Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous débutons l’examen en séance du projet de loi de finances pour 2022. Comme il est de tradition, je rappellerai qu’il succède à plusieurs semaines d’analyse approfondie du volet budgétaire et fiscal de ce texte en commission, depuis sa présentation en Conseil des ministres le 22 septembre dernier.
Le rapporteur général, les rapporteurs spéciaux et les rapporteurs pour avis ont conduit un nombre considérable d’auditions pour se forger une opinion sur tous les aspects de ce budget, et je veux saluer leur engagement à l’ouverture de nos débats.
Cet engagement est d’autant plus méritoire que, dès l’origine, il nous a été indiqué que le budget 2022 serait complété « au fur et à mesure » des arbitrages présidentiels sans considération du temps nécessaire aux parlementaires pour évaluer les mesures nouvelles soumises à leur vote.
L’Assemblée nationale a ainsi été invitée à ouvrir pas moins de 34 milliards d’euros de crédits pour le plan France 2030 par voie d’amendement, un mois et demi après la présentation du projet de loi de finances, sans étude d’impact et avec une idée très schématique de la manière dont ils seront dépensés.
« Faites-nous confiance » – cela me rappelle la chanson du Livre de la jungle, « Confiance, aie confiance… » (Sourires.) – semble nous dire le Gouvernement, considérant manifestement qu’il n’appartient pas aux parlementaires d’examiner sérieusement l’opportunité d’engager ces dépenses.
Tout au plus pourrons-nous « plancher » a posteriori sur leur exécution, car nous en avons le droit. Cette méthode contrevient aux fondements mêmes de l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 aux termes duquel les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, et de la consentir librement, autrement dit de manière éclairée.
Au-delà de ce rappel de principe, j’en viens aux caractéristiques essentielles de ce projet de loi de finances, telles qu’elles apparaissent aujourd’hui.
Tout d’abord, ce budget est marqué par le retour bienvenu de la croissance, avec une estimation à hauteur de 4 % en 2022, après une croissance qui pourrait atteindre 6,75 % à 6,8 % cette année, si l’on en croit les dernières prévisions de la Banque de France. Certes, le PIB a fortement chuté en 2020 et retrouve tout juste son niveau de 2019, mais chacun pourra se réjouir du redémarrage de l’économie, même si celui-ci reste soumis à de nombreux aléas tant sanitaires qu’économiques et même s’il faut bien reconnaître que nous avons définitivement perdu près de 5 % de croissance entre 2020 et 2021.
Dans ce contexte, nous devons rester attentifs, d’une part, à consolider la croissance en ne mettant pas fin brutalement au soutien budgétaire, qui a d’ailleurs en partie contribué à l’alimenter, et, d’autre part, à ne pas laisser de côté certains de nos concitoyens. La hausse des prix de l’énergie et plus généralement le retour de l’inflation pèsent sur le budget des ménages les plus modestes, ce qui justifie un accompagnement ciblé, qui doit aller au-delà d’une aide ponctuelle.
À cet égard, l’indemnité inflation relève plus d’une solution ponctuelle que d’une réponse construite au défi posé par une hausse des prix qui risque de se poursuivre en 2022. Eurostat a estimé le taux d’inflation dans la zone euro au mois d’octobre dernier à 4,1 % sur un an, soit le taux le plus haut depuis 2008, et le chiffre atteint 6,2 % aux États-Unis. Il n’est pas possible à ce stade de savoir à quel moment aura lieu la décélération et les ménages constatent dès aujourd’hui l’effet de l’inflation sur leur pouvoir d’achat.
La crise que nous avons traversée a aussi eu des répercussions très fortes sur la jeunesse. Le contrat d’engagement jeune qui se substituerait à la garantie jeunes pour environ 400 000 jeunes sans emploi ni formation ou études n’est pas à la hauteur des enjeux, comme nous le savons tous. Il s’agit par ailleurs d’une réponse très tardive, dont l’entrée en vigueur est prévue en mars 2022, alors même que nous avions mis le sujet sur la table au Sénat dès le premier semestre 2020.
Le budget 2022 voit la plupart des missions budgétaires augmenter, ce qui ne surprend guère en période préélectorale. Le déficit s’établirait encore à 5 % du PIB en 2022, bien au-dessus de l’objectif de 3 %, et la dette s’élèverait à 113,5 % du PIB.
Messieurs les ministres, heureusement que nous n’avons pas pu voter dès 2019 la proposition de loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques de MM. Woerth et Saint-Martin, car vous auriez été hors-jeu dès la première année !
