PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi
vice-président
M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Christian Bilhac. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, le rapport public annuel de la Cour des Comptes tire un bilan des enseignements de la crise et de ses conséquences budgétaires, financières, économiques et sociales.
J’en partage les constats, mais je serai un peu plus réservé sur les préconisations, car force est de constater que, tandis que l’on rabote depuis des décennies, le déficit public et celui de la balance commerciale ne cessent de s’aggraver.
Comme l’an dernier, je regrette la brièveté du délai imparti entre la publication du rapport public annuel et la tenue de ce débat, qui mériterait davantage de recul.
Venons-en aux faits : en hausse de 560 milliards d’euros par rapport à 2019, le déficit de notre pays s’est considérablement accru.
En revanche, le niveau du chômage baisse en cette sortie de crise et l’économie repart. Le plan de relance a irrigué l’économie, la maintenant à flot avec une efficacité hors norme dans certains secteurs, comme celui de l’hôtellerie-restauration. Malgré des fermetures prolongées, la majorité des établissements a ainsi résisté grâce aux aides massivement utilisées durant les premiers mois de la crise. Les aides accordées ont assuré la pérennité de nos entreprises, même si le rapport de la Cour des comptes signale qu’elles « n’ont généralement pas été assorties des précautions suffisantes ».
Le Gouvernement dépense de l’argent garanti par l’État, mais sans véritable contrepartie. D’après une enquête de Bpifrance, à la mi-2021, 33 % des bénéficiaires déclaraient avoir peu ou pas du tout mobilisé leur PGE, 24 % déclarant n’en avoir dépensé qu’une faible part. Le Gouvernement devrait être en mesure de tracer cet argent pour éviter qu’il ne se perde et s’assurer qu’il soit investi à bon escient pour développer notre économie.
Monsieur le Premier président, le rapport de la Cour s’intéresse aux collectivités territoriales d’Occitanie. Il souligne le manque d’efficacité de l’intervention des régions et des départements pour soutenir les entreprises du fait de l’existence préalable d’une aide nationale.
De plus, compte tenu de la faiblesse des taux de remboursement pour la commande publique, ce levier n’a pas apporté de grands bénéfices aux entreprises. Ainsi, selon le rapport, la multiplication des dispositifs a été « a priori peu propice à l’efficience » et « peu sécurisée au plan juridique ».
Mais il ne faut pas oublier le contexte. Dans une situation totalement inédite, les collectivités territoriales – comme l’État d’ailleurs – ont répondu aux demandes ; si des erreurs ont été commises, on ne peut les en blâmer !
Par exemple, peut-on reprocher à la région Occitanie la mise en place du plan ADER (plan spécifique d’actions pour le développement des entreprises régionales de sous-traitance) consacré à l’aéronautique, qui emploie 75 000 personnes dans la région ? Je crois que l’inaction de nos élus aurait été une faute.
L’une des solutions consisterait à aller plus loin encore dans le processus de décentralisation et à accorder davantage de pouvoir aux collectivités territoriales, pour qu’elles soient mieux armées, en particulier pour le soutien aux entreprises.
Le plan de relance ayant considérablement augmenté notre endettement, je suis inquiet des prévisions du Gouvernement, qui entend maintenir la dette à plus de 110 % du PIB durant quelques années encore.
La Cour des comptes préconise de rehausser le coût des services aux particuliers. Selon moi, c’est une mesure inévitable et indispensable, quels que soient les résultats de la prochaine élection présidentielle.
Il conviendra aussi de s’attaquer au problème de la réduction des déficits. À mon avis, la solution est non pas de dépenser moins, mais de dépenser mieux. Un euro dépensé doit être un euro utile.
À l’image d’une fuite au niveau d’une canalisation d’eau, une part importante de la dépense publique se perd dans des frais généraux qui ne contribuent pas à la réalisation de missions de service public. Il faudrait fixer une règle d’or à nos administrations, en limitant la part de ces frais généraux.
Dépenser mieux signifie que l’on doit utiliser l’argent public pour atteindre le but recherché. Le budget du ministère de la santé doit servir pour soigner, et non pour financer une myriade de structures administratives.
