M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur, vous êtes contre Parcoursup, vous l’avez dit. Tout au contraire, je suis favorable au maintien et à l’amélioration de cette plateforme, qui existe depuis cinq ans et sur laquelle nous avons désormais un retour d’expérience, plutôt qu’à la création d’une nouvelle plateforme pour accompagner nos étudiants vers la réussite.
Vous avez cité des chiffres issus du rapport effectué chaque année par l’Ipsos. Je vous en citerai également, qui figurent dans le même rapport et qui témoignent d’une évolution plutôt positive au cours des années.
Une large majorité des lycéens, soit 89 % d’entre eux, apprécient le fait de trouver sur Parcoursup toutes les formations reconnues par l’État. Cette plateforme constitue une véritable vitrine des formations accessibles à tous les étudiants, dans toute la France. Par ailleurs, 86 % des lycéens apprécient la liberté qui leur est offerte de formuler leurs vœux.
Les indicateurs liés à la phase d’admission progressent également : 72 % des candidats sont satisfaits des réponses des formations à leurs vœux, soit une hausse de 2 points par rapport à 2021. De plus, 68 % d’entre eux sont satisfaits des délais de réponse, soit une augmentation de 4 points par rapport à 2021. Aujourd’hui ces délais, pour la première proposition, s’élèvent à 4,2 jours pour les étudiants.
Oui, je vous l’ai dit, et j’en suis consciente, il convient d’apporter des améliorations au dispositif. Mon collègue Pap Ndiaye et moi-même travaillerons afin d’améliorer l’orientation et de diminuer le stress ressenti, lequel est surtout lié en réalité aux questions que se posent les jeunes sur leur avenir. Une partie du stress est donc normale, c’est sur la partie restante que nous devons agir pour mieux accompagner les lycéens.
Aujourd’hui, les dix vœux sont formulés sans hiérarchie afin que l’étudiant puisse jusqu’au bout choisir sa formation. Avec APB, les élèves formulaient dix vœux en février. Ils obtenaient une réponse sur leur neuvième vœu en juin ou en juillet sans savoir ce qu’il en était du dixième. De ce point de vue, Parcoursup constitue une amélioration en plaçant l’étudiant au centre du dispositif.
C’est l’humain qui est au cœur du système et non pas des algorithmes, les comités d’examen des vœux étant composés d’enseignants du supérieur, en lien avec les lycées. Pour avoir été pendant trente ans à leurs côtés, je puis vous assurer qu’ils ont pour seule mission le bien de nos élèves et de nos étudiants. Nous travaillerons avec eux à améliorer encore cette plateforme. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. Madame la ministre, nous apprécions que vous répondiez systématiquement aux questions qui vous sont posées, ce qui n’est pas toujours le cas de vos collègues du Gouvernement, mais je vous remercie de respecter votre temps de parole en réponse aux orateurs, qui est de deux minutes.
La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quel bilan pour Parcoursup ? Quel est le retour d’expérience ?
Depuis sa création en 2018, la plateforme fonctionne de mieux en mieux. Comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, Parcoursup, créé par la loi du 8 mars 2018 relative à l’orientation et à la réussite des étudiants, est un système qui peut être encore amélioré grâce aux retours d’expérience, mais dont les carences ont néanmoins été corrigées par le ministère chaque année.
Il est impossible d’obtenir un résultat parfait dès la première édition, mais le Gouvernement a su garder une oreille attentive et prendre en compte les demandes des utilisateurs.
Comme vous le savez, les lycéens ou étudiants en recherche d’une réorientation, y compris sous le statut d’apprenti, ont ainsi accès à plus de 21 000 formations supérieures, dont plus de 7 000 en apprentissage. Si la phase d’information officielle ouvre pour cette année le 20 décembre, les jeunes peuvent d’ores et déjà se connecter à la plateforme pour y découvrir les formations. Cette première phase de novembre, avant le conseil de classe, est essentielle pour que chacun puisse préciser l’idée qu’il se fait de son avenir.
Cette information constitue le premier degré de l’égalité des chances. Les établissements sont encore en train de calibrer leurs présentations. En 2022, la plateforme a connu 936 000 candidats, dont 622 000 lycéens.
On a pu entendre que Parcoursup ne leur laissait pas assez de choix : 11,6 millions de vœux et sous-vœux ont été formés pour des formations en statut étudiant, soit plus de douze vœux en moyenne par élève.
