître.
Il y a donc parfois un certain paradoxe à contester l’idée d’autorité fonctionnelle : en réalité, être contre l’autorité fonctionnelle, c’est en quelque sorte plaider en faveur de mécanismes bureaucratiques qui, de longue date, obligent les directeurs à en référer sans cesse à l’inspecteur, car il faut bel et bien, au bout du compte, que s’exerce l’autorité, laquelle, en l’espèce, est dans les mains dudit inspecteur !
Si, en la matière, on est contre une évolution, c’est donc de deux choses l’une : soit on est pour un pouvoir beaucoup plus vertical, celui d’un inspecteur placé très au-dessus dans la hiérarchie, soit on souhaite qu’aucune autorité ne s’exerce nulle part. Ces deux positions me semblent tout aussi mauvaises l’une que l’autre.
De temps en temps, tout simplement, il faut trancher : une décision doit être prise. C’est la vie courante de toutes les structures, qu’elles soient privées ou publiques. De ce point de vue, la seule question qui vaille est la suivante : comment faut-il organiser une structure pour qu’elle fonctionne bien ? Or on sait bien que ce qu’il faut rechercher c’est l’harmonie et l’esprit d’équipe.
J’insiste sur ce point : l’un des mots-clés du Grenelle de l’éducation, entre autres, c’est l’esprit d’équipe, autrement dit la capacité à créer des collectifs pédagogiques. Ce qu’il y a derrière ce texte, loin d’une forme de caporalisation, c’est au contraire l’accentuation d’une volonté d’approche collective des sujets, qui nécessite, bien sûr, une coordination.
Certains d’entre vous m’ont demandé, à juste titre, d’être plus explicite sur ce que supposerait, à l’avenir, l’autorité fonctionnelle.
C’est vrai, on pourrait la définir négativement, en disant que ce n’est pas l’autorité hiérarchique. J’y vois surtout une très grande souplesse, permettant de tenir compte d’une réalité qui se trouve à l’arrière-plan de tous nos débats sur ce sujet : l’hétérogénéité des écoles de France, petites, moyennes ou grandes écoles, urbaines ou rurales, etc. Le texte que nous discutons doit donc s’adapter à des réalités de terrain très différentes, d’une école de deux classes en milieu rural à une école de quinze classes en milieu urbain, avec ou sans regroupement pédagogique.
J’y insiste, il importe qu’il y ait de la souplesse sur le terrain, pour que cette autorité fonctionnelle s’adapte aux besoins.
En la matière, nous devons faire confiance au professionnalisme et au pragmatisme des acteurs. Je ne doute pas que, à l’avenir, les choses s’ajusteront en fonction des situations. D’où l’importance, d’ailleurs, de la délégation de compétences, qui va permettre, dans le duo que forment le directeur ou la directrice d’école et l’inspecteur ou l’inspectrice de circonscription, d’ajuster les choses en fonction de ce que désirent les uns et les autres. C’est à mon sens très positif.
Bien sûr, le directeur ou la directrice se trouve en situation d’améliorer la gestion des ressources humaines dans son école au travers d’initiatives et de recommandations. C’est même souhaitable.
Bien sûr, le directeur ou la directrice d’école sera dans une situation nouvelle et il ou elle sera plus fort pour le pilotage pédagogique, au plus près du terrain. Il faut s’en réjouir.
Bien sûr, le directeur ou la directrice d’école sera renforcé dans sa position d’interlocuteur de la mairie. C’est tant mieux, y compris pour la mairie elle-même.
Bien sûr, ce renforcement de la fonction ne doit pas faire peur aux directeurs et directrices eux-mêmes. Nombreux sont ceux, d’ailleurs, qui peuvent souhaiter cette évolution, et je suis certain qu’ils seront plus nombreux encore dans quelque temps, lorsque la pratique aura montré que tout cela ne cachait rien de mauvais pour l’école primaire. Au contraire, tout le système s’en trouvera conforté.
Si le débat doit se résumer à la nécessité d’avoir ou non de l’autorité, il me semble un peu trop binaire. Pour ma part, je penche plutôt pour la nécessité de définir l’autorité ; sinon, c’est ouvrir la voie à tout et n’importe quoi.
Néanmoins, le vrai débat, c’est notre capacité d’avoir des points de repère à la fois clairs, souples et adaptables, ce qui est un peu complexe et long. C’est ainsi que je qualifierai ce qui se joue derrière cet article. Son adoption nous placerait d’ailleurs dans une situation comparable à celle de pays où l’école primaire va très bien.
Cette disposition étant pour moi l’une des pierres angulaires, pour ne pas dire la pierre angulaire du dispositif, j’émets bien entendu un avis défavorable sur tous ces amendements.
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Je crois que toutes nos interventions visent à saluer le travail des directrices et directeurs d’école. Le ministre vient de décrire l’ensemble de leurs missions, dont l’exercice requiert, de notre point de vue, une autorité, car celles-ci se sont largement amplifiées au cours de ces dernières années.
Il faut le reconnaître, il y a entre nous une divergence, qui s’est manifestée tant en commission que dans l’hémicycle. Il n’y a là rien de déshonorant, d’ailleurs : c’est la démocratie !
Pour nous, l’autorité fonctionnelle est l’apport majeur de ce texte. Sans cela, il serait vidé de sa substance. C’est la colonne vertébrale de la proposition de loi. Il s’agit d’ailleurs d’une contribution du Sénat en première lecture, qui a été conservée par nos collègues de l’Assemblée nationale. Aussi, j’appelle mes collègues à repousser les différents amendements.
L’autorité fonctionnelle n’est pas liée à la création d’un statut, ce qui serait d’ailleurs absurde. Il faut maintenir cette souplesse et permettre à des directeurs de redevenir pleinement, s’ils le souhaitent, professeurs des écoles. Cette autorité est devenue nécessaire pour exercer des missions, de plus en plus nombreuses, et qui ne touchent pas qu’à la pédagogie : sécurité, relations avec les parents, relations avec les collectivités territoriales.
Cédric Vial disait tout à l’heure que beaucoup de personnes pensent que les directeurs ont déjà une autorité. C’est déjà le cas de nombre d’élus et de maires, qui croient que leur interlocuteur premier, à savoir le directeur d’école, a une autorité. Ils sont bien surpris lorsqu’ils apprennent que tel n’est pas le cas.
Il n’y a pas d’autorité non plus sans délégation de compétences, même si l’amendement relatif à cette question a été retiré. C’est elle qui va donner de la chair à cette autorité fonctionnelle et contribuer à définir son contenu.
Enfin, s’agissant de l’autorité hiérarchique, je reprendrai à mon compte ce qu’a dit le rapporteur. En l’inscrivant dans ce texte, on ouvrirait un débat de nature à affaiblir l’autorité fonctionnelle. Si nous voulons toutes et tous que le directeur puisse pleinement et sereinement exercer sa mission, il faut, au contraire, s’abstenir d’ajouter un élément qui le placerait devant bien des difficultés.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour explication de vote.
M. Olivier Paccaud. La langue française est certes particulièrement riche, mais il est vrai que, parfois, l’utilisation de certains mots mérite d’être précisée. C’est le cas, en l’occurrence, de l’adjectif « fonctionnel ». Une autorité fonctionnelle n’est pas une autorité hiérarchique. Elle n’est pas une autorité pédagogique.
Néanmoins, je comprends que certains de nos collègues ou que certains enseignants et directeurs d’école aient pu être interpellés par cet article, surtout quand ils vivent eux-mêmes des relations fluides et apaisées au sein de leur équipe pédagogique.
Pour autant, je rejoins l’analyse de Max Brisson : l’autorité fonctionnelle, qui, je le répète, n’est pas une autorité hiérarchique et pédagogique – elle est du ressort de l’inspecteur de circonscription –, peut être aujourd’hui particulièrement précieuse et utile aux directrices et directeurs d’école dans certaines de leurs missions, notamment à l’égard des collectivités locales, qui sont de plus en plus présentes dans l’école.
Même si je comprends l’esprit des amendements de nos collègues, je ne les voterai pas. Je pense que cette autorité fonctionnelle peut se révéler précieuse pour les directrices et directeurs d’école, mais il faut vraiment bien leur expliquer qu’ils sont là non pas pour « cheffer », mais pour mettre de l’huile dans les rouages.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Grosperrin, pour explication de vote.
M. Jacques Grosperrin. Je ne comprends pas mes collègues auteurs de ces amendements. Sans doute faut-il y voir un affrontement de courants politiques. Cela me rappelle mes cours de sciences de l’éducation, quand on travaillait sur Vasquez, Oury, l’École des Roches, etc.
Je ne vois pas en quoi l’on remettrait en cause la culture de l’éducation. Lorsque l’on regarde ce qui se passe dans les collèges et lycées, où il y a une autorité hiérarchique…
Mme Sylvie Robert. C’est différent !
M. Jacques Grosperrin. Certes, c’est différent. Il y a dans ces établissements scolaires un effet « chef », qui fonctionne bien. Pour ma part, je serais allé un peu plus loin, mais je comprends que, en période préélectorale, on reste prudent. Ce n’est peut-être pas le moment de mettre de l’huile sur le feu. En tout cas, je souhaite que l’on passe un jour à cette étape.
Néanmoins, je pense que, avec cette autorité fonctionnelle, dans une période où les apprentissages fondamentaux sont tellement importants dans le cadre scolaire, les résultats seront là. Cette réforme est un gage d’efficacité à cet égard. Par ailleurs, la relation humaine entre l’inspecteur de l’éducation nationale (IEN) et un interlocuteur bien identifié et représentatif n’en sera que meilleure.
Je le répète, je suis persuadé que l’autorité hiérarchique, on y arrivera un jour, d’une manière ou d’une autre, soit avec les directeurs d’école, soit avec un IEN qui travaillera avec un réseau d’écoles. À mon sens, c’est un passage obligé pour faire en sorte que nos élèves réussissent grâce à un cadre plus efficace.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour explication de vote.
M. Bernard Fialaire. Si je ne m’exprime pas avec l’accent du Sud-Ouest du président de mon groupe, je partage avec lui un passé de rugbyman… (Sourires.)
J’ai même exercé les fonctions de capitaine, un joueur qui est investi d’une autorité fonctionnelle et non pas hiérarchique. Il m’est aussi arrivé de jouer sous les ordres d’un autre capitaine exerçant cette même autorité, dont je puis dire qu’elle est utile au plus haut point pour le collectif, tout en respectant chaque individu et chaque expression personnelle. C’est grâce à cette cohésion et à cette cohérence portées par une personne détenant cette autorité fonctionnelle qu’une équipe peut être gagnante.
C’est la raison pour laquelle je soutiens pleinement cette disposition et voterai contre les amendements.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sonia de La Provôté, pour explication de vote.
Mme Sonia de La Provôté. Je m’inscris dans le droit fil de ce qui vient d’être dit.
Je veux simplement ajouter qu’une clarification par rapport à la notion d’autorité hiérarchique est superfétatoire. Il est utile d’identifier un directeur ou une directrice d’école pour des personnes qui se situent hors de l’éducation nationale. Je pense notamment aux élus, pour lesquels c’est un interlocuteur de fait, obligé, incontournable, pour bien faire fonctionner un établissement scolaire. Cette fonction répond en outre à un besoin de réactivité dans l’organisation.
Pour autant, ce rôle revient à quelqu’un qui demeure dans la plupart des cas un enseignant et qui souhaite rester un pair parmi ses pairs : il ne veut pas être identifié comme celui qui pourrait juger les siens au sein d’une équipe pédagogique. Il est à la fois organisateur, coordinateur, interlocuteur, mais il reste un enseignant parmi les siens.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre Monier. En fait, j’ai obtenu la réponse à la question que je posais tout à l’heure, à savoir : auront-ils une autorité hiérarchique ? À entendre M. le ministre et mes collègues, la réponse est oui !
Pourtant, à l’école, il y a déjà une autorité hiérarchique, avec les IEN. Or je crois qu’il est question d’une fusion des corps d’inspection… À ce moment-là, peut-être n’y aura-t-il plus d’autorité à confier aux directeurs d’école ! Au fond, c’est bien ce que vous voulez faire par anticipation : faire des directeurs des supérieurs hiérarchiques.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 12 et 21.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 2, 13 et 22.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
L’article L. 411-2 du code de l’éducation est ainsi rétabli :
« Art. L. 411-2. – I. – Le directeur d’école maternelle, élémentaire ou primaire dispose d’un emploi de direction.
« II. – Les enseignants nommés à l’emploi de directeur d’école bénéficient d’une indemnité de direction spécifique fixée par décret ainsi que, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État, d’un avancement accéléré au sein de leur corps.
« III. – Le directeur d’école est nommé parmi les personnes inscrites sur une liste d’aptitude établie dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État. Ne peuvent être inscrits sur cette liste d’aptitude que les instituteurs et professeurs des écoles justifiant de trois années d’exercice dans ces fonctions ou justifiant d’une année minimum d’exercice de la fonction de directeur d’école et ayant suivi une formation à la fonction de directeur d’école. Une formation certifiante est nécessaire pour prendre la direction d’une école dont le directeur bénéficie d’une décharge complète d’enseignement.
« Les professeurs des écoles et les instituteurs figurant sur la liste d’aptitude ainsi que les directeurs en poste à la date de publication de la loi n° … du … créant la fonction de directrice ou de directeur d’école y demeurent inscrits.
« Dans le cas d’emplois de directeurs d’école vacants, des instituteurs et professeurs des écoles non-inscrits sur la liste d’aptitude peuvent être nommés à leur demande dans des conditions définies par décret. Ils bénéficient d’une formation à la fonction de directeur d’école dans les meilleurs délais.
« III bis. – Le directeur d’école propose à l’inspecteur de l’éducation nationale, en prenant en compte les orientations de la politique nationale et après consultation du conseil des maîtres, des actions de formation spécifiques à son école.
« IV. – Le directeur d’école bénéficie d’une décharge totale ou partielle d’enseignement. Cette décharge est déterminée en fonction du nombre de classes et des spécificités de l’école, dans des conditions, fixées par décret en Conseil d’État, qui lui permettent de remplir de manière effective l’ensemble de ses fonctions.
« Avant le 30 juin de chaque année, lors d’une réunion du conseil départemental de l’Éducation nationale, l’autorité compétente en matière d’éducation rend compte de l’utilisation effective lors de l’année scolaire en cours des décharges d’enseignement et de leurs motifs pour exercice de l’emploi de direction des écoles maternelles et élémentaires.
« Le directeur participe à l’encadrement du système éducatif. Il peut être chargé de missions de formation ou de coordination. L’ensemble de ces missions est défini à la suite d’un dialogue tenu tous les deux ans avec l’inspection académique.
« V. – Le directeur administre l’école et en pilote le projet pédagogique. Il est membre de droit du conseil école-collège mentionné à l’article L. 401-4. Il ne participe pas aux activités pédagogiques complémentaires de son école, sauf s’il est volontaire.
« V bis. – Une offre de formation destinée aux directeurs d’école leur est proposée régulièrement tout au long de leur carrière et obligatoirement tous les cinq ans.
« L’ensemble des missions associées à l’emploi de direction d’une école fait partie de la formation initiale des professeurs des écoles.
« VI. – Un décret en Conseil d’État fixe les responsabilités des directeurs d’école maternelle, élémentaire ou primaire ainsi que les modalités d’évaluation spécifique de la fonction.
« VII. – Le directeur d’école dispose des outils numériques nécessaires à sa fonction. »
Mme la présidente. L’amendement n° 14, présenté par Mmes Monier et S. Robert, MM. Kanner, Antiste, Assouline, Chantrel, Lozach, Magner et Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 4, deuxième phrase
Remplacer les mots :
et ayant suivi une formation à la fonction de directeur d’école
par une phrase ainsi rédigée :
.Une formation à la fonction de directeur est nécessaire avant la prise de fonction.
La parole est à Mme Marie-Pierre Monier.
Mme Marie-Pierre Monier. Il s’agit de savoir comment s’organisera la formation de celles et ceux qui seront directrices et directeurs d’école.
Le texte prévoit une formation préalable à la prise de fonction. C’est aussi ce que nous souhaitons. En revanche, nous ne voulons pas subordonner à cette formation l’inscription sur la liste d’aptitude. En effet, on manque déjà de volontaires pour assumer la mission de directeur d’école, donc il n’est pas besoin d’ajouter un obstacle en amont des éventuelles candidatures et de dissuader les candidats de s’inscrire sur la liste d’aptitude.
Il n’est par ailleurs pas évident ni réaliste qu’un enseignant, éventuellement très jeune, justifiant d’à peine quelques années d’expérience, ait le temps de suivre une formation aussi pointue avant de songer à s’inscrire sur une liste d’aptitude. De plus, aura-t-on le temps de pourvoir à son remplacement s’il doit, dans un délai très rapide, suivre une formation en vue de son inscription, d’autant qu’il ne s’agit pas d’une formation très courte ?
Nous souhaitons donc que la formation, dont nous ne contestons pas l’utilité, ait lieu avant la prise de fonction, sans plus de précisions, ce qui laissera davantage de temps à tous les partenaires, futurs directeurs et institution scolaire, pour s’organiser. Nous réclamons ainsi un peu plus de souplesse.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Julien Bargeton, rapporteur. Je comprends l’esprit de cet amendement, dont les dispositions se fondent sur une réalité de terrain. Pour vous, la formation ne doit pas être obligatoire pour figurer sur la liste d’aptitude pour devenir directeur d’école, mais doit simplement avoir lieu avant la prise de fonction.
Il nous a semblé qu’une telle disposition allait plutôt à l’encontre de notre à position à l’égard du renforcement de la formation. En outre, elle pourrait laisser la porte ouverte à des personnes n’ayant pas eu le temps de recevoir cette formation. Celles-ci deviendraient ainsi directrices d’école sans avoir suivi aucune formation, ce qui n’est pas souhaitable.
La commission émet donc un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 15, présenté par Mmes Monier et S. Robert, MM. Kanner, Antiste, Assouline, Chantrel, Lozach, Magner et Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 4, dernière phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à Mme Sylvie Robert.
Mme Sylvie Robert. Cet amendement est bien sûr lié au précédent. Il nous semble primordial de prévoir une formation préalable à la prise de fonction de directeur, mais en aucun cas celle-ci ne doit être subordonnée au fait que le directeur bénéficie ou non d’une décharge complète.
En effet, ce dispositif entraîne une rupture d’égalité devant la fonction de directeur d’école selon que l’école comporte beaucoup ou peu de classes, ce qui est le critère pour accorder, ou non, une décharge d’enseignement complète.
Enfin, la notion de formation certifiante est elle aussi très floue, à l’instar de l’autorité fonctionnelle dont nous avons débattu à l’instant.
Mme la présidente. L’amendement n° 4, présenté par Mme Brulin, MM. Bacchi, Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 4, dernière phrase
Supprimer le mot :
certifiante
et les mots :
dont le directeur bénéficie d’une décharge complète d’enseignement
La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Nous nous interrogeons également sur le caractère certifiant de la formation des directeurs d’école.
Il y a un problème de cohérence, puisque, aujourd’hui, on le sait, il y a des enseignants qui se retrouvent directeurs d’école sans vraiment avoir voulu l’être. Quel sort leur est-il réservé au regard de cette nécessité d’une formation certifiante ?
En outre, nous nous interrogeons sur le traitement différencié des écoles selon leur taille. Je prends l’exemple des écoles en milieu rural, qui sont souvent des petites écoles et dont les directeurs ne bénéficieraient donc pas de décharge complète. Serait-on alors sur un autre type de formation ?
Je ne vois pas pourquoi seuls certains directeurs recevraient une formation certifiante. Cela reviendrait à créer des inégalités, alors que nous sommes censés les combattre. En tout cas, je ne suis pas sûre que ces dispositions rendent la fonction attractive, quand on sait les difficultés de recrutement rencontrées dans certaines zones.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Julien Bargeton, rapporteur. Je vais essayer d’être clair.
L’amendement n° 15 tend à supprimer toute référence à la formation certifiante, et cela quel que soit le type d’école.
L’amendement n° 4, soutenu par Mme Brulin, est un peu différent, parce qu’il vise à supprimer la notion de certification, tout en maintenant la formation. En revanche, ses auteurs refusent que celle-ci soit réservée à certaines catégories d’école, c’est-à-dire aux plus grandes.
À ma grande surprise, je dois le dire, la commission a émis un avis favorable sur l’amendement n° 15 et un avis de sagesse sur l’amendement n° 4, alors que, à titre personnel, j’avais proposé la sagesse pour l’amendement n° 4 et un avis défavorable sur l’amendement n° 15.
En tant que rapporteur, je me dois de vous rapporter fidèlement les décisions de la commission, mes chers collègues. Néanmoins, je pense pouvoir dire, sous réserve des débats à venir, que le Sénat est attaché à la dimension de certification.
La commission a donc émis un avis favorable sur l’amendement n° 15 et un avis de sagesse sur l’amendement n° 4.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Sur ce sujet, là encore, on voit bien que les réponses ne sont pas forcément binaires. Et vous allez constater, mesdames, messieurs les sénateurs, que les tenants n’ont pas forcément chez moi les mêmes aboutissants que chez certains orateurs !
S’agissant des tenants, je pense que la certification est une bonne chose, au-delà même du sujet qui nous occupe aujourd’hui. Il est bon que notre système certifie. C’est une bonne politique de ressources humaines, pour permettre des évolutions, parfois des passerelles, et tout simplement pour valoriser les compétences qui s’acquièrent au fil d’une carrière dans notre institution.
Selon moi, il est valorisant pour un professeur des écoles de devenir directeur d’école via une certification. De même, pour l’école maternelle, qui exige un professionnalisme spécifique, il est bon d’aller vers des mécanismes de certification. Je souscris donc au raisonnement sur l’intérêt d’avoir un tel système.
En revanche, je ne suis pas certain qu’une telle mesure doive apparaître dans la loi, au risque de créer des rigidités contreproductives sur le terrain, et cela pour un ensemble de raisons ; Mme Brulin nous a donné un exemple à cet égard.
Pour résumer, je souhaite aller dans cette direction, mais pas nécessairement par la loi. C’est pourquoi, même si, j’y insiste, je ne rejette pas l’idée de certification, j’émets un avis favorable sur ces deux amendements.
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Je crois que, ce matin, en commission, nous n’avons pas tout à fait compris ce que nous votions. (Sourires.) Je pense que la majorité sénatoriale souhaite maintenir ce concept de formation certifiante, dont je voudrais dire deux mots.
Mon souci est d’abord de valoriser la fonction de directeur. À cet égard, nous sommes tous d’accord sur la nécessité d’une formation et nous pensons qu’il y a des moments où l’institution s’honore à valoriser ses parcours de formation. M. le ministre l’a rappelé avec force, et je souscris à ses propos.
Ensuite, la différence entre les grandes et les petites écoles peut être discutée. Après tout, la formation doit pouvoir être certifiante pour tous.
Néanmoins, il y a aujourd’hui de drôles de situations sur nos territoires. De futurs principaux de collèges partent en formation une année, changent de corps, ont un nouveau statut et finissent parfois par diriger des collèges dont la taille est bien inférieure à celle de grandes écoles de plus de 13 classes, c’est-à-dire de plus de 300 élèves. Il faut savoir que, sur nos territoires, certaines écoles primaires peuvent compter 400 ou 500 élèves, quand certains collèges, en particulier dans mes vallées pyrénéennes, ont 90, 100 ou 120 élèves.
Pourquoi ne certifierions-nous pas des directeurs appelés à diriger des écoles qui ont la taille de gros collèges, avec le nombre de professeurs, d’agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem) et d’accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) que cela implique ? Il faut être conscient de ces réalités.
J’ai entendu M. le ministre. Peut-être aura-t-on d’autres discussions sur ce sujet lors de la commission mixte paritaire, si celle-ci est convoquée, mais je crois que, aujourd’hui, il faut en rester à cette idée de valorisation d’un parcours de formation : un professeur des écoles qui veut devenir directeur reçoit une formation ; cette formation doit être certifiante ; il s’inscrit sur une liste d’aptitude.
Cela donne en quelque sorte du corps au parcours de ce directeur, qui sera ensuite doté d’une autorité fonctionnelle. On aura ainsi progressé dans la reconnaissance du métier de directeur ; or c’est précisément ce qui nous est demandé par les intéressés.
Mme la présidente. L’amendement n° 5, présenté par Mme Brulin, MM. Bacchi, Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 6
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« L’affectation d’un enseignant à un poste de direction ne peut se faire qu’après un accord exprès de ce dernier.
La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Au fur et à mesure de nos débats, on voit bien que le rôle, les missions et le statut – je ne sais pas quel autre mot utiliser – des directeurs d’école vont être très sensiblement modifiés.
Dans ces conditions, il nous semble inenvisageable que des directeurs d’école prennent leurs fonctions sans leur accord. Ils vont avoir une autorité hiérarchique sur leurs collègues. (M. le ministre sourit.) Visiblement, c’est ce qui est souhaité. Aussi, je ne crois pas que l’on puisse contraindre des enseignants à devenir directeurs d’école contre leur gré.
Je sais qu’il y a une pénurie, à laquelle il faut faire face, mais ce serait la pire des choses que de le faire par la contrainte. Nous y parviendrons seulement par de véritables revalorisations.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Julien Bargeton, rapporteur. Je comprends la position de notre collègue, mais l’adoption de son amendement risquerait de rigidifier le cadre du fonctionnement de l’école. Nous pourrions nous retrouver alors avec des écoles sans directeur.
La commission a donc émis un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 6 est présenté par Mme Brulin, MM. Bacchi, Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 16 est présenté par Mmes Monier et S. Robert, MM. Kanner, Antiste, Assouline, Chantrel, Lozach, Magner et Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 7
Supprimer les mots :
en prenant en compte les orientations de la politique nationale et
La parole est à Mme Céline Brulin, pour présenter l’amendement n° 6.
Mme Céline Brulin. Nous refusons qu’il soit fait référence à la politique nationale en ce qui concerne les formations des enseignants.
Dans votre propos liminaire, monsieur le ministre, vous avez parlé d’aspiration à l’autonomie. C’est bien de cela qu’il s’agit ici. Et j’y ajouterai la liberté pédagogique, qui a toujours cours dans notre pays aujourd’hui, me semble-t-il.
Mme la présidente. La parole est à M. Yan Chantrel, pour présenter l’amendement n° 16.
M. Yan Chantrel. Au travers de cet amendement, nous souhaitons supprimer la mention, selon nous superflue, selon laquelle le directeur propose des actions de formation spécifiques à son école « en prenant en compte les orientations de la politique nationale ». Il va de soi que celles-ci s’imposent à tous les personnels de l’éducation nationale.
Alors que le texte a pour objet de faciliter la mission des directeurs et de leur donner davantage de pouvoirs, cette restriction semble insinuer un manque de confiance dans leur pouvoir d’appréciation sur les actions de formation à engager. Nous souhaitons donc supprimer cette mention, qui n’apporte rien et qui peut paraître défiante.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Julien Bargeton, rapporteur. Il s’agit d’une prise en compte, ce qui laisse une marge de manœuvre. Ce n’est pas parce que l’on « prend en compte » qu’une formation ne peut pas être spécifique et innovante.
Par ailleurs, c’est déjà le cas, puisque, par définition, les formations doivent respecter les orientations de la politique de l’éducation nationale et ne sauraient s’inscrire en contradiction avec celles-ci.
La commission émet donc un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 6 et 16.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je suis saisie de cinq amendements et d’un sous-amendement faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 3, présenté par Mme Brulin, MM. Bacchi, Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Nous souhaitons supprimer la mission de formation des directeurs d’école consacrée dans ce texte. En effet, ils souffrent déjà d’un surcroît de travail, auquel ils avouent eux-mêmes ne pas pouvoir faire face.
Par ailleurs, les formations ne doivent pas être – je vais le dire avec des mots peut-être inappropriés –, des formations « maison », au sein d’une école. Se former, c’est aussi aller ailleurs, dans d’autres établissements, pour voir d’autres pratiques, d’autres façons d’enseigner.
Je crains que, avec cette obligation de formation des enseignants, les personnels n’évoluent exclusivement en cercle fermé, ce qui n’est pas forcément une bonne chose.
Mme la présidente. L’amendement n° 17, présenté par Mmes Monier et S. Robert, MM. Kanner, Antiste, Assouline, Chantrel, Lozach, Magner et Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 10, première phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à M. Jacques-Bernard Magner.
M. Jacques-Bernard Magner. Notre amendement tend à supprimer une phrase qui nous paraît un peu alambiquée et pas très adaptée, puisqu’elle fait référence à « l’encadrement du système éducatif ».
Comment pourrait-on demander à un directeur d’encadrer le système éducatif depuis son école ? Il n’est pas un fonctionnaire d’administration centrale qui rédige des circulaires pouvant encadrer l’ensemble du système éducatif.
Par ailleurs, le terme d’encadrement pourrait prêter à confusion et laisser penser que le directeur joue un rôle de cadre au sein de l’école, notamment vis-à-vis des enseignants, ce qui n’est pas le cas – certains le souhaiteraient peut-être…
Pour ces différentes raisons, je vous invite à supprimer cette phrase ambiguë selon laquelle « le directeur participe à l’encadrement du système éducatif ».
Mme la présidente. L’amendement n° 8 rectifié ter, présenté par Mme de La Provôté, M. Le Nay, Mme Vérien, M. Longeot, Mmes Dindar et Billon, M. Détraigne, Mmes Doineau, Sollogoub et Jacquemet, MM. Chauvet et P. Martin, Mme Saint-Pé, MM. Mizzon, Delahaye, Louault, Henno et Laugier, Mme Loisier, M. Levi et Mme Devésa, est ainsi libellé :
Alinéa 10, première phrase
Remplacer les mots :
l’encadrement du système éducatif
par les mots :
la bonne organisation de l’institution scolaire
La parole est à Mme Sonia de La Provôté.
Mme Sonia de La Provôté. Cet amendement vise à clarifier le terme d’encadrement. Comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, il me semble que ce terme doit être précisé, car il se concilie difficilement avec l’autorité fonctionnelle attribuée au directeur d’école, dans la mesure où celle-ci n’est pas une autorité hiérarchique.
Or, en confiant au directeur d’école la mission d’encadrer le système éducatif, on laisse penser qu’il exerce une autorité hiérarchique : ce terme pourrait donc être mal interprété. Il me semblerait plus clair de faire référence à « la bonne organisation de l’institution scolaire » : cette expression s’inscrit davantage dans la logique de l’autorité fonctionnelle confiée au directeur d’école.
