Mme la présidente. Y a-t-il un orateur contre la motion ?…
Mme Éliane Assassi. Ils n’osent pas !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur. Sans surprise, l’avis sera défavorable.
J’ai expliqué quelle était la stratégie de notre assemblée. Les Français n’attendent pas de nous que nous ajoutions du désordre au chaos et aux difficultés après le rejet de ce texte à l’Assemblée nationale, où son examen a été interrompu.
Nous nous inscrivons dans un esprit de responsabilité.
Mme Éliane Assassi. Nous aussi !
M. Jean-François Husson, rapporteur. En effet, ma chère collègue : personne n’en a le monopole.
La trajectoire nouvelle qui a été indiquée correspond à un effort partagé. Il nous a semblé, au regard de la situation, que nous devions concentrer nos efforts, cibler les dépenses que l’État – et à son côté, éventuellement, le bloc des collectivités locales – doit consentir, et réaliser ce que j’ai appelé le « parallélisme des exigences ».
En effet, s’il y a bien une injustice, c’est la proposition faite par le Gouvernement de s’exonérer des efforts qu’il demande aux collectivités locales ; nous allons le répéter pendant plusieurs heures au cours du débat.
J’ai entendu que le Gouvernement, tout au moins dans ses paroles et ses intentions, semblait partager le point de vue du Sénat.
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur la motion tendant à opposer la question préalable déposée par nos collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bruno Le Maire, ministre. L’avis du Gouvernement est également défavorable.
M. Savoldelli a évoqué notre réponse au problème immédiat de l’inflation, et celles que nous avons apportées aux problèmes structurels de l’économie française, que nous essayons de résoudre depuis un peu plus de cinq ans.
Pour ce qui concerne l’inflation, vous avez parlé de « précarité ». C’est une précarité à 100 milliards d’euros, puisque c’est la somme qui a été dépensée de 2021 à 2023 pour protéger nos compatriotes et les entreprises contre l’inflation…
La véritable précarité, c’est ce qu’ont voté vos alliés de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) en supprimant le bouclier tarifaire sur l’électricité et sur le gaz, pour financer une explosion de MaPrimeRénov’, soit 580 euros à débourser chaque année en moyenne par ménage. Voilà la vraie précarité ! Si les votes ont un sens – et en démocratie, ils en ont un –, la Nupes a voté la précarité énergétique généralisée pour nos compatriotes en supprimant, j’y insiste, le bouclier énergétique qui protège depuis près de deux ans nos compatriotes contre la flambée des prix de l’électricité et du gaz.
Les votes ont un sens !
M. Pascal Savoldelli. Vous dites cela ici, alors que vous utilisez le 49.3 à l’Assemblée nationale !
M. Bruno Le Maire, ministre. Nous, à l’inverse, avons mis en place ce bouclier, indexé l’ensemble des prestations sociales et le Smic. Je rappelle que la France est l’un des seuls pays européens à avoir un salaire minimum indexé sur l’inflation. Le seul salaire qui ait augmenté de plus de 8 %, c’est le Smic depuis un an, du fait de l’indexation sur l’augmentation des prix. Aucun autre pays européen n’a prévu ce type de dispositif !
Monsieur Savoldelli, nous venons de mettre en place l’augmentation de 50 % de l’allocation de soutien familial (ASF), qui passe à 184 euros, et qui concerne 800 000 femmes seules. Si ce n’est pas de la lutte contre la précarité, je ne sais pas comment cela s’appelle !
On peut critiquer notre politique par tous les biais, mais certainement pas dire que nous ne luttons pas avec efficacité contre la précarité !
Nous sommes l’un des seuls pays en Europe où, malgré la crise du covid-19, malgré la crise de l’inflation, le taux de pauvreté n’a pas augmenté.
Un taux de pauvreté de 14 %, c’est toujours trop. Mais c’est mieux que ce que l’on observe dans les autres pays européens et, bien entendu, aux États-Unis, où, à cause de l’inflation et de la crise du covid-19, les inégalités et la pauvreté ont explosé.
Les salaires ont, en moyenne, augmenté de 3,5 % depuis le mois de juillet. Encore une fois, j’invite toutes les entreprises qui le peuvent à les augmenter.
Nous avons également protégé les entreprises, puisque nous avons mis en place des mesures, à hauteur de 10 milliards d’euros, pour amortir le choc de l’augmentation des prix de l’électricité et du gaz.
Nos véritables différences – c’est tout l’intérêt du débat que nous avons – concernent, me semble-t-il, le diagnostic que nous faisons de la situation de l’économie française et des comptes publics depuis trois décennies.
Qu’est-ce qui caractérise la France durant cette période ? Et qu’essayons-nous de renverser pour opérer cette révolution économique qui doit apporter prospérité et justice à nos compatriotes ?
Premièrement, la France se caractérise, par quelque bout qu’on prenne le problème, par un niveau de dépenses publiques qui est le plus élevé des pays européens, juste derrière le Danemark. Si la dépense publique devait faire le bonheur d’une nation, la France devrait être la nation la plus heureuse d’Europe.
M. Jean-François Husson, rapporteur. Pour le bonheur, c’est la Finlande qui est aujourd’hui en tête !
M. Bruno Le Maire, ministre. Or j’ai bien peur que tel ne soit pas tout à fait le cas ! La raison en est simple : les Français estiment, à juste titre, qu’ils n’en ont pas pour leur argent.
Si, considérant notre niveau très élevé de dépenses publiques, nos compatriotes pouvaient se dire que tout va bien, que ce soit à l’hôpital, à l’école, dans les collèges ou dans les universités, ils accepteraient ce taux de prélèvements obligatoires très important. Mais, puisque ce n’est pas le cas, nous devons chercher avec résolution un meilleur emploi et une plus grande efficacité de la dépense publique.
À cet égard, je partage l’avis du rapporteur général : il est nécessaire que l’État donne l’exemple, aux côtés des collectivités locales, pour réduire la dépense publique et faire en sorte que celle-ci soit plus juste et plus efficace, notamment pour nos services publics.
Deuxièmement, la France se caractérise par des impôts qui sont les plus élevés de tous les pays européens, juste derrière le Danemark. Là aussi, avec la majorité, avec Gabriel Attal, avec le Président de la République, avec tous les sénateurs de la majorité, nous avons voulu renverser cette tendance depuis maintenant plus de cinq ans. Les chiffres viennent de tomber : nous avons réussi à diminuer les impôts d’un point en moyenne.
Nous avons un peu amélioré la situation. Mais, malgré tout, il y a dans notre pays toujours plus d’impôts, de taxes et de prélèvements obligatoires qui sont proposés par les uns ou les autres…
Je voudrais que, comme il est écrit dans la Bible, les écailles tombent des yeux de certains. Il faudrait qu’ils s’aperçoivent que notre taux de prélèvements obligatoires est insupportable pour nos compatriotes. Ces derniers s’interrogent. Pourquoi tant d’impôts ? Pourquoi tant de taxes ? Pourquoi tant de prélèvements obligatoires ? Et pourquoi, chaque fois qu’il y a un problème, augmenter encore les impôts, les taxes et les prélèvements obligatoires ? » (Protestations sur les travées des groupes CRCE et SER.)
Pour ma part, je considère, une bonne fois pour toutes, que c’est la mauvaise solution.
Si vous voulez de la justice fiscale – et c’est aussi ce que je veux –, aidez-moi à mettre en place la taxation des géants du numérique, le taux d’imposition minimum pour les sociétés et – pourquoi pas ? – la taxation de l’utilisation des infrastructures numériques par les géants du digital ! Aidez-moi aussi à mettre en œuvre la taxation de la rente des énergéticiens, qui va nous rapporter 26 milliards d’euros !
Mme Éliane Assassi. Et vous, écoutez-nous aussi !
M. Bruno Le Maire, ministre. Voilà ce qu’est la vraie justice ! N’allez pas chercher l’argent dans la poche des Français ! Ce n’est plus la solution ; et d’ailleurs, je considère que cela ne l’a jamais véritablement été.
Notre dernier point de désaccord concerne le volume global de travail en France. Celui-ci est insuffisant par rapport à celui des autres grandes nations européennes.
M. Roger Karoutchi. Exact !
M. Patrice Joly. Et la productivité ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Cela se traduit petit à petit par un appauvrissement relatif de notre pays.
Oui, il faut avoir le courage de baisser les impôts, de réduire la pression fiscale, de réduire la dépense publique pour que nos services publics, auxquels je tiens autant que vous, soient bien financés !
Et oui, il faut avoir le courage d’engager une réforme des retraites, avec le souci de la justice, du respect des carrières longues et de la pénibilité des métiers, tout simplement pour accroître le volume global de travail, qui fera la prospérité de la France et des Français ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 60, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Christian Bilhac. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Christian Bilhac. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’Assemblée nationale a donc rejeté le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023-2027 ; c’est inédit. Les conséquences d’un rejet définitif sont difficiles à évaluer, laissant craindre le non-versement de fonds européens à la France.
Les objectifs des lois de programmation budgétaire ont rarement été respectés par le passé, et je ne serais pas surpris que ce texte, comme les précédents, soit un exercice imposé plutôt qu’une feuille de route, malgré les nouvelles dispositions législatives.
Si je partage la volonté de redresser les comptes publics, je regrette que ce projet de loi repousse en toute fin de période le retour attendu. Plus de rapidité serait, me semble-t-il, nécessaire.
Ce texte répond aussi au calendrier budgétaire européen et aux engagements pris par la France. Mais, au-delà, certains principes prévalent.
Lors de l’examen du projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2021, j’avais cité Pierre Mendès France, qui déclarait : « Les comptes en désordre sont la marque des nations qui s’abandonnent. » Je veux aussi rappeler qu’il convient, comme chaque paysan le sait, de dépenser moins que ce que l’on gagne et de faire des économies en prévision des mauvaises récoltes à venir. C’est le simple bon sens.
Revenons sur les principales dispositions du texte. L’article 1er prévoit l’approbation du rapport annexé, avec ses hypothèses macroéconomiques et de croissance sur cinq ans, soit 1,7 % par an, sauf 1 % en 2023. Il prévoit de réduire le déficit structurel et la poursuite des baisses d’impôts, tablant sur des taux d’intérêt de 2,6 % à court terme et de 3 % à long terme, en 2027. Ce scénario me semble plutôt optimiste.
La situation financière de notre pays est pour le moins préoccupante. À votre décharge, messieurs les ministres, je dois convenir que la crise sanitaire, la guerre en Ukraine et, maintenant, la crise énergétique sont grandement responsables de la situation. J’espère, et nous espérons tous que nous allons revenir rapidement à une situation qui pourra être qualifiée de normale, même si la géopolitique n’apporte pas un vent d’optimisme.
Afin de réduire le déficit, je résumerai vos propositions à trois chiffres. Effort des administrations de sécurité sociale : 27 milliards d’euros. Effort des administrations locales : 25 milliards d’euros. Effort de l’État, donc des administrations centrales : zéro euro.
Le responsable fait payer les autres, et en particulier les collectivités locales, qui ne sont aucunement responsables du déficit, puisqu’elles ont l’obligation de voter des budgets en équilibre.
La progression des dépenses de fonctionnement doit rester inférieure à l’inflation, soit -0,5 points. Mais comment réussir dans le contexte actuel ? Les collectivités qui n’atteignent pas cet objectif risquent d’être exclues des subventions de l’État.
Le texte issu de la commission ne m’a pas fait changer d’avis : cette loi de programmation ne programme rien du tout. Je regrette qu’elle ne prévoie pas un partage des responsabilités avec les acteurs locaux, qui ont fait leurs preuves sur le terrain. Ce serait utile pour l’État, qui doit se concentrer sur ses missions régaliennes, dont les moyens sont notoirement insuffisants, plutôt que de s’entêter à tout faire tout seul.
Quand on fait tout, on fait tout mal ! À quand une nouvelle étape de la décentralisation ?
Pour ce qui concerne les administrations de sécurité sociale, le projet de loi prévoit 25 milliards d’euros d’économies. Le Gouvernement table sur la réforme des retraites pour réduire les déficits. Mais chacun sait que celle-ci ne portera pas ses fruits avant l’exécution de cette loi de programmation.
Pourtant, les besoins sont immenses dans la branche maladie, avec les déserts médicaux qui se multiplient, les urgences saturées, la fermeture de lits, voire d’établissements. Il faut aussi considérer, dans la branche autonomie, la situation alarmante des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), et en particulier des Ehpad publics. Ce ne sont pas les 3 700 créations de postes prévues dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 qui régleront le problème : cela représente seulement la création d’un demi-poste par établissement.
Pour conclure, ce texte traduit une gestion molle des finances publiques. Les crédits semblent s’y balancer comme les feuilles mortes au gré du vent. Comme l’a écrit Sénèque à Lucilius : « Il n’est pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va. »
C’est pourquoi je voterai personnellement contre ce projet de loi de programmation. Les membres du groupe RDSE, conformément à leur position traditionnelle, détermineront leur vote en fonction des débats. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. Monsieur le ministre, le 13 juillet dernier, devant la commission des finances du Sénat, le Premier président de la Cour des comptes, président du Haut Conseil des finances publiques, préconisait d’« établir une loi de programmation crédible et globale », c’est-à-dire avec des hypothèses réalistes, des mesures d’économies détaillées, articulée avec les lois de programmation sectorielles, ne reportant pas l’effort en fin de période et associant l’ensemble des acteurs publics. Le Gouvernement ne semble pas avoir fait sien ce mantra !
Tout d’abord, le Haut Conseil des finances publiques et les analystes économiques considèrent les hypothèses macroéconomiques improbables.
L’avis du Haut Conseil relève que la trajectoire du projet de loi de programmation des finances publiques repose sur trois hypothèses favorables : un mouvement de désépargne des ménages – au troisième trimestre, la croissance de la consommation est de 0 %, après avoir été de 0,3 % au deuxième trimestre ; le maintien à un niveau élevé de l’investissement des entreprises ; une contribution positive du commerce extérieur – au troisième trimestre, elle est négative, à -0,5 point.
Vous nous permettrez donc d’avoir des doutes sérieux sur la possibilité que ces trois critères soient réunis pendant les cinq prochaines années, au regard des dernières données publiées par l’Insee.
Dans son dernier Repères de politique économique, l’institut Rexecode écrit : « Si des perspectives de croissance du PIB plus prudentes, mais sans doute plus vraisemblables […] se réalisaient, le déficit public ne se résorberait pas et la dette publique continuerait d’augmenter en pourcentage du PIB pour atteindre 120 % en 2027. » Cela montre combien la trajectoire est sensible à son point de départ.
Dans son rapport Perspectives de l’économie mondiale du mois d’octobre 2022, le Fonds monétaire international (FMI) anticipe que plus de la moitié des pays de la zone euro connaîtront une récession technique cet hiver. La France est relativement épargnée, puisque l’institut précité table sur une croissance de 0,7 % pour 2023, en deçà cependant de l’hypothèse du Gouvernement.
Malgré une anticipation très optimiste de la croissance, le déficit reste de 5 % et ne retrouve un niveau de 3 % qu’en 2027. Nous serions donc pendant deux ans les plus mauvais élèves de la zone euro.
Mais ce chiffre de 5 % fait oublier tous les ordres de grandeur : le déséquilibre des dépenses publiques est plutôt de 45 %. Le projet de loi de finances dont nous discuterons bientôt prévoit 500 milliards d’euros de dépenses, contre 345 milliards de recettes.
La maîtrise des dépenses publiques est pourtant devenue un totem. Combien de fois avons-nous entendu que le temps du « quoi qu’il en coûte » était derrière nous, que nous étions maintenant « à l’euro près » et qu’il s’agissait désormais de décider en fonction du « combien ça coûte » ?
Or les dépenses courantes augmentent de 62 milliards d’euros dans le projet de loi de finances déposé le 26 septembre. Et, depuis cette date, plusieurs dépenses nouvelles ont été annoncées : hausse du bonus écologique, élargissement du bouclier tarifaire, et tant d’autres.
La baisse du ratio de la dépense publique inscrite dans la programmation repose en grande partie sur la disparition progressive des dépenses exceptionnelles, soit encore 61 milliards d’euros en 2022.
Concernant la dépense courante, comme l’a rappelé M. le rapporteur, la trajectoire suit celle des dépenses publiques du quinquennat précédent : 140 milliards d’euros en plus.
L’objectif à moyen terme (OMT) de solde structurel, fixé par l’article 5 du règlement européen du 7 juillet 1997 relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires ainsi que de la surveillance et de la coordination des politiques économiques, ne sera pas atteint pendant le quinquennat. Il sera au mieux égal à la moitié de l’effort attendu, soit 0,3 point par an de 2024 à 2027. L’insuffisance de réduction du déficit structurel souligne le manque d’engagement de réformes structurelles.
Les mêmes réformes reviennent dans les programmes nationaux de réforme (PNR) successifs, toujours aussi peu documentées, et en premier lieu la réforme des retraites.
L’État demande des efforts aux Français et aux collectivités territoriales qu’il ne s’impose pas à lui-même. L’effort exigé des administrations publiques locales (Apul) n’a jamais été atteint au cours des quarante dernières années.
Pourtant le rapporteur général de la commission des finances à l’Assemblée nationale, Jean-René Cazeneuve, l’a reconnu : « La situation sera difficile pour les collectivités territoriales l’année prochaine […] et elle le sera aussi pour l’État français, pour les entreprises et pour tout le monde. Il faut partager cet effort entre les différentes administrations – c’est une question de responsabilité. »
L’effort que nous demandons à l’État, qui vient d’être exposé par notre rapporteur, est, toute chose égale par ailleurs, plus faible que pour les collectivités. En effet, l’indice de prix des dépenses communales, le « panier du maire », estimé sur le premier semestre 2022, fait apparaître une évolution de 4,8 % sur quatre trimestres glissants. Sur la même période, l’indice des prix à la consommation hors tabac n’avait progressé que de 3,4 %. Le différentiel s’est encore accru au cours des deuxième et troisième trimestres.
Par ailleurs, plusieurs textes législatifs récents contraignent les budgets locaux à plus ou moins long terme. En tout premier lieu, la loi Climat et résilience du 22 août 2021. C’est un effort nécessaire auquel les collectivités sont prêtes ; encore faut-il qu’elles en aient les moyens.
La maîtrise de la dépense publique ne se décrète pas ; elle se construit dans la durée. Gérard Longuet reviendra sur cette thématique en l’illustrant avec deux politiques publiques.
C’est parce que vous niez cette réalité que vous avez imposé aux grandes collectivités les contrats de Cahors. Vous vous êtes félicités des résultats, alors même qu’ils ne sont que la conséquence des efforts de gestion rendus nécessaires par la contraction des concours financiers de l’État sur la période 2014-2017.
Le Gouvernement indique avoir conçu un nouveau dispositif : les contrats de confiance.
Mme Christine Lavarde. Comment osez-vous dire que le dispositif est différent, alors que l’article 23 est partiellement un copié-collé de l’article 29 de la précédente loi de programmation des finances publiques ?
Les collectivités sont tenues de présenter un budget en équilibre. Elles ne participent donc pas à la dérive de nos comptes publics, contrairement à l’État, qui, cette année encore, devra financer 158 milliards d’euros de déficit et, en comptant les refinancements, 270 milliards d’euros de dette.
Par ailleurs, la référence retenue est mauvaise. C’est sur la base de l’autofinancement, et non de la dépense, que s’effectue le pilotage financier des collectivités locales, car ce dernier permet la couverture des dotations aux amortissements et de financer les investissements.
Monsieur le ministre, l’effort demandé à l’État est réaliste. Nos collègues de l’Assemblée nationale, dans la continuité des travaux de parlementaires de la majorité, vous ont proposé de passer d’un État « bedonnant et malvoyant » à un État « élancé et clairvoyant ».
M. Jean-François Husson, rapporteur. Voilà !
M. Alain Richard. C’est tellement facile quand on est dans l’opposition !
Mme Christine Lavarde. En vingt ans, le nombre de décrets d’application a augmenté de 310 %. En 2019, le Conseil d’évaluation des normes évaluait le coût des obligations normatives à 790 millions d’euros pour les collectivités. Atteindre la moyenne des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour le ratio coûts de production des services publics sur le PIB permettrait de dégager 84 milliards d’euros d’économies.
Dans une note récente, la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (iFRAP) estimait la charge administrative de 12 milliards d’euros à 25 milliards d’euros pour les collectivités, les services publics et les particuliers.
Cet effort réaliste est indispensable si nous souhaitons faire refluer notre endettement.
Dans la programmation du Gouvernement, la dette ne se réduit qu’à partir de 2026, uniquement grâce aux excédents budgétaires des Apul et des administrations de sécurité sociale (Asso).
Comme l’a justement souligné Élisabeth Doineau, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales, la trajectoire de l’Ondam apparaît fragile et, parfois, d’une crédibilité discutable.
Dans leur sagesse, les membres de la commission ont amendé le texte, afin que le compteur des écarts trouve à s’appliquer à toutes les lois de financement de la sécurité sociale jusqu’en 2027.
Les Français doivent prendre conscience du fait que le Gouvernement fait vivre le pays avec une épée de Damoclès. Un biais optimiste dans les projections de finances publiques devient problématique dès lors que les conditions de financement de la dette sont plus dépendantes des marchés.
Dans un environnement rendu moins favorable au financement des dettes publiques par le resserrement des politiques monétaires, un déficit de crédibilité peut induire une prime de risque qui viendrait augmenter la charge de la dette et, par conséquent, contraindre le financement de l’action publique.
Cette prophétie pourrait malheureusement se réaliser : après une hausse de 0,5 point en juillet et 0,75 point en septembre, la Banque centrale européenne (BCE) a augmenté, jeudi dernier, ses taux directeurs de 0,75 point ; et le taux des obligations assimilables du Trésor (OAT) à dix ans a dépassé 3 % le 21 octobre dernier alors qu’il était encore négatif en décembre 2021.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains soutient le texte issu des travaux de la commission des finances.
Vous aurez d’ailleurs noté notre sobriété en matière de dépôt d’amendements, car la trajectoire concilie quatre objectifs : réduire le déficit et l’endettement public plus rapidement que dans la programmation du Gouvernement ; assurer la pleine contribution des administrations centrales ; préserver les dépenses sociales et régaliennes ; conserver des marges d’intervention dans un contexte où une crise en chasse une autre.
Les deux ministres nous ont appelés à être responsables. Avec cette loi de programmation des finances publiques amendée, nous le sommes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Emmanuel Capus. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Michel Canévet applaudit également.)
M. Emmanuel Capus. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a trois cas de figure où l’on refuse de se fixer un objectif. Le premier, c’est lorsqu’on n’est pas sûr de l’atteindre. Le deuxième, c’est lorsqu’on est sûr de ne pas l’atteindre. Le troisième, c’est lorsqu’on ne veut rien atteindre du tout.
Je me réjouis que la commission des finances du Sénat considère que nous ne sommes dans aucun de ces cas. En choisissant d’amender le texte, nous nous mettons dans l’optique de fixer un objectif clair pour nos finances publiques. C’est une démarche responsable, qui fait honneur à notre chambre. Notre groupe la soutient pleinement.
À l’Assemblée nationale, les oppositions se sont liguées, non pas pour amender le texte – elles sont incapables de trouver un accord –, mais pour le rejeter en bloc. Je regrette qu’elles cèdent à l’appel du chaos, comme l’a rappelé M. le rapporteur, plutôt que de s’accorder sur une programmation donnant de la visibilité à nos finances publiques.
Bien sûr, il est toujours possible d’améliorer un texte. Nous avons d’ailleurs déposé plusieurs amendements pour renforcer trois ambitions du projet gouvernemental.
La première de ces ambitions est la maîtrise des dépenses publiques.
À cet égard, je salue la démarche du Gouvernement, qui présente une trajectoire ramenant le déficit public sous la barre des 3 % du PIB à horizon 2027. Il s’agit non pas d’une obsession ou d’une lubie, mais simplement d’un engagement que nous avons pris vis-à-vis de nos partenaires européens ; vous l’avez parfaitement rappelé, monsieur le ministre.
Toutefois, lors des débats sur la modernisation de la loi organique relative aux lois de finances, voilà un an, notre groupe avait fait adopter un amendement tendant à préciser que le projet de loi de programmation devait présenter, dans son rapport annexé, une comparaison européenne.
À défaut d’être réjouissante, cette comparaison est éclairante : tous les États ont adopté une loi de programmation ; tous, de la Grèce au Portugal, en passant par l’Italie et l’Espagne, ont prévu de repasser sous la barre des 3 % d’ici à 2025 ; tous sauf nous, qui attendrons 2027. C’est pourquoi nous avons présenté plusieurs amendements visant à encadrer plus fortement les dépenses de l’État, qui porte l’essentiel du déficit et la dette.
Monsieur le ministre, les chiffres sont clairs : pour rétablir nos comptes, nos efforts doivent porter principalement sur les administrations centrales. C’est une question d’équité et d’efficacité.
De ce point de vue, les propositions de la commission des finances me paraissent intéressantes. Nous aurons l’occasion d’en débattre plus longuement tout à l’heure, et M. Le Maire a rappelé, peu avant son départ, que les propositions qui étaient faites étaient bonnes et honnêtes.
La deuxième ambition que nous souhaitons renforcer est le verdissement du budget. Il s’agit d’un levier indispensable pour accélérer la transition écologique. Nous avons fait adopter en commission un amendement pour le budget général. Nous vous en proposerons un autre pour engager une telle dynamique au sein des collectivités locales.
La troisième ambition est le respect des libertés locales. Si les dispositions de l’article 23 sont bien meilleures – il faut le rappeler – que la baisse brutale des dotations imposées sous la présidence de M. Hollande, vous savez combien, monsieur le ministre, cette question préoccupe le Sénat.
Les collectivités ne sont pas responsables de l’aggravation de notre déficit public et de notre dette. En 2021, elles ont même dégagé près de 5 milliards d’euros d’excédents. Elles ne représentent que 7 % de l’endettement public et 20 % de la dépense publique.
Monsieur le ministre, notre groupe partage votre ambition et votre stratégie. Nous savons les efforts que vous déployez pour maintenir le cap en temps de crise, tout en soutenant les ménages, les entreprises et les collectivités. Mais nous restons particulièrement vigilants quant à l’autonomie financière des collectivités.
J’espère donc que nous trouverons une solution pour donner des gages à nos partenaires européens, sans contraindre excessivement les collectivités.
Il faut éviter de monter l’État contre les collectivités. La crise nous l’a rappelé : les collectivités ont besoin de l’État, et l’État a besoin des collectivités. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)