On a pu entendre que Parcoursup n’accompagnait pas tous les jeunes et que certains étaient laissés pour compte : pourtant, à l’issue de la phase principale, les candidats sans proposition peuvent solliciter l’accompagnement des commissions d’accès à l’enseignement supérieur (CAES), qui conseillent les recteurs.
On a pu entendre que Parcoursup était trop opaque. Or les jurys doivent désormais produire un rapport public sur les critères ayant motivé les décisions d’admission, mais surtout de non-admission des lycéens.
On a pu entendre, encore, que Parcoursup ne compensait pas suffisamment les inégalités structurelles entre les catégories socioprofessionnelles et les territoires, notamment dans la ruralité. En effet, comme le rappelle la Fédération des territoires aux grandes écoles, qui agit directement auprès des lycéens des territoires ruraux, 17 % des lycées généraux et technologiques fournissent à eux seuls la moitié des effectifs des grandes écoles. Les élèves parisiens ont trois fois plus de chances d’accéder aux études qu’ils appellent de leurs vœux. C’est une réalité. Parcoursup, en tentant de valoriser les dossiers et l’expérience personnelle de chacun, a aussi pour objectif de réduire les inégalités. Il faut un système national ambitieux comme ce dispositif si l’on veut que l’égalité des chances soit réelle.
Que proposent les détracteurs de Parcoursup en remplacement ? Un système fondé seulement sur les bulletins scolaires, qui néglige les parcours individuels ? Un système linéaire, qui laisse la main à l’arbitraire ? Un système de recrutement totalement ouvert, où chaque école ferait son marché et qui créerait une confusion totale ?
Souvenons-nous que, avant Parcoursup, nous avions APB, qui, pour le coup, était très complexe : déclaration de vingt-quatre vœux, tirage au sort, algorithmes mal calibrés, manque d’informations, autant de défauts qui faisaient de l’orientation des lycéens un véritable parcours du combattant et qui ont été largement critiqués.
Sur Parcoursup, les vœux ne sont plus classés. Les établissements examinent tous les dossiers reçus et l’étudiant peut se réserver le droit d’attendre une proposition qu’il estime plus intéressante. Le moteur de recherche favorise la mobilité des étudiants et leur capacité de choix. L’abandon du principe de classement des vœux a permis aux boursiers de moins s’autocensurer.
Doit-on regretter les files d’attente devant les universités ? Doit-on regretter le tirage au sort d’APB ? Parcoursup apporte une réponse efficace à ces deux défauts.
Mes chers collègues, œuvrons ensemble à améliorer Parcoursup au service de notre jeunesse au lieu de critiquer ce fameux « algorithme », d’autant que ce sont bel et bien des agents qui travaillent derrière cette plateforme !
Madame la ministre, au mois de juillet dernier, lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement, je vous interrogeais au sujet des lycéens qui n’avaient pas encore reçu de réponse favorable sur Parcoursup. Vous m’aviez alors répondu que Parcoursup n’était pas qu’un outil, mais qu’il s’agissait aussi d’un processus humain prévoyant l’accompagnement de tous nos élèves par des milliers d’enseignants et professionnels de l’orientation, en lycée et dans les rectorats. Neuf lycéens sur dix avaient alors reçu au moins une proposition. Vous aviez très justement souligné que s’il était bien d’entrer dans l’enseignement supérieur, il fallait surtout y réussir !
Or, en deux ans, entre 2018 et 2020, le taux de réussite en premier cycle et en licence est passé de 40 % à 45 %, et le taux de boursiers de 20 % à 25 %. C’est un succès dont je me félicite, ainsi que le groupe RDPI.
Cette réussite reste perfectible, mais la procédure a déjà gagné en transparence et en lisibilité. En 2022, la phase principale a été accélérée pour améliorer le temps de réponse aux candidats. Votre projet, madame la ministre, est d’améliorer l’objectivité du processus et sa lisibilité pour la session de 2023. Où en sommes-nous aujourd’hui du développement des améliorations continues prévues sur cette plateforme, qui évolue dans le bon sens depuis sa création ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Madame la sénatrice, je vous remercie tout d’abord de vos propos, qui permettent de resituer les enjeux, les progrès et les améliorations.
Parcoursup n’est pas qu’une plateforme, c’est vrai, car bien des responsabilités sont en jeu dans l’accès à l’enseignement supérieur, il ne faut pas se le cacher. C’est la raison pour laquelle le travail d’amélioration en continu que vous avez évoqué doit être mené avec toutes les parties prenantes du secondaire et du supérieur.
Parcoursup a été amélioré depuis cinq ans pour mieux servir les intérêts des jeunes et écouter les étudiants, comme en témoignent les lycéens au travers de l’étude d’opinion publiée en septembre dernier. Oui, madame la sénatrice, l’accompagnement à l’orientation au lycée existe et nous allons continuer à l’améliorer. Oui, Parcoursup fournit des informations permettant de faire un choix. Là aussi, des progrès seront réalisés dès cette année. Oui, les délais de réponse ont été raccourcis. Nous allons encore les diminuer et accroître la transparence sur les critères.
Cette année, seuls 160 étudiants n’avaient pas trouvé de place. Après l’intervention des CAES et la mise en place d’un suivi spécifique pour favoriser leur intégration dans l’enseignement supérieur, il n’en restait plus que 33.
Nous nous engageons à continuer à améliorer Parcoursup sur tous ces volets dès 2023, en mettant l’accent sur quatre axes stratégiques que je vous présenterai. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert.
Mme Sylvie Robert. Madame la ministre, tenter de tirer un bilan constructif de Parcoursup suppose d’éviter deux écueils : un optimisme débridé face à la capacité de l’outil à apparier un nombre important d’étudiants avec de multiples formations, sans même questionner la pertinence de cet appariement ; à l’inverse, une critique sans mesure, qui tend à confondre l’algorithme Parcoursup avec la procédure Parcoursup. En somme, il faut éviter tout manichéisme.
J’aborderai donc ce débat à travers une problématique générale : de quoi Parcoursup, par ses sous-jacents, ses modalités et ses implications, est-il le révélateur en matière d’orientation des jeunes ?
Si nous nous référons à la loi originelle de 2018, la création de Parcoursup répondait à un double objectif : mieux orienter les jeunes et garantir la réussite des étudiants, l’orientation étant la condition sine qua non de cette réussite.
Or, en l’état, Parcoursup révèle la prédominance d’une conception de l’orientation : celle de l’appariement, celle de la gestion urgente des flux eu égard à la démographie estudiantine. Conséquence directe : les étudiants n’ont plus nécessairement le choix de leur orientation. Ils peuvent la subir, en particulier lorsqu’ils se destinent aux filières en tension. Leur liberté de choix devient alors conditionnelle. C’est une réalité que notre groupe politique n’a eu de cesse de dénoncer et qui va à rebours de ce que préconisait le Conseil économique, social et environnemental (Cese) dans son avis de 2018 sur l’orientation des jeunes.
Il n’est pas admissible que le manque de places dans certaines formations contraigne des étudiants à accepter des choix parfois éloignés de leur vœu premier. Malheureusement et mécaniquement, cette tendance est aussi de plus en plus prégnante à l’entrée en master.
Ainsi, Parcoursup révèle l’institutionnalisation d’une sélection partielle à l’entrée dans le supérieur pour endiguer la pénurie de places résultant du manque de moyens. Pour la justifier, certains ont avancé qu’il valait mieux effectuer cette sélection qu’être confronté à l’échec qui prévalait en licence auparavant. Je répondrai que ni la généralisation de l’échec ni celle de la sélection ne sont souhaitables. S’il était insatisfaisant de se reposer uniquement sur le principe d’égal accès au supérieur sans œuvrer concrètement à la réussite de chaque étudiante, il est tout aussi inacceptable de fermer a priori les portes de certaines filières, pourtant censées être ouvertes à tous.
Dès lors que la sélection est de mise, l’enjeu de son acceptabilité par les candidats devient central. C’est pourquoi l’évolution vers le système Parcoursup a entraîné des transformations, parfois positives, dans les modalités d’orientation des jeunes. La politique d’orientation commence à se structurer autour d’un continuum bac–3/bac+3. En ce sens, la mise en place de Parcoursup doit impérativement se lire à l’aune de la réforme du baccalauréat.
En termes d’orientation, les améliorations sont de deux ordres.
En amont, comme vous l’avez souligné, madame la ministre, nous relevons une réelle amélioration de l’information mise à disposition des candidats : Parcoursup est un portail, qui peut être d’ailleurs vertigineux, comprenant les attendus nationaux et locaux pour chaque formation, leur taux d’insertion professionnelle, etc. Cependant, rendre accessible l’information ne signifie aucunement qu’elle sera décryptée comme il se doit, d’où l’importance – une fois de plus – de l’accompagnement dans l’orientation.
En aval, nous notons le début d’un accompagnement personnalisé en licence avec les « oui si ». Il serait opportun, madame la ministre, d’avoir une évaluation nationale sur la mise en œuvre des « oui si » dans les établissements du supérieur pour analyser les freins ainsi que les éventuels aménagements auxquels procéder pour rendre le dispositif plus opérant.
Rappelons que le législateur, singulièrement au Sénat, a concédé la création de Parcoursup sous réserve de l’effectivité des modules complémentaires, qui devaient permettre aux étudiants de se mettre à niveau pour suivre l’orientation de leur choix. Pour ma part, je pense que cet accompagnement doit être encore plus renforcé et personnalisé, car il est la clé de la réussite des étudiants.
Par ailleurs, Parcoursup révèle un changement profond en matière de responsabilité dans le processus d’orientation. D’aucuns ont évoqué un transfert de responsabilité. Ce transfert s’effectue dans deux directions.
Il s’opère d’abord vers les universités et les équipes pédagogiques, qui, à travers les commissions d’examen des vœux, sont maintenant responsables de la sélection qu’elles peuvent effectuer. Elles font un travail – vous l’avez rappelé, madame la ministre – très important, qu’il convient de saluer. Ce changement de paradigme, corollaire de l’autonomisation croissante des universités, explique le combat que nous avons mené en faveur de la transparence des algorithmes dits « locaux », combat mené en commun avec mon collègue Pierre Ouzoulias depuis plusieurs années.
Je me réjouis de l’obligation qui est désormais faite aux établissements de publier ex post un rapport d’examen des vœux faisant état des critères qui ont présidé à la décision. Il est indéniable que la transparence a progressé depuis 2018, malgré les dénis et refus répétés de la précédente ministre, mais elle peut encore être affermie, sans pour autant porter atteinte au secret des délibérations.
Le transfert de responsabilité s’opère ensuite vers les étudiants, rendus encore plus responsables de leur orientation. Deux lectures complémentaires sont possibles à cet endroit.
La première est méliorative : obliger les étudiants à penser leur projet d’orientation plus tôt au lycée, à le formaliser de manière plus détaillée et explicite, est positif. Cela les rend encore plus acteurs de leur orientation, les conduit à se l’approprier et facilite la transition vers le supérieur. Je pense, notamment, au projet de formation motivé, à la fiche Avenir, etc.
La deuxième est plus nuancée dès lors que nous raisonnons concrètement. Dans le monde de Parcoursup, tout se passe comme si les étudiants étaient égaux devant l’orientation. Or les sociologues de l’éducation l’ont démontré depuis longtemps : en l’espèce, comme dans nombre de domaines, nulle égalité réelle ne prévaut. D’ailleurs, la mission de suivi de l’évaluation de l’accès à l’enseignement supérieur de 2020, réalisée par l’Assemblée nationale, ne s’y trompe pas.
Si l’octroi d’un second professeur principal dédié à l’orientation, la consécration de deux semaines destinées à l’orientation en terminale et la mise en réserve de cinquante-quatre heures sur l’ensemble du lycée sont bénéfiques, leur application et leurs contenus sont très inégaux et aléatoires.
M. Max Brisson. C’est évident !
Mme Sylvie Robert. Pis, beaucoup de professeurs principaux ne s’estiment pas suffisamment formés, si bien que plusieurs académies ont fait part de difficultés de recrutement. De la même manière, de nombreux chefs d’établissement pensent devoir être formés à l’orientation. Ces statistiques expliquent pourquoi près d’un tiers des lycéens n’ont parfois pas bénéficié de conseils au moment de leur choix d’orientation.
M. Max Brisson. Tout à fait !
Mme Sylvie Robert. Dans ce contexte, il est plus aisé de comprendre le sentiment d’injustice et d’amertume qui peut saisir les étudiants lorsqu’ils sont refusés dans la formation de leur choix. Ils se sentent responsables d’un échec qui n’est pourtant pas le leur.
Naturellement, Parcoursup n’est pas la seule cause du déficit dans l’accompagnement dans l’orientation des élèves. C’est la raison pour laquelle, en introduction, j’ai plutôt évoqué Parcoursup comme un révélateur : peut-être plus que toute autre considération, Parcoursup révèle le lourd investissement qu’il reste à réaliser pour structurer et améliorer encore notre politique d’orientation, qui constitue depuis des décennies le talon d’Achille de nos politiques publiques.