Nous avons déjà eu cette discussion en commission. Il en était ressorti que cette phrase méritait d’être clarifiée, afin d’éviter que nous dérivions vers une forme d’autorité hiérarchique que nous n’avons pas souhaité reconnaître dans ce texte.
Mme la présidente. Le sous-amendement n° 26, présenté par M. Brisson, est ainsi libellé :
Amendement n° 8
1° Alinéa 3
Supprimer les mots :
l’encadrement
2° Alinéa 5
a) Au début
Insérer le mot :
et
b) Remplacer les mots :
l’institution scolaire
par les mots :
l’enseignement du premier degré
La parole est à M. Max Brisson.
M. Max Brisson. Je suis à l’origine de l’expression qui pose problème, celle d’« encadrement du système éducatif ». Je comprends que les termes « système éducatif » puissent susciter des interrogations, et je remercie Sonia de La Provôté d’avoir cherché une solution, mais la formule « institution scolaire » ne me semble pas y répondre davantage.
Notre collègue propose également de remplacer la notion d’encadrement par celle de bonne organisation : je trouve cette formulation intéressante, car elle valorise les missions du directeur d’école. D’ailleurs, si j’ai utilisé le mot « encadrement », c’est d’abord, parce que les professeurs des écoles sont des cadres A de la fonction publique, ensuite, parce que j’étais soucieux, moi aussi, de valoriser la fonction de directeur d’école.
Voilà pourquoi ce sous-amendement vise, d’une part, à maintenir la notion d’encadrement et à la compléter par celle de bonne organisation, d’autre part, à remplacer « institution scolaire » par « enseignement du premier degré ». Après tout, il s’agit bien de cela : compte tenu de leur autorité fonctionnelle, les directeurs d’école jouent un rôle à la fois dans la bonne organisation et dans l’encadrement de l’enseignement du premier degré.
Mme la présidente. Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 18 est présenté par Mmes Monier et S. Robert, MM. Kanner, Antiste, Assouline, Chantrel, Lozach, Magner et Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 23 est présenté par Mme de Marco, MM. Dossus, Benarroche, Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Taillé-Polian et M. Vogel.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 10, deuxième phrase
Supprimer les mots :
de formation ou
La parole est à M. Lucien Stanzione, pour présenter l’amendement n° 18.
M. Lucien Stanzione. Chacun sait, cela a été dit, que les directeurs d’école sont surchargés par diverses tâches. Cet amendement vise, dans ce contexte, à retirer purement et simplement la mission de formation confiée aux directeurs à cet alinéa du texte.
Mme la présidente. La parole est à Mme Monique de Marco, pour présenter l’amendement n° 23.
Mme Monique de Marco. Cet amendement, identique à celui qui vient d’être présenté, vise à supprimer les missions de formation dont pourrait être chargé le directeur ou la directrice d’école.
Alors que l’objet initial de ce texte était de favoriser les décharges des directeurs et des directrices d’école, lesquels réclament avant tout un allégement de leurs tâches administratives, ainsi qu’une assistance pour la gestion de celles-ci, expliquez-moi pourquoi l’article 2 prévoit de leur attribuer une nouvelle mission, qui viendra encore alourdir leur charge de travail et ne relève pas de leur compétence.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Julien Bargeton, rapporteur. Cette série d’amendements traite de deux sujets distincts.
Les amendements nos 3, 18 et 23 portent sur la formation et tendent à supprimer la nouvelle mission confiée en la matière aux directeurs d’école. Cette mission inclut notamment la formation à l’exercice de la fonction de directeur d’école : or qui est mieux placé qu’un directeur d’école pour apprendre en quoi consiste ce métier à des enseignants qui voudraient le devenir ?
Je précise à cet égard que nous avons prévu deux garde-fous.
D’abord, je vous rappelle que l’un des objectifs de cette proposition de loi est de faire respecter les temps de décharge des directeurs d’école, afin que ceux-ci puissent réellement assurer leurs missions, dont évidemment cette mission de formation.
Ensuite, cette mission doit découler d’un dialogue permettant justement de définir la meilleure manière de l’exercer – elle ne peut pas être imposée.
Par pragmatisme, notamment parce qu’il est nécessaire qu’un directeur d’école transmette à ceux qui le souhaitent tout ce qui relève de l’exercice de sa fonction, et compte tenu des garde-fous que nous avons prévus, la commission émet un avis défavorable sur ces trois amendements, et ce sans redouter de pénaliser les directeurs d’école.
Les amendements nos 17 et 8 rectifié ter, ainsi que le sous-amendement n° 26 soulèvent un débat autour de la première phrase de cet alinéa, selon laquelle « les directeurs d’école participent à l’encadrement du système éducatif ».
Un compromis a été trouvé entre Mme de La Provôté et M. Brisson. La notion de « bonne organisation » proposée par Mme de La Provôté se concilie bien avec celle d’autorité fonctionnelle. Par ailleurs, sur la proposition de Max Brisson, on substituerait les termes d’« enseignement du premier degré » à ceux de « système éducatif ». Il me semble que, si nous adoptions l’amendement n° 8 rectifié ter ainsi sous-amendé, nous clarifierions le texte sur ce point.
C’est pourquoi la commission émet un avis favorable sur l’amendement n° 8 rectifié ter, ainsi que sur le sous-amendement n° 26.
Quant à l’amendement n° 17, dans la mesure où il vise à supprimer toute référence à cet encadrement, la commission y est évidemment défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Avant d’émettre l’avis du Gouvernement sur ces amendements, je formulerai deux remarques préalables.
Tout d’abord, je souhaite répondre à certains arguments qui viennent d’être exprimés, notamment à un argument qui a déjà été avancé à plusieurs reprises et que j’ai de nouveau entendu à l’instant, à savoir que cet article, comme d’ailleurs les autres articles du texte, n’apporte pas une vraie réponse au problème que pose l’exercice de la fonction de directeur d’école.
Selon un certain nombre d’entre vous, cette réponse résiderait ailleurs. Elle consisterait par exemple à accorder davantage de moyens aux directeurs d’école pour qu’ils exercent correctement leurs missions. Je ne suis pas en désaccord complet avec un tel argument. Simplement, cette position n’est pas vraiment pertinente ici.
Oui, il convient d’en faire davantage que ce qui est prévu dans cette seule proposition de loi et c’est justement le but de notre politique : nous avons déjà pris des mesures en ce sens et nous continuerons de le faire. Certaines difficultés sont de nature réglementaire, parfois même infraréglementaire : par exemple, à la dernière rentrée scolaire, nous avons augmenté le nombre de jours de décharge pour les directeurs d’école – comme je le rappelais tout à l’heure, cette mesure a bénéficié à 40 % des directeurs.
Il ne faut donc pas abuser de cet argument : il n’est pas faux en soi, sauf que, justement, le Gouvernement en tient compte dans les actions qu’il mène. Il reste naturellement des choses à faire, mais cela n’invalide pas l’intérêt que présente chacune des dispositions de ce texte.
Je tiens également à réagir à un autre argument, que je viens aussi d’entendre et qui a déjà été formulé par le passé : toutes ces dispositions pourraient entraîner un excès de verticalité dans notre système éducatif. Pourtant, nous avons commencé à apporter la preuve que cette démarche produisait davantage d’horizontalité que de verticalité – j’ajoute qu’il faut un peu des deux pour qu’un système fonctionne bien.
En disant cela, je pense aux mesures que nous avons prises pour laisser davantage d’autonomie aux directeurs d’école dans l’organisation des 108 heures de formation. Je pense aussi à la réforme que nous engageons au travers de ce que l’on appelle les plans Français et Mathématiques, avec la mise en place d’une formation par « constellations » qui repose sur la prise en compte des besoins des professeurs. Or, bien souvent, ce sont justement les directeurs et les directrices d’école qui jouent un rôle de pivot pour définir ces besoins.
Cette proposition de loi va donc bien dans le sens des mesures que nous avons mises en place.
Encore une fois, et j’insiste sur ce point, nous ne souhaitons pas une « caporalisation » du système : nous cherchons à renforcer la dimension collective de l’encadrement des écoles, en conférant au directeur d’école un rôle de pilote – c’est vrai, et je l’assume pleinement.
Dans ce contexte, et pour en revenir aux amendements en discussion, ma position est assez simple. Écrire que le directeur ou la directrice d’école participe à l’encadrement du système éducatif revient à dire, si je puis dire, que la pelouse est verte… Il s’agit finalement de reconnaître une évidence, du moins à mes yeux, mais je veux bien admettre que cela se discute.
C’est un fait, si bien que la rédaction proposée initialement par le sénateur Brisson ne me déplaît pas – elle me semble tout simplement correspondre à la réalité. C’est pourquoi, en ce qui me concerne, je suis plutôt défavorable à ces amendements. Cela étant, je vois qu’un compromis a été trouvé, et je ne voudrais pas que l’on m’accuse de faire accomplir au Sénat un travail de Pénélope. (Sourires.)
Je le répète, nous nous trouvons devant un problème assez simple, d’autant que cet alinéa n’a pas une portée juridique considérable. Il a cependant le mérite de reconnaître que les directeurs d’école – et je trouve que c’est valorisant pour eux – participent à l’encadrement du système éducatif.
Je ne ferai pas de cet ajout la pierre angulaire du texte, car je ne pense pas qu’il le mérite, mais je pense qu’il constitue une sorte de première étape. Il pourrait aussi, le cas échéant, servir d’appui au processus de revalorisation salariale qui pourrait advenir à l’avenir. C’est donc une bonne chose.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Julien Bargeton, rapporteur. Je crains de ne pas avoir été assez clair en présentant la position de la commission, même si j’ai conscience que la clarté n’est pas toujours une qualité – Voltaire disait : « Je suis comme les ruisseaux : je suis clair, parce que je ne suis pas profond. » (Sourires.)
Dans le cas d’espèce, l’adoption de l’amendement n° 8 rectifié ter sous-amendé conduit bien à conserver la notion d’encadrement, tout en ajoutant la référence à « la bonne organisation » et en remplaçant l’expression « système éducatif » par « enseignement du premier degré ». J’apporte cette précision pour la pleine compréhension de notre assemblée.
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Si j’avais su, monsieur le ministre, que vous tiendriez ces propos, je n’aurais pas passé la soirée d’hier, avec le président de la commission, Laurent Lafon, et Sonia de La Provôté, à essayer de trouver la meilleure rédaction possible pour concilier des points de vue alors divergents. (Sourires.)
Mais, après tout, c’est le travail parlementaire, et je pense que nous proposerions un texte correctement rédigé, si nous adoptions des amendements ciblant l’enseignement du premier degré et faisant référence à la fois à son encadrement et à sa bonne organisation. Ainsi, le texte conforterait – c’était notre volonté première – le travail des directeurs d’école.
S’agissant de la formation, je reprendrai les propos du rapporteur, car je les partage : les professeurs souhaitent le plus souvent que les formations soient assurées par leurs pairs, et qu’elles assurent un partage des bonnes pratiques. Il serait tout de même surprenant, et fort dommage, que des directeurs d’école chevronnés soient privés de la faculté de transmettre leur savoir et tout ce qu’ils ont appris sur le terrain. Il me semble que cet échange de bonnes pratiques – c’est un vieux souvenir d’une autre vie ! – répond largement aux attentes des professeurs dans le domaine de la formation.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour explication de vote.
M. Olivier Paccaud. La référence aux missions de formation, telle qu’elle figure dans le texte, me gêne un peu, et ce pour une raison très simple : aujourd’hui, les directeurs d’école participent déjà, quand ils le souhaitent, à des sessions de formation.
D’ailleurs, l’article 2, dans sa version actuelle, prévoit que le directeur d’école « peut » être chargé de missions de formation ou de coordination. Certes, je ne veux pas dire que les futurs directeurs d’école seront taillables et corvéables à merci et qu’ils devront exercer ces missions quand l’inspection d’académie l’exigera, mais sans doute eût-il fallu préciser qu’ils devaient pour cela être volontaires, comme c’est le cas aujourd’hui.
Cet ajout constitue-t-il finalement une réelle plus-value ? Je ne le pense pas.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 8 rectifié ter, modifié.
(L’amendement est adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 18 et 23.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. L’amendement n° 19, présenté par Mmes Monier et S. Robert, MM. Kanner, Antiste, Assouline, Chantrel, Lozach, Magner et Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 11, première phrase
Compléter cette phrase par les mots :
, défini par le conseil d’école
La parole est à M. Joël Bigot.
M. Joël Bigot. Nous avions déjà déposé un amendement similaire en première lecture : il tend à préciser qu’il revient au conseil d’école de définir le projet pédagogique, et non au directeur d’école, auquel incombe la mission de « piloter » ensuite ce projet, pour reprendre le terme figurant dans la proposition de loi.
Les attributions du conseil d’école sont définies par des articles du code de l’éducation de nature infralégislative. L’article D. 411-2 dudit code précise ses compétences, dont celle qui consiste à établir le projet d’organisation pédagogique de la semaine scolaire, d’une part, et celle qui consiste à être associé à l’élaboration du projet d’école, d’autre part, tout cela sur proposition du directeur d’école – je me demande d’ailleurs si la présente proposition de loi ne crée pas un amalgame entre la notion de « projet d’organisation pédagogique » et celle de « projet d’école ».
Nous souhaitons clarifier le texte qui, selon nous, est quelque peu confus, puisqu’il évoque un pilotage du projet pédagogique par le directeur. Notre amendement vise à rappeler – c’est important – que ce projet, s’il est bien appliqué au quotidien par le directeur d’école, est initialement défini par le conseil d’école, quel que soit d’ailleurs le projet dont il s’agit.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Julien Bargeton, rapporteur. Dans sa rédaction actuelle, l’article 2 précise que le directeur d’école « pilote le projet pédagogique » : il n’est écrit nulle part qu’il le définit tout seul. Il est évident que le conseil d’école joue un rôle pour tout ce qui concerne le fonctionnement de l’école : il est consulté et associé sur toutes ces questions, y compris sur le projet pédagogique. Rien dans le texte ne laisse penser que cette fonction sera supprimée : aucun retour en arrière n’est prévu.
Même si j’en comprends l’esprit, il nous semble que cet amendement est satisfait puisque, par définition, je le répète, le conseil d’école participe à l’élaboration du projet. Je tiens à vous rassurer de ce point de vue, monsieur le sénateur. C’est pourquoi je sollicite le retrait de votre amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Monsieur Bigot, l’amendement n° 19 est-il maintenu ?
M. Joël Bigot. Nous avions effectivement un doute sur le rôle du conseil d’école, mais, compte tenu des informations que vient de nous communiquer M. le rapporteur, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 19 est retiré.
Je mets aux voix l’article 2, modifié.
(L’article 2 est adopté.)
Article 2 bis
Lorsque la taille ou les spécificités de l’école le justifient, l’État met à la disposition des directeurs d’école les moyens permettant de garantir l’assistance administrative et matérielle de ces derniers.
Mme la présidente. La parole est à M. Cédric Vial, sur l’article.
M. Cédric Vial. L’article 2 bis est celui de la discorde. Disons-nous les choses franchement : oui, certains directeurs d’école peuvent avoir besoin d’une aide administrative, c’est-à-dire d’une assistance humaine. Cela dépend de l’établissement, de sa taille ou même de son directeur, selon que les uns ou les autres souhaitent bénéficier du soutien d’un assistant.
Cela a toujours été ainsi, et jusqu’ici, c’est l’État qui assumait ce renfort en créant des postes, le plus souvent occupés par des contrats aidés, voire plus récemment des volontaires du service civique.
Ce soutien semble logique, puisqu’il s’agit d’accompagner le directeur dans des missions qui relèvent de l’éducation nationale. Néanmoins, la quasi-concomitance entre le retrait de la plupart de ces postes par le ministère et la possibilité offerte aux collectivités de se substituer à l’État ne nous semble pas être une simple coïncidence bienveillante.
Cette situation crée une ambiguïté, et les collectivités savent bien que, quand la loi crée une ambiguïté, à terme, c’est toujours à leurs dépens…
En outre, cela ajoute de la complexité : les agents seront à la fois sous l’autorité hiérarchique du maire et sous l’autorité fonctionnelle du directeur d’école, c’est-à-dire que l’assistant de ce dernier ne sera pas soumis à son autorité hiérarchique et sera évalué par le maire. Quel drôle de fonctionnement !
C’est précisément de ce type de fonctionnement – je pense aussi à certains gestionnaires dont le statut est parfois un peu schizophrénique – que l’on essaie de se libérer dans les collèges et les lycées.
La rigidité de la fonction publique territoriale ne se prête guère à ce type de recrutement, notamment dans les communes les plus petites. La situation de l’école, par exemple le nombre de classes, peut évoluer. Dans ce cas, que fera-t-on des postes ainsi créés ? Les communes n’offrent pas les mêmes possibilités de mutation ou de carrière que l’État.
De nombreuses communes ont déjà été confrontées à un tel problème, lorsque le Gouvernement est revenu– à juste titre – sur la réforme des rythmes scolaires.
L’article 2 bis entraînera des différences de traitement entre les collectivités qui peuvent appliquer le dispositif et celles qui ne le peuvent pas. Le bon fonctionnement de l’école et de l’éducation nationale ne doit pas dépendre des moyens des collectivités au risque que les écarts préexistants se creusent, alors que le rôle de l’école est précisément de parvenir à les combler.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon, sur l’article.
M. Daniel Salmon. Monsieur le ministre, vous le savez parfaitement, les directeurs d’école sont épuisés, engloutis sous tout un tas de tâches quotidiennes qui s’accumulent et sont de plus en plus lourdes année après année.
Ils sont dérangés en permanence pendant leur temps de classe et hors de la classe : il y a donc urgence à agir, notamment en déléguant dans les écoles des agents susceptibles de les suppléer dans les tâches administratives et de secrétariat.
C’est très clair, et cela correspond à une véritable demande des professeurs des écoles dans leur ensemble, et des directeurs en particulier. Il faut entendre cet appel, car on ne peut pas se contenter des jeunes du service civique, que l’on met un mois à recruter, deux mois à former, et qui s’en vont finalement chaque année au mois de juin, voire avant. Non, il faut des personnes véritablement dédiées à ce travail, et pas non plus des agents laissés à la discrétion des collectivités territoriales : c’est à l’État d’assumer pleinement son rôle.
On en reparlera au moment de l’examen du projet de loi de finances, mais je le dis ici tout net : la santé des enseignants et des directeurs d’école n’est pas optionnelle ou facultative. Il faut vraiment prendre en compte cette difficulté.
Puisqu’il me reste une minute, je vais vous lire une liste de tâches que doit accomplir un directeur d’école, liste qu’une directrice m’a envoyée.
Je ne serai pas exhaustif, car il me faudrait alors au moins cinq minutes : mise à jour des renseignements des parents d’élèves et des élèves, des numéros de téléphone, des adresses postales, des mails, des fiches de suivi extérieur, des projets d’accueil individualisé (PAI) ; mise à jour des registres, que ce soit pour la sécurité ou les matricules ; mise à jour des affichages, des tableaux de sécurité et de service, du planning des salles et des cours ; gestion des demandes de devis aux transporteurs, enregistrement des sorties scolaires sur Toutatice ; gestion des répondeurs et des boîtes mail ; gestion très chronophage des publicités et des démarchages intempestifs ; travaux du quotidien, comme le changement des tuners, les commandes régulières de papier ou d’encre ; gestion des allées et venues des taxis qui prennent en charge les enfants à besoins particuliers.
Cette accumulation nuit évidemment à l’animation de l’équipe enseignante. Aujourd’hui, les directeurs veulent plus que jamais se recentrer sur le pédagogique. Alors, à l’heure où tombent les milliards d’euros comme les feuilles en automne ou les œufs en avril, il serait temps de prendre cette réalité en compte ! (Applaudissements sur des travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 7 rectifié bis, présenté par Mme de La Provôté, M. Levi, Mme Loisier, MM. Laugier, Henno, Louault, Delahaye, Mizzon et Le Nay, Mme Vérien, M. Longeot, Mmes Dindar et Billon, M. Détraigne, Mmes Doineau, Sollogoub et Jacquemet, MM. Chauvet et P. Martin et Mmes Saint-Pé et Devésa, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Lorsque la taille ou les spécificités de l’école le justifient, l’État et les communes ou leurs groupements peuvent, dans le cadre de leurs compétences respectives, mettre à la disposition des directeurs d’école les moyens permettant de leur garantir l’assistance administrative et matérielle nécessaire. Les modalités de cette mise à disposition sont précisées par une convention passée entre l’État et les communes ou leurs groupements.
La parole est à Mme Sonia de La Provôté.
Mme Sonia de La Provôté. Il s’agit d’un amendement de clarification, guidé par le réalisme – je pense que l’on peut dire les choses ainsi.
Autant l’assistance administrative des directeurs d’école relève totalement de la responsabilité de l’éducation nationale, ne serait-ce que parce qu’elle nécessite que l’on s’immisce dans les secrets des élèves et le fonctionnement de la pédagogie, autant la réalité montre clairement que, pour ce qui concerne l’appui matériel, les communes ou les intercommunalités, quand elles ont récupéré la compétence en matière éducative, contribuent vraiment à l’accompagnement, qu’il soit numérique ou qu’il s’agisse des bibliothèques et des centres de documentation. Nous le savons bien, quand elles le peuvent, les collectivités assistent la communauté éducative pour la gestion de toutes les questions d’ordre matériel.
Ainsi, l’interaction entre l’État et les collectivités existe de fait sur le terrain – certains de nos collègues en ont d’ailleurs témoigné en début de séance. Cet amendement a pour objet d’en prendre acte et d’exiger une contractualisation permettant de tirer au clair les responsabilités et les compétences des uns et des autres de façon à éviter tout dérapage. Le texte, tel qu’il est rédigé à ce stade de nos travaux, ne définit pas le cadre des relations entre l’État et les collectivités, ce qui ne permet pas de lutter contre d’éventuels dérapages.
Mme la présidente. L’amendement n° 25, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Lorsque la taille ou les spécificités de l’école le justifient, l’État et les communes ou leurs groupements peuvent, dans le cadre de leurs compétences respectives, mettre à la disposition des directeurs d’école les moyens permettant de leur garantir l’assistance administrative et matérielle nécessaire.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Je me permettrai d’être bref, puisque mon intervention en discussion générale était en quelque sorte un exposé des motifs de ce que je vais vous dire.
Cet amendement vise à simplifier le dispositif de l’article 2 bis, en en rétablissant la rédaction initiale.
Je salue votre volonté, madame la sénatrice, de parvenir à une rédaction plus élaborée. Votre proposition d’une convention entre l’État et les communes peut sembler de bon sens, mais en même temps, si l’on réfléchit aux conséquences pratiques d’une telle mesure, on voit bien que le risque est grand d’accroître la bureaucratie – songeons simplement au nombre de collectivités qui seraient concernées !
À l’inverse, ce que nous visons en proposant de revenir à la rédaction initiale de cet article, c’est avant tout le pragmatisme et la simplicité.
J’ai déjà eu l’occasion de le dire : la situation de chaque commune est différente. Les communes n’ont pas toutes les mêmes moyens ; certaines fournissent déjà une assistance administrative et personne ne s’en plaint, ni la commune ni les directeurs d’école.
Par exemple, la Ville de Paris, dont les moyens financiers sont importants, connaît une situation particulière. Personne ne songe pour autant à la remettre en cause au motif que les dispositifs mis en place devraient être les mêmes partout. Personne ne songe non plus à ce que l’État vienne se substituer à l’action que conduit la mairie de Paris en la matière depuis très longtemps.
Il faut être pragmatique. L’État doit veiller à ne pas gaspiller ses moyens, qui ne sont pas infinis : l’État, ce n’est pas le ciel d’où tomberaient tous les œufs de Pâques ! Les moyens dont on parle correspondent au produit des impôts et taxes. Par conséquent, réservons le soutien de la puissance publique aux communes qui en ont le plus besoin et qui le demandent. Il ne me semble pas nécessaire de prévoir des conventions.
Je le répète, le dispositif initial de l’article – j’ai eu l’occasion d’apporter des garanties tout à l’heure – s’inscrit dans un esprit de pragmatisme, comme beaucoup d’autres dispositions de ce texte. Il s’adapte aux situations observées sur le terrain et contribue à apporter ce que vous demandiez, monsieur le sénateur Salmon, c’est-à-dire une assistance administrative accrue aux directeurs d’école. Cette demande est tout à fait légitime.
Je suppose que les éléments qui vous ont été transmis l’ont été par une directrice qui exerce en Bretagne, la simple mention de Toutatice en trahissant l’origine géographique. (Sourires.) Je connais parfaitement l’énumération des tâches que cette directrice doit accomplir et je sais combien cette charge est lourde.
Il faut donc aller plus loin en matière d’aide administrative. Toutefois, vous reconnaîtrez que ce sujet n’est pas aisé à traiter, si on l’envisage du strict point de vue de la contribution publique, puisqu’il y a énormément d’écoles en France : je rappelle que notre pays compte plus de 50 000 écoles primaires et plus de 60 000 implantations scolaires. Nous ne pourrons y arriver que pas à pas, mais nous y arriverons, dès lors que les moyens publics seront d’abord consacrés aux écoles qui en ont le plus besoin.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Julien Bargeton, rapporteur. Ce débat ne sera pas conclusif : on voit bien qu’il reste du chemin à parcourir entre les positions qui viennent d’être exprimées.
Votre rapporteur avait proposé un avis de sagesse sur l’amendement du Gouvernement. Je n’ai pas été suivi par la commission, qui est défavorable aux deux amendements et s’en tient à ce stade à la version du Sénat.
Faut-il mentionner la faculté d’intervention des communes et de leurs groupements ? Quelle serait la bonne formule pour l’État ? Il reste un chemin à dessiner.
En tant que rapporteur, je n’ai pas souhaité déposer d’amendement en séance publique qui aurait eu pour objet de trouver une voie de compromis. On voit bien que différentes formulations sont possibles et je salue moi aussi la proposition de Sonia de La Provôté : vous cherchez à faire un pas, ma chère collègue, mais on sent bien que nous n’y sommes pas encore tout à fait.
En tout cas, c’est sans doute autour d’une rédaction proche de celle-ci que l’on doit travailler. Il restera aux deux assemblées à avancer de concert. À ce stade la commission émet un avis défavorable sur les amendements nos 7 rectifié bis et 25, s’en tenant à la version que le Sénat avait adoptée en première lecture. Tel est en tout cas l’avis de la majorité de la commission. Pour ma part, comme pour le reste, je souhaite que nous puissions nous diriger ensemble vers un accord, en trouvant une rédaction équilibrée, comme le demande le ministre.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 7 rectifié bis ?
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Nous voyons bien, depuis le début de nos débats, que nous ne sommes pas très loin d’une convergence. Nous avons encore quelques divergences sur l’article 1er et sur l’article 2, mais ces nuances devraient pouvoir être dépassées pour aboutir à une rédaction commune.
En revanche, il me semble qu’un travail plus important restera à faire en commission mixte paritaire sur l’article 2 bis, ainsi que le rapporteur vient de le souligner.
Deux points mériteraient d’être précisés pour lever toute ambiguïté.
D’abord, l’amendement que vous proposez, monsieur le ministre, tend à mettre l’État et les collectivités sur le même plan. Or, pour la majorité sénatoriale, mais je crois pouvoir le dire aussi pour une part plus large de notre assemblée, on ne peut pas placer l’État et les collectivités au même niveau sur cette question de l’assistance administrative aux directeurs d’école : les directeurs sont des personnels de l’éducation nationale et, à ce titre, relèvent d’abord de l’autorité de l’État, même si l’appui des collectivités locales est possible. Je pense donc qu’il est nécessaire de distinguer le rôle de l’État et celui des collectivités.
Ensuite, une assistance matérielle peut signifier une mise à disposition de personnel, comme l’a indiqué Cédric Vial. À cet égard, le Sénat considère qu’il y a une limite à ne pas franchir.
Vous dites, monsieur le ministre, que ce que vous proposez pour l’article 2 bis ne constitue finalement qu’une régularisation de ce qui se pratique déjà. Pourriez-vous préciser ce point ? Vous avez évoqué la Ville de Paris : je pense qu’il faut la mettre à part pour éviter une ambiguïté supplémentaire. Le fait est que, même après en avoir discuté entre nous, nous ne voyons pas très bien, si l’on exclut le cas de Paris, ce que font réellement les collectivités, en particulier les communes, en matière d’assistance administrative.
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.
Mme Céline Brulin. Je partage le point de vue du président de la commission : sur ce sujet, on ne peut absolument pas mettre l’État et les collectivités sur le même plan.
Ensuite, monsieur le ministre, vous avez précisé que cette assistance interviendrait dans le cadre des compétences respectives des communes et de l’État. Or chacun sait que les mécanismes qui conduisent les communes à assumer de plus en plus de responsabilités de l’État sont beaucoup plus insidieux.
À titre d’exemple, permettez-moi d’évoquer le cas d’une école de mon département : ses effectifs à la rentrée sont passés de 82 à 83 élèves, mais une classe a été fermée. Qu’a fait la municipalité ? Elle a augmenté le nombre d’agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem). Je suis en train de dire non pas qu’on peut remplacer un enseignant par un Atsem, mais que la municipalité a fait en sorte d’offrir les meilleures conditions d’accueil possible. Je pourrais citer d’autres exemples équivalents dans plusieurs domaines.
Et je ne pense pas que des conventions puissent nous prémunir contre quoi que ce soit. À titre de comparaison, lorsqu’une commune souhaite maintenir une présence postale, quand le groupe La Poste décide de fermer un bureau, elle signe une convention pour avoir une agence postale communale, mais c’est elle qui en assume la responsabilité…
Il faut que le Sénat joue son rôle aux côtés des collectivités. Il n’est pas question, en ce qui concerne l’assistance administrative, que les communes aillent au-delà du rôle qu’elles assument déjà dans le fonctionnement des écoles.
Enfin, monsieur le ministre, des volontaires en service civique ont été recrutés pour accompagner des directeurs d’école. Vous avez demandé qu’un retour d’expérience soit fait et qu’il fasse l’objet d’un rapport. À ma connaissance, ce rapport n’est pas public. Or il serait éclairant dans le cadre de notre débat, car il nous permettrait de savoir si cette solution correspond bien aux besoins.
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Comme l’a dit le président de la commission, nous en sommes au point nodal de ce texte.
Je pense qu’il faut d’abord que nous disions ce que nous voulons : nous voulons que les directeurs et les directrices d’école bénéficient d’une aide administrative, proportionnelle à la taille de leur école, bien entendu. Il est évident que cette aide est nécessaire, compte tenu du nombre de tâches qui incombent aux directeurs. Daniel Salmon nous a lu la liste de ces tâches, nous les avions longuement évoquées en commission et en première lecture et nous en mesurons l’ampleur. À cet égard, ce ne serait pas une mauvaise chose pour les directeurs, monsieur le ministre, si votre ministère avait la main un peu moins lourde et ne demandait pas autant de remontées d’informations.
Il faut ensuite que nous disions ce dont nous ne voulons pas : nous ne voulons pas que les maires ou présidents d’intercommunalité soient pris dans un engrenage. Nous ne voulons pas qu’ils soient victimes de la surenchère que l’on connaît bien sur le terrain, que ceux qui n’ont pas les moyens de fournir une aide s’entendent dire que telle autre commune, elle, le fait. On sait que de telles situations existent, on les connaît bien dans nos départements.
Comme le président Lafon, je dis que la question n’est pas mûre. Par conséquent, mes chers collègues, restons-en, à ce stade, à la rédaction adoptée par le Sénat en commission, qui prévoit que l’État met en place une aide administrative en fonction de la taille des écoles – cette aide est nécessaire, chacun le reconnaît.
Pour le reste, il est vrai que nous traitons d’une compétence partagée : les collectivités jouent un rôle important en matière scolaire et apportent des aides matérielles aux directeurs pour l’exercice de leurs missions. Lorsqu’une commune investit dans un équipement numérique, par exemple, elle ne fait pas de distinction entre son usage administratif et son usage à des fins pédagogiques.
Prenons donc le temps, d’ici à la réunion de la commission mixte paritaire – s’il y en a une, ce que je souhaite –, de préciser les contours des interventions des communes et de leurs groupements, dans le cadre de leur champ de compétences, sur la base du volontariat. Veillons toutefois à ne pas mettre le doigt dans un engrenage et à ne pas encourager une surenchère. Il n’est pas question que tel ou tel maire puisse apparaître plus vertueux aux dépens de ses collègues.
Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur Brisson !
M. Max Brisson. On sait, lorsque cela existe, que c’est toujours mauvais. Telles sont les raisons pour lesquelles je propose d’en rester au texte de la commission.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sonia de La Provôté, pour explication de vote.
Mme Sonia de La Provôté. Tout le monde a bien compris l’esprit dans lequel j’ai déposé mon amendement : il vise à clarifier les choses tout en faisant preuve de réalisme et en prenant en compte la situation des communes et des intercommunalités.
Cela étant, je le retire, madame la présidente, en espérant que cette question sera approfondie en commission mixte paritaire, en s’appuyant sur la rédaction du Sénat qui a le mérite d’être claire. Il s’agit, en respectant les compétences des uns et des autres, de permettre à l’école de bien fonctionner et aux directrices et aux directeurs d’école d’exercer leurs activités de la manière la plus simple possible.
Mme la présidente. L’amendement n° 7 rectifié bis est retiré.
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote sur l’amendement n° 25.
Mme Cécile Cukierman. Je ne reviendrai pas sur les arguments qui ont été avancés sur la nécessité pour l’État de jouer son rôle auprès des directeurs d’école, en fonction de la taille des établissements.
Il est indispensable d’apporter une assistance aux directeurs d’école, car leurs tâches, cela a été dit sur toutes les travées, sont de plus en plus complexes. Elles sont également variées au fil de la journée, a fortiori de la semaine.
Si j’insiste sur ce point, monsieur le ministre – n’y voyez pas de la suspicion –, c’est parce que je pense que nous ne pourrons pas demain n’avoir que des « super directeurs », « super formés », au risque de fragiliser celles de nos écoles qui ne comptent qu’une, deux ou trois classes.
Je me souviens que nous avons eu un débat il y a quelques années sur la question de savoir s’il fallait ou non maintenir les écoles à classe unique dans notre pays. Elles ont finalement été conservées là où on en avait besoin. Partout ailleurs, différentes organisations ont été mises en place. Les enseignants, en lien avec les élus locaux et, bien évidemment, avec l’éducation nationale, ont proposé des solutions afin de maintenir et de pérenniser une présence scolaire dans tous nos territoires.
Faisons attention : on pourrait avoir demain des « super chefs » et des « super bataillons », mais pas partout !
Mme la présidente. La parole est à M. Cédric Vial, pour explication de vote.
M. Cédric Vial. Mon collègue Brisson a rappelé ce dont nous voulons et ce dont nous ne voulons pas, le président Lafon également. J’ajoute que ce que nous souhaitons, c’est trouver un accord en commission mixte paritaire, mais cela suppose que nous nous mettions d’accord sur une rédaction, ce qui est assez hypothétique et complexe.
Permettez-moi dans ce cadre de vous soumettre une proposition, monsieur le ministre. L’article 2 bis prévoit que l’État peut fournir une assistance administrative et matérielle dans certaines situations et qu’il peut ne pas en fournir dans d’autres. Ce que vous souhaitez, c’est que, dans une troisième situation, cette aide puisse être fournie par les collectivités. Finalement, on n’impose rien à personne…
Vous nous avez également dit, monsieur le ministre, que certaines villes, comme Paris – nous n’avons pas trouvé d’autres exemples finalement… –, apportent déjà une assistance administrative et matérielle à leurs écoles. Il n’y a donc pas besoin de la loi pour le permettre !
Si cet article n’apporte finalement rien de plus et n’empêche pas de poursuivre ce qui existe déjà, pourquoi ne pas le supprimer purement et simplement lors de la commission mixte paritaire ? On ne peut le faire aujourd’hui, aucun amendement de suppression n’ayant été déposé, mais on se mettrait plus facilement d’accord sur cette solution que sur une rédaction alambiquée.
Quand on n’a rien à dire, pourquoi le dire quand même ? Ce n’est plus de la législation, c’est du bavardage !
M. Alain Cadec. Très bien !
Mme la présidente. Les autres dispositions de la proposition de loi ne font pas l’objet de la deuxième lecture.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi créant la fonction de directrice ou de directeur d’école.
(La proposition de loi est adoptée.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures dix, est reprise à dix-neuf heures quinze.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
5
Réforme de l’adoption
Discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à réformer l’adoption (proposition n° 188 [2020-2021], texte de la commission n° 51, rapport n° 50).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, près d’un an après son vote par l’Assemblée nationale, je suis heureux d’engager enfin avec vous la première lecture de cette proposition de loi relative à l’adoption.
Ce texte, qui est depuis longtemps attendu par les acteurs du secteur et les futurs adoptants, nous donnera l’occasion de traiter de sujets rarement évoqués. Je souhaite depuis des mois qu’il avance, qu’il soit promulgué, car il permettra d’améliorer la situation de milliers d’enfants et pupilles de l’État.
Construit par des parlementaires, soutenu par le Gouvernement, ce texte a un objectif clair : donner une famille à chaque enfant qui n’en aurait pas ou dont la famille ne serait plus en mesure de s’occuper de lui.
Si l’adoption existe depuis des siècles, si ses motivations et ses modalités ont évolué dans le temps, donner une famille à un enfant est l’objectif principal depuis le début du XXe siècle, en réalité depuis que nous avons collectivement pris conscience des besoins particuliers des enfants.
Complétant des avancées marquantes, comme la création du statut de pupille de la Nation en 1917, cette évolution, par rapport à des périodes où l’adoption répondait davantage à des considérations successorales ou dynastiques, a trouvé une résonnance forte dans la société française. Le législateur s’en est fait l’écho en menant une action franche, bienveillante, à destination d’adoptants que l’on a souhaité de mieux en mieux accompagner et surtout d’enfants que l’on a tenu à mieux protéger.
Je pense notamment aux avancées de la loi de 2016 relative à la protection de l’enfant, qui, sur l’initiative de la sénatrice Michelle Meunier, que je salue – Laurence Rossignol était alors secrétaire d’État chargée de la famille –, avait pour objectif d’adapter le statut de l’enfant placé sur le long terme. Cette loi a entre autres défini la procédure de délaissement qui, depuis, monte en puissance et permet d’inscrire de plus en plus d’enfants dans des parcours adaptés.
Il est vrai, madame la rapporteure, qu’il existe des enjeux d’application des lois précédentes et des enjeux de pratique professionnelle, en cette matière comme en d’autres – je pense plus globalement à la protection de l’enfance –, et il nous faut continuer de mener une évaluation honnête et sans fard de notre cadre législatif. Car, s’il a bien sûr évolué ces dernières décennies, et encore récemment, il reste incomplet et sa révision, utile, vigoureuse, doit, par cette proposition de loi, en corriger les faiblesses, les manques, les éventuelles défaillances.
Cette démarche, vous l’abordez dans la continuité de travaux sérieux. En avril 2019, percevant de mes échanges avec les acteurs institutionnels, associatifs et individuels du secteur la nécessité de mener une réflexion large sur ces sujets, j’avais souhaité confier une mission à deux parlementaires, dont je salue ici solennellement le travail : la députée Monique Limon du groupe La République En Marche et la sénatrice Corinne Imbert du groupe Les Républicains, cette dernière ayant été désignée par l’Assemblée des départements de France, car il était évident que ce rapport devait être le fruit d’un travail commun avec les départements.
La présente proposition de loi est la traduction du rapport, que Monique Limon et Corinne Imbert m’avaient remis au terme de leurs travaux, en octobre 2019, dans les Deux-Sèvres, en présence de Gilbert Favreau, alors président de ce conseil départemental et maintenant sénateur – je le salue également.
Le double credo de ce rapport, intitulé Vers une éthique de l’adoption - Donner une famille à un enfant, repose sur un constat simple : nous n’en faisons pas assez pour trouver une famille dans laquelle les enfants de notre pays dont la famille n’est plus là, n’assume pas ses responsabilités ou n’est plus apte à le faire puissent grandir, s’épanouir, se sentir en sécurité.
Bien au contraire, nous nous satisfaisons encore trop de procédures complexes, qui privent d’adoption des enfants pour lesquels elle est pourtant la promesse d’un horizon adapté, d’une véritable stabilité affective, des enfants chez qui elle pourrait combler ce que le docteur Marie-Paule Martin-Blachais désigne comme le « méta-besoin » de l’enfant, ce besoin de sécurité affective, physique, matérielle, sans laquelle rien ne peut se construire ou se reconstruire.
À cet égard, la situation demeure préoccupante sur plusieurs points dans notre pays, tout particulièrement en matière d’accompagnement des enfants qui présentent des besoins spécifiques, qu’ils soient liés à leur âge, à leur handicap ou au fait qu’ils fassent partie d’une fratrie.
Ces besoins compliquent encore trop souvent la recherche d’une famille adoptive : pour 49 % des enfants qui ne sont pas confiés en vue d’adoption, les conseils de famille indiquent comme motif principal l’existence d’un tel besoin. Quand on sait que la part des enfants présentant de tels besoins parmi les pupilles de l’État augmente, que le nombre même de pupilles de l’État ne cesse de croître, il nous faut agir pour pouvoir davantage les inscrire dans des parcours d’adoption sécurisants.
Il nous faut également agir pour corriger ces anomalies qui font que la part des enfants adoptés parmi ceux que l’aide sociale à l’enfance protège est cent fois moins importante que chez certains de nos voisins, qu’un enfant pupille de l’État sur deux ne trouve pas de famille d’adoption ou encore que les futurs parents attendent en moyenne près de cinq ans après l’obtention de l’agrément pour que leur projet d’adoption se réalise. Il faut lever ces verrous afin de trouver des familles à ces enfants et de donner les mêmes chances et les mêmes droits à toutes les petites filles et à tous les petits garçons de notre pays.
C’est ce que propose ce texte, qui, sous des apparences techniques, est en fait politique. Les mesures qu’il comporte ont trois grands objectifs.
Le premier, c’est de rendre plus d’enfants adoptables, de permettre à davantage de projets de vie de se réaliser. Plusieurs dispositions y contribuent.
Le texte facilite ainsi l’adoption d’enfants ou de majeurs protégés hors d’état de consentir, ceux justement dont les besoins spécifiques étaient jusqu’à présent un obstacle à ce projet.
Il dispense les assistants familiaux d’agrément pour leur projet d’adoption de l’enfant accueilli.
À l’article 12, il prévoit que les enfants, au moment d’être admis en qualité de pupille de l’État, bénéficieront d’un bilan médical, psychologique et social permettant d’envisager et de définir précisément des projets de vie adaptés, notamment en matière d’adoption. Il vous sera d’ailleurs proposé de prévoir d’autres bilans de ce type afin de suivre ces parcours et d’affiner les projets de vie des enfants, lorsqu’ils mettent du temps à se matérialiser.
Enfin, le texte clarifie les possibilités d’adopter en forme plénière des enfants de plus de 15 ans, par exemple par les personnes qui les ont accueillis au titre de l’aide sociale à l’enfance ou lorsqu’il s’agit d’enfants ayant fait l’objet d’un délaissement parental.
Ces mesures viendront compléter le dispositif de délaissement parental qui concerne aujourd’hui un enfant sur deux admis au statut de pupille de l’État. Le nombre de demandes en déclaration judiciaire de délaissement parental a d’ailleurs fortement augmenté ces dernières années. Il est passé de 391, en 2016, à 916, en 2020. On voit donc, sur le terrain, que la loi de 2016 commence à produire des effets. L’enjeu est désormais de les accompagner.
Toutes les procédures de délaissement ne sont bien sûr pas acceptées et toutes ne conduisent pas à une adoption. Quoi qu’il en soit, nous devons impérativement continuer à garantir que les situations de délaissement soient reconnues quand elles doivent l’être, en toute sécurité pour l’enfant.
C’est l’objectif de l’article 16, qui prévoit que les commissions d’examen de la situation et du statut des enfants confiés (Cessec) réaliseront leur rapport, prévu tous les six mois, sur la santé physique et psychique de l’enfant confié à l’aide sociale à l’enfance jusqu’à ses 3 ans, et non plus jusqu’à ses 2 ans.
Le regard pluridisciplinaire et pluri-institutionnel de ces commissions permet d’évaluer les situations dans lesquelles un enfant peut être considéré comme délaissé, ce qui permet d’engager les procédures nécessaires. Il faut donc élargir ce dispositif et le systématiser dans tous les départements, ce qui n’est pas encore le cas.
Dans le prolongement de la loi de 2016, nous devons aller plus loin afin de garantir aux enfants qui sont admis en qualité de pupille à la suite d’une décision de délaissement un accompagnement adapté, une inscription rapide dans un parcours de vie qui répond à leurs besoins, un projet de famille lorsque cela est possible.
Le deuxième objectif de ce texte est de sécuriser le parcours des enfants, en garantissant le respect de leur intérêt supérieur. Cela passe notamment par un renforcement de la préparation et de l’accompagnement des candidats à l’adoption.
Nous savons bien qu’un soutien des parents, qui leur évite de se lancer dans des démarches sans être au courant de ce qui les attend, est souvent le meilleur moyen de prévenir et de réduire les difficultés qui peuvent apparaître par la suite.
Les dispositifs, comme celui qui prévoit à l’article 10 que les adoptants bénéficieront d’une préparation portant notamment sur les dimensions psychologiques, éducatives et culturelles de l’adoption, ainsi que sur les spécificités de la parentalité adoptive, augmenteront les chances que les projets d’adoption aboutissent et qu’ils soient pérennes et sécurisants pour les enfants eux-mêmes.
D’autres dispositifs du texte contribuent à cette sécurisation. Ainsi, l’importance du consentement de l’enfant discernant est rappelée, car nous savons bien qu’une démarche réussie est une démarche à laquelle l’enfant lui-même consent, adhère, dans laquelle il se retrouve et se projette pleinement et sereinement.
Le texte introduit par ailleurs un écart maximal d’âge de 50 ans entre l’adoptant et l’adopté.
Nous vous proposerons de rétablir des dispositions qui, nous le regrettons, ont été supprimées en commission, par exemple l’interdiction des adoptions entre ascendants et descendants en ligne directe et entre frères et sœurs – la rédaction initiale était imparfaite, nous vous proposerons de l’améliorer – afin de ne pas brouiller les lignes intergénérationnelles.
De même, nous vous proposerons de rétablir l’encadrement de l’activité des organismes agréés pour l’adoption (OAA), tant en France qu’à l’international. Ces organismes doivent remplir leurs missions dans un cadre juridique plus précis qu’aujourd’hui. Il ne s’agit pas là d’une lubie, encore moins de la volonté de stigmatiser tel ou tel ; nous avons simplement la préoccupation de protéger les enfants et d’éviter qu’ils ne soient confrontés à des démarches qui n’auraient pas été contrôlées et vérifiées et dont personne ne serait en mesure de dire si elles ont été détournées ou non, si elles sont conformes ou non au droit national et à la convention de La Haye. C’est, en somme, du bon sens, ni plus ni moins.
Le troisième objectif de ce texte est d’adapter le droit et la pratique de l’adoption aux évolutions de notre société pour garantir un égal traitement des enfants.
Ainsi, les acteurs centraux des parcours d’adoption que sont les conseils de famille portent une responsabilité forte non seulement à l’égard de l’enfant, mais aussi des adoptants. Le Gouvernement a donc déposé un amendement visant à réaffirmer et à renforcer leurs obligations déontologiques, dans la continuité des recommandations et des principes dégagés par la charte de déontologie du Comité consultatif national d’éthique, que j’avais saisi d’une affaire en Seine-Maritime voilà trois ans.
Il ne s’agit pas, là non plus, de jeter l’opprobre sur leur action, mais bien au contraire de les inscrire fermement dans un double mouvement qui vise à sécuriser les parcours des adoptés et à mieux appréhender et respecter la diversité des familles adoptantes. Comme je l’ai toujours affirmé, il n’existe pas de parcours tout tracé, identique d’une famille à une autre. Il n’y a pas non plus deux parentalités qui se ressemblent.
Devant ce constat, l’enjeu pour les pouvoirs publics est de toujours mieux s’adapter aux spécificités des familles, en ouvrant l’adoption aux couples non mariés, aux couples pacsés et aux concubins. Ce texte complète d’ailleurs les dispositifs contenus dans la loi relative à la bioéthique, dont nous avons beaucoup débattu ensemble et avec lesquels la coordination doit se faire – c’est pourquoi le Gouvernement proposera le rétablissement de l’article 9 bis que vous avez supprimé en commission.
Reconnaître les spécificités des familles adoptantes, c’est aussi définir pour elles un parcours spécifique. C’est ce que nous faisons dans ce texte : l’allongement du congé d’adoption de dix à seize semaines, la meilleure articulation avec l’école pour favoriser la création du lien affectif, l’accompagnement spécifique en santé pour les enfants adoptés sont autant de mesures qui sont attendues de longue date.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, madame la rapporteure, la seule boussole que nous avons suivie depuis la genèse de ce texte est de renforcer la protection des enfants, dont je vous rappelle qu’ils ont besoin de stabilité et de repères, et non pas d’incertitude ou de confusion. Les mesures de ce texte, je le crois, y contribuent. Elles permettent d’ancrer fermement et définitivement l’adoption dans la protection de l’enfance. Elles sont pensées pour le seul bénéfice d’enfants pour qui l’adoption est un horizon synonyme d’épanouissement. Ne l’oublions pas et mettons tout en œuvre pour que ces horizons s’illuminent. De nombreux enfants attendent encore cela. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je commencerai par expliquer ce qu’a été le travail de la commission des lois sur cette proposition de loi qui a été déposée par la députée Monique Limon à la suite d’un rapport qu’elle avait rédigé avec notre collègue sénatrice Corinne Imbert sur commande conjointe du Gouvernement et de l’Assemblée des départements de France.
Dans la mesure où ce travail était une commande, monsieur le secrétaire d’État, peut-être aurait-il été judicieux – c’est ma première observation – qu’il donne lieu non pas à une proposition de loi, mais à un projet de loi. Cela nous aurait permis de bénéficier d’une étude d’impact, qui aurait été très bénéfique au travail de la commission des lois. En effet, sur un certain nombre de points, les décisions prises par l’Assemblée nationale, parfois à l’instigation du Gouvernement, n’étaient pas documentées. Il était donc très difficile d’y donner suite.
Deuxième observation : nous aurions préféré, pour assurer une certaine cohérence dans la chronologie, que le projet de loi relatif à la protection des enfants soit examiné avant ce texte sur l’adoption, puisque nous allons généralement du général au particulier. C’est le bien-être animal qui en a profité – chacun ses priorités, me direz-vous (Sourires.), même si je sais que ce ne sont pas nécessairement les vôtres, monsieur le secrétaire d’État…
Cela dit, ce texte a été étudié avec beaucoup d’attention par la commission des lois – comme d’habitude, me direz-vous… – et les auditions ont révélé un accueil assez mitigé de la part de l’ensemble des acteurs que nous avons entendus.
Nous partageons bien sûr les conclusions du rapport de Mmes Limon et Imbert et nous souscrivons à l’objectif de cette proposition de loi qui consiste à faire primer l’intérêt de l’enfant – nous devons donner une famille à un enfant, et non un enfant à une famille.
Pour autant, les dispositions qui nous étaient proposées n’étaient pas toutes conformes à l’intérêt de l’enfant et semblaient parfois empreintes d’un certain dogmatisme. Quelquefois même, aucun élément ne venait étayer leur bien-fondé.
J’en prendrai quatre exemples.
Le premier exemple est l’article 9 bis, que vous avez évoqué, monsieur le secrétaire d’État, et qui est une suite finalement de la loi relative à la bioéthique.
De manière assez inédite dans notre droit, il permet, lorsque deux femmes se sont séparées, d’imposer l’adoption de l’enfant, quoi qu’en pense la mère biologique, celle qui a accouché, par l’autre femme. Comme nous l’ont fait observer certaines personnes auditionnées, on voit mal quel est ici l’intérêt de l’enfant. On sent que cette disposition a plutôt été prévue pour régler un conflit entre deux personnes, ce qui n’est pas, me semble-t-il, le but de cette proposition de loi.
Par conséquent, nous avons supprimé cette mesure qui ne nous paraissait pas réformable et qui n’allait pas dans le sens de l’intérêt de l’enfant.
Le deuxième exemple, largement décrié par les personnes que nous avons auditionnées, a trait à une mesure qui ferait en sorte qu’une femme – ce sont souvent des femmes qui sont concernées – qui remettrait son enfant aux services sociaux pour le laisser n’aurait plus à donner son consentement à l’adoption. Une telle mesure serait également dévastatrice pour les enfants : lorsqu’un enfant se construit, il peut avoir besoin de savoir que la femme qui a accouché de lui a certes décidé de le laisser, mais pour une vie meilleure, en vue d’une adoption – c’est peut-être le dernier acte de cette femme envers son enfant. Nous sommes donc aussi revenus sur ce point.
Le troisième exemple, que vous avez également évoqué, monsieur le secrétaire d’État, est la suppression de l’intervention des organismes agréés pour l’adoption (OAA) dans l’adoption nationale.
Ces organismes, qui doivent être agréés, jouent l’intermédiaire, en quelque sorte, entre les enfants adoptables et les familles. Il s’agit finalement d’une alternative aux services sociaux et au service public. Cette alternative existe et il me semble normal de la laisser à la disposition des familles. Elle est parfois utilisée par des femmes qui ont déjà eu affaire aux services sociaux et qui ne souhaitent pas que cela se renouvelle. Je crois que nous ne pouvons pas les priver de cette possibilité.
Enfin, quatrième exemple, la nouvelle composition du conseil de famille ne me semble pas non plus correspondre à l’intérêt de l’enfant.
Je rappelle que le but du conseil de famille est de prendre des décisions pour les enfants et dans leur intérêt. Or la proposition de loi prévoit qu’une personne qualifiée en matière de discriminations devrait y siéger, ce qui correspond plutôt à une demande des parents potentiellement adoptifs. Je ne vois pas en quoi cette mesure sert l’intérêt de l’enfant. Il me semble qu’il vaut mieux former les conseils de famille au fait que toutes sortes de familles existent désormais plutôt que d’y introduire quelqu’un qui n’est pas qualifié en protection de l’enfance et qui va prendre la place de quelqu’un de qualifié en la matière.
Nous avons écarté ces différents points, car nous avons pensé, pour certains, qu’ils n’étaient pas suffisamment documentés, pour d’autres, qu’ils ne correspondaient pas à l’intérêt de l’enfant.
En revanche, notre commission a retenu des points qui ne posent pas de difficulté, même s’ils ont parfois fait débat.
Ainsi, le public des adoptants ne sera plus uniquement constitué des couples mariés et des personnes seules ; il est élargi aux personnes pacsées et aux concubins, tout en maintenant les conditions d’âge – avoir au moins 28 ans pour adopter – et de vie commune – au moins deux ans de vie commune.
Nous avons également accepté la mesure visant à fixer un écart maximal d’âge de 50 ans entre l’adoptant et l’adopté, afin de respecter une forme de crédibilité de l’adoption – c’est d’ailleurs à mon sens l’acquis le plus important de ce texte, si l’on estime que c’en est un…
Une obligation de formation a été prévue pour les membres du conseil de famille. Une telle obligation existait déjà de fait dans un certain nombre de conseils départementaux, mais pas dans d’autres, ce qui pose en effet un certain nombre de problèmes.
Le texte prévoit aussi l’obligation pour les familles de suivre une préparation préalablement à l’agrément en vue d’une adoption. Il est vrai que l’agrément est difficile à obtenir. De plus, il est obtenu de façon très disparate selon les départements. Cette mesure est donc importante.
Ce texte formalise également une pratique : le rôle joué par certains OAA pour mettre en contact des enfants à besoins spécifiques avec des familles prêtes à les accepter.
Enfin, dans le cadre du projet de vie de l’enfant, un bilan d’adoptabilité des plus jeunes pupilles de l’État serait réalisé. L’adoptabilité de ces enfants et leur projet de vie feraient l’objet d’une évaluation tous les six mois non plus jusqu’à deux ans, comme c’est le cas aujourd’hui, mais jusqu’à trois ans, ce qui est une bonne chose.
Ces points, assez positifs, correspondent bien souvent à la régularisation de pratiques qui existent dans les conseils départementaux.
Cette proposition de loi constitue-t-elle donc vraiment une « réforme de l’adoption », comme son intitulé le laissait présager ? Nous en sommes très loin et la commission en a tiré les conséquences, en décidant que ce texte était tout simplement « relatif à l’adoption ».
Que représente aujourd’hui l’adoption dans notre pays ? Quelques chiffres éclaireront le débat.
Fin 2019, 10 263 agréments étaient en cours de validité, c’est-à-dire que 10 263 parents potentiels attendaient d’adopter.
Il y avait 3 248 pupilles de l’État à la fin de 2019, parmi lesquels 480 sont nés sous le secret durant l’année – il faut ainsi savoir que des nourrissons peuvent être adoptés.
En 2019, seuls 706 pupilles de l’État ont été adoptés et, dans le cadre de l’adoption internationale, 421 enfants l’ont été. En comparant les 421 enfants adoptés à l’étranger et les 706 adoptés en France aux 10 263 agréments, on peut mesurer la différence entre le nombre de personnes qui cherchent à adopter et le nombre d’enfants adoptables.
Sur l’ensemble de ces adoptions, 27 % sont plénières, procédure qui correspond à ce que l’on considère souvent comme l’adoption classique : un lien exclusif est créé avec l’enfant ainsi adopté. Les 73 % restant sont des adoptions simples, c’est-à-dire que plusieurs liens de filiation se juxtaposent.
Parmi toutes ces adoptions, environ 75 % sont dites familiales – il s’agit ici d’adopter l’enfant de son conjoint. C’est dire qu’on est loin de l’image de l’adoption que se fait le grand public.
Ce texte n’est donc pas une réforme de l’adoption et, au regard de ces chiffres, il me semble que nous devons encore travailler sur un certain nombre de sujets – vous l’avez d’ailleurs évoqué, monsieur le secrétaire d’État.
D’abord, un important travail réglementaire reste à produire. Pour mettre de la cohérence, il faudrait travailler sur les conditions de l’agrément, qui est aujourd’hui donné de façon très disparate – c’est peut-être pour cela qu’il y en a beaucoup, sans doute beaucoup trop. Cela crée une grande déception pour ceux qui le reçoivent, mais qui n’auront jamais la possibilité d’adopter des enfants.
Ensuite, il faut travailler à l’application de la loi de 2016 et développer une culture commune entre les magistrats, les services sociaux et les parents. Si l’on souhaite que des parents adoptent les enfants qui peuvent l’être – parmi les pupilles de l’État, 30 % des enfants ont des besoins spécifiques et sont donc en difficulté –, il faut que notre culture évolue. Ce texte ne traite pas particulièrement de cette question, mais elle ne relève pas véritablement de la loi.
Il me semble, pour conclure, qu’il faut travailler sur ce que j’appellerai « l’impensé » de ce texte, c’est-à-dire les échecs de l’adoption – ils existent. Tant que nous ne travaillerons pas sur ces échecs, nous ne travaillerons pas dans l’intérêt de l’enfant. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la pratique de l’adoption a connu ces dernières années des évolutions nécessaires pour adapter notre régime juridique aux transformations de notre société – toujours, bien évidemment, dans le cadre de l’intérêt supérieur de l’enfant qui est défini par la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989.
Parmi ces textes, je pense en premier lieu à la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage et l’adoption aux couples homosexuels dans les mêmes conditions que les couples hétérosexuels. Je pense, ensuite, à la loi du 14 mars 2016 venue apporter des modifications permettant d’assurer plus de cohérence et de stabilité pour les enfants dans le cadre des dispositifs de protection et d’accueil.
Certaines lacunes restent cependant à combler, et les évolutions sociétales relatives au modèle familial doivent être prises en compte. La présente proposition de loi, dont je salue l’initiative, permet, en partie seulement, de répondre à ces nécessités.
Les conditions d’accès à l’adoption restent largement imprégnées par le modèle familial traditionnel, puisque seuls les couples mariés peuvent y prétendre. Or le mariage n’est plus le seul modèle adopté par nos concitoyens et concitoyennes, il est concurrencé par le concubinage et le PACS – ce dernier séduit chaque année 200 000 couples.
En élargissant l’accès à l’adoption à tous ces couples, cette proposition de loi permettra de rendre l’adoption plus égalitaire. Je regrette toutefois qu’aucune attention ne soit portée aux personnes trans : il leur est souvent compliqué, voire impossible, d’établir un lien de filiation dans le genre choisi après un changement d’état civil.
Je regrette la suppression par la commission des lois du Sénat de l’article 9 bis, qui devait permettre aux mères intentionnelles de demander l’établissement de la filiation avec leur enfant dans le cas du refus abusif de leur ancienne compagne ayant porté l’enfant.