Il en est de même pour l’éducation nationale. Prenons l’exemple de l’école de ma commune où travaillent trois enseignants. Sa directrice est détachée à mi-temps pour effectuer des tâches administratives. Celle-ci me confiait il y a peu que, face aux flux d’enquêtes, de questionnaires et autres paperasseries, elle n’y parvenait pas avec un simple mi-temps. Ne serait-elle pas plus efficace devant les élèves ?
La Cour des comptes ne pourrait-elle pas chiffrer le coût de toutes ces structures paperassières qui nous paralysent ?
Pour conclure, il est nécessaire de moderniser les services publics, de décentraliser toujours davantage et de réindustrialiser la France pour réduire notre déficit commercial. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Rémi Féraud. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Rémi Féraud. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, comme chaque année, le rapport public annuel de la Cour présente des éléments sectoriels très intéressants.
Ma collègue Isabelle Briquet reviendra au nom du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sur la question importante de la jeunesse. Pour ma part, je centrerai mon propos sur une approche générale des finances publiques.
Je partage l’avis de la Cour quand elle souligne que la persistance d’un déficit structurel n’est pas viable, même si, bien sûr, la mise en œuvre d’un redressement trop brutal des finances publiques, après le « quoi qu’il en coûte » mis en place pour répondre à cette crise, n’est pas souhaitable. C’est l’un des enseignements de la sortie en partie manquée de la crise de 2008.
Je note aussi la critique de la Cour sur la qualité des prévisions budgétaires du Gouvernement, qui pose question. Certes, il régnait une grande incertitude ces derniers mois, mais le procédé qui consiste à émettre des hypothèses tellement pessimistes que, en fin de compte un déficit très élevé, mais moins mauvais que prévu, est présenté comme une bonne nouvelle, est trompeur vis-à-vis des citoyens comme du Parlement. Nous l’avions d’ailleurs dit lors de la discussion budgétaire.
Comme tout le monde, je partage aussi l’idée qu’il faut dépenser mieux. Mais est-ce toujours possible en dépensant moins, comme le préconise la Cour ?
Pour les grands services publics qui doivent redevenir la priorité de la Nation – je pense en particulier à l’école, à l’hôpital public –, permettez-moi d’en douter.
On ne peut pas aborder les enjeux budgétaires sans poser la question de l’érosion des recettes publiques, comme vient de le faire le président Claude Raynal. On ne peut pas non plus faire abstraction de la capacité contributive des entreprises et des plus riches de nos concitoyens, surtout quand on constate une telle augmentation des inégalités, l’explosion des profits de certaines grandes entreprises, la hausse de la distribution des dividendes et l’importance des aides à la production sans aucune conditionnalité.
Il faut donc réfléchir – les socialistes n’ont cessé de le dire – non seulement aux dépenses, mais aussi aux recettes, en particulier à l’utilité de chacune des niches fiscales, qui grèvent les recettes de l’État. Un levier a été identifié par le Conseil des prélèvements obligatoires, dans son rapport sorti au début du mois, celui d’une réforme en profondeur du crédit d’impôt recherche. Cette piste devra inspirer le prochain projet de loi de finances et notre travail dans ce domaine.
De même, et c’est l’un des rares points positifs de cette campagne présidentielle pour le moment, la question des droits de succession revient sur le devant de la scène, c’est-à-dire celle de la reproduction des inégalités de patrimoine. Il y a tant de progrès à faire en ce domaine, sans pour autant entraver la croissance.
Pendant cinq ans, le Gouvernement s’est entêté à mettre en œuvre une politique de l’offre, à laquelle une pandémie d’ampleur inédite s’est ajoutée. Le résultat est là : pour 2022, le déficit public s’établirait à 5 % du PIB, la dette publique à 113,5 % du PIB.
Bien entendu, la crise sanitaire y est pour beaucoup. Mais dès avant la crise, les bases étaient très dégradées, car le « ruissellement » était resté un mythe et l’État avait été appauvri par une politique fiscale injuste.
