Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous en arrivons donc au vote des conclusions de la CMP sur ce projet de loi assez disparate, qui comprend deux volets majeurs.
Le premier, relatif à la responsabilité pénale, répond clairement à une commande politique en lien avec le légitime émoi suscité dans l’opinion publique par le sordide et tragique meurtre de Sarah Halimi.
Le second, sorte de « loi Sécurité globale 2 », vient notamment réintroduire des mesures censurées par le Conseil constitutionnel en mai dernier, notamment pour des raisons d’atteinte aux libertés publiques. Il s’agit essentiellement de mesures de « technopolice », qui plongent encore un peu plus notre pays dans des logiques de surveillance massive.
Aussi, je vous le dis sans ambages, madame la secrétaire d’État, sur ces deux volets, le compromis auquel sont parvenues nos deux assemblées est plus que préoccupant.
Premièrement, ces conclusions actent une exception d’irresponsabilité pénale.
Pour l’Assemblée nationale, c’est le cas lorsque l’abolition temporaire du discernement résulte de la consommation proche ou volontaire de psychotropes dans le but de commettre une infraction.
De son côté, le Sénat n’a pas laissé tomber l’idée selon laquelle la responsabilité pénale de l’auteur d’un crime ou d’un délit doit pouvoir dans certains cas être reconnue lorsque celui-ci a commis préalablement à son acte une infraction ayant entraîné l’abolition de son discernement.
Ce mécanisme présente plusieurs conséquences non négligeables et fait notamment émerger la notion d’« abolition temporaire liée à un fait fautif ». Je vous le redis, légiférer en ce sens, ce serait oublier que ces comportements ne sont pas nécessairement fautifs et qu’ils peuvent être, non pas la cause de l’abolition du discernement, mais bien sa conséquence.
En outre, comme l’a souligné le Conseil d’État, la réunion des conditions nécessaires pour exclure l’irresponsabilité pénale paraît « très théorique, et la preuve de l’élément intentionnel extrêmement difficile à apporter en pratique ». Nous considérons pour notre part, comme l’a souligné le rapport Houillon-Raimbourg, que « l’abolition du discernement au moment de l’acte est exclusive de l’intention au sens du droit pénal […] et qu’il ne peut être transigé avec ce principe sans remettre en cause notre édifice pénal dans son ensemble ».
En ce qui concerne la sécurité intérieure, il s’agit pour le Gouvernement de réinjecter plusieurs des dispositifs contenus dans la proposition de loi Sécurité globale, mais censurés par le Conseil constitutionnel en mai dernier, en particulier l’autorisation des captations vidéo dans les locaux de garde à vue ou des drones et caméras embarqués dans les véhicules de police.
Le texte final ouvre également l’usage des drones aux policiers municipaux, ce qui n’est pas acceptable à nos yeux.
Les missions des policiers municipaux de proximité – lutter contre les incivilités, apporter assistance aux personnes, prévenir les troubles… – ne nous semblent pas devoir valablement se traduire par l’accès à cette technologie.
Globalement, ces mesures de sécurité intérieure – à l’exception de quelques-unes, comme le contrôle de la détention d’armes, qui sont positives – nous renvoient à un modèle de société dont nous ne voulons pas : une société de la surveillance de tous, partout, tout le temps, dans la droite ligne de la logique répressive et sécuritaire développée ces dernières années.
Je déplore enfin l’adoption conforme par notre assemblée de l’article 16 de ce projet de loi, qui stigmatise encore un peu plus les mineurs non accompagnés, en permettant de procéder, malgré leur refus, à un relevé de leurs empreintes digitales ou palmaires ou à une prise de photographie lorsqu’ils sont suspectés d’avoir commis un crime ou un délit. Cet article s’inscrit dans le climat nauséabond de suspicion permanente pesant sur la parole des jeunes migrants, considérés d’abord comme des étrangers, et non des enfants.
Mes chers collègues, le Parlement, en particulier le Sénat, s’honorerait à faire primer l’intérêt supérieur des enfants sur toute autre considération. Ficher des mineurs isolés, cela ne me semble pas aller dans ce sens.
Pour toutes ces raisons, nous continuerons à nous opposer à ce projet de loi, aux mesures qu’il porte et à la philosophie qui le sous-tend.
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voilà donc arrivés au terme de l’examen du projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure. Il marque l’aboutissement de travaux approfondis, à l’occasion de l’examen de plusieurs textes successifs.
Le régime d’irresponsabilité pénale des personnes dont le discernement est aboli lors de la commission d’une infraction du fait de la consommation délibérée de substances psychoactives avait ainsi fait l’objet au Sénat, sur l’initiative notamment de notre collègue Nathalie Goulet, d’un débat et d’une proposition de loi.
D’autres dispositions du texte, relatives notamment aux régimes de captation d’images, tirent les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel relative à la loi pour une sécurité globale préservant les libertés, qui avait précédemment fait l’objet d’un accord entre l’Assemblée nationale et le Sénat.
