M. le président. La parole est à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Madame la sénatrice Martine Berthet, effectivement, les finances des communes montagnardes ont été lourdement mises à contribution, dès 2020, et de manière très marquée en 2021, avec la fermeture des remontées mécaniques l’hiver dernier.
Par conséquent, plusieurs mesures de compensation ont été prises.
Premièrement, je veux parler, bien entendu, du filet de sécurité sur les recettes fiscales, qui vaut pour 2020 et 2021, au sein duquel la spécificité des territoires de montagne est reconnue avec une comptabilisation plus favorable de la taxe de séjour dans les calculs.
Pour l’exercice 2020, cela a donné lieu à un montant total de compensations de 2,8 millions d’euros pour votre département. Pour l’exercice 2021, vous avez raison, des acomptes à hauteur de 30 % de la dotation 2020 ont été versés aux communes.
Je le sais, des critiques ont été formulées – vous venez vous-même de les faire vôtres. Je veux dire clairement aux élus que, dans l’attente du calcul des dotations finales, les communes peuvent solliciter auprès des préfets et des directions départementales des finances publiques (DDFiP) un ajustement du montant des douzièmes de fiscalité fixé à partir de janvier.
Olivier Dussopt et moi-même avons adressé des consignes en ce sens au préfet de la Savoie, et certains dossiers complexes comme celui des Belleville sont en voie de règlement.
Le Premier ministre l’a écrit à l’Association nationale des maires des stations de montagne afin que ses représentants relaient ce message auprès des élus.
Deuxièmement, je rappelle que nous avons indemnisé de nombreux services et équipements publics gérés en régie – c’est très important –, à hauteur de 4,5 millions d’euros pour la Savoie en 2020. Ce sera bien sûr renouvelé en 2021.
Troisièmement, je rappelle aussi que l’État a indemnisé les pertes d’activité des exploitations de remontées mécaniques, même si celles-ci sont gérées en régie publique, dans les mêmes conditions que nous l’avons fait pour le privé.
Voilà, en quelques mots, madame la sénatrice, des éléments factuels qui montrent bien que nous sommes aux côtés des stations de montagne.
M. le président. La parole est à Mme Martine Berthet, pour la réplique.
Mme Martine Berthet. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse, mais, depuis un an, sur les versements qu’ils attendent, nos maires n’entendent que des promesses. Ils en ont assez ! À présent, ils veulent du concret. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
insuffisance de dons de moelle osseuse
M. le président. La parole est à M. Jean Hingray, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean Hingray. Ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles.
Joseph, 3 ans, est atteint d’une leucémie. Plus de 100 jours d’hospitalisation, 793 séances de chimiothérapie, 1 chance sur 1 million de guérir.
Courageux face à la maladie, tout comme sa famille, ce petit garçon est depuis quelques jours au cœur de l’actualité. Alors que le processus médical touchait à sa fin et qu’on espérait une issue heureuse, le petit Joseph a fait une rechute. Les parents, désespérés, lancent un appel aux donneurs de moelle osseuse via les réseaux sociaux. Sans ce don, Joseph ne survivra pas.
Cet appel a largement été repris par les médias. Monsieur le secrétaire d’État, à votre tour, allez-vous le relayer avec les moyens de la puissance publique ?
Au-delà du drame vécu par Joseph et sa famille, cette question pose le problème de la rareté des donneurs volontaires inscrits au registre international dédié. La pénurie est endémique : l’Agence de la biomédecine recherche en permanence de nouveaux donneurs. Certains freins administratifs sont incompréhensibles : alors que l’on peut donner sa moelle osseuse jusqu’à 60 ans, on ne peut s’inscrire sur ce registre qu’entre 18 et 35 ans. Pourquoi pas plus tard, alors que c’est le cas dans d’autres pays ?
Mais le principal obstacle au développement du fichier des donneurs est le manque d’information. Les gens ignorent l’étendue des besoins et de nombreuses idées reçues perdurent. À titre d’exemple, pour être inscrit dans le fichier des donneurs, il suffit de procéder à un prélèvement salivaire ou sanguin.
Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement va-t-il prendre les mesures nécessaires pour, enfin, faciliter le don de moelle osseuse et lancer une campagne d’information pour développer le fichier des donneurs ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains. – Mme Raymonde Poncet Monge, MM. Thomas Dossus, Jean-Luc Fichet et Patrick Kanner applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Jean Hingray, je suis évidemment sensible, comme chacun d’entre vous ici, aux situations individuelles dramatiques et à la situation du petit Joseph, que vous avez rappelée et que vous me donnez d’ores et déjà l’occasion, comme vous l’avez fait, de mettre en lumière.
Il est toujours difficile de répondre à des questions empreintes d’émotion, parce qu’elles renvoient à des situations vécues par un enfant et par sa famille.
Chaque année sont réalisées 2 000 greffes de moelle. Cette thérapeutique repose sur la compatibilité entre un donneur et un receveur ; automatique entre des jumeaux, elle est de 1 sur 4 au sein d’une fratrie, de 1 sur 1 million entre deux individus pris au hasard.
C’est la raison pour laquelle l’Agence de la biomédecine gère le registre France greffe de moelle, qui recense 320 000 donneurs et qui est connecté à ceux de 73 autres pays. Cela permet donc d’avoir accès à 40 millions de donneurs potentiels.
Nous avons par ailleurs pour objectif d’augmenter le nombre de ces donneurs potentiels de plus de 20 000 par an pour disposer de la plus grande diversité de profils possible.
Nous cherchons en outre à faciliter les procédures d’inscription sur le registre, laquelle se fait aujourd’hui en ligne.
Ces objectifs font partie du prochain plan ministériel 2022-2026 pour la greffe de cellules souches hématopoïétiques, lequel fera l’objet d’annonces dans les semaines à venir sous l’égide d’Olivier Véran.
Puisque vous m’y appelez, je souhaite relayer, en le renforçant, l’appel pour l’inscription de nouveaux donneurs, en attirant l’attention sur les recrutements prioritaires, et expliciter, si vous m’en laissez la possibilité, monsieur le président, pourquoi seuls les jeunes entre 18 et 35 ans peuvent s’y inscrire.
La raison en est que leurs greffons sont plus riches en cellules souches et permettent donc une prise de greffe plus rapide pour les patients, avec une efficacité non pas garantie, mais en tout cas plus assurée. Par ailleurs sont visés les hommes, car les cellules souches de leur moelle osseuse sont dépourvues des anticorps que développent les femmes durant leur grossesse.
Les informations utiles à la compréhension de ce geste et à l’inscription comme donneur sont toutes accessibles sur le site dondemoelleosseuse.fr. Je me joins à vous pour amplifier l’appel en faveur de ce petit Joseph et des Joseph à venir. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes SER, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean Hingray, pour la réplique.
M. Jean Hingray. Monsieur le secrétaire d’État, je m’étais permis de vous poser la question notamment sur la possible extension de l’âge auquel il est possible d’être enregistré : de 18 à 35 ans dans notre pays, mais, dans d’autres pays, comme en Belgique ou en Suisse, il est possible de le faire jusqu’à 40 ans, voire 55 ans. La catégorie d’âge à laquelle j’appartiens n’y a jamais été sensibilisée, ni à l’école ni dans l’enseignement supérieur, à l’université. Il serait bien que vous le fassiez, en relation avec vos collègues. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE et Les Républicains.)
liberté d’expression sur les réseaux sociaux
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour la réunion administrative des sénateurs n’appartenant à aucun groupe. (Murmures sur diverses travées.)
M. Stéphane Ravier. Malgré son absence, ma question s’adresse quand même à M. le ministre de l’intérieur.
« La liberté d’expression est un principe fondamental de notre République » : voilà ce que déclarait Gérald Darmanin en novembre 2020. Ministre de l’intérieur, vous êtes le garant de nos libertés, qui sont protégées par les forces de l’ordre, que vous dirigez.