Il est donc nécessaire d’en finir avec le « en même temps » budgétaire, qui creuse le déficit et reporte les dépenses sur les générations futures. Il est temps de mettre enfin de la cohérence dans la gestion des finances publiques, de faire des choix politiques courageux et qui ne se limitent pas aux dépenses.
Tel est l’enjeu qui est aujourd’hui devant nous. Je salue à cet égard le travail de la Cour des comptes, car il éclaire les parlementaires et, à travers eux, les Français qui devront y répondre. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE. – M. le président de la commission des finances applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud.
M. Didier Rambaud. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, depuis 190 ans, la Cour des comptes remet chaque année son rapport public annuel. Celui-ci constitue désormais un rendez-vous incontournable de notre vie démocratique et une vigie financière pour l’État et ses administrations.
Ce n’est pas un hasard si l’avis de la Cour est respecté de tous ; ses rapports n’hésitent pas à pointer les insuffisances des administrations publiques, afin d’orienter l’État et les gouvernements qui se succèdent, tous autant qu’ils sont, dans le but d’améliorer l’efficacité des politiques publiques.
L’an dernier, à cette même tribune, je rappelais les deux principaux axes du rapport 2021, qui, d’une part, soulignait que la crise avait révélé les fragilités structurelles de l’État et de ses opérateurs, et qui, d’autre part, saluait la réactivité inédite de nombreuses administrations et organismes publics ayant su s’adapter avec une remarquable énergie.
Cette année, le rapport que remet la Cour s’inscrit une fois encore dans cet esprit. Les constats sans appel qu’elle présente nous invitent à la vigilance.
Comme l’a rappelé le Premier président devant l’Assemblée nationale, « il ne s’agit pas seulement d’évaluer notre action dans l’urgence, mais d’apprécier notre résilience et notre capacité à remédier aux faiblesses structurelles que la crise a révélées ou accentuées ». C’est précisément ce point que je souhaite développer devant vous.
Je commencerai par l’un des principaux enseignements de ce rapport. Nous faisons face à un problème structurel : chaque crise crée un effet de cliquet sur les dépenses publiques. À l’issue de la crise, les dépenses, y compris structurelles, se retrouvent toujours plus élevées qu’avant.
Certains font mine ici de l’avoir oublié, mais ce qui était vrai durant le quinquennat Sarkozy l’est également sous ce quinquennat, comme la Cour l’a indiqué.
Il n’en demeure pas moins que le problème de fond doit et devra être abordé indépendamment de tout débat partisan. Il faut éviter toute passe d’armes politique sur le sujet et tâcher d’apporter une réponse structurelle.
Forts de ce constat, il nous faut réformer l’État pour libérer des marges de manœuvre budgétaires en période de croissance, ce qui nous permettra d’apporter une réponse d’ampleur en cas de crise sans menacer pour autant l’équilibre à moyen et long terme de nos finances publiques.
C’est un enjeu de réforme structurelle, qu’a rappelé Bruno Le Maire il y a quelques jours devant notre commission des finances. D’ailleurs, vos déclarations au sujet de la réforme des retraites, de l’assurance maladie ou encore de la politique de l’emploi, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, vont dans ce sens.
Mes chers collègues, en réalité, nous devons agir sur chacun des secteurs de l’action publique, à l’image de la réflexion de la Cour, qui, au travers de dix-neuf chapitres, aborde différents sujets sectoriels, soit parce que les enjeux sont particulièrement décisifs, soit parce qu’ils illustrent avec justesse les problèmes structurels dont nous parlions.
Bien souvent, ces problèmes ne sont pas récents. Quand ils le sont, ils trouvent leur origine dans des décennies d’incurie et de négligence de la part des pouvoirs publics et des gouvernements successifs. Il nous a fallu protéger nos concitoyens de leurs conséquences, et ce n’était pas au plus fort de la crise que nous pouvions les résoudre.
Mais, aujourd’hui, il est essentiel de tirer les enseignements de cette pandémie pour y répondre durablement dans les mois et années à venir.
Parmi ces sujets, j’en évoquerai deux qui me tiennent particulièrement à cœur : les aides au secteur sportif et le soutien apporté aux stations de moyenne montagne.
