Mme le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en introduction de mon propos, permettez-moi de vous faire part de mon émotion et de ma satisfaction de voir la Haute Assemblée examiner ce texte.
Mon émotion, d’abord, car nous débattons d’un texte qui concerne 340 000 enfants dans notre pays et pas n’importe lesquels : des enfants au parcours de vie souvent difficile, voire chaotique, qui doivent être protégés et accompagnés. Le sort de ces enfants, qui se considèrent bien souvent comme les « enfants de personne », est aujourd’hui au cœur de nos débats.
Ma satisfaction, ensuite, car ce texte comporte, monsieur le secrétaire d’État, de belles avancées pour améliorer le quotidien et l’accompagnement des enfants sous protection. J’y reviendrai.
Malgré les avancées majeures que les lois de 2007 et de 2016 ont consacrées, de nombreux dysfonctionnements subsistent et nécessitent un renforcement de notre système de protection de l’enfance. Ce projet de loi prévoit ainsi de changer le regard que la société porte sur les enfants pris en charge par l’ASE, l’objectif étant de garantir leurs droits. Il s’inscrit ainsi dans la stratégie globale proposée au Gouvernement par la commission des 1 000 premiers jours, présidée par Boris Cyrulnik et qui a fait l’objet d’une large concertation.
Ce texte, je le disais, comporte de belles avancées.
Je pense ainsi à l’accueil prioritaire des fratries dans un même lieu, car nous ne pouvons tolérer que soient séparés des frères et sœurs qui partagent des liens affectifs et une histoire commune.
Je pense aussi au renforcement de l’accès aux soins et à la continuité des soins, en particulier pour les enfants en situation de handicap, alors que le temps d’attente pour obtenir un premier rendez-vous dans un centre médico-psycho-pédagogique (CMPP) s’élève parfois à deux ans.
Je pense également au renforcement du contrôle du personnel exerçant dans le secteur social et médico-social, mais aussi à celui de la prévention et de la lutte contre la maltraitance, ainsi qu’à la création d’un référentiel national d’évaluation des situations de danger ou de risque de danger pour l’enfant. Ces mesures répondent à une forte demande des acteurs de la protection de l’enfance.
Je pense en outre à l’amélioration de l’exercice du métier d’assistant familial, cette profession faisant face à de nombreuses difficultés, puisque 40 % des assistants familiaux partiront à la retraite au cours des quatre prochaines années.
Je pense enfin aux dispositions relatives au pilotage de la politique de prévention et de protection de l’enfance, ainsi qu’aux mesures qui permettront de mieux protéger les mineurs non accompagnés, dans la continuité des propositions que Laurent Burgoa, Hussein Bourgi, Henri Leroy et moi-même avions formulées.
La protection des enfants doit nous rassembler au-delà des clivages qui existent au sein de cet hémicycle, car nous, parlementaires, sommes aussi des parents, des grands-parents, des oncles et des tantes et peut-être même d’anciens enfants placés. Or accepterions-nous que nos enfants, nos petits-enfants, nos neveux, nos nièces soient hébergés dans des hôtels sociaux sans accompagnement ? Accepterions-nous que, à 18 ans, ils soient livrés à eux-mêmes, sans ressources, sans perspectives, alors même que l’âge moyen de décohabitation se situe, dans notre pays, autour de 25 ans ? Évidemment non !
Alors pourquoi le tolérer pour les enfants qui sont censés être protégés par l’institution ? Comment accepter ces traitements inégaux d’un département à l’autre, ces 101 politiques différentes de protection de l’enfance, qui ne donnent pas aux enfants les mêmes droits selon leur lieu de naissance et de vie ?
Ces situations, qui résonnent comme autant de drames humains, étaient encore méconnues il y a quelques années, mais elles ont fait l’objet de reportages, de témoignages et de mobilisations qui ont permis d’éveiller la société. Grâce à des lanceurs d’alerte, à des travailleurs sociaux dévoués et à d’anciens de l’ASE, nous ne pouvons plus fermer les yeux.
