M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, la Cour des comptes aborde de très nombreux sujets dans son rapport public annuel. Aussi, dans les cinq minutes de temps d’expression qui nous sont alloués, je n’évoquerai qu’un seul sujet, celui de la dette publique. En effet, elle est devenue au fil des années la clé de voûte de l’architecture budgétaire de la France, et gare à celui ou celle qui s’affranchirait des contraintes qu’elle engendre.
Dans une communication datant du 12 avril 2020, au tout début de la pandémie, le Fonds monétaire international (FMI) avait trouvé naturel que les gouvernements adoptent la stratégie du « quoi qu’il en coûte », en précisant toutefois qu’ils devaient bien veiller à conserver les factures. Ce relâchement budgétaire fut une sorte de parenthèse. Aujourd’hui, les financiers nous disent que l’ordre ancien doit retrouver ses droits et la dette, sa fonction, celle qui consiste à discipliner les États dispendieux et les peuples impécunieux.
Vous vous souvenez sans doute, mes chers collègues, de la teneur des débats ici même en novembre 2019, lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2020. À l’époque, les ministres nous rappelaient que le ratio de la dette sur le PIB en France était de 98,4 %. Nous approchions de la barre fatidique des 100 %. Nous étions au bord de l’apocalypse et, six mois plus tard, pandémie oblige, nous avions atteint les 117 %.
En 2004, M. François Bayrou déclarait : « S’il s’agissait d’une entreprise, la France serait au bord du dépôt de bilan. » La dette atteignait alors 66 % du PIB.
En 2007, Mme Ségolène Royal déclarait : « La dette publique est devenue insoutenable. » Cette année-là, la dette atteignait 64,6 % du PIB.
La dette atteint aujourd’hui environ 115 % du PIB. Toutes les règles ont explosé au cours des deux dernières années : les 3 % de déficit, les 60 % de ratio de la dette ; c’était le monde d’avant !
Ces déclarations catastrophistes et anxiogènes devraient également inquiéter les marchés financiers, ceux qui nous prêtent. Or, il n’en est rien.
Avec une telle dette, la France a emprunté très facilement 260 milliards d’euros en 2020, autant en 2021 et la même chose est prévue pour cette année 2022.
Vous avez sans doute rencontré des gens au cours des derniers mois qui vous ont interrogés à ce propos, observant qu’on leur expliquait deux ans plus tôt qu’il n’y avait pas d’argent magique et que l’on avait trouvé en quelques semaines les milliards d’euros nécessaires. Nous avons tous entendu cela…
À quelles conditions emprunte-t-on ?
Voyons ce que nous dit le site de l’Agence France Trésor (AFT), qui vend notre dette sur les marchés financiers.
Prenons la dernière adjudication en date, celle de lundi dernier, 21 février. Pour les bons du trésor à 3 mois, le taux négatif proposé est de -0,680 %. Pour ceux à 12 mois, il est de -0,585 %. Pour les obligations à terme à 8 ans, nous avons un taux de 0,30 %. Il y a même une obligation à 3 ans qui nous a été proposée à un taux de -0,08 %.
Quel étrange paradoxe tout de même, mes chers collègues, de voir ce contraste saisissant entre l’inquiétude orchestrée et l’extrême quiétude des marchés financiers ! C’est à ce titre que j’opposerai, au confort des aides sociales évoqué par notre collègue Vincent Segouin, l’extrême confort des marchés financiers.
On peut s’interroger sur la santé mentale des acteurs des marchés. Sont-ils devenus fous ? Sont-ils devenus incompétents ? Ou alors, dans une vision plus humaniste, auraient-ils été soudain touchés par la grâce pour se tourner désormais vers l’action philanthropique et l’amour du prochain ?
Permettez-moi de ne retenir aucune de ces trois options.
La réponse à cet apparent paradoxe, je crois l’avoir trouvée dans un reportage diffusé sur la radio de service public France Inter, le 20 janvier 2021.
La scène se déroule dans les locaux de l’Agence France Trésor à Bercy. Ce jour-là, l’AFT vend 6 milliards d’euros de dette et voici ce que déclare à la journaliste le directeur général de l’époque, M. Anthony Requin : « La France a un très bon crédit auprès des investisseurs, une rente jusqu’à 10 fois supérieure à l’offre, la dette française fait office de valeur refuge, un coffre-fort qu’elle fait payer.
« Les gens placent leurs économies pour être sûrs de récupérer leur somme et un coffre-fort, ça se loue. Les investisseurs nous confient leurs liquidités, ils paient le prix de la location de cette sécurité, c’est le taux d’intérêt négatif que vous voyez. Le coffre-fort, c’est la signature de l’État. »
Le gouvernement de M. Macron a déclaré que, pour réduire la dette, il comptait surtout sur une maîtrise de la dépense publique. Les magistrats de la Cour des comptes estiment qu’un tel objectif nécessiterait plus de 9 milliards d’euros d’économies supplémentaires chaque année.
Pour conclure, je voudrais évoquer le cas de la Grèce, à qui fut imposée une purge budgétaire insupportable en 2010, au moment de la crise. À cette époque, son ratio de dette sur PIB était de 147,5 %. Dix ans plus tard, ce ratio est passé à 206,3 %.
Le dernier mot reviendra à notre ancien collègue, Jean-Pierre Raffarin. Le 7 juillet 2011 sur RTL, il expliquait : « Au fond, dans le passé, l’élection présidentielle dépendait d’un seul facteur, l’avis des électeurs. Maintenant, l’élection présidentielle dépend de deux facteurs : l’avis des électeurs, mais aussi l’avis des prêteurs. »
Cela fait réfléchir, je trouve. Quand on vous dit que le sujet de la dette publique est une question éminemment politique… (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SER. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, l’attention de la Cour des comptes et des juridictions financières s’est portée à nouveau cette année sur la crise sanitaire, ses conséquences économiques et sociales, ainsi que les enseignements que l’on pouvait en tirer.
C’est bien évidemment sous l’angle des finances publiques que leur diagnostic était le plus attendu.
Je voudrais tout d’abord vous donner acte, monsieur le Premier président, de votre constance.
En juin 2021, la Cour des comptes a livré son analyse sur la saisine du Premier ministre. À l’époque, elle avait estimé que cette pandémie laisserait des traces durables sur l’économie française et sur les finances publiques. Vous écriviez alors : « Dans ce contexte, la soutenabilité de la dette publique est un enjeu de souveraineté. »
Cette année, de manière totalement justifiée selon nous, vous allez plus loin. Vous rappelez que l’ampleur des moyens mobilisés a « porté le déficit public à des niveaux jamais atteints, accru la dette publique de 560 milliards d’euros par rapport à 2019 et alourdi son poids dans le PIB de 16 points ».
Vous ajoutez que « ces données situent la France dans le groupe des pays de la zone euro dont, deux ans après le début de la pandémie, la situation des finances publiques est la plus dégradée ».
C’est un constat clair, que nous partageons. C’est pourquoi le groupe Union Centriste exprime sa vive préoccupation quant aux choix à venir, mais aussi sur le fait que ce type de débat a tendance à être évité dans la campagne électorale.
Tous les ans, selon la Cour des comptes, il faudrait économiser 9 milliards d’euros pour, seulement, parvenir à respecter l’objectif que le Gouvernement s’est fixé à ce jour – et encore ne s’agit-il que d’une économie par rapport à la croissance des dépenses avant-crise…
Cet objectif étant souvent considéré comme trop modeste, la Cour des comptes indique non sans malice, mais, bien sûr, avec la rigueur qui la caractérise, qu’il faudra « réviser l’ambition de la trajectoire des finances publiques ». Elle nous livre ensuite une quadrature du cercle, en nous rappelant qu’il faudra prendre en compte la situation économique et sanitaire, mais aussi les trajectoires de nos partenaires européens et les règles européennes en cours d’évolution – c’est là une inconnue qui ne nous invitera pas au laxisme.
Bien sûr, monsieur le Premier président, je fais mienne votre invitation à préciser dès le début du prochain quinquennat « les réformes nécessaires pour construire une trajectoire qui permette de garantir la soutenabilité de la dette ». Cela suppose, comme vous l’écrivez, de « faire preuve de sélectivité dans le choix des dépenses » et d’« infléchir durablement le rythme de la dépense ».
Le groupe Union Centriste, s’il ne me remet pas en cause le rôle crucial de la politique du « quoi qu’il en coûte », estime néanmoins que cette politique pèsera durablement sur le déficit et la dette publique, étant rappelé que le déficit prévu en 2022 devrait atteindre le double de son niveau d’avant-crise et qu’il présente désormais un caractère exclusivement structurel.
L’argent magique, on le sait, n’existe pas et les fonds déployés pendant cette crise devront être remboursés. La France se doit d’assurer la soutenabilité de sa dette pour garantir sa souveraineté et sa crédibilité.
La crise sanitaire a accentué et mis en lumière les faiblesses structurelles de notre système productif, de notre modèle social et de notre transition écologique. Pour faire face à ces enjeux, le groupe Union Centriste s’associe aux recommandations de la Cour des comptes s’agissant de la nécessité de maîtriser les dépenses publiques, tout en misant sur la croissance et en investissant sur la recherche, l’innovation et la transition.
Je voudrais, durant les quelques secondes de temps de parole qui me restent, dire un mot d’une des contributions majeures de la Cour des comptes cette année, utilement et justement soulignée par le président Claude Raynal, que je remercie : il s’agit de la question du financement des aéroports.
À ce propos, la Cour des comptes fait valoir trois points : premièrement, la crise pandémique a mis fin à un demi-siècle de croissance du trafic, ce qui a des conséquences majeures ; deuxièmement, l’État a tardé à prendre en compte ces difficultés financières ; troisièmement, le modèle économique et le système de régulation doivent être repensés ou, en tous cas, réinterrogés. Je partage ces conclusions.
Claude Raynal en a dit plus sur les travaux de la commission des finances, en soulignant mon modeste rôle, et je l’en remercie. Je fais miens ses mots. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Richard applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Briquet. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Isabelle Briquet. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le rapport public annuel de la Cour des comptes.
Si ce rendez-vous est traditionnel, il n’en est pas moins essentiel pour les parlementaires que nous sommes et s’inscrit dans un contexte doublement particulier. D’une part, il permet de dresser un premier bilan des dispositifs mis en place pendant la crise sanitaire. D’autre part, il ouvre des perspectives sur les grands enjeux des politiques publiques de demain, à la veille d’une échéance électorale majeure pour notre pays.
Ainsi que le rappelle la Cour des comptes, la crise a mobilisé des moyens publics importants. Cette augmentation des dépenses pèse naturellement sur le déficit et la dette publique.
Certes, la Cour des comptes met en avant la nécessaire maîtrise des finances publiques, mais le redressement des comptes publics ne saurait s’entendre sous le seul prisme de la réduction drastique de la dépense.
Tout d’abord, toutes les dépenses ne se valent pas et certaines sont indispensables pour préserver notre tissu économique et social, et préparer l’avenir. Ensuite, ne pas évoquer la question des recettes, alors même que les baisses d’impôts en cette fin de quinquennat ont notablement allégé les recettes fiscales, n’aurait guère de sens.
Si la stratégie du « quoi qu’il en coûte » a été utile et efficace à court terme, la réaction du Gouvernement a toutefois manqué de célérité et d’ambition, sur un sujet pourtant stratégique pour l’avenir : la jeunesse.
Dans un contexte économique dégradé, le Gouvernement a proposé une série de mesures en faveur de l’emploi des jeunes. De fait, le plan « 1 jeune, 1 solution », initialement doté de 6,5 milliards d’euros mais dont le coût devrait avoisiner les 10 milliards d’euros, n’a pas eu d’équivalent dans les pays comparables à la France. Pour autant, si la Cour des comptes souligne la légitimité de l’action du Gouvernement, elle regrette son manque d’efficacité eu égard aux moyens déployés.
L’emploi des jeunes est certes revenu à son niveau d’avant-crise, mais la plus-value des nouveaux dispositifs n’est pas démontrée.
Les mesures les plus coûteuses semblent être celles qui ont eu le moins de portée. Il en est ainsi des trois primes à l’embauche, lesquelles, pourtant, représentent 70 % des montants engagés.
La Cour des comptes souligne également le manque d’adéquation entre les dispositifs proposés et les besoins des publics concernés, et ce sans prise en compte des réalités territoriales. Ainsi, certains jeunes se sont retrouvés dans des dispositifs sans rapport avec leur projet professionnel, afin d’obtenir une solution financière.
La mise en place d’un éventail de dispositifs trop ciblés a même eu un effet contre-productif pour les publics les plus éloignés des structures d’insertion sociale.
Je note, par ailleurs, que l’allocation jeunesse que nous proposions en janvier 2021 aurait pris, dans ces circonstances particulières, tout son sens. La Cour des comptes souligne en effet qu’« assurer un soutien financier à des jeunes en grande difficulté pendant la crise » aurait pu être un « objectif plus clairement énoncé », plutôt que de faire le choix de parcours d’accompagnement intensif assorti d’une allocation.
La crise sanitaire a également lourdement affecté le quotidien du monde étudiant. De longues files de jeunes gens faisant la queue lors des distributions de denrées par les associations caritatives : nous avons tous vu ces images, symboles de la précarité étudiante et de la triste réalité du quotidien de nos jeunes.
La Cour des comptes se montre sévère quant au soutien à la vie étudiante. Elle livre un constat sans appel sur la méconnaissance de la situation des étudiants de la part du ministère. Effectivement, comment apporter une réponse appropriée à un public que l’on ne connaît pas ?
Si comparaison n’est pas raison, force est de constater que la réactivité de nos voisins européens a été plus grande. Des aides ont été versées dès le début de l’été 2020 aux étudiants les plus vulnérables ; il a fallu attendre six mois de plus pour qu’il en soit ainsi dans notre pays.
De même, certains dispositifs n’ont pu atteindre leur cible.
C’est le cas de l’aide à la perte d’emploi ou de stage gratifié. Cette aide de 200 euros pouvait potentiellement concerner 510 000 étudiants ; seuls 23 429 en ont bénéficié. Il faut bien dire que les critères demandés pour la percevoir ont exclu un grand nombre du dispositif. Ces critères restrictifs visaient à limiter le coût de la mesure : voilà au moins un objectif atteint !
La crise a mis en lumière la situation des étudiants et invite à définir des politiques de soutien à la vie étudiante adaptées : de la santé à l’insertion professionnelle, en passant par les aides du quotidien.
Si nous ne partageons pas toutes les recommandations de la Cour des comptes, notamment celles qui concernent les réformes structurelles envisagées dans le cadre de la réduction des déficits publics, celles qui ont trait à la jeunesse méritent toute notre attention. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE. – MM. Christian Bilhac et Marc Laménie applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Sautarel. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, comme chaque année, la présentation du rapport public annuel de la Cour des comptes est un moment important de notre vie démocratique. Ce qui me paraît préoccupant, c’est que personne ou presque ne s’inquiète vraiment de la situation de nos finances publiques. Pourtant, le rapport de la Cour des comptes met en exergue le déclassement de la France en la matière, la France devenue un facteur de risque pour la cohésion de la zone euro !
Le rapport public annuel de la Cour des comptes fait état d’un déficit structurel durablement dégradé pour la France après la crise. La Cour prône une grande rigueur d’ici à 2027 pour ramener le déficit public sous 3 % de PIB. Ce n’est pas la stratégie présentée par le Gouvernement, qui refuse la référence à une règle d’or budgétaire, pourtant plus nécessaire que jamais au regard de notre addiction à la dépense publique. On ne peut plus ni résoudre les problèmes en signant des chèques ni répondre aux conséquences de l’inflation par la dépense publique !
Ce rapport constitue tout à la fois un éclairage utile et cruel de la politique menée par l’actuel chef de l’État et un avertissement lancé à l’adresse de tous les dirigeants qui aspirent à l’Élysée. La Cour des comptes réclame un programme tout en rigueur de 9 milliards d’euros d’économies supplémentaires par rapport à la trajectoire d’avant-crise pour redresser les comptes durant le prochain quinquennat. Les Allemands viennent de nous rappeler leur attachement au pacte de stabilité, alors que le gouvernement français a décidé d’envoyer sa copie seulement après les échéances…
Il existe « une divergence persistante avec nos partenaires européens », écrit la Cour des comptes, en prévenant que « cela impliquera des efforts plus importants de redressement à partir de 2023 ». L’année 2023 – et le mur de la dette de plus en plus proche, avec une hausse inéluctable des taux qui précipitera nos finances publiques dans l’abîme – est l’année de tous les dangers.
Nous sommes là ce matin pour tenter d’être des lanceurs d’alerte, dont les paroles, déjà rendues inaudibles par un « quoi qu’il en coûte » certes nécessaire, mais annihilant toute pédagogie, sont aussi couvertes, hélas, par le bruit des bottes aux portes de l’Europe.
Pourtant, la Cour des comptes a su ne pas se taire et notre rôle est de faire résonner ses chiffres et les maux qu’ils recouvrent pour notre pays.
Cette année, le niveau de dépenses publiques s’établira à 55,7 % du PIB, supérieur de 2 points, soit environ 50 milliards d’euros, à son niveau de 2019. « Les dépenses hors crise de l’État augmenteraient fortement, de près de 11 milliards d’euros en 2021 et de 8 milliards d’euros en 2022 », écrit la Cour des comptes.
Cette situation la conduit à s’inquiéter du « décalage » avec le redressement des comptes publics opéré par nos partenaires européens et à classer la France parmi les cancres de la zone euro. Ainsi précise-t-elle : « La France appartiendrait au groupe de pays dont le ratio de dette (110 points de PIB ou au-dessus) et le déficit structurel (environ 5 points de PIB) sont les plus élevés. » Le rapport décrit la situation réelle et inquiétante des finances publiques et met en exergue le déclassement de la France, alors que « le Gouvernement centre sa communication sur les résultats un peu meilleurs que prévu de 2021 ».
Pire, ce rapport montre que malgré ce dopage à la dépense publique, nos politiques publiques sont trop souvent erratiques, inefficaces et toujours en manque d’anticipation, même sur des sujets pourtant faciles à prévoir, comme celui du grand âge, qui n’est que la conséquence de notre démographie.
La Cour des comptes s’interroge en effet sur le modèle des Ehpad. Par-delà même la conjoncture de l’affaire Orpea, elle conforte la demande des acteurs du secteur, qui réclament une grande loi. Il faut redéfinir le modèle d’organisation des Ehpad.
Les trois leviers identifiés pour conduire la réforme sont les autorisations, les contrats pluriannuels et les tarifs. Plus largement, la question du modèle est posée et la question de son dépassement, patente. Déclassement, dépassement, redressement sont des mots si peu présents dans le débat public, quand d’autres le sont trop !
Les questions de l’efficacité de la dépense publique, comme de sa soutenabilité, sont clairement posées par ce rapport. C’est salutaire. La crise a pourtant montré qu’en sortant des carcans nos services publics savaient répondre aux besoins.
Désormais, il nous appartient collectivement de partager ces questions, d’y apporter des réponses démocratiques pour mettre en œuvre les réformes nécessaires de notre modèle, qui est aujourd’hui dépassé et inefficace. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Vincent Delahaye. Monsieur le Premier président de la Cour des comptes, votre rapport est excellent ! Il dresse un constat juste et, en même temps, accablant pour l’action du Gouvernement. Il alerte sur le grand déclassement de notre pays, encore aggravé par la gestion de la crise sanitaire.
Hors de cette gestion de la crise sanitaire, du « quoi qu’il en coûte », les dépenses ont continué d’augmenter fortement, comme vous l’indiquez, avec des dépenses au caractère pérenne. Parallèlement, il y a eu baisse des recettes : celle-ci n’a pas été compensée par de la création de richesses, mais a été financée à crédit.
Tout cela accroît les déficits. Ainsi, le déficit structurel aura doublé par rapport à 2019.
Notre pays fait clairement partie des pays dits du « Club Med », ces pays du sud de l’Europe à la situation financière catastrophique.
Nous sommes loin, très loin des premiers de cordée, des pays sérieux. Curieusement, quand on y regarde de plus près, ces pays sérieux enregistrent une croissance moyenne sur les dix dernières années meilleure que la nôtre, ils ont un taux de chômage inférieur au nôtre et un commerce extérieur se portant bien mieux que le nôtre. Il n’y a pas de secret, je pense : tout cela est lié !
Votre rapport, monsieur le Premier président, met en avant la vulnérabilité de notre pays en matière de production de produits de santé.
Dans ce secteur, le déclin est réel. Alors que nous étions auparavant un grand producteur de médicaments, nous voici désormais au sixième rang des exportateurs. Nos exportations sont restées stables depuis 2010, tandis que l’Allemagne, la Suisse, l’Italie et l’Irlande progressaient. En outre, nous n’avons pas été capables de produire un vaccin contre le coronavirus.
L’industrie pharmaceutique est en fait assez symptomatique du mal français : on a identifié les problèmes, on en a compris les causes, les solutions sont connues, mais on ne les met pas en œuvre !
Au-delà du secteur de la santé, c’est toute l’économie française qui décline, comme le démontre le niveau élevé du déficit commercial : 85 milliards d’euros en 2021 ; 100 milliards d’euros annoncés pour 2022. C’est, je crois, au moins aussi grave que le déficit de l’État ou de la sécurité sociale.
M. Gérard Longuet. Exact !
M. Vincent Delahaye. En dehors du secteur du luxe et outre le secteur pharmaceutique que je viens d’évoquer, de nombreuses industries, anciens fleurons français, rencontrent aujourd’hui des difficultés. On n’a jamais produit aussi peu de voitures que cette année en France.
M. Éric Bocquet. On les produit en Chine !
M. Vincent Delahaye. L’agroalimentaire est à la peine. Nous n’avons pas assez investi dans le nucléaire (Mme Brigitte Devésa approuve.),…
M. Gérard Longuet. Exact !
Mme Nathalie Goulet. On a désinvesti !
M. Vincent Delahaye. … la conséquence étant qu’aujourd’hui on doit recourir à de l’électricité produite avec du charbon.
M. Gérard Longuet. Absolument !
M. Vincent Delahaye. La réindustrialisation ne doit plus être un slogan trop souvent clamé ; elle doit devenir une réalité.
Pour retrouver de la compétitivité, il faut arrêter de distribuer des chèques aux électeurs sans création de richesse. Il faut modifier notre fiscalité, de façon à rendre l’effort, le travail, la création et l’innovation plus attractifs.
Toute baisse d’impôts doit être gagée sur une vraie diminution de la dépense. J’ai d’ailleurs un désaccord sur ce point avec la Cour des comptes : il faut arrêter d’évoquer la « maîtrise » des dépenses, comme on le fait depuis des années sans jamais la réaliser ; il faut parler de « réduction » de la dépense, et nous avons largement les marges pour le faire en France.
Un bref mot de félicitation, monsieur le Premier président, pour votre travail sur la lutte contre la fraude. Je pense que, malgré les critiques, il faut poursuivre dans cette direction.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Vincent Delahaye. Vous donnez l’alerte également sur certains dangers à venir, y compris pour les finances publiques, dont on ne parle pas beaucoup : les conséquences de l’inflation, l’impact des taux d’intérêt et la facture énergétique. Les prévisions du Gouvernement devraient prendre ces dangers en compte ; ils sont réels ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, les sujets dont je parlerai ce matin ne sont pas forcément ceux dont je suis la plus familière, mais ils me paraissent d’importance au terme de la période que nous venons de traverser. Il s’agit des publics les plus fragiles : d’une part, les jeunes ; de l’autre, les seniors.
Dans son programme de 2017, le Président de la République affichait de grandes ambitions pour les jeunes. Il voulait investir dans l’avenir en facilitant concrètement la vie des étudiants. Il mettait notamment en avant le besoin de réformer les bourses.
Quel bilan pouvons-nous faire de ces promesses, cinq ans plus tard ? Quel bilan la Cour en tire-t-elle ? Elle observe que la crise a révélé la précarité de certaines catégories d’étudiants, notamment les non-boursiers, insuffisamment identifiées par le ministère et par ses opérateurs. Elle ajoute que certaines mesures de soutien ont perdu en efficacité, car le ministère manquait de données suffisamment fines pour les définir correctement.
Ainsi, la Cour a invité à refonder le système des bourses de l’enseignement supérieur, qui ne permet pas de remédier à la précarité étudiante. Elle regrette par ailleurs que des préconisations déjà formulées par elle en 2015 n’aient pas été mises en application.
Les critiques, très nombreuses, ont déjà été rappelées. La porte-parole d’un syndicat étudiant déclare ainsi : « Rien n’a été fait depuis cinq ans sur le sujet, alors que le Gouvernement ne cesse d’en parler. »
En octobre 2021, Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, a osé indiquer que le Gouvernement était « prêt conceptuellement à revoir le système d’attribution », mais que « rien ne serait […] prêt avant la fin du quinquennat ». Le programme de 2017 est donc toujours d’actualité.
Au-delà de la situation des étudiants, la Cour s’est penchée sur l’insertion des jeunes dans le marché du travail.
Le coût du plan « 1 jeune, 1 solution » pourrait atteindre près de 10 milliards d’euros. (Mme la présidente de la commission des affaires sociales le confirme.) En effet, pour que les objectifs fixés soient atteints, il a fallu prendre un certain nombre de mesures annexes.
En juillet dernier, Élisabeth Borne fêtait le premier anniversaire de ce plan avec enthousiasme : « Il a porté ses fruits ; deux millions de jeunes ont bénéficié des solutions du plan. » Elle se félicitait notamment de la forte progression du nombre de contrats d’apprentissage, de CDD et CDI.
Or les analyses de la Cour des comptes le montrent très bien : ces mesures n’ont pas eu d’impact réel sur l’emploi des jeunes.
La forte progression de l’apprentissage a tout particulièrement bénéficié aux populations les plus diplômées, qui ne connaissent pas de difficultés d’insertion ; si les emplois en CDI et en CDD ont progressé, on a constaté dans le même temps un recul des contrats d’intérim. Bref, ces mesures ont entraîné un simple déplacement et non de véritables créations d’emplois.
De plus, les dispositifs en faveur des publics les plus fragiles, les NEET (Neither in Employment nor in Education or Training – ni en emploi, ni en études, ni en formation), dans le jargon, n’ont pas atteint leur cible. Je pense notamment aux parcours emploi compétences.
Dans son allocution du 12 juillet dernier, le Président de la République évoquait la création d’un revenu d’engagement. Mais ce dernier n’a pas trouvé de traduction dans le projet de loi de finances initial : il a fallu attendre la discussion parlementaire et l’arrivée d’un amendement à 550 millions d’euros…
En ce jour où l’évaluation des politiques publiques est mise à l’honneur, on remarquera que la garantie jeunes, créée en 2016, a été supprimée avant même d’avoir pu être évaluée.
J’en viens, sans transition, aux personnes âgées et à la situation des Ehpad, déjà largement évoquées ce matin.
Dans son rapport public annuel, la Cour regrette que les réformes structurelles nécessaires pour une meilleure prise en charge médicale des résidents des maisons de retraite n’aient pas été engagées par l’État, alors même que le secteur a bénéficié d’un important soutien financier.
Certaines de ces mesures ayant un caractère pérenne – je pense notamment aux augmentations de salaires –, de telles réformes auraient été très pertinentes. La Cour donne un certain nombre d’exemples d’actions que l’on aurait pu mettre en œuvre : agir sur les conditions de travail des personnels, en particulier pour la formation, l’évolution des carrières et la prévention des accidents du travail ; mieux articuler Ehpad et filières de soins ; ou encore, beaucoup plus simplement, fixer un cadre national précis pour l’attribution de concours financiers à la réalisation des investissements dans les Ehpad.
Ce que la collégialité ne peut pas écrire, un parlementaire peut le dire. En filigrane de ces critiques, on lit les conséquences du renoncement du Gouvernement à présenter un projet de loi spécifiquement dédié à ce sujet avant la fin du quinquennat.
Promesse de campagne d’Emmanuel Macron, la loi sur le grand âge et l’autonomie avait été annoncée en 2018. En juin 2019, Édouard Philippe, alors Premier ministre, l’avait considérée comme un « marqueur social », « peut-être le plus important ». Mais ce texte a été sans cesse repoussé par la suite, avant d’être définitivement enterré en septembre dernier, lors de la présentation du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2022.
Les acteurs du secteur relèvent que des apports financiers, même de grande ampleur, ne suffisent pas à créer un projet de société : tel est bien l’enjeu pour ce secteur.
Monsieur le Premier président, sur ces différents sujets, le rapport public annuel de la Cour des comptes ouvre des perspectives de meilleure efficacité de la dépense pour les années à venir, et nous tenons à vous en remercier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)