M. le président. Nous en avons terminé avec le débat d’actualité sur le thème : « Énergie et pouvoir d’achat : quel impact de la politique du Gouvernement ? »

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante, est reprise à dix-huit heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

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Organisation des travaux

M. le président. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous rappelle que la conférence des présidents avait prévu que nous suspendions nos travaux entre vingt heures trente et vingt-deux heures.

En accord avec le Gouvernement et le groupe Union Centriste, nous pourrions prolonger notre séance au-delà de vingt heures trente pour examiner les deux points de l’ordre du jour de l’espace réservé au groupe Union Centriste, sans avoir à suspendre.

Il n’y a pas d’opposition ?…

Il en est ainsi décidé.

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Dossier législatif : proposition de loi tendant à renforcer l'universalité des allocations familiales
Discussion générale (suite)

Caractère universel des allocations familiales

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à renforcer l'universalité des allocations familiales
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi tendant à redonner un caractère universel aux allocations familiales, présentée par M. Olivier Henno et plusieurs de ses collègues (proposition n° 181, texte de la commission n° 400, rapport n° 399).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Olivier Henno, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des affaires sociales.

M. Olivier Henno, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à supprimer la modulation des allocations familiales en fonction des revenus du foyer.

Les allocations familiales occupent une place à part parmi les prestations de la branche famille. En 2020, elles représentaient 12,7 milliards d’euros, soit 41 % des dépenses liées aux prestations légales de la branche. Elles étaient versées à plus de 5 millions de familles, ce qui en fait la première des prestations familiales.

Prestations historiques et majeures, les allocations familiales ont une portée symbolique. Conçues pendant l’entre-deux-guerres, elles furent, après la Libération, au cœur de la politique nataliste mise en œuvre en France, qui alors « n’était qu’un pays statique et clairsemé », pour reprendre les mots du général de Gaulle.

La loi du 22 août 1946 étendit leur bénéfice aux personnes dans l’incapacité de travailler et aux femmes élevant seules plus de deux enfants. Elle posa ainsi les fondements de leur universalité, définitivement consacrée à partir de 1978, lorsque toute condition d’activité professionnelle pour l’ouverture des droits aux prestations familiales fut supprimée.

Alors qu’elles ont été versées à de nombreux foyers depuis soixante-dix-sept ans, les allocations familiales sont régies par des conditions d’attribution bien connues des Français. Elles sont ainsi dues à partir du deuxième enfant jusqu’à l’âge de 20 ans, à l’exception des départements et des régions d’outre-mer dans lesquels les allocations familiales sont ouvertes dès le premier enfant. Leur montant à taux plein varie selon le nombre d’enfants à charge : 132 euros pour deux enfants, 301 euros pour trois et 470 euros pour quatre.

L’Assemblée nationale a introduit dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, par la voie d’un amendement parlementaire, une modulation des allocations familiales selon les revenus de la famille à compter du 1er juillet 2015. Cette modulation concerne les allocations familiales, la majoration versée pour les enfants de plus de 14 ans, ainsi que l’allocation forfaitaire accordée lorsqu’un enfant à charge atteint l’âge limite de 20 ans.

En conséquence, le montant des allocations familiales a été réduit pour 10 % de leurs bénéficiaires, soit un demi-million de familles. Le versement est ainsi divisé par deux pour les familles dont les ressources dépassent le plafond de 5 800 euros pour deux enfants et par quatre pour celles dont les revenus excèdent 7 800 euros pour deux enfants.

L’objectif assumé de cette réforme était de réaliser des économies budgétaires. Sur ce point, la mesure a tenu ses promesses : dès 2016, 760 millions d’euros ont été économisés au détriment des familles. D’autres mesures d’économies se sont d’ailleurs ajoutées comme la réduction du plafond du quotient familial ou, plus récemment, en 2019 et en 2020, la sous-revalorisation des prestations familiales.