La Cour a souligné le « volontarisme de l’État » et des collectivités durant la crise en faveur du monde sportif. Néanmoins, ce secteur souffre de longue date de son éclatement et de la multiplication des interlocuteurs institutionnels, qui rendent difficile une réponse claire et uniforme.
C’est un problème que je connais également bien en tant que rapporteur spécial des crédits de la mission « Culture ». Dans ce domaine comme dans celui du sport, il nous faudra élaborer les outils permettant de suivre au plus près l’action de l’État et des collectivités, et ce afin de doter les pouvoirs publics de véritables instruments de pilotage des aides et de rendre plus lisibles et plus efficaces la multitude de dispositifs mis en place, qu’il s’agisse d’apporter un soutien structurel ou de répondre aux crises qui pourraient survenir.
Nous touchons là à un enjeu de contrôle et d’évaluation des politiques publiques et sommes au cœur de notre rôle de parlementaires.
S’agissant ensuite des stations de moyenne montagne, là encore le problème n’est pas nouveau et la crise a agi comme un révélateur de leur fragilité grandissante.
Je l’ai constaté dans mon département, en Isère, au plus fort de la crise. Il est indispensable que nous travaillions à réinventer leur modèle économique et que nous accompagnions leur transformation pour les aider à retrouver leur santé financière. C’est toute l’ambition du plan Avenir montagnes, que je suis avec attention depuis son lancement.
Enfin, je ne peux évidemment pas faire l’impasse sur la gestion de la crise dans les Ehpad.
Faiblesse du taux d’encadrement, faiblesse de la médicalisation, vétusté des équipements, les difficultés structurelles sont nombreuses. L’effort de l’État est pourtant considérable et en nette augmentation en 2022, avec plus de 14,3 milliards d’euros consacrés aux personnes âgées.
Cet effort ne constitue cependant pas une réponse suffisante, car nous ne pouvons ignorer la nécessité de mieux piloter un secteur trop longtemps éloigné du contrôle de l’État. Le récent scandale qui a éclaté en est la triste preuve.
Tels sont les défis qui nous attendent et qui devront occuper nos débats au cours des semaines qui viennent. Il s’agit d’enjeux fondamentaux pour notre démocratie, pour la continuité de l’action de l’État et pour les générations à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lagourgue.
M. Jean-Louis Lagourgue. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, l’actualité a ceci de singulier qu’elle peut changer du tout au tout en quelques jours.
Aujourd’hui, nos regards sont, à raison, rivés vers l’Est, où la Russie ravive les peurs d’un conflit mondial, mais aussi vers le Sud, où la situation malienne nous fait craindre l’émergence d’une nouvelle base djihadiste.
Quand la situation internationale cesse de nous occuper, nous en revenons à nos affaires nationales. Alors, les prochaines échéances électorales saturent tout l’espace médiatique. Nous en arrivons à oublier qu’une pandémie bouleverse le monde depuis deux ans.
Pourtant, s’il y a bien un domaine où nous ne sommes pas près d’oublier la crise sanitaire, ce sont nos finances publiques. Le rapport public annuel de la Cour des comptes constitue en cela une douloureuse piqûre de rappel.
Tous les principaux indicateurs prouvent que nos finances publiques ont été lourdement éprouvées par la crise.
Notre déficit demeure extrêmement élevé, autour de 130 milliards d’euros en 2022, soit encore près du double de celui de 2019, mais heureusement bien en deçà de la barre des 200 milliards d’euros franchie en 2020 et 2021.
Le taux d’endettement de notre pays semble se stabiliser autour de 115 %, soit plus de quinze points au-dessus du niveau de 2019. Notre pays demeure le champion des prélèvements obligatoires et de la dépense publique, même si les taux sont, en l’occurrence, déjà revenus au niveau d’avant-crise.
Une simple analyse de ces indicateurs nous rappelle que la France mettra des années, si ce n’est des décennies, pour effacer de ses comptes publics les séquelles de la pandémie. Nous paierons longtemps les mesures d’urgence.
Je pense qu’il est nécessaire de rappeler ces éléments structurants, non pas pour accabler le Gouvernement pour sa gestion de la crise sanitaire, mais parce que le désendettement de l’État doit devenir une priorité politique pour les prochaines années. Il y va de notre souveraineté nationale.
Le creusement du déficit et de la dette publique est dû à une hausse très forte des dépenses et à une baisse très forte aussi des recettes. Or c’est le même phénomène qui s’applique à plusieurs échelons.
Je souhaite évoquer ici le cas des grands aéroports, qui fait l’objet d’un chapitre à part entière du rapport public annuel de la Cour des comptes.
Là encore, l’effondrement des recettes et l’augmentation des dépenses ont fragilisé les structures. Avec la crise, le trafic aérien a connu un coup d’arrêt brutal. Certains scénarios indiquent qu’il faudra attendre 2024 en Europe pour que le trafic aérien retrouve son niveau d’avant-crise.
En conséquence, les recettes des aéroports, qui dépendent directement du trafic, se sont elles aussi effondrées et, avec elles, les marges d’exploitation. Le soutien de l’État a été total, mais les aéroports ont été contraints à de grands plans d’économie pour assainir leurs finances.
Plus fondamentalement, c’est tout un modèle qui est remis en question. Le rapport public annuel a mis en évidence les limites du financement par la taxe d’aéroport des missions de sécurité et de sûreté. Il faudra repenser l’avenir des aéroports en France après la levée progressive des restrictions sanitaires.
Cette situation est d’autant plus grave que la santé financière des aéroports révèle le dynamisme de nombreux territoires. C’est particulièrement le cas chez moi, dans l’île de La Réunion, où l’aéroport Roland-Garros est un poumon économique.
Je souhaite donc connaître l’avis du Gouvernement sur les deux recommandations formulées par la Cour des comptes à ce sujet. Pour les élus de La Réunion, il s’agit non pas seulement de savoir si les comptes de notre aéroport seront équilibrés, mais bien de savoir si notre île pourra retisser plus fortement les liens humains, commerciaux et économiques que la crise sanitaire a menacé de délier.
Vous l’aurez compris, que ce soit pour des territoires en particulier ou pour le pays en général, le groupe Les Indépendants – République et Territoires est convaincu que la crise sanitaire nous oblige à renouer rapidement avec la bonne gestion financière d’avant-crise. C’est l’une des conditions du redressement économique de la France. Notre défi sera de nous assurer que cette gestion financière ne se fera pas au détriment de la croissance économique.
M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Vincent Segouin. Monsieur le Premier président de la Cour des comptes, je tiens avant tout à vous remercier pour la rédaction de ce rapport et la qualité de votre travail, qui participe à la transparence de la vie publique et qui nous éclaire.
Par votre rapport, vous nous alertez sur le fait que, si l’activité économique de la France a dépassé son niveau d’avant-crise, notre pays connaît néanmoins un déficit structurel sans précédent, équivalent à 5 % de notre PIB, et une dette publique à hauteur de 113,5 % de notre PIB.
Ces chiffres sont la conséquence des baisses des prélèvements obligatoires et de la mise en œuvre de nouvelles dépenses publiques pérennes en 2021 et 2022.
Au sein de la zone euro, la France fait dorénavant partie des mauvais élèves qui ne respectent pas la règle d’or, à l’inverse de pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Autriche, dont la dette est inférieure à 80 % du PIB et le déficit structurel égal à 3 %.
Comme vous le mentionnez, le Gouvernement se fixe l’objectif de rétablir le déficit public sous les 3 points de PIB et de ramener le ratio de la dette publique sur une trajectoire descendante en 2027 seulement.
Seuls trois moyens existent pour y parvenir et nous permettre de conserver notre crédibilité auprès de nos partenaires européens.
Le premier consiste à augmenter les prélèvements obligatoires. Le deuxième est de diminuer les dépenses publiques. Le troisième revient à créer de la richesse pour retrouver la croissance et la maintenir à un niveau élevé.
Ce dernier outil est notre planche de salut. Son meilleur indicateur est la balance commerciale, qui n’est malheureusement pas mentionnée dans votre rapport. La France doit impérativement cesser la politique mortifère de la désindustrialisation et faire du travail et du mérite une priorité.
Mardi dernier, le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, nous a avoué, en commission des finances, que le déficit sans précédent de notre balance commerciale était le point noir, mais qu’il était pour moitié lié à la hausse du coût de l’énergie.
Il a de nouveau occulté la baisse de compétitivité des entreprises et la politique énergétique désastreuse menée par le Gouvernement au cours de ce quinquennat.
Le nucléaire en est le parfait exemple. Je pense à la fermeture de Fessenheim (M. André Reichardt marque son approbation.) en début de mandat, qui a marqué la fin du nucléaire en France, puis à cette volte-face à deux mois de l’échéance présidentielle.
Pendant que nous achetions de l’énergie carbonée à l’Allemagne, nous n’investissions plus dans la recherche et l’innovation, pourtant garantes de notre efficacité et de notre avenir énergétique. Que de temps perdu ! Que d’argent perdu ! Cette politique à court terme ne sert pas les Français : l’intérêt électoral passe avant, mais à quel prix ?
Aujourd’hui, notre balance commerciale est fortement déficitaire à cause d’une politique de protection du pouvoir d’achat qui a été menée au détriment du travail et du mérite.
Aujourd’hui, 17 % des jeunes ne travaillent pas et n’étudient pas. Le confort des aides sociales leur a fait oublier l’exigence qui veut que, pour avoir de l’argent, il faut produire de la richesse ! Je m’inquiète pour notre avenir…
Nous n’encourageons plus le mérite et ne reconnaissons plus la valeur du travail. Nos entreprises délocalisent ou se font racheter pour aller produire à bas coût à l’étranger. C’est la conséquence directe du coût de la main-d’œuvre, des normes, des impôts et des taxes. Augmenter à nouveau ces prélèvements ne ferait qu’amplifier la dégradation de la balance commerciale.
Nous continuons à désavantager nos entreprises en produisant trop de normes et en surtransposant, pratiques que ce gouvernement avait pourtant promis de faire cesser.
Il n’est pas rare d’entendre que ce gouvernement est celui qui a réduit le plus les prélèvements obligatoires depuis le début de la Ve République. Certes, c’est vrai : il a diminué les impôts sur les sociétés, et le montant des prélèvements obligatoires est alors passé de 45 % à 43,5 %. Mais cette diminution n’a de sens au regard de la dette que si les dépenses publiques baissent dans le même temps. Or cela n’a jamais été le cas, bien au contraire !
Dans le rapport, il est souligné que les dépenses publiques hors covid n’ont fait qu’augmenter tout au long du quinquennat : 560 milliards d’euros de dépenses supplémentaires, dont 165 milliards d’euros seulement sont liés au covid.
Il est donc nécessaire, comme vous le mentionnez, de réduire les dépenses publiques de 9 milliards d’euros supplémentaires par an. Pour ce faire, il faut réformer, mais ce n’est pas le fort de ce gouvernement – je tiens à le dire. Souvenez-vous de la réforme des retraites, entre autres…
Je constate que le Gouvernement n’est jamais parvenu à faire des économies dès lors qu’il a été question de prendre le risque de diminuer le confort des Français. Encore une fois, l’exécutif ne pense qu’à court terme et relègue ces mesures impopulaires à ses successeurs. Or la France ne peut plus se le permettre, car la dette que nous avons contractée nous y oblige.
Reste la croissance. Même si celle-ci est supérieure aux prévisions figurant dans le projet de loi de finances pour 2022, elle reste inférieure à la décroissance provoquée par le covid. Le Gouvernement nous explique que cette croissance sera de 1,35 % à partir de 2023, prévision sûrement basse compte tenu de l’inflation, bien que nous ignorions encore les effets de l’influence de l’Allemagne au sein de la Banque centrale européenne sur les taux d’intérêt.
M. le président. Il faut conclure.
M. Vincent Segouin. La hausse des taux aurait pour effet direct d’augmenter les dépenses publiques.
Comme vous le mentionnez dans votre rapport, monsieur le Premier président, si nous enregistrons des excédents, il faudra, dans un esprit de responsabilité, rembourser la dette, et rien d’autre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme la présidente de la commission des affaires sociales applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.
Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord quelques mots, au nom du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, pour témoigner notre plein soutien et notre solidarité au peuple ukrainien, aujourd’hui victime de l’invasion russe.
Je vous remercie, monsieur le Premier président, pour ce rapport public annuel, qui, comme toujours, vient centrer notre intérêt sur l’analyse de la situation des comptes publics de notre pays.
Bien évidemment, nous ne méconnaissons pas les questions fondamentales qui se posent à la France en termes de finances publiques au lendemain de cette crise : importance de la dette, augmentation éventuelle des taux, risques d’inflation. Mais, comme le disait fort justement le président Raynal, la situation serait certainement autre si nous ne nous étions pas privés de recettes fiscales au fil du quinquennat. Un montant de 50 milliards d’euros a été évoqué, me semble-t-il : cela ferait tout de même une grosse différence !
Un élément demeure néanmoins dans ce rapport, que je ne parviens pas à comprendre.
Alors que l’Insee nous apprend que la France affiche désormais un taux de pauvreté inédit depuis 1979, j’avoue ne pas comprendre les cinq priorités de redressement proposées par la Cour des comptes. Retraites, assurance maladie, politique de l’emploi, logement, minima sociaux : elles ne touchent que les travailleurs, les pauvres ou les demandeurs d’emploi !
N’y a-t-il pas, dans les dépenses publiques et la politique fiscale actuelles, d’autres marges de manœuvre pour répondre au grand enjeu de la lutte contre le réchauffement climatique dans la justice sociale ? À notre sens, il y en a.
Avant tout, la politique fiscale des cinq dernières années a réduit les impôts des plus riches, notamment des 10 % les plus riches et, surtout, des 1 % les plus riches, tout en appauvrissant les plus pauvres des Françaises et des Français. Nous avons ainsi donné carte blanche aux classes sociales les plus climaticides et réduit le pouvoir de vivre de ceux qui, parmi les ménages modestes, étaient le plus en difficulté.
Oui, il y a d’autres options possibles en dehors de la réduction des dépenses sociales.
Je pense à une grande réforme fiscale, instaurant un impôt sur la fortune climatique ou mettant en œuvre une évolution de l’impôt sur le revenu favorable aux ménages modestes et demandant davantage d’efforts aux 10 % les plus aisés de notre pays.
Et puis, quand on s’interroge sur l’efficacité des dépenses publiques, il faudrait regarder avec plus d’acuité les dizaines de milliards d’euros donnés chaque année – hors crise – à nos entreprises. Certains parlent de 140 milliards d’euros accordés annuellement sans aucune efficacité prouvée sur l’emploi et sans aucune exigence au regard de la lutte contre le réchauffement climatique.
Bien entendu, on peut évoquer les aides et subventions visant à aider certaines industries à se décarboner. Mais combien de milliards d’euros sont distribués chaque année dans notre pays sans aucune exigence sociale ou environnementale ? C’est là, nous n’avons de cesse de le dire, une grande responsabilité du Gouvernement et d’Emmanuel Macron : nous arrosons le sable avec l’argent public, jeté à tout vent, alors même que nous devrions avoir à l’esprit l’enjeu majeur que constituent les transitions à mener.
Voilà pourquoi, au sein du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, nous sommes dans l’incompréhension par rapport aux cinq pistes de redressement évoquées, alors que bien d’autres – je viens de citer les deux principales – pourraient être explorées.
Ces propositions nous semblent à côté des enjeux et de la réalité sociale. Nous devrions tant faire pour raffermir la cohésion sociale, au travers de la justice sociale et des services publics !
Lorsque nous l’avons auditionné autour de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, j’ai demandé à M. Bruno Le Maire où il comptait faire les coupes budgétaires. Il m’a répondu que les services publics pouvaient être réformés, notamment par la dématérialisation. Comme le phénomène de l’illectronisme le montre, comme la Défenseure des droits l’a encore dénoncé, ce sont là de fausses économies, qui ne font que creuser la fracture sociale.
Il faut nous réveiller pour répondre aux enjeux sociaux et lutter réellement contre le réchauffement climatique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)