Un seul intérêt doit guider nos débats : celui de l’enfant, supérieur à toute autre considération.
C’est pourquoi nous proposerons de revenir au délai d’un an initialement prévu pour la mise en œuvre de l’interdiction de l’hébergement hôtelier. Cette problématique nous rappelle tristement le drame survenu il y a deux ans, presque jour pour jour.
Le 20 décembre 2019, Jess, 17 ans, placé à l’aide sociale à l’enfance, était poignardé à mort dans un hôtel social de Suresnes, ma commune, par un autre enfant placé. Vous aviez d’ailleurs immédiatement réagi, monsieur le secrétaire d’État, en saisissant l’IGAS. Nous devons le dire avec force : en aucun cas, l’hôtel ne constitue un hébergement adéquat pour un enfant.
La présence systématique d’un avocat pour les mineurs faisant l’objet d’une procédure d’assistance éducative constitue également un élément essentiel. Garant du secret professionnel, il est en effet un interlocuteur privilégié pour préserver l’intérêt supérieur de l’enfant.
Enfin, l’accompagnement des jeunes majeurs sera au cœur de notre débat. Les chiffres, nous les connaissons : un quart des sans domicile fixe (SDF) de moins de 25 ans sont d’anciens enfants placés et 70 % de ces derniers sortent du placement sans diplôme.
Posons-nous la question : est-il pertinent d’investir autant dans la protection d’un enfant pour que, finalement, le jour de ses 18 ans, tout s’arrête, alors qu’il suffirait de quelques années supplémentaires pour permettre une insertion pleine et entière du jeune ? Au-delà de l’injustice que cela représente, il s’agit d’une aberration économique.
En tout état de cause, je le répète, ce texte comprend de belles avancées. Il constitue une première étape, qui en appelle évidemment d’autres, car beaucoup reste à faire.
Je tiens à saluer le travail de notre rapporteur Bernard Bonne. Des points de désaccord subsistent, mais nous avons pu avoir un réel débat de fond sur les enjeux de ce texte ; je pense notamment au droit au retour, qui constitue une avancée majeure.
Mes chers collègues, ce texte est important, car il est attendu par les travailleurs sociaux, par le secteur associatif et par les enfants eux-mêmes, ainsi que par ceux qui œuvrent chaque jour pour que ces enfants puissent se reconstruire, mener une vie normale, s’épanouir et s’insérer durablement dans notre pays.
Nous avons la possibilité d’envoyer un message fort à la société : dans notre pays, les « enfants de personne » sont les enfants de tous, les enfants de la République. Ils doivent avoir les mêmes droits que tous les autres. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. « Il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de l’enfance […]. La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains. »
En écho à l’exposé des motifs de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, le présent projet de loi relatif à la protection des enfants vulnérables nous rassemble aujourd’hui autour d’une préoccupation fondamentale pour notre société. Il est le support de la réforme globale de la protection de l’enfance annoncée de longue date par le Gouvernement et il contient des avancées essentielles, du point de vue tant de la gouvernance que de l’organisation et de l’encadrement.
Néanmoins, de nombreux sujets cruciaux pour la protection de l’enfance n’y sont pas abordés : nous attendions particulièrement une réponse aux difficultés d’accès aux pédopsychiatres, un renforcement de l’accompagnement à la parentalité au titre de la prévention, une protection spécifique des enfants vulnérables aux violences numériques et, enfin, un effort de codification législative, au travers de la création d’un code de l’enfance et de la jeunesse.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires serait également favorable à la création d’un ministère régalien de l’enfance et de la jeunesse, qui regrouperait les compétences partagées jusqu’à présent entre trois ministères : éducation, affaires sociales et justice. Un seul code et un seul ministère permettraient ainsi de mener une politique unifiée.
