Mme la présidente. L’amendement n° 71, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Alinéa 41
1° Première phrase
Supprimer les mots :
, qui permettra de supprimer le nécessaire passage devant une autorité habilitée (officier de police judiciaire ou adjoint de police judiciaire)
2° Deuxième phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Le rapport annexé prévoit la dématérialisation de la procuration de vote, qui permettra à terme de « supprimer le nécessaire passage devant une autorité habilitée », par exemple un officier de police judiciaire ou un adjoint de police judiciaire.
Personnellement, comme je l’ai souvent exprimé lors de l’examen de textes législatifs, j’estime que la procuration est clairement la modalité de vote la plus insincère ; mon ami Éric Kerrouche, qui est absent, ne me contredirait pas. C’est effectivement la seule modalité de vote dont on ne peut être totalement sûr de l’effectivité ou de la véracité. Les risques liés à l’absence d’OPJ dans le cadre de cette procédure n’ont échappé à personne, surtout sur les travées de cette assemblée. J’oserais ajouter qu’on a vu pas mal de « procurations simplifiées » chez moi, à Marseille et dans les Bouches-du-Rhône.
L’usager n’aura plus à se déplacer au commissariat de police, à la brigade de gendarmerie ou dans un tiers lieu autorisé par arrêté du préfet pour établir sa procuration. Le Gouvernement prévoit donc implicitement la fermeture des guichets. Or, outre le problème d’insincérité, nous savons que 13 millions de personnes en France sont touchées par l’illectronisme ou ne sont pas à l’aise pour mener des démarches dématérialisées. Les personnes âgées, les personnes fragiles seront mises en difficulté du fait des envies de « tech » du Gouvernement. Pire, on pourrait abuser de leur confiance avec ce système et les faire voter à leur insu.
La fermeture des guichets en cas de dématérialisation d’une démarche administrative porte toujours atteinte au principe d’égal accès au service public. Les usagers doivent conserver le choix de leurs relations avec les forces de sécurité et les agents du service public, afin de ne pas être enfermés dans une relation exclusivement numérique.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Encore une fois, vous partez d’un postulat qui vous fait aboutir à une mauvaise conclusion !
Vous craignez des fermetures des guichets ? Mais, dans sa réponse aux orateurs, M. le ministre vient d’annoncer qu’il n’y en aurait pas.
M. Guy Benarroche. Peut-être, mais les faits prouvent le contraire !
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. La plainte en ligne est une faculté, précisément pour permettre à des personnes qui travaillent d’éviter de devoir se déplacer et de subir une longue attente. Cela n’empêche en rien de se rendre au commissariat. Les guichets resteront ouverts.
L’amendement est donc satisfait par la rédaction du texte. Avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. M. le rapporteur a raison : il s’agit d’une faculté. Il sera évidemment toujours possible de se rendre physiquement dans un site délivrant des procurations.
La préprocuration en ligne a tout de même démontré sa popularité. De mémoire – je ne me souviens plus exactement du chiffre –, on en a enregistré 170 000 environ. Elles ont permis, je crois, à des citoyens d’exercer leur droit de vote. Certes, on peut toujours être contre les procurations. Mais là, c’est un débat qui dépasse le cadre du présent projet de loi.
Bien entendu, il faut pouvoir s’occuper de l’identité de la personne. À ce titre, aujourd’hui, on n’a pas trouvé mieux que l’OPJ. Mais cela induit aussi beaucoup de tâches pour les policiers et les gendarmes. Or ceux-ci ont peut-être autre chose à faire, si j’ose dire, que des vérifications d’identité. Il existe sans doute des moyens plus modernes. À une époque où l’on paie ses impôts sans passer par un percepteur, on peut peut-être vérifier l’identité de quelqu’un sans passer devant un OPJ.
C’est pourquoi l’expression « à terme » est employée dans le projet de loi. Nous allons travailler sur la question de l’identité numérique, qui donnera peut-être lieu à des discussions. Aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs, vous effectuez des virements bancaires, c’est-à-dire des opérations importantes, sans passer par votre banque, parce qu’il n’y a pas de doute sur votre identité numérique. Le dispositif qu’imagine le Gouvernement, en particulier le ministère de l’intérieur, en lien avec la Cnil et le Conseil d’État, permettra de vérifier d’identité de la personne. En outre, le contrôle de la procuration s’effectue également lors du vote.
Par conséquent, monsieur le sénateur, sauf si vous êtes opposé par principe à la procuration, et dans ce cas, on ne pourra pas faire grand-chose dans ce texte, vous pouvez être à la fois rassuré et moderne.
Ce débat me permet d’indiquer que le projet de loi ne concerne pas seulement les forces de l’ordre. Nous traitons de toute l’action du ministère de l’intérieur, à commencer par un grand service, celui des élections. Nous modernisons effectivement beaucoup les procédures de vote dans ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Depuis le début de la dématérialisation, on nous assure que l’on va conserver les guichets. Mais, nous le voyons bien, dans les faits, cela conduit toujours in fine à la disparition de personnels et de services, avec des difficultés croissantes pour des millions de personnes. Je ne parle pas de celles qu’évoque M. le ministre de l’intérieur ! Pour ceux qui ont une maîtrise totale de tous les outils, de telles évolutions n’entraînent évidemment aucune difficulté. Mais, pour 13 millions de personnes – je n’ai pas inventé ce chiffre –, c’est problématique.
De telles procédures mènent toujours à la disparition de l’humain et de l’accueil du public. Les faits le prouvent. Mon raisonnement est bien étayé, et la conclusion à laquelle j’aboutis est bien celle à laquelle je dois aboutir. Elle n’a rien de virtuel. Elle décrit la réalité de la vie.
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 175, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéas 45 et 46
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
Après chaque dépôt de plainte issu de la procédure dématérialisée, un agent de police judiciaire sera obligatoirement chargé de prendre attache avec la victime, à l’expiration d’un délai de trois mois après le dépôt de plainte. Ce délai correspondant à celui auquel est soumis l’examen de la plainte simple par le ministère public prévu à l’article 85 du code de procédure pénale.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Nous considérons qu’il y a une contradiction.
Un chatbot, c’est-à-dire un logiciel censé dialoguer avec un utilisateur, n’a jamais été un outil très rassurant.
Nous sommes ici face à une déshumanisation de l’interaction entre police et justice, avec une mise à distance de la victime. C’est un fait. L’instauration d’un chatbot accompagnant des téléprocédures contredit la volonté affichée par le ministère de l’intérieur de « promouvoir un contact humain pour chaque procédure dématérialisée ».
Cet amendement de repli – pour notre part, nous défendions la suppression du rapport annexé – vise donc à établir un véritable contact humain, tel que le suggère l’intitulé de la sous-section concernée, par l’introduction du suivi de la plainte simple par un agent de police judiciaire (APJ).
Ainsi, le plaignant ne sera plus livré à lui-même dans l’attente d’une réponse souvent tardive, voire inexistante, du ministère public. Sa plainte sera suivie et il sera avisé des suites qui y seront données par lettre recommandée à l’issue d’un délai de trois mois après son dépôt.
Mme la présidente. L’amendement n° 70, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Alinéa 45
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Pour chaque procédure dématérialisée, un guichet doit être maintenu pour accueillir physiquement les personnes qui ne souhaitent pas effectuer des démarches en ligne.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Pour chaque procédure dématérialisée, un guichet doit être maintenu afin d’accueillir physiquement les personnes qui ne souhaitent pas effectuer leurs démarches en ligne.
Vous me répondrez peut-être que ma demande est satisfaite, mais l’expérience des quinze dernières années nous prouve le contraire. Puisque ce texte en offre la possibilité, nous voulons que les choses soient dites clairement.
Aujourd’hui, 22 % des Français ne disposent à leur domicile ni d’un ordinateur ni d’une tablette, 8 % des Français n’ont pas d’adresse mail, ni personnelle ni professionnelle, et 15 % des Français n’ont pas de connexion internet à domicile. Compte tenu des actuels problèmes de pouvoir d’achat et d’énergie, je doute que la donne change très facilement ou très rapidement. Ces chiffres ne sont pas anciens. Ils proviennent d’un rapport publié par le Défenseur des droits le 16 février 2022.
La dématérialisation totale de la procuration de vote et la généralisation de la plainte en ligne doivent nous alerter quant à l’accès au service public des citoyens les plus fragiles, ceux dont je viens de parler, qui éprouvent des difficultés avec les outils numériques.
Une politique d’inclusion numérique d’ampleur doit être menée. Or les mesures qui sont prises actuellement ne sont pas à la hauteur des enjeux et des changements que le Gouvernement entend apporter par ce texte. Il est donc nécessaire de maintenir, pour chaque procédure dématérialisée, un guichet dans les commissariats et les gendarmeries, afin d’accueillir physiquement les personnes souhaitant, par exemple, donner une procuration de vote.
Cette présence dans nos territoires est une demande répétée des acteurs locaux, qui voient les services publics déserter nos campagnes, mais aussi nos zones désavantagées.
À l’heure où le Sénat avance des propositions pour permettre l’implantation de médecins dans les zones sous-denses, il serait étrange que la majorité sénatoriale n’entende pas assurer un maillage territorial réel des services publics. Nous ne comprenons pas que la commission ait, à ce stade, émis un avis défavorable sur notre amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 72, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Alinéa 46, première phrase
Remplacer cette phrase par deux phrases ainsi rédigées :
Le recours croissant aux téléprocédures ne suppose pas la suppression des démarches en présentiel à un guichet, dans un besoin d’accompagnement des usagers. L’ouverture des espaces France Connect ne suppose pas la fermeture des guichets des services publics.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. La politique du Gouvernement consiste à supprimer toujours plus de guichets dans l’ensemble des services publics – c’est le cas, par exemple, dans les préfectures, s’agissant des prises de rendez-vous pour les titres de séjour – sans tenir compte du handicap réel et de l’éloignement de personnes aux outils numériques.
Le développement des points d’accueil France Connect dans les préfectures suffira-t-il à garantir à nos concitoyens un égal accès aux démarches administratives ? De leur côté, les maisons France Services offrent un accompagnement pour les démarches en ligne, mais n’ont pas pour objet d’effectuer ces procédures à la place de l’usager.
Dans son rapport sur la dématérialisation des services publics, le Défenseur des droits dénonce : « […] l’usager […] devient le coproducteur malgré lui. C’est à lui qu’il revient de s’équiper, de s’informer, le cas échéant de se former et, partant, d’être en capacité d’effectuer ses démarches en ligne, tout en répondant aux “canons” fixés par l’administration : comprendre les enjeux de la démarche, le langage administratif, ne pas commettre d’erreur au risque de se retrouver en situation de non-accès à ses droits. » C’est ainsi que l’on voit se multiplier les cas de non-recours aux droits.
Le Défenseur des droits conclut : « Sur les épaules de l’usager ou de ses “aidants” reposent désormais la charge et la responsabilité du bon fonctionnement de la procédure. On demande en réalité aux usagers de faire plus pour que l’administration fasse moins et économise des ressources. »
Une nouvelle fois, je m’étonne que la majorité sénatoriale ne soutienne pas notre amendement, dont l’adoption aurait pour effet d’éviter de grever les finances locales en leur faisant payer les dépenses de l’ambition gouvernementale.
Je le rappelle, les collectivités territoriales financent une grande partie des espaces France Services, et l’aide de l’État qu’elles perçoivent n’est pas suffisante. L’État et les opérateurs partenaires contribuent aux coûts de fonctionnement des plus de 1 100 maisons France Services à hauteur de 30 000 euros par an, soit le coût d’un agent d’accueil pour chacune d’entre elles. L’État fait donc supporter le coût de la fermeture des guichets des services publics aux finances des collectivités territoriales, ce qui n’est pas souhaitable.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Selon Mme Assassi, l’information doit être apportée par contact personnel avec un APJ. Peut-être, mais pas exclusivement !
J’ai lu dans le détail – c’est mon rôle – le rapport d’orientation présenté par M. le ministre. Il est écrit noir sur blanc : « Afin d’améliorer l’accompagnement des usagers lors de leurs démarches en ligne et de réduire la fracture numérique, chaque téléprocédure devra être dotée d’un moyen d’accompagnement effectif et adapté à tous les usagers. » En adoptant un tel amendement, on supprimerait cette phrase, qui garantit justement un moyen adapté à tous les usagers.
De son côté, M. Benarroche continue ses procès d’intention. Mais, comme les fois précédentes, son amendement est satisfait par le projet de loi, dont la rédaction me semble parfaitement claire.
Avis défavorable sur ces trois amendements.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.
M. Jérôme Bascher. Je tiens à vous apporter un simple témoignage.
Dans mon département, l’Oise, la gendarmerie a décidé qu’il serait désormais possible de porter plainte sur rendez-vous dans certaines brigades de campagne. Inutile d’avoir un gendarme qui fait le pied de grue en attendant le chaland. Mieux vaut prendre rendez-vous. Cela permet d’avoir un service digne de ce nom et des forces de sécurité vraiment sur le terrain.
La gendarmerie a également entrepris de recueillir les plaintes à domicile de manière électronique. Les gendarmes, qui disposent d’ordinateurs portables, peuvent ainsi venir en aide aux personnes concernées par l’illectronisme, dont il faut évidemment tenir compte ; nous entendons bien ce que vous avez indiqué tout à l’heure. Je ne suis pas pour le « tout électronique ». C’est simplement un outil supplémentaire.
Le ministère de l’intérieur fait des efforts pour libérer du temps disponible afin d’avoir plus d’hommes sur le terrain. C’est de cela que nos compatriotes ont besoin. Je trouve plutôt positif de l’encadrer dans la loi.
Suivant la demande M. le rapporteur, je voterai contre ces amendements.
Mme la présidente. L’amendement n° 139, présenté par MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 55
Remplacer les signes et le mot :
« augmentés »
par les mots :
mieux protégés et responsabilisés
II. – Alinéa 56
Supprimer cet alinéa.
III. – Alinéa 57, deuxième phrase
Après le mot :
allégé
supprimer la fin de cet alinéa.
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Autres fantasmes technologiques du Gouvernement, les exosquelettes et les policiers « augmentés ».
Mme Assassi en a déjà parlé, mais je tiens à livrer un petit résumé pour celles et ceux à qui ces points auraient échappé.
Dans la première partie du rapport annexé, le ministre semble avoir pris conscience des limites de son enthousiasme un peu forcené pour les nouvelles technologies. Il dit à raison que l’ajout d’équipements dans la panoplie des agents multiplie « le poids et les interactions homme-machine, ce qui n’est pas satisfaisant ». Il faut donc y remédier.
Quelle solution est apportée au problème ? Réduire le nombre d’équipements ? S’interroger sur leur légitimité ? Bien sûr que non ! La solution, c’est de déployer des exosquelettes pour aider le policier à supporter le poids grandissant de ces équipements. Nous continuons dans la fuite en avant.
Cette logique ridicule aboutit à un résultat effrayant. Le policier de demain, c’est visiblement celui que Paul Verhoeven avait imaginé dans Robocop. Il sera bardé de capteurs et d’intelligence artificielle. Voilà qui, à coup sûr, permettra de rapprocher la police et la population ; c’est bien démontré dans le film…
C’est le monde militaire qui a inspiré cette idée d’augmentation des personnels. Or les projets d’exosquelettes sont abandonnés les uns après les autres – c’est le cas du projet américain Talos en 2020 –, en raison d’une ergonomie incertaine, d’un coût financier et énergétique important et d’une inadéquation entre les dispositifs et les objectifs tactiques du terrain. Mais encore faut-il fixer des objectifs…
Afin que le ministère dont vous avez la charge ne se ridiculise pas avec des fantasmes coûteux, inefficaces et dangereux, nous vous proposons de supprimer ces alinéas.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Je crois que le fantasme est dans la tête des auteurs de cet amendement.
Monsieur Dossus, je suis sidéré de voir à quel point les membres de votre groupe remettent en cause les progrès permis par la science.
Nous débattons d’un projet de loi d’orientation et de programmation à cinq ans ; c’est l’ingénieur qui vous parle. Nous avons vu à quelles difficultés la sécurité civile a été confrontée cet été. Nous devons tout faire pour aider les sapeurs-pompiers. Aujourd’hui, nous pouvons mobiliser toute une série de techniques en leur faveur. Évidemment, cela exige des précautions, des expérimentations…
M. Guy Benarroche. Ah !
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. … et des évaluations. Mais, grâce à ces outils, nous pouvons garantir une efficacité accrue, tout en maintenant évidemment les forces en place.
Vous êtes tout le temps dans le scepticisme à l’égard de la science. À vous entendre, ce serait forcément Orwell, Verhoeven et Robocop. Pas du tout !
Avec nos collègues Jérôme Durain et Arnaud de Belenet, j’ai mené, il n’y a pas si longtemps, une mission d’information sur l’intelligence artificielle et l’utilisation des algorithmes. Nous avons notamment traité de la reconnaissance faciale.
Bien sûr, il faut mieux protéger les libertés.
M. Thomas Dossus. Ah !
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Mais toute une série de technologies existent, et nous avons, en France, le privilège d’avoir les meilleures entreprises du monde en la matière. Elles maîtrisent ces technologies, qui nous permettraient d’obtenir des résultats beaucoup plus efficients.
Se priver de la possibilité d’avoir une réalité augmentée dans un projet de loi d’orientation à cinq ans serait, à mon avis, une erreur. Avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur le sénateur, l’objet de l’amendement laissait présager le ton de votre intervention : « La présente partie du projet de loi dévoile le cœur de la pensée techno-autoritaire de ses auteurs. » Vous y évoquez aussi – c’est une nouvelle attaque ad hominem – des mesures « extrêmement coûteuses, parfaitement irréalistes et totalement déconnectées d’une vision apaisée de la sécurité ».
Je vous encourage à vous rendre au prochain congrès national des sapeurs-pompiers. Comme l’a très bien dit M. le rapporteur, les exosquelettes permettent aux pompiers de porter des charges lourdes. (Mme Laurence Harribey le confirme.) Ils leur évitent ainsi des maladies professionnelles extrêmement invalidantes.
Grâce à de tels équipements, qui allègent leur souffrance au travail, les pompiers peuvent continuer à vivre de leur passion tout en venant en aide à nos concitoyens. Mais ce que vous aimez, c’est que les gens souffrent ! (M. Thomas Dossus proteste.) Je ne vois pas d’autre explication. Non seulement le progrès vous inspire de la détestation, mais vous voulez que, conformément à son étymologie, le travail reste un vrai tripalium.
Après votre intervention, il me semblait nécessaire de remettre la caserne des sapeurs-pompiers au milieu du village ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. L’amendement n° 138, présenté par MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 58
Compléter cet alinéa par deux phrases ainsi rédigées :
À ce titre, les caméras-piétons et caméras embarquées devront être maintenues allumées afin de permettre un enregistrement vidéo durant la totalité du temps de présence des équipes sur le terrain. Dans le cas d’un arrêt intentionnel ou non de ces dispositifs, les personnels concernés seront tenus de présenter à leur hiérarchie un compte rendu détaillant les circonstances de cet arrêt qui sera versé au dossier des éventuelles procédures légales dont l’objet concerne un événement qui se serait déroulé pendant ces périodes d’interruption d’enregistrement.
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Monsieur le ministre, avec cet amendement, je demande précisément un enrichissement de la technologie que vous proposez de déployer.
Entre autres solutions présentées par le rapport annexé pour améliorer l’efficacité des forces de l’ordre, on trouve les caméras-piétons et les caméras embarquées.
Ces caméras, installées sur les policiers en patrouille ou sur les véhicules, sont destinées à filmer les interventions sur le terrain.
Lorsqu’on écoute les discours du ministère de l’intérieur, l’utilisation de ces dispositifs dans le cadre des relations entre police et population en France semble avoir pour principal objectif de rendre les citoyens plus polis et respectueux face aux forces de l’ordre,…
M. Thomas Dossus. … puisqu’ils sauront qu’ils sont filmés.
C’est effectivement une nécessité de se montrer respectueux…
M. Thomas Dossus. … envers nos forces de l’ordre, dont je salue le travail.
Mais le respect doit être réciproque. Lorsqu’on regarde d’où viennent les caméras-piétons, c’est-à-dire des États-Unis et du Canada, on constate que ces dispositifs y ont été installés sur les policiers dans une logique inverse à la nôtre. Dans ces pays, qui ne font pas l’autruche face à certains comportements déviants, il s’agit de rassurer la population en prévenant d’éventuelles violences policières et d’éventuels abus d’autorité, les intéressés sachant que chaque intervention sera filmée.
Comme l’un des objectifs affichés dans le rapport est d’améliorer le lien entre vos services et la recherche académique, regardons les études. Plusieurs ont été consacrées à l’efficacité de ces caméras.
Les études canadiennes ne mettent pas au jour une grande efficacité des dispositifs. En revanche, les études américaines montrent que les caméras ont permis une nette amélioration de la relation entre police et population. Elles précisent qu’aucune des initiatives déployées n’a eu de résultats négatifs.
Ainsi, l’étude menée en 2013 à Rialto conclut que l’emploi de la force par les policiers a été divisé par deux et que l’on a enregistré une baisse de 87 % des plaintes contre la police pendant la période d’essai.
Je relève un dernier point important. Toutes les utilisations nord-américaines de ces caméras sont assorties d’une condition centrale, que l’on ne retrouve pas actuellement en France : les caméras doivent être allumées en permanence.
Pourquoi la France serait-elle le seul pays qui laisse aux policiers le choix d’allumer ou non les caméras, pour filmer les moments où ils sont à leur avantage et occulter les autres ? Pourquoi faire de ces dispositifs une nouvelle source de défiance de la population envers la police ?
Dans un esprit de justice et d’apaisement, nous vous faisons donc la proposition suivante : si caméras-piétons il y a, elles doivent être allumées en permanence et l’agent qui éteint sa caméra pour une raison ou pour une autre doit fournir un compte rendu expliquant ses motivations…
Mme la présidente. Il faut conclure, cher collègue.
M. Thomas Dossus. C’est aussi pour orienter les éventuels marchés publics que vous passerez que je vous propose une telle amélioration.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Comment peut-on défendre tout et son contraire à quelques semaines d’intervalle ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Cher collègue, nous avons examiné le texte relatif à la sécurité globale dans cet hémicycle en présence de M. Darmanin ; il se trouve que vous aviez également les deux mêmes rapporteurs.
Mon collègue Loïc Hervé, par ailleurs membre de la Cnil, a veillé avec un soin tout particulier à faire en sorte que la protection des libertés publiques soit garantie et que les caméras fassent l’objet d’un usage proportionné.
Une nouvelle fois, c’est l’ingénieur qui vous parle : ces équipements, qui fonctionnent à l’aide de batteries, ne peuvent pas enregistrer en permanence sans subir de graves problèmes techniques.
Quoi qu’il en soit, les caméras font aujourd’hui l’objet d’un usage proportionné, défini et réglementé avec l’accord de la Cnil, puis validé par le Conseil constitutionnel. Cet usage respecte les droits et libertés : restons dans ce cadre. En allant au-delà, nous serions confrontés, cette fois-ci, à un problème juridique. Avis défavorable.