La modulation des allocations familiales a produit des effets secondaires qui ne sont pas difficiles à observer. Elle a affaibli la lisibilité de la prestation, en introduisant de la complexité dans sa gestion et de l’incertitude pour les ménages concernés. Les ressources prises en compte étant jusqu’à présent celles de l’année n-2, des événements imprévus peuvent affecter les revenus des ménages sans que le montant des allocations ne soit adapté afin de soutenir le budget des familles pour l’éducation des enfants.

Cependant, les conséquences néfastes de la réforme dépassent la seule question du paramétrage d’une prestation familiale et justifient que cette proposition de loi soit débattue aujourd’hui.

Cette modulation a tout d’abord écorné le principe d’universalité des allocations familiales. Si celles-ci demeurent versées à toutes les familles dès le deuxième enfant à charge, l’universalité n’est plus que de façade étant donné les montants modiques versés à certaines familles. Ainsi, lorsque les ressources du foyer se situent dans la troisième tranche du barème, le montant de l’allocation s’établit à 33 euros pour deux enfants à charge.

La modulation des allocations familiales, en portant atteinte au principe d’universalité, comporte le risque de saper l’acceptabilité de la politique familiale pour les foyers concernés par la modulation. Ces derniers contribuent au financement d’une politique toujours qualifiée d’universelle, mais dont ils sont paradoxalement exclus.

En outre, cette modulation d’une prestation universelle en fonction du revenu interpelle. Si cet « universalisme progressif » venait à s’étendre, c’est tout notre modèle de sécurité sociale qui pourrait être remis en cause. À cet égard, il est assez révélateur que cette réforme ait affecté les allocations familiales et non, jusqu’à présent, les prestations d’assurance maladie. À l’évidence, la politique familiale n’a pas constitué une priorité pour les derniers gouvernements.

Plus encore, cette modulation introduite en 2015 a dévoyé le sens des allocations familiales qui ont été conçues pour porter l’ambition de redistribution horizontale de la politique familiale. Quelles que soient les ressources du foyer, la prestation compensait une partie du coût de l’éducation des enfants, témoignage de la solidarité de la collectivité envers les familles. C’est pourquoi le montant des allocations ne variait que selon le nombre d’enfants.

Au contraire, l’introduction d’une logique de redistribution verticale a brouillé les objectifs assignés à cette prestation.

Il ne s’agit pas là de nier les nouveaux enjeux que la politique familiale doit relever. Depuis les années 1970, la nécessité d’aider particulièrement les familles les plus vulnérables explique la création de prestations sous condition de ressources ou modulées selon les revenus du ménage. Complément familial, allocation de rentrée scolaire, prime à la naissance ou à l’adoption, allocation de base de la prestation d’accueil du jeune enfant : nombreuses sont les prestations qui ciblent les familles aux revenus les plus modestes ou les publics spécifiques.

Cependant, en perdant de vue l’objectif de redistribution horizontale, la réforme de 2015 a consacré la transformation de la politique familiale en une politique de soutien aux familles les plus précaires, sans pour autant être une mesure de justice sociale. La modulation des allocations familiales ne produit aucun bénéfice pour les familles aux revenus modestes.

Pour toutes ces raisons, nous vous proposons, à l’article 1er de la proposition de loi, adopté par la commission, de supprimer la modulation des allocations familiales selon les ressources de la famille. L’article 2 gage cette mesure, dont le coût est estimé à 830 millions d’euros par an. Cette dépense supplémentaire serait soutenable pour la branche famille, dont les comptes devraient afficher un excédent de 1,7 milliard d’euros en 2022.

Surtout, dans un contexte où la natalité est préoccupante dans notre pays, l’adoption de cette proposition de loi serait un investissement pour le renouvellement des générations.

