Sommaire
Présidence de M. Roger Karoutchi
Secrétaires :
Mmes Jacqueline Eustache-Brinio, Martine Filleul.
2. Revalorisation des pensions de retraites agricoles les plus faibles. – Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure de la commission des affaires sociales
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État
Clôture de la discussion générale.
Adoption de l’article.
Article 2 (suppression maintenue)
Articles 3 et 3 bis – Adoption.
Articles 4 à 6 (suppressions maintenues)
Adoption définitive par scrutin public n° 58, de la proposition de loi dans le texte de la commission.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure
3. Reconnaissance d’un État palestinien aux côtés d’Israël. – Rejet d’une proposition de résolution
Discussion générale :
M. Pierre Laurent, auteur de la proposition de résolution
PRÉSIDENCE DE Mme Laurence Rossignol
Clôture de la discussion générale.
Texte de la proposition de résolution
Rejet, par scrutin public n° 59, de la proposition de résolution.
Suspension et reprise de la séance
4. Candidatures à deux missions d’information
5. Modification de l’ordre du jour
6. Rappel des règles sanitaires
7. Commémoration de la répression d’Algériens le 17 octobre 1961. – Rejet d’une proposition de loi
Discussion générale :
M. Rachid Temal, auteur de la proposition de loi
Mme Valérie Boyer, rapporteure de la commission des lois
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 2 de M. Guy Benarroche. – Rejet par scrutin public n° 60.
Amendement n° 1 de M. Guy Benarroche. – Rejet par scrutin public n° 61.
Rejet, par scrutin public n° 62, de l’article.
Amendement n° 3 rectifié de Mme Esther Benbassa. – Rejet par scrutin public n° 63.
Rejet, par scrutin public n° 64, de l’article.
Tous les articles ayant été rejetés, la proposition de loi n’est pas adoptée.
Suspension et reprise de la séance
8. Nouveau pacte de citoyenneté avec la jeunesse. – Rejet d’une proposition de loi
Discussion générale :
Mme Martine Filleul, auteure de la proposition de loi
Mme Nadine Bellurot, rapporteure de la commission des lois
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État
Clôture de la discussion générale.
Rejet, par scrutin public n° 65, de l’article.
Rejet de l’article.
Article 5 – Devenu sans objet.
Tous les articles ayant été rejetés ou devenus sans objet, la proposition de loi n’est pas adoptée.
Nomination de membres de deux missions d’information
compte rendu intégral
Présidence de M. Roger Karoutchi
vice-président
Secrétaires :
Mme Jacqueline Eustache-Brinio,
Mme Martine Filleul.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Revalorisation des pensions de retraites agricoles les plus faibles
Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du communiste républicain citoyen et écologiste, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles les plus faibles (proposition n° 702 [2020-2021], texte de la commission n° 250, rapport n° 249).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, chargé des retraites et de la santé au travail. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis ce matin pour examiner la proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles les plus faibles.
Ce texte témoigne de la priorité qu’accordent le Gouvernement et le Parlement aux petites retraites. Il résulte de l’engagement constant du président André Chassaigne, auquel j’adresse un salut républicain.
Permettez-moi de remercier le groupe communiste républicain citoyen et écologiste de l’avoir inscrit à son ordre du jour réservé et de saluer chaleureusement mon collègue Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation, que je sais également investi sur cette question.
Ce texte est aussi et surtout le reflet d’un véritable consensus républicain en faveur de la revalorisation des retraites agricoles. Ce consensus s’était clairement manifesté à l’occasion de l’examen de la première proposition de loi – celle qui a été adoptée à l’été 2020 –, qui a porté la garantie de pension des chefs d’exploitation à 85 % du SMIC net agricole ; ce consensus s’est de nouveau traduit par l’adoption, à l’unanimité, de la présente proposition de loi par l’Assemblée nationale.
Venons-en désormais au contenu de cette proposition de loi. Le texte adopté le 17 juin dernier est très équilibré. Il répond à trois principes que j’estime fondamentaux pour faire prévaloir la justice et la pérennité de notre système de retraite, à savoir l’équité, la contributivité et la responsabilité.
En application, d’abord, du principe d’équité, l’article 1er tel qu’il a été réécrit sur proposition du Gouvernement tend à créer, dans le régime de base des non-salariés agricoles, un minimum de pension unifié, sans distinction de l’activité professionnelle – exploitant agricole ou conjoint collaborateur. Je rappelle que tel est déjà le cas pour le minimum de pension des salariés.
Le deuxième principe respecté dans ce texte est celui de la contributivité. Il est justifié, et même légitime, qu’un exploitant agricole qui a davantage cotisé que son conjoint collaborateur perçoive une retraite complémentaire supérieure et puisse, d’ailleurs, en faire bénéficier son conjoint ou sa conjointe, par un niveau de vie commun plus élevé. C’est la raison pour laquelle nous ne souhaitons pas, madame la rapporteure, le rétablissement de l’article 2.
Dans un système par répartition fondé, par nature, sur une logique assurantielle, la faiblesse des cotisations de certaines professions se traduit mécaniquement par une pension insuffisante. C’est pourquoi l’article 3 est essentiel à mes yeux. En limitant la durée du statut de conjoint collaborateur à cinq ans, on incite au travail sous des formes rémunératrices – conjoint associé ou salarié – et donc davantage créatrices de droits sociaux.
Sans ignorer la communauté de vie des conjoints, cette approche est très importante pour reconnaître le travail de chacun à sa juste valeur. Elle se déploiera progressivement et sera dupliquée pour les artisans et commerçants après la promulgation de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022.
Le troisième principe est, enfin, celui de la responsabilité. En matière de retraite comme ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, les droits gratuits n’existent pas. Il existe toujours un financeur. Lorsque ce dernier prend la forme de la solidarité nationale, cela implique, bien entendu, un prélèvement acquitté par le contribuable.
La gratuité n’est donc qu’une apparence. Elle est légitime, dans une certaine mesure, pour tenir compte des aléas de la vie auxquels nous pouvons, toutes et tous, à un moment donné, être exposés. Elle ne saurait toutefois constituer le principe général régissant le financement des droits à retraite.
Si nous ne souhaitons pas que le financement de ces droits nouveaux repose sur le coût du travail via une hausse des cotisations, il nous faudra, à terme, repenser le financement de notre protection sociale pour en assurer la pérennité. Mais je crois que ce n’est pas là le débat du jour…
Mme Céline Brulin. Pas du tout !
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. C’est dans le respect de ces trois principes d’équité, de contributivité et de responsabilité que le Gouvernement a défendu plusieurs amendements, dont tient compte désormais le texte adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale et sur lesquels vos travaux en commission des affaires sociales ne sont pas revenus. Je m’en réjouis, madame la présidente de la commission.
Mesdames, messieurs les sénateurs, au moment d’ouvrir nos débats, j’apporterai quelques précisions sur la mise en œuvre opérationnelle de ces mesures.
L’examen de ce texte met à l’épreuve la capacité opérationnelle de la Mutualité sociale agricole (MSA) à effectuer les versements des pensions au titre du mois de janvier 2022. Nous avons évoqué ce sujet lors de mon audition par la commission des affaires sociales.
Une fois que la loi sera promulguée, sous réserve de l’adoption conforme du texte par votre assemblée, nous devrons rapidement publier les textes d’application et engager un lourd travail technique.
L’ensemble des services sont déjà mobilisés pour assurer la bonne mise en œuvre de la loi « Chassaigne 1 » et permettre le versement de l’indemnité inflation aux retraités éligibles d’ici à la fin du mois de février.
Ces services seront également à pied d’œuvre pour déployer rapidement les dispositions de cette loi dès leur adoption et je les en remercie par avance. J’assurerai personnellement un suivi rapproché de ce travail, pour que les revalorisations se traduisent au plus vite.
Je vous l’indique clairement : les droits ouverts le seront bien au titre des périodes courant à partir du 1er janvier prochain.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne saurais conclure mon propos sans faire référence à l’entrée en vigueur de la première loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles les plus faibles, celles des chefs d’exploitation.
Coïncidence heureuse du calendrier, c’est aujourd’hui qu’intervient de la manière la plus concrète possible la revalorisation à 85 % du SMIC net agricole, prévue par la loi adoptée en juillet 2020. Ces effets commencent à être visibles, depuis ce matin, sur les comptes en banque des retraités bénéficiaires. Ce sont ainsi plus de 200 000 agriculteurs qui bénéficient d’une hausse de pension de 102 euros par mois en moyenne.
J’irai demain en Haute-Saône, à la rencontre d’agriculteurs retraités qui bénéficient de cette revalorisation, car nous devons collectivement partager cette avancée résultant d’une volonté transpartisane.
Dans un pays où nous sommes tous fils, petits-fils ou arrière-petits-fils d’agriculteur, comme le rappelle souvent André Chassaigne, cette première proposition de loi représente une avancée majeure pour la reconnaissance à l’endroit de celles et ceux qui n’ont jamais cessé de nous nourrir.
Si le texte qui vous est présenté est adopté en l’état, une revalorisation tout aussi importante sera alors possible pour les conjoints collaborateurs. Ces conjoints collaborateurs, pour la plupart – disons-le – conjointes collaboratrices, sont souvent les épouses des bénéficiaires de la première loi.
Les différentes mesures envisagées permettront non seulement de se prémunir à l’avenir contre les petites pensions, mais aussi de revaloriser les pensions de plus de 200 000 personnes actuellement retraitées. Pour les femmes qui ont été conjointes collaboratrices toute leur vie, le gain moyen sera de 100 euros par mois.
La question des petites retraites ne se réduit pas, toutefois, au seul secteur agricole, mais touche l’ensemble des métiers, comme l’a montré récemment le rapport des députés Nicolas Turquois et Lionel Causse, que je salue.
Les petites pensions résultent en effet avant tout de carrières discontinues marquées par de faibles cotisations, une trajectoire de vie partagée en particulier par les femmes salariées à temps partiel.
Permettre à chacun, indépendamment de son activité, de percevoir une pension totale de 1 000 euros pour une carrière complète est d’ailleurs l’un des objectifs qui ont été clairement rappelés par le Président de la République, lors de son allocution du 9 novembre dernier.
Soyons donc fiers, madame la rapporteure, madame la présidente de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, de l’avancée significative que nous pourrons accomplir aujourd’hui – je l’espère – par votre vote, sans perdre de vue l’ambition plus large d’un travail rémunérateur et créateur de droits pour toutes et pour tous.
C’est ce que les Françaises et les Français attendent pour valoriser leur activité et préparer une retraite digne. C’est ce sur quoi nous pouvons tous nous retrouver aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme la rapporteure de la commission des affaires sociales applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a un an et demi, notre assemblée adoptait la proposition de loi Chassaigne, devenue la loi du 3 juillet 2020, qui a permis, depuis le mois dernier, de porter la pension de retraite des exploitants agricoles à 85 % du SMIC pour une carrière complète, soit 1 035 euros par mois.
Je tiens d’abord et avant tout à saluer la détermination et la persévérance d’André Chassaigne, qui n’a jamais ménagé ses efforts pour sortir de la misère ceux que la vie n’a pas épargnés. Au nom du groupe CRCE, mais aussi – je crois pouvoir le dire – en notre nom à tous, je lui adresse des remerciements appuyés.
En cette fin d’année 2021, nous examinons, bien tardivement, une nouvelle proposition de loi Chassaigne, dont le Gouvernement n’a pas souhaité demander l’inscription à l’ordre du jour avant que le groupe CRCE ne l’inscrive dans son ordre du jour réservé.
Il ne nous est donc malheureusement pas possible, à moins de faire obstacle à la revalorisation des pensions dès le 1er janvier 2022, de poursuivre plus longtemps la navette afin d’améliorer la qualité rédactionnelle du texte ou de revenir sur les dispositions essentielles supprimées par l’Assemblée nationale.
Comme le souhaitent les organisations syndicales du secteur agricole, je vous propose donc de nous contenter des mesures ayant fait consensus à l’Assemblée nationale, qui constituent déjà une avancée. Le groupe CRCE ne manquera pas de proposer d’y revenir à l’avenir.
Dans le monde agricole, nombre de conjoints et de membres de la famille apportent, sous diverses formes, leur concours à la gestion des exploitations, sans percevoir de rémunération en contrepartie.
Jusqu’en 1999, le conjoint d’un exploitant agricole qui n’était pas déjà affilié à un régime de retraite au titre de son activité professionnelle était, sauf preuve contraire, présumé participer à la mise en valeur de l’exploitation. Cette présomption emportait de manière subie l’application du statut de conjoint participant aux travaux. Les garanties de protection sociale prévues par ce statut étaient, en outre, particulièrement limitées, notamment en matière d’assurance vieillesse.
En effet, au-delà de la pension de retraite forfaitaire, le conjoint participant aux travaux ne percevait une pension de retraite proportionnelle que si le ménage avait opté pour un partage à parts égales des points de retraite acquis par le chef d’exploitation.
C’est la raison pour laquelle la loi d’orientation agricole de 1999 a créé le statut de conjoint collaborateur. Ce statut revêt un caractère optionnel et permet aux conjoints concernés, à 78 % des femmes, de bénéficier d’une couverture sociale multirisque, incluant une pension de retraite proportionnelle de droit, en contrepartie du versement, par le chef d’exploitation, de faibles montants de cotisations sociales.
Le statut de conjoint participant aux travaux a, quant à lui, disparu en 2009. Les autres membres de la famille âgés de plus de 16 ans vivant sur l’exploitation ou l’entreprise et y exerçant une activité non salariée peuvent exercer en qualité d’aide familial et bénéficient des mêmes garanties.
Les statuts de conjoint collaborateur et d’aide familial contribuent ainsi à la reconnaissance du travail, souvent vital pour l’exploitation, réalisé par leurs bénéficiaires, tout en leur donnant accès à une protection sociale, certes très limitée, mais complète.
Néanmoins, ces statuts produisent aujourd’hui des effets contraires à la noble ambition qui a présidé à leur création et sont devenus de véritables « trappes à faibles pensions ».
En effet, afin de ne pas faire peser une charge excessive sur les chefs d’exploitation, qui en sont redevables, les cotisations versées au titre de l’activité des conjoints collaborateurs et des aides familiaux sont fixées forfaitairement sur des assiettes extrêmement faibles, tandis que les cotisations personnelles des chefs d’exploitation sont proportionnelles à leurs revenus professionnels, avec des assiettes minimales plus élevées.
Ce différentiel de cotisations n’est pas sans conséquence sur le niveau des pensions servies et, notamment, sur l’accès aux minima de pension du régime des non-salariés agricoles.
En effet, les femmes monopensionnées ayant effectué une carrière complète sous le statut de conjoint collaborateur perçoivent en moyenne une pension de droit direct de 570 euros par mois. Notons toutefois que les polypensionnées justifiant d’une carrière complète parviennent à atteindre 1 017 euros par mois.
Le statut de conjoint collaborateur est, d’ailleurs, en déclin : il ne concerne plus que 22 800 personnes à ce jour, soit deux fois moins qu’il y a dix ans et quatre fois moins qu’il y a trente ans.
Les pensions servies aux conjoints collaborateurs et aux aides familiaux retraités sont d’autant plus faibles que ces assurés n’ont pas accès aux mêmes minima de pension que les chefs d’exploitation. Tandis que le montant du minimum de pension de base pour une carrière complète, la pension majorée de référence (PMR), diffère selon le statut professionnel de l’assuré, les conjoints collaborateurs et les aides familiaux n’ont pas accès à la garantie de pension à 85 % du SMIC, dont bénéficient les chefs d’exploitation via le complément différentiel de points de retraite complémentaire (CDRCO).
Cette différence de traitement, qui se fonde sur le différentiel de cotisations, n’est plus justifiée aujourd’hui, au regard de l’impératif de lutte contre la pauvreté.
Par ailleurs, je tiens à souligner que le minimum contributif (MICO) servi par le régime général aux assurés ayant cotisé sur de faibles salaires durant leur carrière, qui constitue le pendant des minima de pension des régimes agricoles, ne varie pas selon la rémunération antérieure.
De plus, le non-recours à l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) constitue un problème persistant. Aucune estimation précise n’a pu m’être fournie, mais les travaux conduits par la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), la Cour des comptes et l’Assemblée nationale laissent penser que ce dernier concernerait de 30 % à 50 % des bénéficiaires potentiels, proportion qui pourrait se révéler plus élevée encore dans le monde agricole.
En effet, les modalités d’attribution et de récupération sur succession de cette allocation, qui s’élevait à 907 euros par mois en 2021, semblent encore largement méconnues. Nombre d’agriculteurs ignorent en effet que l’ASPA n’est récupérée que si l’actif net successoral excède 39 000 euros dans l’Hexagone et 100 000 euros dans les outre-mer, que le capital d’exploitation agricole et les bâtiments indissociables en sont exclus et que le montant des sommes pouvant faire l’objet d’un recouvrement est plafonné annuellement.
La proposition de loi qui vous est présentée ce matin apporte des solutions concrètes à ces enjeux majeurs. L’ensemble des mesures qu’elle prévoit concerneraient, en 2022, quelque 214 000 pensionnés, dont 67 % de femmes. Son adoption permettrait d’accroître de 100 euros en moyenne par mois la pension des 70 000 femmes ayant accompli toute leur carrière en qualité de conjoint collaborateur.
Elle tend en effet à relever la pension majorée de référence des conjoints collaborateurs et des aides familiaux au niveau de celle des chefs d’exploitation, soit à 699 euros contre 555 euros aujourd’hui. Cette seule mesure, qui concernerait autant le stock de retraités que le flux de nouveaux pensionnés, bénéficierait à 175 000 personnes, dont le gain moyen s’élèverait à 62 euros par mois et, notamment, à 75 euros par mois pour les femmes.
De plus, lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, le Gouvernement a pris l’engagement d’aligner le montant de la nouvelle pension majorée de référence unique sur celui du MICO majoré, soit 705 euros par mois. J’espère que cet engagement sera confirmé.
Enfin, le seuil d’écrêtement de la pension majorée de référence, c’est-à-dire le niveau global de pension au-delà duquel la majoration servie est réduite à due concurrence du dépassement, serait fixé au niveau de l’ASPA et passerait donc de 875 euros à 907 euros par mois. Cette mesure bénéficierait à 43 000 personnes.
Les autres dispositions du texte revêtent également un caractère essentiel. Il s’agit, d’abord, du renforcement de l’information des assurés au sujet des conditions d’attribution et de récupération sur succession de l’ASPA, qui interviendrait non seulement au moment de la liquidation de la pension, mais également l’année précédant l’âge d’éligibilité à l’ASPA, fixé à 65 ans.
Ensuite, la possibilité d’exercer sous le statut de conjoint collaborateur serait limitée à cinq ans, comme c’est le cas pour les aides familiaux depuis 2005, de façon à orienter les intéressés vers une activité rémunératrice leur permettant de bénéficier d’une meilleure couverture sociale.
Mes chers collègues, j’attire votre attention sur le financement de cette proposition de loi. André Chassaigne proposait la création d’une taxe additionnelle à la taxe sur les transactions financières au taux de 0,1 %, qui aurait permis de dégager 450 millions d’euros de recettes. Cette proposition a été rejetée par l’Assemblée nationale avec, évidemment, l’aval du Gouvernement. Or le coût de la revalorisation des pensions devrait entraîner, en 2022, un déficit de l’ordre de 94 millions d’euros.
Malgré les lacunes importantes du texte issu de l’Assemblée nationale, l’ensemble des acteurs du monde agricole estiment nécessaire de permettre, sans plus tarder, la mise en œuvre des mesures ayant fait consensus dès le 1er janvier prochain. La commission partage pleinement cette opinion.
Aussi vous propose-t-elle d’adopter cette proposition de loi sans modification. En votant en faveur de ce texte, nous rendrons à nos agriculteurs l’hommage qu’ils méritent. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST, RDSE et UC. – M. Daniel Gremillet applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 1er novembre 2021 est entrée en vigueur la loi « Chassaigne 1 », qui porte la pension de retraite des chefs d’exploitation de 75 % à 85 % du SMIC.
Grâce à la mobilisation des organisations syndicales et à la pugnacité de notre collègue député communiste André Chassaigne, 230 000 actuels et futurs retraités agricoles ont vu leur retraite passer de 914 euros à 1 036 euros net par mois, soit une augmentation d’environ 122 euros net par mois depuis le 1er novembre 2021, pour une carrière agricole complète.
Notre groupe a contribué à la mise en place de cette revalorisation, en faisant inscrire ce texte à l’ordre du jour du Sénat afin de permettre l’adoption définitive de la loi.
La même logique sous-tend l’inscription de cette proposition de loi à notre ordre du jour réservé. En effet, lors de la discussion de la première proposition de loi, l’angle mort des conjoints collaborateurs des exploitants agricoles avait été largement relevé. Notre collègue André Chassaigne a donc remis l’ouvrage sur le métier pour y remédier.
Le 17 juin dernier, après avoir travaillé, là encore, avec les organisations syndicales agricoles, l’Assemblée nationale a adopté, à l’unanimité et avec le soutien du Gouvernement, la proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles les plus faibles, désormais appelée loi « Chassaigne 2 ».
Si la situation de nos agriculteurs demeure difficile face aux lois du marché et à des distributeurs qui ne leur permettent toujours pas de vivre dignement de leur travail, celle des conjoints agricoles et des aides familiaux est encore plus précaire.
En effet, le régime des non-salariés agricoles opère une distinction entre les exploitants, qui bénéficient d’une pension minimale de 700 euros pour une carrière complète et les conjoints collaborateurs et aides familiaux, dont la pension s’élève seulement à 555,50 euros.
Au 1er janvier 2020, 97 % des retraités relevant du statut de conjoint collaborateur et les deux tiers des retraités aides familiaux étaient des femmes. Ces femmes touchent une pension moyenne de 604 euros par mois si elles ont validé au moins 150 trimestres et de seulement 307 euros par mois quand elles n’ont pas atteint cette durée d’assurance.
Cette proposition de loi tend donc à aligner les pensions de référence des aides familiaux et des conjoints collaborateurs sur celles des exploitants agricoles.
Le rapport d’information du 14 octobre 2021, fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes sur la situation des femmes dans les territoires ruraux, soulignait déjà les inégalités des retraites agricoles, qui sont 2,5 fois plus faibles que la moyenne pour les femmes.
Il ne faut pas oublier non plus les 5 000 à 6 000 femmes qui travaillent dans l’exploitation agricole de leur conjoint sans aucun statut.
Nous regrettons que les députés La République en Marche aient supprimé du texte la création d’une taxe de 0,1 % sur les transactions financières visant à financer les pensions de retraite agricoles, tout comme nous regrettons qu’ils aient supprimé l’alignement des règles de cumul et de majoration des pensions.
Néanmoins, cette proposition de loi représente un véritable progrès pour les 214 000 conjoints d’exploitants agricoles et aides familiaux, particulièrement les femmes, qui vont percevoir, grâce à l’adoption de ce texte, 100 euros net supplémentaires par mois.
Au nom de mon groupe et, plus largement, de l’ensemble de mes collègues, je ne peux d’ailleurs que me féliciter, monsieur le secrétaire d’État, que nous soyons tous, Gouvernement compris, dans de très bonnes dispositions au moment de discuter et d’adopter – je n’en doute pas – cette proposition de loi. Tel n’avait pas été le cas, lors de la discussion en première lecture de la première proposition de loi, quand le Gouvernement avait tout tenté pour empêcher son adoption.
Pour l’ensemble de ces raisons, j’invite l’ensemble des groupes du Sénat, au-delà des sensibilités politiques, à soutenir cette proposition de loi qui va dans le sens de la justice sociale et d’une reconnaissance du monde agricole dans son ensemble. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST et RDSE. – MM. Daniel Chasseing et Alain Duffourg applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub.
Mme Nadia Sollogoub. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je dois vous faire un aveu : lorsque je suis arrivée au Sénat en 2017, je me suis promis de ne pas déposer de proposition de loi. J’ai tendance à trouver, en effet, que les lois sont trop nombreuses et trop bavardes. Longtemps, je m’en suis tenue à ce principe.
Et puis, un jour, alors que je suis dans la rue, une amie à la retraite, femme de paysan, me téléphone. Soudain, elle fond en larmes : « Il faut faire quelque chose, avec 500 euros par mois, je n’y arrive plus ! »
Dès cet instant, tout s’est arrêté. J’étais entièrement concentrée sur cette détresse sincère et humaine, qui m’arrivait d’un petit village de la Nièvre, de la part d’une femme dont je sais qu’elle a travaillé dur, toute sa vie, aux côtés de son époux. J’ai donc déposé une proposition de loi.
C’était sans savoir que des collègues députés étaient engagés dans la même démarche. J’ai lu dans un journal qu’André Chassaigne, qualifié à juste titre d’« infatigable chantre du monde rural », avait eu le même déclic que moi, quelque temps avant, un jour où un agriculteur lui avait fait un discours sur les retraites agricoles.
Mes chers collègues, chacun de vous, dans son cercle amical, local, professionnel, a certainement eu ce déclic. Comment est-il possible qu’après une vie professionnelle physique, continue, éreintante, des femmes et des hommes puissent se retrouver avec d’aussi minuscules retraites ? Que peut-on faire pour eux ?
Certes, nombre de calculs démontrent la fragilité d’un système de cotisations peu contributif, et, dans le cas particulier des femmes, la fréquence des parcours discontinus. C’est bien la raison pour laquelle il faut agir !
Le dossier des retraites agricoles en général est en chantier depuis des années. Tout d’abord, la revalorisation de la retraite des chefs d’exploitation, qui atteint enfin 85 % du SMIC ces jours-ci, après un cheminement complexe et tortueux et grâce à la ténacité de notre collègue André Chassaigne.
Les conjoints collaborateurs et aides familiaux étaient, jusqu’à maintenant, les grands absents de cette revalorisation tant attendue. Pourtant, il y avait là une urgence humaine et sociale.
On ne pouvait pas, décemment, attendre une réforme globale des retraites. On ne pouvait pas accepter que la retraite des chefs d’exploitation augmente enfin quelque peu et que les conjoints, qui sont essentiellement des conjointes et qui ont en général partagé le même quotidien, restent des oubliées, silencieuses et invisibles.
Dans le prolongement des avancées au bénéfice des chefs d’exploitation, nos collègues André Chassaigne – encore lui ! – et Jacqueline Dubois, contraints à la fois par la complexité de la construction en trois niveaux de la retraite du conjoint collaborateur et par le principe d’équité par rapport à d’autres retraités, ont réussi un exercice de haute voltige.
En alignant le montant de la pension majorée de référence des conjoints sur celui de la PMR des chefs d’exploitation et en relevant son seuil d’écrêtement, on obtient une augmentation d’environ 100 euros par mois.
Je suis extrêmement heureuse et fière de présenter aujourd’hui cette disposition, qui constitue une avancée significative à laquelle je suis très attachée. Sans réserve, le groupe centriste la votera conforme.
J’ajoute que, plus que jamais, le moment est bien choisi. Non pas à cause des échéances électorales – si c’est ce que vous avez pu imaginer –, mais à cause de la relance.
Car, voyez-vous, quand on perçoit 500 euros par mois, chaque euro de plus ne part pas chez Amazon ou dans de lointains placements. Chaque euro de plus va chez le boulanger du village, chez le livreur de fioul ou chez le garagiste local. Ces euros-là diffuseront dans le tissu fragile de nos petits commerces et artisans ruraux. Ces euros-là constituent notre relance de proximité, celle qui ne peut pas s’échapper et qui sera à 100 % utile, de même que, dans nos communes rurales, un euro de subvention est un euro investi.
Alors, 160 millions d’euros – peut-être même moins ! – et tous ces mois de bataille pour les arracher sont assez dérisoires à côté des milliards que l’on a vu défiler ! Mais c’est un autre débat…
Il faudra aller plus loin et cette proposition de loi doit également être un appel.
Un appel pour que plus jamais les cotisants et cotisantes agricoles ne se retrouvent, par défaut de cotisations, dans des situations insupportables et indignes. La retraite ne doit plus jamais être une variable d’ajustement.
Un appel pour que chacun et chacune se pose, en toute connaissance de cause, la question de son statut dans la durée.
Un appel à lutter contre le non-recours à l’ASPA et contre le non-recours aux droits de manière générale.
Que nous ayons été plusieurs à défendre ce sujet est une excellente nouvelle ; c’est la preuve qu’il y a là un dossier de première importance.
Oui, monsieur le secrétaire d’État, le sujet des petites retraites doit être traité dans sa globalité, mais aujourd’hui, un grand pas est fait. Je vous remercie très sincèrement pour votre engagement sur ce dossier et je remercie les services qui seront fortement sollicités pour la mise en œuvre rapide de ce texte.
Je me permets de compléter votre propos, monsieur le secrétaire d’État : nous sommes tous fils, petit-fils ou arrière-petits-fils d’agriculteur, nous sommes aussi parfois femmes d’agriculteur et je vous remercie de vous en être souvenu.
Pour conclure, je citerai Paulo Coelho : « Personne ne peut revenir en arrière, mais tout le monde peut aller de l’avant. » (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP, RDSE, SER et CRCE. – M. Bruno Belin applaudit également.)
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis toujours, le groupe du RDSE partage la volonté exprimée ici par notre collègue député André Chassaigne et le groupe CRCE d’une revalorisation rapide des retraites des conjoints collaborateurs et des aides familiaux et il se bat pour cela.
C’est une nécessité et une urgence au regard des constats que nous sommes amenés à faire sur le terrain et de la modicité – le mot est faible ! – du niveau de ces pensions.
Les conjoints et les aides familiaux subissent une double peine.
Les retraites agricoles sont parmi les plus faibles, tous régimes confondus. Le récent rapport des députés Causse et Turquois rappelle en effet que les assurés non salariés et les exploitants agricoles sont surreprésentés parmi les retraités modestes.
Au sein du régime des non-salariés agricoles, les conjoints et aides familiaux touchent moins que le minimum vieillesse. Les chiffres sont édifiants : pour une carrière complète, la pension moyenne est de 570 euros par mois, et bien moins encore pour tous ceux ou plutôt, devrais-je dire, toutes celles – il s’agit le plus souvent de femmes – qui n’ont pas cotisé suffisamment.
Pour ces dernières, leur opposer un faible effort contributif est indélicat. Comme l’a souligné Mme la rapporteure, le statut de conjoint collaborateur est resté longtemps subi et le partage à parts égales des points de cotisation rarement mis en œuvre par le chef d’exploitation.
Si leur protection sociale s’est régulièrement améliorée depuis 1999, l’article 3 de la proposition de loi visant à limiter à cinq ans la durée d’exercice du statut de conjoint collaborateur leur ouvrira de nouvelles perspectives. Le groupe du RDSE a d’ailleurs défendu ce dispositif dans le cadre de l’examen du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Je rappellerai aussi que mon groupe est depuis longtemps attentif au sort de l’ensemble des retraités du monde agricole : deux de ses anciens membres avaient déposé en 1998 une proposition de loi allant dans le sens d’une nette amélioration de leurs pensions.
En tout état de cause, il nous revient à tous ici de réparer cette situation de précarité qui touche des agricultrices dont on sait qu’elles ne ménagent pourtant pas leur peine sur l’exploitation. L’article 1er qui tend à supprimer la prise en compte du statut professionnel pour le calcul du montant de la pension de base minimale apportera davantage d’équité en faveur de ses 175 000 bénéficiaires.
Toutefois, malgré ce progrès incontestable, nous serons en deçà de la proposition de loi initiale déposée par André Chassaigne, puisque le texte a été expurgé de son article 2 qui prévoyait l’extension aux conjoints collaborateurs et aux aides familiaux de la garantie d’un revenu minimal de 85 % du SMIC, dispositif que nous avions approuvé l’année dernière à l’unanimité en faveur des chefs d’exploitation.
Vous l’avez souvent souligné, monsieur le secrétaire d’État, le coût en serait difficilement supportable. Toutefois, les pistes de financement proposées par le député Chassaigne méritent d’être étudiées pour apporter, à terme, une pierre de plus à l’effort indispensable de revalorisation des petites pensions.
Mes chers collègues, en parallèle, nous devons aussi poursuivre le travail de sécurisation des revenus agricoles entamé par la loi dite Égalim. Les retraites agricoles d’aujourd’hui reflètent les revenus tirés de l’agriculture d’hier. Aussi, garantir au plus tôt de meilleurs salaires pour nos agriculteurs est à l’évidence la meilleure façon d’assurer leurs pensions de demain, des pensions qui doivent être le plus dignes possible au regard de leur contribution à la vitalité de nos territoires.
Le groupe du RDSE votera à l’unanimité cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, RDPI, INDEP, SER et CRCE. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet.
M. Jean-Luc Fichet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite à mon tour saluer l’examen dans notre hémicycle de cette proposition de loi déposée par André Chassaigne visant à revaloriser les pensions de retraite agricoles des conjoints collaborateurs et des aides familiaux.
Elle s’inscrit dans la lignée des mesures prises ces dernières années en faveur des chefs d’exploitation agricole, dont la loi du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites, dite loi Touraine, qui a instauré un niveau minimum de retraite à 75 % du SMIC, puis la première loi Chassaigne du 3 juillet 2020 qui a porté ce montant à 85 % du salaire minimum pour les chefs d’exploitation ayant effectué une carrière complète. Cette dernière disposition s’applique depuis le 1er novembre dernier et les premiers versements à terme échu interviennent donc en ce moment même.
Mes chers collègues, nous ne pouvons que nous en réjouir, même si je tiens tout de même à rappeler que cette revalorisation aurait pu s’appliquer trois ans plus tôt, si le Gouvernement n’avait pas choisi en 2018 de la reporter, en ayant recours en séance à la procédure du vote bloqué,…
M. Laurent Duplomb. Tout à fait !
M. Jean-Luc Fichet. … alors que le Sénat souhaitait au contraire voter conforme ce texte dès sa première lecture afin de garantir sa mise en œuvre rapide.
Nous espérons donc que l’adoption définitive de cette nouvelle proposition de loi qui concerne les conjoints collaborateurs et les aides familiaux pourra cette fois se dérouler sans encombre, car elle est vivement attendue par l’ensemble des acteurs du monde agricole. Rappelons que nombre de conjointes collaboratrices – il s’agit très majoritairement de femmes – perçoivent aujourd’hui moins de 600 euros de pension mensuelle.
L’article 1er de ce texte instaure une mesure essentielle, en établissant un montant unique de pension majorée de référence, quel que soit le statut de l’assuré non salarié agricole. Ce dispositif, qui s’appliquera aux retraités actuels, mais aussi aux futurs pensionnés, a été complété par un relèvement du seuil d’écrêtement de la PMR au niveau du montant de l’ASPA.
Au total, plus de 200 000 personnes pourraient ainsi bénéficier de ces mesures qui représentent une revalorisation de 100 euros par mois en moyenne pour les femmes ayant accompli l’ensemble de leur carrière en tant que conjointes collaboratrices.
Cela constitue indéniablement une avancée importante, mais nous ne pouvons que regretter que la majorité de l’Assemblée nationale ait rejeté dans le même temps l’article 2 de la proposition de loi qui élargissait l’application du complément différentiel de points de retraite complémentaire obligatoire aux conjoints et aides familiaux afin qu’ils puissent bénéficier de la garantie d’un revenu minimal à hauteur de 85 % du SMIC. Cela aurait permis d’aller encore plus loin, alors même que les montants actuels de leur pension sont extrêmement faibles.
Outre ces mesures, d’autres dispositifs prévus par ce texte sont également à saluer, tels que l’article 1er bis qui vise à lutter contre le non-recours à l’ASPA en imposant aux caisses de retraite la communication d’une information systématique et annuelle à destination des pensionnés susceptibles d’en bénéficier.
Cette information devra être délivrée non seulement au moment de la liquidation de leur retraite, mais également l’année précédant leur éligibilité à cette allocation, ce qui représente une avancée, car l’une des causes du non-recours à l’ASPA pourrait résulter du décalage entre l’âge légal de départ à la retraite, fixé à 62 ans, et celui auquel l’assuré peut solliciter cette allocation, à savoir 65 ans.
Nous nous félicitons également que l’article 3 tende à limiter à cinq ans le statut de conjoint collaborateur – cette limitation est déjà applicable aux aides familiaux – afin de les encourager à privilégier un statut socialement protecteur comme celui de coexploitant ou de salarié. Cette disposition a d’ailleurs été étendue à l’ensemble des conjoints collaborateurs, y compris ceux qui seraient déjà en activité lors de la promulgation de la loi.
L’article 3 bis, introduit à l’Assemblée nationale sur l’initiative d’André Chassaigne, prévoit enfin la remise d’un rapport du Gouvernement au Parlement sur l’application de l’article 9 de la loi Pacte, qui instaure des obligations déclaratives pour les chefs d’exploitation, et sur la situation des conjoints d’agriculteurs dont la situation professionnelle n’est pas déclarée.
Au vu de l’ensemble de ces motifs, et malgré nos regrets réitérés quant à la suppression de l’article 2 qui aurait permis de garantir un montant minimal de retraite à 85 % du SMIC aux conjoints collaborateurs et aux aides familiaux, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera ce texte conforme, tant il est urgent de confirmer cette première avancée pour se diriger enfin vers des pensions de retraite dignes pour l’ensemble des non-salariés agricoles. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, RDSE, CRCE et UC, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Laurent Duplomb applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier.
M. Martin Lévrier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, par leur passion, les agriculteurs nourrissent notre pays malgré une rémunération souvent faible.
J’ai d’ailleurs une pensée toute particulière pour les 948 exploitations agricoles du département des Yvelines. Céréaliers, maraîchers, éleveurs, primeurs, quel que soit leur domaine, ils démontrent que leur activité évolue afin de préserver la filière. Leur présence est précieuse, car ils assurent un rôle déterminant, notamment dans notre équilibre alimentaire.
Comment ne pas rappeler en préambule que la grande majorité des syndicats d’agriculteurs souhaitait la réforme universelle des retraites ? (Murmures sur les travées du groupe CRCE.) Malheureusement, la covid-19 a contraint le Président de la République à la reporter jusqu’à ce que les conditions économiques et sociales soient réunies.
Ces professions ne pouvaient plus attendre. Et il était indispensable de se pencher en urgence sur les pensions du monde agricole, au vu de leur montant. Aussi, c’est bien naturellement que nous avons apporté tout notre soutien à la loi du 3 juillet 2020, rebaptisée Chassaigne 1.
Cette loi permet de revaloriser les retraites agricoles, portant la pension totale d’un chef d’exploitation ou d’entreprise agricole en métropole et en outre-mer justifiant d’une carrière complète à 85 % du SMIC net à partir du 1er janvier prochain. Elle concerne 227 000 chefs d’exploitation agricole qui voient leur retraite minimale portée à 1 035 euros par mois. C’est une avancée majeure adoptée avec le soutien du Gouvernement. (M. René-Paul Savary s’exclame.)
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui complète ces avancées, en améliorant la retraite des collaborateurs d’exploitation ou d’entreprise agricole, les anciens conjoints participant aux travaux et les aides familiaux, qui sont à 75 % des femmes. Elle s’inscrit pleinement dans le cadre des travaux conduits par le Gouvernement. Elle s’inscrit également dans la lignée des recommandations de la mission sur les petites retraites confiée aux députés Lionel Causse et Nicolas Turquois par le Premier ministre.
Son article 1er prévoit le rapprochement de la pension majorée de retraite et du minimum contributif du régime général. Pour les 175 000 bénéficiaires de cette mesure, le gain moyen s’élèvera à 62 euros par mois et même à 75 euros pour les femmes.
L’article 1er bis prévoit, quant à lui, de renforcer l’information des assurés au sujet des conditions d’attribution et de récupération sur succession de l’allocation de solidarité aux personnes âgées. Le non-recours à l’ASPA est particulièrement élevé dans le secteur agricole en raison des craintes liées à la récupération sur succession des sommes versées.
Précisons que cette allocation n’est récupérée que sur la fraction de l’actif net successoral excédant 39 000 euros en métropole et 100 000 euros en outre-mer, tandis que le montant des sommes pouvant faire l’objet d’un recouvrement est plafonné annuellement. Depuis 2011, le capital d’exploitation agricole et les bâtiments indissociables sont même exclus du calcul de l’actif net successoral.
L’article 3 tend à limiter à cinq ans la possibilité d’exercer sous le statut de conjoint collaborateur. Cette mesure, vous le rappelez dans votre rapport, madame la rapporteure, fait consensus parmi les organisations syndicales et contribuera à orienter les intéressés vers une activité rémunératrice leur permettant d’acquérir des droits sociaux plus étendus.
L’article 3 bis vient compléter les avancées de la loi Pacte, en clarifiant les obligations de déclaration des conjoints collaborateurs, ainsi que les conséquences d’une éventuelle non-déclaration.
Mes chers collègues, le Gouvernement est attaché à trois principes qui ont déterminé sa position dans les débats sur les petites retraites agricoles : l’équité, la contributivité – ce sont les cotisations qui permettent d’ouvrir des droits – et la responsabilité – il nous faut assurer un financement pérenne de notre protection sociale.
Le rapport de Cathy Apourceau-Poly examiné la semaine passée nous a conduits, en commission, à adopter cette proposition de loi sans modification et le groupe RDPI se positionne aujourd’hui sans hésitation en faveur d’un vote conforme. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. Alain Duffourg applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais remercier le groupe CRCE d’avoir demandé l’inscription à notre ordre du jour de cette proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles les plus faibles.
Tout l’enjeu du dossier agricole a été particulièrement bien résumé en 1967, lors du discours d’Aurillac, par George Pompidou pour qui l’effort autour de l’agriculture devait nous permettre de « répondre aux besoins de la France et de l’Europe de demain et d’assurer en même temps à nos agriculteurs un niveau de vie convenable ».
Nous l’avons encore bien vu depuis le début de cette pandémie : nos agriculteurs ont sauvegardé notre souveraineté alimentaire. Nous avons parlé en septembre dernier de la question de la rémunération de nos agriculteurs, en examinant la proposition de loi dite Égalim 2 : il s’agissait de leur assurer un niveau de vie convenable, ce qui n’est pas le cas actuellement. Après une vie de labeur particulièrement intense, la retraite doit apporter de quoi vivre.
Je souhaite féliciter le député André Chassaigne pour son engagement constant et reconnu en faveur du secteur de l’agriculture et plus particulièrement des retraites agricoles.
Je salue cette proposition de loi qui a le mérite d’apporter une solution à un problème identifié depuis bien longtemps. Lors de son examen, la commission des affaires sociales a adopté le texte sans apporter de modification à ses quatre articles. L’entrée en vigueur de plusieurs dispositifs se situant au 1er janvier prochain, nous comprenons l’enjeu.
Le sort des conjoints collaborateurs et des aides familiaux est particulier à plusieurs égards : d’abord par leur statut, ensuite par le rôle important qui est le leur au sein d’une exploitation.
Le travail des conjoints collaborateurs, en plus d’être essentiel, est particulièrement difficile. La précarité de leur statut est inacceptable. Ce rôle est majoritairement endossé par des femmes : elles représentent 78 % des bénéficiaires de la pension de conjoint collaborateur avec une retraite moyenne d’environ 500 euros par mois.
Personnellement, je trouvais intéressant de les faire bénéficier du complément différentiel de points de retraite complémentaire obligatoire, ce qui aurait permis que le montant minimal de leur pension soit égal à 85 % du SMIC, comme c’est déjà le cas pour les chefs d’exploitation grâce à la loi Chassaigne 1 de juillet 2020.
Cependant, la solution trouvée autour d’un montant unique de pension majorée de référence pour l’ensemble des assurés non salariés agricoles est une avancée intéressante.
J’entends les arguments soulignant qu’une cotisation moindre aggrave le risque d’une perte d’équilibre du régime de protection sociale des personnes non salariées des professions agricoles. Je souhaite toutefois rappeler que ce manque de cotisation n’est pas volontaire ; il est le résultat du manque de moyens des exploitants, ne leur permettant pas de cotiser suffisamment pour leur conjoint aidant.
Autre point essentiel dans cette proposition de loi : la limitation de la durée du statut de conjoint collaborateur. L’encadrement proposé à cinq ans renforce la volonté de protection exprimée dans ce texte.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce texte est une avancée très importante et une question de justice sociale pour les femmes et les hommes qui nous nourrissent. Si les exploitations agricoles fonctionnent, c’est aussi parce que des conjoints collaborateurs et des aides familiaux y déploient un travail continu et s’y impliquent fortement. Cette proposition de loi apporte des solutions concrètes aux agriculteurs, qui ont travaillé sept jours sur sept et qui, à l’heure de leur retraite, doivent pouvoir eux-mêmes se nourrir et avoir un minimum pour vivre.
Le groupe Les Indépendants votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE et CRCE, ainsi qu’au banc des commissions. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Kristina Pluchet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Kristina Pluchet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes rassemblés aujourd’hui pour discuter d’un sujet qui me tient particulièrement à cœur : l’augmentation des pensions de retraite agricoles les plus faibles, pour prendre un peu plus soin de ceux qui nous ont nourris discrètement leur vie durant.