Car la politique d’orientation est le viatique par lequel lutter efficacement contre les déterminismes de toute nature et par lequel accroître la mobilité sociale. Elle est d’autant plus indispensable que le système de l’enseignement supérieur se caractérise par une forte étanchéité entre les filières – héritées du secondaire – et par l’existence de passerelles encore trop rares. Si la politique d’orientation n’est ni proactive, ni corrective, ni compensatoire, alors les étudiants se trouvent enfermés dans une trajectoire qu’ils ne peuvent plus maîtriser.
La moindre inflexion peut jouer : songez ainsi, mes chers collègues, à la réforme de l’enseignement des mathématiques au lycée. Voyez qu’elles en ont très rapidement été les conséquences profondes !
M. Stéphane Piednoir. On l’avait dit !
Mme Sylvie Robert. En réalité, l’orientation ne s’arrête pas au continuum bac–3/bac+3. Elle est un processus long, complexe et intime, lié aux conditions personnelles de chaque élève. Le Cese, dans son avis, avait parfaitement intégré cette dimension en préconisant de « passer de procédures ponctuelles à un parcours progressif d’orientation choisie », ce qui implique, tout au long de la scolarité, un travail de déconstruction des déterminismes sociaux et un accompagnement personnalisé de chaque élève pour construire son futur désirable.
Cet accompagnement est d’autant plus vital que les chercheurs ont mis en lumière à quel point, dans le secteur de l’éducation, les inégalités se sédimentent et se cumulent, atteignant ainsi leur paroxysme au moment de la procédure, car Parcoursup peut matérialiser toutes les inégalités passées et, dans certains cas, les reproduire. Autrement dit, Parcoursup pourrait être le produit de notre système scolaire !
L’enjeu est donc primordial, madame la ministre. Nous avons besoin d’un investissement massif dans notre politique d’orientation, mais aussi dans l’enseignement supérieur. C’est un enjeu démocratique majeur. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Madame la sénatrice, je vous remercie infiniment de votre intervention, qui pose les véritables enjeux de l’accès à l’enseignement supérieur, en particulier en matière d’orientation.
Notre conviction profonde est qu’il faut inscrire l’accompagnement à l’orientation au centre du dispositif. Pour être en tout point démocratique, notre système éducatif doit effectivement donner une réelle visibilité à l’éducation, à l’orientation et à l’aide au choix.
Les professeurs principaux, vous l’avez souligné, ont été désignés en classe de terminale, des ressources ont déjà été développées : cela se mesure dans les lycées, comme en témoignent les études d’opinion, ainsi que les progrès enregistrés jusqu’à présent.
Bien sûr, il importe de faire mieux en accompagnant davantage, notamment les professeurs principaux. Nous devons les aider à accompagner leurs s’élèves, qui s’intéressent à leur formation post-bac dès les premières années au lycée. Telle est notre ambition avec le ministre de l’éducation nationale. Nous y travaillons, en particulier avec l’Office national d’information sur les enseignements et les professions (Onisep).
Permettez-moi de revenir sur le bilan des « oui si ». Ce bilan important sera réalisé dans le cadre du développement du continuum bac–3/bac+3, avec un focus particulier sur le + 1 à l’entrée à l’université ou dans le supérieur. Il existe aujourd’hui 1 700 dispositifs « oui si » : 2 700 étudiants en bénéficient en 2022. En tout état de cause, une réelle évaluation doit être faite.
Je vous rejoins également s’agissant des passerelles. Aujourd’hui, nos étudiants ne peuvent pas avoir un parcours linéaire : un parcours de réussite, c’est avant tout un parcours d’accompagnement fait de passerelles, d’écoute et de suivi. Nous continuerons donc de travailler en ce sens. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Madame la ministre, les résultats de la plateforme Parcoursup sont désolants.
Le ministère a beau indiquer que seuls 160 lycéens n’ont pas trouvé de place, ce sont en fait plusieurs dizaines de milliers de bacheliers qui n’ont pu accéder à l’enseignement supérieur cette année.
Parcoursup est un instrument de gestion de la pénurie au sein de l’enseignement supérieur. Depuis 2008, le budget par étudiant ne cesse de baisser et le taux d’encadrement de régresser.
Entre 2012 et 2017, seules 19 universités sur 68 ont vu la part des enseignants titulaires augmenter. Le taux d’encadrement s’est timidement amélioré dans uniquement douze d’entre elles. Cela a de lourdes conséquences pour l’ensemble de la société.
Ainsi, alors que nous manquons de médecins dans un nombre grandissant de territoires, alors qu’il y a une véritable affluence des candidatures pour les études de santé sur Parcoursup – avec les instituts en soins infirmiers, ce sont celles qui sont les plus demandées –, les capacités d’accueil dans nos universités empêchent non seulement des jeunes d’épouser les carrières auxquelles ils aspirent, mais également de lutter efficacement contre la désertification médicale.
La saturation de notre système public d’enseignement supérieur pousse de plus en plus d’élèves à se tourner vers des formations privées : 25 % des étudiants du supérieur y sont inscrits. Rien que pour l’année 2021-2022, le marché privé de l’enseignement supérieur a progressé de 10 %, quand le périmètre de l’université n’a augmenté que de 0,4 %.
Parcoursup est aussi un système qui accroît les inégalités, ces inégalités que la réforme du lycée et du bac renforce en faisant peser sur les épaules d’adolescents âgés de 15 ans ou 16 ans la responsabilité du choix des disciplines de spécialité, lesquelles doivent correspondre aux attendus de l’établissement d’enseignement supérieur qu’ils souhaitent intégrer. Les cinquante-quatre heures d’orientation dispensées par les profs principaux sont d’un bien maigre secours dans ce contexte !
Dans une enquête de l’Observatoire national de la vie étudiante, 56 % des étudiants des classes populaires indiquent que leurs proches ou leur famille leur ont permis de construire leurs choix d’orientation, contre 76 % dans les classes dominantes. Le constat du Conseil d’analyse économique est implacable : un jeune issu d’une famille aisée a trois fois plus de chances d’accéder à l’enseignement supérieur qu’un jeune d’une famille aux revenus modestes.
Il y a donc une disparité entre jeunes, mais aussi entre les universités. À l’université Paris I, le nombre de néobacheliers avec mention accueillis progresse significativement. À l’inverse, la part de ceux qui sont âgés de plus de 19 ans diminue. En revanche, l’université d’Évry, elle, voit diminuer sa part de néobacheliers généraux, ainsi que celle de bacheliers ayant été reçus avec mention.
On pourrait aussi évoquer les bacheliers des filières professionnelles, qui accèdent de plus en plus rarement à la licence, leur nombre dans les filières sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps) étant en baisse notable.
Certains diront sans doute que nous faisons une lecture idéologique de Parcoursup et de ses algorithmes. Adoptons donc une lecture pragmatique et voyons si la plateforme assure la régulation des métiers dont notre société a besoin. En réalité, tel n’est pas le cas non plus !
Le récent rapport de notre collègue Catherine Deroche et de la commission d’enquête sénatoriale sur la situation de l’hôpital a montré, par exemple, que les candidats à l’entrée en instituts de formation en soins infirmiers étaient près de 690 000 en 2021, contre 180 000 il y a quatre ans, à l’époque où existait le concours. De quoi résorber la pénurie de soignants que nous connaissons aujourd’hui ? Au contraire ! On connaît actuellement un taux d’abandon sans précédent au cours de la formation, qui alimente la pénurie.
La trop faible mixité dans certaines filières et la ségrégation sociale à l’œuvre constituent un problème qui dépasse largement la seule éthique. Par exemple, 2 000 bacheliers titulaires du baccalauréat technologique sciences et technologies de la santé et du social (ST2S), soit tout de même plus de 20 % des effectifs de ce bac, se sont trouvés exclus en 2019, via Parcoursup, de la formation d’infirmiers à laquelle ils s’étaient pourtant destinés en choisissant, précisément, ce baccalauréat. Combien d’autres ont connu le même sort depuis ? Ils nous manquent aujourd’hui, notamment dans les hôpitaux.
Il en est de même pour ce qui concerne les études de médecine. Nous ne résorberons pas les déserts médicaux qui gagnent nos villes moyennes et nos zones rurales tant qu’accéderont à ces études quasi exclusivement des jeunes issus de filières scientifiques, ayant obtenu leur bac avec mention « très bien » et grandi dans des métropoles ou des villes universitaires.
La démocratisation de l’enseignement supérieur est donc une nécessité pour répondre aux besoins de notre pays, tout comme l’investissement massif dont il doit bénéficier. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST.)