M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est des sujets sur lesquels nous devons nous exprimer avec la plus grande précaution. C’est le cas des violences conjugales, parce qu’il s’agit de situations où la violence s’immisce dans l’intime, où l’amour s’abîme dans l’horreur et dans la haine, où les problématiques sont aussi complexes que révoltantes.
Cette précaution ne doit pas nous empêcher d’agir, bien au contraire. Seulement, il convient de privilégier la voie du pragmatisme à celle de l’idéologie, la mesure et l’action aux condamnations à l’emporte-pièce. C’est pourquoi je tiens à saluer l’initiative de notre collègue Valérie Létard, dont le travail répond précisément à cette exigence.
Que le dispositif de la proposition de loi soit directement inspiré par une expérimentation conduite par des acteurs de terrain a de quoi nous rassurer à cet égard. Ces acteurs de terrain, qu’il s’agisse des services sociaux de proximité ou des associations de soutien aux victimes de violences conjugales, sont unanimes sur la question : le soutien aux victimes doit passer par une aide d’urgence, facilement accessible et rapidement décaissable.
En effet, comme je le disais en préambule, les victimes de violences conjugales sont particulièrement fragiles et précaires, puisqu’elles partagent bien souvent le même domicile et les mêmes revenus que leur bourreau. En conséquence, les victimes n’ont aucun moyen d’échapper à ces violences, qui sévissent au sein même du foyer.
D’où le cercle vicieux de la violence, qui s’installe de manière pernicieuse dans la normalité d’un couple, où les sévices, tout d’abord isolés, commencent à se répéter, puis à devenir de plus en plus graves. Et puisque les victimes n’ont pas les moyens de s’échapper, ces violences finissent par se banaliser : elles deviennent régulières, bien souvent quotidiennes ; bientôt, les victimes ne peuvent plus s’y opposer ni même les éviter.
Que faire face à cette banalisation du mal ? Que faire, alors même que les victimes ont parfois tendance à occulter ou à nier les violences qu’elles subissent, parce qu’un lien affectif les unit encore à leur bourreau ?
La proposition de loi que nous allons examiner vise précisément à offrir à ces victimes l’espoir d’une échappatoire. En prévoyant la possibilité de débloquer en trois jours un pécule pour permettre à la victime de se mettre à l’abri, nous apportons une réponse concrète pour briser ce cercle vicieux de la violence.
En commission, j’ai fait part de plusieurs interrogations relatives à la sécurisation du dispositif, notamment pour ce qui concerne les modalités de versement de l’avance et de son recouvrement.
Je crois que l’adoption des amendements proposés par la rapporteure a contribué à renforcer le dispositif. Les précisions apportées, notamment pour mieux définir les critères d’octroi, rendront le dispositif envisagé plus efficace et plus opérant.
Pour dire clairement les choses, c’est toute la difficulté de ce dispositif qui doit apporter une réponse rapide pour faire face à l’urgence d’une situation, en évitant à tout prix que l’irréparable ne se produise. C’est cet objectif qui nous oblige à veiller, en priorité, à la célérité du dispositif. Cela n’exclut pas une forme de contrôle, mais il est nécessaire que ce contrôle intervienne ex post, c’est-à-dire après le versement de l’avance, afin de ne pas ralentir une procédure dans laquelle la mise à l’abri d’une victime tient parfois à peu de chose.
En conclusion, je crois que le travail en commission a amélioré une initiative parlementaire de grande qualité, qui répond aux préoccupations issues du terrain. Nous avons déposé un amendement qui vise à répondre à un angle mort de la proposition de loi et qui a pour objet le versement par les mutuelles sociales agricoles de cette avance.
Le groupe Les Indépendants soutient cette initiative. J’espère qu’elle sera largement adoptée par le Parlement et rapidement mise en œuvre par le Gouvernement. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (M. Joël Labbé applaudit.)
Mme Mélanie Vogel. Voilà un sujet plus facile que celui d’hier… (Sourires.)
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a quarante ou cinquante ans, apparaissaient, grâce aux mouvements féministes, les expressions « féminicide » et « violences conjugales ». Il y a trente et un ans était créé le premier numéro d’appel d’État anonyme pour les victimes de violences conjugales. Il y a six ans commençait le décompte des féminicides en France. Il y a cinq ans, #MeToo libérait la parole sur les violences sexuelles, notamment au sein des couples.
Depuis lors, des lois ont été votées en 2014, 2018 et 2020 pour tâcher de pallier nos manquements. Mais la France continue d’être un pays où les femmes meurent et sont victimes de violences, parce qu’elles sont des femmes. Le décompte de nos mortes est à 102 féminicides pour 2022.
Nous ne cessons de dire tous les ans en novembre et en mars à toutes les victimes de violences que nous les croyons. Croire la parole est essentiel, mais, quand on est cru, encore faut-il pouvoir partir de chez soi, fuir son conjoint violent, en avoir la possibilité économique.
Nous vivons encore dans un monde où la réalité est que, dans les couples hétérosexuels, la majorité des hommes gagnent plus d’argent que leurs conjointes, l’écart de revenus étant de 47 % en faveur des hommes. Cet écart se creuse avec les séparations conjugales.
Face à cet état de fait, le texte proposé par notre collègue Valérie Létard prévoit l’attribution d’un prêt aux femmes victimes de violences afin de leur donner les moyens de partir de chez leur conjoint violent et d’engager des actions judiciaires.
Le principe d’un prêt, c’est qu’il doit être remboursé. Or il peut paraître difficile de demander à une femme victime de violences d’accepter un prêt, certes à taux zéro, car elle devra s’engager à le rembourser, en supposant qu’elle en aura les moyens.
De plus, 80 % des plaintes pour violences conjugales sont classées sans suite, si bien que, en l’état actuel de la réalité de notre pays vis-à-vis du traitement judiciaire des violences conjugales, les femmes devront, sauf exception, rembourser ce prêt.
Enfin, même si la procédure aboutit à une condamnation, la CAF pourra utiliser les dommages et intérêts obtenus pour réparation de violences, alors que ceux-ci, auxquels nul n’aurait touché si la victime avait eu les moyens, ont vocation à réparer les préjudices subis.
Je pense également aux Françaises qui résident à l’étranger, qui me semblent en partie oubliées par ce texte et auxquelles nous devons aussi protection. En effet, les victimes devront être inscrites sur le registre des Français établis hors de France et porter plainte ou faire un signalement en France ou dans le pays de résidence.
Or plus de la moitié des Français qui vivent à l’étranger ne sont pas inscrits sur ce registre – on peut estimer que c’est une erreur de leur part, mais c’est la réalité. Je regrette donc que cette inscription soit obligatoire. On se lance rarement dans de telles démarches administratives lorsque l’on est victime de violences conjugales…
Cela dit, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera en faveur de ce texte, qui constitue malgré tout une avancée, un petit pas dans la bonne direction.
Cette proposition de loi ne doit pas faire oublier tout le chemin qu’il reste à parcourir en matière de lutte contre les violences faites aux femmes, en termes de prévention, de formation et de moyens financiers alloués à la mise en sécurité des victimes et de leurs enfants, à leur reconstruction, à la fin de l’impunité et à la neutralisation des agresseurs.
En attendant, mes chers collègues, je vous invite à ne pas oublier d’aller manifester le 16 novembre avec le collectif Nous toutes contre toutes les violences sexistes et sexuelles. C’est par la rue que nous gagnons les combats ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE. – M. Xavier Iacovelli et Mme Valérie Létard applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, 213 000, c’est le nombre de femmes qui déclarent avoir été victimes de violences physiques ou sexuelles par leur conjoint ou ex-conjoint sur une année.
Les chiffres, nous le savons, sont plus qu’alarmants. En 2020, une femme meurt tous les trois jours et demi sous les coups de son mari ou de son ex-mari. En 2021, quelque 122 femmes et 21 hommes sont ainsi décédés. Ces violences touchent tous les territoires et toutes les catégories sociales. Elles sont toujours, lorsque l’issue n’est pas mortelle, source d’isolement et de vulnérabilité chez la victime, trop souvent livrée à elle-même, seule face à son bourreau.
Face au calvaire que vivent de trop nombreuses victimes, nous devons agir.
Agir, en protégeant les personnes victimes de violences conjugales. C’est l’ambition de la loi de 2010 que le Parlement et le Gouvernement ont renforcée sous la précédente législature et qui permet au juge des affaires familiales de statuer sur des mesures de protection sans que la personne ait déposé plainte. Le nombre d’ordonnances n’a cessé d’augmenter depuis 2015 ; il a même doublé en cinq ans.
Agir, en éloignant le conjoint violent, car ce ne doit pas être systématiquement à la victime de quitter le domicile. C’est l’objectif du bracelet anti-rapprochement, dispositif de surveillance électronique créé par la loi du 28 décembre 2019, qui permet de géolocaliser la victime et son agresseur, ce qui constitue l’une des mesures les plus protectrices en matière de violences conjugales.
Je pense également à l’instauration du référé violences conjugales, procédure qui permet au juge d’ordonner l’éviction du conjoint violent et l’attribution du domicile conjugal à la victime.
Agir, en apportant assistance aux victimes en situation de vulnérabilité et en grave danger. C’est la raison pour laquelle le dispositif téléphone grave danger, accessible sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, a été généralisé, afin de permettre à toutes les victimes de violences conjugales d’y avoir accès sur l’ensemble du territoire. Il permet d’alerter et de faire intervenir immédiatement, grâce à la géolocalisation, les forces de l’ordre en cas de menaces ou de violences.
Un numéro unique, le 3919, a par ailleurs été déployé, et l’examen de cette proposition de loi doit nous permettre d’en faire la promotion à destination de toutes les femmes victimes ou en danger.
Agir, enfin, pour l’avenir des victimes. C’est tout l’objet du pacte Nouveau départ, annoncé en septembre dernier par Mme la ministre, qui accompagnera les victimes de violences de façon globale grâce à la mobilisation d’aides sociales, l’accès à la formation, l’aide au retour à l’emploi, l’hébergement d’urgence ou encore un soutien psychologique.
Pourtant, malgré ces avancées salutaires et l’action du Gouvernement, la situation est critique, mes chers collègues. Trop de femmes, par peur de se retrouver seules avec leur conjoint violent, s’enferment dans le déni, parfois la honte, et renoncent à porter plainte ou à s’enfuir.
Face à ces drames, il est de la responsabilité du législateur d’apporter des solutions concrètes. C’est l’objet de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. Déposé par Valérie Létard, ce texte, dont j’ai l’honneur d’être cosignataire, vise à créer une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales.
Le groupe RDPI partage son objectif, puisque le dispositif permettra à la victime de s’extraire, avec ses enfants, d’une situation de danger, en lui apportant une aide garantissant son autonomie financière.
Protéger la mère, c’est aussi protéger les enfants. Ces enfants sont en effet les victimes directes, lorsqu’ils sont eux-mêmes frappés ou menacés, ou indirectes, lorsqu’ils sont tout simplement exposés à ces violences. Par ailleurs, ils sont souvent instrumentalisés pour maintenir une certaine emprise du conjoint violent sur la victime.
Les études récentes montrent que les enfants traumatisés par ces violences ont davantage de problèmes de santé, comme des retards de croissance, et qu’ils présentent dix à dix-sept fois plus de troubles du comportement que les enfants qui vivent dans un foyer sans violence.
Nous sommes néanmoins sceptiques quant à la notion de prêt, car devoir rembourser cette aide pourrait, dans de nombreux cas, être synonyme d’insécurité chez les femmes victimes en situation de précarité qui en subiraient les effets sur le plan financier. Mais je ne doute pas que Valérie Létard nous apportera des réponses complémentaires visant à pallier les difficultés que ce dispositif pourrait entraîner.
En tout état de cause, et malgré cette réserve, notre groupe soutiendra sans réserve cette proposition de loi. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord remercier Valérie Létard d’avoir déposé cette proposition de loi et, ainsi, lancé une procédure législative qui, nous le souhaitons, aboutira. Je la remercie aussi d’avoir engagé dans son département une expérimentation qu’elle propose ici, d’une certaine façon de généraliser.
Celles et ceux d’entre nous qui ont déjà eu l’occasion d’accompagner des victimes de violences conjugales le savent : l’un des premiers écueils à la dénonciation des violences subies est la crainte des conséquences de cette dénonciation, en particulier le fait de devoir quitter le domicile et de se retrouver sans ressource, dans une précarité matérielle qui menace la survie de l’écosystème mère-enfant.
Cette crainte est dissuasive et amène nombre de femmes à rester dans le foyer conjugal. Il arrive souvent que des gens nous demandent pourquoi ces femmes restent dans cette situation… Nous avons tant de réponses à leur donner ! Ce texte propose de traiter l’une des explications de ce phénomène.
L’indépendance économique est une étape indispensable pour l’émancipation des femmes, qu’elles soient ou non, d’ailleurs, victimes de violences. L’indépendance économique est également importante pour prévenir les violences conjugales.
C’est la raison pour laquelle j’ai défendu la déconjugalisation de l’allocation de soutien familial, ou encore l’augmentation du Smic. En effet, je le rappelle, en 2021 quelque 59,3 % des salariés au Smic étaient des femmes. Par conséquent, un Smic bas signifie davantage de femmes en situation de précarité.
Nous fêtons cette année les cinq ans du mouvement #MeToo. Grâce aux milliers de témoignages de violences sexuelles et sexistes, grâce au mouvement féministe, grâce à la mobilisation des associations spécialisées, le combat contre les violences conjugales est maintenant un objet de politique publique qui mobilise les gouvernements depuis de nombreuses années.
Cette mobilisation n’a pas commencé en 2017. J’ai moi-même défendu le cinquième plan triennal de lutte contre les violences faites aux femmes. Aujourd’hui, en tout cas, il s’agit d’un sujet de société.
J’en profite, madame la ministre, pour vous dire qu’il est positif d’avoir organisé un Grenelle sur ce sujet, mais qu’il est également important de définir un plan interministériel s’inscrivant dans la continuité des précédents plans.
Des choses ont été faites, mais il en reste encore, aussi bien sur le plan légal que d’un point de vue matériel et pratique.
Il nous faudra ainsi travailler sur plusieurs questions : les restrictions aux modalités d’exercice de l’autorité parentale et du droit de visite et d’hébergement de l’auteur des violences ; l’exclusion de la résidence principale de l’enfant chez l’auteur des violences ; l’augmentation de la durée et de la portée de l’ordonnance de protection ; la dissimulation de l’adresse de résidence et de l’école des enfants à l’ex-conjoint violent ; le renforcement de la lutte contre les violences post-séparation, etc.
Je ne doute pas que le calendrier parlementaire nous permettra d’avancer sur ces différents points. J’imagine que la mission parlementaire que vous avez lancée, madame la ministre, et confiée à une sénatrice et à une députée permettra, au-delà de la question relative à la juridiction spécialisée, de balayer l’ensemble des difficultés juridiques qui se posent. Ainsi éliminerons-nous les « trous dans la raquette », si vous me passez l’expression, qui subsistent.
La création d’une aide financière d’urgence pour les victimes de violences conjugales est indispensable : c’est un moyen immédiatement mobilisable pour faciliter la sortie des violences. J’ajoute que nous aurions tort d’hésiter à voter cette mesure vu la situation financière de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), puisqu’elle est en excédent cette année !
Un amendement déposé par ma collègue Victoire Jasmin au nom du groupe socialiste a pour objet la domiciliation de droit des victimes de violences conjugales bénéficiant de l’avance d’urgence auprès d’un centre communal ou intercommunal d’action sociale ou d’un organisme agréé, si elles le demandent.
Pour conclure, je veux ajouter que cette mobilisation financière nouvelle, qui constitue de fait un effort pour la collectivité publique, est finalement un juste retour des choses.
Je vous suggère de ce point de vue la lecture du Coût de la virilité de Lucile Peytavin, dans lequel cette dernière souligne à quel point la violence masculine est omniprésente dans la société et très coûteuse pour elle. Elle indique ainsi : « En France, les comportements virils masculins sont responsables chaque année de 7 milliards d’euros sur les 9,06 milliards d’euros du budget total de la justice, […] de 8,6 milliards d’euros sur les 13,1 milliards d’euros du budget total des forces de l’ordre, de 2,3 milliards d’euros sur les 16,1 milliards d’euros du budget total des urgences et des hospitalisations qui s’ensuivent. À cela, il faut ajouter le coût humain et social de ces infractions à la loi, puisqu’il y a, derrière ces actes, des vies brisées ».
Plus de 200 000 femmes sont victimes chaque année de violences de la part de leur conjoint ou ex-conjoint. Sur la totalité des violences conjugales, 96 % des auteurs sont des hommes. Cela représente, pour nos finances publiques, un coût de 3,3 milliards d’euros par an.
Au regard de ce que nous coûte la violence masculine, le budget que nous propose de mobiliser Valérie Létard est bien minuscule, d’autant qu’il s’agit de prêts, donc de sommes destinées à être remboursées.
En proposant de créer une aide financière d’urgence, cette proposition de loi va dans le bon sens, celui du soutien aux victimes. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain la soutiendra avec enthousiasme. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le sujet des violences conjugales revient régulièrement devant notre assemblée, et force est de constater qu’il reste beaucoup à faire pour éradiquer ce mal qui ronge notre société.
Le Nord est le deuxième département de France métropolitaine le plus touché ; c’est dire si Valérie Létard et moi connaissons bien la problématique. Une réalité locale qui rejoint les statistiques nationales des violences faites aux femmes.
En 2019, selon l’Observatoire national des violences faites aux femmes, 213 000 femmes ont été victimes de violences physiques et sexuelles commises par leur partenaire ou ex-partenaire. Selon le bilan du ministère de l’intérieur paru cet été, le nombre de féminicides a augmenté de 20 % en 2021 par rapport à l’année précédente : 122 de nos sœurs, de nos mères, de nos cousines, de nos voisines, de nos filles sont décédées sous les coups d’un conjoint ou ex-conjoint, contre 102 en 2020.
Ce qui retient les femmes de quitter le domicile conjugal, outre l’emprise exercée par le conjoint, c’est le manque de ressources financières. En effet, il est fréquent que les victimes n’aient pas accès au compte bancaire du foyer ou qu’elles n’aient pas de source de revenus personnelle.
Le départ est alors synonyme de difficultés à assurer, pour elles et pour leurs enfants, les achats de première nécessité. Très souvent, ces difficultés contribuent à un retour contraint au domicile conjugal. La mise en place d’une aide financière d’urgence aux victimes permettra d’encourager cette démarche salvatrice de départ.
J’avais moi-même formulé cette proposition dans un texte déposé en février 2021 : il s’agissait d’attribuer le RSA en urgence aux victimes de violences intrafamiliales. Ce dispositif sera d’ailleurs expérimenté dès le mois prochain dans mon arrondissement du Valenciennois, sur l’initiative du département du Nord. On pourra au passage regretter que l’évaluation de cette expérimentation n’ait pas été attendue avant de débattre d’un dispositif alternatif.
Dans le texte qui nous est soumis, l’aide prend la forme d’un prêt accordé par les caisses d’allocations familiales, déclenché dans un délai porté à trois jours ouvrés par la commission et versé en trois mensualités. Les modifications apportées par la commission ont permis de cadrer les conditions d’accès à cette aide sans qu’elles soient trop restrictives, et nous devons l’en remercier et saluer le travail de notre collègue Guidez, en tant que rapporteure de ce texte.
Ce principe de soutien au départ d’urgence n’a pas vocation à remettre en cause le principe d’éloignement des auteurs des violences ni à résoudre à lui seul l’ensemble de la problématique des violences faites aux femmes.
Je rappelle que les associations féministes demandent un investissement massif, à hauteur d’un milliard d’euros, afin d’engager efficacement une véritable lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants dans l’esprit de la grande cause nationale décrétée et annoncée par le Président de la République à l’aube de son précédent mandat.
La prévention et la protection des femmes et des enfants victimes de violences sont également indispensables pour éviter que ces comportements ne se reproduisent de génération en génération.
Néanmoins, il s’agit d’un premier pas, qui doit être salué, pour accompagner les victimes de violences conjugales. Avec cette proposition de loi, le Sénat a l’occasion d’envoyer un signal, en montrant que nous sommes capables de nous réunir et de dépasser nos divergences partisanes pour lutter contre les violences conjugales.
Pour cette raison, le groupe CRCE votera ce texte modifié par la commission. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Annick Jacquemet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Annick Jacquemet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà cinq ans que #MeeToo a libéré la parole des femmes, cinq ans que, avec courage, elles sont enfin sorties du silence, bravant le sentiment de honte qui trop souvent les enferme dans un carcan de culpabilité.
Les témoignages se sont multipliés dans toutes les couches de la société, révélant au grand jour des violences jusque-là insoupçonnées ou ignorées. Les victimes se sont mises à parler et la société à les écouter – enfin ! Nous avons pris conscience de ce fléau. C’est une véritable révolution.
Les violences conjugales sont un phénomène multiforme, complexe, qu’il nous revient de traiter dans sa globalité.
Elles peuvent être physiques, psychologiques, mais aussi économiques. Elles se traduisent dans les faits par une précarité telle que la victime ne peut survivre sans son agresseur. Chantage financier, confiscation des ressources financières ou des moyens de paiement, ces comportements visent à acculer la victime et à la pousser vers un surendettement personnel. Lorsqu’elles font appel aux numéros d’aide aux victimes, 19 % des femmes déclarent subir des violences économiques.
Selon le ministère de l’intérieur, les plaintes pour violences conjugales atteignaient en 2020 le nombre de 159 400, en hausse depuis quelques années, alors qu’une enquête statistique du ministère estime à 295 000 le nombre annuel de victimes de violences conjugales, dont 72 % de femmes et 28 % d’hommes – il ne faut pas oublier ces derniers.
En 2021, quelque 122 femmes ont été tuées par un conjoint ou un ancien conjoint, soit une hausse de 20 % par rapport à 2020.
J’ajoute qu’une étude de l’Institut national d’études démographiques (Ined) de 2018 révèle que près d’une femme sur cinq se déclare en situation de violences conjugales en Martinique et en Guadeloupe.
Un certain nombre de mesures ont déjà été prises ou renforcées : le téléphone grave danger – il y en a plus de 4 000 – ; le 3919 joignable sans interruption depuis le 30 août 2021 ; la messagerie instantanée qui permet de dialoguer avec un agent de police ; les plus de 9 000 places d’hébergement avec les 1 000 nouvelles décidées en début d’année ; les ordonnances de protection prises par un juge aux affaires familiales qui prononce l’éloignement du conjoint violent et permet, dans le même temps, d’organiser la vie de la famille ; les bracelets anti-rapprochement ; enfin, les centres de prise en charge des auteurs de violences pour éviter des récidives.
Malgré ces avancées, les données issues des appels au numéro 3919 Violence Femmes Info montrent que 59 % des victimes souhaitent quitter le domicile conjugal et que 18 % d’entre elles indiquent avoir effectué plusieurs départs pour revenir au foyer faute de moyens financiers leur permettant d’être autonomes. Il leur est donc très difficile de couper définitivement les ponts avec leur tortionnaire, d’autant plus lorsqu’elles partent avec leurs enfants.
L’aide financière d’urgence doit donc s’imposer comme l’un des piliers de la prise en charge et de l’accompagnement des victimes de violences conjugales.
C’est une mesure de bon sens, qui émane du terrain, de celles et ceux qui travaillent au quotidien avec ces victimes : services sociaux du département, CAF, parquet, associations. Pour avoir été en charge des solidarités au conseil départemental du Doubs, je peux dire, chère Valérie Létard, que cette proposition de loi est la bienvenue.
Quelques éléments du texte me semblent particulièrement importants.
Nous savons que, au-delà de soixante-douze heures, les victimes, livrées à elles-mêmes, sont contraintes de rentrer au domicile. Ce dispositif répond à ce problème en versant, dans un délai maximum de trois jours, une somme dont le montant sera fixé par décret.
Cette aide étant non pas une allocation, mais bien un prêt à taux zéro, elle devra être remboursée dans son intégralité selon un échéancier variable. Cependant, la proposition de loi contient un mécanisme permettant à la CAF de se constituer partie civile. Cela lui permettra, si le prêt est encore en cours moment du jugement, de se rembourser sur les dommages et intérêts versés par le coupable.
Enfin, cette aide est universelle, et je pense que, à ce niveau d’urgence, il n’y a pas lieu de faire une quelconque distinction entre milieux sociaux.
Nous connaissons tous le taux de non-recours aux aides sociales. C’est pour cette raison qu’il incombera soit à l’officier ou l’agent de police judiciaire, soit à l’intervenant social en commissariat et gendarmerie recevant la victime de l’informer de l’existence de ce prêt, d’en enregistrer la demande et de la transmettre à la CAF, ainsi qu’au conseil départemental, chef de file de l’action sociale.
Cette procédure nécessitera une parfaite information et formation de ceux qui sont souvent en première ligne pour accueillir les victimes.
Je terminerai mon propos en soulignant le travail formidable accompli par tous les partenaires, dans toutes les associations d’aide aux victimes de violences conjugales, souvent confrontées à des difficultés financières. Je garde en mémoire la lueur d’espoir qui se rallume dans les yeux de celles qui sont prises en charge et accompagnées pour se reconstruire et qui voient enfin leur avenir s’éclaircir.
Je voudrais remercier chaleureusement notre collègue Valérie Létard d’avoir travaillé sur le terrain dans son département du Nord et concrétisé ce dispositif si utile, ainsi que Jocelyne Guidez de son travail consciencieux et sérieux de rapporteure, qui a permis d’amender ce texte avec précision.
Je suis persuadée que cette proposition de loi permettra de réaliser un bond en avant dans la lutte contre les violences conjugales et pourra éviter bien des drames en offrant une échappatoire aux victimes.