Les pensions agricoles d’aujourd’hui sont le reflet de choix historiques posés dans des conditions bien différentes. Elles sont le fruit d’un compromis de l’après-guerre, qui avait choisi d’offrir un régime de retraite à une profession encore très nombreuse participant activement à la reconstruction du pays sans faire peser sur ses revenus des charges sociales trop lourdes. À l’époque, on ne savait pas que les revenus agricoles allaient fluctuer autant ni que la vente des exploitations, censée compléter les revenus des retraités, se compliquerait.
Pour le conjoint et les enfants, aucune cotisation – donc aucun droit – n’était prévue, même si ceux-ci participaient aux travaux de l’exploitation : leur travail prolongeait celui qui était accompli dans la maison, sans qu’il soit utile de lui associer la moindre reconnaissance d’ordre professionnel.
En 1999, les conjoints participant aux travaux de l’exploitation agricole se virent enfin attribuer un statut légal. Ils purent, seulement à partir de 2011, bénéficier d’une retraite complémentaire, mais à des conditions encore moins favorables que les chefs d’exploitation, puisque les cotisations étaient plus faibles.
C’est ce qui explique pourquoi, aujourd’hui, les montants moyens des retraites agricoles des non-salariés et a fortiori des conjoints collaborateurs et aides familiaux sont inférieurs au seuil de pauvreté pour une carrière complète : environ 9 400 euros par an dans l’ensemble et 8 900 euros pour les femmes.
Pourquoi cette lenteur dans la prise en considération de cette situation par le législateur ? Est-ce là notre conception de la justice et de la solidarité nationale pour les quelque 225 000 exploitants, 125 000 conjoints collaborateurs, 204 000 aides familiaux et 390 000 veufs et veuves, dont le travail était vital pour notre pays et qui ne se sont jamais plaints ?
Les raisons qui ont conduit à différer continuellement cette revalorisation pourtant si évidente ne sont pas compréhensibles, alors que, dans le même temps, on a consenti d’autres efforts non négligeables pour d’importantes catégories de Français. En fait, on ne devrait même pas débattre de cette question.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. C’est vrai !
Mme Kristina Pluchet. Je rappelle aussi que la revalorisation des pensions des chefs d’exploitation a déjà pris un certain temps : elle a été adoptée une première fois à l’Assemblée nationale en février 2017 et il a fallu attendre juin 2020, soit près de trois ans et demi, pour que la proposition de loi revalorisant à 85 % du SMIC les retraites des exploitants soit votée, avec – qui plus est – un report de l’application de cette mesure à novembre de cette année. Je ne suis pas dupe de l’opportunité de ce calendrier, je ne le suis pas non plus en ce qui concerne la présente proposition de loi. Soit !
Ce texte vient donc – à point nommé… – compléter certains angles morts de la loi de 2020 et rendre en partie justice aux conjoints collaborateurs et aux aides familiaux.
Je ne peux que regretter que certaines dispositions proposées par André Chassaigne n’aient pas été conservées lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale et que ne subsiste essentiellement que l’harmonisation de la pension majorée de référence, complétée de l’alignement du plafond d’écrêtement au niveau de l’allocation de solidarité aux personnes âgées.
L’ambition de la proposition de loi initiale était plus décente pour ceux et, surtout, celles qui, au terme d’une vie de labeur et d’astreinte, sont confrontés aux difficultés de la vieillesse et de la dépendance.
Je salue cependant l’introduction de la limitation à cinq ans du statut de conjoint collaborateur, comme cela a été fait pour les aides familiaux, pour en finir à terme avec ce statut pourvoyeur de petites retraites et vecteur de précarité et pour le restreindre, en quelque sorte, à un sas de transition dans la profession et sortir d’une logique de couple qui n’est pas sans risque et qui s’ajuste mal avec l’individualisation et l’égalité des droits.
Pour aller plus loin, si nous voulions véritablement prendre soin de ceux qui nous nourrissent, il faudrait réfléchir à un régime renouvelé, fondé sur un nouvel équilibre en rapport avec l’actuelle démographie de la profession et le niveau des prix de cession des exploitations.
Agir sur les retraites agricoles permettrait de relancer l’attractivité du métier et de réguler le coût de cession des fermes. Même si ce n’est pas l’objet de la discussion de ce jour, ce sont des enjeux que nous ne devons pas perdre de vue.
Compte tenu de l’urgence à revaloriser les retraites agricoles de ces oubliés et du consensus autour des mesures proposées, et dans un esprit de responsabilité, je voterai ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP et CRCE, ainsi qu’au banc des commissions. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Daniel Salmon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après une première loi adoptée en 2020 qui a porté le complément de retraite obligatoire de 75 % à 85 % du SMIC pour les chefs d’exploitation, mesure effective depuis le 1er novembre 2021, ce nouveau texte, dont la portée a été – hélas ! – réduite, améliore la situation des conjoints collaborateurs et aides familiaux d’agriculteurs.
La situation de ces conjoints collaborateurs et aides familiaux présente une double problématique : de très faibles niveaux de pension et de fortes inégalités.
À l’heure où une partie du monde agricole est en crise, où les pratiques sont remises en question, tant d’un point de vue économique qu’environnemental, et où les drames s’accumulent, cette proposition de loi qui vise les plus précaires de la profession est un signe de respect et de compréhension de l’absolue urgence de la situation. Et nous remercions le groupe CRCE de défendre ce sujet.
307 euros : voilà le montant, dans le régime des non-salariés agricoles, d’une pension de conjoint collaborateur ou de conjointe collaboratrice. Ce montant est dérisoire au regard du travail réellement accompli dans l’exploitation !
Le mécanisme retenu à l’article 1er de ce texte pour revaloriser ces pensions consiste à aligner la pension majorée de référence des conjoints collaborateurs et des aides familiaux sur celle des exploitants. Cela devrait bénéficier à 175 000 pensionnés pour un gain mensuel moyen de 62 euros. Les 25 % les plus pauvres des non-salariés agricoles obtiendront un gain de 106 euros mensuels et les 5 % les plus précaires de 144 euros mensuels.
Nous regrettons toutefois que l’extension aux conjoints collaborateurs et aux aides familiaux du bénéfice de la garantie d’un revenu minimal de 85 % du SMIC ait été supprimée sans proposition de remplacement.
Et nous alertons sur la mesure de l’article 3 qui vise à limiter à cinq ans le statut de conjoint collaborateur d’exploitation à l’image du statut d’aide familial. Si nous comprenons cette stratégie qui est d’en finir avec ces sous-statuts, cela signifie qu’il reste cinq ans pour mettre en place une véritable politique de revenus pour les agriculteurs et agricultrices, afin de garantir la pérennité des exploitations. Ces sous-statuts existent toujours, car nombre d’exploitations ne sont pas encore en mesure de s’en passer : la question du revenu est donc primordiale.
À ce titre, la politique agricole commune est centrale. Elle assure encore en moyenne 47 % des revenus des agriculteurs français. Sur la période 2021-2027, près de 386 milliards d’euros courants sont prévus et l’enjeu est bien celui de leur orientation. La vision libérale qui a conduit à la dérégulation des marchés agricoles européens depuis le début des années 1990 perdure. Or, si nous souhaitons des prix équitables pour les producteurs, donc des revenus dignes, et des prix raisonnables pour les consommateurs, il faut des outils de régulation des marchés, que ce soit sur le stockage, les prix ou encore les volumes de production.
Enfin, nous défendons le fait que les droits annuels soient à l’avenir indexés sur le SMIC horaire comme la cotisation minimum, et non sur les prix. En effet, cette configuration d’indexation est pénalisante, d’autant qu’elle est associée à un allongement de la durée de cotisation pour l’obtention du taux plein.
Ce sont là des pistes de travail pour un troisième texte sur cet enjeu essentiel : garantir des conditions de vie plus dignes à l’ensemble de la profession.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires souhaite donc une promulgation rapide de ce texte et il votera pour son adoption conforme. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE et sur des travées des groupes SER et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord remercier André Chassaigne de ne jamais avoir abandonné la question des retraites agricoles, particulièrement celle des petites pensions.
Les pensions agricoles sont le plus souvent très basses, tant pour les conjoints collaborateurs et aidants familiaux, dont nous discutons aujourd’hui, que pour les exploitants.
L’intérêt de cette proposition de loi est double : reconnaître une injustice qui dure depuis trop longtemps et la corriger, au moins en partie.
Si nous voulons reconnaître cette injustice, nous devons la comprendre. Pour bien la comprendre, il ne faut pas se raconter d’histoires.
Pour cela, je vais vous raconter une histoire, une histoire vraie qui fait écho à la réalité d’aujourd’hui et peut nous permettre de regarder celle-ci d’un autre œil. Cette histoire, c’est celle qu’ont vécue les femmes de paysans pendant des décennies, c’est celle de la grand-mère de mon épouse, Juliette Ampilhac, née Fuzet.
Elle est née en 1920, en Haute-Loire, d’un couple de paysans de Maméas, un hameau dont les habitants n’avaient alors ni salle de bains ni même eau du robinet ou électricité, mais travaillaient sans cesse, tous les jours.
Le travail commençait tôt le matin, même pour les enfants. L’exploitation où Juliette Fuzet est née comptait dix vaches, qui pouvaient produire dix veaux, quand ceux-ci ne périssaient pas prématurément, et un peu de lait pour la famille ; elles permettaient aussi de cultiver quelques hectares à la force des bras, dans une peine constante. Juliette Fuzet, dès son plus jeune âge, travaillait aussi à fabriquer des gants, pour arrondir un tout petit peu les fins de mois de ses parents.
Elle s’est mariée en 1944 avec Claudius Ampilhac, devenant ainsi « fillade », c’est-à-dire belle-fille de la famille. Elle vivra plus de vingt-sept ans avec ses beaux-parents et prendra soin d’eux pendant toute leur retraite et jusque dans la mort : à cette époque-là, quand quelqu’un mourait, on le revêtait de ses plus beaux habits ; il était ensuite veillé, trois jours et trois nuits, par une personne du village et une de la famille, qui récitaient bien sûr des « Notre Père » et des « Je vous salue Marie » – pardonnez-moi cette entorse à la laïcité, mes chers collègues ! (Sourires.)
Toute sa vie, Juliette Ampilhac s’est levée à six heures du matin, y compris les samedis et dimanches, Noëls et jours fériés.
Toute sa vie, sans cesse, l’effort : elle descendait à vélo au Puy-en-Velay, à vingt-cinq kilomètres de chez elle, pour y vendre du beurre, parce qu’elle pouvait en tirer un meilleur prix.
Toute sa vie, elle a dû se forcer, elle a dû écarter le fumier à la fourche, car le matériel moderne n’existait pas là-bas.
Toute sa vie, elle a dû accepter la douleur : n’a-t-elle pas été mordue par une vipère en chargeant du foin sur son char ? Et pourtant, elle ne s’est jamais plainte.
Toute sa vie, elle a trimé. Elle devait laver le linge en plus des travaux de la ferme, et elle savait une chose que tout le monde a oubliée aujourd’hui : l’hiver, là où l’eau court moins vite, elle est moins froide.
Toute sa vie, elle a fait son travail avec passion, bien au-delà de la retraite : à 75 ans, elle labourait encore, désormais avec un tracteur moderne et une charrue à quatre socs. Cette retraite, elle y est parvenue en 1985 ; elle a eu droit à une pension de 300 000 anciens francs, soit 3 000 francs nouveaux, ou 400 euros et quelques. Quand sa vie est parvenue à son terme, en 2011, sa retraite n’avait que peu changé : elle était de 555 euros. Alors, Juliette Ampilhac n’aura jamais bien gagné sa vie, même si elle a beaucoup travaillé ; pourtant, contrairement aux générations d’aujourd’hui, elle ne s’est jamais plainte.
Toute sa vie, elle aurait mérité d’être reconnue. La reconnaissance que nous lui offrons aujourd’hui vient enfin saluer cet effort, ces douleurs, ce travail. Il n’en reste pas moins vrai qu’elle arrive trop tard pour vraiment récompenser l’effort que Juliette Ampilhac et tant d’autres femmes d’agriculteurs ont accompli. Le nombre de personnes pouvant bénéficier de ce dispositif diminue et ne cessera pas de diminuer. Je regrette que l’on se serve quelque peu aujourd’hui de ce texte pour faire de la communication, alors qu’aucune ligne budgétaire n’est encore allouée à sa mise en œuvre.
Toute sa vie, Juliette Ampilhac aurait aimé qu’on puisse lui dire, à un moment ou à un autre, que le travail qu’elle réalisait n’était pas vain ! (Marques d’émotion et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, RDSE, GEST et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. J’ai bien sûr écouté avec intérêt l’ensemble des orateurs. Je ne répondrai pas dès à présent à tout le monde – la suite de notre discussion me donnera l’occasion de le faire –, mais je veux m’appliquer à clarifier deux points.
D’une part, en réponse à une question de Mme la rapporteure, je veux confirmer l’engagement du Gouvernement de relever le montant de la nouvelle pension majorée de référence au niveau du minimum contributif majoré, soit un passage de 699 euros à 713 euros mensuels ; cela sera fait, par décret, à compter du 1er janvier 2022.
D’autre part, madame Sollogoub, vous avez à juste titre complété la citation que j’ai faite d’André Chassaigne, en rappelant que les femmes ne sont pas seulement filles, petites-filles ou arrière-petites-filles d’agriculteurs : elles peuvent aussi en être les épouses ! J’entends combien vous êtes concernée par ces enjeux, madame la sénatrice. À ce propos, pour alimenter votre réflexion, je veux rappeler que deux tiers des bénéficiaires des 214 000 pensions qui augmenteront à la suite de l’adoption de ce texte sont des femmes. Le gain mensuel moyen pour l’ensemble de ces bénéficiaires sera de 64 euros, mais il sera de 85 euros pour les femmes ; cette revalorisation atteindra même au total 100 euros si cette personne a été conjointe collaboratrice toute sa vie. Cette situation est loin d’être rare : 70 000 femmes sont dans ce cas.
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraites agricoles les plus faibles
TITRE Ier
INSTITUER UN DISPOSITIF UNIQUE DE PENSION MAJORÉE DE RÉFÉRENCE POUR TOUS LES NON-SALARIÉS AGRICOLES
Article 1er
(Non modifié)
I. – Le code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :
1° La deuxième phrase du second alinéa de l’article L. 732-54-2 est supprimée ;
2° Au premier alinéa de l’article L. 732-54-3, les mots : « fixé par décret » sont remplacés par les mots : « dont le montant est égal à celui de l’allocation de solidarité aux personnes âgées prévu pour une personne seule à l’article L. 815-4 du code de la sécurité sociale ».
II. – Le I entre en vigueur le 1er janvier 2022. Il est applicable aux pensions dues à compter de cette date, y compris aux pensions de retraite ayant pris effet avant cette date.
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, sur l’article.
M. François Bonhomme. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’instauration d’un dispositif unique de pension majorée de référence pour tous les non-salariés agricoles était très attendue.
Il était en effet plus que temps de corriger une situation difficilement supportable et d’offrir une revalorisation significative aux conjoints collaborateurs et aux aidants familiaux, qui ont œuvré, souvent dans l’ombre et sans bruit, à l’agriculture de notre pays.
Je veux rappeler que cette revalorisation a longtemps été ajournée et que 90 % des 493 000 femmes retraitées du régime des non-salariés agricoles percevant une pension inférieure à 1 000 euros par mois ont été conjoint collaborateur ou aide familial au cours de leur carrière.
Bien sûr, je fais partie de ceux qui se réjouissent de cette proposition de loi et notamment de son article 1er, qui procède à l’augmentation tant attendue de la pension majorée de référence des conjoints collaborateurs, en établissant un montant unique pour cette PMR, quel que le soit le statut de l’assuré non salarié agricole.
Cela va permettre le relèvement du montant de la pension des conjoints collaborateurs et aides familiaux, aujourd’hui fixé à 555,50 euros, au niveau de celui qui est en vigueur pour les chefs d’exploitation, soit 699,07 euros, pour les retraités actuels comme futurs.
Par ailleurs, cet article prévoit le relèvement du seuil d’écrêtement de la pension majorée de référence au niveau du montant de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) pour une personne seule, soit 906,81 euros.
De telles dispositions permettront d’améliorer la situation des conjoints collaborateurs et des aides familiaux retraités ; il s’agit de mesures de bon sens très largement attendues dans nos territoires ruraux, en particulier dans le Tarn-et-Garonne.
Pour autant, pour nous assurer que ce texte aura une véritable portée, il nous faudra garantir les recettes nécessaires, notamment au travers des prochains projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale.
N’oublions pas que ces hommes – et particulièrement ces femmes – de l’ombre ont travaillé dur, très dur, et méritent une telle reconnaissance, même si elle est tardive et demeure insuffisante.
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville, sur l’article.
M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi contient des mesures de justice sociale que nous saluons ; c’est particulièrement le cas de cet article 1er, qui met en place un montant unique de PMR pour tous les assurés non-salariés agricoles.
Je voudrais souligner la constance de l’engagement de notre collègue député André Chassaigne dans ce combat.
Il est nécessaire de poser la question de la revalorisation des pensions de retraite agricoles. N’oublions pas que notre agriculture, dont nous sommes si fiers, repose sur nos agriculteurs et leur savoir-faire. N’oublions pas que notre souveraineté alimentaire, dont nous avons tant besoin, est également promue par nos agriculteurs. Et parmi ceux-ci, il faut aussi compter les conjoints collaborateurs et les aides familiaux, qui travaillent souvent dans l’ombre, mais sont un maillon essentiel des exploitations agricoles.
Le vote de cet article et, plus largement, de cette proposition de loi marque donc un moment important. Je le répète : c’est une question de justice sociale ! Après la revalorisation des retraites agricoles vient aujourd’hui celle des pensions des conjoints collaborateurs. C’est pourquoi nous voterons cette proposition de loi et en particulier son article 1er. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Franck Montaugé et Mme Cécile Cukierman applaudissent également.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
TITRE Ier bis
RENFORCER L’INFORMATION DES ASSURÉS SUR L’ALLOCATION DE SOLIDARITÉ AUX PERSONNES ÂGÉES
Article 1er bis
(Non modifié)
I. – L’article L. 815-6 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° Les mots : « dans des conditions fixées par décret, » sont supprimés ;
2° Après le mot : « vieillesse », sont insérés les mots : « et au cours de l’année précédant l’âge minimum mentionné à l’article L. 815-1 lorsqu’ils ne sont pas déjà bénéficiaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées » ;
3° Les mots : « de l’allocation de solidarité aux personnes âgées » sont supprimés.
II. – Le I entre en vigueur le 1er janvier 2022. – (Adopté.)
TITRE II
ÉLARGIR AUX FEMMES CONJOINTS COLLABORATEURS ET AIDES FAMILIAUX L’ACCÈS AU COMPLÉMENT DIFFÉRENTIEL DE POINTS DE RETRAITE COMPLÉMENTAIRE OBLIGATOIRE
Article 2
(Suppression maintenue)
TITRE III
LIMITER DANS LE TEMPS LE STATUT DE CONJOINT COLLABORATEUR
Article 3
(Non modifié)
I. – Après le dixième alinéa à l’article L. 321-5 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La personne qui devient collaborateur du chef d’exploitation ou d’entreprise agricole ne peut pas conserver cette qualité plus de cinq ans. »
II. – Le I du présent article entre en vigueur le 1er janvier 2022.
III. – Le I s’applique à compter du 1er janvier 2022 aux personnes ayant la qualité de collaborateur d’un chef d’exploitation ou d’une entreprise agricole à cette date. – (Adopté.)
Article 3 bis
(Non modifié)
À l’issue d’un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport relatif à l’application de l’article 9 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises et, en particulier, à la situation des personnes dont la situation professionnelle n’est pas déclarée et qui ne cotisent pas au régime agricole. – (Adopté.)
TITRE IV
ASSURER DES RESSOURCES COMPLÉMENTAIRES AU RÉGIME D’ASSURANCE VIEILLESSE COMPLÉMENTAIRE OBLIGATOIRE DES NON-SALARIÉS AGRICOLES
Articles 4 à 6
(Suppressions maintenues)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Alain Duffourg, pour explication de vote.
M. Alain Duffourg. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me félicite par avance de l’adoption de ce texte, même si assurer une retraite décente à tous les non-salariés agricoles aurait dû être fait depuis longtemps.
Quoi qu’il en soit, la proposition de loi d’André Chassaigne, pour laquelle je voterai, ainsi que les autres membres de mon groupe Union Centriste, me paraît constituer une avancée intéressante. À partir du 1er janvier, la pension de retraite des exploitants agricoles sera de 1 035 euros ; ce texte contient également des avancées pour les conjoints collaborateurs.
Étant élu d’un territoire rural, le Gers, les organisations syndicales agricoles m’ont sollicité en vue d’une augmentation substantielle de ces pensions de retraite. J’estime qu’il eût été opportun de les porter à 1 200 euros pour les chefs d’exploitation et à 1 000 euros pour les conjoints collaborateurs.
Néanmoins, comme l’a rappelé tout à l’heure M. le secrétaire d’État, il convient d’équilibrer l’ensemble des retraites entre les différentes catégories socioprofessionnelles ; je pense notamment aux artisans et aux commerçants. Je comprends donc bien qu’il est compliqué aujourd’hui, d’un point de vue financier, de porter les retraites agricoles aux montants que je viens d’indiquer.
Néanmoins, la proposition de loi d’André Chassaigne représente bien, à mon sens, une avancée très intéressante. C’est une bonne chose que l’ensemble de nos groupes soutiennent aujourd’hui ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et au banc de la commission. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre groupe soutiendra cette proposition de loi. Je voulais remercier Cathy Apourceau-Poly pour sa persévérance et celle de ses camarades sur ce sujet tout à fait important.
Je voudrais surtout à cette occasion revenir sur les propos de M. le secrétaire d’État, qui a parlé d’équité, de contributivité et de responsabilité.
L’équité, monsieur le secrétaire d’État, ce n’est pas l’égalité ! Je vois que vous avez avancé : l’équité que vous soutenez ici, ce n’est pas le système universel de retraites que vous proposiez auparavant. Au moins, les choses sont claires.
La contributivité, quant à elle, est tout à fait essentielle, mais je vous rappelle qu’un système par points est encore plus contributif qu’un système par annuités, puisque ce sont les cotisations qui définissent la prestation. C’est donc un système redoutable pour les assurés s’il n’y a pas une action de solidarité supplémentaire. Soyons donc attentifs en la matière.
Quant à la responsabilité, c’est avant tout assurer le financement du système ! On parle de petites retraites agricoles, mais même ce modeste financement n’est pas garanti, puisque c’est la MSA qui va devoir s’endetter pour payer cette prestation supplémentaire. La solidarité retenue n’est qu’intra-agricole, elle n’est pas nationale. Elle le deviendra peut-être, dès lors que des mesures seront prises dans une loi de finances, mais on continue pour le moment de financer par la dette un système de retraites par répartition. Cela ne peut pas durer ! Je veux vous alerter sur ce point, mes chers collègues : il faudra impérativement prendre nos responsabilités si l’on veut garantir des prestations décentes à toutes celles et tous ceux qui ont travaillé toute leur vie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Duffourg applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.
Mme Monique Lubin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, intervenant après nombre d’orateurs, je voudrais d’abord revenir sur ces femmes agricultrices dont on a déjà beaucoup parlé. De fait, elles ont énormément travaillé, quand bien même, à une époque qui n’est pas si lointaine, on n’estimait pas vraiment nécessaire de les rémunérer pour le travail qu’elles accomplissaient ni de les faire cotiser pour leur retraite. C’est pourquoi elles se retrouvent aujourd’hui dans cette situation.
D’ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, vous avez dit tout à l’heure quelque chose d’assez révélateur : vous avez déclaré que l’augmentation des pensions agricoles permettait un rebond de la situation financière du couple. Mais nous ne vous parlons pas de couple : il est plutôt question des conjointes collaboratrices, dont il était plus que temps de reconnaître le statut, même si nous ne sommes pas encore au bout des efforts nécessaires.
Ensuite, si tout le monde se félicite aujourd’hui du succès de ce texte, il convient avant tout de rendre hommage à André Chassaigne et à ses collègues de l’Assemblée nationale et du Sénat : contre vents et marées, à la fin du quinquennat, ils ont réussi à faire prospérer leur texte, alors qu’il faut bien reconnaître que, dans la première moitié de ce quinquennat, ils ont subi une sacrée adversité en raison de l’attitude du Gouvernement !
Enfin, je voudrais noter que, par les différents textes que nous adoptons ces temps-ci, nous sommes en train de valider des tiers-statuts pour des emplois extrêmement précaires. J’ai eu l’occasion de m’exprimer sur ce point il y a quelques jours, au sujet des travailleurs des plateformes. Faisons attention : ce que nous votons aujourd’hui devrait nous servir de leçon, car si nous n’y prenons garde, dans trente ou quarante ans, nos successeurs auront à gérer des manques en matière de retraites, notamment pour tous les travailleurs qui sont extrêmement précaires aujourd’hui, mais que nous sommes finalement en train d’inscrire dans le paysage public. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence d’André Chassaigne, qui avait prévu d’être présent dans nos tribunes ce matin, mais a été retenu à Thiers, dans sa circonscription. Il avait su être présent lors de nos débats sur la première proposition de loi de revalorisation des pensions de retraite agricoles.
Ces textes montrent bien, s’il en était besoin, l’importance du travail et de l’initiative parlementaires. Comme je le disais dans la discussion générale, au-delà même, parfois, de nos sensibilités et de nos groupes, ce travail nous permet d’agir et de travailler au service des femmes et des hommes de notre pays.
Je crois que l’on peut se féliciter de l’adoption imminente de la présente proposition de loi, qui est d’abord un texte de reconnaissance, mais qui permettra aussi aux agricultrices, agriculteurs et conjoints collaborateurs de mieux vivre demain.
Cependant, il serait impossible d’achever l’examen de ce texte sans avoir une pensée pour toutes celles et tous ceux qui touchent aujourd’hui, dans notre pays, des pensions indignes, des pensions qui ne leur permettent pas de vivre dignement. Comme Mme Lubin le disait à l’instant, faisons attention, car de plus en plus de métiers sont aujourd’hui frappés par la précarité. C’est vrai pour les travailleurs des plateformes, mais aussi pour tous ceux qui prodiguent des services à domicile, ou encore les aides-soignants.
Les semaines qui s’ouvrent verront certainement se tenir sur le sujet des retraites des débats très importants pour les Françaises et les Français. Oui, monsieur le secrétaire d’État, nous avons besoin d’une véritable réforme de notre système de retraite ! Certes, nous n’approuvons pas la vôtre, mais nous ne pouvons en rester au système actuel.
Cela étant dit, je veux tout simplement, au nom de mon groupe et avec beaucoup d’humilité, remercier l’ensemble des groupes politiques : grâce à eux tous, dans quelques instants, cette proposition de loi pourra être adoptée ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mmes Monique Lubin et Angèle Préville applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour explication de vote.
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me réjouis, moi aussi, de l’unanimité qui se dégage aujourd’hui ; avouons qu’on la rencontre assez souvent dans cette assemblée quand il est question d’agriculture.
Pour autant, le sujet des retraites agricoles ne date pas d’hier. Les différents exécutifs qui se sont succédé au fil des quinquennats n’ont pas tous travaillé de la même façon.
Je me félicite donc de la ténacité de notre collègue député André Chassaigne et je le remercie pour cette performance : alors qu’il n’appartient ni à la majorité de l’Assemblée nationale ni à celle du Sénat, il est parvenu, par sa seule ténacité, à convaincre tout le monde d’augmenter ces pensions de retraite, notamment pour les conjoints collaborateurs.
Je voudrais tout de même rappeler qu’il est question des retraites de femmes et d’hommes qui travaillent en moyenne 55 heures par semaine. Comme cela a été souligné par plusieurs orateurs, s’ils pouvaient cotiser pour leur retraite comme il le faudrait, ils le feraient, mais ils manquent de moyens pour ce faire. C’est pourquoi nous adoptons aujourd’hui ce texte : mieux vaut tard que jamais !
L’essentiel pour nous est de faire en sorte que les agriculteurs qui s’installent maintenant puissent obtenir un revenu décent qui leur permettra, au terme de leur carrière, de percevoir une retraite meilleure que celles que touchent aujourd’hui leurs aînés. À nous de travailler sur ce sujet !
Cela étant dit, je réitère mes remerciements à toutes et à tous, en particulier à André Chassaigne, pour avoir déposé cette proposition de loi, et au groupe CRCE pour avoir demandé son inscription à notre ordre du jour ; je veux croire qu’elle sera adoptée à l’unanimité ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote.
M. Franck Montaugé. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais adresser des remerciements très appuyés à notre collègue député André Chassaigne, que je considère comme un grand républicain, qu’il s’agisse de ce combat-ci ou d’autres. Sans lui, sans sa ténacité, nous n’en serions sans doute pas là aujourd’hui ; j’adresse aussi mes remerciements aux membres du groupe CRCE.
Je voudrais rappeler combien le groupe socialiste, comme nous tous, en particulier à la droite de cet hémicycle, avait mal vécu la manipulation à laquelle le Gouvernement s’était livré en recourant en 2018 au vote bloqué sur la proposition de loi de revalorisation des pensions agricoles. Nous avions fait preuve de sagesse en créant un véritable consensus ; au bout du compte, on a perdu plusieurs années, pendant lesquelles bien des anciens nous ont quittés. Je trouve ce procédé inqualifiable !
Je ne partage pas l’appréciation de M. le secrétaire d’État pour ce qui est de l’équité, car je pense que, sur un sujet aussi important que celui-ci, qui renvoie effectivement à la condition difficile de nos anciens agriculteurs, qu’a bien rappelée Henri Cabanel, il fallait avoir recours à la solidarité nationale pour que ces retraites soient revalorisées le plus rapidement possible.
La question du revenu, non réglée, est essentielle, mais elle n’est pas la seule, car elle est liée à celles du foncier agricole, dont nous avons quelque peu débattu avant-hier, et de la régulation des marchés.
Les maux qui touchent nos agricultures sont toujours là ; il nous reste beaucoup de travail à accomplir pour que, au bout du compte, nos agriculteurs devenus pensionnés soient reconnus à la hauteur de la mission qu’ils ont remplie pour l’ensemble de la nation française. (Applaudissements sur des travées des groupes SER, CRCE et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Serge Mérillou, pour explication de vote.
M. Serge Mérillou. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux à mon tour remercier André Chassaigne et le groupe CRCE pour cette proposition de loi ; je tiens aussi à adresser mes remerciements à l’Association nationale des retraités agricoles de France, qui se bagarre depuis plus de vingt ans pour faire avancer, de façon même modeste, le sort des agriculteurs, qui ont été malheureusement trop longtemps laissés pour compte.
Je veux aussi exprimer mes regrets vis-à-vis de la position adoptée par la majorité gouvernementale à l’Assemblée nationale : elle n’a eu de cesse de réduire la portée du texte d’André Chassaigne. Quand il s’agit d’assurer une parité entre hommes et femmes pour de tels montants de pensions de retraite agricoles, le procédé ne me semble pas très glorieux ! Récupérer aujourd’hui ce texte et le présenter comme une avancée offerte par la majorité gouvernementale me paraît quelque peu osé.
Rappelons d’ailleurs que cette même majorité gouvernementale avait réussi le tour de force de retarder pendant trois ans la revalorisation des pensions de retraite des chefs d’exploitation pour finalement ressortir ce texte du chapeau, à quelques mois des échéances électorales. Comme quoi, les élections servent finalement à quelque chose ! (Sourires.)
Cela étant dit, nous voterons évidemment ce texte, qui représente une avancée réelle et même, pour les retraités agricoles, un rayon de soleil dans un monde qui a été bien triste pour eux ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour explication de vote.
Mme Angèle Préville. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux, moi aussi, exprimer mes remerciements aux parlementaires communistes et à André Chassaigne ; il a fait montre d’un grand courage pour mener ce texte jusqu’au bout de la procédure parlementaire, tout comme ses collègues du Sénat qui ont bien voulu l’inscrire à leur ordre du jour réservé.
Je salue donc la plus juste reconnaissance qui va être offerte au travail très dur qu’ont mené les femmes dans le domaine de l’agriculture. Rappelons aussi, comme cela a été souligné par Laurence Rossignol en commission, que ces femmes n’ont pas toujours eu la capacité de déterminer elles-mêmes leur statut ; il est bon de réparer ce qui constituait en somme une injustice. (Applaudissements sur des travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour explication de vote.
Mme Nadia Sollogoub. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les membres du groupe Union Centriste se joignent évidemment à tous ces remerciements et soutiendront ce texte. Je ne voudrais pas en revanche que l’on oublie par la suite, parmi les conjoints collaborateurs, les femmes d’artisans et de commerçants : ce sera l’étape suivante ! (M. Alain Duffourg applaudit.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 58 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 343 |
Le Sénat a définitivement adopté la proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles les plus faibles, à l’unanimité. (Applaudissements.)
La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Il est des moments heureux dans la vie d’une commission ; ce vote est l’un d’entre eux !
Je veux saluer le travail de notre rapporteure Cathy Apourceau-Poly et la persévérance du groupe CRCE sur ce sujet, comme sur tous les autres d’ailleurs ! On peut leur reconnaître cette constance… (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)
Je tiens également à vous remercier, monsieur le secrétaire d’État, ainsi que les administrateurs de notre commission.
Enfin, il me semble qu’à l’écoute de tous les témoignages apportés par nos collègues la plupart d’entre nous ont vu apparaître le visage des femmes de nos familles qui se sont trouvées dans cette situation ; elles trouvent ici une reconnaissance certes modeste, mais réelle, et nos pensées vont vers elles. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et CRCE. – Mme Monique Lubin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. À l’unisson de Mme la présidente de la commission, je veux remercier, au nom du Gouvernement, l’ensemble des sénatrices et des sénateurs pour ce vote conforme qui permettra l’application de cette mesure dès le versement des pensions de janvier prochain.
Je veux aussi revenir sur celles et ceux qui en bénéficieront : beaucoup de conjointes collaboratrices, beaucoup d’épouses d’agriculteurs. Là aussi, il me semble que nous faisons collectivement un grand pas.
Je veux également, après bon nombre d’orateurs, saluer l’engagement du député André Chassaigne, mais aussi celui du ministre Julien Denormandie, avec qui j’ai travaillé sur l’ensemble de cette proposition de loi.
En fin de compte, je crois que nous faisons ici, collectivement, preuve d’innovation et de progrès social, ce dont nous pouvons tous nous féliciter. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens d’abord à remercier l’ensemble des membres de notre assemblée d’avoir voté en faveur de cette proposition de loi, ce qui marque l’aboutissement du travail persévérant de notre collègue député André Chassaigne.
Je veux tous vous remercier, parce que nous avons fait ensemble un travail considérable, avant même l’examen de ce texte en séance publique.
De nombreux collègues ont participé aux auditions, tous les groupes y ont été représentés et se sont exprimés. Je remercie le groupe CRCE d’avoir fait inscrire à son ordre du jour réservé l’examen de cette proposition de loi.
Surtout, je suis très heureuse pour ces femmes, ces hommes – les personnes concernées sont, pour 67 %, des femmes – qui bénéficieront d’une revalorisation de leur retraite : 100 euros de plus, quand on en gagne déjà 4 000 ou 5 000, cela ne se voit pas trop ; mais quand on en touche 500 par mois, c’est énorme.
Bien sûr, ce n’est qu’un petit pas, et nous aurions préféré voir adopter le texte qu’André Chassaigne avait initialement présenté. Mais c’est une deuxième victoire ! J’espère que le travail continuera, monsieur le secrétaire d’État, car il nous faut penser aussi à l’ensemble des retraités, et notamment aux plus pauvres. Il faudra y regarder de près. Merci à tous ! (Applaudissements.)
3
Reconnaissance d’un État palestinien aux côtés d’Israël
Rejet d’une proposition de résolution
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, de la proposition de résolution invitant le Gouvernement à relancer une initiative internationale multilatérale visant à la concrétisation d’une solution à deux États et à la reconnaissance d’un État palestinien par la communauté internationale, aux côtés d’Israël pour une paix juste et durable entre les peuples, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Pierre Laurent et plusieurs de ses collègues (proposition n° 228 rectifié).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Pierre Laurent, auteur de la proposition de résolution.
M. Pierre Laurent, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution que nous soumettons à votre approbation a un objet simple : inviter le gouvernement français, qui va présider le Conseil de l’Union européenne à compter du 1er janvier, à engager au plus vite une nouvelle initiative internationale multilatérale en vue d’aboutir à la concrétisation d’une solution à deux États passant par la reconnaissance d’un État palestinien aux côtés de l’État d’Israël.
Pourquoi cette initiative ? Et pourquoi maintenant ? Parce que, sans une telle initiative, l’inaction internationale perdurera face à la violence de la colonisation qui continue de se déployer en toute impunité, au mépris de toutes les résolutions de l’ONU votées par la France comme par la grande majorité de la communauté internationale.
Parce que, si cette violence perdure, la paix ne viendra jamais, ni pour les Palestiniens ni pour les Israéliens, et ce foyer d’insécurité régionale et internationale ne sera jamais éteint. Jamais ne sera acceptée l’annexion par Israël des terres destinées à un État palestinien, comme l’a montré en mai dernier la révolte massive de la jeunesse palestinienne dans tous les territoires, y compris en Israël. Cette révolte a envoyé un message au monde entier : la conscience nationale palestinienne est toujours là, debout.
Parce que la France, enfin, est la mieux placée pour prendre cette initiative, après le discrédit du prétendu deal du siècle scellé par l’administration de Donald Trump.
Deux ans après le vote par notre assemblée, et par l’ensemble du Parlement, d’une résolution sur la reconnaissance d’un État de Palestine, à la fin de 2014, la France était, le 15 janvier 2017, à l’initiative d’une rencontre réunissant 70 pays pour relancer une dynamique internationale en faveur d’un processus de règlement politique. C’était, à l’époque, un nouvel espoir.
Nous savons qui a brisé l’élan alors suscité : Donald Trump, investi à la tête des États-Unis à peine cinq jours après ce sommet de Paris. Il avait annoncé la couleur dès sa campagne électorale… Dès décembre 2017, malgré la désapprobation internationale, et celle de la France, il a reconnu Jérusalem comme capitale de l’État d’Israël, au mépris des résolutions 181 et 242 des Nations unies et de l’accord d’armistice de 1949, et préparé le déménagement de l’ambassade alors située à Tel-Aviv.
En 2018, le président des États-Unis portait ses coups directement contre les Palestiniens en fermant la représentation diplomatique de l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) à Washington et en divisant par deux la contribution états-unienne à l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient). Un an plus tard, la Maison-Blanche rétrogradait le niveau de sa représentation diplomatique auprès des Palestiniens, tout en entamant des discussions avec Israël autour de ce que Tel-Aviv et Washington allaient improprement baptiser le deal du siècle.
Cet accord, présenté en janvier 2020 et discuté uniquement avec le gouvernement de Benyamin Netanyahu, était une caricature, visant à enterrer une solution de paix juste et durable.
En autorisant l’annexion de la vallée du Jourdain et d’un tiers de la Cisjordanie, en légalisant les colonies du plateau du Golan syrien et de Jérusalem-Est, Washington privait les Palestiniens de 70 % de leurs territoires reconnus dans la limite des frontières de 1967 et d’une future capitale pour leur État.
En autorisant l’État d’Israël à créer un statut de résident, aux droits civiques et de circulation limités, pour les Palestiniens installés dans les territoires occupés ou annexés, et en rejetant tout droit au retour des réfugiés palestiniens, il foulait aux pieds, une fois encore, le droit international.
Ce plan, largement critiqué par la très grande majorité des États du monde, n’offrait aucune solution crédible.
Malheureusement, s’il a, plus que jamais, mené le conflit dans l’impasse, et a été compris par les gouvernements israéliens successifs comme un feu vert donné à l’accélération de l’annexion et de la colonisation, il a aussi conduit l’ensemble des acteurs internationaux, dont la France, à un attentisme coupable : il fallait attendre, toujours attendre, de voir ce que donnerait le plan américain. Aujourd’hui, on a vu et il faut sortir d’urgence de cet immobilisme, qui devient sinon une complicité de fait, malgré nos déclarations officielles, avec la politique d’annexion des autorités israéliennes.
L’élection de Joe Biden a tourné une page, dans la mesure où le plan Trump n’est plus la feuille de route officielle de l’administration américaine. Mais tout le monde sait que l’administration Biden ne prendra pas d’elle-même, pour le moment, d’initiative majeure. C’est pourquoi la France doit le faire, comme elle l’avait fait en 2017. C’est ce que le ministre palestinien des affaires étrangères et la nouvelle ambassadrice de Palestine en France sont venus dire à la France lors du Forum de la paix et, ici même, au président du Sénat lors d’une entrevue à l’occasion de ce Forum. La France est attendue. Elle peut jouer un rôle essentiel. Le Sénat, en adoptant cette résolution, peut contribuer à ce déblocage.
Car nous ne pouvons détourner le regard. Sur place, la situation est plus dramatique que jamais.
Une fois la page Netanyahu tournée, la colonisation repart de plus belle, avec la nouvelle coalition menée par Naftali Bennett. Fervent défenseur de la colonisation et de l’annexion, ce dernier accélère la politique agressive de son prédécesseur.
Les enquêteurs dépêchés par l’ONU, mais aussi la quasi-totalité des nombreuses organisations non gouvernementales présentes dans les territoires palestiniens, attestent tous de cette augmentation des violences, des expulsions, des déplacements forcés et illégaux de populations palestiniennes.
Le rapport de l’organisation non gouvernementale Breaking the Silence paru en juillet dernier est très clair : « Cette violence est un instrument pour s’approprier plus de terres. […] La frontière est très mince entre les colons, pour certains armés par le ministère de la défense, et les soldats qui, parfois, vivent eux-mêmes dans les colonies ou partagent la même idéologie. » Le résultat est un système où l’armée « au mieux ignore, au pire se fait complice de la violence des colons » avec des soldats devenant « les gardes du corps de colons qui violent la loi ».
Les violences ont atteint un tel stade que ce sont aujourd’hui la Cour pénale internationale et une commission d’enquête spéciale de l’ONU qui mènent des investigations contre Israël pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et atteintes aux droits humains.
Qu’est devenu le projet de David Ben Gourion qui, dans sa déclaration du 14 mai 1948, proclamait : « Israël assurera une complète égalité de droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction de croyances, de race ou de sexe » ? Qu’est devenu son appel à la paix, assurant qu’Israël tendait « la main de l’amitié, de la paix et du bon voisinage à tous les États » ?
Qu’ont fait les gouvernements Netanyahu et Bennett de la déclaration de Yitzhak Rabin du 4 novembre 1995 : « La violence sape les bases de la démocratie israélienne. Elle doit être condamnée et isolée. Ce n’est pas la voie d’Israël. […] Je veux dire sans détour que nous avons trouvé un partenaire pour la paix chez les Palestiniens, l’OLP. »
Le gouvernement de Naftali Bennett poursuit activement le plan de planification routière entamé par Benyamin Netanyahu. Ce vaste projet, qui a conduit à construire plusieurs centaines de kilomètres de routes dans les territoires occupés, vise un quadruple objectif : appliquer de facto une souveraineté d’Israël sur les territoires occupés, quadriller et scinder les territoires palestiniens, faire des colonies des banlieues d’où aller rapidement dans les centres économiques, et éviter aux colons la traversée de villages palestiniens.
Ce projet, inacceptable pour les Palestiniens, contraire à tous les engagements internationaux et à ceux de la France, hypothèque aussi gravement l’avenir pour les Israéliens. Les colonies ne sont pas viables économiquement, et l’avenir économique d’Israël repose aussi sur le travail de Palestiniens de plus en plus nombreux. Que veut devenir Israël ? Un régime d’apartheid ? Où mène, en fait, ce projet méthodiquement appliqué pour expulser, en toute illégalité, les Palestiniens de territoires que la communauté internationale leur reconnaît ?
Lors du débat organisé au Sénat sur notre initiative l’an dernier, l’ensemble de nos groupes, et le Gouvernement, qualifiaient le moment que nous vivions de « tournant historique ». Historique, car de la réaction internationale au plan Trump dépendraient la crédibilité de nos organisations multilatérales et la viabilité d’une perspective de paix entre Israéliens et Palestiniens.
Aujourd’hui, il est temps de reprendre le chemin de l’action, d’autant plus qu’il faudra encore du temps pour aboutir.
Notre proposition de résolution est un encouragement à l’action, pour que les paroles ne deviennent pas vides de sens. Les conditions de la réussite ne sont pas encore réunies, nous diront peut-être certains, mais c’est l’inaction qui construit chaque jour le chemin périlleux et indigne vers un point de non-retour qui signifiera inévitablement de nouvelles explosions meurtrières. Nous affirmons tous ici notre attachement à la solution à deux États. Cet attachement doit aujourd’hui se prouver par l’action. Il y va de la crédibilité de notre parole sur la scène internationale, alors que pas moins de 395 résolutions des Nations unies ont jusqu’ici été adoptées.
Mes chers collègues, le Sénat s’honorerait de voter unanimement cette résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – Mme Esther Benbassa et M. Alain Duffourg applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic.
M. Olivier Cadic. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mes premiers mots sont destinés à la famille de notre collègue Catherine Fournier et à ses proches, pour leur adresser mes plus sincères condoléances. Comme à eux, Catherine va beaucoup nous manquer.
Avant de commencer mon propos, monsieur le ministre, j’aimerais revenir sur la visite du Président de la République au Moyen-Orient le week-end dernier.
Pendant quarante-huit heures, j’ai eu le privilège de faire partie de la délégation qui a accompagné Emmanuel Macron dans ses visites de travail aux Émirats arabes unis, au Qatar et en Arabie Saoudite.
Ce voyage fait apparaître des résultats économiques spectaculaires, qui renforceront l’emploi en France…
M. Jean-Baptiste Lemoyne, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie, et auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises. C’est exact !
M. Olivier Cadic. … et la coopération dans la lutte contre le terrorisme s’est accrue.
L’annonce opportune de la démission du ministre de l’information libanais, la veille de l’arrivée du Président de la République en Arabie Saoudite, a permis de débloquer la situation à Djeddah et de repartir de l’avant pour œuvrer en faveur de la stabilité régionale.
Nous nous réjouissons d’observer une France qui gagne : la France a retrouvé son statut international de force d’équilibre face aux grandes puissances.
M. Olivier Cadic. Ce succès est à mettre au crédit du Président de la République et de notre diplomatie, que je souhaite ici saluer.
À l’heure où le Parti communiste chinois viole les droits de l’homme à l’échelle industrielle en République populaire de Chine et à Hong Kong ; au moment où le gouvernement communiste chinois mène une campagne brutale de persécution contre les Ouïghours, en se livrant à des abus qui comprennent l’internement d’au moins un million de personnes, le travail forcé généralisé et la stérilisation forcée de masse ; alors que de nouvelles preuves révèlent le rôle du président Xi Jinping et d’autres hauts responsables du gouvernement communiste chinois dans la mise en place de politiques répressives dans la région ouïghoure, le groupe communiste du Sénat préfère nous faire débattre dans l’urgence du conflit israélo-palestinien !
La proposition de résolution sur laquelle nous débattons aujourd’hui intervient à une date anniversaire charnière dans l’histoire du dialogue israélo-palestinien.
M. Olivier Cadic. Il y a trente ans, l’année 1991 marquait à bien des égards un bouleversement dans l’ordre mondial. Année de deuil pour les communistes, elle s’est soldée par la démission, le 25 décembre 1991, du président de l’URSS, Mikhaïl Gorbatchev, marquant la fin supposée de l’histoire.
Surtout, cette année 1991 s’est révélée être le début d’une nouvelle ère, où les conflits qui couvaient dans le monde depuis des décennies, et particulièrement au Moyen-Orient, ont depuis éclaté.
En parallèle de la guerre du Golfe, nous assistions aux prémices d’interminables négociations entre Israël et les territoires palestiniens occupés, mais aussi entre Israël et l’ensemble des pays arabes voisins, pour la normalisation de leurs relations.
Avec la conférence de Madrid en 1991, la diplomatie établissait un véritable pas en avant dans la résolution du conflit israélo-palestinien.
Les nombreuses réunions à Oslo qui s’ensuivirent ont permis de poser les jalons pour la déclaration de principes signée à Washington le 13 septembre 1993 et symbolisée par la poignée de main historique entre Yitzhak Rabin et Yasser Arafat. Il s’agissait là du premier des accords d’Oslo, qui leur valut le prix Nobel de la Paix, en compagnie de Shimon Peres.
Ces accords contenaient les principes généraux régissant l’administration autonome palestinienne, sur une période transitoire de cinq ans.
La déclaration contenait aussi un accord général visant à transférer progressivement aux Palestiniens la responsabilité civile et politique sur la bande de Gaza et la Cisjordanie, et à leur permettre de gérer leurs affaires de façon autonome.
En définitive, à l’issue de cette période transitoire, l’Autorité palestinienne devait devenir l’embryon d’un État palestinien indépendant. Il n’en a rien été. La violence de la seconde intifada enterrera définitivement le processus d’Oslo.
Trente ans après le début des négociations, force est de constater que la résolution du conflit israélo-palestinien est dans une impasse.
Pis encore, en dépit des multiples résolutions de l’ONU et des avertissements adressés par la communauté internationale aux protagonistes de ce conflit, ce dernier s’est profondément radicalisé, aggravant chaque jour un peu plus la violence et la haine entre les deux camps.
Le 1er décembre dernier, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté une série de résolutions invitant à des pourparlers de paix entre les Palestiniens et les Israéliens. Ces négociations sont indispensables pour parvenir à une solution à deux États, qu’une très grande majorité de pays dans le monde appelle de ses vœux.
De nombreux obstacles empêchent malheureusement ce règlement diplomatique du conflit. Chacun reconnaît sur ces travées que la solution à deux États serait la plus louable et permettrait enfin d’instaurer la paix et la stabilité dans la région. Pour autant, les conditions du dialogue entre les protagonistes ne sont aujourd’hui pas réunies.
La position de la France et de l’Union européenne est très claire depuis de nombreuses années. Plusieurs paramètres sont indispensables pour résoudre ce conflit, à savoir des frontières fondées sur les lignes du 4 juin 1967, avec des échanges agréés de territoires équivalents ; des arrangements de sécurité préservant la souveraineté du futur État palestinien et garantissant la sécurité d’Israël ; une solution juste, équitable et agréée au problème des réfugiés ; enfin, un arrangement faisant de Jérusalem la capitale des deux États.
C’est dans cette optique que la France et l’Union européenne doivent être en mesure de jouer un rôle moteur dans la résolution de ce conflit, qui est désormais interdépendant avec les crises qui se multiplient dans la région.
Notre groupe souhaite indiquer que cette proposition de résolution n’est pas l’outil le plus pertinent pour faire avancer la paix au Moyen-Orient. En faisant porter la responsabilité de la situation à Israël et aux États-Unis, le vote d’aujourd’hui incite davantage à la division et sera susceptible de surinterprétations plutôt qu’il ne constituera un appel à l’unité et au dialogue.
Mme Valérie Boyer. Très bien !
M. Olivier Cadic. Cette critique, le groupe Union Centriste l’a déjà formulée lors du vote, le 11 décembre 2014, sur une proposition de résolution de nos collègues socialistes incitant le Gouvernement à reconnaître l’État de Palestine.
Mme Laurence Cohen. En somme, il est urgent d’attendre…
M. Olivier Cadic. Force est de constater que la reconnaissance de l’État de Palestine par 135 États dans le monde n’a pas réglé la question du conflit israélo-palestinien, loin de là.
L’inscription de ce texte à l’ordre du jour, à peine une semaine avant son examen en séance publique, n’a pas permis d’échanges concertés et sereins sur la question, ce que je déplore.
Je ne peux m’empêcher de penser que la décision du groupe communiste d’inscrire à la va-vite cette résolution à son ordre du jour réservé apparaît comme une exploitation politicienne du malheur d’un peuple et servira des intérêts de politique nationale, à seulement quelques mois d’une élection présidentielle. (Vives protestations sur les travées du groupe CRCE.)
Ce comportement nous attriste et nous sommes plusieurs à considérer qu’il n’est pas à la hauteur de la vision et des travaux du Sénat ni de l’engagement de nos illustres prédécesseurs.
Cette proposition de résolution constitue donc un vœu pieux, qui se heurtera au mur des réalités. Le groupe Union Centriste votera dans sa majorité contre ce texte. En ce qui me concerne, je ne prendrai pas part au vote. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. Le débat impose que chacun écoute, mes chers collègues.
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution que nous étudions aujourd’hui renvoie à un conflit s’étirant depuis plusieurs décennies. Entre tensions, promesses de paix déçues, déstabilisations et escalades, le conflit israélo-palestinien semble être sans fin.
Relancer dans notre assemblée la question palestinienne, mes chers collègues, c’est surtout relancer la question suivante : si une solution à deux États est souhaitable dans l’absolu, est-elle toujours viable ?
Je rappelle que cette solution est apparue pour la première fois en 1974, dans la résolution 174 des Nations unies, qui appelaient déjà alors, il y a près de cinquante ans, à la création de deux États démocratiques, israélien et palestinien. Les efforts diplomatiques se sont ensuite poursuivis, avec la conférence de Madrid en 1991, les accords d’Oslo en 1993, le sommet de Camp David en 2000, ou encore la conférence d’Annapolis en 2007. Toutes ces rencontres se sont soldées par l’échec de l’instauration et de la pérennisation d’une solution à deux États.
Il est nécessaire de revenir sur deux points particuliers pour tenter de comprendre l’origine de ces faillites diplomatiques à répétition. Ces deux points, à mon sens, expliquent également en partie la stagnation actuelle des négociations.
D’une part, la Palestine souffre d’un certain déficit démocratique, dans la mesure où les dernières élections législatives remontent à 2006, et que les élections prévues cette année ont été reportées sine die. Trouver le bon interlocuteur pour entamer un processus de paix est essentiel, et ce dernier doit bénéficier d’une légitimité démocratique incontestable pour que le dialogue diplomatique ne soit pas discrédité.
D’autre part, une entrave inconditionnelle à la création d’un État palestinien est la multiplication des colonies de civils israéliens, qui morcellent toujours plus le territoire palestinien et la souveraineté du peuple palestinien, et qui réduisent surtout les terres dont disposerait le potentiel État palestinien. Je rappelle que les Nations unies ont fermement condamné l’implantation de ces colonies, dénoncées comme contraires au droit international.
Aussi, vu la fragilité démocratique palestinienne et le mitage progressif du territoire par le voisin israélien, comment réfléchir aujourd’hui au tracé de nouvelles frontières ? Sur une base ethnique ? Peut-on séparer des populations devenues interdépendantes ? En particulier, la Palestine ne peut espérer se développer économiquement sans relations apaisées avec Israël. Comment, dans ce contexte, tracer des frontières sans traverser des localités ? Que faire des villes mixtes comme Jérusalem ?
Ces quelques interrogations témoignent de la complexité de la situation israélo-palestinienne, et doivent nous enjoindre de rationaliser le plus possible ce débat afin de ne pas tomber dans le piège des réactions passionnées méconnaissant le caractère clairement non manichéen de cette situation : il n’y a pas les bons, d’un côté, et les mauvais, de l’autre.
Il est évident que notre groupe, tout comme cette assemblée, désire une conciliation juste des aspirations nationales israéliennes et palestiniennes, dans le respect des droits de l’homme, et le retour à la paix dans une région trop longtemps déstabilisée, qui est aussi la matrice d’autres conflits ailleurs dans le monde. La paix n’est pas et ne sera jamais l’exception !
Pour toutes ces raisons, le groupe du RDSE s’abstiendra.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 29 novembre, lors de la Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien, le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a averti que les violations persistantes des droits des Palestiniens ainsi que l’expansion des colonies israéliennes mettaient en péril la perspective d’une solution à deux États.
Il suffit de regarder une carte géographique du territoire palestinien, qui ressemble plutôt à du gruyère, pour s’en rendre compte.
Il y a encore quelques mois, en mai, se sont déroulés des affrontements entre Palestiniens et Israéliens, avec des pertes civiles à déplorer des deux côtés. Après un cessez-le-feu sans condition préalable entre le Hamas et les forces israéliennes, l’arrêt des hostilités n’a pourtant pas apaisé les tensions à Jérusalem-Est et en Cisjordanie.
Tant que les Palestiniens subiront la colonisation et le blocus de Gaza, on ne peut pas s’attendre à une issue favorable. Les violences vont crescendo et le silence de l’Europe est assourdissant.
Le danger réside aussi dans le fait que nous nous accoutumons aux tourments, aux morts, aux bombardements, au déchirement de ces populations. Cette situation perdure depuis des années, sans le moindre changement significatif.
Quant à la diplomatie américaine sous Donald Trump, elle s’est illustrée par la décision de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël, ce qui a largement donné le coup de grâce à la solution à deux États.
Depuis le vote de la résolution du Sénat en 2014, qu’a fait la France ? Elle a opté pour une position d’observatrice. Le sujet est inflammable. On préfère donc la passivité, plutôt que d’entamer des pourparlers pour l’élaboration d’un projet de paix.
Du côté des Palestiniens, l’absence d’élections en Cisjordanie depuis de longues années, une Autorité palestinienne vieillissante et un Hamas encore omniprésent à Gaza n’aident pas non plus à avancer.
Or il y a urgence à agir, car le conflit israélo-palestinien est entré dans une phase critique. Dans quelques semaines, la France prendra la présidence du Conseil de l’Union européenne. C’est l’occasion idéale d’inscrire la paix à l’agenda européen, en proposant la reconnaissance de l’État de Palestine aux côtés de l’État d’Israël. Il est à craindre que la dernière solution ne soit un État binational avec égalité des droits entre Israéliens et Palestiniens : difficile résignation de part et d’autre et, peut-être, utopie !
Je voterai évidemment pour l’adoption de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST. – M. Alain Duffourg applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Roger.
M. Gilbert Roger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a sept ans, avec émotion, je montais à cette tribune en tant que premier signataire d’une proposition de résolution invitant le gouvernement français à reconnaître l’État de Palestine.
M. Gilbert Roger. Mais, depuis son adoption par le Sénat et l’Assemblée nationale, force est de constater que le processus de paix est au point mort. La France qui, depuis le Brexit, est le seul pays de l’Union européenne à être membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, doit agir pour préserver la solution à deux États, en n’abandonnant ni l’exigence de sécurité pour Israël ni celle de justice pour les Palestiniens.
La France a, certes, accueilli une conférence internationale à Paris le 15 janvier 2017. Depuis cette initiative, qu’il convient de saluer, s’est ouverte une période lourde d’incertitudes au Proche-Orient. Le 6 février 2017, la Knesset adoptait une loi légalisant les colonies sauvages en Cisjordanie, au mépris de la résolution 2334 du Conseil de sécurité des Nations unies. Cette loi était déjà un pas vers l’annexion formelle de la Cisjordanie.
Le 19 juillet 2018, le parlement israélien adoptait une loi fondamentale disposant qu’Israël est « l’État-nation du peuple juif », avec Jérusalem pour capitale et l’hébreu comme seule langue officielle. Le texte va donc à l’encontre des principes démocratiques et institutionnalise des discriminations raciales envers les Arabes israéliens.
Au printemps 2020, Donald Trump proposait dans un plan qu’Israël annexe 30 % de la Cisjordanie, laissant aux Palestiniens un État constitué de plusieurs cantons discontinus et entourés de territoires israéliens, dépourvu de toute souveraineté.
Qui mieux que la France peut agir ? La France ne doit pas se résoudre à abandonner l’objectif d’un État palestinien vivant dans la paix et la sécurité au côté de l’État d’Israël au sein de frontières internationalement reconnues et avec Jérusalem-Est et Jérusalem-Ouest pour capitales des deux États.
Aussi, en ma qualité de président du groupe d’amitié France-Palestine de notre Haute Assemblée, j’appelle une nouvelle fois solennellement le gouvernement français à reconnaître l’État de Palestine.
Reconnaître la Palestine comme un État, ce serait se conformer au droit international. Et lorsqu’on est législateur, on se doit d’être du côté du droit. Au nom du droit inaliénable à l’autodétermination, le peuple palestinien est fondé à se doter d’un État. La reconnaissance d’un État palestinien souverain est la seule solution qui permette de sécuriser l’existence de la Palestine, plus que menacée aujourd’hui par la progression continue de la colonisation israélienne. C’est aussi l’assurance de la paix et de la sécurité pour Israël !
Il ne se passe pas un jour sans qu’un Palestinien subisse une attaque perpétrée par des colons israéliens. L’ONG israélienne B’Tselem a recensé plus de 450 attaques contre des Palestiniens en Cisjordanie occupée sans que, dans la majorité des cas, l’armée israélienne, Tsahal, intervienne.
Selon les estimations israéliennes et palestiniennes, au moins 675 000 Israéliens habitent aujourd’hui dans des colonies à Jérusalem-Est et en Cisjordanie occupée, où vivent plus de trois millions de Palestiniens.
À la fin du mois d’octobre, Israël a annoncé la construction de 1 355 nouveaux logements pour des colons juifs en Cisjordanie occupée. Ceux-ci s’ajoutent aux 2 000 annoncés en août par les autorités israéliennes. Monsieur le ministre, laisserez-vous faire ?
Adoptée le 23 décembre 2016 par le Conseil de sécurité des Nations unies sans faire l’objet d’un veto américain – il faut le souligner –, la résolution 2334 rappelle que l’arrêt des colonisations est une condition nécessaire à la paix en soulignant qu’il est « essentiel » qu’Israël mette un terme à toutes ses activités de peuplement.
Je reviens de Washington, où j’étais en session pour le compte de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN. Les diplomates américains avec lesquels j’ai pu échanger lors d’un forum ont tous rappelé leur attachement à la solution à deux États, car il n’y en a pas d’autre qui puisse être envisagée pour qu’Israéliens et Palestiniens vivent à égalité de droits et de devoirs. Je fais mention de ces échanges pour faire taire la petite musique, que l’on entend parfois, sur la possibilité de la création d’un État unitaire. Je m’oppose absolument à une telle idée, car je pense qu’elle relève du mythe et n’a aucune chance de se réaliser.
Mes chers collègues, que la solution à deux États n’ait pas encore abouti ne signifie nullement que ce n’est pas la bonne ; cela signifie simplement que nous avons échoué jusqu’à présent à la mettre en œuvre quoi qu’il en coûte.
Car, pendant ce temps, des millions de Palestiniens continuent d’être privés de leurs droits fondamentaux et soumis au régime militaire. Durant les sept décennies d’existence d’Israël, il n’y a eu que de six mois pendant lesquels les Palestiniens n’ont pas été placés sous l’autorité d’un gouvernement militaire étranger qui confisque leurs terres.
Depuis dix ans que je préside le groupe d’amitié France-Palestine, je rappelle mon attachement à la solution à deux États et ma volonté de voir enfin la Palestine reconnue.
Que faut-il faire ? Je continue de penser qu’il n’y a pas d’autre démarche possible que la reconnaissance de l’État de Palestine. Elle doit même être pour moi un préalable à l’organisation de toute conférence internationale.
Ne pas reconnaître la Palestine comme État, c’est accepter que la situation actuelle perdure et que les peuples palestinien et israélien continuent à vivre dans un climat de violence et d’insécurité. Une telle reconnaissance est la condition sine qua non qui doit permettre d’aboutir à une paix durable.
La France ne peut plus attendre. Les enjeux sont trop importants. Le Gouvernement français doit agir, et il doit le faire maintenant.
Aussi, je soutiens pleinement la proposition de relancer une initiative internationale et multilatérale. Les sénateurs socialistes voteront le texte dont nous sommes saisis. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette dernière année, la situation sécuritaire à Gaza est demeurée hautement instable, rythmée par des incidents récurrents opposant Israéliens et Palestiniens et des annonces, de la part des autorités israéliennes, de constructions de nouveaux logements dans les colonies de Cisjordanie et de Jérusalem-Est qui ont alimenté les tensions.
Mme Nicole Duranton. Dans le contexte de la future présidence française du Conseil de l’Union européenne, cette proposition de résolution « invite le Gouvernement à engager, au niveau européen et international, une initiative internationale en vue d’aboutir à la concrétisation d’une solution à deux États et à la reconnaissance d’un État palestinien par la communauté internationale, aux côtés d’Israël pour une paix juste et durable entre les deux peuples ». Elle justifie cette demande par « l’aggravation des atteintes aux droits, reconnus par l’Organisation des Nations unies, des Palestiniens par l’État d’Israël », « les multiples condamnations internationales dont a fait l’objet l’État d’Israël, notamment au sujet de la colonisation et l’occupation de territoires palestiniens », « le blocage actuel des discussions malgré l’initiative prise par la France en 2017 », puis le plan de paix « malvenu et déséquilibré » de Donald Trump.
Les conditions d’un règlement du conflit israélo-palestinien reposent sur trois principes : le droit international et les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, avec dernièrement la résolution 2334 ; l’établissement de deux États indépendants, démocratiques, viables, avec Jérusalem comme capitale des deux États, souverains dans des frontières sûres et internationalement reconnues sur la base des lignes du 4 juin 1967 ; une méthode, celle de la négociation directe entre Palestiniens et Israéliens, et non une décision unilatérale.
Le groupe RDPI soutient la position constante de la France, portée par les voix du Président de la République, Emmanuel Macron, et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian.
La France appelle les deux parties à revenir négocier de bonne foi et à arrêter les prises de décisions unilatérales illégales et les actes de violence.
La France condamne sans ambiguïté les tirs de roquettes depuis Gaza vers les zones habitées d’Israël, qui constituent également des violations du droit international. Paris a un engagement indéfectible en faveur de la sécurité d’Israël.
La France rappelle régulièrement que la politique israélienne de colonisation dans les territoires palestiniens occupés est illégale au regard du droit international et condamne systématiquement les décisions des autorités israéliennes de construire de nouveaux logements en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.
J’en viens à l’esplanade des mosquées : il existe un statu quo historique, internationalement acté, qui doit être préservé strictement. La Jordanie joue un rôle spécifique sur les lieux saints de Jérusalem.
L’annexion ne serait donc dans l’intérêt ni des Israéliens, ni des Palestiniens, ni des Européens, ni de la communauté internationale, qui ont investi beaucoup d’efforts diplomatiques pour la résolution du conflit.
Par ailleurs, la France contribue activement à la réponse humanitaire dans les territoires palestiniens, avec 2,2 millions d’euros en 2020, grâce à plusieurs projets financés par le centre de crise et de soutien du ministère de l’Europe et des affaires étrangères auprès d’ONG humanitaires opérant dans l’ensemble des territoires palestiniens.
Afin d’appuyer les efforts de l’Autorité palestinienne dans la lutte contre la pandémie, la France a apporté une aide de près de 3 millions d’euros en 2020 par le biais de l’Agence française de développement. La France soutient aussi les activités du comité international de la Croix-Rouge dans ces territoires. À ces montants consacrés à l’aide humanitaire, s’ajoute l’aide budgétaire française apportée à l’Autorité palestinienne, soit 16 millions d’euros en 2020.
Ces financements se sont poursuivis en 2021, et ils ne s’arrêteront pas en 2022. Nous nous en félicitons.
Nous formons le vœu qu’une paix durable puisse être atteinte au Proche-Orient. Pour que ce vœu puisse être pleinement réalisé, plusieurs attentes pourraient être satisfaites des deux côtés.
Nous partageons l’avis que le ministre de l’Europe et des affaires étrangères a émis avant-hier devant notre commission des affaires étrangères, appelant les acteurs à rétablir avant tout la confiance entre eux, en remédiant à tout handicap qui empêche actuellement le processus de paix de reprendre pleinement.
Pour aboutir à deux États, il faut d’abord que des mesures de confiance soient mises en œuvre. Pour le moment, les conditions ne sont pas pleinement réunies. Nous constatons avec regret que plusieurs pas en arrière ont été effectués.
Du côté d’Israël, on peut désormais espérer que la proportionnalité des réponses et la stabilité de la zone soient assurées et que son gouvernement arrête les décisions de colonisations illégales à petits pas, car elles alimentent grandement les tensions.
Du côté palestinien, la fixation d’un calendrier électoral et d’une date d’élections précise pourrait être un facteur stabilisant. La population en est demandeuse, et cette demande est plus que légitime. Nous appelons de nos vœux qu’Israël garantisse impérativement la tenue de ces élections dans Jérusalem-Est.
Nous formons l’espoir que les travaux du format d’Amman avec, autour de la table, la Jordanie, l’Allemagne, l’Égypte et la France se poursuivent et puissent aboutir à une relance des négociations.
Mentionner d’emblée, dans les conditions que je viens d’évoquer, sur un pied d’égalité la solution à deux États et la reconnaissance de la Palestine consiste in fine à assimiler une chose à l’autre. Ce serait une provocation finalement assez peu opportune.
La situation sur place s’enflamme tellement vite qu’il serait maladroit de s’immiscer aujourd’hui dans cet équilibre précaire trouvé à la suite du cessez-le-feu mettant fin aux violences de mai dernier, en risquant de détruire cet équilibre qui demeure très fragile.
La présente proposition de résolution pourrait même se révéler contre-productive…
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Nicole Duranton. La situation mérite toute notre attention, afin d’aller vers une solution de paix. Mais, dans ces conditions, le groupe RDPI s’abstiendra.
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui nous rappelle que le conflit israélo-palestinien n’est toujours pas réglé et fait encore de nombreuses victimes.
Peu après la Seconde Guerre mondiale et la Shoah, alors que la situation est déjà difficile en Palestine entre Juifs et Palestiniens, les Britanniques se dessaisissent de leur mandat au profit de l’Organisation des Nations unies. Afin de mettre un terme aux tensions, l’ONU propose en 1947 un plan de partage de la Palestine. Les instances israéliennes l’approuvent, mais les Palestiniens le rejettent.
Le conflit qui s’est ensuivi fait encore l’objet d’une attention particulière de la communauté internationale. Une résolution pérenne de cet affrontement implique nécessairement un accord politique et le respect des deux peuples.
La solution proposée par la communauté internationale, conforme au droit international, consiste en la coexistence de deux États, l’un palestinien, l’autre israélien.
Le 29 novembre dernier marquait le soixante-quatorzième anniversaire du plan de partage décidé par les Nations unies. En cette Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien, António Gutteres, secrétaire général de l’ONU, a dénoncé les violations des droits des Palestiniens. Il a en outre mis en garde contre l’expansion des colonies israéliennes en rappelant que celle-ci met en péril la solution à deux États. Ces annonces n’ont évidemment pas été favorablement accueillies par Israël, qui continue aussi de subir des attaques du Hamas.
Soixante-quatorze ans après, cette situation sonne comme l’échec des efforts que la communauté internationale a pu mener jusqu’à présent. L’ONU n’est pas parvenue à apporter la paix. Ses résolutions restent lettre morte, et les acteurs concernés privilégient leurs intérêts immédiats aux dépens du droit international et de leurs intérêts à long terme.
Nous avons vu le président Trump proposer un nouveau plan de partage et reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël au mépris de la décision prise par l’ONU. Le multilatéralisme s’en est trouvé affaibli.
La solution à deux États est la seule que nous devons défendre, parce qu’elle est la seule qui respecte le droit des peuples, donc la seule capable d’aboutir à une paix durable. La sanctuarisation de deux États doit apporter la sécurité pour Israël et la Palestine, afin de leur permettre de vivre en paix.
La diplomatie française n’a jamais cessé d’œuvrer en faveur de la solution à deux États. Il ne nous paraît pas opportun d’inviter le Gouvernement à privilégier un mode d’action plutôt qu’un autre.
Nous voyons les relations diplomatiques au Moyen-Orient évoluer. La France soutient la solution à deux États dès qu’elle en a l’occasion, tant à la tribune de l’ONU que dans certaines de ses relations avec les pays du Moyen-Orient.
Le 7 décembre dernier, la France et le Qatar ont ainsi publié un communiqué de presse conjoint rappelant leur attachement à la solution à deux États. Nous souhaitons qu’elle aboutisse avec, bien entendu, une reconnaissance mutuelle nécessaire apportant la sécurité aux deux peuples.
Notre groupe soutient donc la décision de l’ONU, mais cela doit être reproposé par la France et l’Union européenne au moment le plus opportun. Malheureusement, il n’est pas possible de l’imposer pour l’instant, même si nous le souhaitons. C’est pourquoi nous ne voterons pas la présente proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Raimond-Pavero. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Isabelle Raimond-Pavero. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, par cette proposition de résolution en faveur de la reconnaissance d’un État palestinien par la communauté internationale, nos collègues du groupe communiste entendent inviter le Gouvernement à engager une initiative internationale en vue d’aboutir « à la concrétisation d’une solution à deux États et à la reconnaissance d’un État palestinien par la communauté internationale, aux côtés d’Israël pour une paix juste et durable entre les deux peuples ».
Est-il besoin de rappeler que la position constante de la France repose précisément sur l’établissement de deux États vivant côte à côte dans les frontières reconnues et établies sur les lignes du 4 juin 1967, avec pour l’un et l’autre Jérusalem pour capitale ?
Est-il besoin de rappeler encore que nous sommes tous favorables à la solution à deux États ? Ce processus est en principe acceptable par l’État d’Israël comme par la Palestine. Alors quel est le sens d’une « énième » proposition de résolution ?
Rappelons-nous l’initiative de notre collègue Gilbert Roger, qui avait présenté en 2014 une proposition de résolution invitant la France à reconnaître l’État palestinien. À l’époque, Christian Cambon avait très justement mis en garde sur la signification de nos actes : reconnaître un État de façon symbolique n’est qu’une reconnaissance de « papier » ; ce n’est pas reconnaître un État à part entière.
Nous avions donc voté contre. Et nous avions raison, car la reconnaissance unilatérale, fût-elle celle de la France, n’est pas en soi un instrument de la paix et ne lève aucun des obstacles qui ont rendu impossible cette reconnaissance jusqu’à présent. En tout cas, c’est un constat que nous pouvons faire collectivement sans qu’il soit compris comme une critique envers les auteurs de la proposition de résolution.
Un processus est en cours, et il ne peut passer que par une reconnaissance mutuelle fondée sur la paix et la sécurité.
La paix au Proche-Orient ne peut reposer que sur une logique multilatérale associant nos partenaires européens et arabes.
Oui, la donne géopolitique a changé. Avec la signature des « accords d’Abraham », les Émirats arabes unis, le Bahreïn, le Maroc et le Soudan ont reconnu l’État d’Israël. C’est un encouragement pour recréer la confiance. Mais la crise de Gaza du mois de mai dernier entre Israël et le Hamas nous montre aussi toute la fragilité de l’exercice. D’une part, l’Autorité palestinienne rencontre une crise de légitimité. D’autre part, malgré des signes d’ouverture, la plateforme politique du nouveau gouvernement israélien ne s’engage pas officiellement dans la reprise des négociations vers la solution à deux États.
À cet égard, deux constats doivent être posés.
Premièrement, la confiance ne peut pas se tisser sans que cessent les actes terroristes et sans que la sécurité d’Israël soit garantie.
Deuxièmement, la poursuite de la colonisation des territoires palestiniens est illégale en droit international.
Aussi, la présente proposition de résolution n’apporte pas d’éléments que ne porte déjà notre diplomatie et que ne portera la France à la présidence du Conseil de l’Union européenne. Cette présidence doit certainement être l’occasion de mobiliser nos partenaires européens en faveur d’une reprise du dialogue. Ce processus est à l’œuvre et doit se poursuivre. Et, là encore, il faut se garder d’un excès d’optimisme sur le rôle déclencheur de l’Union européenne dans la résolution du conflit israélo-palestinien.
La question israélo-palestinienne semble d’ailleurs reléguée au second plan des crises du Proche-Orient et du Moyen-Orient. Qu’il s’agisse, à l’est, du nucléaire iranien, de la Syrie et de l’Irak, du Yémen au sud et de la Libye à l’ouest, ces crises occupent le premier rang des préoccupations.
L’attitude des États-Unis laisse les acteurs locaux très interrogatifs après le retrait précipité d’Afghanistan et le basculement des priorités américaines vers la zone indo-pacifique et la Chine.
Dans ce concert de nations, il faut réaffirmer que la France est l’amie des Israéliens et l’amie des Palestiniens. Ce n’est pas en prenant fait et cause, comme le fait cette proposition de résolution dans ses considérants, pour l’un des deux amis que nous les conduirons à la table des négociations.
Mme Valérie Boyer. C’est vrai !
Mme Isabelle Raimond-Pavero. Nous devons préserver l’équilibre de la position de la diplomatie française, qui doit continuer à maintenir une posture de dialogue ouvert n’excluant pas Israël et ne l’enfermant pas dans une relation exclusive avec les États-Unis. La France et l’Europe doivent laisser leur porte ouverte à tous les partenaires, et cette logique ne doit pas prendre le pas sur des actes unilatéraux. Poursuivre une logique partisane, c’est l’échec assuré des négociations.
La position du groupe Les Républicains est assumée et s’inscrit pleinement dans la politique d’équilibre de la France, héritée du général de Gaulle.
Nous appelons à une reprise du processus de négociation dans le cadre du Conseil de sécurité des Nations unies et d’un accompagnement international des Israéliens et des Palestiniens vers la solution à deux États avec une paix complète, juste et durable entre les parties, dans le cadre d’une reconnaissance mutuelle de l’État d’Israël et de l’État de Palestine. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre diplomatie est très active au Moyen-Orient pour conclure des accords de coopération militaire, mais un dossier n’avance pas : celui du conflit entre Israël et la Palestine.
Cette impuissance est délétère et tragique pour les deux peuples. Pour les Palestiniens, la situation empire : la colonisation de leurs terres s’étend et mite leur territoire.
La guerre de Gaza au mois de mai dernier, la quatrième depuis l’instauration du blocus, avec son cortège de morts des deux côtés, de blessés et de destructions, d’engrenage des violences, n’a été suivie d’aucune reprise de pourparlers.
Dans une question écrite, je rappelais, comme les organisations internationales, que dans le territoire palestinien occupé, notamment dans la zone C, les besoins fondamentaux de la population civile ne sont plus satisfaits, en termes tant d’infrastructures sanitaires que d’accès aux services essentiels, ce qui est d’autant plus grave en temps de pandémie.
En vertu du droit international, les autorités israéliennes sont pourtant tenues de pourvoir aux besoins de la population ou a minima de faciliter les activités humanitaires des tiers. Israël ne remplit pas ces obligations. Pis, les autorités israéliennes dissuadent les bailleurs d’intervenir, entravent l’accès des ONG et continuent de détruire l’assistance humanitaire, y compris celle qui est financée par la France et l’Europe.
La récente classification par le gouvernement israélien de six ONG palestiniennes de défense des droits, comme organisations « terroristes » et leur interdiction marque une étape supplémentaire dans la répression. Là encore, nous alertons en vain : le Gouvernement proteste, et puis rien !
L’Union européenne estime que 48 % de la population palestinienne totale a besoin d’une aide humanitaire. Dans la bande de Gaza, ce ne sont pas moins de 80 % des Gazaouis qui ne survivent que par l’action humanitaire.
La France a longtemps joué un rôle important dans les négociations pour la paix, et notre action diplomatique ne peut pas se réduire à émettre régulièrement des condamnations impuissantes.
En 2014, quelques mois après la troisième guerre de Gaza, et sur la base des résolutions de l’ONU, notre parlement adoptait une résolution appelant à la reconnaissance de l’État de Palestine.
Mais, depuis, la situation s’enfonce toujours plus dans l’impasse. Cela nous appelle à reprendre l’initiative pour retrouver le chemin d’un processus menant à une solution politique, sans quoi l’escalade de la violence ne s’arrêtera pas.
L’une des dernières initiatives, en l’occurrence de la France, pour relancer les négociations date du mois de janvier 2017, voilà cinq ans. Après trois ans de gel des négociations entre les deux parties, soixante-dix pays avaient réitéré leur engagement pour un règlement pacifique et multilatéral du conflit.
L’investiture de Donald Trump a stoppé cette dynamique. Le plan états-unien est allé contre les résolutions successives de l’ONU, légalisant, voire encourageant la multiplication des colonies israéliennes en Cisjordanie, à Jérusalem-Est, prévoyant l’annexion d’une grande partie de la vallée du Jourdain.
L’attachement du peuple palestinien à sa terre est systématiquement attaqué. Au mois d’octobre, les agressions au moment de la récolte des olives se sont multipliées. Selon les Nations unies, quelque 1 300 arbres ont été détruits par les colons.
Au premier semestre, l’armée elle-même a dénombré des centaines d’incidents : arrachages d’arbres, terres usurpées, dispersion des populations, qui alimentent le cycle de la violence et éloignent la perspective d’une solution politique juste et durable.
Aujourd’hui, la population palestinienne s’engage pour la défense de ses droits civiques. À la suite des violences du printemps, une résolution de l’ONU a permis aux enquêteurs de constater l’augmentation importante des actes de violence de la part de colons israéliens contre des Palestiniens.
Oui, le groupe écologiste rejoint les auteurs de cette proposition de résolution ! La France, qui prendra la présidence du Conseil de l’Union européenne au mois de janvier, doit saisir une telle occasion pour relancer une initiative internationale multilatérale.
C’est l’objet – le seul ! – de la présente proposition de résolution, que le groupe écologiste votera. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE. – M. Alain Duffourg applaudit également.)
(Mme Laurence Rossignol remplace M. Roger Karoutchi au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Laurence Rossignol
vice-présidente
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme le disait mon collègue Pierre Laurent, nous sommes à un tournant historique du conflit israélo-palestinien.
Parvenir, dans le cadre d’une initiative internationale, à concrétiser une solution à deux États, qui reconnaîtrait un État palestinien et un État d’Israël, constitue notre seule chance d’aboutir à une paix juste et durable entre les deux peuples. Les Palestiniens recouvreraient ainsi leur dignité et l’effectivité de leurs droits reconnus au niveau international.
La conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) a chiffré les pertes économiques dues au blocus pour les Palestiniens à hauteur de 58 milliards de dollars en moins de vingt ans, sans compter les centaines de millions d’euros de taxes douanières retenus illégalement par Israël.
Ce frein au développement est la raison majeure du désastre humain que constitue la colonisation : 48 % des Palestiniens et 80 % des Gazaouis ont besoin d’une aide alimentaire pour survivre ; 900 000 Palestiniens souffrent d’un accès limité à l’eau, aux soins, à l’éducation et aux autres services de base. Et l’accélération de la colonisation et des violences dans les territoires occupés les privent de plus en plus souvent d’un toit.
Mais la solution à deux États serait également bénéfique pour les Israéliens, bien que ce point ne soit pas souvent évoqué.
En 1988, à Alger, puis devant l’Organisation des Nations unies, Yasser Arafat, alors président de l’Organisation de libération de la Palestine, déclarait : « Notre conseil national palestinien redit son rejet du terrorisme sous toutes ses formes, y compris le terrorisme d’État. Notre position est claire et sans ambiguïté. » Alors que 70 % de la population palestinienne a moins de 30 ans, comment penser que les actes de violence qu’elle subit au quotidien n’alimentent pas les tirs de roquette ?
Reconnaître l’État de Palestine dans ses frontières de 1967 assécherait ainsi la plus grande partie du vivier de recrutement du Hamas.
Se pose par ailleurs la question de la stabilité dans la société israélienne elle-même. Comment comprendre que, en l’espace de deux ans, la Knesset ait adopté une loi sur l’État-nation reconnaissant le caractère juif de l’État, tout en autorisant des colonisations et des annexions qui conduisent à ce que 40 % de la population israélienne soit arabe et palestinienne ?
Revendiquer une solution à deux États ne relève ni de la haine envers l’un des deux peuples, ni du dogmatisme ou de la posture. Cela relève d’une aspiration à la coexistence pacifique de deux États et de deux peuples, ainsi que d’un strict respect du droit international, constant depuis 1947.
Cela implique de reconnaître l’existence d’un État arabe palestinien et d’un État juif israélien, mais aussi le droit au retour des réfugiés palestiniens sur des terres qu’ils ont occupées depuis des générations, de reconnaître l’internationalisation de Jérusalem et la cogestion des lieux de culte dans cette ville, de reconnaître les frontières de 1967 dessinées par l’accord d’armistice de 1949, de reconnaître l’illégalité de l’occupation et de la colonisation par Israël de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie, du plateau du Golan et de la vallée du Jourdain, ainsi que de l’annexion d’une partie de ces mêmes territoires par Israël. Cela implique, enfin, de condamner les nombreuses atteintes aux droits humains subies par les Palestiniens et les Palestiniennes.
Cela consisterait simplement à faire preuve de cohérence avec les résolutions de nos instances multilatérales.
À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, ayant appris des limites de la Société des Nations, nos prédécesseurs ont créé l’ONU, fondée sur le triptyque droit international, objectif de paix et moyens d’action dédiés à la préservation de ladite paix.
Le fonctionnement des Nations unies, très certainement à revoir, doit être un point d’appui pour une initiative internationale. La France, présidente du Conseil de l’Union européenne et membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, doit être l’un des moteurs des négociations.
C’est pourquoi notre groupe a fait le choix de demander le vote du Sénat sur cette proposition de résolution, que je vous encourage également à soutenir, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Boyer.
Mme Valérie Boyer. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution ambitionne « une paix juste et durable entre les peuples ». Cet objectif est évidemment louable et mérite d’être approuvé. Nul ne peut le contester, assurément, dans cette enceinte.
La proposition de résolution souligne également l’occasion offerte par la présidence française du Conseil de l’Union européenne à partir du 1er janvier 2022. Ce calendrier est évidemment favorable. Nul ne peut, là encore, le contester.
Si nous sommes sensibles à l’objectif et à l’opportunité de calendrier, la méthode interpelle en revanche.
Est-il possible de construire la paix sur la base d’affirmations tranchées et sans nuance ? Je ne le crois pas.
Est-il possible de relancer une initiative internationale en vue d’aboutir à une solution à deux États sur la base d’imprécations et d’anathèmes ? Je ne le crois pas non plus.
Mes chers collègues, le texte qui nous est soumis accuse l’État d’Israël « d’aggraver les atteintes aux droits des Palestiniens ». Il le fustige en outre, en rappelant les « multiples condamnations internationales dont a fait l’objet l’État d’Israël, notamment au sujet de la colonisation et de l’occupation des territoires palestiniens ».
Enfin, les auteurs de la proposition de résolution jugent « malvenu et déséquilibré le “plan de paix” imposé bilatéralement par les États-Unis d’Amérique et l’État d’Israël en janvier 2020 ».
Le plan Trump n’est sans doute pas parfait, mais il trace un chemin pour la paix. (Marques d’ironie sur les travées du groupe CRCE.) Il ouvre la voie à une solution à deux États.
Le plan pose une condition légitime : que les dirigeants palestiniens reconnaissent Israël comme un État juif.
Il propose une solution pour Jérusalem : la ville serait entièrement sous contrôle israélien, mais la capitale de la Palestine se situerait dans la section de Jérusalem-Est. Elle pourrait éventuellement être nommée Al-Quds, nom de la ville de Jérusalem en arabe. Les deux capitales devraient être internationalement reconnues.
Ce sont des propositions raisonnables, qui ne méritent pas d’être balayées d’un revers de main au motif qu’elles seraient « malvenues et déséquilibrées ». (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
Ce plan est également intéressant en ce sens qu’il comporte des mesures garantissant la sécurité d’Israël, sécurité à laquelle nous sommes toutes et tous attachés dans cet hémicycle pour la stabilité du Proche-Orient.
Ainsi, l’État de Palestine serait démilitarisé. Il mettrait en place des forces de sécurité pour sa sécurité intérieure et pour empêcher les attentats terroristes en Palestine, en Israël, en Jordanie et en Égypte.
L’État de Palestine renoncerait également au contrôle de ses frontières et de son espace aérien. En retour, les Palestiniens auraient accès à des facilités dans les ports israéliens. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
Mes chers collègues, au sein du groupe d’amitié France-Israël, présidé par notre collègue Roger Karoutchi, nous œuvrons pour la paix au Proche-Orient. Nous avons d’ailleurs rencontré, le 27 septembre dernier, Émilie Moatti, la nouvelle présidente du groupe d’amitié Israël-France à la Knesset. Elle est par ailleurs vice-présidente de la Knesset et présidente de la sous-commission des affaires étrangères.
À notre niveau, nous essayons de rapprocher les points de vue et de favoriser le dialogue entre Israéliens et Palestiniens. Nous ne pensons pas qu’une telle résolution manichéenne soit de nature à apaiser la situation.
Dans une tribune que j’ai cosignée dans Le Figaro en 2014, j’ai dit être favorable, comme de nombreux responsables politiques, à une résolution négociée du conflit israélo-palestinien fondée sur la coexistence pacifique et la reconnaissance mutuelle de deux États vivant en paix et en sécurité. Nous sommes convaincus qu’il n’y a pas d’autre solution que la négociation et que seule la voie du dialogue permettra aux Israéliens et aux Palestiniens d’avancer sur le chemin escarpé de la paix.
Le texte proposé rompt de manière inopportune avec la position constante de notre pays, qui œuvre depuis plus de trente ans en faveur d’une paix fondée sur le principe des deux États, au terme d’un processus de négociation, qui implique de part et d’autre des concessions.
Frappée au coin du bon sens, cette ligne diplomatique a fait l’objet d’un large consensus politique au-delà des clivages partisans. Elle repose sur un nécessaire équilibre entre les exigences et les préoccupations de nos amis israéliens et palestiniens.
Mme la présidente. Il faut conclure.
Mme Valérie Boyer. Nous ne voterons donc pas le texte qui nous est proposé. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Belin.
M. Bruno Belin. Monsieur le ministre, permettez-moi tout d’abord, à titre personnel, de vous féliciter pour vos nouvelles attributions.