Vous, monsieur Darmanin, vous n’étiez pas à Ibiza ; vous avez donc dû voir passer l’information selon laquelle plusieurs interventions de parlementaires contre le passe vaccinal ont été censurées par YouTube ou Facebook. S’il n’y a plus de délit de blasphème en France, les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) ont créé le blasphème sanitaire !
Bastien Lachaud, député LFI, mon collègue de l’Assemblée nationale Nicolas Meizonnet et moi-même en avons été victimes.
Alors, qu’ils s’en prennent au président des États-Unis, il y a deux ans, c’était déjà limite. Mais s’en prendre à moi, monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, vous conviendrez quand même que, là, ça va trop loin…
À l’aube d’une campagne présidentielle cruciale pour l’avenir du pays, les Français ont besoin d’être assurés que leur principale source d’information, les réseaux sociaux, demeurera libre. Nos personnes ne sont pas sacrées, mais notre liberté d’expression, elle, l’est, en particulier dans les hémicycles du Parlement, le cœur même de notre démocratie.
Pendant des mois, on a essayé de nous faire peur avec une prétendue « ingérence russe », qui allait renverser les urnes du monde libre. La réalité, c’est que la seule ingérence étrangère, de plus en plus totalitaire, vient non pas du Kremlin, mais de la Silicon Valley, de quelques milliardaires en jeans-baskets reçus comme des chefs d’État à l’Élysée, qui veulent influer sur les élections grâce à leur entreprise planétaire.
Vous n’avez donné aucune garantie depuis cinq ans à ce sujet, alors même que vous avez fait passer une loi contre les fausses informations.
À ce titre, monsieur le ministre de l’intérieur, vous en avez vous-même propagé une ce dimanche, faisant croire que des manifestants contre le passe vaccinal défilaient le bras tendu, alors qu’ils étaient en train de réaliser un clapping, c’est-à-dire de taper dans leurs mains comme cela se fait dans tous les stades de France.
Alors, monsieur le ministre, ma question est double : après cet épisode navrant, qui démontre que vous avez décidé vous aussi d’« emmerder » les non-vaccinés jusqu’au bout, jusqu’au bout du fake, que comptez-vous faire pour protéger la liberté d’expression et ne craignez-vous pas d’être condamné, à votre tour, pour propagation de fausses informations ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la citoyenneté.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, je ne suis pas Gérald Darmanin ; je suis ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté, et j’ai été désignée par le Premier ministre pour vous répondre.
C’est donc ce que je vais faire.
D’abord, je veux vous dire que la liberté d’expression sur les réseaux sociaux comme la liberté d’expression dans la vie n’est pas infinie ; elle est encadrée par la loi.
Par exemple, diffuser de fausses informations ou inciter des gens à mettre leur vie en danger ne relève pas de la liberté d’expression.
Insulter ou menacer de mort des élus sur les réseaux sociaux ne relève pas non plus de la liberté d’expression.
Menacer de mort des journalistes, lancer sur les réseaux sociaux des raids de cyberharcèlement, comme récemment contre la petite Camille, de l’association Un Sourire pour Camille, ne relève pas de la liberté d’expression, monsieur le sénateur.
Oui, nous sommes attachés à la liberté d’expression, à la liberté d’expression des parlementaires, et, dans cet hémicycle, bien évidemment, elle est pleine et entière. C’est pourquoi nous pouvons y avoir cet échange, comme en dehors de celui-ci.
Mais la liberté d’expression n’est pas sans limite.
C’est pourquoi nous avons fait adopter des lois pour faire en sorte, par exemple, qu’on ne puisse pas, au nom de la liberté d’expression sur les réseaux sociaux, y diffuser l’adresse personnelle d’un professeur ou d’un policier en menaçant leur vie, comme cela a été le cas pour Samuel Paty.
C’est pourquoi nous avons renforcé la législation en la matière dans la loi confortant le respect des principes de la République – que je vous remercie d’avoir votée et enrichie.
C’est pourquoi le règlement européen Digital Services Act (DSA) sera discuté et, je l’espère, adopté dans la semaine, dans la continuité des annonces du Président de la République.
C’est pourquoi, avec le Premier ministre Jean Castex et le garde des sceaux, Éric Dupond-Moretti, nous nous sommes rendus cette semaine auprès de Pharos, la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements, et du pôle national de lutte contre la haine en ligne, qui ont été créés par ce gouvernement afin de mieux protéger les citoyens sur les réseaux sociaux, car, tout comme dans la vie, ils n’ont pas à y être menacés. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Notre prochaine séance de questions d’actualité au Gouvernement aura lieu le mercredi 26 janvier 2022, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures quarante, sous la présidence de Mme Valérie Létard.)
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
4
Candidatures à des commissions mixtes paritaires
Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein des commissions mixtes paritaires chargées d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale et du projet de loi en faveur de l’activité professionnelle indépendante ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
5
Renforcement du droit à l’avortement
Rejet en deuxième lecture d’une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à renforcer le droit à l’avortement (proposition n° 242, résultat des travaux de la commission n° 343, rapport n° 342).
Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de ce texte ont été publiés.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
Discussion générale
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure – chère Laurence Rossignol –, mesdames, messieurs les sénateurs, nous reprenons aujourd’hui les débats sur ce sujet sensible et éminemment important qu’est le renforcement du droit à l’avortement, même si – et j’anticipe – nos discussions seront probablement abrégées par l’adoption d’une motion présentée par votre commission des affaires sociales.
Les attaques contre le droit à l’avortement dans le monde et sa remise en cause n’ont pas cessé ces derniers mois : aux États-Unis, mais aussi au sein même de plusieurs pays de l’Union européenne. Mais nous fallait-il encore des exemples pour nous rappeler que le droit à l’avortement est loin d’être garanti pour toutes les femmes et que ce droit, chèrement acquis il y a tout juste quarante-sept ans, doit toujours être affirmé, protégé, renforcé ?
En outre, la crise sanitaire que nous traversons nous impose une plus grande vigilance encore pour que les droits sexuels et reproductifs soient garantis et que le droit inaliénable à l’avortement soit pleinement effectif.
Le retour devant votre Haute Assemblée de la proposition de loi visant à renforcer le droit à l’avortement est l’occasion pour le Gouvernement de réaffirmer son engagement plein et entier à défendre sans relâche le droit des femmes à avorter en toute sécurité, dans le respect de leur choix éclairé par un accès à des informations fiables, objectives et au plus près de leur lieu de vie.
Le ministère des solidarités et de la santé a ainsi porté l’exigence de renforcer sans cesse l’accès à l’offre d’IVG (interruption volontaire de grossesse) en tout point du territoire, afin de ne laisser aucune femme sans possibilité d’exercer son droit.
À cet égard, je souhaite vous indiquer où en sont les engagements qui ont été pris devant la représentation nationale.
Tout d’abord, les délais pour réaliser une IVG médicamenteuse en ville seront prolongés jusqu’à sept semaines de grossesse et le parcours pourra être réalisé en fonction du choix et de l’état de santé des femmes par téléconsultation.
Le ministre des solidarités et de la santé s’était engagé à faire entrer ces mesures dérogatoires prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire dans le droit commun. Le processus est en cours. La Haute Autorité de santé, saisie en septembre 2020, a actualisé ses recommandations en avril 2021 sur le parcours d’IVG médicamenteuse, en confirmant la prolongation des délais et le recours à la téléconsultation.
Le décret d’application est prêt et est examiné en ce moment même par le Conseil d’État ; il devrait donc pouvoir être publié très rapidement.
Les IVG instrumentales en centre de santé peuvent désormais être mises en œuvre, le décret en précisant les conditions ayant été publié en avril dernier.
Le cadre de l’expérimentation pour la réalisation des IVG instrumentales par les sages-femmes en établissement de santé a fait l’objet d’une concertation et a été finalisé avec les professionnels, médecins et sages-femmes.
Le décret d’application a été publié le 31 décembre 2021. Il précise notamment, pour ce qui concerne les sages-femmes, la formation et l’expérience requises, ainsi que l’organisation spécifique exigée des établissements de santé expérimentateurs. Il est accompagné d’un arrêté, qui organise l’appel national à candidatures auprès des établissements de santé volontaires.
Cette démarche doit conduire à la sélection d’une cinquantaine d’équipes et au lancement des tout premiers projets d’ici au milieu de l’année 2022. Elle constitue une étape importante pour poser les bases d’une pratique, qui, sans nul doute, facilitera l’organisation des équipes hospitalières pour répondre aux demandes d’IVG et offrira aux femmes un nouvel interlocuteur dans leur parcours d’IVG.
Dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, le tiers payant intégral obligatoire est dorénavant prévu pour toutes les femmes sur les dépenses prises en charge par l’assurance maladie obligatoire, soit 100 % des frais liés à l’IVG, dans le cadre de forfaits de prise en charge. Au tiers payant s’ajoute la garantie du respect du secret quant à la prise en charge de ces frais pour toutes les femmes.
Dans les deux assemblées, les parlementaires ont également souligné la nécessité de faire progresser l’information et l’éducation à la vie intime et affective, et globalement de promouvoir plus fortement la santé sexuelle.
Le Gouvernement fait pleinement siens ces objectifs. Ainsi, la feuille de route 2021-2024 de déclinaison de la stratégie nationale de santé sexuelle, résultat d’une coconstruction avec l’ensemble des parties prenantes, a été publiée le 1er décembre dernier.
Elle contient un certain nombre d’actions concrètes pour renforcer la promotion, l’information et l’éducation à la santé sexuelle. Il s’agit, par exemple, de la conception et de la diffusion d’outils de promotion de la santé sexuelle accessibles aux publics en situation de handicap et allophones, ou encore du renforcement des connaissances en santé sexuelle des jeunes dans le cadre du service national universel (SNU).
Elle réaffirme la nécessité d’une offre en santé sexuelle à la fois lisible et accessible, en proximité des lieux de vie, et comprend une action dédiée au renforcement de l’accès à l’IVG, car nous devons toujours conforter l’exercice effectif de ce droit en tout point du territoire.
Les premières mesures concrètes ont été adoptées dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022.
Je pense à l’extension de la consultation longue « santé sexuelle » à tous les jeunes jusqu’à 25 ans, pour que la santé sexuelle cesse d’être vue comme une affaire de femmes.
Je pense également à l’accès gratuit à la contraception pour les femmes jusqu’à 25 ans, pour tenir compte des vulnérabilités économiques et sociales des jeunes adultes.
Enfin, je tiens à rappeler la place essentielle de la profession de sage-femme dans nos politiques de prévention et de santé des femmes, mais aussi des hommes.
Qu’il me soit permis, à cet effet, de souligner les avancées de la loi Rist (loi du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification), grâce à laquelle les sages-femmes peuvent désormais prescrire à leurs patientes et aux partenaires de ces dernières le dépistage et le traitement d’infections sexuellement transmissibles (IST).
Vous le savez, nous avons également signé, en novembre dernier, un protocole d’accord avec la profession des sages-femmes, fruit d’un long travail de concertation. Je le répète : le Gouvernement est fier d’assurer aujourd’hui une reconnaissance tant attendue par les plus de 20 000 représentants de cette profession, pour renforcer comme jamais l’attractivité de ce métier et sa place dans nos politiques publiques, tout particulièrement en santé sexuelle et reproductive.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en décembre 2020, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), que le Gouvernement avait souhaité saisir sur la question de l’allongement du délai légal, qui met en jeu le droit des femmes, leur santé, aussi bien que le rôle des professionnels et l’accès à l’IVG, a rendu son avis. Il rappelle non seulement l’importance des mesures de protection des femmes et de prévention des grossesses non désirées, mais aussi la nécessité de renforcer l’éducation affective, à la santé sexuelle et reproductive.