Cependant, dans son rapport du 9 novembre dernier, le Fonds monétaire international (FMI) conseille d’ores et déjà à la France – il le fait sans qu’on lui ait demandé quoi que ce soit –, après l’élection présidentielle, « d’entreprendre un rééquilibrage progressif mais global des finances publiques » pour réduire son endettement. Et le FMI de considérer que « la poursuite des réformes déjà prévues, telles que celles des retraites, de l’assurance chômage et de la fonction publique, contribuerait considérablement au rééquilibrage nécessaire ».
Je regrette que ces préconisations sur les seules dépenses, qui rejoignent d’ailleurs celles de la Cour des comptes, omettent le fait qu’un budget résulte toujours d’un équilibre entre recettes et dépenses.
Le ministère des finances a lui-même calculé que ce quinquennat se sera traduit par près de 50 milliards d’euros d’allègement de la pression fiscale, dont la moitié sur les ménages et l’autre sur les entreprises.
Il est dommage que ces baisses d’impôt aient été faites à crédit. Ainsi, vous vous réjouissiez de la baisse des prélèvements obligatoires, monsieur le ministre. Vous avez toutefois oublié d’indiquer que cette baisse, que l’on aurait pu saluer si elle avait consisté à répartir une partie de la croissance, se traduisait en réalité par une hausse de la dette.
Pour les ménages, les réductions fiscales ont, nous le savons tous, d’abord profité aux catégories sociales les plus aisées. Les entreprises ont vu leur facture s’alléger sans contrepartie, qu’il s’agisse de la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés, mesure dont nous comprenons parfaitement l’esprit, ou de celle des impôts de production, dont nous ne partageons pas la philosophie.
Récemment, France Stratégie, confirmant les analyses que nous avions faites, a reconnu ne pas pouvoir démontrer que la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ou la création de la flat tax ait permis une réorientation de l’épargne vers le financement de l’économie. Nous sommes loin du « ruissellement » promis – si les services du Premier ministre le disent eux-mêmes, comment ne pas les croire ?
Enfin, malgré les annonces de l’OCDE, tout reste encore à construire en matière d’imposition des multinationales, notamment des entreprises du numérique, même si une première étape vient d’être passée, ce qui va dans le bon sens.
En conclusion, il me semble important pour le redressement à moyen terme de nos finances publiques, d’une part, de mettre fin au « désarmement fiscal » auquel il a été procédé au cours de ce quinquennat, afin de renforcer l’équité entre les citoyens et entre les générations ; d’autre part, de préparer l’avenir en veillant à ne pas sacrifier les dépenses durablement favorables à la croissance économique, au progrès social et environnemental, dans la lignée de la position exprimée par la Commission sur l’avenir des finances publiques. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE. – Mme Sophie Taillé-Polian applaudit également.)
Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie, par MM. Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° I-559.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de finances pour 2022 (n° 162, 2021-2022).
La parole est à M. Éric Bocquet, pour la motion.
M. Éric Bocquet. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous voici arrivés au jour de l’ouverture de l’examen du projet de loi de finances pour 2022.
Il s’agira du dernier budget du quinquennat de M. Macron, aussi nous paraît-il judicieux de tirer un bilan global de ces cinq années. Nos collègues de la majorité sénatoriale eurent, il y a quelques semaines de cela, des mots très durs à l’endroit du présent budget. Voici, en effet, ce que vous déclariez, mes chers collègues : « Le Gouvernement n’envisage plus le projet de loi de finances que comme un bout de torchon et il ajoute ensuite des mesures au fur et à mesure. Mais la réponse est non. Ce n’est pas comme cela qu’on gère la France. »
J’ajoute cette seconde déclaration : « C’est vrai qu’on peut se poser la question de savoir si cela vaut la peine de perdre trois semaines pour corriger les imperfections d’un budget indécent ».
Notre groupe, lors de la discussion générale, déclinera ses propositions par la voix de nos collègues, Pascal Savoldelli, d’une part, et Céline Brulin, d’autre part, pour le volet particulier des collectivités.
Pour l’instant, afin d’expliquer ce qui nous a motivés à déposer cette question préalable, je tâcherai d’établir l’état des lieux de notre pays et de la société française au terme de ce quinquennat.