« Vous étiez vingt et cent, vous étiez des milliers
Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés
Qui déchiriez la nuit de vos ongles battants
Vous étiez des milliers, vous étiez vingt et cent »
J’ai souhaité commencer mon intervention par ce couplet de la chanson Nuit et brouillard de Jean Ferrat, car la volonté d’appréhender et de résoudre le conflit israélo-palestinien ne saurait faire oublier le regard historique et la genèse politique de la création de l’État d’Israël en 1948.
Nuit et brouillard, ce pourrait être aussi le résumé des quatre-vingts dernières années dans cette région du globe, en dépit de quelques éclaircies comme Camp David en 1978 ou Oslo en 1993.
Les territoires palestiniens, l’État d’Israël et leurs peuples respectifs doivent pouvoir coexister sur cette terre de souffrance, de résistance, mais aussi d’espérance.
Sur les travées de cette assemblée, nous défendons effectivement la solution de deux États, respectés et respectueux l’un de l’autre, avec une même capitale, dans les frontières de 1967.
Pour cela, il importe que certaines conditions soient réunies, la première étant l’arrêt des violences liées au terrorisme. Ces violences, quelles que soient leur forme et leur origine,…
Mme Raymonde Poncet Monge. Et la colonisation ?
M. Bruno Belin. … ne font qu’enraciner la haine et, surtout, la mémoire de la haine parmi les générations successives, de part et d’autre des frontières de 1967.
C’est pourquoi tous ceux qui souhaitent œuvrer pour la paix se doivent de répondre à une exigence d’impartialité et de veiller à ne pas envoyer des signaux ou des non-dits qui empêchent les plaies de cicatriser. Sur ce point, mes chers collègues, je regrette la rédaction de votre proposition de résolution, dont j’ai lu attentivement les vingt considérants. Son exposé des motifs manque d’équité et ne reflète pas, de mon point de vue, la hauteur de vue du Sénat.
Vous rappelez à juste titre les résolutions internationales onusiennes et européennes, les initiatives parlementaires nationales de certains de nos partenaires et celles du Sénat et de l’Assemblée nationale de 2014. Vous mentionnez par ailleurs les condamnations internationales dont Israël a fait l’objet. Mais il manque un rappel aussi essentiel qu’évident : la condamnation des actes de terrorisme, en particulier ceux qui ont été commis du côté palestinien.
Cette lacune entraîne un déséquilibre qui dessert le texte et le détourne de son objectif.
Enfin, le dernier considérant invite le Gouvernement, à la veille de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, à relancer une initiative internationale.
C’est ce que fait déjà la France, avec le processus multilatéral d’Amman, qui réunit autour de la table les grands voisins régionaux que sont l’Égypte et la Jordanie. Il faut soutenir cette démarche.
Sans implication durable et respectée des acteurs de la région, rien ne sera possible. Contrairement à d’autres puissances, la France mobilise, réunit, fédère. Mais ce n’est pas l’esprit du texte proposé.
Enfin, mes chers collègues, malgré le contexte géopolitique pour le moins tendu dans tout le Moyen-Orient, je veux croire et regarder vers l’avenir.
Nous devons laisser une chance à tous les acteurs : leur rappeler leurs responsabilités, mais ne pas les crisper. (M. Fabien Gay s’exclame.) C’est là le fondement de la véritable diplomatie, et c’est ainsi que cette terre de souffrance pourra devenir totalement et pleinement, un jour, une terre d’espérance. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP et RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie, et auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de commencer mon propos en rappelant trois évidences.
Premièrement, la France est et restera toujours l’amie du peuple palestinien comme l’amie du peuple israélien.
Deuxièmement – Gilbert Roger le disait –, la France est attachée de manière indéfectible à la sécurité de l’État d’Israël.
Troisièmement – Olivier Cadic le mentionnait –, le conflit israélo-palestinien reste une question cruciale pour la France, au cœur des enjeux de paix et de stabilité au Proche-Orient. D’ailleurs, l’escalade de violences à Jérusalem, à Gaza et en Cisjordanie en mai dernier a rappelé que ce conflit n’avait rien perdu de sa centralité.
La France n’a ménagé aucun effort pour contribuer à la cessation des hostilités. Le Président de la République était en contact étroit avec le Premier ministre israélien d’alors et le président Abbas. Il a aussi organisé un sommet trilatéral aux côtés du président Sissi et du roi Abdallah de Jordanie pour œuvrer concrètement à la désescalade. Le ministre de l’Europe et des affaires étrangères et la diplomatie française ont également contribué aux efforts régionaux en vue de parvenir à un cessez-le-feu. Nous avons enfin soumis un projet de résolution au Conseil de sécurité des Nations unies en ce sens.
Malgré tout, plus de six mois après la fin des hostilités, les défis restent multiples : préserver un cessez-le-feu durable à Gaza, auquel l’Égypte a apporté son soutien, assurer la reconstruction et l’appui humanitaire, prévenir toute mesure unilatérale qui contribuerait à une nouvelle escalade.
Au-delà, c’est le rétablissement d’un horizon politique crédible qui reste nécessaire pour permettre aux Palestiniens et aux Israéliens de vivre en paix et en sécurité dans le respect des droits de chacun. Très clairement, sans cet horizon politique crédible, il est à craindre que, les mêmes causes produisant les mêmes effets, les cycles de violences ne se répètent, nourrissant un conflit qui n’a que trop duré.
Je souhaite à ce propos rappeler que la position de la France demeure constante sur les conditions d’un règlement politique du conflit israélo-palestinien. Cette position repose sur trois éléments excellemment rappelés par Nicole Duranton.
Un cadre, tout d’abord : celui du droit international, fondé sur les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations unies et les paramètres internationalement agréés.
Un objectif, ensuite : l’établissement de deux États vivant effectivement dans la paix et la sécurité au sein de frontières sûres et reconnues, fondées sur les lignes du 4 juin 1967, avec Jérusalem pour capitale de ces deux États.
Une méthode, enfin : la négociation entre les parties et l’absence de décision unilatérale.
Comme vous le savez, le soutien de la France à la solution des deux États est indéfectible, pour une raison très simple : il n’y a pas d’alternative viable.
C’est la seule solution qui puisse répondre de façon juste et durable aux aspirations des peuples palestinien et israélien. Tout plan qui viserait à s’éloigner de cette solution est illusoire, car les aspirations d’un peuple ne peuvent se réaliser durablement au détriment des droits et des aspirations de l’autre.
Comme l’avait indiqué le Président de la République devant l’Assemblée générale des Nations unies en septembre 2020, la paix ne pourra se construire sur l’hégémonie ou l’humiliation. L’État palestinien doit pouvoir coexister dans la paix et la sécurité aux côtés de l’État d’Israël.
La question qui se pose aujourd’hui dans cet hémicycle n’est donc pas celle des objectifs ou des principes. Il s’agit de savoir comment parvenir concrètement à cette solution : par quels voies et moyens la communauté internationale peut-elle accompagner Palestiniens et Israéliens sur le chemin de la paix ?
Pour œuvrer à la concrétisation de cette solution à deux États, la mobilisation de la France et de la communauté internationale doit être double : d’une part, il faut une action collective pour garantir la possibilité d’établir, à terme, un État palestinien souverain, viable, contigu et démocratique, ce qui exige l’absence de mesures unilatérales qui remettraient en cause cette viabilité ou cette contiguïté.
Je dois exprimer à ce propos la vive inquiétude de la France au regard de la poursuite, par le gouvernement du Premier ministre Bennett, de la politique de colonisation et des évictions de familles palestiniennes de Jérusalem-Est. La colonisation sous toutes ses formes est contraire au droit international, et elle porte directement atteinte à la solution des deux États.
Les risques sont d’autant plus importants que celle-ci est menée dans des zones sensibles pour la contiguïté d’un futur État palestinien. On pense notamment aux zones E1, Givat Hamatos ou Har Homa.
Je rappelle à cet égard notre condamnation des annonces faites par les autorités israéliennes à la fin du mois d’octobre de la construction de plus de 4 000 logements en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.
Notre mobilisation et notre vigilance restent entières, conjointement avec nos partenaires européens. Je tiens également à rappeler la pleine mobilisation de la France l’an dernier pour prévenir l’annexion partielle de la Cisjordanie, qui, souvenez-vous, avait été envisagée par le gouvernement Netanyahu.
Nous avions alors clairement affirmé qu’une telle annexion, quel que fût son périmètre, aurait rendu impossible la solution des deux États et mis un terme de façon irréversible à la perspective de création d’un État palestinien viable. La France a été particulièrement active pour envoyer des messages fermes et dissuasifs à cet égard.
Ensuite, pour concrétiser la solution des deux États, il faut naturellement préserver la possibilité d’établir un futur État palestinien qui soit viable. Cela passe par un soutien aux institutions palestiniennes et un renforcement de la gouvernance démocratique dans ces territoires, où l’on observe des dérives inquiétantes.
La France, comme les années précédentes, apporte une aide budgétaire de 16 millions d’euros à l’Autorité palestinienne pour financer le plan national de développement palestinien et renforcer les institutions palestiniennes. La France soutient également par ailleurs l’UNRWA, qui agit auprès des réfugiés palestiniens, sans oublier un certain nombre d’actions conduites par l’Agence française de développement (AFD) ou le centre de crise et de soutien (CDCS) du Quai d’Orsay.
La récente désignation par les autorités israéliennes de six ONG palestiniennes de défense des droits de l’homme comme organisations terroristes est très préoccupante – l’une d’entre elles avait reçu le prix des droits de l’homme de la République française en 2018.
Mais pour revenir au sujet de la gouvernance palestinienne, la France appelle très clairement à des progrès tangibles pour la renforcer. Des institutions démocratiques fortes, fondées sur le respect de l’État de droit, sont indispensables pour un État palestinien viable. Nous avons d’ailleurs déploré, l’été dernier, les arrestations de membres de la société civile palestinienne, et exprimé notre vive préoccupation à la suite du décès de Nizar Banat après son arrestation par les forces de sécurité palestiniennes. Nous rappelons notre attachement au respect de la liberté d’expression et des droits de l’homme, fondement de toute société démocratique.
Le peuple palestinien a besoin de s’exprimer démocratiquement et, après un report regrettable cette année, il revient à l’autorité palestinienne d’organiser des élections nationales, selon un calendrier rapproché. Il revient également aux autorités israéliennes d’autoriser la tenue du scrutin à Jérusalem-Est.
Enfin, œuvrer à la concrétisation de la solution des deux États passe par une mobilisation de la communauté internationale pour aboutir à la reprise des négociations entre les parties.
L’un d’entre vous a évoqué l’année 1991, il y a trente ans, quand Israéliens et Palestiniens s’engageaient dans leurs premières négociations, après la conférence de Madrid. De Madrid à Taba, en passant par Oslo et Camp David, ces négociations ont – hélas ! – fait place à une frustration d’autant plus forte que la paix semblait alors à portée de main.
Trente ans après Madrid, les négociations entre les parties n’ont jamais paru aussi lointaines et la frustration a cédé la place à l’amertume. Le risque est désormais de voir s’éloigner durablement toute perspective de reprise des négociations entre Israéliens et Palestiniens, tant la défiance est grande de part et d’autre.
L’absence de perspectives politiques laisse d’ailleurs la place aux accès de violence, comme est venue le rappeler tragiquement l’attaque terroriste du 21 novembre dernier à Jérusalem, que nous avons condamnée avec la plus grande fermeté.
L’urgence est bien de créer les conditions d’une reprise des négociations directes entre les parties pour qu’elles renouent le fil du dialogue. C’est ce à quoi s’efforce la France depuis plus d’un an et demi aux côtés de ses partenaires allemand, égyptien et jordanien, dans le cadre du groupe d’Amman ou du format de Munich, établi au début de 2020 sur notre initiative, peu après la présentation du pseudo-plan du président Trump.
Ce format rassemble les ministres des affaires étrangères des deux États européens et des deux États arabes engagés sur le dossier israélo-palestinien, l’Égypte et la Jordanie. Ce groupe s’est déjà réuni à quatre reprises, en étroite coordination avec l’Union européenne et les Nations unies. Ses travaux ont permis dans un premier temps de maintenir à l’agenda la perspective de cette solution à deux États, après l’annonce du plan Trump, et d’accompagner une reprise de la coordination qui est aujourd’hui à l’œuvre.
L’objectif est désormais de poursuivre et d’amplifier ces efforts, complémentaires à ceux du Quartet, en vue de rétablir un niveau de confiance suffisant et, à terme, de créer les conditions d’une reprise directe des négociations.
Les récents contacts de haut niveau entre Israéliens et Palestiniens ces derniers mois participent de cette dynamique positive que nous encourageons. Ils s’inscrivent dans un contexte de recomposition régionale qui est positif pour la paix et pour la stabilité régionale, permis notamment par la normalisation des relations entre plusieurs États arabes et Israël, que la France a saluée.
Le Président de la République s’est d’ailleurs récemment rendu aux Émirats arabes unis et a eu l’occasion de féliciter les autorités émiriennes pour ce grand pas pour la paix et la stabilité dans la région.
Les premières mesures annoncées par le ministre israélien des affaires étrangères, Yaïr Lapid, en faveur des territoires palestiniens vont également dans le bon sens. Nous les avons saluées, mais force est de constater que cette dynamique demeure fragile, comme l’illustrent les derniers signaux négatifs sur le terrain : les violences, les annonces en matière de colonisation, la crise humanitaire structurelle, le blocus israélien imposé à la population de Gaza, qui subit elle-même le contrôle du Hamas.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cette résolution invite le Gouvernement à engager une initiative internationale ou européenne sur le dossier israélo-palestinien. Jean-Yves Le Drian forme le vœu de pouvoir réunir prochainement ses homologues allemand et égyptien dans le format d’Amman, et d’inviter à cette occasion les parties à participer aux travaux.
Nous restons disposés à accompagner toutes les initiatives crédibles de relance des négociations et nous soutenons les efforts de l’envoyé spécial de l’Union européenne à ce titre. S’agissant de la reconnaissance de l’État palestinien, elle devra intervenir au moment opportun, dans le cadre et le format appropriés, lorsque cette décision sera directement utile à la paix.
Nous l’avons toujours dit : cette reconnaissance doit s’inscrire dans le cadre d’un règlement global et définitif du conflit. Nous ne voulons pas d’une reconnaissance symbolique, qui n’aboutirait qu’à un État virtuel. Nous engagerons des démarches en ce sens, le moment venu, dans le cadre d’un processus politique crédible, en vue de l’établissement effectif de deux États sur le terrain. Ce ne doit pas être une fin en soi, mais un levier au service de la paix.
Aujourd’hui, sur cette proposition de résolution, le Gouvernement s’en remettra à la sagesse de la Haute Assemblée. (M. Bruno Belin applaudit.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
proposition de résolution invitant le gouvernement à relancer une initiative internationale multilatérale visant à la concrétisation d’une solution à deux états et à la reconnaissance d’un état palestinien par la communauté internationale, aux côtés d’israël pour une paix juste et durable entre les peuples
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu le chapitre XVI du Règlement du Sénat,
Vu la résolution n° 181 de l’Assemblée générale des Nations Unies du 29 novembre 1947 procédant à la définition en Palestine de deux États distincts aux frontières fixées par les Nations Unies, adoptée par 33 voix contre 13 (10 abstentions),
Vu la résolution n° 3236 de l’Assemblée générale des Nations Unies du 22 novembre 1974 réaffirmant le droit inaliénable du peuple palestinien à l’autodétermination, à l’indépendance et à la souveraineté nationales ainsi que le droit de retourner vers leurs foyers et vers leurs biens, adoptée par 89 voix contre 8 (37 abstentions),
Vu la résolution n° A/65/443 de l’Assemblée générale des Nations Unies du 20 décembre 2010 condamnant l’occupation par l’État d’Israël d’une partie des territoires palestiniens tels que fixés par la résolution n° 181 de l’Assemblée générale des Nations Unies du 29 novembre 1947 précitée, adoptée par 167 voix contre 8 (5 abstentions),
Vu la résolution n° 2334 du Conseil de sécurité des Nations Unies du 23 décembre 2016 rappelant la nécessité d’une solution à deux États et réitérant sa condamnation de l’occupation par l’État d’Israël de territoires palestiniens, adoptée par 14 voix (aucun contre et 1 abstention),
Vu la résolution n° A/73/89 de l’Assemblée générale des Nations Unies du 6 décembre 2018 appelant à ce que « soit mis fin à l’occupation israélienne qui a commencé en 1967, y compris à Jérusalem-Est » et réaffirmant « son appui indéfectible, conforme au droit international, au règlement prévoyant deux États, Israël et la Palestine », adoptée par 156 voix contre 6 (12 abstentions),
Vu la résolution n° A/75/L.34 du 2 décembre 2020 de l’Assemblée générale des Nations Unies rappelant qu’il est « urgent de déployer collectivement des efforts pour engager des négociations crédibles sur toutes les questions relatives au statut final dans le processus de paix au Moyen-Orient sur la base des mandats de longue date », ses condamnations vis-à-vis de l’occupation israélienne, notamment à Jérusalem-Est et la nécessité d’un territoire palestinien continu, adoptée par 147 voix contre 7 (9 abstentions),
Vu la résolution n° 2014/2964(RSP) du Parlement européen du 17 décembre 2014 sur la reconnaissance de l’État Palestinien, qui réaffirme son soutien à une solution à deux États, adoptée par 498 voix contre 88 (11 abstentions),
Vu la résolution n° 32 sur la reconnaissance de l’État de Palestine, adoptée par le Sénat le 11 décembre 2014 par 153 voix contre 146 (24 abstentions),
Vu la résolution n° 439 portant sur la reconnaissance de l’État de Palestine, adoptée par l’Assemblée nationale le 2 décembre 2014 par 339 voix contre 151 (16 abstentions),
Vu les actes législatifs et réglementaires pris notamment par les gouvernements ou les parlements de la Suède, du Royaume-Uni, de l’Irlande, de l’Espagne et du Portugal,
Considérant la reconnaissance majoritaire des frontières de 1967, issues des accords d’armistice israélo-arabes de 1949 et de la ligne d’armistice de cette même année ;
Considérant l’aggravation des atteintes aux droits, reconnus par l’organisation des Nations Unies, des Palestiniens par l’État d’Israël ;
Considérant les multiples condamnations internationales dont a fait l’objet l’État d’Israël, notamment au sujet de la colonisation et l’occupation de territoires palestiniens ;
Considérant le blocage actuel des discussions malgré l’initiative prise par la France en 2017 ;
Considérant malvenu et déséquilibré le « plan de paix » imposé bilatéralement par les États-Unis d’Amérique et l’État d’Israël en janvier 2020 ;
Considérant l’opportunité que représente la présidence française du Conseil de l’Union européenne à partir du 1er janvier 2022 ;
Invite le Gouvernement à engager, au niveau européen et international, une initiative internationale en vue d’aboutir à la concrétisation d’une solution à deux États et à la reconnaissance d’un État palestinien par la communauté internationale, aux côtés d’Israël pour une paix juste et durable entre les deux peuples.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explications de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 59 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 300 |
Pour l’adoption | 93 |
Contre | 207 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures trente, est reprise à seize heures.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
4
Candidatures à deux missions d’information
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la désignation des membres de deux missions d’information.
En application de l’article 8 du règlement, les listes des candidats remises par les groupes politiques pour la désignation des membres de la mission d’information sur le thème « Excellence de la recherche/innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l’erreur française » et de la mission d’information sur « L’exploration, la protection et l’exploitation des fonds marins : quelle stratégie pour la France ? » ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
5
Modification de l’ordre du jour
Mme la présidente. Par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande l’inscription à l’ordre du jour du mercredi 19 janvier prochain, après les questions d’actualité au Gouvernement, de la deuxième lecture de la proposition de loi visant à renforcer le droit à l’avortement.
Acte est donné de cette demande.
Nous pourrions prévoir une discussion générale de quarante-cinq minutes.
La commission des affaires sociales se réunira pour examiner le rapport et le texte mercredi 12 janvier, au matin.
Nous pourrions fixer le délai limite de dépôt des amendements en séance publique au lundi 17 janvier, à douze heures.
Il n’y a pas d’opposition ?…
Il en est ainsi décidé.
6
Rappel des règles sanitaires
Mme la présidente. Mes chers collègues, avant de commencer nos travaux, je vous rappelle que le port du masque est obligatoire partout dans l’hémicycle. La période pendant laquelle les orateurs pouvaient ôter le masque à la tribune est malheureusement révolue.
Par ailleurs je vous rappelle que le respect des gestes barrières est indispensable.
7
Commémoration de la répression d’Algériens le 17 OCTOBRE 1961
Rejet d’une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi relative à la commémoration de la répression d’Algériens le 17 octobre 1961 et les jours suivants à Paris, présentée par MM. Rachid Temal, Jean-Marc Todeschini, David Assouline et Hussein Bourgi (proposition n° 42, résultat des travaux de la commission n° 241, rapport n° 240).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Rachid Temal, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Rachid Temal, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce mardi 17 octobre 1961, le temps est gris sur Paris et la région parisienne.
Le Président de la République, le général de Gaulle, a présidé, ce jour, une séance du Commissariat général au plan sur des investissements publics à caractère social, le quatrième Plan devant être soumis au Parlement pour adoption dans un mois.
Si les « événements d’Algérie », comme l’on dit alors pudiquement, sont une réalité pour nos compatriotes, avec de la violence et des attentats des deux côtés de la Méditerranée, la France est une démocratie avec des institutions qui fonctionnent.
La Ve République est présidée par son fondateur et Michel Debré est à Matignon. Ce pouvoir fort a engagé des négociations avec le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) pour mettre fin à la situation algérienne.
Voilà pour le contexte.
Ce mardi 17 octobre 1961, à l’heure où des millions de Français se préparent à passer à table, quelques milliers de nos compatriotes, des Français musulmans d’Algérie – c’est le nom officiel depuis la Constitution de 1946 – s’habillent chaudement pour sortir de leur bidonville ou de leur chambre d’hôtel et rejoindre une manifestation pacifique.
Cette manifestation est interdite. C’est un fait. Dès lors, personne ne peut contester la présence des forces de police ni même les arrestations. Pour autant, on peut s’interroger sur ce couvre-feu qui concerne uniquement certains de nos compatriotes, en raison de leur statut de « Français musulmans d’Algérie ». Pour eux, le sentiment d’être des Français de seconde zone existe bel et bien.
Ce qui fait que nous sommes là aujourd’hui, moins de deux mois après le soixantième anniversaire de la manifestation du 17 octobre 1961, c’est la répression, la terrible répression.
S’il revient aux historiens d’écrire l’histoire, chacun en convient, nous ne pouvons que constater, en les lisant comme en prenant connaissance des archives de l’époque, même si nombre d’entre elles manquent encore, l’ampleur et la violence de la répression.
Chacun peut revoir sur les quelques photos existantes les regards des manifestants arrêtés, parfois ensanglantés : ce sont des regards de peur et de douleur.
De Brunet à Einaudi, en passant par le rapport Mandelkern, pour ne citer qu’eux, que pouvons-nous dire ?
Quelque 20 000 manifestants se retrouvent ce soir-là sur trois zones à Paris, face aux forces de police : le pont de Neuilly, un axe Grands Boulevards-Opéra-place de la République et le boulevard Saint-Germain, à quelques centaines de mètres de notre hémicycle.
Plus d’un manifestant sur deux sera arrêté ce soir-là – un taux d’arrestation rare, convenons-en.
Ainsi, 11 538 manifestants seront arrêtés, conduits et détenus parfois plusieurs jours dans différents lieux : le Palais des sports, le stade Coubertin, le poste central Opéra, le commissariat central du troisième arrondissement et d’autres commissariats à Paris et autour de Paris.
Comment expliquer que, parmi ces manifestants et personnes appréhendés, nous puissions compter plusieurs centaines de blessés et plusieurs dizaines de morts ?
Personne ne conteste les faits. Personne ne conteste les chiffres, même s’il y a débat sur le nombre exact de morts.
Ces morts restent une tache indélébile dans notre histoire nationale.
Nous parlons là de citoyens français, d’êtres humains, de maris, de frères, de fils, pour certains blessés et pour d’autres assassinés. Soixante ans après, les familles et les Français ont le droit de savoir.
Dans une démocratie, dans un État de droit, rien, je dis bien « rien », ne saurait jamais justifier le terrible bilan de cette nuit-là, ces blessés et ces morts parmi les manifestants arrêtés.
La proposition de loi relative à la commémoration de la répression d’Algériens le 17 octobre 1961 et les jours suivants à Paris que j’ai l’honneur de présenter aujourd’hui s’inscrit dans une histoire déjà longue, mais inaboutie.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi de saluer nos prédécesseurs : les acteurs de l’époque qui ont écrit et parlé sur ce qui s’est passé ; Bertrand Delanoë qui le premier, au Conseil de Paris le 23 septembre 2001, a reconnu ces faits ; le groupe communiste républicain et citoyen du Sénat, dont l’engagement a permis l’adoption d’une proposition de résolution le 23 octobre 2012 ; Patrick Mennucci qui, avec plusieurs de ses collègues socialistes, a déposé en 2016 une proposition de loi à l’Assemblée nationale ; le président François Hollande qui, le 17 octobre 2012, déclara, parlant de la « sanglante répression » : « La République reconnaît avec lucidité ces faits » ; enfin, le président Emmanuel Macron qui, le 16 octobre dernier, sur le pont de Bezons, indiqua que « la France regarde toute son histoire avec lucidité et reconnaît les responsabilités clairement établies ».
Aujourd’hui, il est demandé au Sénat de faire un nouveau pas, d’être une nouvelle fois au rendez-vous de l’histoire. Le travail de mémoire est nécessaire pour rassembler les Français.
Je veux dire solennellement notre respect et notre considération à l’égard de toutes les mémoires de la période. Je pense à la mémoire des rapatriés, à la mémoire des harkis, à la mémoire des appelés du contingent, à la mémoire de l’immigration algérienne : toutes ces mémoires sont complémentaires et nullement concurrentes. Veillons à ne pas les opposer.
Les membres de mon groupe et moi-même serons toujours au rendez-vous de la mémoire des acteurs. Nous le serons dans quelques semaines sur le projet de loi en faveur de la reconnaissance du drame des harkis. Nous verrons alors qui fait quelle mémoire.
Avec cette proposition de loi, que ce soit clair, nous ne sommes pas non plus dans la repentance, pas plus que dans une demande de pardon ou de condamnation. Nous souhaitons la reconnaissance de notre histoire nationale, telle qu’elle est établie par tout historien sérieux qui travaille sur ces questions.
Avec cette proposition de loi, nous ne sommes pas non plus dans un message à l’Algérie. Non, c’est bien l’histoire de France que nous évoquons cet après-midi.
Permettez-moi, avant de conclure, de revenir sur quelques points du rapport de la commission des lois. J’avoue avoir été un peu surpris des différents éléments qui le composent et de sa conclusion.
Ce que cette répression a de particulier, c’est qu’elle touche des citoyens français qui ont été parfois tabassés, parfois tués, en plein cœur de notre capitale par notre police nationale et républicaine, une police de Paris alors aux ordres du sinistre Maurice Papon. Il faut l’avoir en tête, car c’est bien ce qui fait la singularité de cet événement survenu voilà maintenant soixante ans.
Il ne s’agit pas d’opposer, de classifier, de hiérarchiser les morts, les répressions ou les tragédies.
D’ailleurs, dès le 20 septembre dernier, j’ai salué l’annonce par le président Macron d’une loi sur la réparation et la reconnaissance de la tragédie vécue par les harkis. Il prolonge par une loi les mots de son prédécesseur François Hollande le 25 septembre 2016 et, avant lui, ceux de Nicolas Sarkozy en 2012.
On nous oppose que le présent texte serait une loi mémorielle, mais le Parlement a déjà voté de tels textes, ce qui est d’ailleurs tout à son honneur.
J’ai été fier d’entendre le président Jacques Chirac reconnaître la responsabilité de la France dans la rafle du Vél d’Hiv au mois de juillet 1995. C’est savoir regarder notre histoire droit dans les yeux.
Aujourd’hui, je suis fier qu’un projet de loi sur les harkis ait été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale et j’espère bien qu’il le sera également par le Sénat. Je le dis au groupe Les Républicains, qui a déposé voilà quelques années une proposition de loi mémorielle sur les harkis. Je le dis à Mme la rapporteure qui, alors qu’elle était députée, a déposé une proposition de loi « relative à reconnaissance de la Nation des massacres de la rue d’Isly du 26 mars 1962 et d’Oran du 5 juillet 1962 » – c’était aussi un texte mémoriel.
Ce n’est donc pas le propos : le Parlement sait débattre et adopter des lois mémorielles chaque fois que c’est nécessaire.
Alors que nous sommes dans une situation politique particulière où certains font du révisionnisme leur fonds de commerce et tentent de récrire l’histoire, le rôle du Sénat consiste, par un vote positif sur cette proposition de loi, à regarder avec lucidité notre histoire, toute notre histoire et, soixante ans après, cette terrible répression.
Oui, la République doit être exemplaire. Elle ne l’a pas été ce 17 octobre 1961. C’est ce qui explique notre démarche.
Pour conclure, permettez-moi de citer Pierre Nora : « Si l’histoire rassemble, la mémoire divise et sépare. » C’est au Sénat qu’il revient, aujourd’hui, de rassembler la Nation en votant en faveur de cette proposition de loi de rassemblement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Pascal Savoldelli applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Valérie Boyer, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission des lois n’a pas adopté le texte de la proposition de loi relative à la commémoration de la répression d’Algériens le 17 octobre 1961 et les jours suivants à Paris, et ce pour plusieurs raisons.
Je rappelle qu’il s’agit d’un texte symbolique et mémoriel, car les événements de l’époque sont soit couverts par l’amnistie décidée à la fin de la guerre d’Algérie, soit prescrits.
La manifestation du 17 octobre 1961 en tant qu’événement singulier, ses causes et ses suites font l’objet d’un important travail historique depuis 1985 et la parution du premier ouvrage sur ce sujet. La recension opérée par deux historiens britanniques ne relève pas moins de deux cents articles consacrés spécifiquement au 17 octobre 1961.
Ce travail important rompt avec l’occultation de l’événement, qui, pour des raisons diverses, a touché l’ensemble des acteurs de l’époque.
Ce travail a aussi pu être conduit grâce à l’ouverture des archives de la préfecture de police et de la justice décidée au mois d’octobre 1997 après le procès de Maurice Papon. En effet, sa responsabilité dans la répression de la manifestation en tant que préfet de police de Paris avait été évoquée devant le tribunal. Si les archives n’avaient pas été ouvertes à l’époque, il aurait fallu attendre 2021, soit encore vingt-cinq ans, pour qu’elles deviennent consultables.
Parallèlement, un travail mémoriel entrepris par des associations et des militants a conduit à l’instauration, à Paris, mais aussi dans d’autres villes, d’une commémoration annuelle à laquelle le Président de la République s’est associé cette année.
En 2012, sur l’initiative de l’ancienne présidente du groupe communiste, Nicole Borvo Cohen-Seat, le Sénat a adopté une résolution tendant à la reconnaissance de la répression d’une manifestation à Paris le 17 octobre 1961, qui visait notamment à créer un lieu de mémoire.
Cette même année, le président François Hollande a pris position sur la répression de la manifestation. Le président Emmanuel Macron a fait de même cette année.
Il y a donc eu depuis vingt-cinq ans un important travail historique et mémoriel.
Faut-il aujourd’hui aller plus loin, comme nous y invitent les auteurs de la proposition de loi ?
Nous ne le pensons pas, et ce même si la formulation retenue par l’article 1er pour qualifier les événements du 17 octobre 1961, qui parle de « répression », ne fait pas polémique.
En revanche, il n’a pas semblé possible à la commission de reconnaître la responsabilité de la France. En effet, ce point ne fait pas consensus entre les historiens. Certains voient dans les violences commises la conséquence des attentats du Front de libération nationale (FLN) contre les forces de l’ordre, qui avaient fait 22 morts parmi les policiers en 1961 – notamment 13 entre le 29 août et le 3 octobre, c’est-à-dire une quinzaine de jours avant cette répression – et 76 blessés. D’autres y voient la conséquence d’une « Terreur d’État » mise en place contre les indépendantistes algériens.
Il paraît impossible d’isoler le 17 octobre 1961 de son contexte et des violences liées à la guerre d’Algérie, violences qui ont touché toutes les communautés, y compris les Français musulmans d’Algérie, soumis à l’impôt révolutionnaire, à la guerre entre mouvements indépendantistes et à la pression policière.
Je rappelle que cette dénomination administrative, « Français musulmans d’Algérie », résultait du choix fait par ceux-ci de se voir applique le droit local musulman plutôt que le code civil. À l’inverse, les personnes de confession juive des trois départements français d’Algérie – le Constantinois, l’Oranais, l’Algérois – ont accédé à la pleine citoyenneté en acceptant l’application code civil en 1870, par le décret Crémieux.
Les réformes de 1944 et de 1956 avaient accordé à tous les citoyens vivant dans les trois départements d’Algérie les mêmes droits politiques et la citoyenneté complète. Il n’y avait donc plus de statut d’indigénat.
La proposition de loi désigne les manifestants comme Algériens, ce qui, je le répète, est juridiquement inexact, mais j’ai pu constater que cette dénomination fait consensus chez les historiens.
Plus complexe est le choix retenu par les auteurs de la proposition de loi de ne mentionner que la volonté d’indépendance comme motif de la manifestation. Une partie au moins des porteurs de mémoire du 17 octobre 1961 considère que la manifestation avait d’abord pour but de protester contre le couvre-feu de fait instauré par la préfecture de police. Je ne reviens pas sur le contexte particulièrement violent : j’ai déjà mentionné le nombre de policiers tués. La tension était très forte.
Sur ce point non plus, il n’y a pas de consensus. Nous ne pouvons pas à mon sens imposer par la loi une lecture de l’événement.
L’article 2 a pour objet la création d’une commémoration annuelle. Les commémorations ont pour but de reconnaître la souffrance des victimes, que personne ne conteste ou ne minimise. Toutefois, reconnaître par la loi une commémoration suppose de reconnaître également les commémorations de toutes les autres victimes. Or il existe déjà une date, le 19 mars, qui à titre personnel ne me satisfait pas du tout (Murmures sur les travées du groupe SER.), mais qui a été reconnue par la loi en 2012, et qui commémore toutes les victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie.
Par ailleurs, c’est par décret qu’ont été fixées la date du 25 septembre commémorant les forces supplétives de l’armée française, les harkis, et celle du 5 décembre pour la commémoration des morts pour la France pendant la guerre d’Algérie. Ces deux dates ont été choisies sans lien avec un événement particulier de la guerre d’Algérie, dans le but d’apaiser les mémoires – elles correspondent aux dates de promulgation de ces lois. Parce que l’on ne voulait pas reconnaître qu’il s’agissait d’une guerre civile, on parlait des « événements » d’Algérie. C’est bien plus tard qu’il a été question de « guerre d’Algérie ».
Il a paru à la commission des lois qu’il n’était pas souhaitable de risquer une concurrence mémorielle que personne ne souhaite, pas plus que de trancher sur une question qui ne fait pas consensus parmi les historiens. D’autres dates auraient pu être proposées, mais aucun texte n’a été déposé en ce sens.
Pour toutes ces raisons, la commission des lois ne souhaite pas l’adoption de ce texte. Le travail des historiens doit se poursuivre, le travail de mémoire également. Des initiatives et travaux intéressants vont dans ce sens. Un article récent du Monde faisait référence à des jeunes qui avaient travaillé sur ces questions.
Je profite du temps qui me reste pour indiquer qu’un grand nombre d’archives ont été ouvertes. Sans cela, d’ailleurs, ces importants travaux n’auraient pas pu être menés.
La question des archives militaires reste quant à elle posée. J’évoquerai celles qui concernent la fusillade de la rue d’Isly. L’armée affirme qu’une partie d’entre elles a été perdue, mais les historiens que nous avons auditionnés ont tous indiqué qu’ils avaient suffisamment de matière pour travailler et que les archives restantes leur étaient accessibles, ce qui leur a permis de publier de nombreuses études sur les événements et la guerre d’Algérie.
Pour toutes ces raisons, la commission des lois vous propose donc de la suivre et de ne pas adopter ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de l’éducation prioritaire. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, le Président de la République s’est récemment rendu au pont de Bezons, à l’occasion des soixante ans des événements tragiques du 17 octobre 1961.
En présence de familles, de représentants et descendants de toutes les parties prenantes, il a observé une minute de silence en mémoire des victimes.
Cette tragédie a longtemps été tue. Des cérémonies avaient été organisées par le maire de Paris ainsi que par d’autres élus de la Nation. La violence de la répression contre les manifestants du 17 octobre 1961 ne fait à présent aucun doute. Elle a été reconnue tant par le Sénat que par le Président de la République au travers de cette démarche.
Par cet acte fort et courageux, c’est la première fois qu’un chef de l’État rend hommage aux victimes de la répression brutale, sanglante, du 17 octobre. Il a ainsi honoré leur mémoire en reconnaissant les crimes inexcusables pour la République commis cette nuit-là sous l’autorité de Maurice Papon.
Cela s’inscrit dans la démarche de lucidité engagée par le Président de la République sur toutes les blessures de l’histoire franco-algérienne.
L’enjeu est en effet d’abord mémoriel, le travail historique devant se poursuivre. Le Président de la République avait confié à cet effet à Benjamin Stora un rapport sur les mémoires de la colonisation et de la guerre d’Algérie. La commémoration de la répression du 17 octobre 1961 fait partie de la mise en œuvre concrète des recommandations de ce rapport.
Le Président de la République a déjà accompli plusieurs gestes de reconnaissance portant sur la période de la colonisation, avec la remise de restes humains à l’Algérie à l’été 2020, et sur celle de la guerre d’Algérie, s’agissant des assassinats de Maurice Audin et Ali Boumendjel, avec une plus grande ouverture de nos archives.
Sur cette base, nous voulons que le dialogue puisse prévaloir avec nos partenaires algériens.
M. François Bonhomme. C’est mal parti !
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État. Ce travail prendra du temps. Il passera par l’établissement des faits, par le dialogue des mémoires et par la mise en place patiente d’une relation apaisée avec notre passé commun.
La proposition de loi que nous examinons ce jour est à plusieurs égards peu consensuelle – et pour cause ! Elle cherche à imposer une version de notre histoire, alors même que les historiens poursuivent un travail de fond.
Comme je l’ai indiqué, le Président de la République a, avec courage, ouvert une voie par le dialogue et par des actes forts. Le Gouvernement souhaite que cette démarche se poursuive dans un esprit d’ouverture au travers d’un travail mémoriel et historique entre nos deux pays.
Aussi, nous serons défavorables à cette proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP.)
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a soixante ans, le 17 octobre 1961, à l’appel de la fédération de France du Front de libération nationale, au moins 20 000 Algériens ont défilé à Paris pour défendre pacifiquement une « Algérie algérienne » et dénoncer un couvre-feu imposé à ces seuls « Français musulmans d’Algérie ».
Je crois qu’il n’y a aujourd’hui plus aucune ambiguïté quant au déroulement de cette manifestation et à l’ampleur de la violence qu’elle engendra alors de la part des forces de l’ordre. Le nombre de morts n’est pas exactement connu, mais, quelle que soit l’estimation, il est toujours édifiant.
Au-delà du drame que représente l’événement, ce n’est pas que de cela qu’il est question dans cette proposition de loi.
Chacun le sait, il s’est noué une affaire dans l’affaire au regard de son traitement politique, médiatique et historique. Tout cela a déjà été fort bien rappelé.
J’ai pendant longtemps enseigné l’histoire et la géographie de sorte que je me suis souvent interrogé sur la manière d’écrire et de dire l’histoire – ou les histoires –, plus largement sur les rapports que le présent entretient avec le passé, sur la manière dont les sociétés se racontent, voire se romancent à travers le temps.
C’est un sujet évidemment difficile que celui de la question de la mémoire collective, du récit des événements que les générations offrent aux suivantes, les faisant ainsi entrer dans leur histoire. Bon nombre d’historiens et de chercheurs, comme Paul Veyne ou Henri-Irénée Marrou, ont montré l’extrême complexité de l’élaboration d’un récit historique.
L’histoire est l’objet de discours et d’analyses à partir de recherches factuelles, de mises en perspective et de controverses parfois. Le passé n’a d’intérêt que parce qu’il est complexe, fait de sinuosités et d’enchevêtrements. Pour toutes ces raisons, la loi ne m’apparaît pas comme un support adéquat. Le fait historique ne s’écrit pas dans une sentence enfermée dans un article.
J’y vois même un exercice périlleux : à trop réduire le sens d’un événement, on risque de faire naître des frustrations chez ceux qui considéreraient que le récit ainsi rétréci les oublie de la mémoire collective.
À cela s’ajoute ce que nous rappelons, hélas, trop souvent dans cet hémicycle : l’inflation législative. Nos lois manquent trop souvent d’aller à l’essentiel, c’est-à-dire à l’essence de la fonction législative qui, pour citer Jean-Jacques Rousseau, devrait être de « découvrir les meilleures règles de société qui conviennent aux nations ».
Une loi doit rester l’expression de la volonté générale dans l’organisation de la vie commune. Sa fonction n’est pas de livrer une analyse historique, aussi juste soit-elle. Laissons ce travail aux historiens ! Les livres, les revues et les encyclopédies qu’ils écrivent sont destinés à mettre en lumière le rôle de chacun dans les événements, à reconstituer et décrire des faits avec le souci du détail.
Aussi cette proposition de loi m’apparaît-elle comme un paradoxe sur le fond et sur la forme.
Sur le fond, c’est indéniable : oui, l’État français doit reconnaître, comme c’est écrit à l’article 1er, « sa responsabilité dans la répression de manifestants algériens réclamant pacifiquement l’indépendance de leur pays ayant eu lieu le 17 octobre 1961 et les jours suivants à Paris ».
M. Rachid Temal. Eh bien, voilà !
M. Jean-Claude Requier. Je crois que cette démarche a été amorcée depuis longtemps.
Sur la forme, une loi n’est pas le support qui permet de dresser un tel constat : un événement historique ne saurait être réduit à la simplicité d’une phrase.
C’est pour cette raison que, si le groupe du RDSE salue vivement l’esprit de la démarche entreprise par les auteurs de cette proposition de loi, ses membres préféreront s’abstenir de la voter.
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la gauche nous propose de voter un texte de loi reconnaissant la responsabilité de la France lors de la manifestation des militants du FLN du 17 octobre 1961, une gauche qui porte aujourd’hui cette proposition de loi, comme elle portait les valises autrefois, motivée par la haine de la France. (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Petit rappel des faits et uniquement des faits.
Le 17 octobre 1961, le FLN, mouvement terroriste algérien se réclamant du socialisme, qui a assassiné plus de 6 000 Algériens en métropole entre 1955 et 1962, qui a commis des actes abominables envers les civils français et les harkis dans nos départements en Algérie, ce ramassis d’assassins appelle donc à manifester en plein cœur de Paris.
Quelque 20 000 soutiens à un mouvement terroriste manifestent et provoquent la police qui ne fait que rétablir l’ordre.
Quelques jours après, la propagande du FLN et le parti communiste français, jamais en retard d’une collaboration avec l’ennemi ni d’un mensonge historique (Protestations sur les travées du groupe CRCE),…
M. Pierre Laurent. Et les résistants ?
M. Stéphane Ravier. … diffusent des chiffres fantaisistes allant jusqu’à évoquer des centaines de morts du côté du FLN.
Cette propagande anti-française se heurte à une réalité, mes chers collègues : un seul cadavre a été ramené à l’institut médico-légal de Paris ce soir-là, celui de Guy Chevalier, tué lors de la manifestation.
Jean Géronimi, avocat général à la Cour de cassation qui a remis en 1999 un rapport à la garde des sceaux, ministre de la justice socialiste Élisabeth Guigou, a comptabilisé 48 Nord-Africains morts pour tout le mois d’octobre 1961.
Quand la justice ne donne pas raison à la gauche, celle-ci n’hésite pas à redoubler d’exagérations, de mensonges et de manipulations pour tenter de faire condamner la France.
M. Pierre Laurent. C’est Pétain et l’OAS, votre groupe !
M. Stéphane Ravier. Pire, vous êtes des faussaires de l’Histoire (Exclamations sur les travées du groupe SER.), car vous oubliez sciemment tous les Européens, nos compatriotes pieds-noirs et harkis,…
M. Stéphane Ravier. … « compris », puis trahis par le général élyséen et massacrés par les barbares du FLN, comme à Oran le 5 juillet 1962. Ces victimes-là sont peut-être trop françaises pour mériter votre compassion…
Si vous aviez un peu d’honnêteté historique et politique, vous demanderiez au gouvernement algérien d’ouvrir ses archives ; et, après que la vérité a éclaté, vous exigeriez que l’Algérie présente ses excuses aux familles des victimes et à la France.
M. Pierre Ouzoulias. Allez jusqu’au bout !
M. Stéphane Ravier. Vous voulez la vérité ? La voilà : les pieds-noirs, ces Français, ont accompli une œuvre extraordinaire sur cette terre française qu’était l’Algérie. La France a créé l’Algérie, le FLN l’a ruinée !