Depuis 2012, la France présente le taux de fécondité le plus élevé d’Europe. Pourtant, il est difficile de nous targuer de cette place tant la dynamique de la fécondité est désormais défavorable. Le taux de fécondité conjoncturel, qui oscillait autour de 2 enfants sur la période 2005-2015, a diminué constamment pour atteindre 1,82 enfant par femme en 2020. Ce déclin, combiné à la diminution du nombre de femmes en âge de procréer, a provoqué une chute de 80 000 naissances annuelles entre 2014 et 2020.

Si l’année 2021 marque une stabilisation du taux de fécondité à 1,83 en raison d’un phénomène de rattrapage après la crise sanitaire, les chances d’une remontée durable du taux de fécondité sont minces. L’exception démographique française en Europe est à terme menacée.

Certes, aucune étude n’a pu mettre en évidence un lien entre la modulation des allocations familiales et la chute de la fécondité observée depuis quelques années. L’effet d’une mesure isolée de la politique familiale est en tout état de cause difficile à mesurer et les seules considérations financières ne suffisent pas à déterminer le choix des familles et leur projet de parentalité.

Toutefois, comment ne pas penser que cette modulation a envoyé un mauvais signal aux familles, leur faisant craindre une réorientation de la politique familiale et un affaiblissement de la solidarité en leur faveur ? Cette mesure d’économies budgétaires a demandé un effort aux familles avec au moins deux enfants, effort qui n’était pas exigé des ménages sans enfant aux revenus identiques.

Pour que leurs projets de parentalité se concrétisent, les familles ont besoin d’être soutenues par une politique familiale cohérente et pérenne. Cette proposition de loi vise précisément à mettre fin aux distinctions, voire aux stigmatisations induites par un barème de ressources, à redonner du sens aux allocations familiales et à réaffirmer l’engagement de la société aux côtés des familles.

La sécurisation de l’environnement familial exige bien entendu d’autres mesures et de nombreux chantiers restent à engager, qu’il s’agisse de développer davantage l’offre d’accueil de la petite enfance ou de favoriser une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, grâce à des congés parentaux plus pertinents.

La fin de la modulation des allocations familiales selon les revenus du foyer ne constituerait donc que la première étape d’un renouveau plus profond de la politique familiale. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de lenfance et des familles. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis pour examiner la proposition de loi tendant à redonner un caractère universel aux allocations familiales dans l’objectif, selon l’exposé des motifs de ce texte, de « relancer la natalité dans notre pays et redonner du sens à notre politique familiale ».

La période est sans doute propice aux débats sur ce type de sujet et – il faut le craindre – aux propositions faciles, démagogiques ou caricaturales, ce qui n’est toutefois pas le cas de cette proposition de loi.

Pour autant, je ne partage ni la démarche ni l’esprit de ce texte qui nous donne malgré tout l’occasion – je vous en remercie – de débattre de sujets importants. Je considère essentiel de le faire sur des fondements précis.

À l’approche d’échéances importantes, les propositions se polarisent, les totems sont brandis en programme, traduisant parfois une difficulté à avancer des idées qui ne soient pas que des pensées toutes prêtes. Faut-il soumettre les allocations à des plafonds de revenus, au risque de porter atteinte au principe d’universalité ? Le plafond du quotient familial doit-il être relevé ? Le calcul des parts doit-il être modifié ?

Ces questions sont bien sûr importantes, car les effets des aides monétaires sur le quotidien des familles françaises ne sont pas neutres. Mais il faut que les choses soient claires : la modulation, qui remonte – vous l’avez dit – à la mandature précédente et que vous remettez ici en question, non seulement préserve le principe d’universalité des allocations familiales, mais permet surtout de répondre à un objectif de justice sociale.

Je rappelle que la modulation ne touche qu’une faible part des bénéficiaires des allocations familiales, puisque seuls 10 % des allocataires étaient concernés en 2019. Et j’insiste sur le terme de modulation, puisque toute famille, quel que soit son niveau de revenu, peut toujours bénéficier des allocations familiales à compter du deuxième enfant.

Cette modulation répond surtout à un objectif de justice sociale. Il s’agit bien de concentrer l’effort de solidarité nationale sur ceux qui en ont le plus besoin et de réduire les inégalités à deux niveaux, horizontal et vertical. Selon des travaux de l’Insee, la modulation a en effet permis en 2021 une réduction de 9,4 % des inégalités verticales de niveau de vie, c’est-à-dire entre familles aisées et modestes, et de 20 % en faveur des familles monoparentales et nombreuses dans une redistribution que l’on qualifie d’horizontale.

Je souligne par ailleurs que, contrairement aux affirmations de l’exposé des motifs de la présente proposition de loi – vous les avez relativisées dans votre présentation, monsieur le rapporteur –, l’impact des allocations familiales sur la natalité n’est pas démontré, en France comme dans la quasi-totalité des pays de l’OCDE. Il n’y a donc pas de corrélation évidente entre leur modulation et la baisse de la natalité, d’autant que cette baisse a été constatée dans la plupart des pays de l’OCDE ces dernières années, la France restant en tête parmi ces pays, son taux de fécondité étant de 1,83 enfant par femme. J’ajoute que le taux de fécondité a progressé dans notre pays en 2021.

Un candidat à l’élection présidentielle, qui n’est pas celui que vous soutenez, monsieur le rapporteur, a déclaré que toute la politique familiale française a prouvé qu’en mettant de l’argent, on obtient un accroissement de la natalité. C’est bien mal connaître, d’une part, les ressorts contemporains de la politique familiale, d’autre part, les aspirations et les besoins des familles françaises aujourd’hui – c’est peut-être cela qui est plus grave pour ce candidat…

La baisse de la fécondité observée depuis 2015 touche en réalité tous les groupes de niveau de vie. Ce constat va bien sûr à l’encontre de l’idée que la natalité diminuerait chez les plus aisés en raison de la modulation des allocations familiales instituée en 2015.

En fait, les études disponibles montrent plutôt que la diminution de la natalité résulte de différents facteurs.

Elle s’explique par des facteurs démographiques : le nombre de femmes en âge de procréer est en diminution notable dans notre pays et l’âge moyen de la maternité est en recul.

Elle résulte également de facteurs sociétaux. Les parents aspirent de plus en plus à mieux concilier vie professionnelle et vie familiale pour ne plus avoir à choisir entre l’une et l’autre – je reviendrai sur ce sujet.

Enfin, elle s’explique par des facteurs économiques, c’est vrai, liés aux incertitudes pesant sur la conjoncture et, plus récemment, à l’impact de la crise sanitaire sur la confiance des ménages.

C’est donc bien l’ensemble de ces leviers qu’il faut actionner. C’est ce que fait le Gouvernement depuis 2017. Il s’agit de rompre ainsi avec trente années de débats réduits à la seule question des aides monétaires. Ces débats nous empêchaient de prendre pleinement conscience des nouvelles aspirations et difficultés des parents.

Ce qui compte, c’est d’assurer un environnement global le plus favorable possible à l’accueil du jeune enfant, c’est de prendre en compte les spécificités des parcours, de proposer des solutions précises et adaptées pour mettre parents et futurs parents dans les meilleures conditions d’accueillir leur enfant.

Telle est la vision que nous avons de la politique familiale, laquelle repose sur deux piliers : il s’agit de bâtir une société globalement plus accueillante pour les enfants et leur famille, mais aussi de lutter contre les inégalités de destin qui touchent encore trop d’enfants dans notre pays.

Pour cela, il faut dépasser la question de l’universalité par les seules prestations et bâtir une universalité des services pour toutes les familles.