Notre pays reste profondément fracturé sur le plan social. La décision très emblématique du Gouvernement de supprimer l’ISF a finalement été un échec politique cuisant. C’est une étude récente de France Stratégie qui nous le dit. Le ruissellement annoncé ne s’est pas produit. Par contre, les revenus des 0,1 % les plus riches de notre pays ont explosé. Or cette mesure était censée « favoriser la croissance de notre tissu d’entreprises, stimuler l’investissement et l’innovation ».
S’il y a bien eu croissance, elle a surtout concerné le patrimoine des 500 plus grosses fortunes de France, qui a quasiment doublé sous le quinquennat de M. Macron, ce qui permit au magazine Challenges, en juillet dernier, de titrer : « Classement des fortunes de France : cru record en pleine année Covid ». Plus on est riche en France, plus on s’est démesurément enrichi. Si la fortune des 500 premiers milliardaires a crû de 30 %, celle des cinq premiers a grimpé de 45 % !
L’instauration du prélèvement forfaitaire unique a incontestablement eu des effets, puisqu’elle a entraîné une hausse de 60 % des dividendes distribués, les faisant passer de 14,3 milliards en 2017 à 23,2 milliards d’euros en 2018, et la hausse s’est poursuivie en 2019.
De plus, l’étude précitée indique que cette augmentation des dividendes est de plus en plus concentrée sur la population. En 2018, 0,1 % des foyers fiscaux, soit 38 000 personnes environ, ont perçu les deux tiers des montants totaux et les ultrariches, soit 0,01 % des foyers fiscaux ou 3 800 personnes, qui en captaient un cinquième, en ont reçu le tiers.
Tel est, mes chers collègues, le bilan vu du côté des patriciens ; tournons-nous désormais du côté des plébéiens. Voyons où en est la France des fins de mois difficiles, celle où la moindre dépense imprévue peut faire basculer dans la précarité.
Dans notre pays, en effet, un Français sur cinq a du mal à joindre les deux bouts. Est considéré comme pauvre celui dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté, fixé à 60 % du niveau de vie médian, soit aujourd’hui 1 063 euros pour une personne seule, à un peu moins de 200 euros du montant net du SMIC quand on y songe, mes chers collègues… Pas moins de 14,6 % de la population survit dans ces conditions.
Au-delà des statistiques froides, ce sont des situations humaines difficiles, parfois dramatiques, qu’il nous faut considérer. Un tiers de la population française puise dans ses économies pour boucler son budget et la moitié se déclare au moins en difficulté de logement, selon l’Insee.
En France, 2,3 millions de personnes vivent avec au mieux 735 euros par mois pour une personne seule et 4 millions de ménages doivent se contenter de minima sociaux, ce qui représente plus de 6 millions de personnes si l’on inclut les conjoints et les enfants.
Il y a aussi toutes celles et tous ceux qui connaissent l’insécurité alimentaire. Cette année, 5 millions de nos concitoyennes et concitoyens ont eu recours à l’aide alimentaire. La Fondation Abbé Pierre indiquait, dans un rapport publié la semaine dernière, que deux Français sur dix ont froid chez eux.
Certains allument le chauffage quand la température des chambres tombe sous les 14 degrés. Les 20 % des ménages les plus modestes consacrent 16 % de leurs revenus aux dépenses énergétiques, quand pour les 20 % des ménages les plus aisés le chiffre tombe à 4,5 %.
Certes, le Gouvernement se targue d’avoir rendu 24 milliards d’euros aux ménages. Il nous faut analyser ces données avec beaucoup de précision. En valeur absolue, ce sont bien les ménages les plus aisés qui ont bénéficié de ces gains, les ménages modestes n’étant pas ciblés par la suppression de la taxe d’habitation notamment, puisque, parmi les 20 % des ménages les plus pauvres, environ la moitié ne payait pas cette taxe.
Quand on examine la situation des retraités, on découvre des perdants qui ont subi l’augmentation de la contribution sociale généralisée (CSG) en début du quinquennat et le quasi-gel des pensions. Précarité et pauvreté restent à un niveau très élevé dans notre pays. Peu de personnes arrivent à en sortir durablement et une partie importante de la population éprouve de plus en plus de difficultés à faire face aux dépenses courantes.
Au surplus, la plupart du temps, les améliorations proviennent d’opérations reposant sur des primes ou des exonérations quand la vraie réponse passerait par une hausse durable et sensible des salaires et des pensions. Comment s’étonner, dans ce contexte, que la question des salaires et du pouvoir d’achat soit devenue la première préoccupation de nos concitoyens ?
Or vous choisissez ce moment pour mettre en œuvre la réforme de l’assurance chômage, en vue de réaliser des économies budgétaires !