Cet aboutissement marque également celui des engagements de l’exécutif, après les décisions de justice successives rendues dans l’affaire du meurtre de Sarah Halimi, jusqu’à la décision de la Cour de cassation en avril dernier, et les violences commises à l’encontre des forces de sécurité.
Cet aboutissement marque enfin une convergence entre l’Assemblée nationale et le Sénat, après une commission mixte paritaire dont le groupe RDPI salue pleinement l’issue favorable et les évolutions importantes qu’elle permet.
Dans le champ de l’irresponsabilité pénale, tout d’abord, l’impossibilité de distinguer jusqu’à présent selon l’origine de la perte de discernement posait, dans notre société de liberté et de responsabilité, une difficulté de cohérence tant légale que morale. L’affaire Halimi et la sidération légitime qu’elle a suscitée l’ont rappelé avec gravité.
Le projet de loi marque sur ce point une évolution majeure de notre droit pénal, dans le respect des exigences constitutionnelles et sans remettre en cause le principe selon lequel « on ne juge pas les fous ».
L’article 2 avait dès la première lecture fait l’objet de l’approbation de nos rapporteurs. Il comble une lacune de notre droit en permettant de poursuivre et de juger spécifiquement la consommation volontaire de substances psychoactives ayant entraîné une abolition temporaire du discernement sous l’empire de laquelle ont été commises certaines atteintes à la vie ou à l’intégrité de la personne, de même qu’un viol.
La CMP a ensuite permis de trouver un équilibre au sein de l’article 1er. Celui-ci permettra donc, comme le souhaitait le Gouvernement, avec le soutien de notre groupe notamment, d’écarter l’irresponsabilité pénale d’une personne qui s’est volontairement intoxiquée afin de commettre un crime ou un délit.
Cet article modifie également les modalités de déclaration d’irresponsabilité pénale d’une personne dont l’abolition du discernement résulte de son fait, comme l’avait souhaité notre rapporteur. Le dispositif est ainsi mieux encadré, dans le respect des exigences de notre État de droit : le renvoi de cette question aux juges du fond est limité à l’existence d’expertises psychiatriques divergentes et soumis à huis clos.
Notre groupe salue par ailleurs l’accord trouvé sur les dispositions relatives à la sécurité intérieure, notamment sur les différents régimes de vidéoprotection, qui faisaient l’objet d’une convergence de fond dès la première lecture.
Je m’arrêterai un instant sur les drones. Le Conseil constitutionnel avait rappelé qu’il nous était loisible d’autoriser la captation, l’enregistrement et la transmission d’images par drones aux fins notamment du maintien de l’ordre et de la sécurité publics.
Le texte soumis aujourd’hui à notre ultime approbation contient les garanties supplémentaires qui étaient nécessaires pour assurer une conciliation équilibrée entre la prévention des atteintes à l’ordre public et le droit au respect de la vie privée.
Nous saluons également la reprise dans ce texte de l’extension aux polices municipales de la faculté d’utiliser des drones, portée par notre collègue Alain Richard avec le soutien du Gouvernement au sein d’un précédent texte de loi.
J’aurais pu m’arrêter, aussi, sur le renforcement de la répression des violences commises à l’encontre des forces de sécurité intérieure, de l’encadrement de la détention d’armes, ou de la lutte contre les rodéos motorisés et les refus d’obtempérer.
Autant de dispositions utiles pour agir contre la criminalité et protéger tous nos concitoyens, dans une approche exigeante et équilibrée en matière de droits et libertés.
Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI votera ce texte. (M. le rapporteur applaudit.)
Mme la présidente. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par les amendements du Gouvernement, l’ensemble du projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
12
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 4 janvier 2022 :
À quatorze heures trente et, éventuellement, le soir :
Débat sur la crise du logement que connaît notre pays et le manque d’ambition de la politique de la ville ;
Débat sur le thème « Trois ans après la loi “Asile et Immigration”, quel est le niveau réel de maîtrise de l’immigration par les pouvoirs publics ? » ;
Proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, pour une meilleure prise en compte de la qualité de la vie étudiante, pour renforcer l’accompagnement des étudiants à toutes les étapes de leur parcours et pour dynamiser l’ancrage territorial de l’enseignement supérieur, présentée par M. Laurent Lafon et plusieurs de ses collègues (texte n° 6, 2021-2022) ;
Proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, tendant au développement de l’agrivoltaïsme en France, présentée par MM. Jean-François Longeot, Jean-Pierre Moga et plusieurs de leurs collègues (texte n° 30 rectifié, 2021-2022).
Personne ne demande la parole ?…
Mes chers collègues, je vous souhaite à tous de très bonnes fêtes de fin d’année.
La séance est levée.
(La séance est levée à seize heures quarante.)
nomination de membres de commissions
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires a présenté une candidature pour la commission des affaires sociales.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : Mme Mélanie Vogel est proclamée membre de la commission des affaires sociales.
Le groupe Les Républicains a présenté une candidature pour la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : Mme Laurence Garnier est proclamée membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER