Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur, pour moi, l’eau et la biodiversité relèvent d’une seule et même problématique. La gestion de l’eau est l’un des principaux piliers de la biodiversité, dans tous ses aspects. (M. Alain Richard acquiesce.)
Nous devons nous affranchir de ces limites et nous efforcer d’aborder les problèmes de manière globale. Il en va de même des financements : l’effort national, l’effort de tous les Français pour participer au financement de la préservation de l’eau et de la biodiversité doit s’inscrire dans le même esprit de décloisonnement et de solidarité.
En revanche, nous devons donner aux projets locaux la meilleure visibilité possible sur les interventions et les partenariats, notamment au regard des attentes de certaines collectivités. Il faut préciser qui fait quoi, quelles missions sont attribuées aux différents opérateurs, quels financements peuvent être mobilisés et auprès de qui. Nous devons mener ce travail de clarification.
Les recettes qui reviennent au budget de l’État au titre du plafond mordant ne se volatilisent pas : elles ne disparaissent pas dans les poches du Gouvernement. Elles financent d’autres services publics, comme l’hôpital ou l’école, en vertu du principe de solidarité. Les recettes du budget de l’État ne sont pas affectées.
J’y insiste, ces ressources financent d’autres dépenses nécessaires au fonctionnement de notre société. Ce choix n’est pas un coup de rabot : il permet de garantir un équilibre entre les différentes missions régaliennes.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Drexler.
Mme Sabine Drexler. Madame la secrétaire d’État, la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (Maptam) a créé une compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations, la Gemapi, attribuée exclusivement aux communes. Le but est d’assurer une approche plus globale, à l’échelle d’un bassin versant, de la qualité de l’eau et de la préservation des zones humides.
La Gemapi a fait apparaître de nouveaux et importants acteurs locaux dans le domaine de l’eau avec la création des syndicats dits « gémapiens » et des établissements publics d’aménagement et de gestion de l’eau (Épage).
Après plusieurs années de mise en œuvre, nous constatons aujourd’hui les limites de la Gemapi, notamment en raison des positionnements ambigus des agences de l’eau à l’égard desdits syndicats et Épage.
Ainsi, l’agence de l’eau Rhin-Meuse continue de subventionner des études et des travaux pour des collectivités non seulement en dehors de leur champ de compétence, mais surtout en contradiction avec les priorités fixées par les syndicats mixtes compétents, ce qui suscite des tensions et fait peser des contraintes sur les autres membres du syndicat.
Après trois années de mise en œuvre de la Gemapi, les acteurs de l’eau estiment qu’il serait temps que ces agences respectent la loi.
Il serait temps aussi que des contrôles soient mis en place, comme l’a préconisé la Cour des comptes en 2015, afin de lutter contre les conflits d’intérêts qui perdurent et de mieux suivre les financements publics et les subventions allouées.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Madame la sénatrice Drexler, il s’agit d’un cas bien particulier, et j’espère que le différend entre la communauté de communes du pays de Rhin-Brisach et le syndicat mixte des canaux et cours d’eau de la plaine du Rhin demeurera une exception.
L’agence de l’eau a attribué une aide à cette communauté de communes, qui avait candidaté en 2017 à un appel à manifestation d’intérêt pour « renaturer » les anciens bassins de mine de potasse d’Alsace sur une île du Rhin, avant de transférer, en 2019, la compétence Gemapi au syndicat mixte précité, alors même que la communauté de communes ne prétendait pas renoncer totalement à sa maîtrise d’ouvrage sur le projet des îles du Rhin.
Il n’appartient sans doute pas à l’agence de l’eau de trancher un différend entre deux collectivités. L’agence a sollicité des éléments complémentaires auprès de la communauté de communes et du syndicat pour acter du devenir de cette aide, sans suite à ce stade.
Évidemment, l’agence de l’eau ne méconnaît pas la compétence Gemapi exclusive du syndicat mixte sur la plaine du Rhin : à preuve, elle a apporté des aides à son délégataire.
La situation de conflit d’intérêts n’est pas établie, d’autant qu’aucun élu de la communauté de communes n’est membre des instances de l’eau. En tout état de cause, les personnes susceptibles d’être en situation de conflit d’intérêts ne participent ni aux débats ni aux votes.
Le ministère a été particulièrement vigilant au respect des règles de déontologie dans l’attribution de ces aides publiques. À ce titre, les administrateurs des agences de l’eau sont soumis au respect d’une charte de déontologie dont les exigences sont définies par un arrêté ministériel du 5 février 2021.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Drexler, pour la réplique.
Mme Sabine Drexler. L’objectif du législateur était de parvenir à une meilleure structuration de l’action publique pour la gestion des milieux aquatiques. Las, par endroits, ce n’est pas encore une réalité.
Afin d’organiser le plus efficacement possible la compétence Gemapi en sécurisant les structures existantes, il vous faudrait lever certaines imprécisions, notamment quant aux limites de compétences et aux responsabilités liées des agences de l’eau.
Il faut qu’enfin les synergies voulues deviennent une réalité dans nos territoires et non une source de blocages et de tensions supplémentaires, comme l’appelle également de ses vœux l’Assemblée des communautés de France.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Madame la sénatrice, je le répète, nous espérons que cette situation très locale ne se reproduira pas ailleurs.
Toutes vos propositions sont d’ordre législatif : ce débat appartient donc au Parlement. Toutefois, j’observe que, quand le cadre de la Gemapi est respecté, il s’applique relativement bien.
Mme la présidente. La parole est à M. Hugues Saury.
M. Hugues Saury. Pierre angulaire de notre politique nationale de l’eau, la loi de 1964 a institué les six agences que nous connaissons.
Le principe fondateur du financement de ce service public était alors clairement défini : l’eau paye l’eau. Or les élus locaux constatent aujourd’hui que ce principe est plus que jamais menacé. J’en donnerai deux exemples.
Le plus criant concerne les financements nécessaires au renouvellement des réseaux : beaucoup de petites et moyennes communes ne parviennent pas à obtenir les aides suffisantes pour restaurer les réseaux, malgré leur état de vétusté et un rendement alarmant. Doit-on comprendre que ces rénovations indispensables, urgentes, ne sont plus prioritaires pour les agences de l’eau en dépit des nécessités du service public ? Que doivent faire les élus des communes, sans moyens financiers suffisants, confrontés à cette problématique vitale pour leurs administrés ?
Le plus saugrenu tient à la politique de subventions au sein d’un même territoire. Ainsi, deux agences sont opérantes dans le Loiret ; elles correspondent à deux bassins différents et n’ont pas les mêmes priorités : la cohérence de leur soutien est souvent obscure pour les maires, notamment ceux dont les communes sont limitrophes d’un autre bassin.
Madame la secrétaire d’État, comment expliquer au maire d’une petite commune de Beauce que l’agence Loire-Bretagne concentre ses financements sur la prévention et non sur la réduction de la teneur en nitrate de l’eau potable, alors que la France est mise en demeure par la Commission européenne sur ce sujet ? De même, comment expliquer au maire d’une commune du Gâtinais que la gestion des eaux pluviales n’est plus une priorité de l’agence Seine-Normandie ?
Ces situations confinant à l’absurde sont bien connues des maires du Loiret, qui bien entendu les déplorent.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur, il s’agit à nouveau d’un cas particulier, propre à votre département.
Cela étant, on ne peut exiger une définition des enjeux au plus près des besoins des différents bassins tout en déplorant que les dispositifs déployés ne soient pas homogènes sur tout le territoire.
Les priorités doivent se définir à la fois aux échelles nationale et communautaire, au regard de nos objectifs de bon état de nos eaux, et au plus près du terrain.
Vous regrettez une certaine forme de priorisation de ces aides, ce que je puis entendre. Toutefois, je pense que ces dossiers sont traités au cas par cas et le plus finement possible par les agences de l’eau de votre territoire.
Depuis la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, dite loi Biodiversité, une continuité des différentes politiques de biodiversité est assurée, de la terre à la mer. Nous devons toujours porter un regard global sur nos interventions.
Nous devons aussi savoir prioriser certaines urgences, certains enjeux spécifiques à différents territoires et à différents bassins. C’est d’ailleurs ce que nous avons fait dans le cadre du plan France Relance : au total, 250 millions d’euros d’investissements ont été déployés par les agences de l’eau. C’est dire l’importance des besoins ; c’est dire aussi la maturité des acteurs locaux pour mettre en œuvre ces solutions.
Mme la présidente. La parole est à M. Hugues Saury, pour la réplique.
M. Hugues Saury. Madame la secrétaire d’État, je refuse de croire que l’urgence écologique, par ailleurs évidente, est le véritable motif de l’abandon des priorités initiales.
Tout au contraire, cette urgence nous oblige à revenir au plus vite au principe fondateur de notre politique de contribution : tout l’argent qui provient de l’eau, via les redevances, bénéficie à l’eau par le financement et l’entretien des équipements. Aujourd’hui, pouvez-vous encore affirmer que l’eau paye l’eau ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Je l’ai déjà souligné au cours de ce débat : pour moi, l’eau et la biodiversité ne sont qu’un seul et même problème.
On pourrait porter un regard plus général, mais je ne voudrais pas défrayer la chronique en annonçant qu’il me semblerait nécessaire de fusionner, à terme, l’Ademe, l’Office français de la biodiversité et les agences de l’eau – c’est ambitieux !
Cela étant, les politiques de biodiversité incluent clairement les politiques de l’eau. Le changement climatique et l’érosion de la biodiversité sont des problématiques intimement liées. De même, du fait du continuum terre-mer, les petits et grands cycles ne sont pas si indépendants que cela : nous devons développer une vision globale de toutes ces questions.
Mme la présidente. La parole est à M. Hugues Saury.
M. Hugues Saury. Madame la secrétaire d’État, j’ai soulevé deux points qui me semblent majeurs.
Le premier a trait à la nécessité d’aider davantage les communes, notamment via les agences de l’eau, pour la rénovation de leurs réseaux d’eau potable, qui sont parfois vétustes.
Le second est relatif à la disparité des politiques d’aide, alors même que certains départements relèvent de plusieurs bassins et donc de plusieurs agences. Cette situation rend à la fois illisible et inéquitable l’action des agences et, plus généralement, la politique de l’eau.
Je vous interpelle, car il s’agit d’un enjeu majeur pour nos élus locaux. Je ne suis pas certain que vous ayez pris la pleine mesure de l’urgence et de la difficulté de leur situation. Garantir l’usage économe d’une eau potable de bonne qualité, à un coût raisonnable, est peut-être le premier des combats écologiques.
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Duplomb.
M. Laurent Duplomb. Madame la secrétaire d’État, le projet de Sdage de l’agence Loire-Bretagne 2022-2027 est en cours d’élaboration dans un contexte de tensions plus que palpables.
Lors d’un premier scrutin, en octobre 2021, 49 % des voix y étaient favorables, malgré 32 % de votes blancs. Ce résultat, selon moi, ne confère pas au projet une légitimité suffisante pour entrer en application. À titre de comparaison, le Sdage d’Adour-Garonne a été adopté à 72 %.
Le collège des industriels du comité de bassin m’a fait part des différents points de blocage, dont la préfète de bassin a été informée et que je vous ai moi-même indiqués par courrier.
Ces industriels pointent du doigt un manque de concertation, dont je m’étais ouvert dans la lettre que je vous ai adressée le 4 février 2021 : les règles de démocratie n’ont pas été véritablement appliquées au sein de l’agence.
Ils dénoncent également le caractère excessivement prescriptif du Sdage, qui introduit un rapport de conformité et non de compatibilité, les nombreux biais méthodologiques dont souffre la rédaction de ce projet – la méthodologie utilisée est contestable et entachée de plusieurs erreurs substantielles –, la non-prise en compte des enjeux socio-économiques du territoire, le manque de cohérence et de lisibilité du projet, la vision dogmatique du changement climatique, sous le seul angle de la pénurie d’eau, et l’absence de possibilités de stockage ou de création de ressources.
L’agence Loire-Bretagne intervient sur le bassin hydrographique de l’Allier, qui est l’un des principaux affluents de la Loire. Le barrage de Naussac permet de stocker 360 millions de litres d’eau, mais l’étiage de l’Allier est souvent arrêté de manière arbitraire, si bien que l’on n’utilise pas plus de la moitié de ces capacités.
Au regard des éléments que m’ont transmis les industriels et du manque de cohérence et de concertation, je vous demande, comme je l’ai déjà fait par courrier, de reporter l’élaboration du Sdage Loire-Bretagne d’au moins six mois : il faut revoir la copie et permettre à tout le monde d’être entendu pour parvenir enfin à une vraie solution concertée et mettre en place ce Sdage dans les meilleures conditions. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Duplomb, cette situation particulière de tension ne nous a évidemment pas échappé.
Les rapports entre l’amont et l’aval entraînent beaucoup de crispations au titre de la redéfinition du Sdage du bassin Loire-Bretagne. La préfète de bassin est pleinement impliquée dans cette concertation, qui est à l’œuvre et doit durer encore deux mois. En effet, les nouveaux contours du Sdage doivent être arrêtés d’ici au mois de mars prochain.
Ces questions trouvent un écho dans les réflexions que nous menons dans le cadre du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique, dans la mesure où la tension sur les ressources concerne particulièrement les agriculteurs du bassin Loire-Bretagne.
Par ailleurs, je vous confirme le lancement d’une mission, que j’ai souhaitée, dédiée à la mobilisation des barrages hydroélectriques pour un soutien à l’étiage. Cette mission a été confiée au Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) et au Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER). Elle devra nous éclairer sur l’intuition que vous partagez avec d’autres, à savoir qu’il serait possible d’affiner ces volumes pour répondre ponctuellement aux situations de tension.
Conclusion du débat
Mme la présidente. En conclusion du débat, la parole est à M. Mathieu Darnaud, pour le groupe auteur de la demande.
M. Mathieu Darnaud, pour le groupe Les Républicains. Madame la secrétaire d’État, permettez-moi de résumer en quelques mots les messages que vous ont adressés l’ensemble de nos collègues.
Aujourd’hui, l’on ponctionne toujours davantage les recettes des agences de l’eau, notamment au titre des plafonds mordants, alors que leurs missions ne cessent de s’étendre et de se diversifier.
Certains orateurs vous ont d’ailleurs fait remarquer qu’au-delà des enjeux abordés certains sujets ne sont pas pris en compte. Je pense notamment à l’assainissement collectif et au ruissellement, question qui, en tant qu’élu ardéchois, me soucie tout particulièrement.
Si nous sommes ravis que le Gouvernement comprenne nos inquiétudes, nous aurions aimé qu’il se saisisse plus avant de ces problèmes, qui préoccupent nombre d’élus ruraux.
Pour toutes ces raisons – vous le comprendrez –, nous ne sommes pas pleinement rassurés.
Surtout, ce qui nous inquiète, c’est l’une des conclusions de l’excellent rapport de notre collègue Rémy Pointereau. En effet, un constat s’impose : l’eau ne paye plus l’eau. Or c’était là un point d’équilibre essentiel. Pis – M. Pointereau le souligne dans ce même rapport –, l’eau paye l’État.
Notre inquiétude va donc grandissant, à mesure que les nuages s’amoncellent devant nous. Je pense en particulier au changement climatique, auquel de nombreux orateurs ont fait référence, et à la gestion, de plus en plus problématique, de la ressource en eau dans nos territoires.
Selon moi, il est temps d’envoyer un véritable signal d’alerte quant aux pistes de financement – sur ce point non plus vous ne nous avez pas complètement rassurés.
Tôt ou tard, il faudra bien entrer dans le vif du sujet ! Disons-le très clairement : nous restons sur notre faim. Non seulement les ressources des agences de l’eau se tarissent – sans mauvais jeu de mots –, mais l’État, notamment via la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), ne cesse d’aggraver cette situation budgétaire et donc le défaut d’accompagnement desdites agences.
Enfin, à quelques heures de la commission mixte paritaire dédiée au projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, ou projet de loi 3DS, nous aurions été en droit d’attendre une prise en compte de la nécessaire agilité revendiquée par l’ensemble des élus locaux du territoire. Or il n’en est rien !
À cet égard, permettez-moi de revenir sur un sujet qui préoccupe le Sénat et sur lequel nous nous sommes particulièrement investis. Je veux parler de la compétence « eau et assainissement ». J’y insiste, nous espérions qu’une grande agilité serait offerte aux élus des territoires. (M. Laurent Burgoa acquiesce.)
La vérité, c’est que les bassins hydrographiques commandent aux hommes. Nous avons donc besoin de disposer de l’agilité permettant de préfigurer les futures gouvernances de l’eau dans nos territoires.
Nul besoin de tout voir au prisme des intercommunalités : faisons également confiance aux syndicats, qui ont souvent une gouvernance un peu plus souple.
Au-delà du travail des agences de l’eau, des ressources complémentaires dont nous avons besoin et que nous appelons de nos vœux, il faudra bien que les collectivités prennent à bras-le-corps les problématiques des ressources en eau. Pour ce faire, il faut s’organiser à l’échelle des bassins versants en laissant aux acteurs la plus grande souplesse pour être au rendez-vous des enjeux qui sont devant nous.
Je le dis avec insistance, car nous avons parfois le sentiment d’être enfermés dans une logique trop technocratique. La question de la gouvernance, évoquée par plusieurs de mes collègues, n’a reçu aucune réponse à ce jour. Dans les territoires, les élus attendent plus de réactivité.
Madame la secrétaire d’État, vous l’aurez compris : nous espérons des réponses très concrètes, qu’il s’agisse de l’évolution de la gouvernance ou des ressources nécessaires face au changement climatique.
Comme le disait mon collègue Rémy Pointereau en préambule, l’eau, c’est la vie, et il y va de l’avenir de nos territoires ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur les agences de l’eau.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures vingt-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
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Harkis et autres personnes rapatriées d’Algérie
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de leurs conditions d’accueil sur le territoire français (projet n° 178, texte de la commission n° 341, rapport n° 340).
Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
Mme la présidente. Je vous informe que les candidatures pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions de ce projet de loi restant en discussion ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
Discussion générale
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès de la ministre des armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, l’histoire des harkis, c’est l’histoire de France. L’histoire des harkis, c’est l’histoire d’une loyauté française et d’une fidélité déçue.
Cette histoire, nous la regardons en face, avec ses ombres et ses lumières, avec la vérité comme exigence et la clarté comme guide.
Tel est l’objet et le sens du discours du Président de la République prononcé le 20 septembre dernier. À cette occasion, le chef de l’État a prolongé le chemin de la reconnaissance ouvert par Jacques Chirac et suivi par tous ses successeurs depuis lors. Il a renouvelé la reconnaissance des manquements de la France et a rappelé la singularité de cette tragédie française.
Il a souhaité aller plus loin – plus loin dans la reconnaissance, plus loin dans la réparation, plus loin dans la transmission mémorielle –, en annonçant l’inscription dans le marbre de nos lois de la reconnaissance et de la réparation à l’égard des harkis.
Ce projet de loi en est la traduction et l’expression. Il est à la fois important et grave, pour les harkis et leurs enfants, pour toutes les générations d’hommes et de femmes ayant subi la guerre d’Algérie, pour la mémoire nationale.
C’est peu dire que nos discussions de ce jour sont attendues par les harkis, leurs associations, leurs enfants et leurs ayants droit. Nous savons, nous entendons les espérances et la soif de reconnaissance. L’examen en commission l’a très justement rappelé ; à ce titre, je tiens à saluer le travail mené par Mme la rapporteure et les membres de la commission.
Ces attentes, nous les avons entendues tout au long du mandat. Je les ai entendues dans les instances de consultation du monde combattant, lors de l’élaboration du rapport Ceaux, que j’ai demandé dès l’automne 2017, au cours de mes déplacements et lors de chaque cérémonie.
Ce projet de loi s’inscrit dans le temps du pardon, ouvert par le chef de l’État. Il est celui de la reconnaissance par la Nation d’une profonde déchirure et d’une tragédie française, d’une page sombre de notre histoire.
La France a tourné le dos à des combattants valeureux (M. Yves Détraigne acquiesce.), qui l’avaient loyalement servie de 1954 à 1962. En cela, notre pays n’a été fidèle ni à son histoire ni à ses valeurs.
Par ce texte, la France leur renouvelle sa gratitude ; car l’histoire des harkis est avant tout une histoire de soldats, d’hommes et de femmes servant sous le drapeau français.
L’histoire des harkis, c’est aussi celle d’une tragédie : celle de femmes, d’hommes et d’enfants abandonnés sur leur terre natale ; celle de femmes, d’hommes et d’enfants rapatriés en métropole, déracinés et, pour certains, relégués. Pour toutes et tous, le 19 mars 1962, les accords d’Évian et l’application du cessez-le-feu ont été un tournant.
Nous le savons : la vérité est cruelle. La France a tergiversé pour ouvrir ses portes aux harkis et à leurs familles. Pour ceux qui parvinrent à atteindre les rives du sud de la France, ce fut le début du déchirement et d’un douloureux exil, d’un temps d’incompréhension et d’incertitude. Ils attendaient l’hospitalité et la fraternité : ils ont souvent trouvé l’hostilité, voire l’arbitraire. Pour beaucoup, l’arrivée sur le sol métropolitain marqua le début des meurtrissures et de la marginalisation.
Environ 90 000 harkis, avec leurs proches, leurs enfants, ainsi qu’un certain nombre de veuves, sont arrivés en France après le 19 mars 1962. Près de la moitié d’entre eux a été reléguée, parfois durant des années, dans des camps et des hameaux de forestage. Vous le savez : ils y ont vécu dans des conditions de vie indignes.
C’était en France ; c’était hier. Dans ces lieux, les harkis et leurs familles ont connu l’arbitraire, les barbelés, l’enfermement, le froid, les carences alimentaires, la promiscuité et l’absence d’intimité. Ils ont subi les brimades, les humiliations, les abus et les détournements de prestations ; autant de maux, autant de traumatismes.
Je le rappelle, plusieurs milliers d’enfants ont été déscolarisés, mal accueillis et mal instruits. La France n’a pas été au rendez-vous de la plus belle des promesses républicaines, celle de l’école et de l’instruction.
Ces lieux de bannissement ont meurtri, traumatisé et, parfois, tué. Cette situation, qui a duré, a été à juste titre ressentie et vécue comme une trahison.
Conscient de ces souffrances et de leurs conséquences, notre pays, depuis plusieurs décennies et sous plusieurs gouvernements, a été aux côtés des harkis sur la voie de la justice et de la réparation. À cette fin, l’État a mis en place des dispositifs spécifiques. Il continue à les actualiser et poursuit le travail de mémoire.
Toutes ces actions de mémoire, toutes ces mesures de réparation, nous les avons intensifiées depuis 2017.
Conformément aux conclusions du rapport Ceaux, nous avons créé un dispositif de soutien pour la deuxième génération, pour les enfants de harkis ayant vécu dans les camps et hameaux de forestage. Nous aidons un nombre sans cesse croissant d’enfants de harkis à faire face à des dépenses d’insertion, de santé ou de logement.
Pour les harkis combattants, nous avons mis en œuvre, ces dernières années, la plus forte augmentation jamais décidée des allocations de reconnaissance et des allocations viagères. Le 1er janvier dernier, nous avons encore franchi une nouvelle étape avec le doublement de ces allocations, qui sont passées de 4 200 euros à près de 8 400 euros annuels par combattant ou par veuve. C’est un message clair ; c’est la preuve tangible de la reconnaissance de la Nation envers ces combattants.
Mesdames, messieurs les sénateurs, par ce projet de loi, la République renouvelle la reconnaissance de ses manquements et couronne l’édifice de réparation.
L’article 1er réaffirme la gratitude de la Nation à l’égard de tous les combattants qui ont servi la France entre 1954 et 1962. De plus, pour la première fois, la nation française reconnaît sa responsabilité dans les conditions indignes, précaires et attentatoires aux libertés pour l’accueil sur notre territoire de certains harkis, moghaznis et personnels des diverses formations supplétives, accompagnés de leurs familles.
Nous ancrons dans la loi la journée nationale du 25 septembre et nous l’enrichissons d’un hommage aux compatriotes, aux officiers, aux particuliers et aux maires qui ont accompagné des harkis dans leur nouvelle vie sur les plans moral et matériel, pour les accueillir et les aider à s’intégrer. Ces femmes et ces hommes ont fait honneur à la France. Je me réjouis que nous trouvions les moyens de leur témoigner l’estime et la reconnaissance de la Nation.
Ensuite, ce projet de loi précise le périmètre de la réparation des préjudices subis. Sont éligibles au dispositif les harkis et leurs familles ayant séjourné dans des lieux, principalement des camps et hameaux de forestage, qui, du fait de la précarité, de l’enfermement, de la privation de liberté et de l’isolement, contrevenaient à nos principes républicains fondamentaux.
La réparation prend la forme d’une indemnisation forfaitaire et individualisée selon la durée du séjour dans les structures concernées. Les mesures de réparation accordées bénéficieront de règles d’exonération fiscale.
Le texte instaure une commission nationale de reconnaissance et de réparation. Cette instance sera chargée de statuer sur les demandes de réparation après instruction par les services de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG). Parce que le travail de mémoire est essentiel, la commission mènera également une mission mémorielle pour recueillir, conserver et transmettre la mémoire des harkis.
Enfin, ce projet de loi actualise les dispositifs préexistants et les renforce pour davantage d’équité. Il rend plus favorable le régime d’allocations viagères en supprimant les forclusions. Une telle disposition permet de rouvrir l’octroi de cette allocation aux conjoints survivants qui n’avaient pas présenté de demande dans le délai légal.
Parallèlement, l’accès à l’allocation viagère est étendu aux personnes dont les conjoints décédés ont fixé leur domicile dans un pays de l’Union européenne et par la loi aux veuves des personnes « assimilées » aux membres des formations supplétives.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il n’est pas de meilleure reconnaissance que la connaissance. La transmission est donc essentielle et même prioritaire.
L’histoire des harkis est trop méconnue des Français. Nous devons la faire connaître et favoriser son enseignement ; nous devons renforcer le travail mémoriel.
Le souvenir des harkis est désormais rappelé sur les sites où ils ont vécu. Nous avons œuvré pour reconnaître les mémoires les plus douloureuses ; je pense particulièrement au travail accompli autour des cimetières. La maison d’histoire et de mémoire d’Ongles, seul lieu de mémoire uniquement dédié à l’histoire des harkis, est soutenue par le ministère des armées.
De même, un important travail d’archives et de collecte des témoignages a été déployé. Les expositions réalisées par l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre sont à la disposition de tous. Elles sont au cœur des actions menées dans les établissements scolaires. Bien sûr, les recueils mémoriels de la commission seront déterminants pour amplifier la transmission.
Je connais l’attachement de la Haute Assemblée au monde combattant et son intérêt fort pour les enjeux de transmission, de reconnaissance et de réparation. Ainsi, ce projet de loi vous offre toute latitude pour renouveler l’hommage aux harkis, acter la reconnaissance de l’accueil indigne, ouvrir un nouveau chemin de la réparation et déterminer les conditions y ouvrant droit. Nous sommes ensemble sur ce chemin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe UC. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)