Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances, rapporteur. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027. C’est en principe un exercice important, car il doit permettre de définir la trajectoire des finances publiques qui guidera ensuite les lois de finances des cinq prochaines années. En outre, ce texte concrétise nos engagements européens à l’échelon national. Toutefois, son examen au Sénat intervient dans un contexte un peu différent cette année.
D’une part, les gouvernements du précédent quinquennat n’ont pas jugé utile de modifier la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, laissant ainsi en place une trajectoire totalement décorrélée des événements traversés par notre pays et aux répercussions pourtant majeures sur la trajectoire de nos finances publiques, qu’il s’agisse du mouvement des « gilets jaunes » ou de la crise sanitaire et économique.
M. Gérard Longuet. Et la guerre !
M. Jean-François Husson, rapporteur. Cela a, à mon sens, quelque peu écorné la portée de ce texte depuis 2018.
D’autre part, et surtout, le Sénat est appelé à se prononcer sur le texte déposé par le Gouvernement dans la mesure où le projet de loi a été rejeté à l’Assemblée nationale, saisie en premier lieu.
Le contexte étant posé, que penser de cette loi de programmation ?
Tout d’abord, il est clair que le scénario macroéconomique du Gouvernement repose sur des hypothèses très, si ce n’est trop favorables. Les prévisions de croissance effective et potentielle sont en effet très éloignées du consensus des économistes. Idem s’agissant de l’hypothèse de réduire le taux de chômage à 5 % en 2027 : je pense qu’il serait bon que le Gouvernement ne confonde pas slogan de campagne et rigueur de la prévision du scénario macroéconomique, même si je souhaite évidemment à notre pays d’arriver à un tel résultat.
Cette situation s’explique, notamment, par le fait que le Gouvernement surestime dans son projet de loi de programmation les effets à court terme des quelques réformes structurelles qu’il souhaite engager.
J’en viens maintenant à la trajectoire des finances publiques qui nous est proposée par le Gouvernement. Celle-ci n’est pas assez ambitieuse, en prévoyant une réduction du déficit à 3 % du PIB, mais à partir de 2027 seulement.
M. François Patriat. C’est tenable !
M. Jean-François Husson, rapporteur. Or nos partenaires européens devraient retrouver ce niveau dès 2025. L’endettement public ne refluerait, quant à lui, pas avant 2026 et resterait à des niveaux encore très importants : près de 111 % du PIB en 2027. Le rythme de redressement de nos comptes publics est insuffisant ; il est beaucoup trop lent.
M. François Patriat. Il est raisonnable !
M. Jean-François Husson, rapporteur. Cette trajectoire est aussi en trompe-l’œil. Le Gouvernement revendique de diminuer la dépense publique en volume entre 2023 et 2027. Toutefois, il ne prend en compte ni les mesures liées aux crises sanitaire, économique et énergétique ni la charge de la dette. En retenant pour périmètre les seules dépenses « ordinaires », les dépenses publiques enregistrent en réalité une progression de 0,6 % en volume.
En outre, le Gouvernement impose aux administrations locales et sociales de réaliser un effort d’économies compris entre 25 milliards d’euros et 27 milliards d’euros alors que, dans le même temps, les administrations centrales n’en réaliseront pas.
D’ailleurs, la trajectoire de hausse des crédits des missions budgétaires de l’État inscrite dans le projet de loi montre que le Gouvernement, s’il a choisi les politiques sur lesquelles il souhaite ajouter des crédits, a renoncé à identifier celles sur lesquelles des économies pourraient être réalisées.
Compte tenu de ces éléments, la commission des finances considère que la trajectoire du Gouvernement n’est pas acceptable : d’une part, celle-ci manque d’ambition en termes de redressement des comptes publics et de baisse de la dépense ; d’autre part, on demande moins d’effort à l’État qu’aux autres administrations publiques.
La commission des finances n’a pour autant pas choisi de rejeter le projet de loi. Elle a, pour répondre aux deux principaux écueils identifiés, adopté une nouvelle trajectoire de baisse des dépenses, plus ambitieuse et plus sérieuse, pour retrouver le chemin de l’équilibre.
Ainsi, le texte issu de nos travaux prévoit que les dépenses hors mesures de crise et hors charge de la dette des administrations centrales devront ainsi diminuer de 0,5 % en volume chaque année dès 2023. Cela correspond exactement à ce qui est demandé aux collectivités territoriales, laissant d’ailleurs à ces dernières le soin de trouver les voies et moyens d’y parvenir…
Cette nouvelle trajectoire permettrait ainsi de ramener le déficit public en dessous de 3 % du PIB dès 2025, ce qui nous paraît être un objectif ambitieux, mais réaliste.
Cette proposition répond à quatre objectifs : premièrement, faire refluer le déficit et l’endettement publics plus rapidement que ne le prévoit le Gouvernement ; deuxièmement, et c’est important, assurer la pleine contribution des administrations centrales ; troisièmement, préserver les dépenses sociales et régaliennes ; quatrièmement, conserver des marges d’intervention face à la crise.
Cette trajectoire impliquerait de réaliser des efforts dès 2023 à hauteur d’environ 4 milliards d’euros en l’état actuel du projet de loi de finances.
Au cours des années 2023 à 2027, nous devrons trouver de nouvelles sources d’économies en mettant en œuvre des réformes structurelles : baisse à long terme des effectifs, engagement d’une réforme des retraites ambitieuse, réorganisation de certains services publics, comme celui de l’audiovisuel, éventuel décalage dans le temps des trajectoires programmatiques d’évolution des crédits de certaines politiques publiques non régaliennes, réformes des prestations sociales… Nous avons du travail, et de nombreuses possibilités s’offrent à nous.
Notre commission des finances a remis 109 rapports depuis 2015. Ceux-ci sont riches de mesures pouvant nourrir nos réflexions.
Cette trajectoire repose également sur un « parallélisme des exigences » pesant sur l’État et les collectivités territoriales, offrant ainsi un juste équilibre, même s’il est difficile, dans la répartition de l’effort réalisé pour maîtriser la dépense publique entre les administrations. Cela nous paraît non seulement de bon sens, mais aussi juste.
Nous ne proposons pas de revenir sur la trajectoire des administrations de sécurité sociale ; elle apparaît déjà relativement ambitieuse au regard des défis qui attendent ces dernières pour les prochaines années.
Les efforts qui sont demandés aux collectivités territoriales dans le projet de loi de programmation tel qu’il a été déposé par le Gouvernement sont substantiels : le texte vise à prévoir une trajectoire des concours financiers de l’État dont la croissance en valeur masque en réalité une contraction de 4 milliards d’euros en volume.
Parallèlement, est également prévu un objectif d’évolution des dépenses locales, le fameux Odedel, correspondant à une diminution des dépenses de fonctionnement de 0,5 % par an en volume, soit un effort plus rigoureux encore que sous les précédentes lois de programmation.
Déjà par le passé, leur contribution au redressement des finances publiques a été déterminante. Je rappelle ainsi qu’entre 2013 et 2016, les collectivités locales ont porté les deux tiers de la réduction du déficit public tandis qu’elles représentaient moins de 20 % de la dépense publique. De même, elles ont su réaliser 11 milliards d’euros d’économies sur leurs dépenses de fonctionnement entre 2019 et 2021 alors même que les contrats de Cahors n’ont pas été appliqués en 2020 et en 2021.
Les collectivités territoriales ont donc démontré leur esprit de responsabilité face à la nécessité et à l’urgence de rétablir nos comptes publics. C’est la raison pour laquelle la commission a supprimé le système de surveillance et de sanctions des collectivités prévu à l’article 23. Je constate, monsieur le ministre chargé des comptes publics, que nous n’avons pas tout à fait la même lecture de cet article ni la même vision des conséquences de cet encadrement soft. Vous avez reconnu vous-même à l’instant qu’un tel mécanisme n’était pas forcément nécessaire. Dans ce cas, pourquoi le maintenir ? Nous en discuterons tout à l’heure…
En tout état de cause, l’article 23 semble totalement à rebours des engagements du Gouvernement de mettre en place une nouvelle méthode fondée sur la confiance dans le respect du principe de libre administration des collectivités territoriales.
Enfin, la commission des finances a enrichi le texte en adoptant plusieurs amendements qui s’inscrivent dans un objectif de maîtrise plus rigoureuse de la dépense ou sont guidés par un souci de vigilance quant à la mise en œuvre effective des mesures figurant dans le texte.
En conclusion, c’est ce texte tel qu’il est issu des travaux de la commission des finances et complété des éventuels amendements que nous pourrions retenir au cours des prochaines heures que je vous propose d’adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure pour avis. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales, rapporteure pour avis. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, la commission des affaires sociales a exprimé un réel scepticisme face à la trajectoire financière des régimes obligatoires de base de sécurité sociale (Robss), du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) et de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) qui figurent dans ce projet de loi. Elle a d’ailleurs réitéré ses doutes ce matin même dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023.
L’Ondam devrait frôler la barre des 250 milliards d’euros dès 2024, soit plus de cinq fois le budget de la défense ou plus de quatre fois celui de l’éducation nationale : la trajectoire affichée, bien que dynamique, semble pour le moins ambitieuse, voire difficilement tenable.
Elle est difficilement tenable, car les incertitudes sont grandes sur l’impact financier de la crise sanitaire en 2023 et dans les années ultérieures.
Elle est difficilement tenable, car nous mesurons bien l’ampleur des besoins de santé et les attentes en matière de rénovation de l’hôpital, mais aussi l’impact financier que représente aujourd’hui le choc d’innovation dans le secteur du médicament.
Elle est difficilement tenable, car le contexte inflationniste rend le taux réel de progression bien moindre que celui qui est affiché. Sur ce point, si le ministre chargé des comptes publics considère que l’inflation ne se reproduit pas de manière identique sur les dépenses de santé, force est de constater qu’elle est parfois plus forte encore sur certaines des charges principales des hôpitaux, comme l’énergie.
Elle est, surtout, difficilement tenable, car le Gouvernement comme le directeur de la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam) reconnaissent qu’il faudra prendre des mesures fortes d’économies pour garantir le respect de cette trajectoire. Quelles seraient ces mesures ? Nous n’avons obtenu aucune information sur ce point. Régulera-t-on enfin l’Ondam de ville ? Si oui, comment ? Ou bien cela signe-t-il le retour explicite d’économies sur l’hôpital ?
Quant au reste des Robss, je ne peux, là aussi, que regretter le caractère particulièrement lacunaire des informations transmises par le Gouvernement. Pour m’en tenir à l’exemple le plus significatif, l’évolution des dépenses de la branche vieillesse est censée intégrer dès 2023 les effets d’une réforme des retraites. Mais ni ses paramètres ni même son impact financier ne sont précisés dans un quelconque document. Malgré mes demandes réitérées, je n’ai pas eu de précisions.
Néanmoins, compte tenu du rôle d’une loi de programmation, c’est-à-dire en premier lieu de permettre au Parlement de vérifier chaque année si la trajectoire fixée est respectée ou non, la commission des affaires sociales a émis un avis favorable à l’adoption des articles dont elle était saisie, sous réserve de l’adoption de cinq amendements que la commission des finances, et je l’en remercie, a intégrés dans le texte qu’elle a établi.
Outre un amendement de précision à l’article 18, relatif aux charges de gestion des organismes de sécurité sociale, ces amendements ont pour objet de rendre tout effort sur l’Ondam plus équitable entre les différents acteurs du monde de la santé et d’améliorer l’information du Parlement sur les finances sociales.
Ainsi, à l’article 17, nous avons prolongé la trajectoire des dépenses des Robss et de l’Ondam jusqu’en 2026 et en 2027. J’attire votre attention, messieurs les ministres, sur le fait que le « compteur des écarts » entre les dépenses prévues par le projet de loi de financement de la sécurité sociale et celles figurant dans la loi de programmation des finances publiques doit concerner toutes les lois de financement de la sécurité sociale jusqu’à l’année 2027. Je vous invite donc, sauf si vous nous dites qu’il y aura une autre loi de programmation avant 2026, à compléter le dispositif du Sénat en ajoutant vous-mêmes l’objectif de dépenses des Robss et du FSV pour 2027.
Dans le même esprit, à l’article 24, nous avons souhaité qu’une décomposition des recettes, des dépenses et du solde des administrations de sécurité sociale relative à l’exercice clos soit adressée au Parlement au moment du dépôt du projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale.
Enfin, messieurs les ministres, sur l’initiative de la commission des affaires sociales, le texte de nos collègues de la commission des finances tend à préciser que la mise en réserve de l’Ondam devra concerner de manière égale tous les sous-objectifs. En d’autres termes, il nous faudra cesser de faire supporter principalement les gels de crédits à l’hôpital.
J’espère que nos débats en séance publique nous permettront de confirmer ces avancées. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Alain Richard applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, les lois de programmation des finances publiques n’ont pas, dans notre ordre juridique, de caractère contraignant. Elles sont néanmoins les « marqueurs » des débuts de quinquennat en ce qu’elles exposent les grandes orientations de notre pays en matière de finances publiques, qu’il s’agisse de sa politique fiscale ou de ses priorités budgétaires. Elles sont également importantes à l’égard de nos partenaires de la zone euro.
La précédente loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 avait de grandes ambitions : réduire l’endettement public de plus de 5 points de PIB et ramener nos finances publiques pratiquement à l’équilibre. Entre-temps, de nombreux événements sont survenus, qu’il s’agisse du mouvement des « gilets jaunes », du covid-19 et, désormais, de la crise énergétique ou des tensions internationales. Chacun sait que ces objectifs n’ont pas été atteints. Aucune révision de la programmation n’a néanmoins été réalisée, comme le réclamait pourtant le Sénat dès le mois de septembre 2019.
Nous pouvons donc nous féliciter que le Gouvernement présente enfin une nouvelle loi de programmation, même si celle-ci ne débute pas sous les meilleurs auspices. Son cadrage macroéconomique, qui fonde sa crédibilité, est entouré de nombreuses incertitudes rappelées par le rapporteur général, mais aussi par les deux ministres. Le Gouvernement paraît optimiste au regard du consensus des économistes, en prévoyant une croissance moyenne du PIB de 1,6 % sur la période et l’atteinte du plein emploi, même si j’ai eu l’occasion de souligner que vous étiez dans votre rôle, messieurs les ministres, en retenant la perspective la moins défavorable possible pour notre pays, sans vous écarter trop cependant du consensus.
Ce qui me préoccupe davantage, ce sont les perspectives qui sont dressées pour nos finances publiques. Je constate que le Gouvernement entend sur la période quinquennale réduire les prélèvements obligatoires de plusieurs milliards d’euros, principalement sur les deux premières années de programmation 2023 et 2024, poursuivant ainsi sa stratégie de désarmement fiscal de notre pays. Après la suppression de la taxe d’habitation, dont les conséquences n’ont de toute évidence pas été suffisamment anticipées, le Gouvernement s’emploie à finir d’ôter aux collectivités locales les recettes fiscales dont elles disposent, avec une suppression sur deux ans de la CVAE sans proposer de mécanisme crédible de compensation pour ce qui relève des comptes de l’État.
Le gouverneur de la Banque de France comme le Premier président de la Cour des comptes l’ont pourtant dit à plusieurs reprises : nous n’avons pas les moyens de procéder à de nouvelles baisses d’impôts, surtout si elles ne sont pas gagées. Je note que les comparaisons internationales se font toujours par silo : on examine ce qu’il en est de l’impôt sur les sociétés ou des impôts de production, mais on ne compare jamais les niches fiscales en faveur des entreprises, ce qui est assez curieux. On compare, par exemple, rarement à l’échelon international les avantages du crédit d’impôt recherche (CIR). Or il faut tout examiner dans son ensemble, faute de quoi la comparaison ne tient pas.
Une telle stratégie conduit inévitablement à contraindre toujours plus la dépense publique. Même si la trajectoire est vue par certains comme « peu ambitieuse », nul doute que la faiblesse entretenue et volontaire de nos recettes publiques conduira à de nouvelles coupes budgétaires sur des politiques publiques pourtant prioritaires, ainsi qu’à des réformes dites « structurelles » visant immanquablement notre modèle social, qu’il s’agisse de réduire l’indemnisation des demandeurs d’emploi ou de rehausser l’âge de départ à la retraite.
Le risque est réel également de contraindre l’investissement public local alors même que celui-ci est indispensable pour notre transition énergétique et pour la modernisation de nos infrastructures.
Par ailleurs, je ne peux que déplorer, comme la majorité de mes collègues, la manière d’envisager les relations entre l’État et les collectivités locales – M. le ministre délégué ne nous a pas convaincus sur l’article 23 –, puisqu’elle prend la forme d’un retour de nouveaux contrats de Cahors, dotés de mécanismes de correction individuels et d’une possibilité d’exclusion de certaines dotations de l’État. Fort heureusement, notre assemblée s’apprête à supprimer ce funeste article 23.
En conclusion, si une loi de programmation est nécessaire en ce qu’elle fixe une trajectoire pluriannuelle pour nos finances publiques, cette trajectoire doit être revue. Nos débats devraient permettre à chacun d’exprimer ses priorités. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie, par MM. Savoldelli, Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 60.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 (n° 87, 2022-2023).
La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour la motion.
M. Pascal Savoldelli. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous aurions pu avoir ce débat voilà quelques mois – dont acte – avant que vous ne transmettiez à Bruxelles le programme de stabilité de la France, puisque la copie est exactement la même !
La loi de programmation est validée par des instances non élues, avant les représentants du peuple rassemblés au Parlement. Il y a meilleure façon, nous semble-t-il, d’associer la Nation à la trajectoire des finances publiques dont nous avons à discuter.
Comme à chaque occasion en de pareilles circonstances, les travailleurs ont droit à un affront supplémentaire. Il faudrait faire la réforme des retraites et celle de l’assurance chômage, car, à en croire la comparaison inopportune du Président de la République sur France 2, avec 47,1 % de prélèvements obligatoires, nous serions au-dessus de tous nos voisins européens – c’est aussi ce que vient de dire Bruno Le Maire –, mais en dessous pour le nombre d’heures travaillées tout au long d’une vie ! Et le chef de l’État de brandir une carte… Mais il aurait pu en brandir d’autres !
Par exemple, 15,1 % de l’emploi salarié est temporaire selon les chiffres de l’OCDE. C’est 10 points de plus que le Royaume-Uni, 5 points de plus que la Grèce et 3,7 points de plus que l’Allemagne.
En outre, 13,8 % de l’emploi total est à temps partiel. C’est plus que la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie, la Lituanie, la Croatie, le Portugal, la Pologne, et j’en passe !
De plus, 80,8 % des 25-64 ans en âge de travailler sont au travail. La France est 2 points au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE et de ceux de l’Union européenne. Même selon les heures travaillées par travailleurs, la France est devant l’Allemagne, le Danemark, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Norvège, l’Islande, l’Autriche et la Suède.
Enfin, un travailleur en France produit 67 dollars par heure travaillée, soit 20 % de plus que la moyenne européenne.
Les Français sont massivement en emploi, trop souvent dans des conditions précaires, et demeurent davantage productifs que leurs voisins européens. Telle est la vérité économique et sociale qui devrait servir de base à la programmation des dépenses publiques de notre pays !
La casse sociale entreprise par la réforme de l’assurance chômage est fondée sur des hypothèses irréalistes qui sous-tendent ce projet de loi de programmation. Selon le Haut Conseil des finances publiques, le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 « repose sur un scénario macroéconomique quasiment identique à celui du programme de stabilité 2022-2027 », alors même que cette instance avait estimé nécessaire, dans son avis du 26 juillet 2022, d’en « corriger plusieurs éléments ». Le Haut Conseil avait notamment appelé à « revoir les hypothèses d’écart de production et de croissance potentielle sur des bases plus prudentes ».
Il faut comprendre ce qu’est l’écart de production pour percevoir, derrière ces indicateurs, ce que veut dire le Haut Conseil.
L’écart de production est un indicateur économique qui mesure la différence entre la production réelle d’une économie et sa production potentielle, c’est-à-dire le volume maximal de biens et de services qu’elle peut produire quand elle fonctionne à plein régime, en utilisant toutes ses capacités.
Messieurs les ministres, je vous ai écouté avec une grande attention, et je vous le dis avec beaucoup de respect : vous n’avez pas le monopole de la responsabilité, pour reprendre une formule relative au « monopole du cœur » qui rappellera des souvenirs à certains…
Le Haut Conseil alerte sur le fait que la croissance française est déjà à son niveau maximal et que les réformes dites « structurelles » de l’assurance chômage et des retraites, notamment, n’y changeront rien ou pas grand-chose. La raison en est simple : je le répète, en France, les gens travaillent déjà beaucoup, et les emplois les mieux rémunérés et les plus attractifs sont déjà pourvus. Tout le monde le sait ici !
En se fondant sur « une combinaison d’hypothèses optimistes », le Gouvernement prévoit une réduction de 2 points du taux d’épargne des ménages par rapport à 2022. Constatons ensemble que de nombreux Français tentent déjà de jongler avec des consommations subies : +2,9 % pour l’énergie et -1,6 % de la consommation alimentaire sur le dernier trimestre, malgré une envolée des prix de près de 10 % sur un an.
Il faut le savoir, nombre de nos concitoyens arbitrent entre se chauffer et manger. Qu’adviendra-t-il ensuite ? C’est une source d’inquiétude majeure pour les parlementaires communistes.
Une autre hypothèse est optimiste : la hausse des investissements des entreprises. C’est un pari risqué. La question est posée lorsque l’on connaît les versements records de dividendes au cours de la période récente, et ce – je le dis dans un esprit de responsabilité – au détriment de l’investissement, et donc de la relance !
Rien qu’en 2021, les bénéfices réalisés par les entreprises du CAC 40 ont atteint un montant record, de près de 160 milliards d’euros, soit une augmentation de 82,9 % par rapport à 2019, avant la crise sanitaire.
Ce montant de 160 milliards d’euros a-t-il donné lieu à des investissements ? Peut-être l’avez-vous constaté dans vos territoires ? Non ! À des augmentations de salaires dans la plupart des entreprises ayant versé ces dividendes ? Non ! Pensez-vous ! Plus d’un tiers de ce montant, soit 57,5 milliards d’euros, est allé dans la poche des actionnaires ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Je ne sais pas qui est concerné ici ; en tout cas, pas moi !
L’investissement doit être tiré par le haut, par les grandes entreprises, sachant que 2 % des entreprises ayant investi ont produit 87 % du montant des investissements totaux.
Dernière hypothèse qui ne saurait être tenue, malgré une dépréciation historique de la parité euro-dollar : l’amélioration de la balance commerciale.
Le rapport entre importations et exportations est en déficit, et ce depuis 2006. Je vous le concède donc, messieurs les ministres, cela ne date pas d’aujourd’hui ! Vous vous exprimez souvent, mes chers collègues, sur la notion de « déficit structurel ». Franchement, si ce déficit, qui subsiste depuis 2006, n’est pas structurel, alors je n’y comprends rien… Mais je vous le dis d’emblée : ce n’est pas amendable !
Je le dis, et je le répéterai à l’envi, ce texte est d’ores et déjà caduc, parce que les prévisions du Gouvernement sont trop optimistes. S’il était respecté, il remettrait en cause des acquis sociaux, la capacité d’intervention de l’État et des collectivités territoriales pour protéger les Français les plus vulnérables.
Ce projet de loi de programmation est l’antithèse de la belle formule de Jean Jaurès : « Ainsi, toute la nation sera comme une immense assemblée possédante et dirigeante ».
La dépense publique serait, en moyenne et en volume, décroissante de -0,2 % dans le projet du Gouvernement, et, grâce à la droite sénatoriale, de -0,6 %. C’est du jamais vu ! Nous n’avons connu un tel rétrécissement de la dépense publique qu’en 2018. Personne ici ne pense que les gouvernants sont dépensiers par plaisir…
Le pire est que la baisse des dépenses publiques est déjà minée par des restes à payer importants et des engagements de dépenses à la hausse prévus dans la loi de programmation militaire et dans celle relative à l’enseignement supérieur, et d’autres encore qu’il convient d’honorer.
Les restes à payer sur le budget de l’État s’élevaient à 178,5 milliards d’euros en 2021, dont, par exemple, 83 milliards d’euros pour les dépenses militaires.
Les lois de programmation, elles, représentent 115 milliards d’euros en 2022, soit 40 % des dépenses pilotables. Pour chaque année de 2023 à 2025, elles feront augmenter la dépense publique de 5 milliards d’euros à 6 milliards d’euros sur le budget de l’État.
Il faudra couper ailleurs, mais – tel est, aussi, le sens de la motion tendant à opposer la question préalable – où, mes chers collègues ? Dans la transition écologique ? Dans la mission « Travail et emploi » ? Dans la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » ? Dans la mission « Enseignement scolaire » ? Ou bien dans tous ces domaines à la fois, au vu de l’ampleur des chiffres ?…
Je reconnais au Gouvernement le mérite de dire qu’il va faire perdre des crédits en volume aux missions « Outre-mer » et « Sport, jeunesse et vie associative ». C’est clairement indiqué à l’article 12 ! D’ailleurs, si notre motion tendant au rejet global du texte n’était pas votée, nous vous inviterions à supprimer cet article.
Mes chers collègues de droite, où comptez-vous réaliser les économies supplémentaires ? Dites-nous !
Il est un peu trop facile – je vous le dis avec respect – d’être libéraux quand on parle de dépenses et très interventionnistes quand vous constatez les besoins dans vos départements ! Ce paradoxe me semble difficile à gérer… (Mme Éliane Assassi acquiesce.)
Vous consentez à une ponction des concours financiers aux collectivités territoriales ? C’est prévu à l’article 16 : une augmentation de 2,6 % des dépenses en valeur, soit une baisse des dotations d’au moins 1,4 point l’année prochaine selon les prévisions d’inflation.
Dans la même logique, l’article 13 prévoit de plafonner les dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales, à la louche, pour toutes de la même façon. Je comprends la difficulté, mais c’est inavouable politiquement.
Jusqu’où ira l’asphyxie de nos services publics ? Les départements ont des dépenses contraintes : les allocations individuelles de solidarité, qui représentent 30 % de leurs dépenses de fonctionnement. Si le nombre des allocataires du revenu de solidarité active (RSA) ou celui des bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) augmente, est-ce synonyme de mauvaise gestion ? Bien évidemment que non ! C’est la conséquence de la précarité promue par les politiques gouvernementales.
Comme l’ensemble des membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, je crois que nous devons rejeter ce projet de loi de déprogrammation des finances publiques. À cet égard, ce débat est un moment solennel. C’est le moment de la déprogrammation.
Déprogrammation des finances publiques, car le contexte conjoncturel est insuffisamment pris en compte, avec des prévisions aveugles à l’inflation durable qui s’installe.
Déprogrammation des soins, des départs à la retraite, des investissements publics locaux : toutes les strates de l’action publique sont concernées par l’austérité promise.
Il s’agit aussi d’une déprogrammation démocratique, empêchant à long terme de penser les finances publiques dans un scénario tenable et tenu, et dans le respect des engagements pris.
Comme cela s’est produit onze fois lors des quatorze dernières années, le déficit sera dépassé, la dette publique diminuera moins vite, et la croissance ne sera pas au rendez-vous. Je vous invite donc, mes chers collègues, à voter notre motion. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)