Enfin, je souhaite alerter le Gouvernement sur le fait qu’il convient de revoir à la hausse le financement des organismes et collectivités responsables de l’accueil, de la protection et de l’adoption des enfants. Cette revalorisation est primordiale pour leur permettre d’assumer les responsabilités qui leur sont confiées.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Harribey. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Laurence Harribey. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « refonder le modèle de l’adoption, afin de permettre à chaque enfant de trouver le projet de vie le plus adéquat à son profil et d’en faire un outil majeur de protection de l’enfance », ce sont deux grands objectifs que notre collègue députée Monique Limon, auteure de la proposition de loi, mettait en exergue lors de la discussion de son texte à l’Assemblée nationale en décembre dernier. Difficile de ne pas souscrire à ces objectifs louables, tout le monde ici en convient.
On en convient d’autant plus, si l’on rappelle la genèse de ce texte, comme l’ont déjà fait M. le secrétaire d’État et Mme la rapporteure. Cette proposition de loi fait suite à un rapport intitulé Vers une éthique de l’adoption - Donner une famille à un enfant. Il ne s’agit donc pas de donner un enfant à une famille et c’est une philosophie à laquelle nous souscrivons.
Ce rapport était lui-même une commande du Gouvernement, après le rapport réalisé par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de mars 2019 à la suite de la révélation, dans un département, de pratiques discriminatoires fondées sur l’orientation sexuelle des candidats à l’adoption. Rappelons tout de même que ce rapport n’avait pas conclu à l’existence de discriminations, mais il avait révélé des risques de fragilités dans le dispositif.
Cette précision est importante, parce qu’il nous semble que, si la volonté de fluidifier et de rendre plus transparent le système en place est louable, il aurait été judicieux de procéder à son évaluation, en concertation avec ses acteurs. Notamment, il serait bon d’évaluer la fameuse loi de 2016, car nombre de ses dispositions, tout particulièrement celles portant sur le projet de vie de l’enfant, ne sont pas, ou très inégalement, mises en œuvre dans plusieurs départements, comme le souligne le rapport Limon-Imbert.
Ce n’est visiblement pas le choix qui a été fait, en privilégiant la voie législative, qui plus est en passant par une proposition de loi, ce qui n’exige ni étude d’impact ni avis du Conseil d’État. Pour aller encore plus vite, le Gouvernement a enclenché la procédure accélérée. Sur tous ces aspects, nous rejoignons la position de Mme la rapporteure.
Le risque est de produire un texte aux nombreuses zones d’insécurité juridique et chacun a pu constater que ce risque était élevé. Nous nous sommes donc retrouvés avec un texte qui s’apparentait à un agrégat de mesures, sans grande cohérence. L’architecture même du texte posait problème. Ainsi, le titre II relatif au statut de la tutelle avait plutôt sa place dans le projet de loi relatif à la protection des enfants qui, lui-même, aurait dû être examiné, comme l’a souligné Mme la rapporteure, avant ce texte, car l’adoption n’est que l’une des formes de la protection de l’enfance.
En outre, nous avons été frappés par les inquiétudes sur la faiblesse juridique du texte, exprimées unanimement par les acteurs du secteur, toutes fonctions confondues – magistrats, avocats, associations d’adoptants ou d’adoptés, services départementaux.
Vous n’en avez sans doute pas été dupe, monsieur le secrétaire d’État, puisque le Gouvernement a été amené lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale à solliciter une habilitation à légiférer par ordonnances afin, je reprends vos propos, de mieux harmoniser et coordonner le code civil et le code de l’action sociale et des familles, et donc de préserver la parfaite lisibilité de ces questions. C’est l’aveu de la fragilité juridique du texte !
C’est aussi une curieuse façon de concevoir le travail et le rôle du Parlement. Nous connaissons tous ici l’amour de ce gouvernement pour les ordonnances, mais j’ai la faiblesse de penser, comme nombre de mes collègues, que le Parlement a pour missions essentielles d’écrire la loi du mieux qu’il peut et de contrôler l’action du Gouvernement, ce qui passe notamment par une loi bien écrite.
De plus, il est quelque peu choquant de solliciter une habilitation à légiférer par ordonnance sur un domaine de droit civil qui tient aux droits de la personne, a fortiori dans le cadre d’une proposition de loi.
Vous comprendrez donc, monsieur le secrétaire d’État, que cette disposition ait été repoussée par notre commission à la quasi-unanimité et que nous ne souscrirons pas à votre demande de rétablir cette habilitation.
Cela dit, le législateur que nous sommes a considéré que cette proposition de loi concerne l’intérêt supérieur de l’enfant et qu’elle comporte quelques avancées. Il convenait donc, pour nous, d’adopter une démarche constructive et d’amender ce texte pour le rendre un minimum efficace. Après tout, c’est aussi cela les vertus de la navette parlementaire !
Un des apports essentiels du texte est celui relevant de l’article 2, selon lequel peuvent adopter ensemble non seulement des couples mariés, mais aussi les partenaires de PACS et les concubins. Il était inéluctable d’en arriver à cette précision dans le contexte actuel des filiations non biologiques. En 2012 en effet, la Cour de cassation jugeait que réserver l’adoption conjointe à des couples unis par le mariage ne consacrait pas un principe essentiel reconnu par le droit français.
Par ailleurs, nous avons présenté des amendements pour tenter de corriger ce qui pouvait être considéré comme des contresens ou des zones d’imprécision, notamment sur les questions du consentement, sujet évoqué par Mme la rapporteure, et des agréments.
Il en est de même en ce qui concerne le statut des OAA, que le texte issu de l’Assemblée nationale revenait à liquider partiellement (M. le secrétaire d’État hoche la tête en signe de désaccord.), en particulier en ce qui concerne l’adoption en France, alors même que certains d’entre eux sont justement reconnus d’utilité publique pour leur activité d’intermédiaire pour l’adoption. Je vous vois hocher la tête, monsieur le secrétaire d’État, mais c’est le sentiment que nous avons ressenti au cours des auditions et en lisant le texte.
Nous avons également déposé des amendements sur le conseil de famille et le statut du tuteur.
J’aimerais souligner le travail extrêmement constructif qui a été fait en commission des lois et le travail minutieux de notre rapporteure, ainsi que son honnêteté intellectuelle, qu’elle vient de démontrer – les membres de la commission des lois comprendront –, et son écoute : beaucoup des amendements que nous avons présentés ont été adoptés.
En somme, le texte qui nous est soumis est un texte assez largement remanié. Il nous semble garantir les apports essentiels souhaités par ses auteurs, tout en réduisant les problèmes juridiques que posaient certaines mesures.
Nous pensons que des améliorations sont encore possibles, notamment sur les questions de l’adoption internationale et de l’accompagnement global de l’ensemble des demandes d’accès aux origines personnelles. C’est le sens des amendements que nous avons déposés en vue de la séance publique.
Plus généralement, à force d’être remanié, et par petites touches, depuis 1966, le droit à l’adoption est devenu, sur nombre de points, illisible. Ce texte avait la prétention de le rendre plus lisible.
Mme Laurence Harribey. Nous ne sommes pas sûrs qu’il atteigne son but, même s’il comprend certaines améliorations.
Nous regrettons que ce qui se voulait une refonte de l’adoption n’ait pas fait l’objet d’une étude juridique approfondie ni d’une véritable concertation avec les acteurs de l’adoption. Je crois que cela valait pourtant le coup ! Il nous restera du travail à faire, mais nous ne nous opposerons pas à ce texte en l’état actuel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Iacovelli. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Xavier Iacovelli. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de notre collègue députée Monique Limon visant à réformer l’adoption.
Ce texte, fruit d’un travail transpartisan, puisqu’il découle du rapport que Monique Limon a rédigé avec notre collègue Corinne Imbert, répond à deux objectifs. D’une part, il vise à sécuriser le recours à l’adoption, avec le souci de donner une famille à chaque enfant. D’autre part, il s’agit de renforcer le statut de pupille de l’État, conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant.
L’adoption est un sujet de société central. Il s’agit aussi d’une réalité profonde, qui nous touche, de par nos histoires personnelles ou celles de nos proches. C’est enfin un sujet de protection de l’enfance, lorsqu’elle concerne des mineurs.
L’adoption recouvre en tout cas un grand nombre d’enjeux techniques et a fait l’objet de plusieurs évolutions depuis le début du XXe siècle. Je pense notamment à la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant – je salue à cet égard notre collègue Michelle Meunier.
Mes chers collègues, nous souscrivons aux deux objectifs qui ont guidé l’auteure de cette proposition de loi et nous partageons son approche centrée sur l’intérêt de l’enfant, qui nous rassemble assez largement dans cet hémicycle.
À l’issue de la commission et sur l’initiative de notre rapporteure, 11 des 27 articles de la proposition ne figurent plus dans le texte. Il subsiste néanmoins des dispositions intéressantes, que je veux souligner.
Tout d’abord, l’ouverture de l’adoption aux couples pacsés et aux concubins s’inscrit en cohérence avec la distinction juridique de la filiation et du mode de conjugalité. Cette disposition est d’ailleurs largement soutenue au Sénat, puisque l’amendement de suppression de la rapporteure, qui n’était fondé, à notre sens, ni en droit ni en opportunité, n’a pas été adopté en commission. Nous saluons le consensus exprimé sur cette disposition au-delà des clivages : son maintien dans le texte permettra notamment l’adoption de l’enfant du partenaire ou du concubin.
Le maintien du droit en vigueur sur la capacité des personnes seules d’adopter est également heureux et je salue le fait que Mme la rapporteure ait décidé, en commission, de retirer son amendement qui visait à limiter cette capacité aux seuls enfants des conjoints.
Un autre ensemble de dispositions importantes, conservé dans le texte, consiste dans l’amélioration de la préparation et de l’information des candidats à l’adoption en amont de la délivrance de l’agrément, ainsi que dans le renforcement de la formation des membres des conseils de famille. Ces dispositions vont dans le sens des demandes des acteurs de terrain, qui concourent à cet accompagnement déterminant pour la réussite des parcours d’adoption.
Enfin, je veux saluer plusieurs dispositions relatives plus spécifiquement à la situation de l’enfant : le maintien de l’avis conforme de la commission d’agrément, la fixation d’un écart d’âge maximum de 50 ans entre le plus jeune des adoptants et le plus jeune des adoptés, la réalisation d’un bilan d’adoptabilité des pupilles ou encore le rehaussement de 2 à 3 ans de l’âge jusqu’auquel un examen semestriel du statut des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance est réalisé.
Ces dernières dispositions permettront d’assurer une meilleure adéquation entre les besoins de l’enfant et son statut.
Le texte que nous examinons ce soir contient donc des avancées importantes, que nous saluons et que nous soutiendrons pleinement.
Je souhaite toutefois évoquer certaines évolutions qui nous semblent plus contestables au regard de l’objectif de ce texte de sécuriser un certain nombre de situations, objectif qui semblait pourtant partagé par notre rapporteure.
L’article 4 sur l’extension des possibilités d’adoption plénière des enfants âgés de plus de 15 ans nous semblait répondre à l’objectif de valorisation de l’adoption dans l’intérêt même de l’enfant, notamment par les personnes l’accueillant depuis son plus jeune âge ou en cas de décès de l’un des parents de naissance qui ne s’est pas occupé de lui.
Nous proposerons donc de rétablir cet article, mais dans une rédaction de compromis qui encadre mieux les hypothèses prévues.
L’article 9 bis instaurait un dispositif transitoire d’établissement de la filiation des enfants nés par recours à une procréation médicalement assistée (PMA) réalisée à l’étranger par un couple de femmes avant l’entrée en vigueur de la loi relative à la bioéthique. Il permettait de sécuriser la filiation de l’enfant, mais il a été supprimé, tout comme l’article 11 bis.
La suppression de ce dernier article m’amène à souligner un certain paradoxe. D’un côté, pour des motifs de sécurisation des situations des enfants, vous avez souhaité, madame la rapporteure, limiter les conditions d’accès à l’adoption, en tentant notamment de supprimer la faculté pour les personnes pacsées ou concubines d’adopter. De l’autre, vous vous opposez à l’interdiction des adoptions internationales individuelles, laissant libre cours à de potentielles dérives.
Vous vous opposez également à la compétence exclusive de l’aide sociale à l’enfance en matière d’adoption nationale. De fait, vous laissez à des organismes privés la faculté de recueillir des enfants en vue de l’adoption.
Nous proposerons plusieurs amendements de rétablissement ou de compromis afin, d’une part, de sécuriser l’adoption internationale et, d’autre part, de favoriser l’accès du mineur au statut protecteur de pupille chaque fois que cela est adapté à sa situation.
Au-delà des points de convergence soulignés tout à l’heure, deux types de nuances semblent se dessiner.
Il y a d’abord des divergences de forme, notamment sur la réalité, la portée ou l’utilité de certaines dispositions. En l’occurrence, nous pourrons probablement trouver des points d’accord dans le cadre de la navette.
Il y a ensuite des divergences de fond, que je viens de mentionner. En la matière, nous espérons obtenir des avancées au cours de nos débats, dans l’intérêt de l’enfant.
Enfin, sur les procédures de délaissement, nous devons, me semble-t-il, aller plus loin que le dispositif instauré par la loi de 2016. Il faut qu’il y ait plus d’enfants adoptables ; c’est l’intérêt des enfants. Surtout, il faut éviter que des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance passent dix-huit ans sans pouvoir être adoptés et vivre une vie normale sous prétexte que leurs parents se contentent, pour schématiser, d’envoyer une carte postale par an… (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Michelle Meunier applaudit également.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Nathalie Delattre.)
PRÉSIDENCE DE Mme Nathalie Delattre
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
6
Communication d’un avis sur un projet de nomination
Mme la présidente. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des finances a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable par dix-sept voix pour, et aucune contre, à la reconduction de M. François Villeroy de Galhau aux fonctions de gouverneur de la Banque de France.
Acte est donné de cette communication.
7
Réforme de l’adoption
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. Nous reprenons l’examen de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à réformer l’adoption.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Decool.
M. Jean-Pierre Decool. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons s’inscrit dans une dynamique de libéralisation de la famille. La dernière loi de bioéthique a permis aux femmes seules et aux couples de femmes de recourir à la procréation médicalement assistée.
Dans cette logique, le texte propose de réformer le régime de l’adoption, afin d’en ouvrir plus largement l’accès. Une telle évolution est compréhensible et les Français, semble-t-il, l’appellent de leurs vœux.
Les sénateurs du groupe Les Indépendants sont majoritairement favorables à l’ouverture de l’adoption aux couples non mariés, qu’ils soient liés ou non par un pacte civil de solidarité (PACS). Cette disposition tient compte des changements intervenus au sein de la société. En effet, il pouvait sembler difficilement compréhensible que l’adoption soit ouverte aux personnes seules sans que les couples non mariés puissent y avoir accès.
Lors de son examen, la commission des lois a opté pour une position de sagesse sur plusieurs dispositions tendant à réformer le régime de l’adoption ; beaucoup d’entre elles ont ainsi été supprimées.
Nous en sommes convaincus, le droit de l’adoption ne peut être modifié qu’avec d’extrêmes précautions, dans la mesure où il engage le destin de milliers d’enfants. En effet, chaque année, environ 12 000 enfants sont adoptés.
Nous sommes favorables au fait que nos concitoyens aient davantage de choix et de libertés, mais il nous paraît indispensable de connaître avec précision les conséquences de changements au sein du régime de l’adoption. Le véhicule retenu, celui de la proposition de loi, nous prive d’une étude d’impact, document qui serait pourtant fort utile à cet égard.
La volonté de moderniser ne doit pas nous faire perdre de vue l’essentiel : l’adoption n’est pas un mode de satisfaction d’un chimérique droit à l’enfant ; c’est un mécanisme rendu nécessaire par l’existence d’enfants sans famille. C’est leur intérêt, et non le désir d’enfant, qui doit guider les décisions d’adoption. C’est bien ce principe fondamental et fondateur qui a toujours servi de boussole en matière de droit de l’adoption. Alors que nous étudions la réforme de ce régime, un tel principe doit rester le socle de notre vision.
Néanmoins, il nous paraît important que les parents biologiques aient leur mot à dire. Nous nous félicitons ainsi que le consentement des parents à l’adoption de leur enfant soit toujours demandé.
Dans cette même logique, nous nous sommes interrogés sur la suppression de la disposition empêchant la mère ayant accouché de s’opposer sans motif légitime à la reconnaissance par la mère d’intention de l’enfant dont elle serait séparée. La question du consentement est fondamentale. À cet égard, nous soutenons majoritairement la position de la commission.
Nous approuvons également le fait que la commission ait laissé aux parents la possibilité de confier leur enfant non seulement à l’aide sociale à l’enfance (ASE), mais aussi aux organismes autorisés pour l’adoption. Nous pensons qu’il est sain de laisser le choix aux individus.
Nous comprenons la suppression de l’article relatif à l’obligation d’avoir recours à un organisme autorisé pour l’adoption ou à l’Agence française de l’adoption dans le cadre d’une adoption internationale. Il semble pertinent d’encadrer plus étroitement la situation actuelle.
Les autres dispositions du texte, notamment celles qui améliorent l’information des candidats à l’adoption, vont dans le bon sens.
Le nombre d’enfants à besoins spécifiques s’est considérablement accru. Il est devenu incontournable de mieux informer et former les candidats sur les besoins des enfants qu’ils pourraient être amenés à adopter. C’est aussi primordial pour le bien-être des enfants que pour les parents.
La rédaction proposée par la commission nous semble constituer une solution d’équilibre et de sagesse. Nous ne pouvions pas modifier en profondeur le régime de l’adoption dans le cadre d’une simple proposition de loi. Le texte permet cependant d’inscrire dans le droit des avancées significatives.
Par conséquent, le groupe Les Indépendants votera en faveur de cette proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à Mme Agnès Canayer.
Mme Agnès Canayer. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui porte sur un sujet sensible : l’adoption, donc la filiation.
Pratique courante dans l’antiquité, notamment chez les sénateurs romains (Sourires.), l’adoption permettait surtout de trouver un héritier et d’établir des alliances entre les familles.
Au fil de l’évolution de notre société, la procédure d’adoption s’est adaptée pour permettre au lien juridique de se substituer ou de se superposer avec celui du sang.
Organisée par la loi du 11 juillet 1966, la pratique de l’adoption a largement diminué en raison de la baisse du nombre d’enfants à adopter, tant auprès de l’ASE qu’à l’étranger.
Pourtant, malgré ces demandes, les adoptions internationales ont été divisées par dix en quinze ans, et les pupilles de l’État se retrouvent souvent sans solution. Aujourd’hui, le rapport entre le nombre d’enfants adoptés et le nombre de parents agréés est d’un pour dix. À cela s’ajoute une augmentation du nombre d’enfants à adopter caractérisés « à besoins spécifiques », ce qui modifie les conditions d’adoption.
Devant un tel constat, la proposition de loi de la députée Monique Limon revêt un double objectif : faciliter le parcours des adoptants tout en sécurisant la situation de l’enfant.
Malheureusement, la réponse est seulement partielle. Si l’objectif fait consensus, le texte ne va pas assez loin et déçoit les acteurs de l’adoption et de la protection de l’enfance, et ce malgré l’optimisme affiché des auteurs de la proposition de loi initiale !
Il faut bien souligner des avancées concrètes, comme l’adoption pour les couples pacsés ou en concubinage, avec un encadrement des conditions d’âge et de durée de communauté de vie minimale des parents. On peut aussi collectivement se féliciter de la mise en place d’une obligation de formation juridique et déontologique préalable pour les membres du conseil de famille, réclamée par le Comité consultatif national d’éthique et par la Défenseure des droits. De même, l’obligation de suivre une préparation en vue de l’obtention d’un agrément pour l’adoption permettra de conforter l’intérêt de l’enfant et de mieux préparer son accueil.
Mais certaines dispositions de la proposition de loi initiale compromettaient de manière significative l’intérêt de l’enfant, en supprimant le consentement des parents pour l’adoption. D’une part, la suppression de la notion de consentement de la mère accouchant pour l’adoption par la mère d’intention ne nous semblait pas pertinente ; elle nous paraissait même dangereuse. D’autre part, la disparition du consentement à l’adoption des parents qui remettent leur enfant à l’ASE représentait un retour en arrière délicat. C’est pourquoi la commission des lois a préféré supprimer ou réécrire les dispositions concernées.
Paul Auster écrivait : « Négliger les enfants, c’est nous détruire nous-mêmes. » C’est toute l’inspiration du Sénat, qui a souhaité conserver les alternatives existantes à l’ASE, comme les organismes autorisés pour l’adoption (OAA). Celles-ci permettent de se passer d’un parcours souvent difficile pour les enfants.
La commission des lois a aussi estimé que la présence d’une personne qualifiée en matière d’éthique et de lutte contre les discriminations dans les conseils de famille représentait une mesure secondaire sans apport effectif.
Enfin, je déplore que ce texte survole un pan très important du sujet, l’adoption simple. La question est pourtant au cœur des préconisations de l’excellent rapport de notre collègue Corinne Imbert et de l’auteure de la proposition de loi. Y répondre aurait permis d’accroître les adoptions, dans l’intérêt des enfants.
Vous l’avez compris, le texte a une ambition limitée. Comme affiché dans l’exposé des motifs, il « comble des lacunes », en matière d’adoption, de la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant. Cependant, il ne permettra pas de résoudre la difficile question de l’adéquation entre le nombre d’enfants à adopter et le désir des adoptants. Mais il a au moins quelques mérites : répondre à certains enjeux sociétaux, mieux préparer les adoptants à l’accueil de l’enfant et sécuriser le statut des jeunes pupilles.
Pour ces raisons, je voterai, tout comme une majorité des membres du groupe Les Républicains, la proposition de loi modifiée par la commission des lois. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Mélanie Vogel. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je crois que nous sommes toutes et tous d’accord au moins sur un point : il reste beaucoup à faire dans notre pays pour améliorer la procédure d’adoption.
Alors que de nombreuses familles sont à la recherche d’un enfant à adopter, les pupilles de l’État demeurent souvent sans solution. Ainsi, en 2019, parmi les 3 248 enfants bénéficiant du statut de pupille de l’État, seulement 706 enfants ont été adoptés. Ce sont donc les trois quarts des enfants concernés qui se sont retrouvés sans solution.
Nous saluons donc la possibilité de faciliter l’adoption de ces enfants grâce à un allégement de la procédure de l’adoption simple.
Cependant, la présente proposition de loi est un peu un rendez-vous manqué. Elle aurait dû permettre de traiter de plusieurs sujets capitaux qui, au fond, n’ont pas même été abordés.
Nous regrettons, par exemple, l’absence de vision globale sur la protection de l’enfance, tout comme le silence sur les adoptions internationales, alors que leur nombre a été divisé par dix ces dernières années, cela a été dit, passant de 4 000 adoptions en 2005 à environ 400 en 2019. Nous regrettons, enfin, le silence sur les pratiques illicites dans le cadre des adoptions internationales, alors qu’une commission d’enquête est demandée par un collectif de familles victimes de ces procédures frauduleuses.
Alors que nous traitons de sujets très sensibles, touchant à la situation de milliers d’enfants et de familles, nous déplorons que ce texte prenne la forme d’une proposition de loi, qui n’est donc assortie ni d’une étude d’impact ni d’un avis du Conseil d’État. Compte tenu de leur gravité, ces sujets auraient mérité d’être présentés et débattus sous la forme d’un projet de loi. Le choix de la procédure accélérée prive en outre le Parlement d’un travail approfondi et nuit à la qualité des dispositions qui sont examinées aujourd’hui.
Malgré ces lacunes, nous nous félicitons de l’ouverture du droit à l’adoption aux couples de concubins et aux partenaires liés par un PACS. Les écologistes ont toujours défendu cette proposition, qui mettra fin à des années de différences de traitement entre les couples mariés et non mariés qui n’étaient plus justifiées que par des considérations depuis longtemps révolues. Cette avancée permettra de faire sortir la filiation du carcan des familles mariées. Nous restons cependant attentifs, et nous avons déposé un amendement en ce sens, à ce qu’aucune discrimination ne soit perpétrée en raison de l’orientation sexuelle ou de la situation de famille des futurs parents.
Nous approuvons aussi le choix de la rapporteure d’avoir supprimé certains dispositifs qui nous paraissaient à la fois ubuesques et relativement dangereux : je pense notamment au fait de ne plus recueillir le consentement des parents pour l’adoption de leur enfant placé en qualité de pupille de l’État. Au moment où les parents biologiques sont sur le point de prendre la décision de confier leur enfant à l’aide sociale à l’enfance, il est nécessaire de les informer et de les accompagner du mieux possible.
Nous nous interrogeons également sur la possibilité que confère au tribunal l’article 357 du code civil de modifier, sur la demande du ou des adoptants, les prénoms de l’enfant. L’article 9 de la présente proposition de loi permettra de recueillir le consentement de l’enfant de plus de 13 ans pour ce changement. Le prénom est pourtant un élément d’identité essentiel. Quel motif, au fond, pourrait nécessiter un changement du prénom de l’enfant, sans son consentement, jusqu’à l’âge de 13 ans ? Aller au-delà de l’opinion de l’enfant pour un tel changement d’identité me paraît aller totalement à l’encontre de l’intérêt supérieur de l’enfant. L’enfant capable de discernement devrait avoir le droit d’exprimer son avis et d’être entendu par le juge. Nous avons déposé un amendement allant dans ce sens.
Je vous rappelle par ailleurs que, dans sa décision du 15 juillet 2020, la Défenseure des droits faisait le constat de la disparition progressive des services d’adoption spécialisés au sein des conseils départementaux. La mutualisation entre départements pourrait constituer une solution au problème de la répartition hétéroclite entre les territoires. Nous soutenons d’ailleurs les départements qui regrettent que le suivi post-adoption ne soit pas davantage renforcé.
Les principes et objectifs de cette proposition de loi ne représenteront in fine que des vœux pieux, si le financement et le soutien de l’État aux collectivités territoriales et à tous les organismes qui participent aux dispositifs d’adoption ne sont pas au rendez-vous.
Malgré ces réserves, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires soutiendra cette proposition de loi, tout en espérant, mes chers collègues, que les amendements qu’il a déposés trouveront soutien sur nos travées. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je commencerai, moi aussi, mon intervention par quelques remarques de forme. Elles ont été faites précédemment par mes collègues, mais je tiens tout de même à les formuler.
D’abord, nous regrettons une fois de plus le recours à la procédure accélérée. Se priver de la navette parlementaire n’est pas très compréhensible au regard de l’objectif de cette proposition de loi : garantir l’intérêt supérieur de l’enfant.
Ensuite, le texte ayant été déposé sous la forme d’une proposition de loi, il n’est accompagné ni d’une étude d’impact ni de l’avis du Conseil d’État. Or il s’agit clairement, encore une fois, d’un projet voulu par le Gouvernement.
J’ajouterai qu’il est incompréhensible que nous abordions ici ces thématiques, alors même qu’un projet de loi sur la protection des enfants est annoncé pour le mois de décembre et qu’un certain nombre de mesures de cette proposition de loi auraient très bien pu y figurer.
Enfin, ce texte souffre de nombreux flous et incohérences juridiques, qui sont dénoncés par les associations et acteurs du secteur.
Pour autant, Mme la rapporteure a réalisé, je tiens à le souligner, un travail important de toilettage du texte, en proposant de réécrire un certain nombre de dispositions, voire tout simplement de les supprimer : 11 articles sur 26 ont ainsi été supprimés.
Il faut dire aussi que dans cette proposition de loi subsistait une habilitation à légiférer par ordonnance, ce qui est quand même un comble pour une initiative parlementaire !
On y trouvait également un article relevant de la loi relative à la bioéthique.
Bref, un patchwork préjudiciable à la qualité du travail législatif.
S’agissant du fond et des objectifs de cette proposition de loi, on ne peut que se réjouir que soient rappelés dans l’exposé des motifs les deux principes fondamentaux, à savoir l’intérêt supérieur de l’enfant et la volonté de donner une famille à l’enfant, et non l’inverse.
Par ailleurs, un certain nombre de dispositions vont dans le bon sens. C’est le cas de la possibilité d’une formation préalable pour les membres des conseils de famille, une demande déjà ancienne ici prise en compte. De même, l’obligation de suivre une préparation préalablement à la délivrance de l’agrément en vue d’une adoption est positive, même si des questions demeurent : qui va assumer cette formation ? Qui la paiera ? Quelle sanction à l’absence de suivi ? Autant de silences préjudiciables.
Le renforcement des droits d’information des pupilles est également très important. Les évolutions apportées à la suite de l’examen en commission au Sénat sont même plutôt satisfaisantes. Nous noterons ainsi le rétablissement des missions des organismes autorisés pour l’adoption (OAA), ainsi que la réintégration, au sein de l’article 13, du consentement à l’adoption, ce qui permet d’éviter une nouvelle forme de procès-verbal d’abandon.
Nous avons fort heureusement évité l’adoption d’amendements réactionnaires revenant, par exemple, sur le droit d’adopter pour les personnes seules.
Des dispositions, comme l’ouverture du droit à adopter pour les couples non mariés, marquent aussi des avancées en matière d’égalité. Notons au passage que cette question ne vise que très partiellement l’objectif affiché de la proposition de loi, à savoir l’intérêt supérieur de l’enfant.
Nous regrettons par ailleurs que cette proposition de loi ne contienne aucune mesure sur l’accompagnement des familles, alors que le coût de l’adoption internationale a augmenté depuis une dizaine d’années. Il serait pourtant utile de repenser l’accompagnement financier des familles qui souhaitent adopter.
Enfin, il est assez incroyable de traiter de l’adoption sans aborder une seconde les problèmes récurrents de l’aide sociale à l’enfance (ASE), ni le problème des moyens dont disposent les départements pour faire face à ces missions. Il s’agit pourtant d’un sujet majeur, rappelé par la Cour des comptes dans son rapport de novembre 2020 qui déplorait « une politique inadaptée au temps de l’enfant ».
Au bout du compte, force est de reconnaître que les mesures de cette proposition de loi ne régleront pas le problème principal : trop peu d’enfants sont adoptés dans notre pays.
Le nombre des adoptions internationales s’effondre depuis plusieurs années et la situation n’est pas vraiment meilleure en matière d’adoptions nationales – les chiffres ont été rappelés par Mme la rapporteure. Cette situation s’explique notamment par le fait que l’âge moyen des pupilles de l’État est de 8,1 ans et que, parmi eux, figure une proportion importante d’enfants à besoins spécifiques. De ce fait, 49 % des enfants pupilles pour lesquels le projet de vie est un projet d’adoption n’ont pas été adoptés, le conseil de famille n’ayant pas réussi à leur trouver une famille.