Cela suppose simplement de reconnaître qu’être parent n’est pas forcément chose aisée et d’agir pour accompagner les parents dans ce rôle. C’est indispensable et cela signifie agir dès les premiers temps de la parentalité. C’est d’autant plus vrai que la moitié des parents français estiment aujourd’hui qu’il est dur d’être parent, que les femmes disent qu’elles se sentent seules pendant et après leur grossesse et que près de 20 % d’entre elles, probablement plus, sont touchées par la dépression post-partum.

C’est tout le sens de la politique des 1 000 premiers jours de l’enfant, période fondatrice « où tout commence », pour reprendre l’expression de Boris Cyrulnik, même si tout ne se joue pas là, de l’attachement entre parents et enfants à l’apprentissage des premiers gestes, des premiers mots, et sur laquelle aucun gouvernement n’avait jamais autant investi que le nôtre.

Nous faisons également le choix de la prévention dès le quatrième mois de grossesse et pour toute cette tranche de vie, notre ambition étant de prévenir les risques psychosociaux dès l’instant où le projet parental se forme et de privilégier une approche systémique tenant compte de l’environnement dans lequel évolue l’enfant – on l’a dit, les 1 000 premiers jours sont essentiels.

Désormais, toutes les femmes et leur conjoint bénéficient d’un parcours « 1 000 premiers jours », qui s’articule autour de plusieurs éléments : un entretien prénatal précoce obligatoire dès le quatrième mois de grossesse, remboursé par la sécurité sociale ; un meilleur accompagnement en maternité et par la suite, notamment grâce à la création de 200 postes médico-sociaux dans les maternités prioritaires ; une meilleure articulation entre la ville et l’hôpital pour éviter les ruptures de parcours dont les femmes disent souffrir ; enfin, un entretien postnatal cinq semaines après l’accouchement et un second à la douzième semaine, si besoin, pour lutter contre la dépression post-partum. Cet entretien postnatal est désormais obligatoire et remboursé par la sécurité sociale, comme le prévoit la dernière loi de financement de la sécurité sociale.

Il convient également de reconnaître chacune des spécificités des familles et de répondre à leurs besoins, voire aux détresses singulières. L’arrivée d’un enfant, si elle doit être accompagnée pour toutes les familles, quelle que soit leur forme ou leur fortune, n’entraîne pas exactement les mêmes charges ou ne soulève pas les mêmes problèmes pour les unes et pour les autres. C’est pourquoi nous avons mis en place des parcours spécifiques, par exemple pour l’arrivée d’un enfant prématuré, d’un enfant en situation de handicap ou d’un enfant adopté.

Nous accordons depuis le début du quinquennat une attention particulière aux familles monoparentales. Nous avons par exemple majoré de 30 % le plafond de l’allocation garde d’enfant pour ces familles ou déployé le service public des pensions alimentaires pour le recouvrement des impayés.

Construire une universalité des services aux familles, c’est ensuite répondre aux attentes et aux préoccupations généralisées des parents en matière de conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, toutes ces vies que nous cumulons dans une même journée : vie de parent, vie de travailleur, vie de professeur.

Pour tous les conjoints qui souhaitaient depuis bien longtemps pouvoir s’investir davantage dans ces premiers jours heureux, nous avons doublé la durée du congé de paternité et d’accueil de l’enfant, en le faisant passer de 14 à 28 jours et en le rendant en partie obligatoire. C’est là une transformation sociétale majeure.

Nous devrons certainement aller plus loin et mener une réflexion globale sur l’ensemble des congés familiaux, notamment le congé parental. J’avais d’ailleurs missionné Christel Heydemann et Julien Damon pour réfléchir à une meilleure articulation entre vie personnelle et vie professionnelle.

Les modes d’accueil du jeune enfant font partie des enjeux de notre politique de services universels. Dans ce domaine aussi, nous menons une action résolue. Depuis le début de la mandature, nous bâtissons pierre après pierre un véritable service public de la petite enfance dans notre pays.

Nous avons ainsi inscrit dans la loi la charte nationale pour l’accueil du jeune enfant. Nous avons aussi créé un comité de filière de la petite enfance pour mettre autour de la table l’ensemble des professionnels et avancer sur les questions de formation, de carrière, de passerelle ou encore de rémunération.

Nous avons alloué des moyens supplémentaires pour créer des places et pour encourager la formation des professionnels. Ainsi, 45 millions d’euros ont été mobilisés dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté pour la formation des professionnels de la petite enfance.

Nous devons encore intensifier la dynamique à l’œuvre pour avancer, comme l’a récemment annoncé le Président de la République, sur la voie d’un droit garanti à un accueil du jeune enfant à un prix raisonnable et similaire, que l’enfant soit accueilli en individuel ou en collectif. Il nous faudra pour cela nous poser la question des compétences, dont nous aurons, je l’espère, l’occasion de débattre dans cet hémicycle.

Bâtir l’universalité des services, c’est aussi proposer un accompagnement à la parentalité sur d’autres sujets et à d’autres moments de la vie de l’enfant. Je pense en particulier à la question de la parentalité numérique : beaucoup de parents disent en effet que le rapport de leurs enfants aux écrans et les usages numériques sont pour eux des sources de préoccupation majeures. Le numérique offre des potentialités aux enfants, mais il fait aussi peser des risques et des menaces sur eux. Mardi prochain aura lieu le Safer Internet Day – je vous prie de m’excuser pour cet intitulé en anglais. Cette journée internationale sera l’occasion pour le Gouvernement de faire de nouvelles annonces en la matière.

Je rappelle que nous avons déjà agi, puisque nous avons notamment créé le site internet jeprotegemonenfant.gouv.fr, qui regroupe un certain nombre de ressources afin d’aider et d’accompagner les parents sur la question de la relation de leur enfant avec les écrans et le numérique.

Le second pilier de notre politique familiale, parfaitement complémentaire du premier que je viens d’exposer, c’est l’affirmation du rôle d’investissement social de la politique familiale et d’outil de lutte contre les inégalités de destin qui affectent encore trop de nos enfants dans notre pays.

La politique familiale est un levier d’émancipation majeur. Elle permet de lutter contre les inégalités de destin, d’autant plus qu’elle s’y attaque au moment où elles se forment, plutôt que d’attendre qu’elles s’accroissent.

Dans notre pays, près de 3 millions d’enfants continuent de vivre sous le seuil de pauvreté. C’est inacceptable et cela a constitué notre première urgence. Quelques mois après son élection, le Président de la République présentait la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté dans un objectif aussi clair qu’inédit : agir le plus tôt possible pour briser le cercle de la transmission de la pauvreté de génération en génération. Les familles sont au cœur de cette stratégie, parce que, comme vous le savez, il faut six générations pour sortir de la pauvreté.

Les engagements pris alors devant les Français ont été tenus : aider davantage les communes plus pauvres à créer de nouvelles places de crèche ; offrir à chaque enfant qui arrive à l’école le ventre vide un petit-déjeuner gratuit ; lui proposer un déjeuner équilibré à la cantine pour un euro ; dédoubler les classes de CP afin que l’apprentissage de la lecture, fondement de l’éducation, de la connaissance et de l’égalité des chances, se déroule dans les meilleures conditions.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, les principes historiques de la sécurité sociale, au premier rang desquels l’universalité, doivent être confrontés à la vie de nos compatriotes, tout simplement. C’est d’ailleurs la force de notre protection sociale que de ne pas être figée.

La famille a eu toute sa place dans les ambitions du quinquennat qui s’achève et les éléments de bilan que je viens d’évoquer ne me font pas rougir – bien au contraire !

Fermes sur les principes, nous avons su regarder la famille dans ce qu’elle avait de divers et de complexe. L’universalité, c’est aider toutes les familles, mais ce n’est pas forcément les aider toutes de la même façon. C’est au contraire écouter et prendre en compte leurs attentes, leurs besoins, leurs incertitudes. Nous le faisons depuis 2017. Il nous faut encore aller plus loin pour tous les parents et tous les enfants de notre pays.

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’ordonnance du 4 octobre 1945 créant la sécurité sociale repose sur un principe fondamental : chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins.

Ce principe se déclinait pour chacun des risques et le lien entre cotisations variables et prestations universelles fondait le contrat social de solidarité. Ce lien a été distendu, voire rompu, par la fiscalisation en 1991, via la CSG, qui a conduit au transfert d’une partie du financement de la protection sociale vers l’impôt.

Il en était alors ainsi pour la branche famille, dont la pièce maîtresse – les allocations familiales – servait des prestations universelles et sans condition de ressources à toutes les familles ayant à charge au moins deux enfants de moins de 20 ans, afin de compenser la perte de niveau de vie, et ce par rapport aux familles sans enfant. Il s’agissait donc d’un mécanisme de compensation et de solidarité horizontales.

Nous rejoignons nos collègues auteurs de cette proposition de loi pour défendre ce principe fondateur d’universalité, sans toutefois partager le lien qu’ils établissent entre modulation des allocations familiales et inflexion de la natalité. Ici, une corrélation n’est pas une causalité.

Nous ne pensons pas que la modulation pour les familles aisées – pour l’Insee, ce sont bien les déciles supérieurs qui sont ici concernés – ait pu les décourager d’avoir des enfants, d’autant que les aides fiscales restent très favorables à ces familles. Ainsi, les 10 % ayant les plus hauts revenus concentrent 31 % des gains nets liés aux quotients familial et conjugal, là où les 30 % les plus modestes ne bénéficient que de 6,5 % de ces gains.

L’erreur de la modulation, en supposant que la justice sociale en ait jamais été une motivation sincère, est bien d’assigner aux prestations familiales un objectif de redistribution verticale à la place d’un impôt dont c’est réellement l’objet principal, à savoir l’impôt sur le revenu.

Ainsi, plutôt que d’attaquer le risque famille et le principe d’universalité de ces prestations, il aurait été plus pertinent de questionner un angle mort de la politique familiale au regard de la justice sociale : le quotient familial à l’effet fortement anti-redistributif. En effet, comme le relevait déjà le Conseil des prélèvements obligatoires dans un rapport publié en 2011, l’économie d’impôt due au quotient familial croît plus que proportionnellement au revenu.

La raison budgétaire – restaurer l’équilibre de la branche, en rabotant le droit à prestations selon les revenus – a donc primé sur le principe fondateur et il n’est pas contestable que la porte de la modulation selon les revenus, et non selon les besoins, est ainsi ouverte pour d’autres risques, fragilisant l’attachement au modèle social.

Nous restons donc attachés au principe de redistribution horizontale entre ménages selon leur composition afin d’amortir la baisse de niveau de vie induite par la naissance des enfants et leur éducation. Le budget moyen pour un enfant de sa naissance à ses 3 ans s’élèverait à 490 euros par mois.

Ce budget est supérieur pour le premier enfant. C’est pourquoi il est temps d’élargir la prestation au premier enfant, moment où les risques de décrochage financier par rapport aux ménages sans enfant sont les plus grands et peuvent effectivement, pour les ménages modestes, retarder un projet d’enfant.

De plus, la décision de modulation n’a pas été soutenue en 2015 par un accompagnement renforcé pour les ménages modestes. C’était donc une pure mesure d’économie et il aurait fallu l’assumer ! Nous sommes donc favorables à l’idée de revenir sur cette modulation, mais en consolidant la politique familiale.

En conclusion, pour répondre à l’objectif de la politique familiale de soutenir les parents dans l’accueil et l’éducation des enfants, notre groupe préconise l’allocation par enfant d’un montant fixe d’allocations familiales, et ce dès le premier enfant, mesure soutenue par 60 % de nos concitoyens selon le dernier baromètre de la Drees, la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques.