M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone.

Mme Dominique Estrosi Sassone. Madame la ministre, ma question porte sur l’articulation de la réforme de l’enseignement professionnel, qui inquiète un secteur pourtant peu enclin à la protestation, vous en conviendrez avec moi, mais qui s’est pourtant fortement mobilisé le 18 octobre dernier.

L’augmentation du nombre de semaines de stage, qui seront désormais rémunérées, soulève la question du pilotage de la réforme et de son financement puisque les ministères de l’éducation nationale et du travail sont appelés à collaborer, ce qui pourrait se révéler compliqué. La rémunération des élèves sera-t-elle assurée par les entreprises ? Une partie sera-t-elle prise en charge par l’État ? Dans ce cas, quel ministère sera concerné ?

La question du choc de l’offre pour les stages est aussi un motif d’inquiétude. S’il a été démontré qu’il existe une synergie entre les lycées professionnels et les entreprises locales dans les villes moyennes, la situation est beaucoup plus inquiétante à l’échelle des grandes agglomérations. À cela s’ajoute l’éventuelle concurrence avec l’apprentissage, a fortiori dans un tissu d’entreprises en nombre limité. Entendez-vous établir une cartographie des bassins d’emploi et y associer les élus ?

Lors de la présentation de la réforme au mois de septembre, le Président de la République a expliqué que « cette réforme [entrerait] en vigueur de manière très progressive ». Toutefois, l’inquiétude ne faiblit pas. Une nouvelle journée de mobilisation nationale est d’ailleurs prévue cette semaine, le 17 novembre. Faute de fournir une feuille de route aux enseignants, pouvez-vous enfin leur apporter des réponses précises ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de linsertion et du ministre de léducation nationale et de la jeunesse, chargée de lenseignement et de la formation professionnels. Madame la sénatrice, j’essaierai de répondre à toutes vos questions dans les deux minutes qui me sont imparties.

Je le redis, l’enjeu des relations avec les entreprises dépasse la question d’un territoire ou d’une zone. D’ailleurs, le taux d’insertion professionnelle de 80 % que j’ai évoqué précédemment pour un diplôme concernait aussi bien la ruralité que les zones urbaines. Il existe d’énormes disparités en termes d’insertion professionnelle. À cet égard, je salue l’immense travail effectué par les équipes pédagogiques en la matière.

Il convient désormais d’aller plus loin et de mettre en œuvre une réforme structurelle, tournée vers les élèves et leur insertion professionnelle, afin qu’ils bénéficient d’un accompagnement partout sur le territoire, à l’instar, par exemple, de ce qui se fait sur les campus des métiers et des qualifications.

La gratification des périodes de formation en milieu professionnel relèvera de l’État, je le redis. Nous souhaitons renforcer la synergie entre l’État et les entreprises, avec les acteurs locaux, notamment les régions, qui ont la compétence pour travailler avec les rectorats sur la carte des formations.

J’ai eu l’occasion de rencontrer l’ensemble des représentants des régions, soit lors d’un entretien individuel avec les présidents de région, soit lors d’une réunion de la commission « formation » de Régions de France. Il s’agit pour moi de travailler main dans la main avec eux, en étant à l’écoute des régions et de leurs acteurs économiques pour ce qui concerne les cartes de formations. Ce point est essentiel, dans la mesure où tous les investissements doivent être pensés en coopération.

Je n’aurai pas le temps de répondre à toutes vos questions, madame la sénatrice. Sachez cependant que nous sommes lucides sur les constats et que nous sommes bien évidemment engagés dans une démarche d’investissement et de coopération avec les acteurs.

M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour la réplique.

Mme Dominique Estrosi Sassone. Il existe un certain nombre de verrous budgétaires, réglementaires et d’orientation qui doivent encore sauter, car ils nous empêchent d’avancer dans cette réforme du lycée professionnel.

M. le président. La parole est à M. Édouard Courtial.

M. Édouard Courtial. Madame la ministre, si comparaison n’est pas raison, il est toujours intéressant, surtout dans un monde concurrentiel et globalisé comme le nôtre, d’apprendre de ses voisins et partenaires. Il s’agit là sans doute d’une déformation professionnelle pour le membre de la commission des affaires étrangères que je suis.

Dévalorisé, peu plébiscité par les parents dans l’Hexagone, l’enseignement professionnel est encore fortement associé à la faiblesse des résultats scolaires et au poids des origines sociales, ainsi qu’à une vision exclusive et négative de la pratique des métiers manuels. Tel n’est pas du tout le cas en Allemagne ou en Suisse, où une longue tradition est favorable à la voie professionnalisante. D’ailleurs, dans presque tous les pays de l’OCDE, à diplôme donné, les voies professionnelles permettent une meilleure insertion que les voies générales.

Aussi, madame la ministre, comment comptez-vous améliorer l’image de la filière professionnelle, qui constitue une voie vers l’emploi indispensable pour de nombreux jeunes ?

La France figure parmi les pays les moins avancés au regard de la modularisation de ses diplômes, qui concerne seulement une petite partie des titres. En Écosse ou au Royaume-Uni, les parcours de formation peuvent se constituer à la carte.

Par ailleurs, la France est un pays trop normé, avec des limites d’âge ou de conditions de travail. Je pense notamment aux boulangeries, dans lesquelles les élèves ne peuvent travailler que sur des horaires matinaux. De la même manière, l’âge d’accès aux formations est nettement inférieur en Allemagne et en Autriche qu’en France.

Madame la ministre, comment donner davantage de souplesse pour maximiser les chances de réussite ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de linsertion et du ministre de léducation nationale et de la jeunesse, chargée de lenseignement et de la formation professionnels. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur l’image du lycée professionnel dans notre pays. Elle est l’affaire de tous, des politiques publiques, des entreprises, des médias, des parents, des professeurs, des acteurs de l’école, ainsi que des jeunes eux-mêmes.

Redorer cette image passe d’abord par des filières « insérantes ». Plus une formation permettra l’accès à l’emploi et la réussite des parcours, plus elle sera attractive. Ainsi, nous avons de très beaux parcours du bac-3 au niveau ingénieur. Il est important de valoriser ces réussites.

Je pense notamment à la très belle compétition des worldskills, qui promeut des role models et témoigne de l’excellence des filières et des parcours. Ces olympiades des métiers ont pour mission la promotion des métiers et la valorisation des voies professionnelles.

Nous souhaitons aussi renforcer les savoirs fondamentaux, qui sont des utiles à tout citoyen éclairé. Il est essentiel d’accompagner cette dimension.

Nous souhaitons également que le lycée professionnel soit au centre des enjeux en termes de compétences pour les filières dont la Nation aura besoin demain. Il est essentiel que les lycées professionnels puissent penser le monde économique de demain et préparer leurs élèves à ces enjeux. Ces élèves doivent pouvoir s’insérer dans l’emploi et être capables de s’ajuster aux mutations économiques.

Certes, monsieur le sénateur, nous sommes conscients du besoin d’assouplir la réglementation afin d’accueillir des jeunes mineurs en entreprise. Toutefois, cela doit se faire au cas par cas. En effet, la préservation de la sécurité de nos jeunes est une priorité et n’est évidemment pas négociable. La qualité des stages doit être en adéquation avec l’enjeu du rapprochement de l’élève de l’entreprise.

Il s’agit de permettre à l’élève d’acquérir des codes, de nouer des liens, des contacts. À cet égard, nous devons renforcer la collaboration entre les professeurs et les tuteurs d’entreprise, pour coconstruire les parcours de compétences des jeunes.

Conclusion du débat

M. le président. Pour conclure le débat, la parole est à M. Stéphane Piednoir, pour le groupe Les Républicains.

M. Stéphane Piednoir, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec la massification de l’accès au baccalauréat dans les années 1980, il est apparu nécessaire d’offrir une pluralité d’orientations correspondant, dans la mesure du possible, à la diversité des profils des chères têtes blondes de notre pays.

Avec le bac professionnel, il s’agissait de proposer une formation un peu moins théorique dans le champ de l’enseignement général et de la compléter par un enseignement professionnel de nature à encourager des vocations dans les métiers dits manuels.

Chacun le sait, en réalité, il s’agit souvent d’une orientation par défaut, lorsqu’on estime que l’accès au baccalauréat général est impossible. La filière est considérablement déconsidérée par les familles et largement méconnue par les enseignants, qui sont pourtant chargés de cette orientation !

L’ambition était belle, mais, quarante ans plus tard, le constat est amer pour Daniel Bloch, « père » du bac pro en 1985, que je cite : « baisse significative du niveau des élèves entrant dans l’enseignement professionnel », « perte de “valeur marchande” du baccalauréat professionnel », « très modeste taux d’emploi ». Indiscutablement, les difficultés de la filière professionnelle, voie importante de notre système éducatif, nécessitent une réflexion de fond en vue de sa refonte.

Mais, nos débats du jour en témoignent, des divergences existent aussi bien sur la méthode adoptée par le Gouvernement que sur les finalités assignées à cette filière professionnelle new look.

Il y a la vision jupitérienne, celle qui consiste à dire à l’avance et précisément ce qu’il convient de faire, tout en convoquant une énième forme de concertation, chargée bien sûr de valider in extenso ces propositions.

M. Stéphane Piednoir. Qui peut raisonnablement s’étonner des réactions négatives qui escortent ce mode de fonctionnement politique, cette forme de management par imposition d’une vérité divine ?

Il y a la vision arithmétique, qui consiste à traduire le nombre d’heures d’enseignement général supprimées par son équivalent en nombre de postes de fonctionnaires, 7 000 à 8 000 selon Daniel Bloch, nombre lui-même converti en économies budgétaires réalisées sur une année ou un quinquennat. Je ne veux pas croire qu’une telle démarche puisse guider à elle seule une réforme de notre système éducatif… (Très bien ! sur les travées des groupes CRCE et Les Républicains.)

Il y a la vision syndicale, celle qui considère que tout projet de réforme porte de facto atteinte aux statuts de la corporation et qu’il convient donc de s’y opposer fermement, parfois avant même d’être sollicité. Quelques syndicats ont néanmoins accepté de participer aux discussions et aux premiers ateliers de travail, tout en soutenant les mobilisations du 18 octobre dernier et du 17 novembre prochain.

Le dialogue social n’est pas le point fort de notre pays, mais je forme le vœu que l’occasion nous soit offerte de repartir sur de bonnes bases pour engager de véritables discussions, même si, au bout du compte, tout le monde ne pourra évidemment pas tomber totalement d’accord.

Il y a la vision comptable, celle qui s’inquiète légitimement de la rémunération des jeunes en entreprise dans l’hypothèse où la durée des stages serait significativement allongée. Madame la ministre, vous avez en partie répondu à cette question au cours de notre débat en nous assurant que, en la matière, l’État jouerait pleinement son rôle ; nous en prenons acte.

Il y a la vision économique, qui consiste à identifier chaque élève de la filière professionnelle comme un potentiel futur candidat à l’embauche dans le secteur correspondant à sa formation. Les entreprises n’ont certes pas à définir elles-mêmes les attendus de chaque cursus, mais nous serions irresponsables si nous fermions les yeux sur le financement massif de certaines impasses, notamment dans le secteur tertiaire. Identifier les besoins ne signifie pas les traduire stricto sensu sur la carte scolaire, mais il s’agit bien d’un paramètre important.

Il y a enfin la vision territoriale, celle des régions, qui apparaissent, me semble-t-il, comme le meilleur soutien de la voie professionnelle, dont elles financent largement les équipements, tant des plateaux techniques que des lycéens. Elles aussi réclament une consultation sincère ; elles offrent leurs services dans la perspective de construire une carte des formations et de donner à chaque jeune une possibilité d’insertion professionnelle de proximité. Certaines tensions, sur le marché du travail, s’annoncent durables, et s’assortissent de grandes disparités territoriales ; il convient d’y répondre avec pragmatisme.

Madame la ministre, la liste que je viens d’établir, qui n’est probablement pas exhaustive, montre bien que l’importance du sujet et la multiplicité des acteurs concernés nécessitent une autre méthode de concertation. Tous les chantiers liés à l’éducation nationale sont facilement inflammables, et je m’étonne que le gouvernement auquel vous appartenez ne prenne pas plus de temps pour faire émerger des diagnostics partagés avant d’engager la cavalerie lourde et de mener une négociation au forceps.

M. Max Brisson. Très bien !

M. Stéphane Piednoir. Par exemple, un bilan de la réforme précédente est indispensable avant de mettre sur la table toutes les pistes d’une réforme ambitieuse, se donnant pour seul horizon la réussite de l’ensemble de nos jeunes, jeunes sur lesquels, faut-il le rappeler, reposent le développement et la prospérité de notre pays.

M. Stéphane Piednoir. Enfin, j’aimerais vous entendre, madame la ministre, sur les modalités selon lesquelles le Parlement sera consulté en vue de faire aboutir cette nouvelle réforme dans le respect strict de nos institutions. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, RDSE, GEST, SER et CRCE.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur l’enseignement professionnel.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Pierre Laurent.)

PRÉSIDENCE DE M. Pierre Laurent

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Bilan de la plateforme Parcoursup

Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, sur le thème : « Quel bilan pour Parcoursup ? »

Madame la ministre, mes chers collègues, je vous rappelle les règles de ce débat : le groupe CRCE disposera d’un temps de présentation de huit minutes, avant que s’expriment les orateurs de chaque groupe ; le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répliquer pendant une minute.

Le temps de réponse du Gouvernement à l’issue du débat sera limité à cinq minutes.

Enfin, le groupe auteur de la demande de débat disposera de cinq minutes pour le conclure.

Dans le débat, la parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour le groupe auteur de la demande.

M. Pierre Ouzoulias, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous vous avons proposé ce débat non seulement pour réaliser un bilan des conséquences de la mise en place de la procédure nationale de préinscription et d’orientation des candidats dénommée Parcoursup, mais aussi pour échanger sur l’université et, plus généralement, sur les missions du service public de l’enseignement supérieur.

Nos sociétés, par leur système productif, restent grandement dépendantes des matières fossiles, le charbon, le pétrole et le gaz, sur lesquelles elles ont bâti leur essor à la fin du XVIIIe siècle. Nul ne conteste plus que les rejets massifs de gaz à effet de serre dans l’atmosphère ont provoqué un réchauffement climatique qui menace désormais notre existence même. Il a fallu près de trois siècles pour développer une économie exploitant à l’extrême les capacités des énergies fossiles. Il ne nous reste plus que quelques décennies pour les abandonner et refonder l’essentiel de nos productions sur d’autres ressources.

Jamais, depuis l’aube de l’humanité, nos sociétés n’ont été confrontées à des défis aussi considérables. Soyons persuadés que seuls le savoir, la recherche et la mobilisation de toutes les intelligences nous permettront de surmonter ces épreuves.

L’université, parce qu’elle forme les esprits dont nous aurons besoin et parce qu’elle participe directement à ce grand effort de surcroît de connaissance, devrait être au cœur de nos politiques ; elle devrait être l’un des objets essentiels de nos priorités publiques. Or les moyens que l’État lui consacre ne cessent de baisser proportionnellement au nombre d’étudiants qu’elle accueille. Bon nombre d’établissements sont au bord de la banqueroute et ne savent pas aujourd’hui comment ils chaufferont leurs bâtiments cet hiver.

Comment expliquer ce paradoxe ? Comment comprendre cette contradiction entre, d’une part, nos énormes besoins en matière de formation et de recherche et, d’autre part, la pauvreté des moyens dont disposent nos universités ?

Quelle est la cause de ce mal français ?

Il procède principalement, à mon avis, du fait que les élites françaises ignorent l’université, si elles ne la méprisent pas. De façon générale, lesdites élites considèrent qu’il n’est point besoin de trop investir dans l’université tant que les grandes écoles continuent d’assurer leur reproduction.

Cette dichotomie entre des grandes écoles bien dotées et des universités nécessiteuses est ancienne ; elle trouve sans doute son origine dans les réformes napoléoniennes. Rappelons que l’État octroie à l’heure actuelle quatre fois plus de financement à un élève de classe préparatoire qu’à un étudiant de licence. Il n’est pas possible d’effectuer un bilan de l’orientation et de Parcoursup sans souligner la disproportion des moyens respectivement accordés à chacun de ces deux systèmes, au sein même du service public de l’enseignement supérieur.

Par le passé, à plusieurs reprises, des gouvernements tentèrent de réduire cette fracture. L’intégration des classes préparatoires au sein des universités fut ainsi l’une des mesures proposées par Edgar Faure dans son projet de réforme de l’université. Une réaction corporatiste, relayée par des ministres importants du gouvernement dont il était membre, eux-mêmes issus des grandes écoles, l’obligea à y renoncer.

Dans ses Mémoires, le général de Gaulle commenta ainsi cet échec : « Ayant moi-même élargi à l’extrême l’enseignement public, je [tins] donc à y faire s’instaurer, depuis le bas jusqu’en haut, l’orientation et la sélection. […] Il me [fut] une fois de plus démontré qu’à moins de faire table rase par la dictature ou par la révolution, aucune institution ne peut vraiment être réformée si ses membres n’y consentent pas. »

MM. Max Brisson et Stéphane Piednoir. Très bien !

M. Pierre Ouzoulias. Je cite à dessein le général de Gaulle, car c’est sous son autorité que le processus de démocratisation de l’université a connu son évolution la plus radicale.

M. Max Brisson. Un discours gaulliste ! (Sourires.)

M. Pierre Ouzoulias. Entre 1958 et 1968, le nombre de bacheliers généraux fut multiplié par trois, comme les effectifs étudiants, qui passèrent de 170 000 à 500 000 ; quant au nombre d’ingénieurs, il doubla. Je rappelle que le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) comptait 6 000 agents en 1958 et 16 000 en 1968.

Cet accroissement sans équivalent fut pensé et organisé pour accompagner des investissements massifs dans tous les domaines de la science et de la technologie. Il fallait des cerveaux pour les programmes très ambitieux consacrés notamment aux industries nucléaire et spatiale.

M. Pierre Ouzoulias. Maurice Duverger a résumé cette politique par cette formule : « Dans les sociétés industrielles, le malthusianisme universitaire est une absurdité. »

Alors que nous sommes présentement confrontés à des défis technologiques bien plus considérables, cette planification réussie, qui lia l’augmentation de l’offre de formation à l’accroissement des moyens de la recherche, doit être prise pour exemple. Il est inconséquent de prétendre porter l’effort de recherche et de développement de la France à 3 % de son PIB sans investir massivement dans ses universités.

La difficulté, je le conçois, est d’organiser cet effort de formation en sorte qu’il participe au développement de nos capacités de recherche tout en préservant la nécessaire autonomie pédagogique des universités, et ce sans amoindrir les ressources d’une recherche fondamentale, dont les apports ne seront effectifs que dans plusieurs décennies. Cette équation très difficile à résoudre oblige l’État à réfléchir – préalable nécessaire – à une programmation, à en discuter les termes avec les scientifiques et à faire in fine des choix politiques, autant de perspectives singulièrement ignorées par la mal nommée loi de programmation de la recherche.

Pour être plus concret, je prendrai l’exemple de la formation des médecins. Afin de réduire les dépenses de santé, il a été décidé, voilà plusieurs dizaines d’années, de diminuer le nombre de médecins formés. La réussite de cette politique est telle qu’il faut maintenant en renverser la logique pour réduire le manque de médecins.

Si chaque université organise en totale autonomie son recrutement, il est douteux que la somme des choix de ces établissements fasse une politique nationale. Dans son rapport sur la mise en œuvre de la réforme de l’accès aux études de santé, notre collègue Sonia de La Provôté a proposé, en vue de mieux satisfaire les besoins des territoires, que le recrutement des étudiants en médecine obéisse à des objectifs infrarégionaux définis nationalement.

La logique qui sous-tend la procédure Parcoursup est radicalement inverse. Sa seule finalité est de donner aux établissements les moyens techniques d’ajuster leur recrutement à leurs ressources budgétaires. En d’autres termes, Parcoursup leur permet de gérer la pénurie en conformant les demandes aux moyens. Parcoursup est le lit de Procuste de l’enseignement supérieur !

Les termes du débat que nous vous proposons dépassent donc la comparaison comptable des mérites respectifs de feu le portail Admission post-bac (APB) et de Parcoursup, ou encore la simple revendication de l’abrogation de cette dernière procédure.

Si notre but est toujours de défendre le principe d’une université républicaine au service de la Nation apprenante, si nous continuons de vouloir « rendre la raison populaire », comme le souhaitait Condorcet, si nous estimons que l’université peut être un outil efficace de l’aménagement du territoire et de la satisfaction d’objectifs scientifiques à long terme, alors il convient de réfléchir ardemment aux conditions d’un dialogue renouvelé entre l’État, garant d’une planification ambitieuse, et les universités, qui la mettent en œuvre dans le respect de l’autonomie des équipes pédagogiques. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes CRCE et Les Républicains. – Mme Monique de Marco applaudit également.)

M. Max Brisson. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Sylvie Retailleau, ministre de lenseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je dois commencer par reconnaître au groupe CRCE et à vous-même, monsieur le sénateur Ouzoulias, un sens aigu du timing : ce matin même s’est ouverte la phase dite de paramétrage des formations, qui inaugure en quelque sorte la session 2023 de Parcoursup. C’est donc à point nommé qu’arrive ce débat.

L’Université, avec un grand U, doit être au cœur de nos politiques – sur ce point, je vous rejoins. Vous imaginez bien que, pour vous répondre, il me faudrait plus de deux minutes, mais, avant de revenir sur Parcoursup, je voudrais vous en dire quelques mots.

Oui, nous défendons encore et toujours le principe d’une université républicaine, c’est-à-dire d’un service public qui fait sienne la notion de méritocratie, mais à l’aube du XXIe siècle.

Oui, les missions de nos établissements d’enseignement supérieur et de recherche, en leur cœur, restent inchangées ; mais elles doivent être inscrites dans notre époque et dans notre société, adaptées aux défis que vous avez cités, qu’aujourd’hui nous avons – que demain nous aurons – à relever.

C’est pourquoi nous allons, avec conviction et responsabilité, engager un dialogue renouvelé avec les universités, mais aussi avec l’ensemble des acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Je dirai un mot rapide, à présent, sur Parcoursup : il faut rappeler que cette procédure assure un échange entre les lycéens et les enseignants des formations post-bac, échange que la loi du 8 décembre 2018 a organisé.

Le débat qui nous réunit ce soir va être l’occasion, je n’en doute pas, de revenir sur le chemin parcouru depuis cinq ans au service des plus de 4,5 millions d’usagers qui ont utilisé Parcoursup depuis 2018 et de discuter des axes autour desquels pourrait tourner le travail par lequel nous devons poursuivre la constante amélioration dont la procédure – j’en suis pleinement consciente – a encore besoin.

M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus.

M. Thomas Dossus. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier mes collègues du groupe communiste pour l’inscription de ce débat essentiel à notre ordre du jour. Il y a beaucoup de choses à dire sur le système Parcoursup dont nous faisons le bilan aujourd’hui.

Créé par la loi de mars 2018 relative à l’orientation et à la réussite des étudiants, le système Parcoursup a organisé l’admission dans les formations d’enseignement supérieur pour la quatrième rentrée cette année. Destiné à remplacer APB, il se voulait plus efficace et plus juste.

Celles et ceux qui en parlent le mieux sont les étudiantes et les étudiants. L’étude Ipsos réalisée chaque année à ce sujet sur un échantillon de plus de 1 000 néo-bacheliers nous donne un aperçu de l’« expérience utilisateurs », pour reprendre les termes de la start-up nation ; les résultats sont sans appel.

Si 74 % des personnes interrogées trouvaient le système fiable en 2020, ce taux n’était plus que de 66 % en 2021 et de 57 % en 2022. Pour ce qui est de l’équité, c’est pire : 48 % des personnes interrogées estimaient que Parcoursup était juste en 2020, contre 28 % en 2022. De même, 60 % d’entre elles jugeaient que le système était transparent en 2020, contre 48 % en 2022. Le seul indicateur en constante augmentation est celui du stress qu’occasionne l’utilisation de la plateforme chez les futurs étudiants : 77 % d’entre eux jugeaient la procédure stressante en 2020, contre 83 % en 2022 !

En résumé, aux yeux des lycéens, Parcoursup n’est ni fiable, ni juste, ni transparent ; à peine la moitié d’entre eux trouvent que ce système leur permet d’exprimer leurs besoins et huit lycéens sur dix le vivent comme une source de stress.

On entend souvent dire que Parcoursup est perfectible ; mais ces chiffres nous indiquent plutôt que tout est à revoir, d’autant que la dernière cohorte à avoir répondu à l’enquête est aussi la première à avoir vécu tout son lycée avec ce système, de la seconde à la terminale.

Pour comprendre les raisons de ce rejet grandissant, soulevons le capot et penchons-nous tour à tour sur les deux objectifs que s’étaient fixés les inspirateurs du système, à savoir l’efficacité et la justice.

En d’autres termes, Parcoursup permet-il de construire efficacement un parcours d’études choisies pour un bachelier ou une bachelière ?

L’efficacité du système est plus que discutable.

Alors qu’APB, déjà assez médiocre, proposait aux futurs étudiants d’établir une hiérarchie entre vingt-quatre filières, prévoyait trois phases d’admission à date fixe et fonctionnait avec un algorithme assez obscur, Parcoursup ne permet que dix choix par candidat, lesquels ne seront hiérarchisés qu’à compter de cette année. Les réponses peuvent intervenir à tout moment et doivent être confirmées en moins de cinq jours. Les algorithmes locaux sont différents selon les unités de formation et de recherche (UFR). Enfin, le processus est organisé en trois phases, une principale et une complémentaire, plus la saisine possible d’une commission ad hoc pour les élèves restants à la fin du processus.

Le résultat est prévisible : une bonne partie des étudiants sont mal accompagnés et font souvent des choix par défaut, anticipant des critères de sélection flous ou opaques. À cela s’ajoutent des délais d’attente parfois impossibles, qui engendrent un stress permanent. Au terme de la première phase de sélection, à la mi-juillet, environ 10 % des candidats, soit plus de 90 000 personnes, se trouvent toujours sans affectation.

La justice du système constitue à mon sens le cœur du problème. Parcoursup laisse chaque UFR établir ses critères, lesquels – on pouvait s’en douter – sont fondés principalement sur les notes, mais aussi sur les lycées d’origine. Des outils automatisés d’aide à la décision, pour ne pas dire d’aide à la sélection, sont également utilisés.

La Cour des comptes a décrit « un fonctionnement nébuleux » des commissions d’examen des vœux et des critères « de plus en plus automatisés ». Elle demande que soient rendus publics les algorithmes utilisés par ces commissions, pour l’ensemble des formations.

Il y aurait encore beaucoup à dire, notamment sur l’incapacité de Parcoursup à combler les manques des services administratifs, en sous-effectif chronique depuis des années, sur le poids qui pèse en termes d’horaires sur les équipes éducatives, qui doivent désormais s’occuper des procédures de classement, sur le marchepied que constitue la plateforme pour les formations privées et sur le coût exorbitant du dispositif.

Si l’on s’en tient aux seuls attendus de départ, efficacité et justice, on peut déjà conclure à un double échec.

Madame la ministre, il est temps d’écouter les futurs étudiants. Le système actuel effectue un tri, souvent arbitraire, interdit un certain nombre de parcours et de filières à de très nombreux étudiants et ouvre grand les portes des filières privées. En plus d’une réforme en profondeur des procédures d’admissions de l’enseignement supérieur, ouvrons et investissons.

Ouvrons de nouvelles filières en adéquation avec les aspirations grandissantes des étudiants pour le savoir du monde de demain.

Investissons massivement dans notre université et dans notre recherche publique, en développant les campus, en créant de nouvelles unités de formation pour accueillir les bacheliers dans les filières qu’ils souhaitent et non pas dans des filières par défaut.

L’université de demain est un idéal qui doit préfigurer la société de demain, inclusive, égalitaire et solidaire. Parcoursup ne contribue pas à nous mener vers cette université au service de l’émancipation, il nous en écarte. C’est pourquoi il est temps de repenser Parcoursup de fond en comble. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)