Devant cette situation, nous estimons que la première urgence est tout simplement d’appliquer le droit positif. Ainsi, les améliorations mises en place par la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant et par les décrets qui l’ont suivie n’ont eu pour l’instant que peu d’effet, en raison de la faiblesse des moyens accordés aux départements pour les mettre en œuvre. Il en résulte une grande iniquité territoriale.
Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste, que j’ai l’honneur de présider, a pris le temps d’examiner ce texte. Pour l’ensemble des raisons que je viens de développer, et à l’aune des efforts qui ont été fournis, notamment par la commission des lois et en particulier par Mme la rapporteure, nous ne nous opposerons pas à ce texte. Cela ne veut pas dire pour autant que nous voterons en sa faveur ! (Sourires sur différentes travées. – Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Michelle Meunier applaudit également.)
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Nous avions saisi la nuance !
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Dominique Vérien. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, lorsque l’on pense adoption, on imagine souvent – du moins c’était mon cas avant de travailler sur ces sujets – une famille avec un enfant adopté à l’étranger. Disons-le, cette vieille image stéréotypée ne correspond plus du tout à la réalité de l’adoption. Elle n’y correspond plus, parce qu’il n’y a plus d’enfants étrangers à adopter ou, en tout cas, de moins en moins : en 2010, plus de 3 500 enfants avaient été adoptés dans un pays étranger ; en 2020, ils n’étaient plus que 244 à l’avoir été.
Dans les pays d’origine de ces enfants, la baisse de la mortalité et la hausse du niveau de vie ont permis aux pouvoirs publics de mener des politiques sociales et familiales. Le développement des moyens de contraception est une raison supplémentaire qui explique la baisse drastique du nombre d’enfants confiés à l’adoption internationale.
La réalité aujourd’hui, c’est aussi que les rares enfants mineurs adoptés ou confiés à l’adoption, qu’il s’agisse d’adoption internationale ou nationale d’ailleurs, sont souvent des enfants à besoins spécifiques, dont le parcours de vie est compliqué et qui nécessitent une attention particulière. Cette situation ne correspond pas, dans un grand nombre de cas, à celle que les adoptants envisagent.
L’image que l’on se fait de l’adoption a également changé. Celle d’une famille qui voulait un enfant ne correspond plus à la réalité. Aujourd’hui, c’est un enfant que l’on confie à une famille. Cette inversion du sujet est majeure et replace l’enfant au cœur des dispositifs. Nous devons offrir à cet enfant une famille, qui l’aidera à grandir et à se développer harmonieusement.
Dès lors que l’on pense à l’enfant avant tout, l’adoption devient l’un des outils de la protection de l’enfance, un outil bien supérieur à ce que propose l’aide sociale à l’enfance pour sauver un enfant. Il existe, bien sûr, quelques réussites d’enfants qui ont été confiés à l’ASE – j’en salue une plus particulièrement, que j’admire aujourd’hui et à qui je fais un clin d’œil –, mais pour une réussite, combien d’échecs ?
C’est pourquoi, dès 2016, une loi a mieux défini le délaissement et permis à des enfants qui auraient dû passer leur jeunesse dans un foyer de l’ASE de la passer dans une famille aimante.
Il nous reste cependant encore des efforts à fournir pour rendre l’adoption des mineurs en France plus facile, plus fiable et plus rapide. J’en veux pour preuve ces chiffres, déjà évoqués précédemment : en 2019, plus de 10 000 familles avaient reçu l’agrément permettant d’adopter un enfant et 3 248 enfants avaient le statut de pupille de l’État ; pourtant, cette même année, 706 adoptions seulement ont eu lieu – c’est trop peu.
La réalité de l’adoption en France aujourd’hui, c’est aussi que l’immense majorité des adoptions sont des adoptions simples, qui concernent très majoritairement des majeurs.
Devant ce panorama de l’adoption en 2021, quels sont les apports de cette proposition de loi ?
Dans les grandes lignes, relevons l’élargissement de la possibilité d’adopter aux personnes liées par un PACS ou en concubinage, l’instauration d’un écart d’âge maximum de 50 ans entre le plus jeune des adoptants et le plus jeune des adoptés, la possibilité pour le tribunal de prononcer l’adoption de mineurs de plus de 13 ans ou de majeurs protégés lorsqu’ils ne sont pas en état d’y consentir, la création d’une obligation de formation préalable à la prise de fonction des membres du conseil de famille des pupilles de l’État.
Relevons aussi l’obligation de suivre une préparation préalablement à la délivrance de l’agrément en vue d’adoption, pour que les candidats soient mieux informés de la réalité du parcours de l’adoption et sensibilisés au profil des enfants effectivement proposés à l’adoption.
Finalement, on le constate, cette proposition de loi n’apporte pas grand-chose. Elle aurait dû, d’ailleurs, compléter le projet de loi relatif à la protection des enfants et chronologiquement lui succéder. Hasard du calendrier ou pas, nous travaillons à l’envers.
Je souhaite cependant insister sur deux points.
Premièrement, je regrette la suppression de l’obligation d’accompagnement des adoptants par des structures expérimentées dans le cas d’une adoption internationale. Nous aurons l’occasion d’en débattre, mais j’ai tendance à croire qu’en la matière un supplément de protection, tant pour l’adopté que pour les adoptants, est bon à prendre. Cet accompagnement visait, non pas à contraindre qui que ce soit, mais bien à prémunir les adoptants et les adoptés contre des pratiques illicites.
Les fermes à bébés – oui, vous m’avez bien entendue – ont comme « clients » non pas des organismes autorisés pour l’adoption ou l’Agence française de l’adoption (AFA), mais bien des adoptants individuels qui participent, souvent à leur insu, à l’exploitation du corps de la femme, du début à la fin. (Marques d’approbation sur des travées des groupes SER et CRCE.)
Deuxièmement, je note la suppression, au nom de la cohérence législative, de la disposition permettant à l’Agence française de l’adoption d’appuyer les départements pour l’accompagnement et la recherche de candidats à l’adoption nationale. Je connais et je salue l’engagement de notre rapporteure, pour que cette disposition soit inscrite dans le projet de loi relatif à la protection des enfants. J’espère qu’elle y parviendra, car une telle mesure est indispensable, afin de permettre aux départements, qui ne disposent pas toujours de ces compétences en leur sein, de bénéficier de celles de l’AFA.
En définitive, ce texte est pauvre et c’est bien dommage ! Ses faibles apports sont néanmoins utiles, car en matière de protection de l’enfance et d’amélioration des procédures d’adoption, tout progrès est bon à prendre. Rappelons-le, c’est l’une des réponses à la protection de l’enfance. En ce sens, le groupe Union Centriste votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si la loi ne peut résoudre toutes les difficultés de l’adoption, ce sont bien les pratiques et les mentalités qu’il est nécessaire de faire évoluer.
Je salue la volonté de faciliter l’adoption pour les candidats, qui transparaît dans cette proposition de loi. Cette volonté ne s’oppose en rien à la préoccupation de sécuriser la situation de l’enfant et de lui donner une famille.
La politique de l’adoption, qui suppose que l’intérêt de l’enfant soit de le maintenir autant que possible dans sa famille biologique, doit évoluer.
Le Sénat a adopté en 2020 la proposition de loi déposée par Josiane Costes, du groupe RDSE, visant à apporter un cadre stable d’épanouissement et de développement aux mineurs vulnérables sur le territoire français. L’exposé des motifs de ce texte soulignait que les réformes législatives menées jusqu’alors, et qui avaient cherché à préserver un équilibre entre la préservation des droits liés à la parentalité et l’intérêt de l’enfant, constituaient un obstacle à l’adoption.
Il nous faut en finir avec la suspicion, voire la culpabilisation, de celles et ceux, en couple ou non, qui désirent un enfant. Désirer un enfant, lui proposer des conditions de développement et d’épanouissement, n’est ni nuisible ni pathologique. C’est au contraire le maintien déraisonnable dans sa famille biologique qui peut être préjudiciable à un enfant, comme peut l’être d’ailleurs une reprise précipitée, sans entretien avec le tuteur et sans convocation du conseil de famille.
La substitution du terme « délaissé » au terme « abandonné » va dans ce sens. Le groupe RDSE souhaite même réduire à un mois le délai d’instruction par le juge pour les enfants de moins de 3 ans, ainsi que le prononcé de la déclaration judiciaire de délaissement au bout de six mois. Vont aussi dans ce sens les réductions de délais d’instruction et la clarification du début de la période de placement. Il s’agit de raccourcir ce parcours du combattant des candidats à l’adoption, qui est une cruelle mise à l’épreuve.
Bien sûr, l’information, l’accompagnement des candidats comme la préparation préalable à l’agrément pour les personnes souhaitant accueillir des enfants étrangers et des pupilles de l’État sont dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Le groupe RDSE souhaite d’ailleurs étendre à tous les départements la validité d’un agrément, ainsi que le refus de celui-ci.
La proposition de loi, objet de notre débat, vise à répondre à deux grands objectifs : faciliter et sécuriser le recours à l’adoption, d’une part ; renforcer le statut de pupille de l’État, d’autre part.
Concernant la facilitation et la sécurisation du recours à l’adoption, le texte consacre, en une mesure phare, l’ouverture de l’adoption conjointe par des personnes liées par un pacte civil de solidarité ou par des concubins. Nous souhaiterions également encourager la négociation de conventions avec les pays prohibant l’adoption, afin de trouver des solutions qui protègent les enfants recueillis, qui se retrouvent sans statut une fois en France.
Le texte clarifie les effets de l’adoption simple sur la filiation, en précisant que l’adopté bénéficiera d’un double lien de filiation, le lien nouveau s’ajoutant au lien originel.
Il instaure un écart d’âge maximum de 50 ans entre les adoptants et le plus jeune des adoptés, afin d’éviter que plusieurs générations ne séparent l’enfant adopté de ses parents électifs. Des exceptions en cas d’adoption de l’enfant du conjoint ou de conditions particulières sont toutefois laissées à l’appréciation du juge.
Concernant le renforcement du statut de pupille de l’État, le texte introduit un bilan d’adoptabilité pour tous les enfants admis sous ce régime, bilan médical qui se veut un préalable utile au projet d’adoption.
Il introduit aussi une obligation de formation préalable des membres du conseil de famille et renforce l’obligation d’information du pupille par son tuteur.
Le texte pose encore le caractère supplétif de la tutelle assurée par le conseil départemental par rapport à la tutelle des pupilles de l’État, plus protectrice en ce qu’elle prévoit l’intervention du conseil de famille.
Enfin, il permet d’assouplir les règles concernant le congé d’adoption.
Ce texte n’est peut-être pas la réforme d’envergure attendue, mais il a pour objectif de faciliter l’adoption, tout en sécurisant la situation de l’enfant. Par conséquent, le groupe RDSE le votera. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Michelle Meunier applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Lherbier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Brigitte Lherbier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, membre, puis présidente pendant des années d’un conseil de famille des pupilles de l’État dans le Nord, j’ai travaillé sur le placement administratif et judiciaire des enfants de mon département de 1980 à 2012 pour des travaux universitaires. Je suis devenue conseillère générale et j’ai continué à me documenter sur ce sujet jusqu’à mon arrivée au Sénat il y a quatre ans.
J’ai vu défiler pendant toutes ces décennies des enfants aux histoires souvent tragiques, des fratries séparées ou placées ensemble chez des assistants familiaux ou en foyers, des bébés jusqu’aux jeunes majeurs, tous assoiffés d’amour.
Dans tous les cas, l’adoption, si elle devenait possible, était la plus belle des solutions à proposer à ces enfants délaissés. Quelquefois, avant que ces enfants ne deviennent « adoptables », l’attente avait été trop lourde, trop longue : l’enfant était abîmé psychologiquement, et même physiquement, quand il se présentait pour la première fois devant le conseil de famille en qualité de pupille de l’État.
Adopter, c’est vouloir aimer et éduquer un enfant. J’ai en tête des petits enfants « fanés par la vie », que j’ai vu reprendre vigueur, quand ils se sont sentis entourés par « leurs » parents, qu’ils attendaient depuis si longtemps.
Chaque cas est un cas particulier. Si la loi encadre, épaule et surtout fait confiance aux familles adoptantes, des solutions adaptées peuvent toujours être trouvées dans l’intérêt de l’enfant. J’ai vu des enfants plus âgés, de plus de 10 ans, s’intégrer dans des familles. J’ai vu des enfants trouver leur place, souvent dans de grandes familles, alors même qu’ils avaient un handicap.
Les conseils de famille doivent éviter de s’autocensurer dans leurs propositions. L’adoption simple, par exemple, est pour moi une réelle solution dans de nombreux cas où les liens familiaux ont été distendus ou dans des situations de parents incapables, physiquement ou mentalement, d’exercer l’autorité parentale.
Certaines familles sont prêtes à accueillir des enfants dans le cadre de familles plurielles, si elles obtiennent appui et confiance de la part des structures spécialisées. Certes, le consentement de l’enfant me semble souvent nécessaire dès qu’il peut s’exprimer. C’est de sa vie à lui qu’il s’agit, de son avenir.
Pendant le placement en vue d’adoption, tout doit être fait pour que le changement de vie se fasse en douceur, en intelligence.
Au cours de ces nombreuses années, j’ai souvent rencontré des couples d’assistants familiaux qui renonçaient à leur salaire pour adopter l’enfant qu’ils avaient élevé.
L’aide financière, sous condition de ressources, semblait tellement nécessaire dans certains cas, que le conseil de famille était gêné et même inquiet devant un tel renoncement.
Beaucoup a été réalisé depuis quarante ans. Les certitudes s’estompent, pour rechercher l’intérêt de l’enfant avant l’intérêt de sa famille biologique. Le jusqu’au-boutisme au détriment de l’enfant ne doit plus exister. Grandir sans objectif, sans avenir et surtout sans amour provoque des dégâts irréparables. Les prisons sont remplies d’histoires de jeunes déstructurés, sans famille.
Il faut agir en amont et le plus vite possible, éviter au maximum à des enfants de grandir en institution sans fil conducteur, sans le lien continu de l’amour d’une famille à soi. Vous en avez la volonté, monsieur le secrétaire d’État, je le sais. Je vous ai rencontré à Marcq-en-Barœul, peu après votre entrée au Gouvernement, dans un foyer de l’association SPReNe, où je suis administratrice.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Absolument !
Mme Brigitte Lherbier. Vous nous y aviez exposé votre feuille de route. Personnellement, j’y étais très favorable.
Je voterai cette proposition de loi au nom des enfants, qui comptent sur nous tous pour grandir dans l’amour d’une famille sans avoir l’angoisse de l’avenir incertain. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Bernard Fialaire applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux remercier chacun d’entre vous pour leurs interventions.
Je voudrais en premier lieu vous adresser un message d’optimisme, dans un esprit constructif, car j’ai pu sentir poindre, dans certains propos, quelque déception.
Je vous rappelle qu’il en a été de même, lorsque le projet de loi relatif à la protection des enfants a été déposé. Or, à l’issue des travaux de l’Assemblée nationale – personnellement, je crois que le Parlement joue un rôle essentiel pour enrichir les textes –, les acteurs du secteur ont plutôt salué ce texte. Quand il fut annoncé qu’il ne serait examiné au Sénat qu’au mois de décembre, nombreux sont ceux qui considéraient ce délai comme trop long. Je me dis donc finalement que ce texte n’est peut-être pas si mal…
Je suis convaincu qu’il en est de même pour la présente proposition de loi.
Il est vrai que toutes ces thématiques participent de la protection de l’enfance – vous l’avez tous souligné. Nous aurions alors pu les traiter dans un seul texte. Il s’avère que la vie parlementaire est ce qu’elle est. Un travail avait été engagé à la demande du Gouvernement par des parlementaires – Corinne Imbert et Monique Limon. Le rapport qui a résulté de ce travail a donné lieu à une proposition de loi, à laquelle s’ajoute un projet de loi sur la protection des enfants.
Je crois donc pouvoir dire que, trois ans après mon entrée en fonction à la tête de ce secrétariat d’État, les actions que nous menons pour une plus grande protection des enfants gagnent en cohérence.
Madame la rapporteure, nous aurons l’occasion de débattre des points précis que vous avez soulevés, notamment des quatre mesures pour lesquelles l’intérêt de l’enfant n’était pas, selon vous, évident.
Nous reviendrons ainsi sur l’article 9 bis. Il me semble tout de même, à cet égard, que la filiation de l’enfant va dans le sens de son intérêt !
Nous reparlerons des organismes autorisés pour l’adoption (OAA), notamment du rôle que certains jouent sur le territoire national. Je crois qu’il est nécessaire de clarifier ce rôle en ce qui concerne l’accompagnement des familles dans le cas d’une adoption d’un enfant à besoins spécifiques. Nous devons aussi prendre en considération le fait que l’un de ces OAA place des enfants sans apporter les mêmes garanties que le placement public. Je vous ferai la démonstration qu’il est nécessaire de passer par l’aide sociale à l’enfance, en ce qu’elle est la garante d’un certain nombre de droits et de sécurités pour les enfants.
En ce qui concerne la question des discriminations, je défendrai la présence d’une personnalité qualifiée en cette matière au sein du conseil de famille. Il a été dit qu’il s’agissait d’un sujet secondaire ; je pense au contraire qu’il est assez central.
Madame la rapporteure, je suis convaincu que ce texte permettra l’adoption d’un nombre plus élevé d’enfants à besoins spécifiques. Plusieurs des mesures qu’il contient y contribueront : l’information et la formation des prétendants à l’agrément ; la formation des conseils de famille ; la possibilité, sur décision judiciaire, de prononcer l’adoption d’un enfant qui n’est pas en mesure d’y consentir ; la possibilité de procéder régulièrement à une évaluation psychologique, physique et éducative de l’enfant pour faire évoluer son projet de vie.
Ce dernier point est important, parce qu’un enfant qui n’est pas adoptable à un moment donné du fait d’une pathologie peut éventuellement, lorsque celle-ci se stabilise, le devenir. Il est donc souhaitable que le conseil de famille revoie régulièrement ces dossiers pour permettre, le cas échéant, l’adoption de ces enfants.
Il est vrai que cela relève largement de la pratique, madame la rapporteure. Je prends un exemple : dans le Pas-de-Calais, à côté de votre département, madame la sénatrice Lherbier – j’en profite pour vous remercier d’avoir rappelé le moment que nous avons partagé –, le psychologue du service de l’aide sociale à l’enfance a annoncé il y a quinze ans que le département allait se « spécialiser » – pardonnez-moi d’utiliser ce mot – dans l’adoption des enfants à besoins spécifiques. Il a développé toute une pédagogie pour accompagner les candidats à l’adoption sur le chemin de l’adoption de ces enfants.
Vous savez, j’ai participé, avec Corinne Imbert et Monique Limon, à une table ronde réunissant des parents qui, pour certains, avaient adopté un enfant autiste sévère avec déficience mentale, pour d’autres, un enfant paraplégique. Ce n’est pas facile, comme il n’est pas facile d’être parent de manière générale, mais ils nous ont dit être les plus heureux des parents. C’est donc possible, et nous devons avancer sur ce chemin.
Madame Vogel, vous avez évoqué l’absence de vision globale sur la protection de l’enfance. Je ne suis pas du tout d’accord avec vous et je vous rappelle que le projet de loi relatif à la protection des enfants a été examiné ce matin même par la commission des affaires sociales du Sénat et qu’il sera inscrit à votre ordre du jour début décembre.
Vous déplorez aussi l’absence de vision sur l’adoption internationale, mais celle-ci est structurellement en baisse – il y a eu 300 adoptions internationales en 2019, elles étaient dix fois plus nombreuses dix ans auparavant – et la raison en est simple : si nous voulons respecter la convention de La Haye du 29 mai 1993, ce qui est notre cas, il faut, avant toute chose, essayer de trouver des parents dans le pays d’origine de l’enfant. C’est ce qui explique la baisse structurelle de l’adoption internationale contre laquelle nous ne pouvons ni ne souhaitons lutter. (Mme Dominique Vérien marque son approbation.)
Nous reviendrons sur la question des adoptions illégales, qui est un réel sujet, même si nous n’adhérerons sans doute pas totalement à ce que vous proposez. En tout cas, je ne veux pas que nous occultions ce sujet.
Nous reviendrons également sur la question des ordonnances, et j’aurai l’occasion de lever toutes les suspicions. Ces ordonnances ne sont pas du tout l’expression ou la preuve de la fragilité juridique initiale de ce texte, madame Harribey. Il se trouve tout simplement que, pour les praticiens – et je sais que cela tient à cœur à Mme la rapporteure qui en fait partie –, le droit à l’adoption, qui s’est construit par sédimentation et dont les principales dispositions sont réparties entre le code civil et le code de l’action sociale et des familles, est devenu totalement impraticable. Un seul exemple : la notion d’« abandon » existe encore à un certain nombre d’endroits.
La rédaction initiale de cet article relatif aux ordonnances, quelque peu maladroite, pouvait susciter un certain nombre de questions – ce fut d’ailleurs le cas à l’Assemblée nationale, je ne vous le cache pas. Nous vous proposerons un amendement avec une formulation plus précise et plus encadrée. L’idée consiste, tout en restant à droit constant, de présenter les choses plus clairement afin de mieux mettre en avant les principes que nous défendons et d’aider les praticiens qui les mettent en œuvre chaque jour.
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi relative à l’adoption
TITRE Ier
FACILITER ET SÉCURISER L’ADOPTION CONFORMÉMENT À L’INTÉRÊT DE L’ENFANT
Avant l’article 1er
Mme la présidente. L’amendement n° 45 rectifié, présenté par M. Requier, Mme M. Carrère, MM. Artano et Bilhac, Mme N. Delattre et MM. Fialaire, Gold, Guérini, Guiol et Roux, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 21 du code civil est complété par un mot et une phrase ainsi rédigée : « majeur. Lorsqu’il est mineur au moment de l’initiation de la procédure d’adoption, l’adopté en forme simple reçoit la nationalité française dans les mêmes conditions que l’adopté en forme plénière ».
La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Cet amendement vise à permettre l’attribution de la nationalité française au mineur adopté en forme simple dans les mêmes conditions que celles prévues pour l’adoption plénière, afin de simplifier les démarches des parents adoptifs.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Il faut rappeler que l’adoption simple maintient les liens avec la famille d’origine, de sorte que l’on ne peut automatiquement supprimer la nationalité provenant de ladite famille.
J’ajoute qu’il existe pour les enfants concernés par une adoption simple une procédure assez aisée permettant d’acquérir la nationalité française.
L’avis est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. L’avis est défavorable, pour les mêmes raisons que celles exposées par Mme la rapporteure.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 45 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 1er
(Non modifié)
Le premier alinéa de l’article 364 du code civil est ainsi rédigé :
« L’adoption simple confère à l’adopté une filiation qui s’ajoute à sa filiation d’origine. L’adopté conserve ses droits dans sa famille d’origine. »
Mme la présidente. L’amendement n° 16 rectifié ter, présenté par MM. Favreau, Pellevat, D. Laurent, Laménie et Klinger, Mme Lassarade, M. Belin et Mme Joseph, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Else Joseph.
Mme Else Joseph. L’article 1er a pour objectif de valoriser davantage l’adoption simple, par une nouvelle rédaction de l’article 364 du code civil. Or la modification prévue par cet article, qui inscrit l’enfant dans une double filiation, ne semble pas revêtir d’intérêt particulier pour l’enfant et risque de créer des difficultés supplémentaires.
En effet, ledit article aboutit potentiellement à limiter à deux parents les parents d’un enfant adopté, alors qu’aujourd’hui l’enfant peut avoir trois, voire quatre parents.
Par exemple, dans la pratique, une enfant recueillie pendant sa petite enfance par sa grand-tante et qui, à sa majorité, est adoptée par sa tante et l’épouse de celle-ci par adoption simple possède un triple lien de filiation, tout en conservant ses droits dans sa famille d’origine.
C’est pourquoi cet amendement vise à supprimer cet article.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Le texte, tel qu’il était rédigé initialement, ne prévoyait effectivement qu’une double filiation, mais il ne vous aura pas échappé qu’il a été modifié.
L’amendement étant satisfait, j’en demande le retrait ; à défaut, l’avis sera défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Madame Joseph, l’amendement n° 16 rectifié ter est-il maintenu ?
Mme Else Joseph. Non, madame la présidente, je le retire.
Mme la présidente. L’amendement n° 16 rectifié ter est retiré.
Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
Le code civil est ainsi modifié :
1° L’article 343 est ainsi rédigé :
« Art. 343. – L’adoption peut être demandée par un couple marié non séparé de corps, deux partenaires liés par un pacte civil de solidarité ou deux concubins.
« Les adoptants doivent être en mesure d’apporter la preuve d’une communauté de vie d’au moins deux ans ou être âgés l’un et l’autre de plus de vingt-huit ans. » ;
2° L’article 343-1 est ainsi modifié :
a) (Supprimé)
b) Le second alinéa est ainsi modifié :
– après le mot : « corps », sont insérés les mots : « ou lié par un pacte civil de solidarité » ;
– les mots : « son conjoint » sont remplacés par les mots : « l’autre membre du couple » et les mots : « ce conjoint » sont remplacés par le mot : « celui-ci » ;
3° L’article 343-2 est complété par les mots : « , du partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou du concubin » ;
4° À la seconde phrase du premier alinéa de l’article 344, après le mot : « conjoint, », sont insérés les mots : « partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin, » ;
5° L’article 345-1 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, après le mot : « conjoint, », sont insérés les mots : « du partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou du concubin » ;
b) Le 1° est complété par les mots : « , partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin » ;
c) Au 1° bis, après le mot : « conjoint, », sont insérés les mots : « partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin, » ;
d) Aux 2° et 3°, après le mot : « conjoint, », sont insérés les mots : « partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin, » ;
6° L’article 346 est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est complété par les mots : « , deux partenaires liés par un pacte civil de solidarité ou deux concubins » ;
b) Au second alinéa, après les mots : « conjoint », sont insérés les mots : « , partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin » ;
7° À l’article 348-5, après le mot : « adopté », sont insérés les mots : « ou dans les situations d’adoption de l’enfant du conjoint, du partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou du concubin » ;
8° Le premier alinéa de l’article 353-1 est ainsi rédigé :
« Dans tous les cas où l’agrément est requis, le tribunal vérifie avant de prononcer l’adoption que le ou les requérants ont obtenu cet agrément ou en ont été dispensés. » ;
9° Le second alinéa de l’article 356 est ainsi rédigé :
« Toutefois, l’adoption de l’enfant du conjoint, du partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou du concubin laisse subsister sa filiation d’origine à l’égard de cette personne et de sa famille. Elle produit, pour le surplus, les effets d’une adoption par les deux membres du couple. » ;
10° Le deuxième alinéa de l’article 357 est ainsi rédigé :
« En cas d’adoption de l’enfant du conjoint, du partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou du concubin ou d’adoption d’un enfant par deux personnes, l’adoptant et l’autre membre du couple ou les adoptants choisissent, par déclaration conjointe, le nom de famille dévolu à l’enfant : soit le nom de l’un d’eux, soit leurs deux noms accolés dans l’ordre choisi par eux, dans la limite d’un nom de famille pour chacun d’eux. » ;
11° Au troisième alinéa de l’article 360, après le mot : « conjoint », sont insérés les mots : « , le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou le concubin » ;
12° L’article 363 est ainsi modifié :
a) À la première phrase du troisième alinéa, après le mot : « époux, », sont insérés les mots : « partenaires liés par un pacte civil de solidarité ou concubins, » ;
b) À la première phrase du dernier alinéa, après le mot : « conjoint, », sont insérés les mots : « du partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou du concubin, » et, à la deuxième phrase du même dernier alinéa, le mot : « époux » est remplacé par le mot : « personnes » ;
13° Le premier alinéa de l’article 365 est ainsi modifié :
a) Après la première occurrence du mot : « conjoint », sont insérés les mots : « , le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou le concubin » ;
a bis) Les mots : « du père ou de la mère » sont remplacés par les mots : « de l’un des parents » ;
b) Après la seconde occurrence du mot : « conjoint, », sont insérés les mots : « son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin, » ;
14° L’article 366 est ainsi modifié :
a) Au 2°, après les deux occurrences du mot : « conjoint », sont insérés les mots : « ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité » ;
b) Au dernier alinéa, après le mot : « alliance », sont insérés les mots : « ou qui était liée par un pacte civil de solidarité » ;
15° Le premier alinéa de l’article 370-3 est ainsi rédigé :
« Les conditions de l’adoption sont soumises à la loi nationale de l’adoptant ou, en cas d’adoption par un couple, à la loi qui régit les effets de leur mariage, de leur partenariat enregistré ou de leur concubinage. L’adoption ne peut toutefois être prononcée si la loi nationale des deux membres du couple la prohibe. »
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, sur l’article.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cet article 2, qui a pour objet d’autoriser l’adoption pour les personnes liées par un pacte civil de solidarité (PACS) et pour les concubins, est le bienvenu. Il représente un réel progrès au regard du droit en vigueur, qui ne permet l’adoption conjointe que pour les couples mariés, celle de l’enfant du conjoint et l’adoption par une personne seule.
La perspective de l’adoption de cet article avait servi de prétexte au Gouvernement, lors des débats sur la loi relative à la bioéthique, pour justifier l’adoption de l’article 4 bis dudit texte, devenu son article 7, qui bouleverse complètement les règles de reconnaissance en France de l’ensemble des actes de l’état civil dressés à l’étranger, ce que j’avais alors eu l’occasion de contester.
Le Gouvernement affirmait alors que la proposition de loi dont nous discutons ce soir rendrait possible l’adoption intraconjugale pour tous les enfants nés par gestation pour autrui (GPA) à l’étranger, procédure qu’il souhaitait imposer à la place de la transcription intégrale des actes d’état civil étrangers.
En effet, au prétexte de vouloir empêcher la transcription intégrale, et en aucun cas automatique, car forcément encadrée, des actes de naissance des enfants nés à l’étranger d’une GPA, la loi bioéthique a porté atteinte à la rédaction de l’article 47 de notre code civil et à la force probante de tous les actes de l’état civil dressés à l’étranger.
Cette réforme a été votée au mépris de nombreuses condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui, dans l’intérêt de l’enfant, impose la reconnaissance d’une filiation intégrale à l’égard des parents légalement indiqués à l’acte de naissance étranger de l’enfant, valablement dressé par les autorités locales. La CEDH a indiqué que cela devait se faire par une procédure qui assure l’effectivité et la célérité de la filiation.
Il m’avait alors été rétorqué que l’article 2 de la présente proposition de loi viendrait remédier aux difficultés, puisqu’il devait permettre l’obtention d’une filiation complète via l’adoption intrafamiliale de l’enfant, élargie aux concubins et aux partenaires pacsés.
Il n’en est rien : les femmes seules, veuves ou séparées, mères d’intention qui figurent pourtant sur l’acte de naissance étranger des enfants nés d’une GPA seront dans l’impossibilité d’adopter leur propre enfant, alors même que les hommes qui sont pères dans une situation similaire pourront figurer sur l’acte français transcrit.
Il s’agit d’une discrimination inacceptable et il appartiendra aux services du ministère de la justice d’adopter des instructions précises pour assurer la conformité de notre droit avec la jurisprudence de la CEDH, puisque nous ne corrigeons pas ces difficultés.
Mme la présidente. L’amendement n° 1, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Aucune discrimination ne peut avoir lieu en raison de l’orientation sexuelle, du statut matrimonial, de l’identité de genre de l’un des membres du couple ou du couple et du mode de conception de l’enfant.
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. L’article que nous examinons constitue la proposition phare de ce texte. Il vise à ouvrir le droit à l’adoption pour les concubins et les partenaires liés par un PACS. Je l’ai dit précédemment, notre groupe salue cette avancée. Cette reconnaissance se calque sur les identités plurielles des schémas familiaux qui existent déjà, de toute façon, en France.
Mais, nous le savons, l’adoption homoparentale est aujourd’hui semée d’embûches. Pour ce qui est de l’adoption internationale, les couples homosexuels doivent composer avec un nombre restreint de pays et, actuellement, seuls quelques États autorisent l’adoption pour des couples de même sexe.
Pour ce qui est de l’adoption sur le territoire français, certains conseils départementaux acceptent moins que d’autres – nous le savons également – les dossiers des couples de même sexe. Il existe de grandes disparités selon les territoires. Parfois, pour faire accélérer leur dossier, il est conseillé aux couples homosexuels d’adopter des enfants à particularités qui seraient « moins demandés » par les couples hétérosexuels ou par les célibataires. Ces discriminations sont intolérables.
Le présent amendement vise simplement à faire figurer dans la loi le principe de non-discrimination en raison de l’orientation sexuelle, du statut matrimonial, de l’identité de genre de l’un des membres du groupe ou du couple, et tend à inscrire au sein de notre droit commun un principe de non-discrimination en raison du mode de conception de l’enfant.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Le principe de non-discrimination existe et l’article 2, tel qu’il est rédigé, contribue très largement à le renforcer, puisqu’il ouvre l’adoption à tout type de couple et d’union. Je ne parle pas là, bien sûr, des couples homosexuels, qui peuvent d’ores et déjà adopter depuis la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
J’ajoute que le non-respect du principe de non-discrimination est même pénalement répréhensible, lorsque la discrimination est avérée, ainsi que le prévoient les articles 225–1 et 225–2 du code pénal.
Je ne vois donc pas ce que cet amendement ajoute au texte. L’avis est défavorable.
M. Stéphane Le Rudulier. Très bien !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Cet amendement nous semble satisfait, puisque le principe de non-discrimination est un principe général qui s’applique également en matière de filiation et d’adoption.
Je le rappelle, à la suite d’une affaire dans laquelle était impliqué le service adoption de Seine-Maritime, j’avais saisi l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) afin qu’elle mène une mission sur le sujet, ainsi que le Comité consultatif national d’éthique (CCNE). Cela a été dit lors de la discussion générale, l’existence d’une pratique discriminatoire avait bien été reconnue, mais aucun système général de discrimination n’avait été identifié, que ce soit au niveau de ce département ou globalement dans notre pays.
Pour autant, sur la recommandation de l’IGAS et du CCNE, j’avais demandé à ce que soit rédigée une charte nationale d’éthique que les préfets, dans chaque département, ont fait signer à chacun des membres des conseils de famille. Je tenais simplement à rappeler le droit, ni plus ni moins. Encore récemment, un certain nombre d’acteurs territoriaux m’ont confirmé qu’il avait été utile de faire signer cette charte et de rappeler ces principes.
Pour ces raisons et parce que j’ai bon espoir que le Sénat restaure, à l’article 14, la présence d’une personnalité qualifiée en matière de non-discrimination au sein du conseil de famille, je vous demande, madame la sénatrice, de bien vouloir retirer votre amendement.
Mme la présidente. Madame Vogel, l’amendement n° 1 est-il maintenu ?
Mme Mélanie Vogel. Oui, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 3, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 4
1° Remplacer les mots :
deux ans
par les mots :
un an
2° Remplacer le mot :
vingt-huit
par le mot :
vingt-cinq
II. – Alinéa 6
Rétablir le a dans la rédaction suivante :
a) Au premier alinéa, le mot : « vingt-huit » est remplacé par le mot : « vingt-cinq » ;
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Le présent amendement a pour objet d’abaisser l’âge minimum requis de la part des futurs adoptants de 28 à 25 ans, ainsi que, dans le cas de l’adoption par un couple, la durée minimale de communauté de vie de deux à un an.
Nous regrettons le choix de la rapporteure d’avoir proposé de supprimer l’abaissement d’âge qui était prévu. La philosophie de cet amendement est simplement de coller le plus possible à la réalité des couples hétérosexuels, qui peuvent procréer biologiquement et avoir un enfant au bout de neuf mois, parfois dès l’âge de 25 ans…
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Je note cette volonté de « coller à la réalité » des couples hétérosexuels. Mais il s’avère que le lien de filiation qui existe, lorsque l’on fait un enfant, et celui qui existe, lorsque l’on adopte un enfant, sont tout à fait différents et les pédopsychiatres l’expliquent assez aisément. Dans l’adoption, le lien de filiation est plus difficile à construire, et il l’est de plus en plus, parce qu’il y a beaucoup d’enfants – on l’a dit, répété, et chacun le sait – à besoins spécifiques.
Il ne s’agit donc pas de « coller à la réalité », puisque nous ne parlons pas de la même réalité.
L’article 2 prévoit un âge minimum requis de 28 ans ou la justification de deux ans de vie commune, disposition que l’Assemblée nationale avait effectivement modifiée. Nous y sommes revenus en commission : cet âge et ce délai paraissent plus raisonnables pour assurer la stabilité et la sécurité, qui sont nécessaires lorsqu’un lien de filiation adoptive doit s’établir.
L’avis est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. À l’Assemblée nationale, les débats ont été assez longs, à la fois sur la durée de vie commune et sur l’âge minimal requis. Je m’étais alors opposé au groupe majoritaire – ce sont des choses qui arrivent dans la vie d’un membre du Gouvernement… Je ne comprenais pas les raisons pour lesquelles nous devions modifier ces dispositions.
Je n’étais pas présent, lorsque la commission des lois du Sénat a décidé de rétablir le droit actuel, c’est-à-dire d’en rester au texte initial. Pour cette raison, je m’en remets à la sagesse du Sénat, en le laissant choisir quelle disposition approuver.
Mme la présidente. L’amendement n° 20 rectifié, présenté par MM. Marseille et Levi, Mmes Tetuanui et Dindar, MM. Laugier, Louault, Henno et Bonnecarrère, Mme Loisier, M. Cadic, Mmes Vermeillet, Sollogoub, Doineau et Férat, MM. Cigolotti, Vanlerenberghe et Kern, Mme de La Provôté, M. Moga, Mmes Devésa, Saint-Pé et Perrot, MM. Duffourg, Cazabonne, Le Nay et Lafon, Mme Billon et MM. Hingray et Longeot, est ainsi libellé :
Alinéa 19
Remplacer cet alinéa par cinq alinéas ainsi rédigés :
b) Le deuxième alinéa est remplacé par quatre alinéas ainsi rédigés :
« Toutefois, une nouvelle adoption peut être prononcée :
« 1° Soit après le décès de l’adoptant, ou des deux adoptants, soit encore après le décès de l’un des deux adoptants, si la demande est présentée par le nouveau conjoint, partenaire d’un pacte civil de solidarité ou concubin, du survivant d’entre eux ;
« 2° Soit après le divorce ou la séparation des adoptants, si la demande en adoption simple est présentée par le nouveau conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin, de l’un ou de l’autre des adoptants ;
« 3° Soit après le divorce ou la séparation des parents, si la demande en adoption simple est présentée par le nouveau conjoint, partenaire d’un pacte civil de solidarité ou concubin, de l’un des parents alors que l’enfant a déjà fait l’objet d’une première adoption simple vis-à-vis du nouveau conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin, de son autre parent. » ;
La parole est à Mme Brigitte Devésa.
Mme Brigitte Devésa. Cet amendement a pour objet de lever l’autre obstacle qui s’oppose à l’adoption simple d’un enfant ayant déjà bénéficié d’une adoption plénière : la prohibition des adoptions successives résultant de l’article 346 du code civil.
Le premier alinéa de cet article énonce l’interdiction des adoptions successives, tout en préservant la possibilité d’une adoption conjugale.
Le second alinéa de ce texte consacre un tempérament à cette interdiction, qui vise spécifiquement le cas du décès du ou des adoptants.
Pour que ce texte ne soit plus un obstacle à l’adoption simple d’un enfant adopté en la forme plénière par le nouveau conjoint de l’un des adoptants, un deuxième tempérament, prenant en compte la rupture du couple parental adoptif du vivant des adoptants, doit être associé à ce premier tempérament.
La Cour de cassation considère que cet article du code s’oppose à ce que l’enfant ayant déjà fait l’objet d’une adoption simple de la part du nouveau conjoint de l’un de ses auteurs puisse de nouveau faire l’objet d’une adoption simple de la part du nouveau conjoint de son autre auteur.
Pour que cet enfant dont la filiation résulte d’un lien biologique puisse, à la suite de la séparation de ses parents, être adopté en la forme simple par chacun des nouveaux conjoints de ses auteurs, l’amendement prévoit d’admettre que l’adoption d’un enfant ayant déjà bénéficié d’une première adoption simple par le nouveau conjoint de l’un de ses auteurs biologiques puisse faire l’objet d’une seconde adoption simple de la part du nouveau conjoint de son autre auteur.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Voilà un amendement assez technique ! (Sourires.)
Nous parlons de la situation dans laquelle un couple a adopté un enfant par adoption plénière. Ce couple se sépare et l’enfant est élevé par le nouveau conjoint d’un des deux membres du couple, voire par le nouveau conjoint de chaque membre du couple.
Il est demandé au travers de cet amendement que le nouveau conjoint puisse adopter cet enfant, qui a déjà fait l’objet d’une adoption plénière. La difficulté est que l’autre conjoint pourrait faire de même. Nous nous heurtons alors à un texte en vigueur interdisant que plus de deux « époux » – c’est le terme qui est encore utilisé, mais il faudra le changer pour l’élargir aux partenaires et aux concubins – puissent adopter l’enfant de cette façon.
Or personne, le Gouvernement pas plus que d’autres, n’a voulu, à ce stade, modifier ledit texte. La commission souhaite donc connaître l’avis du Gouvernement sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Le droit en vigueur permet, lorsque l’un des adoptants décède, que le nouveau conjoint du survivant puisse adopter l’enfant en la forme simple ou plénière.
L’amendement vise à étendre cette règle en cas de divorce ou de séparation des adoptants. Or suivre ce raisonnement reviendrait à permettre in fine qu’un même enfant puisse être adopté successivement par toutes les personnes qui seraient en couple avec ses premiers parents adoptifs.
Il ne sous semble pas être dans l’intérêt de l’enfant de multiplier ainsi les liens de filiation, potentiellement à l’infini ou presque. Son intérêt est en effet d’avoir, autant que faire se peut, des repères familiaux structurants et stables.
Le Gouvernement, dont vous souhaitiez connaître l’avis avant de vous prononcer, madame la rapporteure, est défavorable à cette extension des possibles…
Mme la présidente. Quel est donc l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Défavorable.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 63, présenté par Mme M. Jourda, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéas 21 et 22
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Il s’agit de rétablir la rédaction de l’article 353-1 du code civil, qui dispose : « Dans le cas d’adoption d’un pupille de l’État, d’un enfant remis à un organisme autorisé pour l’adoption ou d’un enfant étranger qui n’est pas l’enfant du conjoint de l’adoptant, le tribunal vérifie avant de prononcer l’adoption que le ou les requérants ont obtenu l’agrément pour adopter ou en étaient dispensés. »
L’article 2 de la proposition de loi tend à supprimer l’énumération des cas dans lesquels l’agrément est requis. Or c’est le seul article du code civil qui y fait référence : il est donc nécessaire à la lisibilité du droit. La nécessité de l’agrément est en effet un point essentiel de la procédure d’adoption.
Mme la présidente. L’amendement n° 67, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 22
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Dans le cas de l’adoption d’un pupille de l’État ou d’un enfant étranger qui n’est pas l’enfant du conjoint, du partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou du concubin de l’adoptant, le tribunal vérifie avant de prononcer l’adoption que le ou les requérants ont obtenu l’agrément pour adopter ou en étaient dispensés. » ;
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Je commencerai par dire à Mme la rapporteure que nous partageons l’esprit de l’amendement n° 63 qu’elle vient de présenter et que nous sommes sensibles à cet argument de lisibilité du droit.
L’article 353-1 est en effet la seule disposition du code civil qui dresse la liste des personnes devant être agréées pour pouvoir adopter. Supprimer une telle énumération serait de nature à entraver le travail des praticiens, ce qui n’est pas souhaitable.
Pour autant, il nous semble nécessaire d’adapter la rédaction de cet article, en tirant les conséquences de la discussion que nous avons et des articles de ce texte qui, je l’espère, seront adoptés. Il s’agit, d’une part, d’ajouter une référence aux partenaires pacsés et aux concubins, d’autre part, de supprimer la référence aux organismes autorisés pour l’adoption (OAA). En effet, le Gouvernement est favorable à l’amendement n° 32 rectifié, déposé à l’article 11 bis, lequel prévoit de supprimer la possibilité pour ces organismes de procéder au recueil d’enfants en France en vue de leur adoption – chacun a bien compris lors de la discussion générale qu’il y aurait débat sur ce sujet…
Ces débats n’ont pas encore eu lieu et je sais, madame la rapporteure, que vous êtes opposée à cette suppression. Je vous propose tout de même de retirer votre amendement au bénéfice de l’amendement n° 67 du Gouvernement qui vise à adapter la liste, d’une part, à l’ouverture de l’adoption à tous les types de couples, prévue à l’article 2 de la présente proposition de loi, d’autre part, aux dispositions qui sont inscrites à l’amendement n° 32 précité.
Mme la présidente. Madame le rapporteur, l’amendement n° 63 est-il maintenu ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Monsieur le secrétaire d’État, vous n’y songez pas sérieusement ; je le sais, vous galéjez ! (Sourires.)
Votre amendement, tel qu’il est rédigé, exclut les OAA des procédures d’adoption nationale. Or ce point, qui nous oppose, avait fait l’unanimité de la commission des lois.
Bien évidemment, non seulement je ne retire pas mon amendement – autant vous le dire ! –, mais j’émets au nom de la commission un avis défavorable sur le vôtre.
Mme la présidente. En conséquence, l’amendement n° 67 n’a plus d’objet.
L’amendement n° 21 rectifié, présenté par MM. Marseille et Levi, Mmes Tetuanui et Dindar, MM. Laugier, Louault, Henno et Bonnecarrère, Mme Loisier, M. Cadic, Mmes Vermeillet, Sollogoub, Doineau et Férat, MM. Kern, Vanlerenberghe, Cigolotti, Longeot et Hingray, Mme Billon, MM. Lafon, Le Nay, Cazabonne et Duffourg, Mmes Perrot, Saint-Pé et Devésa, M. Moga et Mme de La Provôté, est ainsi libellé :
Alinéa 27
Remplacer cet alinéa par six alinéas ainsi rédigés :
11° L’article 360 est ainsi modifié :
a) Le deuxième alinéa est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :
« L’adoption simple d’un enfant ayant fait l’objet d’une adoption plénière est permise dans les deux cas suivants :
« 1° S’il est justifié de motifs graves ;
« 2° Lorsqu’elle est demandée par le nouveau conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin de l’adoptant ou de l’un des adoptants désormais divorcés ou séparés. » ;
b) Au troisième alinéa, après le mot : « conjoint », sont insérés les mots : « , le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou le concubin » ;
La parole est à Mme Brigitte Devésa.
Mme Brigitte Devésa. À ce jour, si elle n’est pas totalement impossible, l’adoption simple d’un enfant ayant déjà bénéficié d’une adoption plénière se heurte à deux obstacles majeurs. Il s’agit, d’une part, de l’exigence de « motifs graves » prévue à l’article 360 du code civil, d’autre part, de la prohibition des adoptions successives résultant de l’article 346 du même code.
Il résulte du deuxième alinéa de l’article 360 du code civil que l’enfant ayant fait l’objet d’une adoption plénière par un couple ne peut, après la dissolution de ce couple, faire l’objet d’une adoption simple de la part du nouveau conjoint de l’un des adoptants que « s’il est justifié de motifs graves ».
L’amendement proposé ne conserve l’exigence de motifs graves pour l’adoption simple de l’enfant adopté en la forme plénière que dans les hypothèses où cette demande est justifiée par un échec de l’adoption plénière, qui s’est concrétisé par le désintérêt de l’adoptant vis-à-vis de l’enfant.
L’exigence de motifs graves est ainsi clairement séparée de l’hypothèse dans laquelle l’adoption simple intervient postérieurement à la rupture du couple des adoptants, à la demande du nouveau conjoint, partenaire ou concubin de l’un des adoptants.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Cet amendement est dans la droite ligne de celui que nous avons examiné précédemment sur la possibilité d’adoptions successives.
Je comptais demander l’avis du Gouvernement, mais l’ayant d’ores et déjà obtenu sur l’amendement n° 20 rectifié, j’émets un avis défavorable sur le présent amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Même avis pour les mêmes raisons que celles que j’ai exposées précédemment.
Par ailleurs, madame la sénatrice, sur le premier volet de votre amendement, à savoir l’adoption simple d’un enfant ayant déjà fait l’objet d’une adoption plénière, je précise que cette adoption simple est déjà possible en cas de motifs graves. L’amendement est donc satisfait par l’article 360 du code civil.
J’en profite pour dire, puisque j’ai la parole, que je ne désespère pas, madame la rapporteure, de faire changer d’avis une partie de l’hémicycle sur l’activité des OAA en France. (Ah ! sur le banc des commissions.) Car l’activité en France de certains de ces organismes s’oppose à tous les principes de non-discrimination que certains sénateurs ont pourtant mis en avant… Nous en reparlerons.
Mme Brigitte Devésa. Je retire l’amendement, madame la présidente !
Mme la présidente. L’amendement n° 21 rectifié est retiré.
L’amendement n° 2, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 34
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…° Après le premier alinéa du même article 365, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Par exception au premier alinéa, les droits d’autorité parentale peuvent être exercés conjointement par le ou les parents d’origine et l’adoptant, sous réserve de l’établissement d’un projet commun d’éducation signé par toutes les parties devant notaire et adressé par ce dernier au directeur des services de greffe judiciaires du tribunal judiciaire. » ;
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Le présent amendement vise à permettre un aménagement de l’autorité parentale dans le cadre de la procédure d’adoption simple.
Il est proposé que le ou les parents d’origine et le parent adoptif puissent exercer l’autorité parentale en commun, à condition de signer préalablement devant notaire un document, un projet commun d’éducation, précisant les modalités d’exercice de celle-ci par chacun des parents.
Une telle disposition devrait également permettre d’ouvrir l’adoption simple aux parents de familles recomposées qui le souhaiteraient, en particulier dans le cas où le beau-parent est amené à jouer un rôle important dans la vie de l’enfant, et pour les familles en coparentalité.
Cela heurtera peut-être certaines et certains d’entre vous ici, mais, qu’on le veuille ou non, la coparentalité fait partie des évolutions sociétales de notre pays : des sites de coparentalité voient le jour et cette pratique est observée depuis de nombreuses années. En tant que législateurs, nous devons reconnaître cette nouvelle forme de parentalité et offrir un cadre légal, un accompagnement et un encadrement aux parents qui font ce choix.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. L’amendement vise à ce que, en cas d’adoption simple, l’autorité parentale puisse être exercée en commun par les parents biologiques et les parents adoptants, ce qui me paraît d’une grande complexité.
M. le secrétaire d’État l’expliquera sans doute : si nous voulons la coparentalité, il faudra en décider clairement et non pas le faire au détour d’un amendement tendant au partage de l’autorité parentale qui, dans les faits, paraît compliqué.
L’avis est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. L’avis est défavorable, pour les raisons que vient d’exposer Mme la rapporteure.
L’adoption simple a pour effet de transférer tous les droits de l’autorité parentale aux parents adoptifs. Les adoptants sont les seuls titulaires de l’autorité parentale : ils doivent l’exercer seuls, dans l’intérêt de l’enfant.
En effet, le mineur adopté est accueilli par son ou ses parents adoptifs qui vont s’occuper de lui au quotidien, prendre toutes les décisions pour assurer sa protection et son éducation. Il appartient en conséquence aux parents adoptifs d’exercer seuls et pleinement l’autorité parentale, sans avoir à en référer à la famille d’origine.
Il serait en pratique bien délicat d’envisager un partage de l’exercice de l’autorité parentale entre parents d’origine et parents adoptifs, un partage qui aboutirait de facto à affaiblir le rôle des parents adoptifs. Telle n’est pas la philosophie de cette réforme, qui vise au contraire à renforcer et à valoriser l’adoption simple, dans la lignée de la loi de 2016.
L’exercice de l’autorité parentale par deux parents s’avère d’ores et déjà suffisamment complexe, notamment en cas de séparation, comme certains d’entre nous le savent. Ainsi, il n’y a pas lieu d’imaginer un exercice de l’autorité parentale par trois ou quatre parents, ni même par deux parents qui n’auraient jamais eu vocation à l’exercer ensemble. Une fois encore, l’enfant a besoin de repères.
Je rappelle enfin que, dans 90 % des cas, l’adoption simple s’effectue au profit de l’enfant du conjoint. Or, dans cette hypothèse, l’adoptant dispose de l’autorité parentale concurremment avec son conjoint et peut l’exercer, sous réserve d’une déclaration conjointe au tribunal judiciaire, comme le prévoit l’article 365 du code civil.
Je rejoins les propos que vous avez tenus à la fin de votre intervention, madame la rapporteure, sur la question de la coparentalité. Vous avez raison, il y a des situations dans lesquelles cette coparentalité s’exerce, mais ce sujet nécessiterait un débat plus large. Et s’il devait y avoir des évolutions législatives sur ce sujet, elles ne sauraient intervenir au détour d’un amendement déposé sur une proposition relative à l’adoption.
Mme la présidente. L’amendement n° 53, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 39, première phrase
Remplacer les mots :
à la loi qui régit les effets de leur mariage, de leur partenariat enregistré ou de leur concubinage
par les mots :
à la loi nationale commune des deux membres du couple au jour de l’adoption, ou à défaut, à la loi de leur résidence habituelle commune au jour de l’adoption, ou à défaut, à la loi du for
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. L’objectif de cet amendement, qui est quelque peu technique, mais néanmoins nécessaire, est de créer une règle de conflit de lois applicable à toutes les formes de couples qui adoptent, qu’il s’agisse d’époux, de partenaires ou de concubins.
L’enjeu est d’importance, car, lorsque la situation présentera un élément d’extranéité, cette règle de conflit de lois permettra au juge d’identifier la loi à appliquer pour vérifier si les conditions de l’adoption sont remplies.
Pour être clair, la solution retenue par le droit actuel n’est pas satisfaisante. D’une part, elle est incohérente pour les partenaires, car elle retient la loi du pays d’enregistrement du partenariat qui n’est pas nécessairement le pays avec lequel les partenaires ont le plus de liens. D’autre part, elle est inapplicable pour les concubins, car il n’existe pas de règle de conflit de lois portant sur les effets du concubinage : cela revient à priver d’effet l’ouverture de l’adoption à ces couples, qui est, vous l’avez compris, un objet de ce texte.
Par simplicité, cet amendement prévoit de retenir une règle de conflit de lois qui vaut pour toutes les formes de couples.
La loi applicable sera donc la loi nationale commune des deux membres du couple au jour de l’adoption ou, à défaut, la loi de leur résidence habituelle commune au jour de l’adoption ou, à défaut, la loi du for.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. L’avis est favorable.
Mme la présidente. Au vu de la brièveté de votre réponse, les arguments devaient être convaincants ! Nul besoin d’explication supplémentaire… (Sourires.)
Je mets aux voix l’amendement n° 53.
(L’amendement est adopté.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Muriel Jourda, pour explication de vote sur l’article.
Mme Muriel Jourda. Je vais essayer de faire preuve de clarté : je ne voterai pas l’article 2 à titre personnel, mais telle n’est pas la position de la commission, raison pour laquelle j’ai changé de place dans l’hémicycle afin d’exposer les raisons de mon vote. Je ne voudrais pas semer la confusion et que personne n’y comprenne plus rien, car il est probable que M. le président de la commission des lois votera l’article, contrairement à moi.
Si je suis hostile à cet article 2, qui étend la possibilité d’adopter aux personnes pacsées et aux personnes vivant en concubinage, c’est, comme je l’ai expliqué précédemment et comme cela est assez communément admis, parce que le lien de filiation est beaucoup plus difficile à mettre en œuvre pour des enfants adoptés. C’est particulièrement le cas aujourd’hui, car les enfants qui sont adoptés sont souvent des enfants à besoins spécifiques : enfants âgés, en fratrie ou qui ont des problèmes de santé soit psychiques, soit physiques. Il leur faut de la stabilité et de la sécurité.
Je ne prétends pas que le mariage soit plus stable et plus sûr, car on sait aujourd’hui que les séparations sont nombreuses, quelles que soient les formes d’union. Mais j’indique simplement que la séparation d’un couple marié implique nécessairement l’intervention d’un juge, d’un avocat ou des deux, à un moment où – il faut le dire – chaque membre du couple n’est pas au mieux de sa forme psychologique du fait de la rupture et où les enfants peuvent être de nouveau fragilisés. Le mariage me paraît être plus sécurisant dans ces circonstances.
C’est pourquoi cette extension ne me semble pas être dans l’intérêt de l’enfant, d’autant que, comme on l’a dit, il y a 10 000 agréments en France et très peu d’enfants adoptés : on ne privera donc pas les enfants d’une famille potentielle.
Je n’entends pas voter cet article en l’état, mais, je le répète, telle n’est pas la position de la commission.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. La position de la commission des lois est très claire : elle a voté à une large majorité l’article 2 dans la rédaction qui est proposée à notre assemblée. Elle invite donc nos collègues à en faire de même ce soir.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canévet, pour explication de vote sur l’article.
M. Michel Canévet. Puisque nous abordons des questions liées à l’adoption simple, je voudrais évoquer le problème des disparités fiscales.
Il n’est pas normal que le père biologique de deux enfants soit soumis à des régimes fiscaux différents selon qu’il fait une donation à un enfant qu’il a reconnu par une adoption simple ou à un enfant né dans le cadre d’un couple. Dans le premier cas, la donation est taxée à un taux d’environ 60 % ; dans l’autre, elle l’est au taux normal de 20 %. Ces disparités fiscales en matière de donations me paraissent tout à fait illogiques.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2, modifié.
(L’article 2 est adopté.)
Article 2 bis
(Supprimé)
Article 3
L’article 344 du code civil est ainsi modifié :
1° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’écart d’âge entre le plus jeune des adoptants et le plus jeune des enfants qu’il se propose d’adopter ne doit pas excéder cinquante ans. Toutefois, cette condition n’est pas exigée en cas d’adoption de l’enfant du conjoint. » ;
2° Après les mots : « d’âge », la fin du second alinéa est ainsi rédigée : « n’est pas conforme aux conditions prévues aux deux alinéas précédents. »
Mme la présidente. L’amendement n° 54, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 3, seconde phrase
Compléter cette phrase par les mots :
, du partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou du concubin
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. En votant l’article 3 de la proposition de loi, la commission des lois a omis – je m’excuse de le souligner – de tirer l’ensemble des conséquences de l’ouverture de l’adoption à tous les couples. Cet amendement tend à remédier à cet oubli, en ajoutant les partenaires et concubins.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Favorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 3, modifié.
(L’article 3 est adopté.)
Article 4
(Supprimé)
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 24, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
L’article 345 du code civil est ainsi rédigé :
« Art. 345. – L’adoption plénière n’est permise qu’en faveur des enfants âgés de moins de quinze ans, accueillis au foyer des adoptants depuis au moins six mois.
« Toutefois, l’adoption plénière peut être demandée jusqu’aux vingt et un ans de l’enfant si les conditions en sont remplies, dans les cas suivants :
« 1° Si l’enfant a fait l’objet d’une adoption simple avant l’âge de quinze ans ;
« 2° S’il était accueilli avant cet âge par des personnes qui ne remplissaient pas les conditions légales pour l’adopter ;
« 3° Dans les hypothèses prévues à l’article 345-1 ;
« 4° Dans les hypothèses prévues aux 2° et 3° de l’article 347 ;
« 5° En cas de motif grave.
« S’il a plus de treize ans, l’adopté consent personnellement à son adoption plénière. Ce consentement est donné selon les formes prévues au premier alinéa de l’article 348-3. Il peut être rétracté à tout moment jusqu’au prononcé de l’adoption. »
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Avec cet amendement, nous proposons le rétablissement de l’article 4 de la proposition de loi qui a pour objet d’élargir les dérogations à l’interdiction du prononcé d’une adoption plénière d’un enfant âgé de plus de 15 ans.
Si nous partageons un certain nombre de remarques de la commission, notamment sur des ambiguïtés juridiques, nous ne souhaitons pas pour autant rejeter l’ensemble du dispositif. Il semble en effet important de prévoir plusieurs dérogations dans l’intérêt de l’enfant ou, plus précisément, de l’adolescent ou du jeune adulte.
Actuellement, seules deux exceptions sont reconnues : lorsque l’enfant a été accueilli au foyer de l’adoptant avant l’âge de 15 ans par des personnes qui ne réunissaient pas les conditions pour adopter ou si l’enfant a fait l’objet d’une adoption simple avant d’avoir atteint le même âge. Dans ces hypothèses, l’adoption plénière est possible jusqu’à deux ans après sa majorité, et ce depuis 1996. L’enfant de plus de 13 ans doit consentir personnellement à son adoption, qu’elle soit plénière ou simple.