Sur le premier point que j’ai évoqué, la situation est alarmante : nombre d’enfants de l’ASE ne bénéficient pas du suivi d’un pédopsychiatre, alors qu’ils en auraient besoin. Le dernier rapport du Défenseur des droits sur l’accès des enfants à la santé mentale fait état de ce problème, qui s’explique par la persistance des déserts médicaux et par la désaffection des étudiants en médecine pour cette spécialité. Or moins il y a de pédopsychiatres, moins il y a de formateurs dans les campus de médecine et moins il y a de pédopsychiatres formés.
Monsieur le secrétaire d’État, nous ne pouvons rester passifs face à ce problème. Dans l’attente d’une solution viable, serait-il envisageable de permettre à tous les enfants de l’ASE de bénéficier d’au moins une séance par an chez un psychologue ? Ce serait également un moyen de détecter rapidement les situations de violence au sein des familles d’accueil ou des foyers, ainsi que les cas fréquents de prostitution.
En effet, le rapport À (h)auteur d’enfants, qui vous a été remis le 20 novembre dernier, monsieur le secrétaire d’État, dresse un constat inquiétant à ce sujet. De très jeunes enfants sont concernés, sans avoir conscience de la gravité de la situation. Le Gouvernement a annoncé la mise en œuvre du premier plan de lutte contre la prostitution des mineurs, le 15 novembre dernier. Jusqu’à 10 000 enfants sont victimes de prostitution en France et les enfants de l’ASE y sont particulièrement exposés. Aussi devons-nous exercer une vigilance toute particulière à leur égard.
Le texte comprend des avancées importantes, que nous saluons : l’interdiction du placement à l’hôtel, le contrôle renforcé des professionnels de la protection de l’enfance, la valorisation des assistants familiaux, la rénovation de la gouvernance et l’accompagnement des jeunes issus de l’ASE. Nous sommes également favorables au dispositif de parrainage, dont les contours restent à préciser.
De façon complémentaire, à l’aide du levier associatif, il faudrait favoriser le mentorat entre les enfants de l’ASE et les étudiants de grandes écoles, ainsi que l’accès à la culture et aux loisirs, comme le rappelle Gautier Arnaud-Melchiorre, dans le rapport précité.
Enfin, nous n’insisterons jamais assez sur l’importance de la prévention dans le domaine sanitaire et dans le domaine social. Souvenons-nous de la fragilité de l’enfance : comme le disait si bien l’ancien sénateur Michel Amiel : « Un enfant considéré comme normal peut basculer à tout moment et, si un enfant en danger peut devenir dangereux, un enfant dangereux, lui, est toujours en danger. » (M. le secrétaire d’État hoche la tête en signe d’approbation.)
Ce projet de loi apporte une pierre supplémentaire à l’édifice de la protection des enfants et constitue un rempart contre la violence, le délaissement et la précarité, que nous ne manquerons pas de consolider en tant que de besoin.
Le groupe Les Indépendants votera en faveur de ce texte. (M. Xavier Iacovelli et Mme la présidente de la commission applaudissent.)
Mme le président. La parole est à Mme Corinne Imbert. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
Mme Corinne Imbert. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la protection des enfants s’inscrit dans la continuité de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance et de la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant.
Notre pays a toujours porté une attention particulière à la protection des enfants. Dès le XVIIIe siècle, Jean-Jacques Rousseau rompait avec la conception antique de l’enfance et invitait ses contemporains à considérer l’enfant comme un être à part entière. À partir du XIXe siècle, de nombreuses lois sont venues améliorer la protection des enfants dans des domaines aussi variés que le travail, l’instruction, les violences intrafamiliales – sans doute n’employait-on pas cette expression à l’époque – ou encore les abus dont les enfants pouvaient être victimes.
S’il reste des choses à faire, le travail accompli ces dernières décennies a été important, pour ne pas dire remarquable, au regard du temps long.
Aujourd’hui, il nous incombe de continuer d’améliorer la protection des enfants sans dénigrer les efforts réalisés. À cet égard, je tiens à saluer le travail réalisé par l’ensemble des professionnels de la protection de l’enfance, alors que tous les services de l’ASE ont connu une augmentation importante du nombre d’enfants confiés au cours des dernières années. Notre devoir est également de changer le regard porté sur les enfants confiés.
Je n’aborderai pas la dernière partie du texte, de l’article 14 à la fin, qui aborde les conditions d’évaluation des personnes se présentant comme mineurs non accompagnés, car notre collègue Laurent Burgoa traitera ce sujet en détail.
Depuis des années, le président du conseil départemental est le chef de file de la protection de l’enfance. Chaque jour, les services départementaux accompagnent des milliers d’enfants placés sur l’ensemble du territoire, mais on constate effectivement une réalité : l’hétérogénéité des pratiques en fonction des départements. C’est une réalité que notre collègue députée Monique Limon et moi avions déjà soulignée, dans le rapport sur l’adoption que nous vous avions remis, monsieur le secrétaire d’État.
Dans son rapport, notre collègue Bernard Bonne – je salue d’ailleurs la qualité de son travail, fruit de sa parfaite connaissance du sujet en tant qu’ancien président de conseil départemental – parle d’une politique publique qui « manque […] d’efficience ». Cette politique publique est peut-être, parmi toutes les politiques d’action sociale que compte notre pays, celle qui est la plus difficile à évaluer. Une politique publique en faveur des enfants peut être considérée comme bien conduite lorsque ceux-ci, devenus adultes, ont gagné en autonomie et sont épanouis dans leur vie personnelle. Cette politique publique s’évalue sur le temps long et elle impose – la réalité nous le rappelle – l’humilité.
Oui, il y a parfois des échecs, mais, vous l’avez indiqué, monsieur le secrétaire d’État, il y a aussi de belles histoires.
En ce qui concerne les mesures de ce texte, je me félicite que soit prévue l’étude systématique, par le juge, de la possibilité de maintenir l’enfant dans son environnement, qu’il soit accueilli par un membre de sa famille ou par un tiers digne de confiance.
J’approuve également l’élargissement des possibilités d’accompagnement des enfants protégés et l’instauration du parrainage des enfants de l’ASE par des personnes bénévoles. Le parrainage est un mode d’accompagnement quelque peu méconnu et qui mériterait d’être développé ; telle est votre volonté, monsieur le secrétaire d’État, et je la salue. C’était d’ailleurs l’une des recommandations que nous avions formulées dans notre rapport sur l’adoption. Néanmoins, de là à ce que soit proposé systématiquement un parrain ou une marraine, il y a un pas !
Je me réjouis également des apports de la commission, en particulier de l’instauration d’un droit au retour à l’ASE pour les majeurs de moins de 21 ans, y compris s’ils ont refusé, à 18 ans, de prolonger leur accompagnement ou s’ils n’en remplissaient plus les conditions. Toutefois, je m’interroge sur les conséquences pratiques de cette mesure. En effet, cela pourrait engendrer une charge supplémentaire importante pour les services des conseils départementaux.
Je ne peux qu’approuver l’interdiction de l’accueil des mineurs à l’hôtel et le fait de laisser aux conseils départementaux un délai de deux ans pour trouver d’autres solutions d’accueil et mettre en place un accompagnement digne de ce nom.
L’article 2 ter favorise l’accueil conjoint des fratries ; je salue à cet égard l’engagement des conseils départementaux qui se sont déjà lancés dans cette voie ainsi, bien sûr, que celui des associations, telles que SOS Villages d’enfants ou Action enfance, sans lesquelles il serait plus difficile, voire impossible, d’atteindre cet objectif.
J’ai tout de même deux regrets, monsieur le secrétaire d’État.
Le premier – notre collègue Colette Mélot l’a évoqué –, c’est l’absence de la pédopsychiatrie dans ce projet de loi. De plus en plus d’enfants sont confiés aux présidents de conseils départementaux. La situation de ces enfants est de plus en plus complexe, 25 % à 30 % d’entre eux font l’objet d’un suivi à la MDPH. Or la protection des enfants inclut la protection de leur santé mentale.
Cela me permet – mais vous le savez, monsieur le secrétaire d’État – de rappeler combien la pédopsychiatrie est sinistrée ; il lui faudra des années pour se relever. Lors de votre intervention, vous avez abordé cette question, qui relève, je vous le concède, d’un grand chantier consacré à la psychiatrie. (M. le secrétaire d’État hoche la tête en signe d’assentiment.) Toutefois, des mesures en sa faveur auraient pu figurer dans le texte.
Mon deuxième regret, c’est l’absence de la protection judiciaire de la jeunesse, dont l’une des missions principales est la participation à l’organisation et à la mise en œuvre d’actions de protection de l’enfance et de prévention de la délinquance. Nombreux sont les conseils départementaux qui se désolent de son absence à leurs côtés.
Reste enfin une question, celle du financement, car l’efficience des dispositifs proposés ne peut être durable sans des moyens humains et financiers. Comment pérenniser des revalorisations salariales sur le temps long ? Comment avoir la garantie que les surcoûts engendrés seront bien compensés par l’État ? En clair, comment construire un idéal, si l’on ne s’en donne pas les moyens ?
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, je suis favorable à bon nombre des mesures prévues dans ce projet de loi – je salue d’ailleurs votre engagement sur ce thème, monsieur le secrétaire d’État –, ainsi qu’aux apports de la commission. Je voterai donc ce texte, même si l’éternelle question du financement n’y est pas abordée, ce que je ne peux que regretter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nadia Sollogoub et M. le rapporteur applaudissent également.)
Mme le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après l’abandon du projet de loi relatif à l’autonomie, vanté, cinq ans durant, comme le grand chantier social du quinquennat, le projet de loi relatif à la protection des enfants devait être l’occasion, pour le Gouvernement, de présenter un texte ambitieux sur l’enfance, marquant une nouvelle avancée après les grandes lois de 2007 et de 2016. Ce texte devait être ambitieux surtout par les moyens qu’il devait dégager pour permettre enfin l’effectivité de ces lois et répondre tant aux attentes des acteurs qu’aux besoins et aux intérêts supérieurs de l’enfant.
Les constats sont connus : inégalités criantes en matière de santé et de formation, précarité résidentielle des anciens enfants placés, nombreuses ruptures dans le parcours de protection, qui sont facteurs de violences institutionnelles, et perte d’attractivité de certains métiers.
Les enjeux sont considérables. Les départements ont besoin d’un plus grand soutien financier de l’État pour exercer leurs missions sociales, mais aussi dans les domaines de la justice, de la santé scolaire et de la psychiatrie infantile. Ces services, qui sont sinistrés, relèvent aussi de la responsabilité de l’État.
Les acteurs déplorent, dans leur majorité, un projet décevant et manquant de souffle, voire une occasion gâchée.
Certes, ce texte comprend des mesures positives, des dispositions représentant de réelles avancées. C’est donc, en somme, un patchwork législatif, non une réforme structurante.
Saluons certains ajouts de l’Assemblée nationale, confortés par la commission des affaires sociales du Sénat : l’interdiction de l’hébergement en hôtel des mineurs pris en charge par l’ASE, le droit au retour à l’ASE des majeurs de moins de 21 ans, l’interdiction du réexamen de la situation d’un MNA ou encore l’augmentation et la sécurisation de la rémunération des assistants familiaux.
Toutefois, sans renforcement des moyens humains de l’aide sociale à l’enfance, sans résorption de la carence en éducateurs spécialisés dans nombre de départements et sans revalorisation du travail social, nombre de dispositions risquent d’être inappliquées, à l’instar de nombreuses actions éducatives en milieu ouvert et même de placements.
Enfin, le texte comprend des articles relatifs aux MNA, dont certains avaient été inscrits dans le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (3DS). Selon nous, ces dispositions ont bien leur place dans un texte relatif à la protection des enfants, mais il convient d’en expurger les mesures relatives aux prérogatives de l’État en matière de politique migratoire, car elles vont à l’encontre des objectifs attendus d’un projet de loi relatif à la protection de l’enfance : la garantie des droits à la sécurité et à la protection des personnes se déclarant mineures.
Aussi, nous nous opposons au recours obligatoire au fichier d’appui à l’évaluation de la minorité,…
M. Laurent Burgoa. C’est dommage !
Mme Raymonde Poncet Monge. … perpétuant l’idée du nomadisme des mineurs, phénomène qui n’a jamais été sérieusement documenté. Les bonnes intentions que traduit ce texte restent entachées par ce type de dispositions prises envers les mineurs étrangers, qui ignorent la présomption de minorité et le devoir de protection à leur égard.
Nous rappelons notre opposition aux sorties sèches à la suite des évaluations de majorité pendant le temps du recours auprès du juge des enfants, aux tests osseux comme à la rétention administrative d’enfants.
Pour permettre aux départements de mettre à l’abri et d’accompagner ces mineurs étrangers isolés, l’État doit soutenir les départements et réduire les différences de charge financière. Un ancien Premier ministre déclarait, il n’y a pas si longtemps, qu’il ne pouvait pas y avoir deux types de protection de l’enfance, l’une pour les enfants français et l’autre pour les enfants étrangers.
Il incombe aux autorités publiques d’exercer la fonction de suppléance parentale pour chaque enfant placé et, si nécessaire, d’accompagner ces enfants jusqu’à leurs 25 ans, âge moyen de la décohabitation. Nous leur devons aussi un plan de lutte résolu contre les situations de maltraitance dans les lieux de placement.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires défendra de nombreux amendements en ce sens. Néanmoins, même amendées, les dispositions positives du texte risquent d’être insuffisantes, comme le souligne la Commission nationale consultative des droits de l’homme, qui rapporte que « les objectifs poursuivis ne pourront pas être pleinement atteints par cette réforme ». Aussi, notre groupe réserve son avis, qui dépendra du débat et des modifications qui seront apportées au texte par le Sénat. (M. Guillaume Gontard ainsi que Mmes Michelle Meunier et Annie Le Houerou applaudissent.)
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cinq ans après l’adoption de la loi, issue d’une proposition de nos collègues Michelle Meunier et Muguette Dini, j’ai malheureusement le sentiment que la situation ne s’est pas réellement améliorée pour les 350 000 enfants et jeunes suivis par l’ASE.
Lorsque je vous ai rencontré en février dernier, monsieur le secrétaire d’État, lors de la présentation du projet de loi, j’ai eu un espoir de changement. Votre vision et les objectifs que vous nous présentiez faisaient écho à ceux de nombre d’associations, qui jugent nécessaire une grande loi sur l’enfance.
Toutefois, force est de le constater, cette belle ambition s’est heurtée à l’absence d’enveloppe financière et de moyens humains suffisants pour atteindre les objectifs assignés à ce texte. C’est d’ailleurs l’appréciation que portent sur ce projet de loi de nombreuses personnes et associations entendues en audition par M. le rapporteur Bernard Bonne, dont je salue le travail et l’écoute.
La médiatisation de l’aide sociale à l’enfance a mis en lumière un système trop souvent maltraitant, souffrant des réductions budgétaires des départements et d’un manque de personnel suffisamment formé et reconnu.
On ne peut comprendre, encore moins accepter que des mineurs déjà victimes de précarité sociale, financière et affective, éventuellement victimes de violences, continuent de subir un désengagement de la puissance publique.
À cet égard, je vous renvoie, mes chers collègues, à l’ouvrage Enfance, l’état d’urgence, du collectif Construire ensemble la politique de l’enfance (CEP-Enfance), composé d’une centaine d’organismes, dans lequel il est fait état notamment des dysfonctionnements dans trois domaines fondamentaux de la vie des enfants : la santé, l’éducation, les relations avec la justice.
Je remercie également l’association Repairs!, Léo Mathey, Lyes Louffok et Juliette Gallouin, de leur expertise.
L’amélioration de la coordination entre les acteurs ne suffira pas pour remédier à l’absence de politique globale en faveur de l’enfance et aux conséquences désastreuses de nombreuses mesures mises en œuvre par différents gouvernements. Les besoins sont immenses : il faut accroître les moyens de la protection maternelle infantile et des centres médico-psycho-pédagogiques, revaloriser le métier des travailleurs sociaux, mais également renforcer les moyens humains et financiers de la justice des mineurs.
La priorité doit être donnée à l’amélioration de la prise en charge des enfants par l’aide sociale et des conditions de travail des assistants familiaux.
La prise en charge des enfants concerne évidemment l’accompagnement éducatif en établissement, mais également l’accompagnement médical, y compris en termes de santé mentale. En effet, le fait que la pédopsychiatrie soit sinistrée en France rend difficile une prise en charge adaptée des 32 % des enfants placés souffrant de troubles psychiatriques.
Le présent projet de loi prévoit différentes mesures positives pour améliorer la prise en charge des mineurs de l’ASE. Je pense par exemple à la création d’une base nationale des agréments des assistants familiaux, au renforcement de la place des tiers dignes de confiance, à un meilleur pilotage national, à la non-séparation des fratries ou à l’interdiction des placements à l’hôtel. Toutefois, sans moyens supplémentaires, monsieur le secrétaire d’État, votre interdiction de l’hébergement à l’hôtel ne sera jamais qu’un encadrement assorti de nombreuses dérogations.
Pour ce qui se rapporte aux sorties sèches des jeunes majeurs issus de l’ASE, les départements ont réduit, au cours des dernières années, les possibilités de bénéficier des contrats jeune majeur. Les inégalités entre départements sont particulièrement fortes, car le budget de ces collectivités est de plus en plus réduit. Il revient donc à l’État de garantir un statut social pour les majeurs de 18 à 21 ans et de réfléchir à l’accompagnement des jeunes de 21 à 25 ans.
Quant aux travailleurs sociaux, qui sont des femmes à 96 % et dont le rôle est primordial pour la protection de l’enfance, ils subissent l’absence de reconnaissance de leur métier et les disparités départementales. En l’absence d’un statut et d’un cadre d’emploi de catégorie B dans la fonction publique, ils sont soumis à des carrières et à des pensions précaires.
En ce qui concerne les assistants familiaux, l’instauration d’une rémunération minimale fixée au niveau du SMIC pour l’accueil du premier enfant constitue un progrès qui ne doit pas remettre en cause la majoration pour l’accueil d’un deuxième enfant.
Enfin, pour ce qui concerne les mineurs non accompagnés, ce texte rend obligatoire la présentation des jeunes se déclarant mineurs en préfecture, ainsi que l’utilisation du fichier d’appui à l’évaluation de la minorité, qui était facultative jusqu’à présent. Cette mesure n’a rien à voir avec la protection de l’enfance, mais relève uniquement du contrôle migratoire. La Défenseure des droits, Claire Hédon, s’est inquiétée, dans son rapport sur ce projet de loi, de l’existence « d’un droit spécifique des MNA, de plus en plus éloigné de la protection de l’enfance ».
Même si des progrès sont accomplis avec ce projet de loi, un écart important reste à combler pour que chaque enfant soit réellement un sujet de droit, pour faire sortir 3 millions d’enfants de la pauvreté et pour consolider et améliorer des services publics réservés à l’enfance, dotés de moyens humains et financiers suffisants.
Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste réserve son vote, qui dépendra des débats et des modifications qui seront apportées au texte par le Sénat. (Mmes Michelle Gréaume, Michelle Meunier et Raymonde Poncet Monge applaudissent.)