Le CCNE précise que, si la réalisation des IVG comporte des risques qui augmentent avec l’âge gestationnel, ces derniers sont néanmoins faibles et diffèrent peu entre douze et quatorze semaines de grossesse. (Mmes Corinne Imbert et Marie Mercier protestent.)
Enfin, en axant sa réflexion sur les principes d’autonomie, de bienfaisance, d’équité et de non-malfaisance à l’égard des femmes, le CCNE a considéré qu’il n’y avait pas d’objection éthique à allonger le délai d’accès à l’IVG de deux semaines.
Toutefois, pour faire progresser concrètement le droit des femmes à disposer de leur corps, il faut résolument poursuivre l’amélioration de leur parcours, afin que les IVG dites « tardives » soient mieux prises en charge, et sans délai.
C’est un droit des femmes ; c’est notre devoir, c’est notre responsabilité à tous de permettre à chacune son plein exercice, selon son choix, sa situation et son lieu de vie. Ces éléments ont été clairement identifiés par le CCNE parmi les obstacles qui, dans les faits, conduisent les femmes à dépasser le terme légal actuel.
Enfin, le CCNE s’est penché sur la clause de conscience spécifique à l’IVG. Il considère que cette clause souligne la singularité de l’acte médical que représente l’IVG. Il est donc favorable à son maintien dans sa rédaction actuelle, et la majorité à l’Assemblée nationale a décidé, en deuxième lecture, de la maintenir inchangée.
Au total, ce texte touche à l’exercice d’un droit fondamental. Il est essentiel que la représentation nationale en débatte avec le respect, la sérénité et l’humilité qu’il exige.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous le redis : le Gouvernement défend farouchement ce droit des femmes, ce droit humain tout simplement, garanti par notre Constitution. Notre devoir est de le renforcer et d’améliorer sans cesse son effectivité.
Cet engagement, le Président de la République l’a réaffirmé avec force ce matin même, devant le Parlement européen, en appelant de ses vœux la reconnaissance du droit à l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Quant à la question posée par ce texte, elle relève pleinement de la représentation nationale : le Gouvernement s’en remettra à la délibération qui résultera des débats parlementaires et, donc, à votre sagesse.
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
Mme Laurence Rossignol, rapporteure de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici réunis pour examiner en deuxième lecture la proposition de loi visant à renforcer le droit à l’avortement.
Il y a presque un an jour pour jour, ce texte a été examiné par le Sénat en commission, puis rejeté en séance publique par l’adoption d’une question préalable.
Permettez-moi de revenir plus en détail sur son parcours, qui s’est révélé pour le moins chaotique.
En juin 2019, dans des conditions qui ont pu surprendre un certain nombre de nos collègues parmi les présents – et peut-être surtout parmi les absents –, le Sénat adopte en séance publique un amendement visant à allonger le délai de recours à l’IVG. La ministre de la santé de l’époque, Agnès Buzyn, soutenue par la commission, demande une seconde délibération afin de revenir sur le vote du Sénat ; dès lors, le Gouvernement pèse de tout son poids pour que la mesure adoptée soit retirée du texte en discussion.
Ce choix crée évidemment quelques problèmes dans la majorité. L’Assemblée nationale lance la rédaction d’un rapport d’information. Je tiens d’ailleurs à saluer le travail de nos collègues députées Marie-Pierre Rixain, Marie-Noëlle Battistel et Albane Gaillot.
À la suite de ce rapport, dressant un état des lieux de l’accès à l’IVG, l’Assemblée nationale adopte une proposition de loi. Au Sénat, le groupe socialiste, qui était déjà à l’origine de l’amendement que j’évoquais il y a un instant, tente de débloquer la situation : après le vote survenu à l’Assemblée nationale, le Gouvernement est bien décidé à ce que cette proposition de loi ne prospère pas,…