C’est si vrai que des millions d’Algériens, pourtant riches d’une patrie, ont préféré la fuir pour trouver refuge dans l’ancien pays prétendument colonisateur, réellement civilisateur,…
M. Pierre Ouzoulias. Voilà l’extrême droite !
M. Stéphane Ravier. … et qu’ils sont encore des millions à vouloir trouver en France un espoir d’avenir.
Hier, la gauche trahissait la France ; aujourd’hui elle veut déconstruire et falsifier son histoire. Nous ne vous laisserons pas faire ! Je ne vous laisserai pas salir une fois de plus la France et les Français !
Mes chers collègues, je vous invite à me rejoindre sur les barricades de la vérité, à « porter haut et fier ce beau drapeau de notre France entière » en rejetant cette proposition de loi !
M. Pierre Ouzoulias. Vous devriez finir par « Travail, Famille, Patrie » !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Marc Todeschini. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, que dire après un tel discours, quand on veut parler de paix des mémoires et de rassemblement ?
Les propos que nous venons d’entendre ont profondément heurté le secrétaire d’État à la mémoire que j’ai été. Quoi qu’il en soit, les historiens ont depuis longtemps produit un travail scientifique indiscutable sur cette journée du 17 octobre 1961. Ils ont établi les faits. (M. Stéphane Ravier proteste.) Ils les ont inscrits dans les livres afin que rien ne les efface. Ils disent la mécanique à l’œuvre durant plusieurs mois, tout au long de cette année 1961, à ce moment de notre histoire où les valeurs de la République ont été reléguées.
Au premier rang de ces valeurs figure la liberté : celle d’être qui l’on est, sans jamais risquer d’être condamné pour ce motif ; celle de pouvoir exprimer son opinion et de la défendre dans le débat public ; celle de manifester pacifiquement.
Oui, avec lucidité, notre pays reconnaît que les actes commis sous l’autorité de Maurice Papon sont bien des crimes et qu’ils sont inexcusables pour la République. Ce n’est pas là une opinion : c’est un fait.
Le souvenir du 17 octobre 1961 porte en lui une singularité. Il s’agit d’un processus de construction mémorielle populaire.
Depuis des dizaines d’années, cette mémoire s’est construite par la volonté de nos concitoyens, par-delà les origines, les racines et les obédiences. La flamme de son souvenir a été allumée et entretenue. Elle ne s’éteindra pas. Cette mémoire est vivante.
Le présent texte est donc la traduction d’une dynamique à l’œuvre depuis plusieurs années. Il s’agit d’inscrire dans la loi ce qui existe déjà et de donner aux commémorations célébrées la force d’une cérémonie officielle, par la reconnaissance dans les lois de la République. Il ne s’agit pas de créer une journée nationale supplémentaire.
Je le répète, cette proposition de loi est une étape dans un processus au long cours.
Il y eut d’abord la pose d’une plaque commémorative, le 17 octobre 2001, par Bertrand Delanoë, alors maire de Paris, puis la reconnaissance lucide du président François Hollande, le 17 octobre 2012.
Entre 2012 et 2017, mon prédécesseur et moi-même, en qualité de secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire, avons œuvré au rassemblement de toutes les mémoires en nous appuyant sur la science des historiens.
Ainsi, j’ai longuement travaillé avec des scientifiques de toutes les sensibilités historiographiques, notamment avec le professeur Jim House, spécialiste incontournable de la mécanique de haine qui a débouché sur l’irréparable journée du 17 octobre.
Dans un esprit de continuité républicaine, ce travail de mémoire a permis à l’actuel président de la République de se rendre officiellement au pont de Bezons le 16 octobre dernier.
Il s’agit bien d’un long et lent processus. C’est le sens de la mémoire, cette chaîne dont chaque citoyen est un maillon ; cette chaîne qui nous vient du passé et tend vers l’avenir.
La France est un grand pays. Cela ne l’immunise pas au regard de l’histoire. Cela ne l’exonère pas non plus.
La France est un grand pays, justement parce qu’elle est capable de regarder son passé avec discernement, d’en connaître les événements, de se réjouir de toutes les fois où elle a été à la hauteur, de reconnaître aussi les moments où elle n’a pas su s’élever.
Par son esprit de résilience, la France est digne pour tous ceux qui la regardent et lui font confiance. J’en ai mesuré la force lorsque, en avril 2015, je me suis rendu à Sétif, en Algérie. À la demande du président de la République François Hollande, j’y ai reconnu au nom de la France le massacre du 8 mai 1945, au cours duquel des Algériens et des Français ont subi une violence sans limites, venant de tous les côtés et ne laissant que des victimes.
L’humanité, lorsqu’elle est ainsi frappée, n’a plus de nationalité. Il ne reste que des mémoires douloureuses, qui toutes doivent être honorées.
J’ai, une nouvelle fois, mesuré la force de la réconciliation des mémoires lorsque, en janvier 2016, je me suis rendu devant la plaque commémorative du pont Saint-Michel afin d’y déposer une gerbe avec mon homologue algérien, Tayeb Zitouni, ministre des moudjahidines.
En ces instants, notre pays a mis en adéquation ses valeurs et ses actes, sans avoir peur d’effectuer un travail d’analyse. Ces conditions, les générations successives ont la tâche de les réunir, notamment en s’engageant dans ce travail de mémoire.
Mes chers collègues, tout en prononçant ces mots, j’ai conscience du temps immédiat et, plus précisément, d’une certaine actualité : celle du bourdonnement incessant des magazines et des journaux, des réseaux sociaux et des chaînes de télévision.
Une certaine mode voudrait que notre pays décline. La science, le travail patient des historiens, la vérité des faits, tout cela lui est étranger. Cette mode permet à certains de vendre et de bien vivre, puisqu’ils en font monnaie. Prenons garde ! Si ces peintres de mauvaise facture venaient à prendre le pouvoir, ils représenteraient un danger pour la démocratie.
Ce texte est l’un des éléments – pas le seul – permettant aux générations actuelles et futures d’avancer sans peur ni reproche. C’est un pas supplémentaire vers la concorde mémorielle.
Notre pays suit ce chemin sans rien oublier des violences, où qu’elles aient frappé ; en pensant à tous les déracinés, à tous ces enfants, ces femmes et ces hommes qui ont dû abandonner une vie entière en quelques heures ; sans oublier ces contingents de jeunes hommes qui auront laissé leur jeunesse dans une guerre qui ne disait pas son nom et qui – oui, madame la rapporteure – ont dû attendre 1997, date à laquelle le Premier ministre socialiste Lionel Jospin a pleinement reconnu l’existence de la guerre d’Algérie.
Dans le respect de la mémoire de toutes les victimes, françaises et algériennes, je tiens à le dire clairement : la France fait son travail de mémoire. Elle le prouve encore aujourd’hui. Mais elle ne peut pas le faire seule. L’apaisement des mémoires appelle chaque pays à œuvrer dans ce sens et à s’en donner tous les moyens. Continuons donc d’avancer ensemble ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Jérémy Bacchi applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton. (M. Teva Rohfritsch applaudit.)
Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voici réunis sur l’initiative du groupe socialiste pour traiter d’un sujet essentiel, qui fait actuellement l’objet d’un travail de fond ravivé par la remise du très important rapport de Benjamin Stora au Président de la République : la mémoire de la guerre d’Algérie, ou plutôt les mémoires, pour reprendre l’intitulé de ce rapport.
L’enjeu des réflexions et du travail à l’œuvre est précisément l’émergence d’une mémoire commune et décloisonnée de cette guerre.
Les précédents orateurs l’ont rappelé : au travers de cette proposition de loi, nous devons nous exprimer sur des dispositions portant sur la répression brutale et sanglante des manifestants algériens le 17 octobre 1961, dans le contexte très violent de la guerre d’Algérie.
Le présent texte traite de ce sujet via deux objets distincts : d’une part, l’inscription dans la loi de la responsabilité de la France dans cette répression ; d’autre part, l’inscription dans la loi de la commémoration de ces événements, chaque 17 octobre.
Sur le second point, il n’est pas inutile de rappeler qu’une commémoration peut être célébrée sans qu’intervienne une loi. De fait, le Président de la République a participé à la commémoration de cette répression en octobre dernier, en présence de descendants des différents porteurs de mémoire. Franchissant un pas supplémentaire dans le travail de mémoire, il a en outre reconnu ces événements comme des « crimes inexcusables pour la République ». (Mme la secrétaire d’État le confirme.)
Nous ne sommes pas de ceux qui ont regretté ce geste en lui opposant d’autres mémoires : l’objectif était justement de les convoquer ensemble autour du drame du 17 octobre 1961. Nous ne serons donc pas non plus de ceux qui s’opposeront au soutien que l’article 2 accorde à de telles commémorations.
Cette proposition de loi a également pour objet de reconnaître la responsabilité de la France. Cette reconnaissance peut, elle aussi, se passer d’une loi. Mais, au-delà de ce constat de forme, l’article 1er soulève plusieurs enjeux de fond.
Premièrement, il risque de faire entrer le législateur dans un débat d’historiens relatif aux faits, notamment aux motifs de la manifestation, présentés dans cette proposition de loi comme « lutte pour l’indépendance », mais définis ailleurs comme « contestation du couvre-feu ».
M. Rachid Temal. Ce n’est pas le sujet !
Mme Nicole Duranton. Deuxièmement, il risque d’entraîner dans la mémoire une parcellisation des drames, y compris au sujet des derniers mois de la guerre d’Algérie.
Ce risque nous rappelle bien la nécessité du travail d’association et de décloisonnement des mémoires, dont l’objectif de pacification pourra susciter un consensus assez large sur ces travées.
La commémoration précitée, à laquelle le Président de la République, Emmanuel Macron, a procédé le 16 octobre dernier ; sa reconnaissance de la responsabilité de l’État français dans la mort du mathématicien Maurice Audin et des tortures qu’il a subies, ainsi que de l’assassinat de l’avocat et nationaliste algérien Ali Boumendjel ; la démarche de facilitation de l’accès aux archives ; ou encore l’examen prochain par la Haute Assemblée d’un projet de loi portant reconnaissance de la Nation envers les harkis : ce sont là autant de pas franchis sur le long chemin vers une mémoire à la fois lucide et apaisée.
Récemment, le 30 novembre 2021, un groupe de travail réunissant des descendants de militaires français, de harkis, de rapatriés et de combattants du FLN a remis ses conclusions au Président de la République. Il a exprimé sa volonté d’entendre « un grand discours sur la guerre d’Algérie, qui reflète toutes les mémoires : celle des indépendantistes, des juifs d’Algérie, des pieds-noirs, des harkis, des appelés. Un discours qui ne se contente pas d’énumérer ces mémoires, mais au contraire les intègre dans un narratif d’ensemble, leur permette d’exister ensemble ».
Faisant sienne cette volonté de dépassement et de décloisonnement, le groupe RDPI s’abstiendra. (M. Teva Rohfritsch applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville. (M. Arnaud de Belenet applaudit.)
M. Franck Menonville. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le 17 octobre 1961, plusieurs dizaines de personnes sont mortes à Paris. En cet instant, nous voulons saluer leur mémoire ; pour comprendre ce qui s’est passé cette nuit-là et les jours suivants, nous devons nous souvenir de cette période sombre de notre histoire.
En effet, 1961 est une année de troubles, la France étant alors en guerre : depuis sept ans, la lutte armée pour l’indépendance de l’Algérie, colonisée depuis 1830, se poursuit. La question de cette indépendance divise profondément notre société. La violence et la terreur font rage en Algérie comme en métropole. Des viols, des mutilations, des tortures et des massacres sont perpétrés.
L’Organisation armée secrète (OAS) est créée cette même année 1961. Elle a fait plus d’un millier de morts tout au long de son existence. Son dirigeant, le général d’armée Raoul Salan, est, en avril 1961, l’un des quatre généraux orchestrant la tentative de coup d’État visant à conserver l’Algérie française.
Dans le même temps, le FLN mène, tant en Algérie qu’en métropole, des attaques violentes dont les forces de l’ordre sont les cibles privilégiées.
Malgré ce climat de violence, le général de Gaulle se prononce en faveur de l’indépendance de l’Algérie. Le 12 juillet 1961, il déclare : « La France accepte sans aucune réserve que les populations algériennes se constituent en un État entièrement indépendant. »
En dépit de cette déclaration sans équivoque, les violences continuent. Des attentats sont perpétrés, notamment à l’encontre des policiers. Dans ce climat de forte tension, le préfet de police de Paris, Maurice Papon, impose aux seuls « Français musulmans d’Algérie » un couvre-feu à compter du 5 octobre 1961.
Le 17 octobre suivant, le FLN organise une manifestation nocturne. Il brave ainsi le couvre-feu. Des milliers de manifestants convergent vers différents points de la capitale. La répression est brutale et même sanglante. D’après les chiffres officiels, plusieurs dizaines de manifestants sont tués et certaines dépouilles sont jetées dans la Seine. Les blessés sont plus nombreux encore.
Ces crimes sont bien sûr inexcusables. Toutefois, il importe de les replacer dans leur contexte.
En 2012 et en 2018, les présidents de la République François Hollande, puis Emmanuel Macron, ont rendu hommage à la mémoire des victimes et ont reconnu la responsabilité de notre République.
Plusieurs membres du groupe socialiste nous invitent aujourd’hui à voter une proposition de loi visant à reconnaître la responsabilité de la France dans la répression sanglante de cette manifestation. Il semble pourtant que deux présidents de la République ont déjà satisfait cette demande.
Nos collègues proposent également d’organiser chaque 17 octobre une commémoration officielle rendant hommage aux victimes. Cette suggestion pose nécessairement question : pourquoi commémorer cet épisode plutôt que d’autres ? (M. Rachid Temal manifeste son désaccord.) Cette guerre, comme toutes les guerres, ne manque, hélas ! pas d’événements tragiques. Faut-il les commémorer tous, au risque de banaliser les commémorations ?
Nous en sommes persuadés : notre devoir est aujourd’hui de nous tourner vers l’avenir. En ce sens, il importe que tous les pays, et pas seulement la France, assument les pages noires de leur histoire.
Nous ne devons en aucun cas rester prisonniers du passé. Nous souhaitons que nos deux pays travaillent à renforcer leurs liens et à bâtir ensemble un futur meilleur, sur la base de coopérations économiques, industrielles, culturelles et universitaires.
Mes chers collègues, les membres du groupe Les Indépendants rendent unanimement hommage à la mémoire des victimes de cette période douloureuse de notre histoire, de part et d’autre de la Méditerranée. Mais selon nous, il serait néfaste de rouvrir des dossiers couverts par une amnistie décidée, précisément, pour que nos deux pays puissent avancer. Nous ne voterons donc pas en faveur de ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme.
M. François Bonhomme. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise cet après-midi a pour objet les troubles intérieurs survenus en marge du conflit algérien et, plus particulièrement, la manifestation du 17 octobre 1961.
Bien sûr, nul ne remet sérieusement en question la violence de la répression contre les manifestants du 17 octobre 1961. À cet égard, il n’y a aucun doute : cette réalité a été reconnue comme telle. Mais l’esprit d’apaisement affiché au travers de cette proposition de loi serait d’autant plus louable si d’autres considérations la sous-tendaient.
Force est de le constater – d’ailleurs, le débat inhérent à ce texte le confirme –, l’apaisement n’est pas au rendez-vous. En effet, la question posée par cette proposition de loi n’est pas celle de la responsabilité pénale des acteurs. De plus, le présent texte entretient la confusion entre ce qui relève de l’histoire et ce qui relève de la mémoire.
Je rappelle que lesdits événements ont déjà fait l’objet d’une volonté de reconnaissance.
En octobre 2012, le président de la République déclarait : « Des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ont été tués lors d’une sanglante répression. »
En octobre 2021, l’actuel chef de l’État ajoutait quant à lui : « Les crimes commis cette nuit-là sous l’autorité de Maurice Papon sont inexcusables pour la République. » Rappelons d’ailleurs que cette déclaration s’inscrit dans la continuité des préconisations du rapport Stora, commandé en juillet 2020, sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie.
Pour autant, la responsabilité de la France, telle que l’article 1er propose de la reconnaître, n’a pas fait consensus au sein de notre commission.
La violence de la répression d’alors était illégale ; et cette illégalité est imputable non à la Nation, mais aux auteurs de ces actes et à leurs complices.
En outre, notre pays a bel et bien fait son examen de conscience ; je pense à la fois aux efforts accomplis par l’État et au travail des historiens, qui ont considérablement avancé sur cette question.
Dès lors, on reste surpris des intentions sous-jacentes de ce texte et des amendements déposés par ses auteurs, dont nous aurons à discuter.
Ainsi, le terme de « crime d’État » que certains veulent retenir est non seulement impropre mais irresponsable, particulièrement quand on voit comment, de l’autre côté de la Méditerranée, le pouvoir militaire en place tronque et instrumentalise cet épisode tragique pour faire le procès de la France ; quand on constate l’existence d’une certaine rente mémorielle, que d’aucuns cherchent à alimenter, sans doute pour obtenir de notre pays un supplément de repentance et – pourquoi pas ? – une indemnisation.
Par conséquent, telle qu’elle est présentée, la question de la responsabilité de la France paraît trop générale, à ceux qui souhaitent l’assignation claire et nominative de responsabilités comme à ceux qui refusent de voir imputée à la Nation entière la responsabilité d’actes illégaux.
C’est pourquoi notre commission des lois s’est, à raison, prononcée en défaveur de ce texte du groupe socialiste : selon elle, la reconnaissance et les commémorations prévues ne sont pas susceptibles de « contribuer à l’apaisement et au travail mémoriel commun ».
Faut-il rappeler que le Président de la République lui-même évoquait les « sables mouvants de la mémoire » ? Il n’était toutefois pas exempt de reproches à cet égard. Il avait lui-même déclaré que « la colonisation était un crime contre l’humanité », comme s’il fallait faire le rapprochement avec la Shoah, dont la singularité ne semble pas contestée aujourd’hui.
Autrement dit, l’approche mémorielle demeure forcément délicate et malheureusement sujette à manipulations, compte tenu des circonstances historiques et d’un contexte caractérisé par les attentats du FLN en métropole.
En vertu de l’article 1er du présent texte, « la France reconnaît sa responsabilité dans la répression de manifestants algériens réclamant pacifiquement l’indépendance de leur pays ayant eu lieu le 17 octobre 1961 et les jours suivants à Paris ».
Cette disposition est d’ordre mémoriel, non seulement parce qu’elle est dépourvue d’effet normatif, mais aussi parce qu’elle vise à donner corps à une injonction par laquelle des minorités se perçoivent exclusivement comme des « victimes historiques ». Au nom de cette identité, elles aspirent à une reconnaissance publique moins réparatrice que vengeresse à l’égard de la France.
Mme Valérie Boyer, rapporteure. C’est bien dit !
M. François Bonhomme. Nous sommes face à une vision essentialiste, réduisant la France à une identité détachée de tout contexte historique. Ainsi, la Nation serait réduite à une succession de criminalités d’État qu’elle devrait expier par des rituels collectifs de contrition et autres programmes de réparation symbolique, sous forme notamment de discrimination positive en direction de chaque boutique victimaire.
Je suis de ceux qui refusent cette injonction à l’expiation.
N’entrons pas dans l’engrenage des mémoires concurrentes, phénomène largement analysé par les historiens, qui nous mettent en garde contre les lois mémorielles depuis une vingtaine d’années. (M. Rachid Temal manifeste son désaccord.) Méfions-nous-en d’autant plus que le travail historique relatif à la guerre d’Algérie a largement été réalisé et qu’il se poursuit.
Respectons ce travail. Ne venons pas le corrompre par une nouvelle série de lois mémorielles, qui, loin d’apaiser, aboutiraient à des crispations volontairement entretenues et à un affrontement purement idéologique.
Seul le temps peut faire œuvre d’apaisement, pour peu que l’on veuille fermer définitivement des plaies encore douloureuses. Certains, à l’inverse, s’échinent à les rouvrir. Soyons prévenus contre cette dérive – la concurrence des mémoires –, contraire à l’apaisement et à la sérénité du travail historique.
J’ajoute que les premières pierres du travail de mémoire ont d’ores et déjà été posées. Une journée nationale d’hommage aux harkis et autres membres des formations supplétives a été créée en 2003 ; puis, la loi du 6 décembre 2012…
M. Rachid Temal. Alors, c’est possible !
M. François Bonhomme. … a institué une « journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire [de toutes les] victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc ». (M. David Assouline manifeste son incompréhension.)
Gardons-nous de confondre le travail des historiens et celui du législateur. Toutes les lois mémorielles ne sont pas les bienvenues…
M. Rachid Temal. Ah !
M. François Bonhomme. Il appartient aux historiens, dont c’est le domaine de compétence, de rappeler ce que la France a fait et n’a pas fait.
J’y insiste, les faits historiques qui nous occupent aujourd’hui sont parfaitement connus et dénoncés. La France s’est attelée à son examen de conscience. À ce titre, elle a mené un travail considérable, qui l’honore. Je ne crois pas que beaucoup de pays aient été si loin. En tout cas, on ne peut pas en dire autant de l’Algérie.
Tâchons de laisser aux historiens, et non aux trafiquants de mémoire,…
Mme Valérie Boyer, rapporteure. Très bien !
M. François Bonhomme. … le soin d’accomplir leur mission avec l’exigence qu’elle suppose.
La rigueur scientifique fait l’honneur de toute démarche historique. En parallèle, laissons au temps le soin de faire son œuvre antalgique, qui, concomitamment au travail de l’historien, ouvre, à mon sens, le chemin le plus sûr vers la pacification des esprits ! (Mme la rapporteure applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestent pour le droit à l’indépendance sont tués lors d’une sanglante répression.
« La République reconnaît avec lucidité ces faits », a déclaré François Hollande en 2012, avant qu’un autre président de la République, Emmanuel Macron, n’ajoute : « Les crimes commis cette nuit-là sous l’autorité de Maurice Papon sont inexcusables pour la République. La France regarde toute son histoire avec lucidité et reconnaît les responsabilités clairement établies. »
Ces deux déclarations s’inscrivent dans un travail de mémoire, un travail académique pour dire la vérité historique et établir la responsabilité de l’État. Il s’agit d’un mouvement qui part de la connaissance pour aller vers la reconnaissance.
Ce travail, entamé depuis des années, a été renforcé par l’approche retenue par Benjamin Stora dans son rapport du début 2021.
Reconnu pour sa connaissance de la guerre d’Algérie et pour la qualité de ses travaux, Benjamin Stora émet un certain nombre de préconisations. Il rejette les concepts d’excuses et de demande de pardon, mais recommande des avancées sur des chantiers pragmatiques, une politique des petits pas supposant, par exemple, l’ouverture des archives et la reconnaissance du 17 octobre comme un crime d’État.
L’actuel président de la République n’est pas allé dans ce sens, même s’il a marqué de sa présence une commémoration, vingt ans après que M. Delanoë, maire de Paris, a fait apposer une plaque en mémoire des victimes.
Cette plaque évoque de nombreuses victimes. Mais les chiffres ont été minimisés et leur détermination exacte se heurte au blocage de l’accès à certaines archives. Aujourd’hui encore, il est difficile d’établir le nombre exact de personnes tuées ce jour-là, comme d’ailleurs les jours suivants et précédents.
À ce titre, nous proposerons de compléter l’article 1er, qui ne fait référence qu’aux jours suivants, pour y ajouter les jours précédents.
Nous saluons cet article, qui, refusant d’attribuer la responsabilité des massacres au seul préfet de l’époque, si controversé soit-il, opte pour la responsabilité d’État. Cela étant, les élus de notre groupe souhaiteraient aller plus loin, au plus proche des recommandations de M. Stora, vers la reconnaissance d’un crime d’État.
Sans tomber, en quoi que ce soit, dans la repentance souvent reprochée en pareil cas, nous jugeons anormal de limiter les « responsabilités clairement établies » au seul Maurice Papon, personnage des heures les plus troubles de notre histoire. Sa mise en cause ne saurait écarter la responsabilité de l’État dans ces crimes qualifiés d’« inexcusables pour la République ».
M. Papon a été nommé préfet et c’est dans un cadre bien précis que ces crimes ont été commis.
Yannick Jadot l’a rappelé : « Le Président a raté l’occasion de faire un pas de plus vers la réconciliation. » Et ce n’est pas le seul à avoir gâché une occasion d’apaisement. En témoigne la position de notre rapporteure, qui, dans cette proposition de loi, voit au mieux une reconnaissance redondante de la violence de la répression contre les manifestations et juge que l’article 1er va au-delà d’un consensus nécessaire pour établir la responsabilité de la France.
Une telle dénégation n’est-elle pas une insulte, non seulement envers les victimes, mais aussi envers les auteurs de tous les travaux académiques dédiés à ce sujet ?
Se réfugiant derrière un argument byzantin, certains veulent à tout prix différencier la responsabilité de la France de celle du préfet de police de la République.
Les événements du 17 octobre 1961 ne sont pas ponctuels ou inopinés. Ils s’étalent sur plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Ils suivent un déroulement coordonné, à grande échelle, marqué par la réquisition de stades et de gymnases. Une telle organisation requiert les services de l’État.
Certains souhaitent conditionner une telle reconnaissance à une éventuelle réciprocité du gouvernement algérien, ou bien estiment que l’apaisement ne saurait être qu’unilatéral. Bien sûr, ils savent que le refus d’accomplir une chose juste, sous prétexte que d’autres n’y sont pas prêts, n’a pas de sens. Qu’il y ait d’autres coupables ne fait pas de vous un innocent !
D’autres estiment que cette reconnaissance irait à l’encontre d’un objectif d’apaisement. Pour leur répondre, je ne saurais trop leur répéter cette citation, souvent attribuée à ce fils d’Algérie, Marseillais d’adoption, Albert Camus : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. »
Je n’ose croire que votre croyance forte en un « parler vrai », en d’autres termes dire la vérité même quand elle dérange, atteindrait ses limites lorsqu’il s’agit de notre histoire. Benjamin Stora, l’un des historiens au cœur de cette réflexion, s’est prononcé contre l’idée d’excuses officielles.
La reconnaissance de ce crime d’État ne s’inscrit pas dans un échange entre pays, mais dans la capacité de la France à connaître et à reconnaître son histoire.
Je parle bien de notre pays ! Ce dernier ne devrait pas avoir besoin des actions d’autres nations pour agir et pour bien faire – il l’a maintes fois prouvé par le passé ; c’est d’ailleurs ce qui a souvent contribué à sa grandeur et à son rayonnement.
Certes, le sujet est sensible et complexe. Le conflit en Algérie était bien une guerre. Elle a laissé des cicatrices profondes, y compris chez les pieds-noirs et chez les juifs pieds-noirs, dont je fais partie. Ne nous privons pas de la possibilité de panser les plaies de cette guerre, même si c’est de manière unilatérale.
C’est pourquoi le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, tout le monde se souvient dans cet hémicycle de la photo « Ici on noie les Algériens », support de la mémoire du massacre du 17 octobre 1961.
Prise sur les quais de Seine, à la hauteur du pont Saint-Michel, trois semaines après cette répression sanglante, cette photo ne sera publiée que vingt-quatre ans après, et fera la une du journal L’Humanité en 1986. Après des années de silence officiel, de déni et d’occultation, la mémoire militante de la dénonciation commençait enfin à s’exprimer, presque sans crainte.
Le 17 octobre 1961, en pleine guerre d’Algérie, des Algériens manifestent pacifiquement à Paris contre le couvre-feu discriminatoire décrété par le préfet de police Maurice Papon, lequel était imposé à tous les Algériens vivant en région parisienne. Organisée à l’appel du FLN, cette mobilisation pour la fin du couvre-feu, mais également pour l’indépendance de l’Algérie, fut très violemment réprimée.
Selon les recherches actuelles, qui sont concordantes, il y aurait eu ce jour-là plusieurs dizaines de morts – on parle même de 200 morts –, sans compter les nombreux blessés et les 11 000 arrestations qui suivirent dans des centres de détention spécialement mis en place.
De la mémoire des faits à leur reconnaissance officielle, plusieurs années se sont encore écoulées jusqu’au communiqué de presse de François Hollande en 2012, cinquante ans après le massacre !
La même année, le groupe communiste du Sénat déposait une proposition de résolution à ce sujet, sur l’initiative de notre présidente d’alors, Nicole Borvo Cohen-Seat. Elle visait à la reconnaissance officielle de la répression sanglante de la manifestation du 17 octobre 1961 et fut adoptée lors de l’examen en première lecture.
Plus récemment, en juillet 2020, souhaitant « réconcilier les mémoires autour de la colonisation et la guerre en Algérie », Emmanuel Macron demandait un rapport en ce sens à l’un des historiens spécialistes du sujet, Benjamin Stora. Les auteurs de la présente proposition de loi s’appuient en grande partie sur le contenu de ce rapport remis au début de l’année, qui préconise « la poursuite de commémorations », notamment pour ce qui concerne la « répression de travailleurs algériens en France ».
Aujourd’hui, il est proposé à l’article 1er du texte que notre pays reconnaisse sa responsabilité dans cette répression et, à l’article 2, qu’il organise chaque année, le 17 octobre, une commémoration officielle rendant hommage aux victimes.
La commission des lois a décidé de rejeter cette proposition de loi. Nous pensons pour notre part que le Sénat s’honorerait de l’adopter.
Nous venons de l’entendre, la majorité sénatoriale reste dans le déni de la lecture de l’histoire passée et contemporaine. Pour certains, la mémoire est toujours aussi violente. C’est profondément regrettable. La situation des relations entre l’Algérie et la France appellerait à davantage de dignité et de hauteur, loin des horreurs entendues à la tribune de certains candidats à l’élection présidentielle, ou dans cet hémicycle voilà quelques minutes.
Comme le rappelait déjà notre groupe en 2012, ce qui s’est passé le 17 octobre 1961 n’était pas un événement isolé survenu en un lieu et en un moment unique. Cela constitua le paroxysme d’une politique de guerre coloniale symbolisée par la mise en place du sinistre préfet de police Maurice Papon.
Cette nuit-là, dans les rues de la capitale, on a assisté à une chasse à l’homme aboutissant à des assassinats ; c’est pourquoi nous pouvons parler en l’espèce, comme nombre d’historiens, d’un crime d’État.
D’autres dates nous rappellent à quel point la violence d’État fut indissociable du colonialisme : la répression du 8 mai 1945 à Sétif, les massacres de Madagascar en 1947, la terrible guerre d’Indochine, la torture pendant la guerre d’Algérie, la funeste bataille d’Alger, la « disparition » du mathématicien Maurice Audin et le massacre du 8 février 1962 au métro Charonne en furent des épisodes particulièrement violents.
La mémoire lucide et apaisée sur ces événements n’existe pas encore. C’est la raison pour laquelle nous devons adopter cette proposition de loi.
Enfin, nous considérons pour notre part qu’il serait nécessaire d’ouvrir les archives sur le sujet, notamment celles de la police et de la justice, …
Mme Valérie Boyer, rapporteure. Elles le sont déjà !
M. Pierre Laurent. … et, au-delà, toutes les archives relatives aux guerres coloniales et à leur cortège de répression et de massacres. Ces dispositions compléteraient utilement celles proposées aujourd’hui, qui recueillent tout notre soutien. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud de Belenet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Arnaud de Belenet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, Rachid Temal et plusieurs sénateurs de son groupe nous proposent de reconnaître la responsabilité de la France « dans la répression de manifestants algériens réclamant pacifiquement l’indépendance de leur pays ayant eu lieu le 17 octobre 1961 et les jours suivants à Paris », et d’instituer, comme en Algérie, une commémoration officielle leur rendant hommage.
Le groupe Union Centriste n’y souscrit pas.
Notre rapporteure, dont nous partageons les conclusions et dont je salue la pondération et l’objectivité,…
Mme Valérie Boyer, rapporteure Merci !
M. Arnaud de Belenet. … a montré que l’idée d’une responsabilité générale de la France n’était pas pertinente. En effet, les actes atroces, illégaux, commis à l’encontre des manifestants ont été perpétrés sous l’autorité du préfet de police et de ses complices, et non par la Nation tout entière.
Mme la rapporteure a rappelé le dissensus historique quant aux motivations des participants, qui manifestaient soit pour l’indépendance de l’Algérie, soit contre le couvre-feu imposé aux Français musulmans d’Algérie. Ce point fait s’interroger sur la consécration législative de cette seule date, à l’exclusion de tant d’autres tout aussi tragiques et douloureuses.
Nous pourrions débattre aussi de la perception du « pacifisme » de cette mobilisation ayant eu quelques mois après la fin du putsch, après la prise en main de l’OAS par le général Salan, quelques semaines après l’attentat du Petit-Clamart contre le chef de l’État, et après que tant de policiers ont été tués.
Je vous livrerai quelques interrogations, sans prétendre à l’exhaustivité.
L’apaisement mémoriel doit-il être recherché ?
Oui, bien sûr, pour les manifestants morts le 17 octobre 1961, mais aussi pour les victimes du 26 mars 1962 de la rue d’Isly à Alger, pour les personnes étouffées à la station de métro Charonne le 8 février 1962, pour les massacrés à Oran le 5 juillet 1962 (M. Pierre Ouzoulias approuve.), pour ceux qui vivent ou portent en héritage l’affliction de la confiance trahie : certains s’en remettaient à la parole de la France, d’autres aux engagements du FLN, d’autres encore ont cru au respect des accords d’Évian.
L’apaisement mémoriel doit être également recherché pour les ouvriers des grands chantiers routiers du plan de Constantine qui ont été assassinés, mais aussi pour les professeurs exécutés, et pour les 27 817 jeunes Français mobilisés ou engagés qui ne sont pas revenus d’Algérie ; pour les 1 630 Européens enlevés par le FLN et disparus, pour les supplétifs, les harkis, les moghaznis ; pour les 150 000 personnes abandonnées à la vengeance comme pour les 40 000 ramenées en France, rarement avec leurs familles et dans quelles conditions, sans aucune considération ;…
M. Rachid Temal. Déposez une proposition de loi !
M. Arnaud de Belenet. … pour les morts des opérations de souveraineté après le cessez-le-feu ; pour les officiers français qui, soixante ans après, se demandent encore s’ils devaient traquer, lors de ces opérations, des fellaghas ou leurs anciens camarades passés à l’OAS ; pour ces jeunes lieutenants qui, soixante ans après, se demandent encore s’ils ont bien fait, conformément aux ordres, d’inciter leurs tirailleurs à rejoindre les forces locales de libération avant, dans bien des cas, d’apprendre leur exécution et qui, en s’opposant aux ordres, se demandent s’ils ont bien fait de les inciter à rejoindre la France – je veux ici, à titre personnel, saluer la mémoire de Bouzouj – ; enfin, pour les proches et les descendants de tous ceux-là, pour les descendants de juifs et d’occidentaux inhumés en Algérie dans des cimetières dont l’entretien est inexistant.
Pour eux aussi, nous devons travailler à l’apaisement mémoriel ! Cette proposition de loi y contribue-t-elle ? Favorise-t-elle l’apaisement en nous réunissant autour d’un regard vrai, juste et partagé ? Je ne le crois pas.
Le groupe « Regards de la jeune génération sur les mémoires franco-algériennes », qui réunit les petits-enfants de chaque camp autour du Président de la République, a des réponses plus subtiles, plus globales, moins partielles, peut-être aussi moins partiales.
Ce texte contribue-t-il à la réconciliation et au renforcement de nos liens avec l’Algérie ? Je ne le pense pas davantage.
La repentance unilatérale n’a pas conduit à un apaisement partagé, bien au contraire. (M. Hervé Gillé proteste.)
Mme Valérie Boyer, rapporteur. En effet !
M. Arnaud de Belenet. Quels pas l’Algérie a-t-elle esquissé après la commémoration du 17 octobre présidée en 2012 par le président Hollande ? Après la loi du 6 décembre 2012 relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc ? Après la réception par le Président de la République au mois de mars dernier des petits-enfants d’Ali Boumendjel, avocat nationaliste torturé et assassiné en 1957, et pour lequel cet événement s’est accompagné d’une demande de pardon ?
L’État algérien, enfermé dans le dogme d’une histoire officielle et d’une « rente mémorielle », pour reprendre les mots justes que le Président de la République a prononcés au mois de novembre dernier, n’a fait aucun pas. Il s’indigne, il insulte, il instrumentalise.
L’apaisement mémoriel ne peut être unilatéral et partiel. Les auteurs de la proposition de loi proposent que ce soit la France tout entière qui regarde avec lucidité son histoire, toute son histoire.
Je considère, pour ma part, que l’apaisement mémoriel n’est envisageable que si la France tout entière et l’Algérie tout entière regardent ensemble avec lucidité, vérité et justice leur histoire commune, toute leur histoire commune. Depuis quelques années, la France ne cesse de le proposer, vainement. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, RDPI, INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Valérie Boyer, rapporteure. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. David Assouline. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, pour moi, ce débat vient de loin, car ce fut l’un de mes premiers engagements de jeunesse. Depuis quarante ans, je mène ce combat en tant qu’historien et militant de la mémoire. Je salue, à ce titre, la présence en tribune de Samia Messaoudi, de l’association « Au nom de la mémoire ».
Dans un premier temps, essayons de reconnaître les faits. Voilà quarante ans, nous étions déjà loin de la guerre d’Algérie, mais le communiqué officiel faisant état de trois morts était la seule source officielle de reconnaissance.
Dans ces conditions, le travail fut considérable pour chercher, alerter, et pour que des médias, des intellectuels et des universitaires s’emparent plus fortement de ce sujet. Je suis allé regarder les premières archives officielles à la fin des années 1990, au Parquet de Paris, qui montraient que plusieurs dizaines de corps avaient été repêchés dans la Seine – certains avaient même dérivé jusqu’à Rouen dans les jours qui suivirent. Ce travail historique a été mené, et plus personne ne conteste ces faits.
Le bilan officiel de la manifestation doit interpeller ceux qui veulent le remettre en cause, même dans cet hémicycle. Dans cette manifestation de 20 000 personnes, on n’avait même pas le droit d’avoir une épingle à cheveux dans la poche !
M. Stéphane Ravier. Ça a bien changé !
M. David Assouline. Neuf policiers blessés, 13 000 arrestations, des dizaines de morts parmi les manifestants. Aujourd’hui, ce serait impossible !
La question qui nous est posée est la suivante : y a-t-il une responsabilité de l’État ? Je ne veux pas insulter les policiers massivement déployés pour arrêter 13 000 personnes : on ne saurait se défausser sur eux à ce point. Non, je pense aux responsables, et à l’appareil d’État, dont l’organisation était très structurée pour mener à bien une telle opération. Quant au préfet de police, il avait déjà fait ses preuves sous le gouvernement de Vichy pour la déportation des juifs à Bordeaux.
Ceux qui soutiennent encore dans cet hémicycle que la gauche a trahi la France sont les mêmes négateurs de l’Histoire que ceux qui portaient une accusation similaire contre Léon Blum lors du procès de Riom. J’appelle à la réflexion sur ce point !
Il aura fallu attendre des dizaines d’années avant que Jacques Chirac prononce son merveilleux discours reconnaissant la responsabilité de la France. Aujourd’hui, pourquoi nier la réalité ? Comment peut-on soutenir que Papon était seul ? Comment une telle chose – des dizaines de morts et 13 000 arrestations ! – a-t-elle pu se produire au cœur de Paris, près du Grand Rex, des cinémas, des restaurants, des grands magasins ouverts sur les boulevards ?
Que dire aujourd’hui, sinon que l’on reconnaît la responsabilité de la France et qu’il s’agit d’un crime d’État ? Nous devons assumer nos responsabilités, et ne pas nous défausser en invoquant une prétendue bavure.
Reconnaissons les faits pour apaiser les mémoires ! C’est un préalable nécessaire à un avenir en commun. Toutes les mémoires de la guerre d’Algérie doivent être respectées.
M. Philippe Tabarot. Madame la présidente, le temps est écoulé !
M. Stéphane Ravier. Le temps de parole est écoulé, c’est fini !
M. David Assouline. Demain, nous n’évoquerons pas le 17 octobre lorsque nous parlerons des harkis, car ces derniers méritent notre respect ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Tabarot.
Mon cher collègue, rassurez-vous : le léger dépassement du temps de parole de notre collègue David Assouline ne vous sera pas décompté. (Sourires sur les travées du groupe SER.)
M. Philippe Tabarot. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi, présentée de manière opportuniste quelques jours après la cérémonie d’hommage aux victimes de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie, est avant tout une démarche idéologique et politicienne. Une fois de plus, cette initiative malvenue se détache totalement du contexte difficile de l’époque pour verser, encore et toujours, dans l’autoflagellation mémorielle.
Par conséquent, je serai direct : nous voterons contre cette proposition de loi. Elle est opportuniste sur la forme, provocante sur le fond, et partiale dans son orientation. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
M. Rachid Temal. Rien que ça !
M. Philippe Tabarot. En ne choisissant qu’une seule douleur, elle vient alimenter inutilement la bataille des mémoires.
Ce texte s’inscrit en effet dans l’obsession mémorielle tracée par le Président de la République. Nous restons sur une ligne claire et vous devriez en faire de même : évitons d’agiter et de revoir l’Histoire.
Mais ne vous y méprenez pas : je ne suis pas comme le Président de la République, qui, le 18 avril 2021, appelait sur la chaîne américaine CBS à déconstruire notre propre histoire et qui, hasard du calendrier électoral, change de position et appelle finalement hier à ne pas la revoir.
Pourquoi vouloir également commémorer cette date et aller aussi loin en reconnaissant la responsabilité de la France ? Les célébrations du 19 mars, que la gauche a imposées par une manœuvre grossière, ne vous suffisent-elles pas ? (M. Rachid Temal proteste.)
M. Guy Benarroche. Nous y voilà !
M. Philippe Tabarot. Cette surenchère mémorielle vis-à-vis de l’Algérie n’apporte rien de bon. En commémorant les heures sombres, elle culpabilise encore et toujours la France, sans jamais saluer les apports positifs.
On ne peut pas discuter de cette proposition de loi si on ne se remémore pas ce qui s’est passé dans cette terrible période. Oui, nous étions en guerre, et ce tragique épisode s’inscrit dans un temps douloureux de l’histoire. Oui, la guerre était en Algérie, mais elle était aussi en métropole.
M. David Assouline. La métropole n’était pas en guerre !
M. Philippe Tabarot. Oui, l’organisation terroriste du FLN a tué et massacré des soldats et des civils fidèles à la France.
Le gouvernement de l’époque devait constamment faire face à des attentats. Dans les mois qui précédèrent cette manifestation interdite – j’insiste sur ce mot –, vingt-deux policiers avaient été tués et soixante-dix-neuf blessés par des attentats aveugles et des assassinats ciblés. Voilà le lourd climat dans lequel s’inscrivait cette manifestation interdite !
Votre proposition de loi s’exonère totalement de ce contexte, privilégiant une logique victimaire plutôt qu’une logique de vérité. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
M. Stéphane Ravier. Bravo !
M. Philippe Tabarot. Ne vous en déplaise, l’Histoire est bien plus complexe que vous ne l’écrivez. Il faut bien plus que deux lignes dans une proposition de loi pour en rendre compte.
On ne peut pas discuter de cette proposition de loi si l’on continue à sélectionner les mémoires et à rejeter certaines douleurs, comme le massacre « oublié » d’Oran du 5 juillet 1962.
M. Rachid Temal. Déposez donc une proposition de loi !
M. Philippe Tabarot. N’est-il pas aussi urgent de rendre hommage aux victimes des massacres et à tous les civils – pieds-noirs et harkis – assassinés après le 19 mars 1962 ?
Ne devons-nous pas nous montrer plus exigeants envers le pouvoir algérien qui, pour sa part, se refuse à tout geste mémoriel ou d’apaisement envers la France ?
M. François Bonhomme. Absolument !
M. Philippe Tabarot. Où sont les plaques en hommage aux victimes harkis et pieds-noirs en Algérie ?
M. François Bonhomme. Nulle part !
M. Philippe Tabarot. À Alger ? À Oran ? À Constantine ? Nulle part ! Le ministre des affaires étrangères Le Drian devrait avoir le courage de le rappeler aux autorités algériennes lors de sa visite aujourd’hui…
Cette proposition de loi consacre encore inutilement la concurrence des mémoires, au détriment de ceux qui ont choisi la France. Arrêtons de prétendre que seule la France aurait commis des fautes durant cette guerre ! On ne peut pas exonérer le FLN et ses complices porteurs de valises de leurs responsabilités. On ne peut pas rendre la police, que vous visez sans la nommer, comme la seule et unique responsable de ce cycle de violence tragique.
Ce sens unique mémoriel que vous consacrez dans cette proposition de loi est insupportable.
Insupportable, car ce texte alimente la propagande victimaire anti-France…
M. Stéphane Ravier. Bravo !
M. Philippe Tabarot. … et érige les victimes des affrontements en martyrs de la cause algérienne.
Insupportable, car il étaye le communautarisme et le séparatisme. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
Insupportable, car il rabaisse la fierté de la France.
M. Rachid Temal. Sûrement !…
M. Pierre Laurent. Et Maurice Papon ?
M. Philippe Tabarot. Mes chers collègues, nous en avons assez de ces actes de repentance à répétition !
Nous avons eu des débats. Des décisions ont été prises, parfois bien malgré nous. Depuis des décennies, ceux qui ont vécu cette douloureuse histoire sont instrumentalisés par les gouvernements français et algérien.
Les pieds-noirs et les harkis en ont assez. Ils veulent vivre – et malheureusement, pour certains, mourir – en paix, loin de leur terre natale, et ne plus avoir à supporter ces attaques permanentes contre ce qu’ils étaient.
Albert Camus écrivait que les gens de sa famille n’avaient « jamais exploité ni opprimé personne ». Laissons le passé aux historiens et cessons de vouloir le réécrire à grand renfort de lois dont l’objectif est avant tout de s’attacher les bonnes grâces d’une partie de l’électorat. (Exclamations sur les travées du groupe SER.)
Vous nous donnez aujourd’hui le sentiment d’être lancés dans une course à la rente mémorielle avec le Président Macron, devenu un grand expert en la matière, lorsqu’il qualifie d’une main la colonisation de « crime contre l’humanité », et de l’autre feint de vouloir reconnaître la responsabilité de l’État envers les harkis.
Je connais ces déchirements mieux que vous. Certains y ont laissé la vie. D’autres ont tout perdu, y compris leurs racines.
La politique de réparation ne peut se résumer à l’expiation permanente par la repentance, qui aboutit à la division. La France est une nation qui revendique son identité et qui assume son histoire. Mais comme n’importe quel autre pays au monde, elle peut reconnaître ses torts et réserver ses célébrations pour ses heures les plus glorieuses.
Non, il n’y a rien à célébrer le 17 octobre, pas plus que le 19 mars. Ce sont des dates de sinistre mémoire qui riment avec peine et douleur.
Pour conclure, je suis persuadé que les Français ont besoin de croire en la France. Comment agréger notre jeunesse sur le chemin de la fierté, si seules les parties négatives de notre histoire sont valorisées et si toute la Nation est rendue responsable des actes de quelques-uns ?
Nous souhaitons, pour notre part, montrer à nos enfants et à tous nos concitoyens qu’il existe encore pour eux et pour la France un autre chemin que celui de la résignation. Un chemin qui conduit à la grandeur de notre pays et qui respecte son histoire.
La France doit se rassembler autour d’une espérance, celle d’un tout, et non d’une addition choisie de morceaux de l’Histoire, surtout lorsque ces derniers ne servent qu’une fin : une logique victimaire au mépris de ceux qui ont choisi la France pour ce qu’elle était et pour les valeurs qu’elle portait.
Pensons à eux en cet instant et honorons-les pour avoir fait en toutes circonstances un seul choix : celui de la France. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Stéphane Ravier applaudit également.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
proposition de loi relative à la commémoration de la répression d’algériens le 17 octobre 1961 et les jours suivants à paris
Article 1er
La France reconnaît sa responsabilité dans la répression de manifestants algériens réclamant pacifiquement l’indépendance de leur pays ayant eu lieu le 17 octobre 1961 et les jours suivants à Paris.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, sur l’article.
M. Pierre Ouzoulias. Dans cet hémicycle, nous avons beaucoup évoqué le travail des historiens, qui fait consensus. Nous devons leur permettre de faire leur travail, consistant à récoler les actes avec méthode, conformément à leur déontologie.
Nous sommes incapables, encore aujourd’hui, de savoir combien il y eut de morts. Madame la secrétaire d’État, vous avez évoqué « des morts », tandis que le président Pierre Laurent parlait de 200 personnes. Quel est le nombre exact ? Je doute qu’en 1961, à Paris, la préfecture de police n’ait pas fait le décompte macabre de ces morts violentes… Un travail d’historien doit donc être mené.
Madame la secrétaire d’État, le Gouvernement dont vous faites partie a réduit l’accès aux archives par la loi du 30 juillet 2021, qui a modifié l’article L. 213-2 du code du patrimoine.
Ces restrictions concernent-elles les archives des événements de 1961 ? Si je n’obtiens pas de réponse, je poserai de nouveau ma question. Pour la formuler autrement, les archives produites, entre autres, par la préfecture de police sont-elles librement communicables à tous les historiens souhaitant établir des faits indiscutables ?
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, sur l’article.
M. Pascal Savoldelli. Cette proposition de loi nous donne l’occasion d’aborder la violente répression du 17 octobre 1961 à l’encontre d’Algériens noyés dans la Seine par la police, laquelle doit faire l’objet d’une nécessaire commémoration.
Ce texte a déjà une histoire et a bénéficié d’une impulsion locale. Dans ma ville d’Ivry-sur-Seine, le maire Philippe Bouyssou a organisé une commémoration réunissant des citoyens français, enfants et petits-enfants de citoyens algériens, et il a inauguré une rue prochainement aménagée au droit du quai Henri-Pourchasse, dans un lieu hautement symbolique puisqu’il s’agit d’une artère centrale d’un quartier historique du passé ouvrier.
Nous avons un devoir de mémoire. La version officielle de ce triste événement faisait état de deux morts ; en réalité, ce sont des dizaines, voire une centaine, d’Algériens qui ont été tués par la police. C’était un mensonge d’État, diffusé à l’époque par le gouvernement et le préfet de police devant les élus et les parlementaires. De nombreuses archives officielles ont été rapidement détruites après les faits, entravant le travail des historiens, sans parler de la censure opérée par plusieurs médias.
Pourtant, la connaissance historique doit avoir une valeur universelle et participer de l’éducation à la citoyenneté. La mémoire est un vécu et une réalité : nier cette évidence reviendrait à entraver le travail des historiens. Il ne s’agit pas simplement d’une relation d’État à État, mais d’une responsabilité que la France doit assumer en reconnaissant les crimes commis afin de coopérer sur un pied d’égalité.
Notre responsabilité consiste à admettre que ces faits tragiques font partie de l’histoire de nos deux pays. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – MM. Rachid Temal, Hervé Gillé et Guy Benarroche applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, sur l’article.
M. David Assouline. Bien qu’elles soient opposées à cette proposition de loi, Mme la rapporteure et Mme la secrétaire d’État ont salué la valeur de cet événement, lorsque Bertrand Delanoë, sur ma proposition, a gravé la mémoire officielle de cet événement au cœur de Paris, en face de la préfecture de police, à l’endroit même où on avait pu apercevoir des corps sur le fleuve le 17 octobre 1961.
Tout cela ne s’est pas fait tout seul. Alors jeune conseiller de Paris, je me souviens avoir proposé ce lieu de commémoration à Bertrand Delanoë, et je me souviens aussi des discussions très animées que cela avait occasionnées dans l’hémicycle à ce moment-là. On se serait quasiment cru en pleine guerre d’Algérie tant le débat était hystérisé !
En tout cas, nous avions fait le pari qu’une telle initiative apaiserait au contraire les esprits. Avec le recul, dites-moi en quoi elle a attisé les haines ou les tensions victimaires à Paris ? Ce lieu de mémoire s’est fondu dans le paysage et fait partie de la vie courante, au cœur de la capitale. Désormais, on y dépose des gerbes de fleurs le 17 octobre de chaque année.
Les descendants des victimes, parfois les petits-enfants ou les arrière-petits-enfants de celles-ci, qui vivent souvent en France, se rendent ainsi compte que l’histoire de leurs parents, leur propre histoire, est reconnue par la société, la République et la Nation françaises auxquelles, souvent là encore, ils appartiennent.
La reconnaissance officielle de cette part de leur histoire apaise. À l’inverse, quand cette reconnaissance n’a pas lieu, les tensions persistent, comme des restes imperceptibles…
Mme la présidente. Votre temps de parole est écoulé, monsieur Assouline !
M. David Assouline. Tout à fait, madame la présidente.
Mme la présidente. Il faut m’aider à exercer une présidence juste et respectée, mon cher collègue. (Sourires.)
M. Philippe Tabarot. Merci d’avoir mis fin à cette prise de parole, madame la présidente ; ce n’était pas le cas tout à l’heure !
Mme la présidente. L’amendement n° 2, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, M. Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Après le mot :
jours
insérer les mots :
précédents et
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Je l’ai dit précédemment, quelques semaines avant la manifestation du 17 octobre 1961, les historiens déploraient déjà les disparitions de plusieurs militants algériens en région parisienne, dont certaines avaient fait l’objet d’une déclaration à la police. Ces mêmes historiens ont établi ces faits de longue date et les ont resitués dans un engrenage de violences qui, en fait, a duré plusieurs semaines.
Dans un souci de retranscription de la vérité, les auteurs du présent amendement, dont je fais partie, demandent que la présente proposition de loi tienne compte des événements qui ont précédé la répression du 17 octobre 1961, et pas seulement de ceux qui l’ont suivie.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Valérie Boyer, rapporteure. La question de la contextualisation des événements du 17 octobre 1961 est importante. Tous les orateurs l’ont souligné dans leurs interventions.
Cependant, cet amendement pose un problème de contexte : l’article 1er vise la répression de la manifestation du 17 octobre en tant qu’événement singulier. Si l’on inclut les jours précédents, il s’agit non plus de la manifestation et de ses conséquences, mais du climat général de violence de l’époque, qui impliquerait de rappeler aussi les violences contre les policiers, celles qui ont découlé de la lutte entre le FLN et le Mouvement national algérien (MNA), ainsi que la pression exercée, par exemple, pour la levée de l’impôt révolutionnaire.
Je signale que ces faits ne sont pas moins importants, puisque Paris était une wilaya. Les indépendantistes algériens démontraient chaque jour, à cette époque, leur volonté d’organiser leur mouvement. Par ailleurs, cette manifestation était interdite.
C’est la raison pour laquelle la commission est défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire lors de la discussion générale, la loi n’a pas vocation à imposer une certaine version de l’histoire officielle. Le travail des historiens appartient aux seuls historiens, et ce travail est en cours. Nous faisons confiance à ces professionnels des sciences humaines pour nous éclairer sur les faits.
Le Gouvernement est donc défavorable à l’amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.
M. Rachid Temal. Je veux tout d’abord saluer votre évolution sur ce texte, madame la rapporteure : vous nous avez expliqué précédemment qu’il fallait replacer la manifestation du 17 octobre dans un contexte général, et vous vous réfugiez désormais derrière la volonté affichée par notre groupe, que l’intitulé de cette proposition de loi traduit parfaitement, de légiférer sur la seule répression des événements ayant eu lieu le 17 octobre 1961.
Contrairement à vous, madame la rapporteure, nous faisons preuve de cohérence et voterons contre cet amendement : nous entendons légiférer sur les faits survenus le 17 octobre 1961 et les événements qui en ont découlé, à savoir les dizaines de milliers d’arrestations, de blessés et de morts que l’on a dénombrés parmi des citoyens français, au cœur de la capitale, à la suite de l’intervention de la police nationale.
Par cohérence, donc, nous souhaitons maintenir la version actuelle de l’article 1er.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la secrétaire d’État, vous ne le savez peut-être pas, mais je suis un homme obstiné : il va falloir que vous me répondiez ! (Sourires.)
Vous nous dites que le travail des historiens est en cours. Je vous pose à nouveau la question : aujourd’hui, les historiens peuvent-ils avoir accès librement à la totalité des sources archivistiques concernant les événements d’octobre 1961 ? (Non ! sur les travées du groupe SER.)
Je vous autorise à me répondre par oui ou par non, cela simplifiera le débat ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 2.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 60 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l’adoption | 30 |
Contre | 314 |
Le Sénat n’a pas adopté.
L’amendement n° 1, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, M. Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Compléter cet article par une phrase ainsi rédigée :
La France reconnaît que cette répression, perpétrée par les forces de l’ordre sous l’autorité hiérarchique de la préfecture de police de Paris, constitue un crime d’État.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. La dénonciation par Emmanuel Macron de « crimes inexcusables pour la République » est une première pierre à l’édifice de la reconnaissance officielle de ce massacre. Cette déclaration ne va cependant pas assez loin.
Tout d’abord, nous considérons que, bien que la répression ait été orchestrée par le préfet de police de Paris, Maurice Papon, la responsabilité de tels massacres est à chercher au plus haut sommet de l’État français et qu’elle découle à la fois d’une décision et d’un contexte politique.
Ensuite, les historiens ont établi la volonté de dissimulation de l’État. Pendant plus de trente ans, le bilan officiel n’a fait état que de trois victimes, alors que nous savons aujourd’hui – et nous le savions déjà à l’époque – que la répression a causé plusieurs dizaines de morts.
Enfin, les travaux des historiens montrent que la violence de la répression du 17 octobre 1961 est à mettre en regard des techniques de répression coloniale : près de 12 000 Algériens furent arrêtés et transférés dans des centres de tri, au stade de Coubertin et au palais des sports notamment. Certains furent torturés lors de leur interrogatoire par les forces de l’ordre.
Dans un souci de retranscription de la vérité et de transmission de la mémoire, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires demande à ce que soit reconnue comme crime d’État la répression sanglante des manifestants algériens qui a été commise sous l’autorité du préfet de police de Paris Maurice Papon.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Valérie Boyer, rapporteure. Cet amendement tend à faire reconnaître la répression de la manifestation du 17 octobre 1961 comme crime d’État. Or la commission des lois a considéré que la reconnaissance de la responsabilité de la France ne pouvait pas faire consensus, d’autant plus que la notion de crime d’État, comme vous le savez, mon cher collègue, n’a aucune valeur juridique.
La commission est donc défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Lors de mon intervention en discussion générale, j’ai déjà indiqué ce que nous pensions de ce type de proposition.
Que l’on évoque la « responsabilité » de la France, comme dans notre proposition de loi, ou un « crime d’État », comme dans l’amendement de notre collègue, cela revient au même.
Il en irait tout autrement si M. Benarroche avait parlé de « crime contre l’humanité », parce qu’il s’agit d’une infraction dont les conséquences juridiques sont très différentes. Heureusement, il n’est pas utile d’ouvrir un tel débat dans le cas qui nous intéresse cet après-midi.
En revanche, le fait de qualifier ces faits de crime d’État me semble être une évidence. Raisonnons différemment : si on ne les désignait pas de cette façon, comment les nommerait-on ? On parlerait d’une bavure ou du déchaînement de policiers de base, sur les épaules desquels on ferait peser toute la responsabilité, ou encore de la seule responsabilité du préfet de police.
Autrement dit, on tenterait de nous faire croire que le gouvernement de l’époque laissait le principal préfet de France, celui de Paris, le principal agent de l’État, faire ce qu’il veut au cœur de la capitale, qu’il ne rendait jamais compte de ses décisions à l’exécutif et qu’il agissait comme s’il était en dehors de l’État.
Reconnaître un crime d’État, c’est donc reconnaître les faits. Selon moi, ce point ne relève pas de la controverse historique, mais d’une volonté politique de dissimuler ou non les faits.
Les événements du 17 octobre sont-ils spécifiques ? Après tout, la question se pose car, dans un contexte de guerre, on constate tout un tas de débordements. La réponse à cette question est naturellement : oui, bien entendu ! Je le répète, cette manifestation, pacifique, s’est déroulée au cœur de Paris ; elle rassemblait des Français et, pourtant, il y a eu des dizaines de morts !
À l’époque, personne n’avait fait mention – j’ai regardé dans les archives de toute la presse, y compris Le Figaro ! – de violences contre les policiers. Les policiers blessés…
Mme la présidente. Il faut conclure !
M. David Assouline. … l’ont été dans le cadre de la répression. Je le redis, la reconnaissance par la France de ce crime d’État me semble constituer une évidence.
Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.
M. Rachid Temal. Nous avons fait le choix de présenter un texte d’équilibre. Nous l’avons d’ailleurs dit, il revient aux historiens d’établir avec précision les faits, et il nous revient de poser un acte politique. C’est pourquoi notre groupe n’est pas favorable à la qualification de crime d’État et votera contre cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Merci, madame la présidente, de laisser libre cours à mon obstination et de me laisser poser pour la troisième fois une question qui est restée jusqu’ici sans réponse.
Madame la secrétaire d’État, vous nous dites que le travail des historiens est en cours. Rassurez-moi, les historiens peuvent-ils accéder librement à la totalité des archives, ou alors – et c’est plutôt mon interprétation – la loi du 30 juillet 2021, que le gouvernement auquel vous appartenez a présentée comme une loi contribuant à l’ouverture des archives, a-t-elle déjà fait son ouvrage, c’est-à-dire qu’un certain nombre des pièces concernant les événements du mois d’octobre 1961, qui étaient jusqu’ici consultables, ne le sont plus ?
L’article L. 212-26 du code du patrimoine vous offre la faculté de déclasser toutes ces archives par simple arrêté. Je crois que le Gouvernement devrait prendre, dès aujourd’hui, l’engagement de promulguer un tel arrêté. Il s’agirait d’une très bonne nouvelle pour les historiens, car vous leur permettriez de travailler en toute sérénité sur ces documents.
Je vous remercie par avance pour votre réponse, madame la secrétaire d’État.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Je ne suis pas favorable à ce que l’on qualifie cette répression de « crime d’État ». En effet, l’État de l’époque n’était pas l’État d’aujourd’hui. C’est du reste la raison pour laquelle le président Jacques Chirac, en 1995, avait parlé de la responsabilité de la France, et non de celle de l’État.
Dans la mesure où les faits dont nous débattons se sont déroulés dans un contexte de colonisation, peut-être devrait-on plutôt les désigner comme un « crime de la France ».
Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.
M. François Bonhomme. Les termes figurant dans le dispositif de cet amendement posent question. Ils laissent entendre qu’il y aurait eu une volonté de dissimulation orchestrée par l’État, un mensonge d’État, un crime d’État.
Notre collègue Benarroche pousse en réalité la logique initiale du texte jusqu’au bout. Cette proposition de loi s’inscrit en effet dans une logique de génuflexion forcée, de pensée victimaire.
Ce texte, comme bien d’autres auparavant, vient se heurter à la nécessité de protéger la matière historique de ce genre d’intervention politique. Si la loi commence à prescrire la vérité historique, nous sommes forcément sur une pente glissante.
Par ailleurs, pardonnez-moi de le dire ainsi, madame la secrétaire d’État, mais vous ne répondez pas aux questions !
M. François Bonhomme. De mon point de vue, votre attitude n’est ni correcte ni respectueuse du Parlement.
M. Pierre Ouzoulias. Merci !
M. François Bonhomme. Nous vous posons des questions tout à fait légitimes, qui participent du droit d’interpellation des parlementaires. Il n’est pas convenable de garder le silence, quoi que l’on pense par ailleurs des questions qui vous sont posées de façon répétée. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
Pour en revenir à cet amendement, je suis évidemment très défavorable à une commémoration de cette nature, car elle contribuerait à accentuer la pente glissante que je décrivais à l’instant. Cette mesure ne va ni dans le sens de l’apaisement ni dans celui de la vérité historique.
Mme la présidente. Je précise à votre attention, monsieur Bonhomme, que Mme la secrétaire d’État avait demandé la parole il y a déjà quelques instants et qu’elle interviendra après M. Éric Kerrouche, à qui je donne immédiatement la parole pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. Dans la mesure où je suis, comme M. Ouzoulias, un universitaire, je veux m’assurer, madame la secrétaire d’État, que vous avez bien compris la question toute simple qu’il vous a posée (Rires sur des travées du groupe SER.) : oui ou non, les historiens peuvent-ils faire leur travail sur cette période ? S’ils ne peuvent pas le faire, ferez-vous en sorte que tel soit le cas ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État. Messieurs les sénateurs, j’ai bien entendu à la fois votre question et votre interpellation. Je vais y répondre précisément,…
M. Rachid Temal. Ah !
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État. … puisque l’amendement n° 3 rectifié de Mme Benbassa va m’en donner l’occasion. (Exclamations amusées sur les travées des groupes CRCE et SER.)
M. Éric Kerrouche. Passons tout de suite à la saison 2 ! (Sourires.)
M. Pierre Ouzoulias. Ce n’est plus le Sénat, c’est une série Netflix… (Nouveaux sourires.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 1.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 61 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l’adoption | 29 |
Contre | 315 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je mets aux voix l’article 1er.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 62 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 330 |
Pour l’adoption | 94 |
Contre | 236 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Après l’article 1er
Mme la présidente. L’amendement n° 3 rectifié, présenté par Mme Benbassa, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’accès des archives relatant cette période doit être assuré de plein droit et sans entrave à tous les citoyens.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Le 9 mars dernier, Emmanuel Macron déclarait vouloir faciliter l’accès aux archives classifiées depuis 1971. Cette période inclut les années sombres de la guerre d’Algérie, y compris la répression du 17 octobre 1961 et les jours qui la suivent.
Cette promesse a rapidement été rompue par le Gouvernement lui-même qui, profitant de la loi Sécurité globale, a restreint cette prétendue ouverture aux documents classés secret-défense.
Désormais, tout conservateur des archives doit effectuer un travail supplémentaire d’interprétation pour déterminer si tel ou tel document connaît une perte de valeur opérationnelle, et donc pour savoir s’il est consultable : il s’agit d’une double peine pour les chercheurs dont les travaux sont entravés et empêchés par toutes ces lourdeurs administratives.
Au-delà de cette restriction, je pense aux familles qui vivent dans la douleur et l’incompréhension de leur propre histoire. Longtemps, il a existé une omerta sur cette partie de l’histoire franco-algérienne.
Les enfants et les petits-enfants français de parents algériens, qui n’ont évidemment vécu ni l’événement dont nous débattons ni la guerre, n’ont plus à tolérer ce silence ; ils sont en droit de chercher et de connaître la vérité puisque celle-ci se trouve dans les archives, dont une part seulement est accessible.
Il est temps, soixante ans après, de soigner cette blessure mémorielle. Il est de notre devoir de contribuer à ce travail d’histoire et de mémoire, en ouvrant définitivement l’accès aux archives à tous les citoyens, afin de compléter les travaux historiques déjà engagés. Le droit à l’information, à la recherche, à la science est inaliénable.
Je veux dire un dernier mot pour répondre à M. Bonhomme. Il existe différentes histoires mémorielles, mon cher collègue, il n’y a pas que la guerre d’Algérie. Songez aux Arméniens et à bien d’autres peuples encore. Je ne vois pas bien quels pourraient être les critères sur le fondement desquels on jugerait que l’une mériterait d’être reconnue et pas l’autre.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Valérie Boyer, rapporteure. Croyez bien que je le regrette, madame la secrétaire d’État, mais je vais donner la position de la commission avant la vôtre sur cette question des archives. (Sourires.)
L’amendement de Mme Benbassa tend en effet à ce que l’accès aux archives, pour la période qui nous intéresse, soit ouvert de plein droit à tous les citoyens.
Il est dans l’intérêt de chacun que la recherche historique puisse se fonder sur les sources. C’est une évidence. S’agissant de la manifestation du 17 octobre 1961, je rappelle néanmoins que les archives de la préfecture de police et de la justice sont ouvertes aux historiens depuis maintenant plus de vingt ans, par dérogation à la loi de 1979 sur les archives.
Je rappelle aussi que M. Jean-Paul Brunet (Mme Esther Benbassa et M. Rachid Temal protestent.) a écrit deux ouvrages sur le sujet, qui reposent sur une exploitation particulièrement minutieuse des archives.
M. Rachid Temal. Un peu orientés !
Mme Valérie Boyer, rapporteure. D’ailleurs, je vous invite à les lire : l’un de ces ouvrages est conservé par la bibliothèque du Sénat ! (Nouvelles protestations sur des travées des groupes CRCE et SER.) D’autres fonds ont récemment été déclassifiés, et j’espère que les archives encore manquantes seront retrouvées.
Je profite de l’occasion qui m’est donnée, madame la secrétaire d’État, pour vous demander des précisions concernant les archives militaires, notamment sur les événements de la rue d’Isly, dont on nous a dit qu’elles auraient disparu. Nous aimerions aussi obtenir des réponses sur les disparus d’Algérie, au sujet desquels nous ne disposons toujours pas d’éléments probants et concluants (M. Rachid Temal s’exclame.) : cela fait maintenant plus de soixante ans que les familles attendent le retour de leurs disparus et restent sans réponse.
M. Jean-Marc Todeschini. Parlons de la Syrie et de Bachar el-Assad !
Mme Valérie Boyer, rapporteure. Je le redis, un important travail a été conduit par les historiens sur la base des archives existantes. Le présent amendement veut ériger en principe l’accès à toutes les archives de cette période pour tous les citoyens. Or cela ne nous semble pas possible, et la commission émettra un avis défavorable.
Pour conclure, je souhaite revenir sur les propos que vous avez tenus précédemment, madame Benbassa. Vous avez affirmé que le Parlement s’occupait de lois mémorielles. C’est tout à fait exact : je vous signale que la loi que vous avez pris pour exemple pour illustrer votre propos, c’est-à-dire la loi relative à la reconnaissance du génocide arménien, est une loi mémorielle précisément parce que cette reconnaissance n’a aucune portée normative. Ce texte ne crée pas d’infraction pénale sanctionnant la négation du génocide du 24 avril 1915. C’est la raison pour laquelle cette affaire est pendante depuis 2001 pour tous les génocides reconnus par la loi française.
La présente proposition de loi est effectivement un texte symbolique, sans valeur normative, et c’est aussi la raison pour laquelle nous en discutons de cette manière. Je crois qu’il faut souligner la différence entre ce texte et les lois pénalisant le négationnisme, à l’instar de la loi Gayssot.
Avis défavorable.
M. Rachid Temal. Bref, deux poids, deux mesures !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État. Mme la rapporteure a déjà partiellement répondu à propos des archives de la préfecture de police.
En complément, j’indique que le ministère de la culture, dont je salue le travail, a également engagé une démarche visant à créer une dérogation plus générale pour les archives de la guerre d’Algérie, dérogation qui devrait porter sur l’ensemble des fonds archivistiques, quel que soit leur lieu de conservation, ce qui permettra une ouverture plus large de l’accès à l’ensemble de ces documents.
C’est pourquoi, madame la sénatrice, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement, faute de quoi j’émettrai un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la secrétaire d’État, je crains que vous n’ayez pas tout à fait suivi l’actualité législative du Gouvernement : le 30 juillet 2021 a été votée, sur l’initiative de l’exécutif, une loi qui restreint l’accès aux archives, y compris celles qui dataient de plus de cinquante ans, et qui étaient jusqu’à présent communicables. De ce point de vue, cette loi a constitué un recul archivistique net.
Votre réponse engage le Gouvernement dans son ensemble, madame la secrétaire d’État. Dois-je en conclure que les dispositions de la loi du 30 juillet 2021, qui restreignent la communicabilité des archives, ne s’appliqueraient pas aux événements du mois d’octobre 1961 ?
C’est une parole forte que j’attends de vous, parce que derrière nos débats, il y a des archivistes, des historiens qui sont prêts à engager des recours s’ils ne pouvaient pas accéder librement à ces archives.
Par ailleurs, la même loi du 30 juillet 2021, au travers de l’article L. 213-3-1 du code du patrimoine, vous oblige et oblige les Archives nationales, quand il s’agit de documents respectant les critères fixés par ce texte, à rendre publics le déclassement et le récolement des pièces, et les délais de communicabilité. Si vous restreignez l’accès à ces archives, il faudra nous indiquer de quelles archives il s’agit, les raisons pour lesquelles vous le faites et la durée de cette restriction.
Encore une fois, madame la secrétaire d’État, nous attendons une réponse très précise de votre part sur ce dossier. Le sujet est important : aujourd’hui, certains étudiants ont dû arrêter leurs travaux en raison des incertitudes qui pèsent sur la communicabilité de ces archives. On ne peut pas suspendre tous les travaux de recherche au motif que les Archives nationales sont dans l’incapacité de répondre aux chercheurs sur ce point !
Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.
M. Rachid Temal. J’indique au préalable que nous voterons cet amendement.
Je rappelle par ailleurs que certaines archives n’ont jamais été retrouvées. Je pense en particulier au rapport du préfet de police de l’époque, Maurice Papon, sur les événements. Ce dossier, comme bien d’autres pièces, est toujours considéré comme disparu. C’est un véritable sujet de préoccupation et l’un des éléments qui ont conduit à la situation que nous connaissons actuellement.
Je veux également apporter mon soutien à mon collègue Ouzoulias, car il a parfaitement raison : aujourd’hui, chacun voit bien que le monde de la recherche est en difficulté. Depuis la réforme, les archivistes doivent évaluer chaque pièce, une à une, pour déterminer si telle ou telle peut être consultée.
Le déclassement des archives est nécessaire pour enfin comprendre ce qui s’est passé le 17 octobre 1961. Cela vaut pour les archives liées à cet événement, mais également pour l’ensemble des archives de notre pays, dès lors, évidemment, qu’elles ne portent pas atteinte à la sûreté de l’État.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État. Monsieur le sénateur Ouzoulias, je salue très sincèrement votre détermination. (Sourires.)
M. Pierre Ouzoulias. Elle est absolue !
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État. Je vais me répéter, même s’il me semble avoir été assez claire sur le sujet. J’ai bien indiqué que le ministère de la culture avait engagé une démarche de dérogation et que, par conséquent, une réflexion était en cours.
Compte tenu de vos nombreuses questions, je m’engage cependant à me rapprocher de la rue de Valois afin de vous apporter une réponse bien plus précise. Comme vous le savez sans doute, la question des archives est en effet gérée par ce ministère.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Je voudrais d’abord faire une remarque à votre attention, madame la rapporteure : vous citez en permanence le livre de Jean-Paul Brunet, vous l’avez fait aussi en commission ; cet ouvrage est un vieux livre, ne reposant pas sur des archives, et l’un des rares qui parlent de policiers tués.
Je voudrais également vous rappeler qu’en France, pays démocratique, les archives, dès lors qu’elles sont ouvertes, le sont pour tous les citoyens. On ne demande pas à l’un ou à l’autre sa carte d’historien. On est étudiant ou enseignant.
Il faut ouvrir ces archives. Vous dites, madame la secrétaire d’État, que vous allez parler au ministère de la culture. En attendant, on ne comprend pas pourquoi une partie des documents conservés aux Archives nationales n’est pas ouverte, alors même qu’il n’y a plus de risque lié au secret-défense.
Il faudrait peut-être que la réponse que vous nous apporterez comprenne un délai… Comme l’a indiqué mon collègue Ouzoulias, des travaux sont en cours. Il faudrait donc savoir à quelle date ces archives pourraient être ouvertes, non pas uniquement, d’ailleurs, s’agissant du 17 octobre 1961, mais pour toute la guerre d’Algérie.
Je remercie Pierre Ouzoulias d’avoir insisté sur ce sujet, qui est très important.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. À mon tour, je veux intervenir succinctement, mais clairement.
Il y a eu une grande loi sur les archives en 2008. Nous l’avons votée, ici, avec le soutien appuyé de Robert Badinter. Cette loi était une loi de liberté, qui permettait en outre aux historiens de travailler dans des conditions claires, avec l’établissement du délai de cinquante ans.
C’est pourquoi je m’inscris tout à fait dans les propos de Pierre Ouzoulias. Ensemble, nous avons bataillé lors de l’examen de la loi du 30 juillet 2021, au cours duquel les membres du Gouvernement persistaient à ne pas nous répondre quand il était proposé de revenir en arrière sur la loi de 2008, alors en application depuis douze ans sans que cela ne pose de problème.
À nouveau, madame la secrétaire d’État, votre position n’est pas claire. Vous vous inscrivez dans cette continuité : lorsque vous nous dites que vous allez demander à votre collègue de la culture de nous répondre, ce n’est pas du tout clair, c’est un faux-fuyant.
Je regrette que le Gouvernement ait une attitude aussi néfaste pour les historiens de ce pays ! (M. Pierre Ouzoulias applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Je n’ai qu’une simple question à formuler, madame la secrétaire d’État. Elle tient en dix secondes et vous pouvez y répondre très précisément. L’annonce importante que vous venez de faire, à savoir que le ministère de la culture a décidé d’ouvrir la totalité des archives concernant la guerre d’Algérie, découle-t-elle d’une dérogation ou, comme le demande M. Ouzoulias, d’une disposition contenue dans la nouvelle loi, telle qu’elle a été votée ?
Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.
M. François Bonhomme. Pour revenir à l’amendement, il est question dans son exposé des motifs de « blessure mémorielle » et de douleur. Ce registre compassionnel a toute sa place, je le comprends, mais nous essayons ici de nous situer du point de vue de l’histoire.
C’est cette confusion entre mémoire et histoire que vous entretenez, madame Benbassa. Bien sûr, il existe plusieurs mémoires, mais vous savez très bien que cela entraîne forcément une part de concurrence, de surenchère, de sélectivité. L’histoire, c’est autre chose.
C’est pourquoi, si tous les citoyens peuvent à bon droit avoir accès aux archives, nous comptons, encore une fois, sur le travail d’historiens minutieux, rigoureux et précautionneux pour déterminer ce qu’est l’histoire. Entretenir cette confusion ne fait pas avancer les choses.
J’aurais également souhaité que, dans l’exposé des motifs, on reconnaisse tout de même le travail déjà réalisé par les historiens – et donc, quelque part, par la France – depuis ces événements.
Personnellement, cela me pousse à une certaine modestie. Nous traitons ici d’un épisode extrêmement douloureux et de plaies qui, plus de soixante ans après, ne sont pas encore complètement refermées.
À cet égard, les événements dont nous parlons ne font pas exception : on a l’habitude de dire que l’histoire est une vallée de larmes et, effectivement, elle comprend une part de tragique. Mais, à nouveau, la seule compassion ne suffit pas. Le politique doit, me semble-t-il, se tenir à bonne distance de l’objet historique qui, sans cela, est soumis à ce type de dérives.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 3 rectifié.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 63 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 329 |
Pour l’adoption | 91 |
Contre | 238 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Article 2
Chaque année, le 17 octobre, est organisée une commémoration officielle rendant hommage aux victimes de la répression de manifestants algériens réclamant pacifiquement l’indépendance de leur pays.
Mme la présidente. Je vais mettre aux voix l’article 2.
Je rappelle que, si cet article n’était pas adopté, il n’y aurait plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi, dans la mesure où les deux articles qui la composent auraient été rejetés. Il n’y aurait donc pas d’explications de vote sur l’ensemble.
Je vous invite donc à prendre la parole maintenant, si vous souhaitez vous exprimer sur ce texte.
La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote sur l’article.
M. Rachid Temal. Je voudrais d’abord remercier mon groupe d’avoir inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour. C’est, je crois, un texte important au regard de notre histoire et de notre travail de mémoire.
Ensuite, j’ai bien noté que chacun était d’accord pour admettre les faits. Chacun reconnaît qu’il y a eu une terrible répression, avec des centaines de blessés et des morts parmi les personnes arrêtées par les forces de police. C’est un bon pas de fait !
Mais cela me rend d’autant plus choquante l’explication entendue dans la bouche de Mme la rapporteure, et d’autres intervenants aussi. Il y avait un contexte, nous dit-elle…
M. François Bonhomme. C’est l’évidence !
M. Rachid Temal. Cela signifierait donc que l’on peut tuer dès lors qu’il y a une raison de le faire. Je regrette, mes chers collègues, mais dans un pays comme le nôtre le respect commence là : rien ne permet, rien ne justifie que des manifestants arrêtés soient tués ou blessés !
Par ailleurs, je ne reviendrai pas sur les propos du représentant de l’extrême droite, dignes de l’OAS. Mais je voudrais tout de même faire observer que nous ne sommes pas, pour ce qui nous concerne, dans la violence.
Nous avons évoqué les mémoires diverses et complémentaires qui sont liées à cette histoire et c’est pourquoi, je l’ai dit, nous voterons en faveur du texte sur les harkis.
Notons que, lorsqu’une proposition de loi est déposée en décembre 2019 par Mme la rapporteure, alors députée, afin de reconnaître les événements de la rue d’Isly et d’Oran, cela ne pose pas de problème. Lorsque le Sénat propose la même chose pour les harkis, cela ne pose pas non plus de problème. Le souci, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, c’est que tout le monde reconnaît les faits, mais que vous faites manifestement le choix d’une mémoire sélective, à l’opposé de notre propre choix !
Nous ne pouvons que regretter le vote à venir. Nous considérons qu’il faut continuer ce travail de l’histoire. Nous le devons à toutes les mémoires et à tous les Français ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote sur l’article.
M. François Bonhomme. M. Temal prétend que nous serions victimes du contexte… Mais tout travail historique appelle une contextualisation. C’est vraiment la base du travail d’historien. (M. Franck Menonville approuve.) Il n’y a rien en cela permettant de dire que nous serions en train de justifier, ignorer ou occulter des faits. Cela n’a absolument rien à voir !
Moi, monsieur Temal, je vous invite simplement à lire des historiens, des vrais, des historiens reconnus !
M. Rachid Temal. Mais oui, bien sûr…
M. David Assouline. Benjamin Stora parle d’un crime d’État !
M. François Bonhomme. Allez voir ce qu’a dit Marc Ferro sur l’instrumentalisation de l’histoire et la mémoire, déformée par nature du fait des passions humaines ! Allez voir ce qu’a dit Jacques Julliard sur les lois mémorielles ! Et, je l’espère, vous serez au moins pris de quelques doutes, plutôt que d’avancer des affirmations aussi définitives. (M. Jean-Marc Todeschini s’exclame.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Belin, pour explication de vote sur l’article.
M. Bruno Belin. Vous n’en serez pas surpris, mes chers collègues, notre groupe ne votera pas cet article.
Oui, bien sûr, il y a un contexte, et nous ne sommes pas là pour nous donner des leçons les uns aux autres. Je n’ai pas de doute sur le fait que nous connaissons seulement le dixième du quart de la moitié de ce qui s’est passé. Face à l’histoire, il faut beaucoup d’humilité !
Moi, j’ai une pensée pour les femmes et les hommes du contingent qui étaient envoyés sur place dans ces moments…
M. Rachid Temal. On parle de Paris !
M. Bruno Belin. Il y a un contexte, et cette période a là aussi laissé des traces. (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE.) Madame la présidente, peut-on laisser un sénateur s’exprimer lorsqu’il a la parole ?…
Il faut être humble face à cela. L’histoire est un tout ; ce n’est pas en la saucissonnant qu’on l’écrit. En tout cas, ce n’est pas la position que le Sénat a choisie, face au jugement de l’histoire, depuis des décennies.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote sur l’article.
Mme Esther Benbassa. Monsieur Bonhomme, franchement, vous lisez des petits extraits de Wikipédia ! (M. Rachid Temal s’esclaffe.)
M. François Bonhomme. Félicitations pour l’argument !
M. Stéphane Ravier. Quel mépris ! Elle détient la vérité !
Mme Esther Benbassa. C’est Pierre Nora qui a parlé de la concurrence des mémoires, et non Marc Ferro. Ce n’est pas grave, on ne va pas en discuter maintenant…
Nous faisons évidemment la distinction. Je suis l’auteur d’un livre intitulé La Souffrance comme identité et je suis contre les lois mémorielles. Mais il s’agit ici de reconnaître un événement. C’est différent !
M. François Bonhomme. Bien sûr !…
Mme Esther Benbassa. On ne peut pas réparer les mémoires si on ne grave pas certains événements dans l’histoire. Encore faudrait-il pour cela qu’ils soient reconnus…
J’ai déposé en 2012, peu de temps après mon arrivée au Sénat, une proposition de résolution sur la reconnaissance des événements du 17 octobre 1961, avec le groupe écologiste de l’époque. Les communistes ont fait de même. Aujourd’hui, il y a une petite lueur d’espoir, et l’on peut envisager de mettre fin à l’omerta et d’inscrire ces événements dans les livres scolaires.
Mes chers collègues, l’histoire est faite d’événements sombres et d’événements brillants et grandioses. Si vous adoptez la présente proposition de loi, on pourra graver ces événements dans l’histoire. La réparation des mémoires viendra plus tard. Ne ratons pas cette occasion ! C’est très important pour l’intégration et pour la cohésion sociale à l’échelle de la Nation.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour explication de vote sur l’article.
M. Olivier Paccaud. L’histoire de France compte des chapitres glorieux mais aussi, malheureusement, des pages beaucoup plus sombres et quelques heures très troubles, comme celles du 17 octobre 1961. Tout le monde le reconnaît. Les plus hauts personnages de l’État – notamment les deux derniers présidents de la République – l’ont reconnu et personne ne le nie sur ces travées.
Doit-on aller plus loin, en gravant cette reconnaissance au travers d’une loi dite « mémorielle » ? Je ne le pense pas, en tant que législateur, mais aussi – je ne dirai pas historien – en tant que professeur agrégé d’histoire.
Pourquoi ? La guerre d’Algérie – car il s’agit bien d’une guerre, et non d’« événements », comme on l’avait pudiquement et maladroitement appelée – fut une succession de drames et d’ignominies, un chapelet de dates tragiques partiellement rappelées par certains orateurs lors de la discussion générale, notamment Arnaud de Belenet, qui a été particulièrement brillant sur le sujet.
Si l’on veut être « cohérent » – je mets le terme entre guillemets –, il faudrait une loi par ignominie. Faut-il une loi pour la Toussaint rouge, par exemple ? La question pourrait se poser.
Il faut regarder notre passé le plus dramatique en face. Jacques Chirac l’avait très bien fait, notamment dans son discours du Vél d’Hiv. Si le devoir de mémoire, auquel nous sommes tous attachés, doit aboutir au devoir de sagesse, ces commémorations ne peuvent pas être hémiplégiques.
Nous souhaitons tous normaliser les rapports avec l’Algérie. Mais l’apaisement et la réconciliation ne peuvent prendre corps que sur le socle de la réciprocité. C’est pourquoi je ne voterai pas cette loi.
M. Philippe Tabarot. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote sur l’article.
M. Pierre Laurent. Certaines interventions que nous entendons du côté de la majorité sénatoriale me semblent noyer le poisson, pour ne pas affronter la question politique posée au travers de ce texte.
Cette proposition de loi n’a pas pour objet d’établir la vérité historique. Le travail des historiens va se poursuivre et doit se poursuivre. Nous avons posé une question précise sur le sujet, notamment par la voix de Pierre Ouzoulias, et, en l’absence de réponse en séance, nous allons devoir attendre. Mais il est nécessaire que ce travail des historiens puisse continuer.
La question qui nous est posée à cette heure est de savoir si nous installons clairement dans notre vie nationale la nécessité de marquer cette date, qui n’est pas une date ordinaire. Elle a donné lieu à un drame absolument épouvantable dans les rues de Paris – et si nous ne savons pas tout, au moins connaissons-nous l’ampleur de l’horreur de cet événement.
Voilà ce qu’il s’agit de renforcer ! Le but n’est absolument pas de figer le travail des historiens sur la question. Ce travail doit continuer. De ce point de vue, l’expression « loi mémorielle » ne me semble pas appropriée ; il est question d’acte politique.
Vous ne voulez pas faire cet acte politique, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, tandis que nous souhaitons le voter, et vous argumentez pour cela. Soit ! Mais ne jetez pas la confusion sur les raisons pour lesquelles vous ne voulez pas l’établir.
Ce serait l’honneur de la France que de poser, ce soir, cet acte politique !
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Tabarot, pour explication de vote sur l’article.
M. Philippe Tabarot. Sur le fond, je pense m’être exprimé très clairement sur le sujet. Je voudrais donc soulever un petit problème de forme.
Comme vous le savez, mes chers collègues, je suis un peu novice au Sénat. Je ne sais donc pas si mon intervention est de l’ordre de l’explication de vote ou du rappel au règlement : j’aimerais savoir, madame Rossignol, si vous êtes, au moment de présider la séance, une sorte de présidente du groupe socialiste ou si vous présidez réellement ? (Vives protestations sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Nos deux collègues socialistes ont eu droit à une minute entière de temps de parole supplémentaire sans que vous n’interveniez. Or, ce matin, notre collègue Valérie Boyer ayant dépassé de trente secondes son temps de parole, vous avez décompté ces trente secondes de l’intervention de Bruno Belin. Je ne sais pas trop ce qu’il en est… Mais peut-être pourrez-vous nous éclairer ?
M. David Assouline. Des excuses !
M. Rachid Temal. Du jamais vu ! Scandaleux !
M. Philippe Tabarot. Accordez-vous du temps supplémentaire selon l’intérêt de ce qui se dit au regard de vos convictions,…
M. Pierre Ouzoulias. Un peu de respect !
M. Philippe Tabarot. … et en restez-vous strictement au temps imparti lorsque les paroles vous plaisent un peu moins ? C’est une simple question !
M. Éric Kerrouche. Comment peut-il dire cela ? Scandaleux !
Mme Éliane Assassi. Est-ce normal ?
M. Pierre Ouzoulias. Vous attaquez l’institution !
Mme la présidente. Je vais vous répondre, monsieur Tabarot.
Selon l’article 35 bis du règlement du Sénat, « il appartient au président de séance d’appliquer cette limitation du temps de parole en veillant au respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire ». L’expression « il appartient au président de séance » montre bien que celui-ci dispose d’une certaine marge de manœuvre.
Par ailleurs, dans la formation que vous souhaitez avoir sur les pratiques et les mœurs du Sénat, je vous suggère d’inclure une formation au sens de l’humour. J’ai effectivement indiqué à notre collègue Bruno Belin, qui intervenait ce matin en discussion générale après Valérie Boyer, ici présente en tant que rapporteure de la proposition de loi, que je ne lui défalquerais pas le temps de parole excédentaire de Mme Boyer. C’était un trait d’humour et je crois qu’il l’a très bien compris.
Sachez d’ailleurs que nous ne retirons jamais de temps de parole. C’est une pratique qui n’existe pas dans cette enceinte.
Cela étant, monsieur Tabarot, j’enregistre vos remarques, que je trouve assez…
M. Rachid Temal. Déplacées !
Mme la présidente. … iconoclastes, incongrues et partisanes. Jusqu’à présent, personne n’avait jamais mis en cause ni ma présidence ni celle de mes collègues vice-présidents. (Mme Esther Benbassa applaudit.)
M. Philippe Tabarot. C’est donc chose faite !
M. Patrick Kanner. Je tiens à réagir aux propos insultants que notre collègue Philippe Tabarot a tenus, non pas à votre égard, madame la présidente, mais à l’égard de l’institution du Sénat.
Je rappellerai également à nos collègues de la majorité sénatoriale, qui sont aujourd’hui en minorité, qu’ils usent et abusent de la procédure de scrutin public, ce qui pose un problème par rapport à la limitation dans le temps de la niche du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. J’invite donc M. Tabarot à être beaucoup plus humble dans ses remarques. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Mme la présidente. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
Article 2 (suite)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote sur l’article.
M. Guy Benarroche. Le 17 octobre 1961 est effectivement une date politique. C’est un événement qui s’est produit, et ce – vous avez tout à fait raison, mes chers collègues de la majorité sénatoriale – dans un contexte donné, celui de la guerre d’Algérie.
Mais vous devez admettre que cet événement a tout de même une particularité : ce jour-là, le préfet nommé par l’État français, avec le concours de l’administration de l’État français, dans des lieux de l’État français, a décidé d’une répression avant, pendant et après la manifestation, répression sanglante ayant entraîné des dizaines de morts et des centaines de blessés. Tel est l’événement auquel, aujourd’hui, nous nous attachons.
Il ne s’agit pas de faire un concours entre différentes mémoires sur d’autres événements tragiques, que vous avez rappelées et que je partage.
Il ne s’agit pas non plus de faire un concours avec le gouvernement algérien pour savoir si c’est lui qui doit faire le premier pas, ou notre propre gouvernement. La grandeur de la France n’a jamais été de se comparer à d’autres, notamment à des pays dont le niveau démocratique n’est, aujourd’hui encore, pas le même que le nôtre. Il faut le dire et je le dis ; pour autant, les arguments que vous utilisez ne me semblent pas satisfaisants au regard de la proposition de loi qui nous est présentée.
Pour ces raisons, nous soutiendrons ce texte. Pour ces mêmes raisons, j’incite à mon tour la secrétaire d’État à faire en sorte que tous les historiens et tous les Français puissent disposer d’un accès libre à la totalité des archives concernant ces années de guerre. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Esther Benbassa et M. Rachid Temal applaudissent également.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
M. Philippe Tabarot. C’est avec plaisir que nous avons fait cette demande !
Mme la présidente. Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 64 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 310 |
Pour l’adoption | 96 |
Contre | 214 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Les articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire.
En conséquence, la proposition de loi relative à la commémoration de la répression d’Algériens le 17 octobre 1961 et les jours suivants à Paris n’est pas adoptée.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt-cinq, est reprise à dix-huit heures trente.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
8
Nouveau pacte de citoyenneté avec la jeunesse
Rejet d’une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi pour un nouveau pacte de citoyenneté avec la jeunesse par le vote à 16 ans, l’enseignement et l’engagement, présentée par Mme Martine Filleul et plusieurs de ses collègues (texte n° 370 rectifié [2020-2021], résultat des travaux de la commission n° 244, rapport n° 243).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Martine Filleul, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Martine Filleul, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’abstention des jeunes générations interroge notre démocratie. Une distance s’est installée, qui les tient éloignées des bureaux de vote.
Au-delà du constat, si l’on cherche à comprendre les mécanismes en jeu, on mesure à quel point le rapport à la politique a changé.
Il a changé par les combats que les jeunes portent : féminisme, cause animale, écologie, droits des LGBT. Mais aussi par la manière de les mener ; la politique passe moins par les partis que par les réseaux sociaux, davantage par la manifestation ou la pétition que par le vote. Mais oui, la jeunesse est politisée, concernée, en attente et exigeante. Elle est présente dans la vie associative, la démocratie scolaire et participative, et le désir d’engagement progresse chez les jeunes.
Il convient cependant d’ajouter à la réflexion qu’il y a des jeunesses, qui ont des rapports différents à l’engagement et à la politique. Mais on ne peut en rester là, se résigner à voir chaque soir d’élection l’abstention augmenter de manière structurelle.
On ne peut passer plus longtemps à côté de la possibilité de faire d’une génération engagée une génération citoyenne.
On ne peut passer plus longtemps à côté de la possibilité de faire d’une démocratie « sans citoyens », qui conçoit les jeunes comme une catégorie qu’il faut tenir à distance, une démocratie partagée.
Je veux reprendre les propos de Léon Blum : « Toute classe dirigeante [qui n’est pas capable] d’employer la force fraîche des générations montantes, est condamnée à disparaître de l’histoire. » On mesure alors que si rien n’est fait pour prendre en compte les jeunes et les valeurs qu’ils portent, nous courrons le risque qu’ils disparaissent du champ politique et fassent définitivement sécession, selon l’expression de Frédéric Dabi dans son ouvrage La Fracture.
Il est donc temps de leur tendre la main, de leur adresser un message fort de confiance et de responsabilisation, de leur dire que nous voulons faire République avec eux.
La proposition de loi présentée aujourd’hui traduit cette urgente nécessité. Elle prévoit d’abaisser l’âge du vote à 16 ans avec une « préparation » par l’introduction d’un enseignement évalué de sciences politiques au collège, en renforcement de l’éducation morale et civique, une formation spécifique des enseignants et la généralisation des conseils municipaux de jeunes dans les communes de plus de 5 000 habitants et les départements, avec un nombre minimal de jeunes.
Cette proposition d’abaissement de l’âge du vote se veut une réponse, certes parmi beaucoup d’autres, à l’abstention. Elle s’appuie sur les travaux de nombreux chercheurs, dont ceux d’Anne Muxel, sociologue et directrice de recherche au Centre de recherches politiques de Sciences Po, le Cévipof : elle démontre que plus l’habitude de voter est prise de façon précoce, plus on a de chances de devenir un électeur systématique dans le cours ultérieur de sa vie. Elle souligne notamment qu’il suffit qu’une personne ait voté trois fois dans la foulée de son entrée dans la citoyenneté active pour que les chances de la voir participer ultérieurement soient fortes.
À 16 ans, la famille et l’école jouent un rôle de cadre favorisant la pratique du vote. Au contraire, 18 ans est l’âge de la décohabitation familiale, propice à la « mal-inscription », l’âge de la recherche de son avenir professionnel, universitaire et sentimental.
Pourquoi 16 ans ? À cet âge, la société accorde déjà de nombreux droits, tendant à prouver que l’on est mûr, responsable à ce stade. Ainsi, tout mineur peut être émancipé une fois l’âge de 16 ans atteint, travailler, consentir à l’impôt, s’immatriculer à la sécurité sociale, reconnaître un enfant, obtenir un permis de chasse, faire un testament, effectuer un service civique, choisir son médecin, être pompier volontaire, créer une association, etc. En un mot, on est considéré comme adulte ! Alors, comment expliquer que l’on ne puisse exercer un droit de vote pour peser sur les décisions qui vont impacter son avenir ?
Plusieurs États ou pays dans le monde et en Europe ont rendu effective la majorité élective à 16 ans pour les élections locales et/ou nationales, à certaines conditions ou non, et d’autres s’apprêtent à le faire, comme l’Allemagne.
Le Conseil européen, dès 2015, recommande dans une résolution d’envisager d’harmoniser l’âge minimal des électeurs à 16 ans afin de garantir aux citoyens de l’Union une plus grande égalité lors des élections. Pourquoi la France, pays de la démocratie, resterait-elle à l’écart de ce mouvement de revitalisation de la démocratie ?
Ce mouvement s’inscrirait dans le sens du progrès, du renforcement de la démocratie et dans la longue histoire de la conquête du droit de vote, du suffrage universel au vote des femmes, jusqu’à l’abaissement de la majorité électorale à 18 ans.
Voter à 16 ans, c’est le cours de l’Histoire. Il faut prendre acte du caractère de plus en plus précoce de l’autonomie des jeunes. Certes, ils restent dépendants financièrement des parents plus longtemps, mais ils sont aujourd’hui plus que jamais capables d’autonomie dans leurs contacts et leurs modes de socialisation, car plus mobiles, plus informés, plus formés. Ils pourraient ainsi peser sur les décisions politiques qui les concernent.
Mais pour que ce droit soit pleinement efficace, il faut permettre à tous de construire une réflexion politique libre et éclairée. L’école, « fabrique des citoyens », est la plus à même de donner les clés de compréhension de la société, de développer l’appétit à la vie de la cité, aux idées politiques, à la philosophie et à l’histoire politique.
C’est pourquoi l’article 2 de la proposition de loi prévoit la création au collège d’un enseignement en sciences politiques dont les savoirs spécifiques permettront d’édifier la citoyenneté, en complément de l’enseignement civique et moral, et avec des méthodes adaptées.
L’article 3 prévoit la généralisation des conseils de jeunes dans les communes de plus de 5 000 habitants et dans les départements. À côté de l’école, de la famille, des associations, les jeunes aspirent à s’exprimer localement sur des thématiques qui touchent au vivre-ensemble, aux solidarités, à l’intergénérationnel, à l’environnement.
C’est une manière d’offrir à des dizaines de milliers de jeunes l’opportunité d’être partie prenante de la démocratie locale et de s’initier au fonctionnement d’une collectivité territoriale. Il s’agit d’un dispositif essentiel, actuellement sous-utilisé, qui peut contribuer à la construction d’un parcours citoyen complet des jeunes.
Face aux multiples crises que nous affrontons – sanitaire, écologique, démocratique –, deux attitudes sont possibles.
On peut se renfermer sur soi-même, frileusement, en cultivant la peur et le rejet de l’autre. La jeunesse est alors une menace, une turbulence qu’il faut contenir, contrôler et tenir à distance.
Ou bien l’on peut, comme nous vous le proposons, envisager un avenir ouvert, enthousiaste, optimiste et généreux qui croit aux générations futures, celles qui feront le monde de demain. La jeunesse est alors une ressource, un interlocuteur politique compétent et légitime.
Notre pays ne peut rester immobile, notre démocratie est fatiguée. Donnons-lui un nouveau souffle en faisant confiance aux jeunesses, car elles nous attendent et elles le méritent. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Nadine Bellurot, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons ce soir la proposition de loi pour un nouveau pacte de citoyenneté avec la jeunesse par le vote à 16 ans, l’enseignement et l’engagement, déposée par Martine Filleul et plusieurs de ses collègues du groupe SER, et rejetée la semaine dernière en commission des lois.
Cette proposition de loi part d’un constat, malheureusement renouvelé élection après élection, celui de l’abstention massive des jeunes âgés de 18 à 36 ans aux élections politiques.
Afin d’y remédier, elle met en avant deux instruments : l’ouverture du droit de vote dès l’âge de 16 ans, d’une part, et l’institution de conseils de jeunes dans toutes les communes de plus 5 000 habitants ainsi que pour les conseils départementaux, d’autre part.
Elle vise également à accompagner l’abaissement de la majorité électorale en prévoyant un nouvel enseignement obligatoire en sciences politiques et en histoire de la vie politique française et européenne pour les élèves de collège. La formation des enseignants serait également adaptée en conséquence.
L’article 1er, qui vise à abaisser la majorité électorale à 16 ans, constitue la mesure phare du texte, qui n’a pas convaincu la commission.
Nous ne pouvons évidemment qu’être d’accord avec la nécessité de lutter contre l’abstention des jeunes ; pour mémoire, la participation aux élections régionales et départementales de 2021 s’est élevée à seulement 17 % chez les 18-24 ans, et à 19 % chez les 25-34 ans, contre une participation de 41 % chez les 60-69 ans et de 59 % chez les plus de 70 ans.
Pour autant, la solution proposée, à savoir ouvrir le droit de vote à une nouvelle tranche d’âge plus jeune, ne nous semble pas opportune pour des raisons à la fois de principe, juridiques et sociologiques.
Tout d’abord, nous considérons que la majorité électorale doit être fixée à un âge où l’expérience de la société et l’exercice de responsabilités doivent être avérés et témoigner d’une certaine maturité. L’âge de 16 ans ne permettrait pas toujours ce recul. Car voter, c’est assumer une part de responsabilités dans des choix collectifs qui engagent l’avenir de la collectivité. Tous les adolescents sont-ils en capacité de porter cette charge ? Ce n’est pas si sûr.
Certains font valoir le fait que de nombreux droits sont déjà ouverts à l’âge de 16 ans ; néanmoins, nous ne pensons pas que participer à la création d’une association ni même voter aux élections prud’homales – pour les jeunes qui travaillent – est comparable avec l’expression du suffrage politique.
De surcroît, on ne peut ignorer les raisons juridiques majeures qui s’opposent à l’abaissement de la majorité électorale prévu par l’article 1er.
Je rappelle que, conformément à l’alinéa 4 de l’article 3 de la Constitution, « sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques ». Ainsi, il est clair que la majorité électorale découle de la majorité civile et que les deux majorités ne peuvent être dissociées.
Certes, vous n’ignorez pas qu’en 1974, lors de l’examen de son projet de loi, le gouvernement d’alors s’était appuyé sur l’avis du Conseil d’État pour considérer que la Constitution permettait d’abaisser l’âge de la majorité électorale indépendamment de celui de la majorité civile. Mais, depuis lors, la doctrine a évolué et récuse cette interprétation, comme l’a rappelé le professeur Bruno Daugeron lors de son audition.
En outre, il était entendu à l’époque que le gouvernement souhaitait procéder par étapes, en commençant par abaisser l’âge de la majorité électorale, avant d’abaisser également l’âge de la majorité civile.
Par conséquent, si nous souhaitions aujourd’hui abaisser l’âge de la majorité électorale, l’alternative serait la suivante : ou bien l’on révise la Constitution, ou bien l’on abaisse, de façon concomitante, l’âge de la majorité civile.
Or l’abaissement de la majorité civile à 16 ans ne peut constituer une option, au regard des risques importants que cela comporterait pour la protection juridique et sociale des jeunes âgés de 16 à 17 ans en matière, notamment, d’assistance financière par leurs parents et d’aide sociale à l’enfance.
Par ailleurs, cela nous amènerait inévitablement à nous interroger sur la majorité pénale à 16 ans.
Il ne vous échappera pas qu’une modification aussi substantielle du corps électoral ne saurait intervenir à quelques mois seulement du premier tour du scrutin présidentiel. En prévoyant une entrée en vigueur au 1er janvier 2022, l’article 5 de la proposition de loi serait ainsi contraire au principe de stabilité du droit électoral, que le Sénat a consacré il y a deux ans.
Au demeurant, si nous étions prêts à consentir à une telle dérogation à ce principe, il serait impossible, de l’aveu même du ministère de l’intérieur, de procéder au recensement puis à l’inscription sur les listes électorales de 1,7 million de jeunes en l’espace de quelques mois.
Enfin, au regard des études disponibles et des auditions menées, l’ouverture du droit de vote à 16 ans ne nous semble pas pertinente. Au contraire, d’après les enquêtes de l’IFOP, par exemple, une large part des jeunes estime aujourd’hui que la politique ne peut rien pour eux. C’est regrettable. Bien plus, pour beaucoup, l’exercice de la citoyenneté passe davantage par la participation aux manifestations et la signature de pétitions plutôt que par le recours aux outils traditionnels de la démocratie représentative.
Du reste, il n’est pas tout à fait certain que l’ouverture du droit de vote aux jeunes âgés de 16 et 17 ans permette d’améliorer la participation des jeunes à moyen terme.
Si la thèse selon laquelle les électeurs participeraient d’autant plus aux scrutins tout au long de leur vie qu’ils auraient commencé à voter jeunes est défendue par certains sociologues, elle est loin de faire l’unanimité.
D’ailleurs, les précédents étrangers ne permettent pas de conclure au caractère incitatif de cette mesure. Ainsi, en Autriche, qui est l’un des trois seuls pays de l’Union européenne à avoir abaissé la majorité électorale en 2007 en deçà de 18 ans, cet abaissement n’a pas eu d’incidence notable sur la participation des jeunes âgés de 18 à 30 ans, alors même qu’une partie de ces jeunes avait voté à 16 ans en ayant bénéficié d’une préparation au vote depuis 2008.
Ainsi, à l’heure actuelle, rien ne permet de penser que les jeunes de 16 et 17 ans iront davantage voter que leurs aînés de 18 à 24 ans et que, de surcroît, ils conserveront cette habitude tout au long de leur vie de citoyen.
Dans ces conditions, il me semble que la priorité est d’inciter les jeunes déjà dotés du droit de vote à en faire usage. Nous sommes en effet sensibles à l’urgence de ramener les jeunes aux urnes. Pour cela, il convient de les accompagner dans l’apprentissage de la citoyenneté, en amont et en parallèle de leur accession à la majorité. Aujourd’hui même, 9 décembre, c’est la Journée nationale de la laïcité, événement citoyen qui permet de diffuser les valeurs républicaines à l’école.
Ainsi, dans le cadre scolaire, il apparaît préférable de s’appuyer sur les enseignements existants afin de former les citoyens de demain plutôt que de créer un nouvel enseignement obligatoire, comme le prévoit l’article 2 de la proposition de loi.
L’enseignement en sciences politiques et en histoire de la vie française et européenne, que prévoit le texte, recouvre en effet largement les objectifs et le contenu de disciplines déjà enseignées du primaire au lycée, telles que l’histoire-géographie, mais aussi et surtout l’enseignement moral et civique. Ces deux matières sont déjà incluses dans l’épreuve du brevet, tandis que l’enseignement moral et civique fait l’objet, depuis l’année scolaire 2019-2020, du contrôle continu intégré au baccalauréat, ce qui me semble plus abouti que le dispositif proposé.
Ainsi, les programmes actuels permettent d’ores et déjà de former les élèves au fonctionnement des institutions et aux enjeux de la démocratie.
Par ailleurs, au sein de la société, il existe de nombreuses formes de participation civique destinées aux jeunes âgés de moins de 18 ans, qu’il convient d’encourager. En tant qu’élus, nous avons toute notre place pour « faire République », pour reprendre votre expression, ma chère collègue.
Enfin, s’agissant des dispositifs de participation à l’échelon local, il nous est proposé, à titre principal, de rendre obligatoire la création d’un conseil de jeunes dans toutes les communes de plus de 5 000 habitants et les départements.
Je tiens à rappeler que les collectivités locales se sont déjà largement approprié ces dispositifs favorisant l’engagement citoyen des jeunes puisque près de trois quarts des régions et deux tiers des départements ont déjà institué de tels conseils.
J’ai pu constater, comme vous, mes chers collègues, que de nombreuses communes, notamment depuis le dernier renouvellement des équipes municipales, s’engagent dans une telle démarche. Ainsi, il me paraît primordial de faire confiance à cette intelligence du terrain plutôt que d’imposer de nouvelles obligations aux collectivités locales. Il n’est pas souhaitable de rigidifier le fonctionnement de ces outils de participation des jeunes à la vie démocratique locale.
En conséquence, mes chers collègues, je vous proposerai donc, comme en commission des lois, de ne pas adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement. Je vous remercie, madame la sénatrice Filleul, d’avoir posé ce débat autour de la jeunesse parce qu’aucune question concernant la démocratie ou la jeunesse n’est anodine, encore moins ce qui touche à la citoyenneté.
Il nous faut l’aborder avec rigueur parce que l’histoire de la démocratie est une histoire de conquêtes, de juste équilibre entre droits et devoirs, entre progressisme et conservatisme.
Il est facile de balayer cette question en disant : « Oui, je suis pour ! » ou « Non, je suis contre ! », sans aller plus loin. Ce serait bien méconnaître la question elle-même : dire oui ou non au vote à 16 ans, ce n’est pas dire oui ou non à la jeunesse, ce n’est pas donner les clés de la vie politique et institutionnelle à des adolescents et à des jeunes qui sont, pour les uns, force créatrice de notre pays, et, pour d’autres, encore des enfants n’étant pas en capacité d’exercer une responsabilité citoyenne.
Ce n’est pas non plus résoudre d’un coup de baguette magique le problème endémique dont nous souffrons, et qui s’aggrave de plus en plus : celui de l’abstention.
L’argument, que l’on entend parfois, selon lequel plus on vote jeune, plus on vote longtemps ne tient que parce que l’on a envie d’y croire fortement, comme le prouvent les expériences internationales de l’abaissement de l’âge auquel il est possible de voter, qui ont connu des fortunes bien diverses.
Lorsque je consulte les associations de jeunes ou vais à la rencontre de ces derniers, je constate qu’il n’y a pas de consensus. En 2017, l’Institut national de la jeunesse et l’éducation populaire (Injep) et le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc) ont interrogé des jeunes de 18 à 30 ans sur une série de propositions pour renouveler le système politique français : l’ouverture du droit de vote à 16 ans est la proposition qui a recueilli le plus d’avis défavorables – plus de 72 %.
M. Bruno Belin. Voilà qui est clair !
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État. Pour autant, j’ai bien conscience que certains réclament ce droit de vote à 16 ans, ce que je respecte totalement. Ils reçoivent d’ailleurs le soutien d’un certain nombre d’élus, dont vous êtes, madame la sénatrice.
Je pense aussi à cette tribune publiée au mois de mars dernier par le député David Corceiro, dans laquelle, avec d’autres, il appelle à mettre en place le droit de vote à 16 ans aux élections municipales, rejoignant là un certain nombre d’élus locaux, au motif que cette mesure créerait une forme de pré-majorité, serait un moyen de faire évoluer nos villes, nos territoires, et permettrait de dire à la jeunesse que nous avons confiance en elle.
Évidemment, nous avons confiance en elle ! J’entends l’idée selon laquelle les jeunes, informés, pourraient apprendre le vote au travers de nos problématiques les plus locales. De même, mon collègue Clément Beaune a eu raison de déclarer que nos démocraties ne pouvaient s’offrir le luxe de négliger une piste, celle qui consiste à conduire les jeunes vers le vote.
Mais la question qui se pose aujourd’hui est, bien sûr, celle de la lutte contre l’abstention. En 2019, le Président de la République lui-même rappelait qu’il n’était pas opposé par principe à cette mesure, mais que le cœur de la bataille, c’était l’abstention. L’enjeu final est bien la démocratie, et il faut décider.
L’enjeu majeur est le suivant : comment ramener les jeunes vers le vote ? Malheureusement, et je vous rejoins sur ce point, madame la rapporteure, je crains qu’une partie des jeunes n’aient perdu confiance dans la capacité transformatrice du vote. Voilà pourquoi ils marchent pour le climat, signent des pétitions plus volontiers qu’ils ne votent. Toutefois, la démocratie, ce sont des droits mais aussi des devoirs. Et manifester sans voter revient à réclamer des droits sans s’imposer le devoir de les exercer et de décider.
À nous alors de décider, à nous de les aider à retrouver cette confiance. Avoir confiance dans la jeunesse, c’est lui donner les moyens d’être actrice de sa vie, de notre pays. Au-delà du vote, c’est ce que nous faisons, par exemple, lorsque nous donnons la possibilité aux jeunes de 16 ans de saisir le Conseil économique, social et environnemental (CESE) par voie de pétition.
M. François Bonhomme. Pour quelle utilité ?
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État. Mais la confiance, elle se construit. Notre responsabilité est de former et d’accompagner les jeunes pour qu’ils connaissent le pouvoir du bulletin de vote, le pouvoir de la démocratie représentative, et qu’ils sachent exercer ce magnifique devoir démocratique.
Former, comme nous le faisons, c’est renforcer l’éducation civique et morale, développer la démocratie scolaire, accompagner en construisant des parcours de citoyenneté. Car, oui, celle-ci s’apprend dès le plus jeune âge, elle s’apprend dans une expérience encadrée dans le temps scolaire ou extrascolaire. C’est l’expérience d’un jeune qui s’engage à l’école en tant que délégué de classe, en tant qu’éco-délégué, dans un conseil de la vie collégienne ou dans un conseil de la vie lycéenne. C’est l’expérience d’un engagement bénévole au travers d’une mission d’intérêt général, dans le cadre du service national universel (SNU), du volontariat, du service civique ou du corps européen de solidarité.
C’est l’affaire des familles, c’est l’affaire de l’État et celle, également, de l’éducation nationale et des associations, mais c’est notre devoir de responsables politiques et d’élus.
Je pense en particulier aux maires, qui sont en réalité ce lien le plus proche. Pour le coup, je rejoins les signataires de cette tribune, qui indiquent que la démocratie et l’intérêt général se comprennent quand ils se pratiquent au quotidien, là où l’on vit, là où l’on comprend aisément que pour se soigner il faut des soignants et des hôpitaux, que pour se déplacer il faut des transports en commun, que pour se cultiver il faut des médiathèques, des salles de spectacle, et que tout cela dépend de nos choix.
J’invite tous ces maires à continuer à faire vivre ces expériences d’engagement au sein de conseils municipaux de la jeunesse, en étant encore plus ambitieux, même si l’on en compte déjà énormément sur notre territoire.
Ils peuvent encore évoluer. Je connais des conseils municipaux pour élèves de CM2, pour de plus jeunes encore, ou pour d’autres âgés de 15 ans ou de 16 ans. Il existe donc une multiplicité de conseils, et il nous appartient d’accompagner l’ensemble de ces engagements pour les rendre encore plus effectifs.
J’invite également, autant que possible, à organiser des moments qui sacralisent ce rituel : des cérémonies citoyennes qui sacralisent la remise de la première carte électorale et qui matérialisent l’entrée effective dans la citoyenneté. Ces moments de vie, ces temps forts, sont incontournables.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il ne vous aura pas échappé que, pour le moment, je n’ai pas définitivement répondu à la question. Mais je vais le faire.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État. Les conditions ne semblent pas réunies pour soutenir cette proposition d’abaisser l’âge de vote à 16 ans. Les enjeux, aujourd’hui, consistent à lutter contre l’abstention et à permettre un parcours de citoyenneté.
Le bon âge pour commencer à voter, c’est finalement l’âge auquel on est prêt pour cela – cela peut paraître évident, mais ce ne l’est pas –, l’âge où le parcours d’apprentissage de la citoyenneté, dont la construction nous incombe, permet aux jeunes de revendiquer des droits mais aussi d’exercer les devoirs qui sont les leurs.
Creuset républicain, mais aussi rite de passage, le service national universel est appelé à devenir un dispositif majeur de ce parcours d’apprentissage à la citoyenneté. Je suis convaincue que ce sera un accélérateur d’entrée dans la vie citoyenne active. Accompagnons cette généralisation à tous ces jeunes entre 15 et 17 ans et nous pourrons alors, peut-être, nous reposer la question de l’âge du premier vote.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, qu’il est difficile d’être jeune en 2021 !
Souvent méprisés, les jeunes ne sont jamais écoutés. On ne cesse de leur demander de s’adapter, toujours plus, à cette société à bout de souffle, oubliant ainsi que l’avenir – notre avenir – est entre leurs mains.
Je vous épargnerai le rappel de tout ce qui leur a été infligé ces dernières années, en particulier pendant la crise sanitaire qui perdure. Ils avancent dans la vie dans un environnement incertain. Comment les mettre en confiance, alors que la politique s’écarte de son objet initial ? Comment les intégrer dans la vie de la cité ?
Je participe régulièrement à diverses manifestations – pour le climat par exemple – ou à des marches féministes et je me réjouis de constater que la jeunesse est plus qu’engagée. À mes côtés, de part et d’autre de la foule, les jeunes scandent des slogans très souvent accusateurs contre le système politique et, de fait, contre les personnes qui le composent.
En tant qu’élus, nous devons nous remettre en question en permanence ; nous devons nous ouvrir à cette jeunesse, qui ne demande qu’à être écoutée.
Si le taux d’abstention record des 18-25 ans aux dernières élections est préoccupant, il convient d’interroger les raisons de ce désintéressement et de cette défiance.
Gardons-nous de cette attitude qui consiste à se défaire de toute responsabilité et à réprimander les jeunes qui, finalement, éprouvent un ressentiment parfaitement légitime.
Au lycée, on demande aux élèves de faire des choix déterminants pour leur carrière, malgré les défaillances de Parcoursup, l’angoisse des procédures d’admission injustes et les informations contradictoires données par l’éducation nationale. On peut dès lors aisément concevoir qu’ils aient la capacité d’exprimer un suffrage éclairé. Il faut leur faire confiance.
Abaisser le droit de vote à 16 ans, c’est permettre à cette jeunesse de s’investir pleinement et plus tôt. Donner les moyens d’un apprentissage solide en sciences politiques et en éducation civique constitue, j’en suis certaine, un très bon remède contre l’abstention. Je voterai pour ce texte. (Mme Martine Filleul et M. Patrick Kanner applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Kerrouche. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Éric Kerrouche. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, chère Martine Filleul, la participation électorale s’effrite depuis 1989, les années 2020 et 2021 ayant constitué des records. Les jeunes figurent effectivement parmi les plus abstentionnistes, en concurrence avec leurs aînés de plus de 80 ans.
Cette évolution est inquiétante : le vote, c’est la pacification de la vie politique ; l’alternative, c’est la participation violente.
Dans ces conditions, il faut essayer de nouvelles solutions. Aujourd’hui, en leur donnant le droit de vote, nous voulons tout simplement que les 1,6 million de jeunes de 16 et 17 ans entrent pleinement dans la communauté des citoyens.
Je félicite d’ailleurs le parti Les Républicains qui, à l’occasion de son récent congrès visant à désigner son candidat à l’élection présidentielle, a permis aux jeunes de prendre part au vote dès l’âge de 16 ans !
Pourtant, certains – parfois les mêmes – s’opposent à cette mesure. Le premier argument, en forme d’argutie, permet d’éviter le débat de fond : il s’agit du risque d’inconstitutionnalité. Ce débat juridique a été tranché en 1974 et l’évolution de la doctrine à la suite des travaux d’un seul professeur ne saurait suffire, madame la rapporteure. Si, malgré tout, risque il y avait, il serait possible de le lever.
Deuxième argument : le risque d’effet domino sur d’autres majorités, qui viendrait diminuer la protection des mineurs. Il existe d’ores et déjà une pluralité de majorités et cette pluralité peut tout à fait être maintenue. Certains, d’ailleurs, voudraient-ils abaisser la majorité pénale à 16 ans qu’il n’y aurait, bien entendu, aucun problème !
Troisième argument : l’inutilité ou l’inefficacité de cette mesure, dont l’abstention des 18-25 ans serait la preuve. Le temps de parole limité dont je dispose ne me permet pas de développer ma réponse, mais il est tout de même assez étonnant d’oublier les spécificités de cette classe d’âge. Insertion professionnelle, études, mobilité, etc., il y a toujours eu un cycle de vie électoral.
La plupart des politistes s’accordent à dire qu’un « tunnel d’apprentissage électoral et démocratique » qui commencerait dès l’âge de 16 ans serait bénéfique, en ce qu’il permettrait une accommodation à la vie politique. À cet âge, les jeunes sont plus captifs que ceux qui ont achevé leur cycle secondaire et entament des études universitaires.
Quatrième argument, qui vient d’être avancé : le droit de vote à 16 ans ne serait pas une revendication de la jeunesse. Figurez-vous que, avant 1945, le droit de vote des femmes n’était pas réclamé par toutes les femmes ! (M. François Bonhomme manifeste son désaccord.)
Considérons simplement le vote à 16 ans comme un outil parmi d’autres pour lutter contre le désintérêt de la jeunesse envers la politique.
Cinquième argument : l’immaturité. Si la maturité s’atteint, elle se dégrade aussi…
M. Patrick Kanner. C’est vrai !
M. Éric Kerrouche. Plus sérieusement, cet argument de l’immaturité a été employé en 1974 et, plus tôt, en 1944 à l’encontre des femmes.
Le niveau d’éducation et d’accès à l’information des jeunes de 16 ans d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celui des jeunes de 18 ans de 1974. Par ailleurs, un jeune sur cinq âgés de 16 à 18 ans a déjà participé, par exemple, à une marche pour le climat. Cette jeunesse aspire à des responsabilités et elle sait les prendre.
Le droit de vote dès 16 ans se pratique chez certains de nos voisins européens. En 2015, le congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe a estimé que l’abaissement du droit de vote à 16 ans était une question d’intérêt public, susceptible de produire un effet positif sur la participation.
Mes chers collègues, certains d’entre vous ont donné des exemples. Je pourrais évoquer celui du référendum écossais sur l’indépendance, en 2014 : le taux de participation des jeunes de 16 et 17 ans s’est alors élevé à 80 %.
L’abaissement du droit de vote est aussi une recommandation du Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef). D’autres études, notamment celles de l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale (IDEA), montrent que les jeunes répondent positivement, en participant davantage, à la confiance qui leur est accordée.
Aujourd’hui, à 16 ans, on peut payer des impôts, travailler, avoir des responsabilités associatives, exercer une autorité parentale, être poursuivi en justice. Vouloir disposer des mêmes droits démocratiques que les adultes semble cohérent. Une démocratie forte prend de meilleures décisions quand elle englobe l’ensemble du corps électoral et tient compte de la voix du plus grand nombre.
Il est évident que le droit de vote à 16 ans permettrait à la jeunesse de donner son avis sur des thèmes qui la concernent au premier chef. D’objets politiques, les jeunes deviendraient des acteurs politiques.
Bien entendu, la contribution de l’école, en tant qu’espace de socialisation politique, est essentielle, tout autant que la délibération dans des instances locales. C’est le sens des expériences conduites en Norvège et en Finlande.
Jean-Pierre Raffarin relevait la permanence d’une méfiance de la part des citoyens détenteurs du droit de vote envers ceux qui en sont dépourvus. Nous ne partageons pas cette méfiance.
La jeunesse doit être prise au sérieux. Elle est digne de confiance. Sa voix compte. Elle peut et doit pouvoir prendre pleinement part à la conversation démocratique de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, être en âge de porter plainte seul, de commencer à conduire, de faire un service civique ou de signer un contrat d’apprentissage ne signifie pas être en âge de voter.
La citoyenneté se forme avec le temps, avec les expériences, les espoirs, la somme des ambitions et des échecs. L’enjeu va au-delà d’une nationalité, à laquelle on ajouterait une éducation et une somme d’années.
Pourtant, en tant que législateurs, il nous faut bien fixer une limite, une frontière, un âge précis. Il existe, en fait, plusieurs majorités – électorale, civile, pénale –, qui sont aujourd’hui alignées.
La majorité implique ainsi, à terme, une série de responsabilités particulièrement lourdes, mais aussi de devoirs, qui peuvent être autant de contraintes pour un jeune de 16 ans : responsabilité judiciaire accrue, probité, possibilité de poursuites pour endettement… La liste pourrait être longue. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la proposition de loi propose de n’abaisser que la seule majorité électorale.
L’abaissement du droit de vote à 16 ans n’est pas une demande émanant d’une majorité de mineurs. Elle procède plutôt d’une volonté politique, dans les nombreux termes d’un débat qui est d’ores et déjà posé.
Une résolution du Parlement européen du 11 novembre 2015 « recommande aux États membres, pour l’avenir, d’envisager d’harmoniser l’âge minimal des électeurs à 16 ans, afin de garantir une plus grande égalité aux citoyens de l’Union lors des élections ».
Plusieurs États européens fixent déjà le droit de vote à 16 ans : l’Autriche et Malte à l’échelle nationale, l’Écosse et une partie de l’Allemagne à l’échelle locale, la Slovénie sous condition d’emploi.
On peut regretter, par exemple, que les jeunes qui sont particulièrement engagés, parfois adjoints et même maires, ne puissent pas se présenter en qualité de candidats à une élection sénatoriale pour laquelle ils sont, malgré tout, grands électeurs.
La décorrélation entre l’âge de candidature et l’âge de vote est un autre sujet, dont notre chambre a souvent débattu.
Aujourd’hui, gardons en tête qu’il s’agit de protéger nos jeunes. Tous ne sont pas aussi engagés, aussi enthousiastes pour la chose publique, aussi documentés que ceux auxquels nous pensons tous, dans nos départements.
La proposition de loi vise donc à abaisser de 18 à 16 ans la majorité électorale seule, dans le but de favoriser la participation. Elle ne néglige pas l’aspect éducatif, en proposant aussi d’introduire un enseignement obligatoire aux sciences politiques dès le collège. Elle rend enfin obligatoire, pour certaines collectivités, le déploiement de conseils municipaux des jeunes.
Sur le fond, ce texte rencontre plusieurs limites, que ses auteurs eux-mêmes pourront reconnaître. L’article 1er, d’abord, comporte un risque constitutionnel lié à la dissociation des majorités électorale et civile.
Ensuite, la date d’entrée en vigueur de la mesure, fixée au 1er janvier 2022, interroge quant aux délais qu’exige la navette parlementaire. À supposer que la mesure s’applique avant l’élection présidentielle, la proximité de cette dernière empêcherait les dispositions éducatives de produire leurs effets.
Enfin, la stabilité du droit électoral, inscrite dans le code électoral sur l’initiative de notre collègue Alain Richard, et qui implique que le droit électoral ne soit pas modifié dans l’année qui précède le scrutin, s’en trouverait menacée.
Le texte soulève, certes, plusieurs questions importantes, notamment celle de l’abstention des jeunes. Lors de l’élection présidentielle de 2017, 21,3 % des personnes âgées de 18 à 24 ans inscrites sur les listes électorales n’ont voté à aucun des deux tours, contre 14,6 % de l’ensemble des électeurs inscrits. Aux dernières élections régionales, près de 87 % des 18-24 ans se sont abstenus au premier tour.
Le phénomène d’abstention est réel. On peut douter de la faculté de cette proposition de loi à raviver mécaniquement la mobilisation de cette classe d’âge dans les urnes, laquelle reste pourtant le défi de fond qui se pose aux responsables politiques. C’est d’ailleurs dans le sens d’une réflexion approfondie et englobante que le Premier ministre a saisi le CESE, en septembre 2021, sur la participation des jeunes à la vie démocratique.
Sur le plan éducatif, l’enseignement moral et civique a été enrichi ces dernières années : on dénombre en effet, en vingt ans, pas moins de huit modifications du code électoral.
La montée en puissance du SNU se poursuit, avec notamment pour objectifs la transmission d’un socle républicain et le développement d’une culture de l’engagement. En 2022, plus de 200 000 jeunes pourront par ailleurs s’engager dans une mission de service civique.
La lutte contre l’abstention est essentielle. À ce titre, l’inscription sur les listes électorales a été utilement facilitée pour lutter contre la mal-inscription.
Si, au-delà des limites juridiques de ce texte, l’enjeu dépasse la simple question de la majorité électorale, les votes au sein du groupe RDPI connaîtront des nuances.
Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud de Belenet.
M. Arnaud de Belenet. Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi d’exprimer une pensée amicale pour notre collègue Loïc Hervé, que je remplace et qui est empêché car confronté, au travers de proches, à notre destin commun et à notre finitude.
La volonté d’abaisser l’âge de la majorité électorale à 16 ans a fait l’objet de nombreuses initiatives, débats et idées. La promesse de campagne de Valéry Giscard d’Estaing, qu’il a tenue, visant à abaisser l’âge de la majorité électorale à 18 ans, contre 21 ans auparavant, serait-elle en train de vivre ses derniers instants ?
Avant tout, je tiens à remercier l’auteure de la proposition de loi, notre collègue Martine Filleul, qui a souhaité au travers ce texte renforcer l’implication des jeunes dans la vie politique de notre pays, ainsi que Mme la rapporteure Nadine Bellurot pour son travail : tout en saluant le projet porté par nos collègues socialistes, elle a su préserver les équilibres nécessaires entre exigence constitutionnelle et liberté des collectivités territoriales.
Chacun de nous partage le constat : l’abstention des jeunes est de plus en plus forte. Les dernières élections le démontrent. À l’occasion des élections départementales et régionales de 2021, la participation des 18-24 ans était de 17 % et celle des 25-34 ans de 19 %, soit des taux bien inférieurs à la moyenne nationale.
Nombreuses ont été les initiatives visant à abaisser l’âge du droit de vote. Sans être exhaustif, un groupe de travail proposait, en 2014, de créer un statut de pré-majorité en vertu duquel les jeunes âgés de 16 et 17 ans seraient autorisés à voter aux élections municipales.
À l’Assemblée nationale, pas moins de trois propositions de loi ont visé à ouvrir le droit de vote aux jeunes de 16 ans pour toutes les élections. Enfin, comme cela a été rappelé, des recommandations ont également été émises en ce sens par le Parlement européen. Chaque fois, les idées n’ont pas été suivies d’actes.
L’abaissement de la majorité électorale à 16 ans tel que prévu à l’article 1er de cette proposition de loi concernerait près de 1,7 million de nos jeunes concitoyens et entraînerait une augmentation de l’effectif du corps électoral de près de 3,5 %.
Cette augmentation serait importante, certes, mais dans les faits peu efficace. Aujourd’hui, notre jeunesse se sent désintéressée par le vote, non par la politique. Elle exprime ses revendications par le recours à d’autres modes d’expression, comme les manifestations, les pétitions ou des initiatives ciblées.
Avant de faire voter les moins de 18 ans, nous pourrions commencer par tenter de ramener aux urnes ceux qui détiennent aujourd’hui le droit de vote.
Abaisser le droit de vote à 16 ans supposerait une révision de la Constitution. Comme l’a indiqué justement notre rapporteure, l’alinéa 4 de son article 3 dispose que « sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques ».
Autrement dit, la majorité électorale découle de la majorité civile. Aussi, l’adoption de la proposition de loi supposerait-elle de revoir l’ensemble du corpus juridique de protection spécifique aux mineurs, notamment la majorité pénale et la responsabilité pénale.
Ces impossibilités, tant pratiques que constitutionnelles démontrent qu’accorder le droit de vote dès l’âge de 16 ans n’est, aujourd’hui, pas réalisable.
L’autre mesure de cette proposition de loi doterait les communes de plus de 5 000 habitants d’un conseil de jeunes. Je tiens à rappeler que ces communes ont déjà déployé de nombreuses instances visant à favoriser l’engagement citoyen. Je pense notamment au premier conseil régional des jeunes, créé en 1978 sur l’initiative du département de l’Essonne, qui a, par la suite, fait l’objet d’une consécration législative dans la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté.
Près de 2 200 collectivités territoriales seraient concernées par la création de cette nouvelle instance. Autant de communes aux réalités locales diverses et variées, qui n’aspirent pas aux mêmes objectifs.
La création d’une nouvelle instance remettrait en question la nécessaire liberté dont les collectivités territoriales disposent pour favoriser la participation des jeunes aux décisions locales.
La commission des lois, bien qu’ayant rejeté l’ensemble du texte, juge cependant préférable de s’appuyer sur l’existant pour renforcer l’engagement des jeunes et les accompagner dans l’exercice de leur citoyenneté.
Les auteurs de la proposition de loi entendaient introduire un enseignement obligatoire aux sciences politiques et à l’histoire de la vie française et européenne dès l’entrée au collège.
Aujourd’hui, l’enseignement moral et civique, l’histoire-géographie et les sciences économiques et sociales – matières déjà présentes dans le corpus scolaire – peuvent répondre à cet objectif, en formant les élèves au fonctionnement des institutions. Les programmes scolaires sont chargés ; il convient de ne pas les alourdir. Servons-nous de l’existant et améliorons-le.
Enfin, en tant que parlementaires élus de la Nation, nous avons tous, me semble-t-il, chers collègues, un rôle indéniable à jouer. Il nous revient d’accompagner ces jeunes dans l’apprentissage de la citoyenneté en amont et, en parallèle de leur accession à la majorité, de leur proposer d’autres formes d’engagement, notamment associatives, possibles à tout âge, ou encore la possibilité d’effectuer un service civique.
Ces différentes formes de participation éveillent l’esprit critique, permettent de faire l’expérience de la société et, ainsi, développent la maturité.
Pour conclure, je citerai le Conseil d’État, qui estime, à juste titre, que « la collectivité publique doit […] privilégier vis-à-vis des futurs citoyens un accompagnement leur permettant de mesurer, à leur majorité, la responsabilité qui leur incombe dans la participation aux choix politiques ».
C’est pourquoi le groupe Union Centriste suivra la recommandation de notre rapporteure et ne votera pas cette proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Paccaud.
M. Olivier Paccaud. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, dont je salue le « baptême du banc », mes chers collègues, personne ici n’ignore la crise démocratique, cette fonte des glaces citoyennes qui fragilise nos institutions, affaiblit la légitimité des élus et exprime une perte de confiance durable envers les responsables politiques et la parole publique.
Chez les jeunes, cette défiance semble structurelle. Chaque rendez-vous électoral en donne la triste démonstration, si l’on en juge par les taux d’abstention record bien plus élevés que chez leurs aînés. Ce constat, nous l’avons en partage avec les auteurs de cette proposition de loi.
Pourtant, le texte que nous examinons offre-t-il un remède à la hauteur du péril du désenchantement démocratique français ? J’en doute fort.
Comme l’enfer est pavé de bonnes intentions, cette proposition de loi est porteuse de néfastes confusions. Il suffit de lire le premier paragraphe de l’exposé des motifs pour découvrir sa logique pour le moins audacieuse. Puisque les jeunes votent moins, faisons-les voter plus tôt, dès 16 ans !
Comprenne qui pourra la subtilité de cet étrange syllogisme ! On connaissait le pari de Pascal, on découvre celui des sénateurs socialistes. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
Loin de se restreindre à une simple réforme des dispositifs existants, ce texte bouscule le concept de citoyenneté lui-même. Car que signifierait la fin de l’ouverture du droit de vote à l’âge de la majorité civile ? Que donnerait-elle à voir ?
Le droit de vote étant inséparable de la majorité civile, 1,5 million d’adolescents seraient invités à se rendre aux urnes, alors même qu’ils sont reconnus comme largement irresponsables par le droit français. Ces jeunes jouiraient alors d’un droit politique majeur, sans être astreints à l’ensemble des devoirs impliqués par la citoyenneté. Cherchez l’aberration !
Mes chers collègues, en souhaitant abaisser le droit de vote à 16 ans, vous vous référez à certains droits acquis à cet âge, comme la conduite accompagnée ou l’accès au brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (BAFA). C’est oublier que l’accès au vote renvoie à la citoyenneté et qu’il suppose une responsabilité d’une tout autre nature.
Victor Hugo évoquait, lors d’un discours formulé en mai 1850 sur le suffrage universel, ce droit de suffrage qui « fait partie de l’entité du citoyen, ce droit de suffrage sans lequel le citoyen n’est pas ».
Ce lien essentiel, votre texte entend aujourd’hui le briser, séparant le plus fondamental des droits politiques de la plus belle des qualités, celle de citoyen français. Pis, vous dissociez le droit de vote de celui d’éligibilité. On pourrait donc élire à 16 ans, mais n’être pas soi-même éligible. Vous créeriez ainsi des « pré-citoyens » ou des citoyens hybrides.
À cet égard, on jugera d’autant moins opportun de voter une mesure d’une telle portée dans le cadre d’une simple niche parlementaire, sans même songer à l’inévitable problématique constitutionnelle qu’impliqueraient les dispositions qu’elle contient.
Quant aux programmes scolaires en résonance avec le fait citoyen, il en va comme de la loi, selon la célèbre formule de Montesquieu : « Il n’y faut toucher que d’une main tremblante. »
N’existe-t-il pas, dès l’école primaire, des cours d’enseignement moral et civique et, plus tard, des cours d’histoire-géographie ou de sciences économiques, durant lesquels les valeurs qui fondent et ancrent notre République sont présentées ?
Pourquoi alourdir artificiellement le bréviaire de nos professeurs, alors même que les élèves sont d’ores et déjà invités à penser les formes d’engagement politique, social et associatif ?
Permettez-moi également de douter des sciences politiques que l’on prétend, par ce texte, introduire au collège, discipline dont l’objectivité pourrait être dévoyée par l’idéologie.
M. Éric Kerrouche. N’importe quoi !
M. Olivier Paccaud. L’école, le collège, le lycée doivent contribuer à éveiller, à former la conscience de futurs citoyens éclairés, pas à embrigader de futurs militants espérés. Ce n’est pas seulement, comme cette proposition de loi le postule, parce qu’un adolescent de 16 ans est antiraciste, féministe ou animaliste qu’il doit pouvoir exercer le droit de vote.
M. Éric Kerrouche. Surtout pas…
M. Olivier Paccaud. Enfin, pour mieux enraciner la citoyenneté dans notre jeunesse, votre texte prévoit la création obligatoire d’un conseil municipal de jeunes dans toutes les communes de plus de 5 000 habitants et dans les départements.
Oui aux conseils municipaux de jeunes, qui peuvent se révéler être de remarquables centres de formation d’apprentis citoyens, tout en faisant jaillir quelques salves d’idées rafraîchissantes, mais certainement pas de façon imposée !
En effet, l’obligation dénature, dévalorise et décourage toujours l’intention. Quand un droit devient un devoir, la magie se mue en mécanique. On fait parce qu’il faut faire, non parce qu’on a envie de faire.
Quel dommage de vouloir contraindre, quand on sait que de très nombreuses municipalités, souvent sous ce seuil de 5 000 habitants – dans l’Oise, par exemple, madame la présidente –, ont instauré des conseils de jeunes, sans obligation mais avec enthousiasme !
La liberté n’est-elle pas le pilier de notre pacte républicain ? Avez-vous oublié les libertés des collectivités locales ? Arrêtez de vouloir les caporaliser et de forger de nouveaux carcans !
Faites confiance à l’imagination, à la volonté d’écoute et à la capacité d’innovation des élus locaux. Ils n’ont pas besoin du législateur pour avoir à cœur d’impliquer la jeunesse de leur territoire. Ils mesurent, comme nous, la valeur de cet engagement.
Dieu merci, le texte ne prévoit pas d’éventuelles amendes pour les municipalités rebelles à ce possible diktat ! Il n’en restera pas moins vain, pour ne pas dire contre-productif.
Aux antipodes de cette proposition ubuesque, un dispositif comme le service civique – vous y êtes attachés, je le sais, mes chers collègues – permet aujourd’hui, dès l’âge de 16 ans, de s’investir au service de l’intérêt général et d’engager une approche ô combien formatrice des valeurs et principes inhérents à la citoyenneté. C’est précisément ce type de dispositif qui mériterait d’être poursuivi, amélioré et, pourquoi pas, développé.
En définitive, même si les intentions de ses auteurs se voulaient vertueuses, cette proposition de loi se révèle être bien pauvre et décevante. Elle n’est, en fait, qu’un médiocre exercice d’affichage politique du parti socialiste à l’endroit d’un électorat convoité. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
Loin de comporter un véritable remède au désengagement, elle n’offre pas davantage matière à revitaliser la culture civique de notre jeunesse. C’est dans cet esprit que le groupe Les Républicains s’y opposera. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Patrick Kanner. Quelle surprise !
Mme la présidente. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (M. Guy Benarroche applaudit.)
Mme Mélanie Vogel. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre pays vieillit – c’est une réalité démographique – et la jeunesse est de plus en plus angoissée par la crise climatique et sociale qui assombrit son avenir. Pourtant, elle participe peu, électoralement, aux décisions qui, lui dit-on, conditionnent l’avenir qui l’inquiète tant.
Si l’abstention, qui constitue – rappelons-le – un problème structurel dans nos sociétés, ne touche pas seulement les jeunes, elle est tout de même particulièrement forte dans cette catégorie de population. Ainsi, 82 % des moins de 35 ans se sont abstenus lors des dernières élections régionales, contre 66,7 % pour l’ensemble des électeurs. Il s’agit là de deux records absolus sous la Ve République.
Pourquoi ce paradoxe ? Pourquoi une génération si inquiète pour son avenir ne prend-elle pas davantage part au choix des responsables qui en décideront ? La jeunesse qui ne vote pas serait-elle, comme on l’entend souvent, dépolitisée, désabusée, irresponsable ou démobilisée ?
Rien n’est moins faux. La jeunesse de notre pays est plus politisée que jamais : elle manifeste pour le climat, contre les violences policières ; elle s’investit dans des associations féministes, de protection de l’environnement, pour le bien-être animal ; elle invente de nouvelles façons de consommer qui sont plus éthiques, plus responsables.
Il n’en est pas moins vrai que les jeunes ne partagent pas l’impression que voter leur apportera une meilleure écoute. C’est à ce problème qu’il convient véritablement de répondre, si nous voulons retrouver une vitalité démocratique et électorale dans ce pays.
En général, pour que les gens votent, il faut qu’ils aient le sentiment que ce vote peut changer leur vie. C’est aussi simple que cela. Nous aurons beau leur dispenser des cours de droit constitutionnel et leur expliquer que tel est le cas, tant que les priorités des gens seront le pouvoir d’achat et la planète, tant que l’on discutera de laisser ou non mourir des migrants, ou du menu des réceptions officielles de la ville de Grenoble, ils n’auront pas l’impression qu’il est utile de s’impliquer !
Il faut donc impérativement recentrer le débat public sur les vrais problèmes du siècle : la crise climatique, les nouvelles solidarités, la refondation démocratique. Au-delà, c’est une refonte d’ensemble de nos institutions et de nos politiques qu’il convient de mener.
Le système majoritaire non proportionnel de la Ve République est une machine à créer de la frustration démocratique. Il conduit les responsables politiques à caricaturer plutôt qu’à dialoguer et instaure ce triste constat au moment d’élire nos représentants : toutes les voix ne comptent pas ; seules comptent celles des gagnants.
À quoi bon aller voter quand on se sent marginalisé, méprisé, et quand on prend conscience que, lorsque les chances d’être majoritaire sont faibles, sa propre voix sera perdue ?
Si nous voulons réellement ramener la jeunesse et l’ensemble des citoyens dans l’arène électorale, il faut une réforme profonde de nos institutions ; il faut mettre fin à l’hyperprésidentialisation, renforcer le Parlement, appliquer un scrutin proportionnel aux élections législatives. Ce dernier point est fondamental : il enverrait le message puissant selon lequel chaque voix compte vraiment.
Il faudrait également créer un « 49-3 citoyen ». J’en passe, la liste est longue…
Mais c’est aussi la décision politique elle-même qu’il faut changer. Il faut que nous, politiques, partagions notre pouvoir avec les citoyens. Des modes de démocratie plus directe, plus locale, plus participative, plus collaborative, voilà ce qu’il nous faudra à terme imaginer.
M. François Bonhomme. Et le vote à 16 ans ? (Sourires.)
Mme Mélanie Vogel. J’y viens, mon cher collègue, il me reste du temps !
Mettons fin à ce mythe selon lequel la démocratie représentative et le vote seraient en soi des horizons indépassables, les seuls indicateurs de la participation citoyenne.
Cela étant dit, le sujet qui nous occupe aujourd’hui est plus restreint : il s’agit simplement d’ouvrir le droit de vote à 16 ans. Je vais tenter de vous expliquer pourquoi les écologistes y sont favorables.
Personne n’a dit que cette solution était la seule et l’unique, ni qu’à elle seule elle résoudrait tout. Mais elle va dans le sens de l’Histoire. Il faut que la jeunesse nous demande des comptes, qu’elle pèse dans la décision publique, qu’elle prenne sa place dans la vie démocratique. Elle en a les moyens et la capacité.
J’entends des critiques selon lesquelles, à 16 ans, les jeunes seraient des bébés…
M. François Bonhomme. Il ne faut pas exagérer !
Mme Mélanie Vogel. … incapables d’exercer ce droit. Discutez avec n’importe quel mineur dans une manifestation sur le climat ! Vous verrez qu’il sera bien plus politisé et capable d’exprimer un choix démocratique que nombre d’électeurs.
J’entends d’autres critiques selon lesquelles les majorités civile et électorale doivent être concomitantes. Or cela n’a pas toujours été le cas dans l’Histoire et n’a rien d’immuable. Aujourd’hui, à 16 ans, on peut avorter, exercer l’autorité parentale ou encore travailler et donc payer des impôts. Certains ne se gênent pas pour vouloir abaisser la majorité pénale, mais quand il s’agit du droit de vote, cela les dérange…
En ce qui concerne la dissociation entre l’éligibilité et le droit de vote, je crois que notre collègue Olivier Paccaud a oublié que, parmi les gens qui l’ont élu, certains ne devaient pas être éligibles au mandat de sénateur… (Mme Martine Filleul ainsi que MM. Guy Benarroche et Rémi Cardon applaudissent.)
Par ailleurs, les travaux de sociologie le montrent : plus les jeunes attendent pour participer à la vie politique, moins ils s’engagent à l’âge adulte.
Voilà pourquoi nous n’avons plus le temps d’adresser une fin de non-recevoir aux demandes d’implication politique de la jeunesse. Le groupe écologiste votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jérémy Bacchi.
M. Jérémy Bacchi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, « comme un baromètre, le niveau d’abstention est un indicateur du climat de l’opinion, du lien entre les citoyens et leur représentation politique, et plus largement de l’état de santé du système démocratique ». Ces mots de la sociologue Anne Muxel, spécialiste de la participation politique, datent de 2007 – ils résonnent d’autant plus aujourd’hui.
Nous constatons à chaque élection un taux d’abstention particulièrement fort et les jeunes sont parmi les premiers à ne pas se diriger vers les urnes. Si l’élection présidentielle mobilise toujours, la participation des 18-24 ans est inférieure en 2017 à la moyenne générale. Ce taux s’effondre à 31 % pour les élections législatives, puis à 28 % pour les élections municipales et enfin à 17 % pour les dernières élections régionales et départementales…
En tant que représentants de la République, ces chiffres ne peuvent que nous accabler et nous partageons l’objectif de cette proposition de loi de lutter contre l’abstention massive de nos jeunes.
Mais la réponse de nos collègues du groupe SER correspond-elle à la bonne question, à ce problème que nous identifions toutes et tous ? Nous ne le pensons pas.
Avant toute chose, nous tenons à dire que nous ne sommes pas opposés à encourager la participation politique des moins de 18 ans. Les dernières grandes manifestations pour le climat, les droits des femmes ou la lutte contre le racisme ont été de tels succès notamment grâce à la présence de ces jeunes.
Ce que nous ne partageons pas, c’est le raccourci entre le problème de l’abstention et l’élargissement de l’électorat à une population plus jeune, qui elle-même ne le demande pas.
Pire, une telle proposition entretient la confusion entre les droits et devoirs rattachés à la majorité électorale et ceux rattachés à la majorité civile et pénale. Distinguer ces majorités risquerait d’affaiblir la protection actuelle des mineurs, dont la responsabilité pénale est atténuée concernant les sanctions et pour lesquels peuvent être décidées des mesures d’assistance ou d’éducation. Nous ne sommes plus dans le même débat que dans les années 1970, où était en jeu un abaissement plus général de la majorité civile.
L’abstention des jeunes nous renvoie à l’état de notre démocratie, à l’état du lien entre les citoyens et leurs représentants. Ce lien est aujourd’hui abîmé.
Pour ramener les plus jeunes électeurs aux urnes, il faut susciter leur intérêt politique ; cela passe par les politiques publiques que nous votons et qui ne sont pas assez orientées vers ce public, ses besoins et ses attentes.
Avant de se lancer sans crier gare dans un élargissement de l’électorat, attelons-nous à rapprocher la politique des électeurs actuels. Ces dernières années a été dénoncé le manque de transparence de la vie politique et de reconnaissance des électeurs ou du vote blanc.
Le droit de vote ne fait pas tout, il ne s’entretient pas par le seul fait d’exister. La croyance en son utilité est essentielle, tout comme l’apprentissage de ce rituel républicain.
Comme l’explique la sociologue Céline Braconnier, « si on se contente d’abaisser l’âge sans interroger le rôle de l’école, on risque de ne faire qu’augmenter l’abstention ». À ce titre, nous défendons le développement de lieux et de moments où l’éducation politique se déploie. C’est par les libertés citoyennes et politiques que se forge l’opinion des jeunes, et nous sommes contre le musellement de l’expression des élèves dans les cours des lycées, élèves auxquels l’article L. 511-2 du code de l’éducation demande aujourd’hui une « neutralité » qui est bien illusoire.
Nous ne pensons pas que les articles 2 et 3 de cette proposition de loi puissent apporter quelque chose de nouveau. Plutôt que d’alourdir de manière répétitive les programmes existants, il conviendrait de revaloriser l’enseignement moral et civique qui ne représente que trente minutes par semaine. Les objectifs cités dans ce texte sont déjà censés être largement couverts et la proposition qui nous est faite peut être vue comme une défiance envers le corps enseignant, lequel fait pourtant au mieux avec les moyens qui lui sont attribués et qui sont malheureusement si faibles.
La normalisation de la participation électorale permettrait aussi de rendre l’acte de vote plus naturel. En France, les échéances électorales sont espacées et les citoyens sont finalement peu sollicités en comparaison, par exemple, avec le système suisse et ses référendums. La proximité des élections présidentielle et législatives a aussi fait perdre de la valeur à ces dernières élections, souvent considérées comme une simple validation de la première.
Enfin, je voudrais évoquer le phénomène de la mal-inscription ou de la non-inscription sur les listes électorales, qui a concerné 13 millions de personnes en 2017. Ce sont les citoyens les plus mobiles qui sont particulièrement concernés, ainsi que les étudiants et les jeunes. Ne pas être inscrit dans le bureau de vote de sa commune multiplierait par trois le risque d’être un abstentionniste constant. La réforme de l’inscription va dans le bon sens, en permettant un allongement des délais, mais d’autres dispositifs sont à trouver pour faire du vote non pas un fardeau administratif, mais bien un droit des citoyens inhérent à leur quotidien.
Pour toutes ces raisons, nous voyons en cette proposition de loi un appel à lutter contre l’abstention, mais la solution de nos collègues manque son objectif. C’est pourquoi le groupe CRCE ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’abstention suscite des craintes bien légitimes, car chaque fois qu’elle progresse, c’est la démocratie qui s’affaiblit et qui recule.
Malheureusement, depuis plusieurs décennies, notre vie électorale est marquée par une abstention récurrente. Si dans les années 1970, la participation était supérieure à 80 %, l’abstention a depuis progressé de façon régulière pour dépasser aujourd’hui la moitié des inscrits.
Seule l’élection présidentielle semble échapper, pour le moment, à cette tendance. Elle reste l’élection qui enregistre les taux de participation les plus élevés. Néanmoins, au premier tour du scrutin présidentiel de 2017, un tiers des 18-25 ans n’a pas voté.
Plus récemment, lors des élections départementales et régionales de juin 2021, plus de 60 % des électeurs ne se sont pas déplacés et ces chiffres ont atteint 86 % chez les jeunes.
Devant ce constat d’affaiblissement de la participation électorale, de nombreuses initiatives parlementaires ont vu le jour. Ainsi, la proposition de loi que nous examinons cet après-midi entend apporter une solution à l’abstention massive des jeunes âgés de 18 à 24 ans. Elle vise notamment à ouvrir le droit de vote dès l’âge de 16 ans et à instituer des conseils de jeunes dans les communes de plus de 5 000 habitants, ainsi qu’au sein des conseils départementaux.
Les dispositions de ce texte appellent plusieurs remarques.
Tout d’abord, la majorité électorale et la majorité civile sont fixées à 18 ans depuis la loi du 5 juillet 1974 et l’ouverture du droit de vote à 16 ans irait à l’encontre de la Constitution qui fait coïncider les majorités électorale et civile : abaisser la première exigerait soit une révision constitutionnelle, soit l’abaissement concomitant de la seconde.
Ensuite, il ne semble pas opportun d’examiner de telles dispositions dans le simple cadre de l’ordre du jour réservé à un groupe parlementaire. L’importance du sujet nécessite un débat beaucoup plus large au niveau national.
Enfin, les dispositions visant à renforcer les obligations pesant sur les collectivités territoriales en matière de conseils de jeunes sont, à mon sens, malvenues. Bien au contraire, il apparaît primordial de sauvegarder l’initiative et l’autonomie des élus municipaux et départementaux en la matière.
L’article 55 de la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté prévoit d’ores et déjà qu’une collectivité territoriale ou un EPCI peut créer un conseil de jeunes pour émettre un avis sur les décisions relevant notamment de la politique de la jeunesse. Faisons confiance aux élus pour faire participer les jeunes de leur territoire à la vie démocratique, sans les étouffer par des contraintes excessives.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, devant le constat préoccupant du faible taux de participation électorale, nombreux sont les élus à avoir réagi.
Nos collègues du Nord Jean-Pierre Decool et Dany Wattebled ont voulu apporter leur contribution à travers une étude sur les sources de l’abstention et les outils pour lutter contre ce phénomène, publiée en novembre dernier. Ils proposent notamment d’ouvrir aux lycéens la possibilité de venir aider techniquement les assesseurs dans les bureaux de vote afin de les sensibiliser à la vie démocratique. Cette mesure, qui relève de la partie réglementaire du code électoral, m’apparaît pertinente.
Il faut également renforcer – nous en débattions la semaine dernière – l’éducation civique et morale et le service civique.
Je vais prendre un autre exemple. Je préside l’association départementale des communes forestières de la Meuse ; nous avons mis en place un dispositif que nous avons appelé Forêt pédagogique : ce très bel outil permet, en lien avec les enseignants, de sensibiliser les enfants aux questions liées à la gestion forestière et au rôle des élus en la matière.
Pour conclure, le groupe Les Indépendants ne votera pas en faveur de cette proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.
M. Jean-Pierre Corbisez. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, chère Martine Filleul, défiance vis-à-vis de la classe politique, mise en cause de la démocratie représentative, perte de confiance à l’égard des institutions, multiplication des inquiétudes quant à l’avenir, qu’il s’agisse de la crise sanitaire, du réchauffement climatique ou encore des nombreuses fractures qui fragilisent nos sociétés, les explications sont multiples et le diagnostic est aujourd’hui bien établi pour éclairer la crise citoyenne qui affecte notre pays et touche davantage encore les plus jeunes de nos concitoyens.
Je suis de ceux qui pensent que toute initiative qui poursuit l’objectif de trouver des remèdes à cette crise mérite d’être soulignée et encouragée.
Pour répondre à notre collègue Arnaud de Belenet, j’ai moi-même déposé en janvier dernier une proposition de loi pour rendre le vote obligatoire, comme en Belgique et dans d’autres pays du nord de l’Europe, et faciliter l’exercice du droit de vote. J’espère que nous aurons l’opportunité d’en débattre un jour…
Bien évidemment, aucune de ces propositions n’apportera à elle seule de solution miracle et nous sommes tous ici suffisamment aguerris pour être conscients qu’une telle solution n’existe pas. J’en suis persuadé, c’est par la conjonction de nos propositions, la confrontation de nos idées et la convergence de notre volonté commune de recréer cette conscience politique et citoyenne, qui fait cruellement défaut et met en danger notre République, que nous parviendrons à infléchir cette courbe préoccupante, pour ne pas dire dangereuse.
Alors oui, j’entends les objections de notre rapporteure sur les risques attachés à la décorrélation entre la majorité civile et la majorité civique et sur la nécessité d’en passer par une révision constitutionnelle.
Oui, je comprends ses réserves quant à la préservation de la liberté des collectivités et à la nécessité de leur faire confiance pour renforcer l’implication des plus jeunes dans leurs instances participatives.
Et oui, les programmes scolaires prévoient déjà l’enseignement des bases de notre système politique et de l’histoire de nos institutions.
Mais force est de constater que ce n’est pas suffisant. Tant s’en faut ! Les causes de cette crise sont multiples et les solutions doivent l’être aussi.
Pour utiliser une expression devenue commune aujourd’hui, ne faut-il pas provoquer un choc de la citoyenneté ? N’est-il pas temps d’en passer par plus d’encadrement, voire de contraintes, pour accompagner cette transformation nécessaire de notre société ? Sauf à considérer que ce déclin du fait politique n’est pas réversible, ce à quoi je ne me résigne pas !
Je sais parfaitement que la citoyenneté ne se dicte pas et qu’elle doit se construire par un travail de conviction et d’explication, par une compréhension de ses enjeux, par une conscientisation des combats et des sacrifices qui ont permis à chacun de pouvoir aujourd’hui exercer ses droits de citoyen libre et éclairé. Mais chacun sait aussi les dangers qui guettent notre démocratie. Une échéance électorale fondamentale se profile et nous voyons tous se multiplier les discours extrêmes, les provocations et les incitations à accroître les fractures et les tensions.
La crise démocratique devient pour certains un argument de campagne et alimente le climat nauséabond de « dégagisme » général, porté par ceux qui se disent en dehors du système, mais dont le seul but est de le conquérir…
Il est de notre responsabilité de montrer à nos concitoyens que les élus de la République ont pleinement conscience de ces problématiques et qu’ils s’en emparent pour tenter d’y apporter des réponses, aussi imparfaites et insuffisantes soient-elles…
La proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui apporte sa contribution à cette nécessaire réflexion. Et les arguments sont tout aussi nombreux pour la défendre.
Des analyses montrent que voter jeune produit des citoyens durablement mobilisés lors des élections. Notre société a changé : à 16 ans, la maturité et l’autonomie sont déjà très avancées et c’est un âge auquel des responsabilités importantes sont déjà attachées – possibilité de travailler, apprentissage de la conduite, responsabilité pénale, engagement bénévole, etc. D’autres pays se sont déjà engagés sur cette voie et le Conseil de l’Europe s’y déclare favorable.
Enfin, voter à 16 ans n’est-il pas tout simplement une nouvelle étape dans l’histoire de notre droit de vote, qui a été étendu à mesure que la société se transformait ?
Aussi, quand bien même le groupe du RDSE se prononcera en grande majorité contre ce texte, je souhaite soutenir l’initiative de notre collègue Martine Filleul.
Chacun sait que les lycéens ont leurs codes, leur système de réflexion – j’ai la chance d’en avoir deux à la maison… C’est à nous de les comprendre, en les autorisant à s’exprimer. Je ne prendrai qu’un exemple : aux dernières élections régionales, une candidate tête de liste dans les Hauts-de-France a fait une première affiche devant laquelle les lycéens passaient sans s’y intéresser ; elle en a alors placardé une autre sous forme de dessin, de manga d’une certaine façon, et d’un seul coup les jeunes ont « kiffé grave » – veuillez m’excuser pour cette expression. (Sourires.) Cet exemple nous montre bien que, si on ne pénètre pas le monde des jeunes, on ne peut pas les comprendre.
Il me semble que si nous ouvrons le droit de vote à 16 ans, les jeunes de 18 à 25 ans, qui sont dans une période critique de leur vie, deviendront plus facilement des citoyens à part entière. (Mme Martine Filleul applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner.
M. Patrick Kanner. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier les collègues qui ont bien voulu rappeler les apports de la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté – cela fait évidemment plaisir à l’ancien ministre qui portait ce texte.
Notre collègue Éric Kerrouche a parfaitement exposé la position de notre groupe sur la question du vote à 16 ans. Je vais profiter du temps, court, qui m’est imparti pour évoquer le traitement que vous réservez, madame la secrétaire d’État, à la jeunesse de ce pays, en dehors des vidéos TikTok que vous publiez…
J’étais interpellé mercredi dernier par les mots que vous avez prononcés ici même. Je vous ai écouté vous enorgueillir de votre bilan à l’égard de la jeunesse : à vous entendre, vous auriez tout fait et tout bien fait.
Oui, la jeunesse est insaisissable. Elle est diverse. Cependant, les faits sont têtus.
Avant même la crise du covid, le Secours catholique relevait que le niveau de vie des 15-34 ans s’était très largement dégradé au regard du seuil de pauvreté. N’avez-vous pas vu ces milliers de jeunes faire la queue à la soupe populaire ? Que répondez-vous ? Vous baissez les aides personnalisées au logement et vous leur refusez un revenu minimum que nous avons proposé.
Nombre d’études montrent aussi que la jeunesse perd le paradigme du collectif, c’est-à-dire de l’État, des partis politiques, des syndicats, qui n’appartiennent pas à leur mémoire collective. Vous faites mine de vous en étonner.
Cette jeunesse partage pourtant un engagement commun : la protection de la planète. Qu’avez-vous fait ? Une loi Climat bien en deçà de ce que réclame la cause, un simulacre de participation citoyenne et pas une place accordée aux jeunes dans le débat.
Les jeunes ne sont plus que 11 % à considérer qu’ils peuvent avoir une influence réelle sur les destinées de la France, selon la dernière étude de Frédéric Dabi, intitulée La Fracture. Entre les jeunes qui occupent des postes moins qualifiés que leurs parents et des emplois disponibles inférieurs au niveau de formation, la désillusion est très grande.
Que leur proposez-vous ? L’entrepreneuriat individuel, l’ubérisation, la précarisation… Le Président de la République n’a-t-il pas dit lui-même que travailler pour Uber soixante ou soixante-dix heures en touchant le SMIC permettait au moins d’entrer dans la dignité ?
Et vous, tranquillement, vous considérez qu’avec des demi-mesures comme les vacances apprenantes, la rénovation de quelques logements, un chèque psy, le BAFA ou un contrat d’engagement, assumé comme une pâle copie de la garantie jeunes, vous répondez aux aspirations de la jeunesse.
Mais quelle société leur proposez-vous ? C’est le cœur du problème !
Selon l’Insee, les syndromes dépressifs chez les 18-29 ans sont en forte augmentation. Le niveau de bonheur s’effondre, selon Frédéric Dabi. En 2021, 42 % des jeunes de 18 à 30 ans déclarent nécessaire d’avoir un idéal pour vivre : ce chiffre n’a jamais été aussi bas ; il était deux fois plus élevé il y a seulement vingt ans. La chute est vertigineuse. La jeunesse partage majoritairement la conviction que le monde tel qu’il est va vers une forme inconnue de désastre.
La société que vous leur proposez est un monde où les jeunes sont sommés de gagner une place dans la compétition planétaire, un monde qui oppose celles et ceux qui bénéficient du système à celles et ceux qui ne parviennent pas à y entrer.
À l’arrivée, il y a ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien, comme l’explique le Président de la République qui exhorte les jeunes Français à vouloir devenir milliardaires en traversant la rue…
L’impératif de réussite s’est imposé. Performant, compétitif, flexible, souvent issu d’un milieu culturellement favorable, tel est le profil du jeune « winner » dans la perspective darwinienne de l’économie libérale que vous proposez et que vous revendiquez depuis le premier jour – je vous le reconnais. L’individu que vous voulez est non pas un coopérateur, mais un compétiteur.
Ce système est une machine à broyer la solidarité, un système que vous appuyez sur l’illusion méritocratique : « quand on veut, on peut », tel est votre mantra.
Vous considérez qu’au fond celui qui « réussit », c’est parce qu’il en a les qualités : il s’est efforcé d’y parvenir et donc il a une dignité supplémentaire par rapport à celui qui n’a pas « réussi », parce qu’il serait paresseux, incompétent, sans talent. C’est une analyse erronée qui vous permet de dire aux individus qu’ils sont seuls responsables de leur destin, et de mettre en œuvre des politiques conservatrices plutôt que de remettre en cause ce déterminisme social et culturel.
Je sais, avec Charles Péguy, qu’« un beau soir, l’avenir s’appelle le passé, c’est alors qu’on se tourne et qu’on voit sa jeunesse ».
Madame la secrétaire d’État, je m’inquiète pour notre jeunesse, la jeunesse de notre pays. Notre proposition de loi est, à l’inverse, un message de confiance et d’espoir. C’est pour cette raison que je demande au Sénat de la soutenir. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État. Notre débat portait jusqu’alors sur la manière d’accompagner au mieux les jeunes dans le parcours pour devenir citoyen, mais cette dernière intervention nous engage quasiment sur la voie d’une déclaration de politique générale…
Sachez, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement a plus que jamais confiance dans la jeunesse. Nous croyons fondamentalement que ce sont l’éducation et le travail qui permettent son émancipation, et nous accompagnons chaque jeune sur ce chemin.
Le débat qui nous occupe aujourd’hui est de savoir comment les jeunes s’engagent, comment ils deviennent des citoyens à part entière, comment ils acquièrent de la confiance. Et je dois vous dire que, dans la situation où nous sommes aujourd’hui, nous ne croyons pas à la baguette magique du droit de vote à 16 ans.
Nous souhaitons renforcer l’éducation civique et morale et l’éducation populaire, nous souhaitons que les enseignants disposent de plus de temps.
Oui, nous croyons au programme des vacances apprenantes, monsieur le sénateur Kanner : il permet à un million de jeunes, qui ne le pourraient pas autrement, de partir en vacances, par exemple en colonie, de découvrir d’autres territoires.
Oui, nous rénovons des bâtiments universitaires, même si nous savons bien que ce n’est sûrement pas assez et qu’il reste à faire.
Nous faisons confiance à la jeunesse, en l’incitant à voyager et à grandir. Pour cela, nous développons le service civique, en particulier au niveau européen où s’organise un corps européen de solidarité.
Monsieur le sénateur Kanner, ce que nous souhaitons pour notre jeunesse, c’est qu’elle soit pleinement actrice de sa vie. Pour cela, il n’y a pas de baguette magique. Vous en avez appelé au RSA, nous en appelons au contrat d’engagement qui permet de travailler et qui, par conséquent, libère.
Notre débat, je le disais, portait sur la citoyenneté, sur le renforcement de l’éducation civique et morale, sur la confiance dans nos institutions, sur l’accompagnement des élus locaux qui font déjà tellement pour faire vivre la démocratie dans nos territoires.
Le Gouvernement a montré qu’il accompagnait étape par étape l’apprentissage de la citoyenneté. De votre côté, monsieur le sénateur Kanner, vous avez souhaité faire une déclaration de politique générale.
M. Patrick Kanner. Nous jugerons votre bilan !
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État. Vous avez raison, les Français jugeront notre bilan dans les urnes, mais je voulais tout simplement rappeler que notre débat portait sur la citoyenneté.
Je ne serai pas plus longue, monsieur le sénateur, madame la présidente, afin que vous puissiez terminer l’examen de ce texte dans les temps impartis à cet ordre du jour réservé.
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
proposition de loi pour un nouveau pacte de citoyenneté avec la jeunesse par le vote à 16 ans, l’enseignement et l’engagement
Chapitre IER
Un droit de vote élargi
Article 1er
À l’article L. 2 du code électoral, le mot : « dix-huit » est remplacé par le mot : « seize ».
Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme, sur l’article.
M. François Bonhomme. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, fort logiquement, chacun a défendu le principe de participation, ce qui peut très bien se faire ; je ferai simplement remarquer que l’on peut tout aussi bien admettre la liberté de ne pas participer, y compris chez les jeunes. Nous sommes un pays de liberté, ce qu’il faut entendre dans toute son acception.
Selon moi, la participation est une invitation et non une injonction, même si elle a dans le passé souvent servi de prétexte pour faire adopter des mesures qui en étaient somme toute très éloignées. En témoignent bien des textes que notre assemblée a eu à examiner : l’instauration d’une circonscription nationale pour les élections européennes, par exemple, qui n’a pourtant pas bouleversé la donne en matière de participation, ou encore certaines propositions qui auraient rendu le vote électronique obligatoire, alors même que cela viendrait fragiliser la sérénité du vote. En somme, la participation ne doit pas être un totem !
En outre, l’abaissement de la majorité électorale à 16 ans pose des problèmes juridiques substantiels, quand bien même M. Kerrouche préfère les ignorer, ce que je peux comprendre, mais ces problèmes ne sont pas seulement juridiques. Ainsi, d’un point de vue sociologique, une telle mesure serait en décalage avec les attentes qu’expriment le plus souvent les jeunes de moins de 18 ans. S’ils se sentent concernés par la politique, il leur arrive aussi de choisir d’autres modes d’engagement, que ce soit les défilés – je pense notamment aux manifestations pour le climat –, les prises de parole ou les interpellations. Cet aspect-là ne doit donc pas être négligé non plus.
Alors, quel est le bon âge pour disposer du droit de choisir ses représentants ? La question est compliquée, comme toute question portant sur une limite. Un jour, l’anniversaire de ses 18 ans, on est supposé soudain être éclairé ; c’est évidemment une conception dont on pourrait discuter à loisir.
À quelles conditions une personne peut-elle disposer de la capacité à intervenir dans les choix collectifs par son vote ? Selon moi, la solution est simplement de caler la majorité électorale sur la majorité civile.
J’estime surtout que la mesure ici proposée est une mesure de circonstance, qui vise peut-être simplement à secourir la candidate socialiste à l’élection présidentielle, laquelle est en état de déperdition et de déréliction… (Protestations sur les travées du groupe SER.) Si cela peut y contribuer, pourquoi pas ?
Mme la présidente. Votre temps de parole est écoulé, mon cher collègue !
M. François Bonhomme. Veuillez excuser mes propos, madame la présidente !
Mme la présidente. Je vous en prie, mon cher collègue : la parole est complètement libre dans l’hémicycle.
La parole est à M. Yan Chantrel, sur l’article.
M. Yan Chantrel. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’estime que l’adoption de cette proposition de loi constituerait une avancée démocratique très importante.
Pour s’en rendre compte, il faudrait peut-être donner la parole aux premières personnes concernées et les écouter. Je vous invite à faire cet exercice, que j’ai accompli moi-même : je me suis rendu au lycée Lucie-Aubrac de Courbevoie, où j’ai pu discuter avec deux classes de terminale. Eh bien, mes chers collègues, je peux vous dire que ces échanges étaient vraiment passionnants, revivifiants et même, me disais-je parfois, plus intéressants que ce que certains adultes peuvent produire, y compris dans cet hémicycle au vu des discussions précédentes !
Alors, pourquoi ne pas faire confiance à ces jeunes qui ont plein de choses à nous dire, à apporter au débat et à la vie publique ? D’ailleurs, à l’issue de ces échanges, j’ai pu constater que ces lycéens étaient majoritairement en faveur de cette mesure. Ils faisaient cependant preuve d’une grande maturité ; ce que je les ai entendus dire le plus souvent, c’est qu’ils voulaient pouvoir prendre part au vote, mais se sentaient parfois quelque peu mal informés, mal outillés. Telle est justement toute l’utilité du présent texte, puisqu’un parcours est prévu pour les initier à la science politique et à l’exercice du droit de vote.
C’est pourquoi adopter cette proposition de loi permettrait de pleinement inclure la jeunesse de notre pays dans la vie démocratique.
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous informe que nous pouvons prolonger la séance jusqu’à vingt heures dix : des quatre heures écoulées, il convient en effet de retrancher cinq minutes de suspension de séance, ainsi que les quelques minutes de l’incident de séance provoqué par l’un de nos collègues.
Je mets aux voix l’article 1er.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 65 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 324 |
Pour l’adoption | 76 |
Contre | 248 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Article 2
Après la section 8 du chapitre II du titre Ier du livre III de la deuxième partie du code de l’éducation, est insérée une section 8 bis ainsi rédigée :
« Section 8 bis
« Initiation aux sciences politiques et à l’histoire de la vie politique française et européenne
« Art. L. 312-15-1. – Les élèves de collège sont initiés aux sciences politiques et à l’histoire de la vie politique française et européenne au moyen d’une démarche pédagogique adaptée.
« Cet enseignement a pour objectif l’acquisition de connaissances relatives aux différents courants de la pensée politique ainsi que l’information des élèves sur les différents moyens de participation des citoyens à la vie démocratique et sur les modalités d’exercice de leurs droits civiques dont le droit de vote.
« Cet enseignement est obligatoire et fait l’objet d’une évaluation. »
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 n’est pas adopté.)
Article 3
Après le neuvième alinéa de l’article L. 721-2 du code de l’éducation, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Ils préparent les enseignants et futurs enseignants à l’enseignement des sciences politiques et de l’histoire de la vie politique française et européenne. »
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 3.
(L’article 3 n’est pas adopté.)
Chapitre II
Déploiement des conseils des jeunes
Article 4
L’article L. 1112-23 du code général des collectivités est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« Une collectivité territoriale ou un établissement public de coopération intercommunale peut créer un conseil de jeunes. Il émet un avis sur les décisions relevant notamment de la politique de jeunesse, et peut formuler des propositions d’actions, des rapports et des avis. Les travaux du conseil des jeunes sont rendus publics par la collectivité.
« Ce conseil est obligatoire pour toutes les communes de plus de 5 000 habitants et les départements. » ;
2° Le début de la première phrase du deuxième alinéa est ainsi rédigé : « Le conseil de jeunes mentionné au premier alinéa est composé d’au moins quinze membres de moins de trente… (le reste sans changement). »
Mme la présidente. Mes chers collègues, avant de mettre aux voix l’article 4, je vous informe que, comme les articles précédents n’ont pas été adoptés, si celui-ci ne l’était pas non plus, l’article 5 deviendrait sans objet.
En conséquence, il n’y aurait dans ce cas plus lieu de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, tous les articles la constituant ayant été rejetés ou étant devenus sans objet. Aucune explication de vote sur l’ensemble ne sera possible.
Je vous invite donc à prendre la parole maintenant, si vous souhaitez vous exprimer sur ce texte.
La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote sur l’article.
M. Éric Kerrouche. Il n’a jamais été question de prétendre ici que l’abaissement de la majorité électorale à 16 ans serait la solution qui viendrait battre en brèche l’abstention. Seulement, à force d’empêcher toutes les mesures techniques qui pourraient améliorer l’accès au vote, on contribue mécaniquement à favoriser l’abstention. C’est aussi simple que cela !
Or c’est bien ce qui se produit systématiquement dans cet hémicycle depuis un an et demi, au sujet tant des modalités de vote que de l’abaissement de la majorité électorale. À force de ne pas affronter cette difficulté, nous confortons nous-mêmes les facteurs d’abstention. Je regrette que l’on n’ait pas pris la mesure de ces difficultés.
Par ailleurs, que M. Paccaud ait un problème avec les sciences humaines et singulièrement avec la science politique ne m’étonne pas du tout ! (M. Olivier Paccaud s’en étonne.) Nous pourrons éventuellement en discuter ensemble, mon cher collègue, mais je veux déjà vous répondre sur le point précis de l’instauration de conseils de jeunes dans les communes de plus de 5 000 habitants pour encourager la participation.
Premièrement, monsieur Paccaud, la libre administration des collectivités n’a jamais été synonyme de libre gouvernement : c’est un principe édicté par le Conseil constitutionnel depuis très longtemps.
Deuxièmement, ce que nous proposons n’est pas un diktat. Vous n’ignorez nullement qu’en matière de démocratie participative de multiples obligations figurent dans la loi. Parfois, une obligation est une condition nécessaire pour faire éclore la démocratie ; je vous renvoie, par exemple, aux mesures sur la parité.
Bref, il ne faut pas fermer toutes les portes, car quand toutes les portes sont closes, celle de l’expression démocratique l’est aussi. Je veux nous mettre collectivement en garde contre la fuite en avant qui consiste à prétendre que l’abstention est bien trop importante pour qu’on la prenne au sérieux en adoptant ce qui est considéré comme des mesurettes,…
Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur Kerrouche !
M. Éric Kerrouche. … alors que ce sont ces mesurettes qui font la démocratie !
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 4.
(L’article 4 n’est pas adopté.)
Chapitre III
Dispositions diverses
Article 5
La présente loi entre en vigueur le 1er janvier 2022.
Mme la présidente. Je rappelle que, les articles précédents n’ayant pas été adoptés, l’article 5 est devenu sans objet.
Tous les articles de la proposition de loi ayant été rejetés ou étant devenus sans objet, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire.
En conséquence, la proposition de loi pour un nouveau pacte de citoyenneté avec la jeunesse par le vote à 16 ans, l’enseignement et l’engagement n’est pas adoptée.
9
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 14 décembre 2021 :
À neuf heures trente :
Questions orales.
À quatorze heures trente et le soir :
Sous réserve de sa transmission, nouvelle lecture du projet de loi de finances pour 2022 ;
Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la protection des enfants (texte de la commission n° 75, 2021-2022).
En outre, de quatorze heures trente à quinze heures en salles des Conférences :
Scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures cinq.)
nomination de membres de deux missions d’information
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 du règlement, les listes de candidatures préalablement publiées sont ratifiées.
Mission d’information sur le thème : « Excellence de la recherche / innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l’erreur française »
MM. Serge Babary, Yves Bouloux, Yan Chantrel, Patrick Chauvet, Mmes Laure Darcos, Patricia Demas, Françoise Dumont, Corinne Imbert, Annick Jacquemet, Gisèle Jourda, M. Christian Klinger, Mme Marie-Noëlle Lienemann, MM. Jean-Pierre Moga, Thani Mohamed Soilihi, Mmes Guylène Pantel, Vanina Paoli-Gagin, MM. Cédric Perrin, Christian Redon-Sarrazy et Daniel Salmon.
Mission d’information sur : « L’exploration, la protection et l’exploitation des fonds marins : quelle stratégie pour la France ? »
MM. Stéphane Artano, Hussein Bourgi, Alain Cadec, Michel Canévet, Laurent Duplomb, Jacques Fernique, Philippe Folliot, Joël Guerriau, Jean-Michel Houllegatte, Mmes Micheline Jacques, Muriel Jourda, M. Gérard Lahellec, Mme Vivette Lopez, MM. Didier Mandelli, Pascal Martin, Mmes Laurence Muller-Bronn, Angèle Préville, Catherine Procaccia et M. Teva Rohfritsch.
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER