Mme Sylvie Robert. Exactement !
M. Max Brisson. Cela renvoie bien à une méthode dont je vous parlais précédemment…
Je regrette que vous n’ayez pas non plus répondu sur le contenu de ces enseignements généraux, qui a besoin d’être rénové. Voilà un beau sujet pour vos groupes de concertation.
Mme Sylvie Robert. Absolument !
M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel.
M. Yan Chantrel. Madame la ministre, nous partageons avec vous le constat qu’une réforme de la voie professionnelle est indispensable. Il n’est plus tolérable que ces établissements qui accueillent près d’un tiers des lycéens et des lycéennes de notre pays soient perçus comme une voie de garage, ou la destination des élèves en échec scolaire.
L’urgence est à la revalorisation de ces formations, afin qu’elles soient perçues comme des lieux de réussite, de découvertes, de passions ou d’innovation.
Or, depuis les annonces du Président de la République, on ne nous parle que de courbes du chômage, de taux d’employabilité, de taux d’insertion, mais aussi d’un allongement – largement évoqué par mes collègues – de 50 % des périodes de stage que personne ne demande !
Vous faites comme si la formation elle-même, voire les enseignants, était en cause, et la convergence avec l’apprentissage la seule issue.
Or, pour beaucoup, les élèves qui arrivent en filière professionnelle ont vécu une orientation subie. Ils arrivent brisés par le système scolaire. C’est au contact de leurs enseignants qu’ils reprennent confiance, avec des parcours exemplaires d’étudiants devenus expert immobilier, conseillère bancaire, d’autres ouvrant leur propre boutique ou poursuivant des études en art ou en audiovisuel.
Le stage permet moins cette reprise de confiance : les horaires excessifs, le travail de nuit, l’exposition aux produits toxiques voire le harcèlement sont trop souvent le quotidien de stagiaires perçus comme une main-d’œuvre gratuite.
C’est pourquoi l’attractivité de la voie professionnelle, notamment au travers de l’enseignement général, doit être renforcée.
Je vous demande donc, à la suite de mes collègues, de revenir sur vos propositions d’allongement de la durée des stages et, plutôt que de les baisser, d’augmenter les heures d’enseignements généraux, qui permettent à ces enfants de s’émanciper et de choisir leur destin.
Je vous demande enfin d’ouvrir de nouvelles filières dans les métiers d’avenir, ceux du numérique, des médias ou du développement durable.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Monsieur le sénateur, je crois avoir déjà répondu à plusieurs points que vous mentionnez. Les difficultés des élèves précèdent souvent l’entrée au lycée professionnel ; les réponses n’ont pas toujours été apportées à ce problème. Ce défi justifie notre détermination.
La découverte des métiers sera une des solutions pour mieux accompagner l’orientation choisie. Les enseignants, formidables, se lèvent le matin pour faire réussir leurs élèves : il n’est nullement notre intention de considérer le contraire. C’est au système, et non aux élèves, à leur famille ou aux enseignants d’évoluer afin de favoriser l’attractivité de la filière professionnelle.
Pour tout vous dire, je pense que l’attractivité du lycée professionnel deviendra réalité quand le taux d’insertion s’élèvera à près de 80 %, comme c’est déjà le cas pour certains diplômes. De fait, quand vous voyez que les taux d’insertion de certaines filières se réduisent à 10 % environ, leur attractivité pose question.
Face à ce constat, les groupes de travail réfléchissent actuellement à des propositions pour résoudre les difficultés des élèves et donner aux enseignants des leviers pédagogiques plus puissants pour mettre leurs classes en situation de réussite, en s’appuyant sur différents partenaires.
Des dispositifs tels que « 1 jeune, 1 mentor » peuvent être des solutions de soutien. Ils permettent d’accompagner les équipes pédagogiques dans la réussite des jeunes. Ils facilitent un accompagnement personnalisé qui redonne confiance en eux aux lycéens et qui donne du sens tant à leur parcours de formation qu’au projet professionnel qu’ils construisent.
Pour conclure, vous le voyez, nous n’opposons pas les sujets. Si les enseignants cherchent à faire réussir leurs élèves, nous devons, à notre sens, leur donner les moyens d’y parvenir.
M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel, pour la réplique.
M. Yan Chantrel. Ce débat est organisé parce que vous passez par-dessus la représentation nationale en utilisant la voie réglementaire. Cette pratique de votre gouvernement pose un problème démocratique. N’ayons pas peur du débat : proposez-nous un texte, que nous pourrons enrichir, améliorer, mais arrêtez, quoi qu’il en soit, de contourner la représentation nationale. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et sur des travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme Monique de Marco applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean Hingray.
M. Jean Hingray. Récemment, dans une émission de grande écoute était racontée l’histoire de cet entrepreneur façadier obligé de créer sa propre école de formation pour pallier les carences de l’État… Cet exemple n’en est qu’un parmi tant d’autres, car le désarroi est grand dans les différentes filières.
Aussi, madame la ministre, ma question est double.
Quel bilan tirez-vous de la transformation de la voie professionnelle menée par Jean-Michel Blanquer en 2019 ?
À l’heure où l’on parle de faciliter l’accès de certains immigrés à des métiers dits en tension, pourquoi n’a-t-on pas prévu des structures de formation professionnelle ad hoc ?
Nous sommes persuadés que la conjoncture économique oblige à envisager une plus grande valorisation des métiers manuels et techniques, et à réfléchir à un plan de communication afin de rendre attractifs les métiers en tension.
À mes yeux, il est de notre devoir de répondre à l’inquiétude des entreprises et d’offrir aux jeunes un projet porteur de véritables espoirs et débouchés professionnels. Surtout, disons-le, madame la ministre, il faut leur offrir un projet qui leur permettra de gagner leur vie.
Comparaison n’étant pas raison, sans vouloir faire de généralités, donnons le salaire d’un façadier en début de carrière : environ 2 000 euros mensuels net. Il est urgent de communiquer sur ce qu’on gagne grâce au travail de la main ; il est urgent de retrouver la valeur de la compétence, laquelle renforcera la valeur du travail, favorisant ainsi la justice sociale pour construire une France heureuse. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur la transformation de la voie professionnelle qui a été engagée au cours du précédent mandat et qui a fait l’objet d’un bilan concret et positif. Elle avait pour principe fondateur de recentrer le lycée professionnel sur l’élève et la personnalisation de son parcours.
Un comité national a été mis en place en septembre 2019 pour suivre trimestriellement cette transformation. Il a commencé à rendre ses conclusions, ce qui permettra ensuite d’associer l’ensemble des acteurs au partage de ce bilan.
La transformation de la voie professionnelle a été déployée dans tous les lycées professionnels, et ce malgré la crise sanitaire. J’en remercie chaleureusement l’ensemble des personnels éducatifs et enseignants, dont je connais l’investissement en la matière.
Cette transformation a permis de mettre en œuvre de nombreuses innovations pédagogiques. Je pense notamment à la co-intervention, qui est bien installée et produit des résultats de qualité. Elle permet de renforcer le nombre d’heures à effectifs réduits et d’associer plus étroitement enseignements généraux et enseignements professionnels de spécialité. Je pense également à la réalisation d’un chef-d’œuvre, proposée aux élèves de lycées professionnels pour construire un projet pluridisciplinaire. Dans certains secteurs, ce projet a suscité une émulation : les nombreuses réalisations d’élèves ont permis de donner à la voie professionnelle une image positive.
La réforme a permis aux élèves de mieux construire leur propre parcours sur mesure, l’enjeu – nous l’avons évoqué – étant que les formations aient du sens pour les jeunes, afin qu’ils puissent s’y investir et aller au bout.
Par ailleurs, les campus des métiers et des qualifications produisent une réelle émulation sur les territoires, grâce à une meilleure organisation entre les acteurs, ce qui a permis une amélioration des résultats.
Des questionnements subsistent sur l’accompagnement renforcé et l’orientation vers les familles de métiers en seconde. Ces sujets sont abordés dans les groupes de travail.
M. le président. La parole est à M. Jean Hingray, pour la réplique.
M. Jean Hingray. Madame la ministre, votre constat lucide sur ce qui a été proposé, à l’époque, par Jean-Michel Blanquer constitue une réponse aux interrogations de mes collègues présents ce soir dans l’hémicycle et le début d’un dialogue.
Selon moi, il est important que les jeunes puissent valoriser l’envie de travailler de leurs mains, de gagner leur vie. Il s’agit, naturellement, de ramener la France au travail, mais aussi d’envisager le débat que nous aurons dans quelque temps avec M. le ministre Gérald Darmanin.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir.
M. Stéphane Piednoir. Madame la ministre, je profite de l’ouverture aujourd’hui de la semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées pour attirer votre attention sur le cas des lycéens professionnels en situation de handicap.
Plus des trois quarts des lycéens en situation de handicap sont scolarisés dans la filière professionnelle, alors que les lycées professionnels ne représentent que 30 % des effectifs de l’ensemble des lycées. Une telle disproportion alimente bien évidemment l’idée d’une voie plus subie que choisie.
Pour ces lycéens, il faut conjuguer deux impératifs : il est important de conforter leurs fondamentaux académiques et de mettre en place des dispositifs renforcés pour leur insertion dans le milieu professionnel. Sur ces deux points, les axes de réforme annoncés par le président Emmanuel Macron suscitent des interrogations.
Le temps dévolu aux stages devant augmenter, certains s’inquiètent d’une diminution du temps consacré à l’acquisition du socle commun de connaissances. Cette diminution pourrait avoir des conséquences particulièrement négatives pour les élèves en situation de handicap, qui ont bien souvent besoin, vous le savez, d’un accompagnement individualisé.
Par ailleurs, alors que les administrations et les entreprises de plus de 20 salariés ont l’obligation légale d’employer 6 % de travailleurs handicapés, la réalité est bien en deçà, ce taux étant plutôt de 3,4 %. La raison affichée par les employeurs est bien souvent la crainte de ne pas pouvoir accueillir et encadrer convenablement ces travailleurs.
L’entrée dans l’entreprise d’une personne en situation de handicap par le biais d’un stage est une réelle opportunité d’insertion. Il est toutefois difficile pour ces jeunes, encore plus que pour les autres lycéens professionnels, de trouver une structure pour les accueillir.
Ainsi, madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer si le cas particulier des lycéens en situation de handicap sera pris en compte au sein des fameux groupes de travail que vous avez constitués ? Dans un contexte où de nombreux lycéens rencontrent déjà des difficultés pour trouver un stage en lien direct avec le métier auquel ils se forment, prévoyez-vous des mesures spécifiques afin que les lycéens fragilisés par le handicap puissent trouver des entreprises pour les accueillir ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Monsieur le sénateur, vous posez une question essentielle, sur l’école inclusive. Cette question se pose de manière particulièrement prégnante aux lycées professionnels, qui accueillent dorénavant 31 000 élèves en situation de handicap, soit 5 % des effectifs, contre 3 % il y a cinq ans.
Pour accompagner ces élèves dans la réussite de leur scolarité, un effort important est réalisé grâce à l’ouverture d’unités localisées pour l’inclusion scolaire (Ulis). On en dénombre plus de 500 dans les lycées professionnels et près de 300 dans les lycées polyvalents, de nombreuses unités ayant été ouvertes au cours des toutes dernières années.
Neuf fois sur dix, ces Ulis sont spécialisées dans les troubles des fonctions cognitives, ces troubles étant ceux que l’on constate le plus fréquemment chez les élèves en situation de handicap dans la voie professionnelle.
Nous savons devoir faire encore mieux, notamment pour remédier au non-diagnostic d’élèves, en particulier dans les lycées professionnels. Notre dispositif d’accompagnement présente des limites, sur lesquelles je souhaite que nous travaillions, afin qu’un diagnostic, même tardif, puisse être posé sur ces élèves.
Ces progrès devront concerner la scolarité, mais aussi la préparation de l’insertion professionnelle, au sujet de laquelle vous m’avez interrogée. Chaque fois qu’on trouve une solution permettant à une personne en situation de handicap d’accéder à l’emploi, c’est toute la société qui y gagne.
Les groupes de travail doivent réfléchir à ces sujets. Il s’agit de donner des leviers aux enseignants, afin qu’ils puissent mieux accompagner les élèves en situation de handicap et adapter leur pédagogie à ce public. À cet égard, le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) sera bientôt auditionné par un groupe de travail.
Les enseignants des lycées professionnels, comme l’ensemble des autres enseignants, sont formés à la pédagogie adaptée aux élèves en situation de handicap. Nous souhaitons poursuivre et accentuer la formation continue, car il s’agit, pour les enseignants de la voie professionnelle, d’un levier qui leur permettra de mieux accompagner leurs élèves.
Nous réfléchissons également au renforcement du lien entre l’école et l’entreprise afin que les élèves en situation de handicap y soient mieux accueillis. Nous sommes convaincus que le rapprochement de ces élèves des entreprises sera bénéfique.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret.
Mme Corinne Féret. Comme mes collègues, je vous interrogerai sur le projet de réforme de la voie professionnelle. Je ne reviendrai pas sur ce qui apparaît comme une remise en cause du caractère national de l’accès aux formations professionnelles pour les jeunes, mais aussi des diplômes professionnels. Je ne reviendrai pas non plus sur votre volonté d’hyperspécialiser les élèves des lycées professionnels, en lien avec les besoins immédiats des entreprises locales.
Je rappelle que les élèves des lycées professionnels ont besoin, comme tout autre lycéen ou lycéenne, d’acquérir des savoirs fondamentaux. Or ces acquisitions ont déjà été fragilisées par la réforme Blanquer. Les élèves doivent pouvoir bénéficier d’heures d’enseignement, dans les disciplines tant générales que professionnelles, notamment pour améliorer leur réussite aux examens.
Des jeunes qui entrent en CAP ou en bac pro à 14 ans ou 15 ans ont besoin d’être encadrés par les professionnels de l’éducation que sont leurs professeurs !
Avec un accroissement de 50 % du temps dédié aux stages professionnels, cette réforme entraînera inévitablement une diminution des heures d’enseignement et les suppressions de postes qui vont avec, que vous le vouliez ou non, que vous le disiez ou non. Je ne sais comment le dire, tout cela étant assez flou !
Et que penser de la formule du Président de la République, qui dit vouloir s’appuyer sur « des professeurs associés » pour « aider à injecter des compétences dans les lycées professionnels » ? Des compétences, il y en a déjà, croyez-moi, dans les lycées professionnels du Calvados, mon département, comme ailleurs ! Tout porte à croire qu’on s’achemine surtout vers une remise en cause du statut de professeur de lycée professionnel.
Aussi pouvez-vous nous expliquer en quoi votre projet de réforme n’est pas purement et simplement budgétaire ? Ne remet-il pas en cause les principes, qui devraient pourtant toujours guider une réforme de l’éducation nationale, de démocratisation de l’éducation et d’égal accès aux savoirs, quelle que soit l’appartenance sociale de l’élève ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Madame la sénatrice, le bien-fondé du rapprochement entre l’école et l’entreprise a été démontré scientifiquement par des études, l’une de Brooks, Cornelius. Greenfield et Joseph, l’autre de Weible. Elles montrent que ce rapprochement est l’une des conditions d’une meilleure insertion. En effet, faire un stage est un signal positivement reçu par l’employeur, car il permet aux élèves d’acquérir de nouvelles compétences. Opposer les savoirs fondamentaux à l’entreprise est donc, à mon sens, dommageable pour les élèves.
Nous ne renonçons en rien aux objectifs d’élévation du niveau général des élèves des lycées professionnels. La réforme ne se fera pas en abandonnant les enseignements fondamentaux, comme je l’ai dit à plusieurs reprises.
Au travers de cette réforme, notre objectif est d’investir davantage dans les lycées professionnels, qui constituent, nous en sommes convaincus, l’un des leviers de réussite de notre jeunesse. Je le rappelle, un tiers des lycéens passent par ces établissements.
Le Gouvernement est prêt à réaliser un investissement massif pour accompagner la réussite de ces élèves, qu’il s’agisse de l’obtention de leurs diplômes ou de la construction de leur avenir.
Vous considérez comme « floue », ce que je regrette profondément, une concertation menée avec l’ensemble des acteurs. Au fond, vous niez notre capacité à faire participer l’ensemble des acteurs du monde éducatif, de la formation et de l’emploi à la coconstruction d’une réforme systémique, progressive, ambitieuse et au service des élèves.
Cette réforme sera celle de la valorisation du lycée professionnel, de ses élèves et de ses professeurs. Nous y arriverons, nous en sommes convaincus, comme nous sommes parvenus à faire de l’apprentissage une voie reconnue. C’est bien la même ambition qui anime le Gouvernement et le défi qu’il souhaite relever. Nous souhaitons, avec détermination, accompagner cette ambition de réussite des lycées professionnels.
M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin.
Mme Béatrice Gosselin. Madame la ministre, avant la réforme de l’apprentissage, la carte des formations des centres de formation d’apprentis (CFA) sur les territoires relevait de la compétence des régions. Une dotation était allouée à chaque CFA, en fonction de leur engagement à maintenir une offre de formation au plus près des besoins.
Afin de dynamiser les offres de formation et d’éviter des disparités entre territoires, France compétences est devenue, après la réforme instituée par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel de 2018, l’unique instance nationale de l’apprentissage. Elle assure le financement et la régulation de la formation professionnelle et ouvre le marché des formations aux filières et à un très grand nombre d’opérateurs.
Le développement de l’apprentissage, qui a presque doublé en quatre ans, a été rendu possible par la libéralisation du système et par la mise en place de fortes incitations financières pour les entreprises accueillant un apprenti : prime exceptionnelle de 5 000 euros à 8 000 euros selon l’âge et exonération des charges. Ainsi, à la fin de l’année 2022, en Normandie, on dénombrait 120 centres de formation, contre 59 en 2018.
Cependant, cette évolution, qui permet de répondre en partie au besoin des entreprises, a profondément transformé l’équilibre des formations sur notre territoire et posé la question de la concurrence entre établissements de formation professionnelle.
Ainsi, dans le département de la Manche, à côté d’un lycée professionnel formant aux métiers de la métallurgie s’ouvre un centre de formation d’apprentis axé sur cette même spécialité.
Cette concurrence s’exerce de manière plus forte dans les zones rurales et fragilise le maillage territorial de la formation.
Contrairement à l’apprentissage, qui, longtemps dévalorisé, redevient une formation initiale reconnue, les lycées professionnels n’ont pas réussi à convaincre de l’excellence de leur enseignement et peinent à recruter.
Ces établissements, déjà présents sur nos territoires, devraient pourtant être complémentaires avec d’autres centres de formation et non en concurrence directe.
Alors, madame la ministre, quelles mesures comptez-vous prendre pour en finir avec la concurrence entre CFA et lycées professionnels, et pour que, enfin, la filière de l’enseignement professionnel redevienne attractive ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Madame la sénatrice, je pense avoir indiqué à plusieurs reprises la position extrêmement claire qui est la mienne et celle du Gouvernement : l’apprentissage et la formation initiale en voie professionnelle sont non pas concurrents, mais complémentaires. Je le redis, puisque vous souhaitez que je le répète.
Ces voies ne concernent pas les mêmes profils de jeunes, qui sont à des étapes différentes de leur vie et n’ont souvent pas le même niveau de diplôme.
Le Gouvernement cherche à construire avec tous les acteurs concernés une réforme de l’enseignement professionnel visant à sécuriser les parcours des jeunes, en permettant des parcours mixtes entre formation initiale et apprentissage. Il y avait, au 31 décembre 2021, plus de 60 000 apprentis dans les lycées, une forte augmentation ayant été constatée en deux ans. Au demeurant, il ne s’agit pas de la seule voie possible de réussite en lycée professionnel.
Nous souhaitons valoriser le lycée professionnel et nous avons à cet égard la même ambition et nous ferons preuve du même engagement que ceux que nous avons eus pour la voie de l’apprentissage.
Nous disposons de nombreux leviers, évoqués dans le cadre des groupes de travail : la formation des professeurs, les formations d’avenir en phase avec les évolutions économiques, le renforcement des enseignements au lycée professionnel et l’intensification de l’accompagnement. À cet égard, il n’existe aucune concurrence entre apprentissage et lycées professionnels.
D’ailleurs, la durée des formations en entreprise n’est pas la même : elle est de 88 semaines en apprentissage, contre 33 semaines en lycée professionnel, même après l’augmentation de 50 % des périodes de formation en milieu professionnel. En outre, les stages en lycée professionnel s’effectuent dans des entreprises différentes, alors que la partie pratique de la formation en apprentissage s’effectue chez le même employeur. Il s’agit de deux dispositifs constituant deux voies différentes pour les jeunes, des passerelles étant possibles.
Ce qui m’importe, c’est l’insertion professionnelle des jeunes et la progression qualitative des périodes de formation en milieu professionnel, au sujet de laquelle les formations syndicales de l’éducation m’ont interpellée. Il faut nourrir les échanges, en vue d’améliorer la qualité de ces périodes de formation, qui doivent être véritablement au service de l’éducation de nos jeunes.
M. le président. La parole est à Mme Anne Ventalon.
Mme Anne Ventalon. Madame la ministre, l’annonce de la réforme du lycée professionnel, qui n’a été précédée d’aucun travail de concertation, a suscité l’inquiétude des élèves, de leurs familles et du corps enseignant. Même si le Gouvernement a récemment infléchi son discours, ses intentions demeurent floues et source de préoccupations.
Ma question portera sur l’augmentation de 50 % des périodes de formation en milieu professionnel.
À moins de surcharger les semaines, cette augmentation du temps passé en stage impliquera une diminution des heures d’enseignement général et professionnel : français, mathématiques, mais aussi gestion et économie, autant d’enseignements qui doivent être dispensés pour préparer ceux qui le souhaitent à un cursus dans l’enseignement supérieur. En outre, je rappelle que le lycée forme des adolescents destinés à devenir des citoyens capables de comprendre le monde dans lequel ils évoluent et de s’y épanouir. Forger leur esprit à la logique, leur transmettre la connaissance de leur histoire et d’une culture générale, sans omettre l’indispensable apprentissage du français et des langues vivantes, constituent des préalables impératifs à la cohésion de notre société.
L’équation est donc la suivante : comment augmenter les périodes de formation sans toucher aux volumes horaires des enseignements généraux et professionnels ? Si une certaine autonomie dans la vie de ces établissements peut être bénéfique, l’organisation locale des heures d’enseignement ne risque-t-elle pas de remettre en cause le caractère national du diplôme ?
La réforme fait actuellement l’objet d’une concertation, lancée le 21 octobre dernier. Je ne veux donc pas préjuger des conclusions que vous en tirerez, mais je tiens à vous interpeller et à entendre votre avis sur ce sujet préoccupant, à savoir les conséquences de la diminution du temps scolaire sur l’avenir de nos lycéens.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Madame la sénatrice, permettez-moi de rappeler la place du dialogue social dans le travail préparatoire.
Dès ma nomination au mois de juillet dernier, j’ai reçu toutes les organisations syndicales de l’éducation. Tout au long du mois de septembre, j’ai travaillé sur des accords de méthode. J’ai également rencontré les organisations syndicales interprofessionnelles, ainsi que les organisations patronales. J’ai participé à un certain nombre de concertations locales, dans le cadre du Conseil national de la refondation (CNR). C’est important, pour moi, de continuer à le faire.
Les groupes de travail sont également des lieux de dialogue et de coconstruction de solutions, où siègent les organisations syndicales de l’éducation, interprofessionnelles et patronales, les régions, les parents d’élèves, les élèves, les inspecteurs, les recteurs et les experts.
Vous le voyez, nous avons cherché à associer le plus grand nombre d’acteurs. Il s’agit bien là d’une démarche de dialogue social. Vous ne pouvez pas nous reprocher d’être flous, alors que nous sommes justement en train de coconstruire une réforme du lycée professionnel emportant des enjeux structurels majeurs.
Les enseignements fondamentaux seront préservés, le Président de la République l’a réaffirmé lors de sa visite du lycée professionnel Éric-Tabarly des Sables-d’Olonne le 13 septembre dernier. Je l’ai moi-même clairement indiqué.
Au fond, un certain nombre de modalités doivent être pensées. C’est tout l’objet des groupes de travail, qui réfléchissent notamment aux temps supplémentaires en amont ou en aval du diplôme ou à la réorganisation des temps de stage. Ces réflexions sont sur la table. Elles doivent permettre aux différents acteurs de faire émerger une intelligence collective, à laquelle je crois profondément, afin d’apporter une réponse à l’ensemble de ces sujets.
Cette réforme n’a pas pour objectif de faire des économies. C’est un investissement inédit pour faire réussir tous les élèves. Nous le devons au tiers des lycéens qui passent par la voie professionnelle.