Pour rejeter cet article, la commission a estimé qu’il n’était pas consensuel et qu’il concernait un nombre limité de procédures. Elle a également soulevé le fait que la possibilité de prononcer l’adoption en cas de motif grave posait de trop sérieuses difficultés juridiques de par sa généralité et son imprécision.
Nous souhaitons, pour notre part, conserver ces possibilités dérogatoires à des situations très particulières : l’adoption de l’enfant du conjoint, d’un pupille de l’État ou encore en cas de délaissement.
Mme la présidente. L’amendement n° 28 rectifié, présenté par MM. Iacovelli, Mohamed Soilihi, Haye, Bargeton et Buis, Mme Cazebonne, M. Dennemont, Mmes Duranton et Evrard, MM. Gattolin et Hassani, Mme Havet, MM. Kulimoetoke, Lévrier, Marchand, Patient et Patriat, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud, Richard et Rohfritsch, Mme Schillinger, M. Théophile et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Le deuxième alinéa de l’article 345 du code civil est ainsi modifié :
1° Après les mots : « ou s’il a fait l’objet d’une adoption simple avant d’avoir atteint cet âge », sont insérés les mots : « , ou dans les hypothèses prévues à l’article 345-1 et aux 2° et 3° de l’article 347 » ;
2° Le mot : « deux » est remplacé par le mot : « trois ».
La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Si vous me le permettez, madame la présidente, je défendrai en même temps l’amendement n° 29 rectifié.
Mme la présidente. L’amendement n° 29 rectifié, présenté par MM. Iacovelli, Mohamed Soilihi, Haye, Bargeton et Buis, Mme Cazebonne, M. Dennemont, Mmes Duranton et Evrard, MM. Gattolin et Hassani, Mme Havet, MM. Kulimoetoke, Lévrier, Marchand, Patient et Patriat, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud, Richard et Rohfritsch, Mme Schillinger, M. Théophile et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Au deuxième alinéa de l’article 345 du code civil, après les mots : « ou s’il a fait l’objet d’une adoption simple avant d’avoir atteint cet âge », sont insérés les mots : « , ou dans les hypothèses prévues à l’article 345-1 et aux 2° et 3° de l’article 347 ».
Veuillez poursuivre, mon cher collègue.
M. Xavier Iacovelli. Les deux amendements que nous proposons à l’article 4 sont des amendements de compromis qui intègrent certaines réserves légitimes de notre rapporteure.
L’amendement n° 28 rectifié vise à rétablir l’extension des possibilités d’adoption plénière des enfants âgés de plus de 15 ans, mais dans des hypothèses mieux encadrées que dans la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale.
Dans l’intérêt des enfants et jeunes majeurs, cet amendement a deux objectifs : il étend la possibilité d’adoption plénière au-delà de 15 ans aux pupilles de l’État, aux enfants judiciairement déclarés délaissés et dans l’hypothèse de l’adoption par le conjoint, le partenaire ou le concubin du parent de naissance. Ces dispositions permettent de répondre à des situations qui posent des problèmes concrets : je pense notamment au cas où le délaissement est constaté tardivement, alors que l’adoption plénière par les personnes qui accueillent l’enfant au titre de l’aide sociale à l’enfance (ASE), parfois depuis son plus jeune âge, pourrait être conforme à l’intérêt de celui-ci.
Partageant la vigilance de la rapporteure, le présent amendement ne retient pas la possibilité d’adoption plénière au-delà de 15 ans en cas de motif grave, formulation qui nous paraît trop large.
Le second objet de l’amendement est de porter de 20 à 21 ans l’âge maximal pour bénéficier par dérogation d’une adoption plénière, en cohérence avec le seuil prévu par ailleurs pour certains dispositifs de prise en charge par l’ASE.
L’amendement n° 29 rectifié est un amendement de repli par rapport au précédent – par conséquent, il devrait nous rassembler assez largement.
Comme l’amendement n° 28 rectifié, il prend en compte les réserves initiales de la rapporteure et resserre par rapport au texte de l’Assemblée nationale les possibilités de dérogation au seuil de 15 ans, en ne retenant pas le motif grave qui nous paraît toujours trop large. Il permet l’extension des possibilités d’adoption plénière au-delà de 15 ans aux pupilles de l’État, aux enfants judiciairement déclarés délaissés et dans l’hypothèse de l’adoption par le conjoint.
Cet amendement s’en tient par ailleurs au droit en vigueur s’agissant de l’âge maximal de 20 ans prévu pour bénéficier, par dérogation, d’une adoption plénière.
Mes chers collègues, je vous demande de soutenir cet amendement de bon sens qui répond, comme je l’expliquais précédemment, à des situations concrètes qui nuisent à l’intérêt de l’enfant.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Vous l’avez compris, mes chers collègues, l’adoption plénière est possible jusqu’à 15 ans. Au-delà, le texte actuel prévoit quelques dérogations jusqu’à deux ans après la majorité, c’est-à-dire jusqu’à 20 ans.
Il vous est demandé, par ces amendements, de porter l’âge de la dérogation à 21 ans de façon plus ou moins large. La reprise du texte initial par l’amendement de Mme Assassi conduit à prévoir des dérogations tellement larges que le principe n’existe plus. M. Iacovelli, je dois le dire, a fait quant à lui un effort pour circonscrire ces dérogations.
Malgré tout, le dispositif qui me semble le plus adapté est l’adoption simple, s’agissant d’enfants qui ont 15, 17, 18 ou encore 20 ans. Les modalités actuelles sont suffisantes pour apporter une réponse aux cas qui se présentent, sans qu’il soit nécessaire de modifier les règles relatives à l’adoption plénière.
Par conséquent, l’avis est défavorable sur l’ensemble de ces amendements.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, l’un des objectifs de ce texte est d’accompagner les effets que la loi de 2016 commence à produire. Je pense notamment au délaissement qu’en pratique, comme je l’ai dit, les professionnels, qu’ils soient travailleurs sociaux, conseils de famille ou juges, commencent à demander ou à accorder.
Il s’avère que la possibilité d’adopter en adoption plénière au-delà de 15 ans dans le cas d’un délaissement n’est pas possible en l’état actuel du droit. C’est la raison pour laquelle nous voulons permettre l’adoption plénière, c’est-à-dire ouvrir une faculté supplémentaire. Pourquoi s’y opposer et se l’interdire ?
Mme Éliane Assassi. Tout à fait !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. La situation est la même s’agissant des pupilles de l’État : l’adoption plénière n’est pas possible aujourd’hui. Là aussi, ouvrons une nouvelle possibilité !
Je vous rappelle une fois encore que l’objectif du texte est d’accroître le nombre d’enfants adoptables afin de leur permettre d’engager un projet de vie, une reconstruction, dans un nouveau cadre familial.
Cela permettra de répondre à la situation dans laquelle des parents doivent attendre des années pour accomplir leur projet d’adoption en raison du grand nombre d’agréments délivrés.
Nous sommes donc favorables au rétablissement de l’article 4 dans la formulation de l’amendement n° 29 rectifié qui reçoit par conséquent un avis favorable du Gouvernement. L’âge de 20 ans, soit deux ans après la majorité, est déjà pris en compte par le droit civil. Restons-en là, ne changeons pas pour aller jusqu’à 21 ans, comme le prévoit l’amendement n° 28 rectifié.
Sur la question du motif grave, je rejoins la rapporteure et M. Iacovelli. Cette formulation est trop imprécise et la jurisprudence n’a pas eu à connaître de cas de motif grave qui aurait pu justifier une adoption plénière. Il existe donc un risque important d’insécurité juridique et d’inégalité de traitement, avec des appréciations qui pourraient être différentes d’un juge à l’autre. Cette notion étant large, vague et peu sûre juridiquement, nous sommes d’avis de ne pas la retenir.
Je vous propose donc, madame Assassi, de retirer votre amendement n° 24 au profit de l’amendement n° 29 rectifié de M. Iacovelli. Et je demande à M. Iacovelli d’en faire de même avec l’amendement n° 28 rectifié.
Mme la présidente. Madame Assassi, l’amendement n° 24 est-il maintenu ?
Mme Éliane Assassi. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 24 est retiré.
M. Xavier Iacovelli. Je retire l’amendement n° 28 rectifié !
Mme la présidente. L’amendement n° 28 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 29 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. En conséquence, l’article 4 demeure supprimé.
Article 5
Le titre VIII du livre Ier du code civil est ainsi modifié :
1° L’article 351 est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est ainsi modifié :
– les mots : « est réalisé par » sont remplacés par les mots : « prend effet à la date de » ;
– le mot : « abandonné » est remplacé par le mot : « délaissé » ;
b) Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les futurs adoptants accomplissent les actes usuels relatifs à la surveillance et à l’éducation de l’enfant. » ;
2° À l’article 361, la référence : « 350 » est remplacée par la référence : « 349 ».
Mme la présidente. L’amendement n° 49 rectifié, présenté par MM. Iacovelli, Mohamed Soilihi, Haye, Bargeton et Buis, Mme Cazebonne, M. Dennemont, Mmes Duranton et Evrard, MM. Gattolin et Hassani, Mme Havet, MM. Kulimoetoke, Lévrier, Marchand, Patient et Patriat, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud, Richard et Rohfritsch, Mme Schillinger, M. Théophile et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 7
Remplacer les mots :
relatifs à la surveillance et à l’éducation
par les mots :
de l’autorité parentale relativement à la personne
II. – Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :
…° Après le même article 361, il est inséré un article 361-… ainsi rédigé :
« Art. 361-…. – Le placement en vue de l’adoption est réalisé par la remise effective aux futurs adoptants d’un pupille de l’État ou d’un enfant déclaré judiciairement délaissé. »
La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Il s’agit là aussi d’un amendement de compromis, dont j’espère qu’il aura un destin plus favorable que le précédent. Il porte sur l’article 5 de la proposition de loi qui est relatif à la phase essentielle du placement.
L’amendement permet tout d’abord, par une modification rédactionnelle, de couvrir l’ensemble des actes réalisés par les futurs adoptants pendant cette période, tels que ceux relatifs à la santé de l’enfant.
Il vise ensuite, s’agissant de l’extension du placement à l’adoption simple, à tirer les conséquences d’une réserve légitimement exprimée par notre rapporteure, soulignant que la grande majorité des adoptions simples sont intrafamiliales et concernent des personnes majeures qui n’ont pas vocation à résider chez leurs futurs adoptants.
L’amendement prévoit donc, en cohérence avec cet état de fait et en s’attachant à l’intérêt de l’enfant, le placement en vue de l’adoption simple uniquement dans les cas d’adoption d’un enfant pupille de l’État ou d’un enfant déclaré judiciairement délaissé.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. L’amendement de M. Iacovelli revient sur ce qui était prévu dans le texte. Il s’agit de savoir à quel moment placer un enfant en vue de l’adoption.
Normalement, l’enfant est placé pendant six mois en vue d’une adoption plénière. Je vous rappelle que ce type d’adoption instaure un lien de filiation qui se substitue à tout autre lien de filiation qui existait auparavant.
Pour l’adoption simple, le texte prévoyait également un placement, ce qui posait un problème que vous avez mis en avant, mon cher collègue : il s’avère que ces adoptions sont souvent intrafamiliales et que 80,7 % des adoptés sont majeurs. Et on ne va pas placer des majeurs chez d’autres majeurs ! Le dispositif ne fonctionnait donc pas.
L’amendement vise à prévoir un placement dans des cas plus exceptionnels, mais également à revenir sur la définition donnée par la commission des actes qui peuvent être faits par les tiers auxquels un mineur est confié, en l’occurrence les futurs parents qui veulent adopter. Or nous ne souhaitons pas revenir sur cette définition.
C’est pourquoi l’avis est globalement défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Avant de donner mon avis, je tiens à dire que je suis surpris par le résultat du vote sur l’amendement n° 29 rectifié, même si j’entends bien qu’il correspond à l’avis de la commission.
Nous étions tous d’accord, mesdames, messieurs les sénateurs, pour dire, lors de la discussion générale, qu’il fallait rendre effectif le droit et favoriser les procédures de délaissement et l’adoptabilité. Mais quand vous avez la possibilité de le faire, vous votez contre… Je le redis, j’entends bien que c’était l’avis de la commission, qui en a débattu, et je le respecte évidemment. Je n’étais pas présent lors de votre discussion, et j’essaye de vous apporter quelques arguments : s’ils sont complètement balayés, je me demande à quoi je sers !
En réalité, nous ne sommes vraiment pas d’accord sur le fond du texte, et sur ce que nous voulons faire de l’adoption dans notre pays. Franchement, je suis assez surpris.
J’en viens à l’amendement n° 49 rectifié.
L’alinéa 7 de l’article 5, dans sa rédaction issue des travaux de la commission, prévoit que « les futurs adoptants accomplissent les actes usuels relatifs à la surveillance et à l’éducation de l’enfant ».
Qu’en est-il alors des actes qui ont trait, par exemple, à la santé de l’enfant ? Les parents qui vont adopter n’auraient pas la faculté de prendre une quelconque décision en la matière – c’est bien, concrètement, ce que prévoit le texte de la commission !
Pourtant, une notion juridique existe pour ce type de cas : les « actes usuels ». Je ne comprends pas pourquoi on essaye de créer une nouvelle catégorie, juridiquement assez aléatoire, qui empêchera les futurs parents de prendre, durant le processus d’adoption, les actes usuels ayant trait par exemple à la santé de l’enfant, puisque ceux-ci n’entrent pas dans les actes « relatifs à la surveillance et à l’éducation ».
L’avis du Gouvernement est donc favorable sur l’amendement n° 49 rectifié, qui vise à rétablir la notion juridique d’actes usuels.
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour explication de vote.
Mme Michelle Meunier. Monsieur le secrétaire d’État, je vous sens agacé, et je vous comprends. Mais à force de faire les choses dans le désordre, on en arrive là ! On parle ici d’actes usuels, sujet qui est aussi évoqué dans le projet de loi sur la protection des enfants qui devrait être examiné en décembre prochain, si tout va bien…
Certaines choses auraient pu bénéficier d’avancées, si l’on avait pris les choses dans l’ordre, en parlant d’abord de la protection de l’enfance et de l’enfant dans son parcours. Pour moi, l’adoption est un outil de la protection de l’enfance. (M. Christian Klinger applaudit.)
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Je suis d’accord avec vous sur la protection de l’enfance, madame la sénatrice. J’aurais bien voulu un grand texte global, mais je suis désolé de vous dire que vous mélangez un peu les choses !
Vous savez ce qu’il y a dans le projet de loi relatif à la protection des enfants, que vous avez examiné ce matin en commission. Le texte vise à donner aux enfants la vie la plus normale possible, la même que les autres enfants de leur âge, et d’éviter d’avoir à passer à chaque fois devant le juge, par exemple pour faire une sortie scolaire.
Le texte permettra au juge, au-delà des actes usuels tels qu’ils sont définis aujourd’hui par la jurisprudence, de dresser la liste des actes pour lesquels le gardien n’aura pas à repasser devant le juge pour demander une autorisation.
Mme la présidente. L’amendement n° 12, présenté par Mmes Harribey, Meunier et de La Gontrie, MM. Durain, Bourgi, Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Compléter cet alinéa par les mots :
à partir de la remise de celui-ci et jusqu’au prononcé du jugement d’adoption
La parole est à Mme Laurence Harribey.
Mme Laurence Harribey. Cet amendement permettra peut-être de corriger le fait que l’amendement n° 49 rectifié n’ait pas été adopté… Il s’agit d’un amendement rédactionnel qui vise à préciser les conditions et la période dans lesquelles l’autorité parentale s’exerce.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Cette précision est bienvenue. L’avis est donc favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Madame la sénatrice, vous n’y êtes pour rien – ou en tout cas vous n’êtes pas la seule visée –, mais je réitère mon opposition à cette expression d’actes usuels relatifs à la surveillance et à l’éducation de l’enfant.
Par ailleurs, il me semble que votre amendement est satisfait, puisqu’il n’existe aucune ambiguïté dans le texte sur le fait que les futurs parents adoptifs réalisent les actes usuels à compter de la remise effective de l’enfant et jusqu’à son adoption. C’est le principe même du placement en vue d’une adoption.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Nous n’avons pas les mêmes sujets de satisfaction…
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 5, modifié.
(L’article 5 est adopté.)
Après l’article 5
Mme la présidente. L’amendement n° 39 rectifié, présenté par M. Requier, Mme M. Carrère, MM. Artano et Bilhac, Mme N. Delattre et MM. Fialaire, Gold, Guérini, Guiol et Roux, est ainsi libellé :
Après l’article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 381-1 du code civil est complété par une phrase ainsi rédigée : « Lorsque le mineur est âgé de moins de trois ans, le délaissement est constaté au bout de six mois. »
La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Cet amendement vise à encourager au plus tôt la réalisation du projet de vie de l’enfant délaissé, en permettant aux institutions de protection de l’enfance de réagir plus rapidement, en particulier à un âge où l’enfant est le plus vulnérable.
Il s’agit plus précisément d’aménager la procédure de déclaration judiciaire de délaissement parental qui a été créée par la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant. Depuis sa mise en place, cette procédure est de plus en plus sollicitée : on comptait 508 demandes en 2017, 689 en 2018 et 803 en 2019.
Devant une telle situation, il nous semble opportun de réduire la période à l’issue de laquelle le délaissement parental d’un enfant de moins de 3 ans peut être déclaré sur le plan judiciaire. Ainsi, nous proposons qu’il puisse être prononcé au bout de six mois, et non plus au bout d’un an, comme actuellement. Nous connaissons, grâce aux études de neurosciences, la force structurante des trois premières années de vie pour le développement affectif de l’enfant.
Pour terminer, je précise qu’il ne s’agit pas d’écarter dans la précipitation l’enfant de sa famille biologique. À cet égard, la jurisprudence civile appliquée à la déclaration d’abandon est assez protectrice de l’intérêt de l’enfant, mais également de celui des parents qui auraient eu à connaître des difficultés passagères les conduisant à abandonner leur enfant avant finalement de le regretter. Cette proposition vise surtout les enfants qui sont véritablement délaissés.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Je ferai d’abord une observation d’ordre général qui vaudra pour tous les amendements présentés par le groupe RDSE ayant pour but de faciliter les procédures de délaissement des enfants pour qu’elles soient plus rapides.
Lors de l’examen de la proposition de loi de Josiane Costes qui avait fait l’objet d’un rapport de notre collègue Alain Marc, tous ces amendements avaient déjà été rejetés.
Nous avons estimé, et c’était ce qu’avait décidé le Sénat à l’époque où cette proposition de loi avait été adoptée, qu’un équilibre a été trouvé dans la loi pour éviter un maintien forcené du lien biologique contre toute évidence et ouvrir la possibilité d’adopter rapidement les enfants – la procédure de délaissement peut aujourd’hui être constatée au bout d’un an de délaissement de la part des parents.
Nous avions alors considéré, et la commission a la même position aujourd’hui, qu’il fallait conserver cet équilibre et ne pas hâter le processus au détriment de la famille biologique, laquelle ne pourra plus exercer ses droits au bout d’un an, si elle n’a pas été constante dans ses relations avec l’enfant.
L’avis est donc défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Mme la rapporteure a parlé d’équilibre : effectivement, dans ces matières, qui sont complexes et dans lesquelles il n’y a pas deux situations similaires, c’est souvent de cela qu’il s’agit. Et ces équilibres sont délicats !
Nous devons trouver un équilibre entre l’intérêt supérieur de l’enfant et le temps que l’on peut laisser à la famille pour se remobiliser – nous devons d’ailleurs lui laisser un certain temps pour cela.
Pour être très investi sur la question des 1 000 premiers jours, je sais que les neurosciences ont montré combien chaque mois compte à cet âge – je vous rejoins donc sur ce point, monsieur le sénateur.
Pour autant, le premier cercle de protection de l’enfant reste la famille et, par la politique de prévention et d’accompagnement que l’on doit mettre en œuvre, ce que je m’évertue à faire par ailleurs, nous devons permettre à la famille de se remobiliser.
Je vais être totalement transparent avec vous : nous avons eu des débats sur la possibilité de ramener le délai à six mois, mais finalement cela nous a paru trop court. L’équilibre actuel nous semble être le bon, d’autant que, comme je le disais, le nombre des demandes de délaissement parental et des accords octroyés est en augmentation assez forte depuis 2016.
À ce stade, nous sommes réservés sur une éventuelle évolution. L’avis est donc défavorable.
Mme la présidente. L’amendement n° 40 rectifié, présenté par M. Requier, Mme M. Carrère et MM. Artano, Bilhac, Fialaire, Gold, Guérini, Guiol et Roux, est ainsi libellé :
Après l’article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 381-2 du code civil est ainsi modifié :
1° À la deuxième phrase du premier alinéa, les mots : « , après que des mesures appropriées de soutien aux parents leur ont été proposées » sont supprimés ;
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Le tribunal statue dans le délai de deux mois après l’introduction de la requête, qui peut être réduit à un mois pour les mineurs de trois ans. »
La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Je ne me décourage pas, j’insiste même un peu ! Dans le même esprit que le précédent, cet amendement vise à apporter, dès leur plus jeune âge, un projet de vie aux enfants délaissés.
Il tend ainsi à fluidifier la procédure de déclaration judiciaire à deux niveaux, en supprimant le dispositif d’obligation préalable de proposer des mesures de soutien aux parents délaissants et en limitant à deux mois l’instruction des demandes de déclaration en délaissement par le juge – un mois dans le cas d’un mineur de moins de 3 ans.
Comme l’avait souligné – vous l’avez dit, madame la rapporteure – notre ancienne collègue Josiane Costes lors de l’examen l’année dernière par le Sénat de sa proposition de loi concernant les mineurs vulnérables, nous voulons privilégier l’intérêt de l’enfant sur celui des parents et tenter d’apporter une réponse, même modeste, à la décroissance du nombre d’enfants adoptables.
Certes, le Sénat s’était prononcé contre cette mesure, mais il se trouve que notre assemblée comprend de nouveaux élus et nous espérons bien faire évoluer les mentalités !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Pour les motifs évoqués précédemment, l’avis est défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. L’avis est également défavorable sur cet amendement, qui va encore un peu plus loin que le précédent.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 40 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 6
(Supprimé)
Mme la présidente. L’amendement n° 55, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Après l’article 343-2 du code civil, il est inséré un article 343-3 ainsi rédigé :
« Art. 343-3. – L’adoption plénière ou simple entre ascendants et descendants en ligne directe et entre frères et sœurs est prohibée. Toutefois, le tribunal peut prononcer l’adoption, s’il existe des motifs graves que l’intérêt du mineur commande de prendre en considération. »
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. La commission a supprimé l’article 6 de la proposition de loi au motif que l’expression « confusion des générations » qui y était utilisée n’avait pas de consistance juridique et qu’il était préférable de laisser le juge apprécier au cas par cas, si l’adoption intrafamiliale envisagée était conforme à l’intérêt de l’enfant.
Cet article visait effectivement à éviter des confusions intergénérationnelles qui, on le comprend aisément, peuvent porter atteinte au processus de construction ou de reconstruction d’un enfant.
Madame la rapporteure, je rejoins la commission sur un élément de votre analyse. Cette notion de « confusion des générations » est un peu vague et assez impropre. Elle ne permet pas de hiérarchiser les risques de confusion selon le degré de parenté.
Je vous propose de garder l’esprit de cette mesure, mais de remplacer la notion contestée par celles d’« ascendants et de descendants en ligne directe » et de « frères et sœurs ». Chacun comprend aisément que le fait que la grand-mère d’un enfant soit également sa mère ou que son grand frère soit également son père puisse entraîner une confusion dans ses repères familiaux, ce qui n’est pas souhaitable – je pense que nous nous rejoignons sur ce point.
Dans ces situations, si l’enjeu est de pouvoir prendre en charge un mineur dont les parents seraient décédés ou défaillants, il existe des dispositifs plus appropriés que l’adoption, par exemple la délégation de l’autorité parentale.
Toutefois, afin de tenir compte de rares exceptions pour lesquelles de telles adoptions intrafamiliales pourraient s’avérer conformes à l’intérêt du mineur, nous vous proposons dans cette nouvelle rédaction de prévoir un cas d’exception strictement encadré : le demandeur devra justifier de motifs graves et prouver que ces motifs sont propres à la personne du mineur et ne servent pas, par exemple, l’intérêt de la famille.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Nous sommes évidemment tout à fait d’accord avec l’esprit de cet amendement, mais il illustre un propos que je tiens souvent : en France, on a souvent tendance à considérer qu’un espace de liberté est en fait un vide juridique et on veut toujours y mettre du droit !
De la même manière que nous sommes tous d’accord sur ce sujet, les tribunaux n’ont aucune difficulté pour constater, en jurisprudence, qu’il n’est pas de bonne justice qu’un grand-père adopte son petit-fils ou qu’un frère adopte sa sœur.
Cela ne pose aucune difficulté, je le répète, et je ne vois pas pourquoi nous légiférerions sur des points qui ne posent pas de difficulté. La jurisprudence existe, elle a dégagé des exceptions de manière résiduelle, comme le fait d’ailleurs cet amendement.
Nous souhaitons laisser les choses en l’état ; l’avis de la commission est donc défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Je vais peut-être choquer la commission des lois et son président, mais la loi est aussi faite pour envoyer des signaux à la société.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. La société le sait !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. C’est exact, mais je vais évoquer un autre sujet dont on a beaucoup parlé ces derniers temps et qui me tient à cœur : l’inceste.
Vous trouverez peut-être le parallèle audacieux, mais l’inceste peut lui aussi conduire à des confusions de générations et, à l’occasion de la discussion d’une proposition de loi au printemps dernier, le Parlement a réaffirmé un strict interdit grâce à la loi, même si nous ne sommes pas allés jusqu’au bout de la logique, puisque nous n’avons pas interdit l’inceste entre adultes consentants.
La jurisprudence est peut-être très claire et les juges se débrouillent sûrement très bien, mais la loi sert aussi à marquer des interdits. En l’espèce, nous devons dire très clairement, au nom de la construction de l’enfant et de son intérêt supérieur, qu’il ne peut pas y avoir de confusion entre générations. C’est aussi cela le rôle de la loi ! (M. Xavier Iacovelli applaudit.)
Mme la présidente. En conséquence, l’article 6 demeure supprimé.
Article 7
(Supprimé)
Après l’article 7
Mme la présidente. Je suis saisie de sept amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L’amendement n° 5 rectifié est présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
L’amendement n° 23 est présenté par Mme Vérien.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le deuxième alinéa de l’article 370-3 du code civil est supprimé.
La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour présenter l’amendement n° 5 rectifié.
Mme Mélanie Vogel. Au nom de l’égalité de traitement entre tous les enfants, cet amendement vise à ouvrir la possibilité d’être adopté à tous les mineurs étrangers en ayant besoin, quelle que soit la loi de leur pays d’origine. Tous les enfants accueillis en France doivent bénéficier de protections et de droits équivalents.
Dans certains pays, notamment au Maghreb, l’adoption n’est pas reconnue. Les orphelins issus de ces pays sont recueillis par kafala, c’est-à-dire selon un système qui se rapproche d’une tutelle ou d’un transfert de l’autorité parentale. Avec ce système, l’enfant n’est cependant pas légalement un membre à part entière de la famille, ce qui cause un certain nombre de problèmes, y compris des discriminations traumatisantes au sein de la famille.
La Défenseure des droits nous a déjà invités à reconsidérer cette interdiction, en soulignant qu’elle contrevient aux obligations de la France découlant des droits de l’enfant énumérés par la convention des Nations unies de 1989, qui énonce que les États parties doivent prévoir pour les enfants une protection conforme à leur législation nationale.
Enfin, la comparaison avec d’autres pays montre que certains de nos voisins européens n’ont pas introduit de principe si prohibitif dans leur code civil. La Belgique, où je vis, a adopté en 2005 une position beaucoup plus ouverte, qui autorise l’adoption des enfants confiés par kafala sous des conditions précisément définies.
Au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, je vous demande de mettre fin à cette pratique et de permettre que des enfants qui vivent sur le sol français puissent être adoptés, même si la loi de leur pays d’origine ne le permet pas.
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour présenter l’amendement n° 23.
Mme Dominique Vérien. Il est identique à celui qui vient d’être défendu, mais je vais compléter le propos. Si une famille étrangère qui réside en France délaisse son enfant et que ce dernier est confié à l’aide sociale à l’enfance, pourquoi ne pas lui offrir la chance d’être adopté sur le seul motif qu’il n’est pas né dans la bonne famille et que sa famille n’a pas la bonne nationalité ?
Mme la présidente. Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 18 rectifié ter est présenté par MM. Favreau, Pellevat, D. Laurent, Laménie et Klinger, Mme Lassarade, M. Belin et Mme Joseph.
L’amendement n° 25 est présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au deuxième alinéa de l’article 370-3 du code civil, après le mot : « adoption », il est inséré le mot : « plénière ».
La parole est à M. Christian Klinger, pour présenter l’amendement n° 18 rectifié ter.
M. Christian Klinger. Cet amendement vise à permettre aux enfants confiés par une kafala judiciaire à des ressortissants français de pouvoir bénéficier d’une adoption simple, si le juge français constate que les conditions requises pour une telle adoption sont respectées et sont conformes à l’intérêt supérieur de l’enfant. Actuellement, l’adoption plénière comme l’adoption simple sont interdites.
La rédaction actuelle de l’article 370-3 du code civil précise que l’adoption d’un mineur étranger ne peut être prononcée si sa loi personnelle prohibe cette institution, sauf si ce mineur est né et réside habituellement en France. Du fait de cette interdiction, les enfants recueillis en France par kafala souffrent d’une précarité de leur statut juridique qui les prive des droits reconnus aux autres enfants susceptibles d’être adoptés. Cette situation n’est humainement pas acceptable et contrevient aux obligations internationales de la France au regard du respect dû aux droits de l’enfant énumérés par la convention des Nations unies de 1989.
En autorisant l’adoption simple, comme le préconise le Défenseur des droits, la solution proposée par cet amendement permettrait au juge français de vérifier si les conditions d’une telle adoption existent réellement et si les adultes qui ont accueilli l’enfant présentent toutes les garanties pour assurer son éducation.
En droit français, l’adoption simple, qui crée un lien de filiation additif, révocable, qui ne se substitue pas à la filiation biologique, mais qui au contraire la maintient, n’apparaît contraire ni à la lettre ni à l’esprit de la loi personnelle de l’enfant mineur étranger. Elle permettrait d’améliorer la situation des familles et enfants concernés.
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour présenter l’amendement n° 25.
Mme Michelle Gréaume. Nous revenons avec cet amendement sur le problème posé par la situation particulière des kafalas.
Le deuxième alinéa de l’article 370-3 du code civil opère en matière d’adoption internationale une distinction entre les mineurs étrangers qui résident en France selon que la loi de leur pays d’origine interdit ou autorise l’adoption. Cet alinéa dispose ainsi que l’adoption d’un mineur étranger ne peut pas être prononcée si sa loi personnelle prohibe cette institution, sauf si ce mineur est né et réside habituellement en France.
Cette distinction constitue une discrimination qui est préjudiciable à l’enfant. La France semble d’ailleurs être le seul pays européen à avoir introduit un principe prohibitif dans son code civil, alors que le législateur belge, par exemple, a choisi une orientation inverse, en autorisant le prononcé de l’adoption simple ou plénière.
Plus particulièrement, lorsqu’un enfant relève de la kafala, toute adoption est interdite, ce qui lui est préjudiciable et le conduit à devoir faire face à un certain nombre de difficultés matérielles. Depuis de nombreuses années, le Médiateur de la République et le Défenseur des droits sont à la recherche de solutions permettant de ne plus laisser ces enfants dans une situation aussi précaire, contraire aux droits de l’enfant.
Par cet amendement, nous proposons d’autoriser l’adoption simple pour les enfants liés par kafala. Une telle mesure va dans le sens de l’intérêt de l’enfant, que cette proposition de loi souhaite garantir.
Mme la présidente. Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 6 rectifié est présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
L’amendement n° 17 rectifié ter est présenté par MM. Favreau, Pellevat, D. Laurent et Laménie, Mme Lassarade, MM. Klinger et Belin et Mme Joseph.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 370-3 du code civil est ainsi modifié :
1° Le deuxième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « Dans l’intérêt supérieur de l’enfant, il peut être dérogé à ce principe de prohibition et l’adoption peut être autorisée par convention avec le pays d’origine du mineur. » ;
2° Après le même deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Dans l’année qui suit la promulgation de la loi n° … du … visant à réformer l’adoption, le Gouvernement adresse au Parlement un rapport sur les négociations internationales en vue de la conclusion de conventions permettant l’adoption de mineurs dont la loi personnelle prohibe cette institution. »
La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour présenter l’amendement n° 6 rectifié.
Mme Mélanie Vogel. Il s’agit d’un amendement de repli. Nous proposons que, dans le cas d’enfants ne pouvant pas être adoptés en France, car la loi de leurs pays d’origine l’interdit, l’on puisse déroger à ce principe grâce à l’établissement d’une convention conclue avec le pays concerné.
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Klinger, pour présenter l’amendement n° 17 rectifié ter.
M. Christian Klinger. Défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 46 rectifié bis, présenté par M. Requier, Mme M. Carrère et MM. Artano, Bilhac, Fialaire, Gold, Guérini, Guiol et Roux, est ainsi libellé :
Après l’article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le deuxième alinéa du même article 370-3 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Dans l’intérêt supérieur de l’enfant, il peut être dérogé à ce principe de prohibition et l’adoption peut être autorisée par convention avec le pays d’origine du mineur. »
La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Le groupe RDSE souhaite également que soit trouvé un statut aux enfants confiés par la justice d’un pays étranger à des Français. Ces enfants se retrouvent sans protection en cas de prohibition de l’adoption dans leur pays d’origine.
Cette situation a donné naissance à des contentieux et a conduit à des décisions parfois contraires. L’arrêt Fanthou de 1995 avait énoncé une décision de principe considérant que le consentement du représentant légal d’un pays prohibant l’adoption pouvait permettre à des parents français d’adopter. Deux ans plus tard, un autre arrêt avait remis en cause l’adoption d’un enfant au mépris de sa loi personnelle.
L’intervention du législateur n’est pas idéale sur ce point, puisque nous devons respecter la souveraineté des pays. Mais si cette discussion pouvait au moins encourager l’élaboration de conventions internationales, nous ferions un premier pas.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Je vais donner un avis global sur ces sept amendements.
Lorsqu’il s’agit d’un enfant étranger, le principe est que la loi qui s’applique est celle de sa nationalité, et non la loi française.
Il s’avère que, dans deux pays du Maghreb, le Maroc et l’Algérie, l’adoption n’existe pas. On ne peut donc pas adopter en France des enfants marocains ou algériens, car leur pays d’origine ne le permet pas. La seule procédure qui existe est la kafala, qui est une forme de délégation d’autorité parentale. Ces enfants peuvent être confiés à des familles en France, mais ils ne peuvent pas bénéficier d’une adoption.
Il me paraît difficile d’engager aujourd’hui notre pays sur la voie d’une dérogation à cette règle. Je ne suis pas sûre que nos débats conduisent à l’adoption de conventions internationales, mais il est possible que de telles mesures existent un jour, auquel cas elles s’appliqueront. Pour l’instant, ce n’est pas le cas.
Les enfants qui vivent durant plusieurs années en France peuvent bénéficier d’une procédure d’acquisition de la nationalité française. Leur loi personnelle devient de ce fait la loi française et leur adoption est alors possible.
Il me semble qu’il convient de ne pas déroger au principe d’une application de la loi personnelle de l’enfant et de nous en tenir à la possibilité que le droit français offre à ces enfants d’acquérir la nationalité française, afin de devenir dès lors adoptables par la famille dans laquelle ils sont accueillis.
La commission est donc défavorable à l’ensemble de ces amendements.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Le Gouvernement émet le même avis. J’ajoute, en ce qui concerne les amendements nos 6 rectifié, 17 rectifié ter et 46 rectifié bis, que la hiérarchie des normes nous semble satisfaire leur objectif.
Comme cela a été expliqué par Mme la rapporteure, la règle posée par le législateur en 2001 au deuxième alinéa de l’article 370-3 du code civil est respectueuse du statut personnel de l’enfant et permet d’éviter que la filiation établie en France ne soit pas reconnue à l’étranger. Cela permet d’éviter les adoptions que l’on appelle « boiteuses ».
Par ailleurs, cette règle est respectueuse de la souveraineté du pays d’origine de l’enfant et ne vient pas imposer à l’État étranger nos propres politiques en matière d’adoption.
En ce sens, notre législation s’inscrit bien, alors même que vous avez été nombreux à évoquer les conventions internationales, dans l’esprit de la convention de La Haye de 1993 qui laisse le soin au pays d’origine de l’enfant de contrôler son adoptabilité.
Vous souhaitez par ces amendements permettre l’adoption d’un enfant, alors que sa loi personnelle la prohibe. Une telle approche ne tient pas compte de la loi du pays d’origine de l’enfant et est contradictoire avec l’engagement international de la France, dont elle s’honore, de respecter le statut personnel de l’enfant.
La Cour de cassation l’a d’ailleurs confirmé dans un arrêt rendu en février 2009.
Cette disposition est également conforme à la convention de New York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l’enfant, qui reconnaît que la kafala est respectueuse de l’intérêt de l’enfant. Elle ne méconnaît pas davantage le droit au respect de la vie familiale de l’enfant, protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Vous aurez compris que nous entendons respecter les conventions internationales. J’ajoute que la kafala est une mesure légale d’accueil de l’enfant qui n’emporte aucun effet sur sa filiation d’origine et qui ne peut donc pas être assimilée à une adoption simple. Comme vous le savez, la kafala n’ouvre pas de droit à la succession, laisse la possibilité de se marier – nous parlions tout à l’heure des confusions de générations… – et est suspendue à la majorité de l’enfant.
Avec la kafala, l’État d’origine n’autorise pas l’adoption, même simple. Il convient de respecter cela. Ce principe qui vient de la charia se retrouve dans certains pays seulement. Respectons la loi personnelle des enfants !
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est défavorable à l’ensemble de ces amendements.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 5 rectifié et 23.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 18 rectifié ter et 25.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 6 rectifié et 17 rectifié ter.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 46 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. L’amendement n° 7 rectifié, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Après l’article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 370-5 du code civil est ainsi modifié :
1° À la troisième phrase, les mots : « peut être » sont remplacés par le mot : « est » ;
2° Est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « L’adoption plénière régulièrement prononcée ou retranscrite dans un pays membre de l’Union européenne produit en France les effets d’une adoption plénière lorsque au moins l’un des membres du couple est de nationalité française. »
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Cet amendement vise à ce qu’une adoption plénière régulièrement prononcée ou retranscrite dans un État membre de l’Union européenne produise en France les effets d’une adoption plénière, lorsque au moins l’un des deux membres du couple est de nationalité française.
J’ai déposé cet amendement afin de répondre à une situation particulière dont j’ai été informée : celle d’un couple vivant en Espagne, avec un père espagnol et une mère française, qui ont adopté une petite fille de nationalité russe. L’Espagne a reconnu l’adoption comme plénière, la fille de ce couple, aujourd’hui devenue grande, est donc pleinement reconnue comme leur enfant en Espagne et elle a acquis la nationalité espagnole. Mais il se trouve que la France ne reconnaît pas l’adoption prononcée en Russie comme plénière et refuse donc de la retranscrire, ce qui ne permet pas d’ouvrir le droit à la nationalité française pour cet enfant.
Ainsi, un couple franco-espagnol a un enfant pleinement reconnu dans un pays de l’Union européenne, mais pas en France. C’est pour résoudre ce problème que j’ai déposé cet amendement, et j’espère que vous le soutiendrez.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Je crains fort que nous ne le soutenions pas, parce que ce que vous proposez est difficile à mettre en œuvre.
Vous proposez qu’une adoption simple, c’est-à-dire une adoption qui laisse subsister deux liens de filiation, dont celui avec la famille d’origine, se transforme en une adoption plénière, c’est-à-dire en adoption qui écrase tous les liens de filiation existants.
Telle est la teneur de votre amendement. Lorsque la première adoption consentie maintient tous les liens de filiation, il me paraît difficile de les faire disparaître dans le cadre d’une transcription.
L’avis de la commission est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Le Gouvernement émet le même avis.
Notre droit pose le principe selon lequel une adoption prononcée à l’étranger ne peut produire en France les effets d’une adoption plénière qu’à la condition qu’elle rompe de manière complète et irrévocable le lien de filiation préexistant.
Peu importe, finalement, comment cette filiation serait qualifiée par la juridiction étrangère. Peu importe surtout que les adoptants soient de nationalité française. Le juge français doit seulement se demander à quoi les parents de naissance ont consenti. S’ils n’ont pas consenti à une rupture complète et irrévocable de leur lien de filiation, l’adoption produira nécessairement en France les effets d’une adoption simple. Il y va du respect d’un des principes fondateurs du droit de l’adoption.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 7 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 8
Après l’article 348-6 du code civil, il est inséré un article 348-7 ainsi rédigé :
« Art. 348-7. – Le tribunal peut prononcer l’adoption, si elle est conforme à l’intérêt de l’adopté, lorsque le mineur âgé de plus de treize ans ou le majeur protégé est hors d’état d’y consentir personnellement, après avoir recueilli l’avis du représentant légal ou de la personne chargée d’une mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne. » – (Adopté.)
Article 9
Le code civil est ainsi modifié :
1° Le dernier alinéa de l’article 357 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Si l’enfant est âgé de plus de treize ans, son consentement est requis. » ;
2° (Supprimé)
Mme la présidente. Je suis saisie de six amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 26, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéas 2 et 3
Remplacer ces alinéas par trois alinéas ainsi rédigés :
1° Le dernier alinéa de l’article 357 est ainsi rédigé :
« Sur la demande du ou des adoptants, le tribunal peut ajouter à l’état civil des enfants un prénom choisi par le ou les adoptants. Si l’enfant est âgé de plus de treize ans, son consentement est requis. » ;
2° À la seconde phrase du premier alinéa de l’article 363, le mot : « majeur » est remplacé par les mots : « âgé de plus de treize ans ».
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Cet amendement porte sur une question importante : le consentement de l’adopté pour la modification de son nom ou de son prénom.
S’agissant du nom, la commission a supprimé la nécessité du consentement de l’enfant à compter de 13 ans, inscrite dans la proposition de loi. Aujourd’hui, si l’adopté de plus de 13 ans peut refuser que son nom soit substitué à son nom d’origine, il ne peut pas refuser l’adjonction du nom de l’adoptant au sien. Seul un majeur le peut.
La présente proposition de loi visait à soumettre cette adjonction à l’accord de l’enfant de plus de 13 ans. Nous estimons qu’il s’agit d’une mesure opportune, nous proposons donc de la rétablir, 13 ans étant l’âge supposé du discernement. Il semble juste et acceptable de laisser à l’enfant le choix de son patronyme, sans y voir une forme de défiance ou de remise en cause de l’adoption.
Il nous semble que cette mesure va dans l’intérêt de l’enfant. Imposer un changement de nom à un enfant de plus de 13 ans pourrait à l’inverse remettre en cause la nécessaire confiance dans la relation entre l’adopté et l’adoptant.
Concernant le prénom, les dispositions de la proposition de loi prévoient que, dans le cas d’une adoption plénière ou simple, le tribunal puisse modifier le prénom de l’enfant à la demande des adoptants. L’article 9 de la proposition de loi tend à introduire le consentement de l’enfant de plus de 13 ans pour ce changement. C’est une bonne chose, mais nous proposons d’aller un peu plus loin : plus qu’une modification des prénoms, c’est une adjonction de prénom qui devrait se faire sans que le prénom initial puisse jamais être gommé, ce qui reviendrait à nier les origines de l’enfant.
Mme la présidente. Les trois amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 9 est présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
L’amendement n° 14 est présenté par Mmes Harribey, Meunier et de La Gontrie, MM. Durain, Bourgi, Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 19 rectifié bis est présenté par MM. Favreau, Pellevat, D. Laurent, Laménie et Klinger, Mme Lassarade, M. Belin et Mme Joseph.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
âgé de plus de treize ans
par les mots :
capable de discernement
La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour présenter l’amendement n° 9.
Mme Mélanie Vogel. Cet amendement a pour objet de retenir la notion de discernement, plutôt qu’une limite d’âge, pour recueillir le consentement d’un enfant à son changement de nom ou de prénom.
Un âge minimal de 13 ans semble trop restrictif et il ne prend pas en compte les particularités de chaque enfant. Dans toutes les procédures le concernant, un mineur doué de discernement a le droit d’être entendu, comme le consacre l’article 12 de la convention de New York relative aux droits de l’enfant du 26 janvier 1990, selon lequel « les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité ». Je crois que nous pouvons être d’accord sur le fait que son prénom fait partie des questions « intéressant » l’enfant !
Je ne comprends pas bien pour quels motifs les parents d’un enfant adopté de 12 ans qui ne voudrait pas changer de prénom pourraient eux procéder à un tel changement… Le prénom est un élément important de la construction de l’enfant et de son identité sociale. Il me paraît inconcevable de ne pas entendre celui-ci sur le choix de ses prénoms dès qu’il est capable de discernement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Harribey, pour présenter l’amendement n° 14.
Mme Laurence Harribey. Il est défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Klinger, pour présenter l’amendement n° 19 rectifié bis.
M. Christian Klinger. Il est défendu !
Mme la présidente. L’amendement n° 15, présenté par Mmes Harribey, Meunier et de La Gontrie, MM. Durain, Bourgi, Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Le discernement est la conscience de l’acte commis, de ses conséquences et la capacité à en apprécier la nature et la portée.
La parole est à Mme Laurence Harribey.
Mme Laurence Harribey. Cet amendement s’inscrit dans la logique du précédent. Nous souhaitons ici préciser la définition du discernement. Puisque nous utilisons ce terme dans l’amendement n° 14, il est important de le définir.
Mme la présidente. L’amendement n° 30 rectifié, présenté par MM. Iacovelli, Mohamed Soilihi, Haye, Bargeton et Buis, Mme Cazebonne, M. Dennemont, Mmes Duranton et Evrard, MM. Gattolin et Hassani, Mme Havet, MM. Kulimoetoke, Lévrier, Marchand, Patient et Patriat, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud, Richard et Rohfritsch, Mme Schillinger, M. Théophile et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Rétablir le 2° dans la rédaction suivante :
2° À la seconde phrase du premier alinéa de l’article 363, le mot : « majeur » est remplacé par les mots : « âgé de plus de treize ans ».
La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Lors de l’examen du texte en commission, l’exigence du consentement de l’enfant de plus de 13 ans adopté en forme simple pour l’adjonction du nom de l’adoptant a été supprimée.
Cette disposition s’inscrit pourtant dans la logique ayant conduit le législateur à exiger le consentement personnel de l’enfant âgé de plus de 13 ans pour des actes marquants, par exemple pour sa propre adoption.
Nous proposons de rétablir le consentement pour l’adjonction du nom, qui est un véritable fait marquant dans la vie d’une personne, afin de prendre en compte à sa juste valeur la parole de l’enfant de plus de 13 ans faisant l’objet d’une adoption simple.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur l’ensemble de ces amendements ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Aujourd’hui, lorsqu’un enfant change de prénom dans le cadre d’une adoption, parce que ses parents le souhaitent, ce qui n’entre pas nécessairement en conflit avec l’intérêt de l’enfant, et qu’il est âgé de plus de 13 ans, son accord est requis.
La commission s’est opposée à la nécessité de recueillir le consentement de l’enfant adopté en forme simple en cas d’adjonction du nom du parent adoptif, parce que l’essence même de l’adoption simple est de créer deux filiations. Quand l’enfant accepte l’adoption, il accepte de fait que les deux filiations soient reconnues et que les deux noms soient accolés. Lui demander son consentement, c’est finalement nier l’adoption simple.
La commission est donc défavorable aux amendements nos 26 et 30 rectifié.
Les autres amendements entendent supprimer la limite d’âge de 13 ans pour viser les enfants « capables de discernement ». Certes, la notion de discernement est utilisée en droit de la famille, mais on y demande « l’accord » d’un enfant de plus de 13 ans et « l’avis » d’un enfant faisant preuve de discernement. Ce n’est pas du tout la même chose et je vous propose de nous tenir à cette distinction.
L’avis de la commission est donc défavorable sur les amendements identiques nos 9, 14 et 19 rectifié bis.
Enfin, je salue l’esprit d’économie circulaire du groupe socialiste, puisque le dispositif de l’amendement n° 15 a aussi été présenté hier dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure. L’avis n’en reste pas moins défavorable. (Sourires.)
Mme Michelle Meunier. Et il reviendra !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Je rejoins la rapporteure sur la différence entre la notion de discernement et la limite d’âge de 13 ans, qui doit rester la référence.
L’amendement n° 30 rectifié vise à demander l’accord de l’enfant en cas d’adjonction du nom de l’adoptant, s’il a plus de 13 ans.
Ce n’est pas la double filiation née de l’adoption simple que vous nieriez, si vous ne votiez pas cet amendement, c’est la parole de l’enfant ! Or il est temps que, dans ce pays, sur cette question comme sur beaucoup d’autres, l’on prenne davantage en considération la parole de l’enfant.
Je suis désolé de le dire, mais nous devons sortir de la conception traditionnelle patrimoniale de l’enfant. Dans notre pays, nous avons, pendant des décennies, fait de l’enfant un objet. Faisons-en enfin un sujet de droit !
Refuser à un enfant de plus de 13 ans de s’exprimer et de donner son accord pour l’adjonction du nom de l’adoptant à son nom d’origine revient à nier la parole de l’enfant. Et vous y concourrez, mesdames, messieurs les sénateurs, si vous n’adoptez pas cet amendement, qui tend à rétablir le texte initial – je le regretterais.
Le Gouvernement émet donc un avis favorable sur l’amendement n° 30 rectifié et un avis défavorable sur l’ensemble des autres amendements en discussion commune.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 9, 14 et 19 rectifié bis.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 4, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Lorsqu’un enfant né avant l’entrée en vigueur de la présente loi est issu d’une procréation médicalement assistée dans le cadre d’un projet parental commun de deux femmes mais que la mère désignée dans l’acte de naissance de l’enfant s’oppose sans motif légitime à l’établissement du lien de filiation à l’égard de l’autre femme, celle-ci peut, dans un délai de trois ans à compter de la publication de la présente loi, demander l’adoption de l’enfant. L’absence de lien conjugal et la condition de durée d’accueil prévue au premier alinéa de l’article 345 du code civil ne peuvent être opposées à cette demande. Le tribunal prononce l’adoption si celle-ci est conforme à l’intérêt de l’enfant. L’adoption entraîne les mêmes effets, droits et obligations qu’en matière d’adoption de l’enfant du conjoint, du partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou du concubin.
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Le présent amendement a pour objet de rétablir l’article 9 bis, supprimé par la commission, sur proposition de son rapporteur.
Cet article autorisait l’adoption de l’enfant par sa mère d’intention lorsqu’un couple de femmes a eu recours à l’assistance médicale à la procréation (AMP), mais que la femme ayant accouché s’oppose à la reconnaissance conjointe de l’enfant devant le notaire. Il s’agissait de permettre au juge de régler un conflit au sein d’un couple séparé, conformément à l’intérêt de l’enfant, et de permettre à la mère d’intention, engagée dans un projet parental qui n’a rien à voir avec le couple, mais qui concerne bien l’enfant, de conserver sa filiation avec l’enfant à naître.
Les avocats spécialisés en droit de la famille ont déjà eu à traiter ce genre de contentieux. Il semble nécessaire d’améliorer la procédure d’adoption pour ces mères.
Cette mesure permet également de se rapprocher du statut des couples hétérosexuels : à situation égale, lorsque deux personnes se séparent pendant une grossesse, être le père de l’enfant n’est jamais nié à l’homme. Nous voulons exactement la même chose pour les couples de femmes.
Mme la présidente. Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 31 rectifié est présenté par MM. Iacovelli et Mohamed Soilihi.
L’amendement n° 47 est présenté par Mme Benbassa.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Lorsqu’un enfant né avant l’entrée en vigueur de la présente loi est issu d’une procréation médicalement assistée réalisée à l’étranger dans les conditions prévues par la loi étrangère et dans le cadre d’un projet parental commun de deux femmes mais que la mère désignée dans l’acte de naissance de l’enfant s’oppose sans motif légitime à l’établissement du lien de filiation à l’égard de l’autre femme, celle-ci peut, dans un délai de trois ans à compter de la publication de la présente loi, demander l’adoption de l’enfant. L’absence de lien conjugal et la condition de durée d’accueil prévue au premier alinéa de l’article 345 du code civil ne peuvent être opposées à cette demande. Le tribunal prononce l’adoption si celle-ci est conforme à l’intérêt de l’enfant. L’adoption entraîne les mêmes effets, droits et obligations qu’en matière d’adoption de l’enfant du conjoint, du partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou du concubin.
La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour présenter l’amendement n° 31 rectifié.
M. Xavier Iacovelli. Le débat que nous avons sur cet article est technique, mais il doit être considéré à la hauteur de son importance pour un certain nombre d’enfants conçus par le recours de l’AMP.
Cela vient d’être dit, le droit français ne prévoit pas de mécanisme d’établissement de la filiation à l’égard de la femme qui n’a pas accouché, lorsque celle qui a accouché s’oppose à la reconnaissance conjointe devant notaire.
L’article 9 bis du texte, dont je demande le rétablissement, instituait un recours transitoire à l’adoption pour la femme qui n’a pas accouché, en cas de refus, sans motif légitime, de celle qui a accouché, de procéder à une reconnaissance conjointe.
Ce dispositif transitoire était encadré par plusieurs garanties, que nous proposons de rétablir : la femme qui n’a pas accouché doit apporter la preuve que l’enfant est issu d’une AMP réalisée à l’étranger, dans le respect des conditions prévues par la loi étrangère, et qu’il existait un projet parental commun avec la femme qui a accouché. En outre, l’intervention du juge est prévue pour décider de l’établissement du second lien de filiation, conformément à l’intérêt de l’enfant.
Cette disposition est indispensable pour sécuriser la filiation des enfants dans des situations délicates que le droit en vigueur ne couvre pas.
Mme la présidente. L’amendement n° 47 n’est pas soutenu.
L’amendement n° 56, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Pour une durée de trois ans à compter de la promulgation de la présente loi, lorsque, sans motif légitime, la mère inscrite dans l’acte de naissance de l’enfant refuse la reconnaissance conjointe prévue au IV de l’article 6 de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique, la femme qui n’a pas accouché peut demander l’adoption de l’enfant, sous réserve de rapporter la preuve du projet parental commun et de l’assistance médicale à la procréation réalisée à l’étranger dans les conditions prévues par la loi étrangère, sans que puisse lui être opposée ni l’absence de lien conjugal ni la condition de durée d’accueil prévue au premier alinéa de l’article 345 du code civil. Si le refus de la reconnaissance conjointe est contraire à l’intérêt de l’enfant, le tribunal prononce l’adoption. Celle-ci entraîne les mêmes effets, droits et obligations qu’en matière d’adoption de l’enfant du conjoint, du partenaire d’un pacte civil de solidarité ou du concubin.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Cet amendement vise à rétablir l’article 9 bis de la proposition de loi, afin de permettre à une femme d’adopter l’enfant issu d’une AMP réalisée à l’étranger, malgré le refus de la mère qui a accouché. Ce sujet a été largement évoqué lors de la discussion générale.
Actuellement, le droit français ne prévoit pas de mécanisme d’établissement de la filiation à l’égard de la femme qui n’a pas accouché, lorsque celle qui a accouché s’oppose à la reconnaissance conjointe devant notaire, en cas de recours à l’AMP avant l’entrée en vigueur de la loi relative à la bioéthique.
Nous proposons donc de rétablir l’article 9 bis afin de prévoir le recours à l’adoption pour la femme qui n’a pas accouché, malgré la séparation du couple et le refus de la femme qui a accouché de recourir au dispositif transitoire de la reconnaissance conjointe, prévu au IV de l’article 6 de la loi précitée.
Ce dispositif transitoire paraît indispensable pour régler la situation de couples de femmes ayant eu recours à une AMP à l’étranger et s’étant séparés de manière conflictuelle depuis le projet parental commun.
Le dispositif proposé prévoit que le juge établira le lien de filiation à l’égard de la seconde femme, malgré l’opposition de celle qui a accouché et qui est désignée comme mère dans l’acte de naissance. Dans la mesure où il s’agit d’imposer un second lien de filiation, la simple opposition de la femme qui a accouché ne pourra suffire : le juge devra s’assurer que son refus n’a pas de motif légitime.
L’adoption ne sera prononcée que si ce refus n’est pas légitime et si, bien évidemment, elle est conforme à l’intérêt de l’enfant, ce qui reste notre seule boussole.
Par ailleurs, vous vous en souvenez, le Gouvernement avait pris cet engagement fort lors de la discussion du projet de loi relatif à la bioéthique dans cet hémicycle et à l’Assemblée nationale. Nous le respectons aujourd’hui.
Madame la rapporteure, lors de la discussion générale, vous vous demandiez où était l’intérêt de l’enfant. Il se trouve dans la sécurisation de sa filiation, raison pour laquelle l’adoption de ce régime transitoire nous semble absolument nécessaire.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Avant le 2 août dernier, les couples de femmes qui souhaitaient avoir un enfant avaient recours à la procréation médicalement assistée, ou PMA, à l’étranger. Dans ces conditions, il n’y avait pas de reconnaissance d’une double filiation, sauf à ce qu’existe un accord pour que la femme n’ayant pas accouché adopte l’enfant.
Depuis, il est possible de recourir à la PMA en France. Dans ce cas, les deux femmes reconnaissent l’enfant. Un dispositif transitoire a été instauré par cette même loi du 2 août afin que les femmes ayant eu recours à la PMA à l’étranger puissent procéder de la même façon, c’est-à-dire reconnaître l’enfant relevant d’un projet commun.
Ce qui vous est proposé ici, mes chers collègues, n’est pas – pardon de le dire – de défendre l’intérêt de l’enfant, mais de régler un conflit persistant entre deux femmes qui n’ont pu recourir à la reconnaissance conjointe, probablement parce que la mère biologique de l’enfant s’y oppose, et qui sont désormais en conflit. Ainsi, ce qui vous est demandé n’est ni plus ni moins que de procéder à une adoption forcée, à l’encontre de l’avis de la mère biologique de l’enfant. Comment prétendre qu’il serait de l’intérêt de l’enfant de procéder à une telle adoption, contre la volonté de sa propre mère ?
Selon moi, les dispositions transitoires prévues par la loi du 2 août suffisent. Il peut rester des conflits, mais il n’appartient pas à la loi relative à l’adoption de les régler. Encore une fois, je ne vois pas en quoi cette disposition servirait l’intérêt de l’enfant. Pour reprendre ce qui nous a été dit en commission, il s’agit simplement de régler un conflit entre deux femmes. Cette question relève d’une affaire familiale ; ce n’est ni le but ni l’objet de l’adoption.
Pour ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur ces amendements.
M. Olivier Paccaud. Très bien !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements nos 4 et 31 rectifié ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Le Gouvernement demande le retrait des amendements nos 4 et 31 rectifié au profit du sien.
Nos amendements procèdent du même esprit, madame Vogel, monsieur Iacovelli, mais les vôtres ne comportent pas de référence au mécanisme de reconnaissance conjointe prévu au IV de l’article 6 de la loi relative à la bioéthique et ne tendent pas à préciser que ce dispositif transitoire vaut pour les AMP réalisées à l’étranger. Le nôtre étant plus précis, je vous demande de bien vouloir retirer vos amendements.
Par ailleurs, si je puis me permettre, madame la rapporteure, la notion d’intérêt de l’enfant me paraît être à géométrie variable…
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Je vous le confirme !
Mme Éliane Assassi. Exact !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Vous dites ne pas comprendre où est l’intérêt de l’enfant dans cette affaire, qu’il ne s’agit que de la résolution d’un conflit entre deux personnes, mais cet enfant est né dans le cadre de ce qu’on appelle le projet parental,…
Mme Éliane Assassi. Tout à fait !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. … qui concerne bien les deux personnes dont nous parlons. Sécuriser la filiation de l’enfant né dans le cadre de ce projet parental, avec ses deux mères, même s’il apparaît qu’elles se sont ensuite séparées, est bien dans son intérêt.
M. Xavier Iacovelli. Je retire mon amendement, madame la présidente !
Mme la présidente. L’amendement n° 31 rectifié est retiré.
Mme Mélanie Vogel. Je retire également mon amendement, madame la présidente !
Mme la présidente. L’amendement n° 4 est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 56.
(L’amendement n’est pas adopté.)