Votre saupoudrage de mesures ne peut suffire à constituer une réponse efficace à la problématique du pouvoir d’achat.
L’augmentation des prix de l’énergie et le léger sursaut d’inflation inquiètent légitimement le pays. Ainsi, 56 % des Français estiment que leur pouvoir d’achat a plutôt diminué sous la présidence de M. Macron.
Entre des classes moyennes et populaires insatisfaites, à 64 % et 56 % respectivement, et des classes aisées qui le sont bien moins, à seulement 19 %, l’image du « président des riches » est un véritable sparadrap.
À l’évidence, il n’y a pas eu dans ce quinquennat de réelle volonté de s’attaquer aux profondes inégalités qui traversent notre société. Les laisser ainsi s’accroître, c’est courir un très grand risque social et politique.
Oui, nous restons convaincus que l’impôt juste, équitable et progressif est une arme efficace contre ces problèmes. Nous pensons utile de rétablir un ISF rénové et renforcé. À celles et ceux qui disent que ce n’est pas avec cette seule mesure que l’on va redresser la France, nous rappellerons que les 5,2 milliards d’euros de recettes que cet impôt produisait avant sa suppression sont à mettre en regard des budgets présentés dans ce projet de loi de finances pour 2022 : 2,7 milliards d’euros pour l’agriculture, 3 milliards d’euros pour la culture, 1,6 milliard d’euros pour la jeunesse et la vie associative, 2,4 milliards d’euros pour les outre-mer, ou encore 4,9 milliards d’euros pour l’aide publique au développement. Ce budget ne prévoit aucune mesure fiscale nouvelle, alors que les besoins auxquels nous devons faire face sont immenses.
La question de savoir qui va payer la dette publique ne peut que renforcer notre inquiétude. En effet, la dette est l’argument absolu utilisé depuis longtemps par les gouvernements successifs pour justifier ce qu’ils désignent comme « la maîtrise » de la dépense publique – en réalité, il faut comprendre qu’il s’agit de sa « réduction ».
Le Gouvernement, après avoir fait le choix incontournable du « quoi qu’il en coûte » face à la pandémie s’apprête à présenter la facture aux Français. Cela a commencé avec la réforme de l’assurance chômage. Emmanuel Macron, président-candidat ou candidat-président, a déjà donné des gages aux libéraux sur « l’incontournable » réforme des retraites, qu’il mettrait en œuvre, dit-il, dès 2022… Nous voilà tous prévenus !
Pour ce dernier budget du quinquennat, les choix attendus par le pays n’ont à l’évidence pas été faits. Vous n’abandonnez pas le dogme de la baisse draconienne des dépenses publiques, prévue dans le cadre du programme de stabilité, puisque celle-ci constitue la contrepartie aux réductions d’impôts qui profitent aux plus fortunés de nos concitoyens. Vous proposez donc d’économiser sur la santé, le logement, les aides personnalisées au logement (APL), l’assurance chômage…
Un État fort doit être capable d’agir grâce à des marges budgétaires importantes, issues des recettes fiscales qu’il voudra se donner. Les Pandora Papers viennent de braquer une nouvelle fois les projecteurs sur l’argent soustrait aux caisses de l’État. Le Gouvernement avait annoncé, lors de ces révélations, qu’il procéderait à des vérifications. Au même moment, Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances, réagissait vigoureusement face à ses homologues européens en donnant son accord pour que les Seychelles soient retirées de la liste des paradis fiscaux… Toujours cette ambivalence qui illustre le manque d’une véritable volonté politique du Gouvernement de s’attaquer radicalement à ce scandale de notre temps !
Pourtant, les sommes en cause dans ces différentes révélations sont absolument vertigineuses. Votre action, globalement, s’apparente davantage à un saupoudrage cosmétique qu’à une intervention en profondeur. Ce budget devrait mobiliser les crédits nécessaires aux grands investissements de la transition écologique. La récente COP26 de Glasgow a montré à quel point des moyens financiers considérables devaient être engagés.
Consacrer 10 milliards d’euros par an à la rénovation des bâtiments publics et des logements permettrait par exemple de réduire la consommation énergétique des ménages, donc leur facture.
Cinq années après le vote du premier budget de votre quinquennat, ce dernier projet de loi de finances s’inscrit dans les standards de la philosophie macroniste. En 2022, la baisse des impôts se poursuivra. Les plus riches gagneront encore 5 milliards d’euros grâce au dégrèvement de la taxe d’habitation et les plus grandes entreprises bénéficieront de l’abaissement à 25 % du taux de l’impôt sur les sociétés.
Nous savons que la possibilité de présenter une motion portant question préalable est une idée qui a traversé l’esprit de plusieurs de nos collègues de la majorité sénatoriale. Il ne s’agit pas de faire l’école buissonnière ; notre groupe soumet donc cette motion au débat. C’est toute la logique de cette construction budgétaire qu’il convient de rejeter. Il incombe désormais à chacune et chacun d’entre nous de s’exprimer sur le sujet, en pleine lucidité et en pleine responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SER.)
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Pour répondre aux arguments développés par Éric Bocquet, je précise que nous sommes un certain nombre, sur les travées de cette assemblée, à partager des observations qui ont été formulées ; à l’inverse, nous sommes aussi un certain nombre, notamment dans le groupe Les Républicains, à ne pas approuver les raisons qui motivent le dépôt de cette motion.
C’est la raison pour laquelle la commission a décidé, ce matin, de rejeter la motion.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bruno Le Maire, ministre. M. Bocquet s’est fait le procureur du bilan du quinquennat – il est dans son rôle – et je m’en ferai l’avocat, en montrant, je l’espère, un peu plus de finesse et de justesse d’analyse qu’il ne l’a fait (Protestations.), et davantage d’honnêteté quant à la réalité du pays.
Je suis le premier à constater, dans ma circonscription et lors de mes déplacements, que des millions de Français sont encore dans la difficulté, que le taux de pauvreté reste trop élevé pour un pays développé comme le nôtre, que nos concitoyens sont des millions à avoir du mal à joindre les deux bouts, à s’inquiéter de l’augmentation du prix du gaz et de l’électricité, à compter chaque euro dans les dépenses quotidiennes – je sais tout cela, bien entendu.
Cependant, le bilan que nous tirons de ce quinquennat, avec Olivier Dussopt, c’est que nous avons ouvert des perspectives pour les Français et que nous avons amélioré la vie de millions d’entre eux qui cherchaient un travail, qui en ont trouvé et qui bénéficient, à l’heure où je vous parle, d’une meilleure rémunération que celle dont ils pouvaient disposer au début du quinquennat. (Mme Laurence Cohen proteste.)
Mme Éliane Assassi. Les Français n’ont donc plus à s’inquiéter !
M. Bruno Le Maire, ministre. La lutte contre les inégalités est au cœur de ce que nous voulons construire politiquement et notre stratégie consiste à aller nous attaquer aux inégalités en les prenant à la racine.
La divergence d’analyse est ici intéressante : alors que vous voulez tout corriger par l’impôt, nous voulons le faire par l’éducation, la formation et la qualification.
Vous croyez à une redistribution toujours plus forte dans un pays dont le taux d’imposition est le plus élevé de tous les pays développés et où une immense majorité de Français ont exprimé un ras-le-bol fiscal salutaire. L’augmentation des impôts ne peut pas être une solution dans une Nation où le taux de prélèvements obligatoires est le plus élevé de tous les pays développés. Si les impôts faisaient le bonheur des gens, nous serions la Nation la plus heureuse de la planète ; ce n’est pas le cas.
Je conteste donc votre proposition politique, car j’estime que c’est la voie qui a été empruntée pendant des décennies et des décennies, et qui a contribué au malheur français. Quand vous retirez à ceux qui travaillent une trop grande partie du produit de ce travail, ne vous étonnez pas que le désespoir, le malheur et la désespérance se développent dans notre pays.
Mme Laurence Cohen. C’est plutôt là le fruit de votre politique !
M. Bruno Le Maire, ministre. Nous avons pris les problèmes à la racine. Nous avons dédoublé les classes dans les zones d’éducation prioritaire, nous nous sommes attachés à donner une chance à tous ceux qui en avaient le moins, au départ, dans leur situation scolaire. Désormais, 300 000 enfants sont dans des classes de douze élèves, alors qu’ils étaient auparavant dans des classes de vingt-cinq ou trente élèves. Cette chance est offerte à chacun d’entre eux pour réduire les inégalités et cela donne des résultats.
Nous n’avons pas laissé de côté les plus fragiles. L’étude de l’Institut des politiques publiques à laquelle vous faites référence omet un certain nombre de données, notamment le fait que nous avons, en 2018, augmenté l’intégralité des minima sociaux.
On estime que parce que la décision a été prise sous le quinquennat de François Hollande, mais adoptée sous celui d’Emmanuel Macron, il ne faudrait pas la mettre au compte de ce dernier. Je considère au contraire que l’augmentation générale des minima sociaux décidée en 2018 doit être portée au compte du Président de la République, comme doit l’être aussi le remboursement à 100 % des soins optiques et des soins dentaires, ou l’augmentation des prestations pour les bénéficiaires dont le niveau de revenus est le plus fragile.
Tous ces éléments corrigent l’analyse réalisée par l’Institut des politiques publiques.
Enfin, nous avons une ligne directrice – vous pouvez la contester, c’est le mérite du débat démocratique. Néanmoins, elle existe, et la politique économique de la majorité tient tout entière dans un mot : « travail ». Le travail, le travail, le travail !
Il s’agit d’abord de développer le travail pour tous, de faire en sorte que chacun puisse trouver un emploi, de faire baisser le taux de chômage. Nous avons livré un combat sans relâche pour cela, qui a commencé à donner des résultats.
Vous devriez vous réjouir, monsieur Bocquet, que la crise économique actuelle n’ait pas produit des centaines de milliers de chômeurs supplémentaires, ce qui aurait dû être le cas, si nous n’avions pas fait le choix de financer l’activité partielle. Nous avons mis sur la table 35 milliards d’euros pour éviter les licenciements de salariés, les pertes de compétences et les drames sociaux partout en France. Aucune autre majorité n’a eu le courage d’investir autant d’argent dans l’activité partielle pour éviter un drame social ou politique et pour faire en sorte de protéger l’emploi dans notre pays !
Telle est notre ligne conductrice : le travail, le travail, le travail. Et du travail qui paie – vous devriez vous retrouver dans cet objectif ! Prenez la prime d’activité, soit 10 milliards d’euros par an, que vous votez pour que ceux dont le niveau de rémunération est le plus faible puissent avoir un revenu décent.
Mme Laurence Cohen. Plutôt que des primes, augmentez les salaires !
M. Bruno Le Maire, ministre. La suppression des cotisations patronales, la défiscalisation des heures supplémentaires, la défiscalisation des pourboires, la suppression de la taxe à 20 % sur l’intéressement et sur la participation, tout cela permet de mieux associer les salariés aux résultats de l’entreprise, de sorte qu’un salarié rémunéré au niveau du SMIC pourra toucher non pas 1 270 euros net par mois, mais presque 1 500 euros. Certains candidats de la droite en ont rêvé, nous l’avons fait pendant ce quinquennat (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.), en garantissant à ces salariés, j’insiste, près de 1 500 euros net par mois grâce aux aides de l’État, car nous croyons au travail qui paie.
Il est vrai, effectivement, qu’à nos yeux il est bon que les Français gardent une partie du produit de leur travail et que tout ne leur soit pas pris par les impôts. Nous avons baissé de 26 milliards d’euros les impôts sur les ménages. Je considère que cette mesure est juste et efficace.
Quant à la baisse de l’impôt sur le revenu, monsieur Bocquet, je rappelle qu’elle a été concentrée en priorité sur les ménages dont le niveau de revenus est le plus modeste.
Le résultat de toutes ces mesures, quel est-il ? Nous créons de l’emploi, la croissance est de retour : nous allons dans la bonne direction.
Sans mésestimer la colère et le désespoir de beaucoup de Français, qui, je l’ai dit, ont le sentiment que l’horizon est bouché, j’affirme que nous avons ouvert une voie, axée sur une idée simple : un travail pour chacun, garantissant une vie digne et permettant de se construire et de trouver sa place dans la société. Je considère que cette voie est la bonne pour la France.
Pour ce qui est des inégalités internationales, monsieur Bocquet, je pense que nous devrions tous être fiers : c’est la France qui a pris la tête de la coalition qui a décroché, après six mois de combats, 100 milliards de dollars pour aider les pays les plus fragiles via les droits de tirage spéciaux émis par le FMI. Les pays en développement n’ont consacré que 2,5 % de leur richesse à la protection de leur économie et à la relance, contre 25 % pour les pays développés. C’est la France qui a promu cette idée d’une réduction des inégalités entre le Nord et le Sud, afin d’éviter une grande divergence.
Nous pouvons également tirer une fierté collective du combat pour une fiscalité internationale plus juste que nous avons livré depuis près de cinq ans. Nous avons réussi à relever le défi que représentait cette inégalité fiscale internationale en obtenant un impôt minimum et, enfin, une taxation des géants du digital.