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Souhaits de bienvenue à de jeunes citoyens en tribune

M. le président. Messieurs les ministres, mes chers collègues, nous sommes très heureux d’accueillir dans notre tribune, dans le cadre de la journée européenne de sensibilisation au handicap, dite DuoDay, des personnes en situation de handicap qui vont découvrir le fonctionnement de notre institution auprès de plusieurs de nos collègues, comme ils l’ont fait ce matin à la présidence du Sénat. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)

Le Sénat est pleinement mobilisé pour l’inclusion des personnes en situation de handicap dans le monde du travail, notamment au travers de ces journées d’échanges, qui constituent un moment privilégié pour changer de regard et, ensemble, dépasser nos préjugés.

Au nom du Sénat tout entier, je leur souhaite la plus cordiale bienvenue, ainsi qu’à ceux qui les accompagnent. (Applaudissements prolongés.)

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2023
Discussion générale (suite)

Loi de finances pour 2023

Suite de la discussion d’un projet de loi

M. le président. Nous reprenons l’examen du projet de loi de finances pour 2023, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution.

Discussion générale (suite)

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2023
Exception d'irrecevabilité

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le ministre, cher Bruno Le Maire, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite à mon tour saluer l’initiative du DuoDay, qui s’inscrit dans le cadre de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées. Nous sommes tous ici très attachés à cet enjeu.

Vous me permettrez donc d’avoir un mot particulier pour deux conseillers qui sont au banc du Gouvernement aujourd’hui : Khalil Ibrahim Hamzaoui, mon « duo », qui est docteur en informatique et qui a fait le tour de France en fauteuil roulant, parcourant ainsi 3 000 kilomètres (Applaudissements.), et Arnaud Boeglin, qui accompagne Bruno Le Maire.

Nous étions réunis ici hier soir pour examiner le deuxième projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour cette année 2022. Je tiens à remercier l’ensemble des sénateurs qui étaient présents de la qualité des échanges que nous avons eus.

Je l’ai dit, et Bruno Le Maire vient de le rappeler, au vu de la situation économique de notre pays, le climat d’incertitude dans lequel nous devons évoluer est réel ; je n’y reviendrai pas.

Hier soir, cet hémicycle a voté pour donner aux Français des moyens supplémentaires de combattre la vie chère.

Avec l’ouverture de ces 2,5 milliards d’euros, nous allons aider les Français à se chauffer et à se déplacer et nos étudiants et chercheurs à travailler dans de bonnes conditions. Nous allons financer la bataille en faveur du plein emploi et poursuivre notre engagement sans faille aux côtés du peuple ukrainien. Tout cela, nous le ferons en tenant l’objectif de déficit que nous avions fixé pour 2022, car il est hors de question – Bruno Le Maire l’a souligné – de laisser déraper nos comptes.

Je sais évidemment que l’adoption de cette loi financière n’efface en rien les clivages qui nous séparent. J’ai conscience que nous aurons, durant la discussion qui s’ouvre, un débat extrêmement nourri sur un certain nombre de sujets. Je pense notamment à la suppression de la CVAE et, aussi, aux modalités du filet de sécurité que nous allons mettre en place pour protéger les collectivités qui en ont besoin face à la flambée des prix de l’énergie.

L’année qui s’achève a été celle d’un choix politique et économique extrêmement clair : protéger les ménages, les entreprises et les collectivités locales face à la hausse des prix. C’est un choix de justice, mais aussi d’efficacité.

Cette stratégie est efficace, parce qu’il vaut mieux investir pour préserver que payer pour réparer.

Le budget que nous présentons pour l’année prochaine traduit la continuité de cette stratégie sans jamais perdre de vue que l’argent public est l’argent des Français et que chaque euro investi doit être un euro efficace.

Mais protéger les Français, ce n’est pas se satisfaire d’une politique du chèque ou d’une vision court-termiste. C’est assumer qu’il faut à la fois répondre aux urgences du quotidien, financer l’action publique, préparer l’avenir et protéger nos comptes.

C’est autour de ces quatre axes que s’articule notre action, et il n’y a pas à choisir parmi ces objectifs, même s’ils peuvent parfois sembler contradictoires. Car, en réalité, il faut tout mener de front.

Le premier axe de ce projet de loi de finances est de répondre à l’urgence de la fin du mois, dans un contexte où l’inflation demeure à un niveau élevé, +6,2 % au mois d’octobre 2022 par rapport à son niveau d’octobre 2021.

Répondre à l’urgence, nous le faisons avec le maintien des boucliers énergétiques l’année prochaine, tout en prévoyant une hausse contenue à 15 %. Concrètement, si cette mesure n’était pas votée, dès le début de l’année prochaine, un ménage chauffé à l’électricité payerait en moyenne 121 euros de plus par mois, tandis qu’un ménage chauffé au gaz verrait ses factures alourdies, également en moyenne, de 185 euros par mois.

Répondre à l’urgence, nous le faisons aussi avec l’indexation du barème de l’impôt sur le revenu. Bien sûr, c’est un ajustement qui est fait chaque année. Mais lorsque l’inflation dépasse les 5 %, chacun comprendra que la décision n’a pas la même portée ; lors de certaines années, d’ailleurs, nous n’avons pas procédé à cette indexation.

Le coût de cette mesure témoigne de sa portée, puisque ce sont 6,2 milliards d’euros que nous rendons aux Français ou – pour être plus précis – auxquels nous renonçons pour préserver leur portefeuille.

Oui, nous voulons continuer à redonner du pouvoir d’achat aux Français. Je veux d’ailleurs souligner que, parmi les amendements retenus en première lecture dans le texte considéré comme adopté par l’Assemblée nationale, figurent un certain nombre de mesures qui vont redonner de l’oxygène au pays.

Redonner de l’oxygène à ceux qui travaillent, avec la hausse de la valeur faciale des titres-restaurants de 11,84 à 13 euros.

Redonner de l’oxygène aux parents qui doivent faire garder leurs enfants, avec la hausse de 50 % du plafond du crédit d’impôt pour garde d’enfants, porté à 3 500 euros.

Redonner de l’oxygène à nos entrepreneurs, avec la hausse du plafond permettant de bénéficier du taux réduit d’impôt sur les sociétés (IS) pour les PME.

Redonner de l’oxygène à nos agriculteurs, avec la prorogation jusqu’à 2025 de la déduction pour épargne de précaution (DEP), ainsi que de son indexation sur l’inflation.

Le deuxième axe de ce projet de loi de finances est d’assurer le réarmement de nos fonctions régaliennes, pour tenir les engagements pris devant les Français durant la campagne présidentielle.

Ce projet de loi de finances prévoit plus de moyens pour la police, pour la justice et pour nos armées, dans un contexte géopolitique à haut risque.

Dans le cadre de la loi de programmation militaire (LPM), ce texte prévoit une hausse de 3 milliards d’euros pour la mission « Défense ».

Vous me permettrez de m’arrêter un instant sur les lois de programmation militaire, afin de vous montrer l’ampleur de l’engagement budgétaire que nous consacrons aujourd’hui à nos armées. Loi de programmation militaire 2009-2014 : 182 milliards d’euros sur six ans, soit 30 milliards par an en moyenne ; loi de programmation militaire 2014-2019 : 191 milliards d’euros sur six ans, soit 32 milliards par an, en hausse de 6 % par rapport à la loi de programmation précédente ; loi de programmation militaire 2019-2025, celle qui est actuellement mise en œuvre : 295 milliards d’euros sur sept ans, soit 42 milliards par an, ce qui représente une augmentation de 31 % par rapport à la loi de programmation précédente.

Nous vous proposons de voter 1,4 million d’euros de crédits supplémentaires pour améliorer les moyens de nos forces de sécurité, notamment en termes d’équipements et de technologies numériques, mais également pour renforcer la présence des policiers et gendarmes sur la voie publique, conformément à la trajectoire prévue dans la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), que vous avez adoptée très largement ici et qui prévoit 8 500 créations de postes sur le quinquennat.

Enfin, nous poursuivons le renforcement des moyens du ministère de la justice, avec une nouvelle hausse de 8 % pour la troisième année consécutive. Depuis 2017, le budget de ce ministère aura augmenté de plus de 40 % pour réarmer cette fonction régalienne essentielle pour notre pays.

Vous le voyez, ce que nous présentons, c’est un projet de réarmement de nos services publics.

Le troisième axe de ce texte, c’est de préparer l’avenir.

Préparer l’avenir, c’est faire le pari de l’éducation ; c’est gagner la bataille du plein emploi ; c’est accélérer la transition écologique.

L’année prochaine, le budget de l’éducation nationale va augmenter de 3,7 milliards d’euros. Comme nous nous y étions engagés pendant la campagne, aucun professeur ne commencera sa carrière en gagnant moins de 2 000 euros nets par mois.

Préparer l’avenir, c’est aussi gagner la bataille du plein emploi. C’est l’objectif que nous avons fixé à l’horizon 2027. Ce sont ainsi 6,7 milliards d’euros de crédits supplémentaires qui seront investis dans l’emploi et l’apprentissage, pour atteindre le million d’apprentis d’ici à 2027.

Mais, je le dis clairement – et Bruno Le Maire l’a d’ailleurs rappelé –, nous ne gagnerons pas la bataille du plein emploi avec plus de pression fiscale. C’est la raison pour laquelle nous avons rendu 54 milliards d’euros aux ménages et aux entreprises au cours des cinq dernières années. Et c’est la raison pour laquelle nous souhaitons mener à son terme la suppression de la CVAE, même si, pour tenir nos comptes publics, cela se fera sur deux exercices budgétaires.

Sur ce sujet, je sais que cet hémicycle est loin d’être un terrain conquis, en tout cas s’agissant du calendrier qui figure dans le projet de loi initial. Sur certaines travées, il existe une opposition de principe à l’idée même de supprimer des impôts de production ; sur d’autres, il y a une volonté de différer à l’année prochaine la suppression de cet impôt.

Pour ma part, je crois que l’amélioration de notre compétitivité doit rester un objectif central, dans un contexte où la hausse des prix de l’énergie met nos entreprises à rude épreuve ; les présidents de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) et du Mouvement des entreprises de France (Medef) l’ont d’ailleurs rappelé lors des dernières heures.

Préparer l’avenir, c’est enfin protéger la planète. À cet égard, ce PLF prévoit le financement de politiques ambitieuses en faveur des transitions écologique, énergétique et territoriale, telles que le fonds vert pour l’investissement des collectivités, le plan Vélo, pour 250 millions d’euros, et une augmentation de 500 millions des crédits dédiés à MaPrimeRénov’.

En ce qui concerne la rénovation énergétique des bâtiments, je veux souligner un certain nombre d’avancées durant l’examen des différents textes financiers.

Le rétablissement du crédit d’impôt dont peuvent bénéficier les PME pour leurs travaux de rénovation provient d’un amendement du groupe Les Républicains de l’Assemblée nationale, porté par la députée Émilie Bonnivard, que nous avons retenu dans le PLF.

Je pense aussi à la prolongation d’une année de l’éligibilité à MaPrimeRénov’ sans condition de ressources, également issue d’un amendement des Républicains, porté par la députée Véronique Louwagie, que nous avons intégré au projet de loi de finances rectificative.

Le quatrième axe de ce texte, c’est le refus du laisser-aller budgétaire.

Comme ministre des comptes publics, je continuerai à défendre le passage du « quoi qu’il en coûte » au « combien ça coûte », parce que l’argent public ne sera jamais de l’argent magique.

Oui, malgré les aléas, nous poursuivons le rétablissement des comptes amorcé dès 2021, en stabilisant le solde public à 5 % cette année comme en 2023, alors qu’il était – je le rappelle – de 8,9 % en 2020 et de 6,5 % en 2021. Nous proposons une trajectoire pour revenir sous les 3 % d’ici à 2027.

Nous y parviendrons parce que nous pourrons compter sur des recettes fiscales importantes encore l’an prochain, notamment de TVA et d’impôt sur les sociétés liées à la bonne tenue de l’activité ces derniers mois.

Nous y parviendrons aussi grâce aux recettes liées à la contribution sur les rentes inframarginales, qui devraient s’élever – l’estimation a été revue à la hausse – à 11 milliards d’euros l’année prochaine. Ce projet de loi de finances rend cela possible, puisqu’il intègre les mécanismes européens qui nous permettent de faire contribuer les énergéticiens bénéficiant d’une rente liée à l’envolée des prix. Je sais que nous aurons de nouveau un débat sur les superprofits, après celui que nous avons eu cet été lors de l’examen du précédent PLFR. Avec Bruno Le Maire, nous avions alors renvoyé le sujet à une discussion à l’échelon européen.

À l’époque, certains nous avaient dit que cette réponse était une forme de manœuvre dilatoire pour enjamber le débat, et qu’on savait bien qu’à la fin, il ne se passerait rien. Et pourtant, il s’est passé quelque chose ! Et même quelque chose de massif : un accord européen sur un mécanisme de taxation des superprofits que nous transcrivons dans ce PLF. Ce mécanisme permettra de capter 11 milliards d’euros de superprofits sur les énergéticiens l’an prochain et de financer une partie importante du bouclier tarifaire pour protéger les Français.

Cette trajectoire de sérieux que j’évoquais, nous la tiendrons en 2023 et les années suivantes, afin d’assurer la stabilisation de la dette et le retour du déficit sous la barre des 3 %. Je sais que la majorité sénatoriale souhaite un rythme plus soutenu dans la consolidation des finances publiques. Je l’ai dit hier, au regard de la situation économique, engager une baisse trop brutale de la dépense publique pourrait avoir des effets dévastateurs sur nos services publics et l’activité économique et, plus globalement, sur la cohésion de notre société.

Dans les propositions qui sont émises par le Sénat, figure notamment le fait de rehausser l’effort de maîtrise de dépenses en volume de l’État pour faire passer la baisse de -0,4 % à –0,5 %, à parité avec celle des collectivités locales. Bruno Le Maire vient de l’évoquer, nous sommes ouverts sur le sujet.

Parvenir à maîtriser la trajectoire des dépenses publiques suppose de partager un même sentiment de responsabilité vis-à-vis de notre pays, de sa crédibilité, de sa capacité d’action et de son indépendance. Cela suppose aussi de répartir l’effort entre l’ensemble des administrations publiques : l’État et ses opérateurs, la sécurité sociale et les collectivités territoriales. Nous aurons cette discussion durant l’examen du PLF.

Les débats seront vifs, mais je ne doute pas que nous saurons trouver ensemble une voie d’équilibre. Chacun à notre place, chacun avec nos convictions, nous défendons l’intérêt de notre pays.

Le moment que nous traversons et les défis auxquels nous faisons face – le défi géopolitique avec la crise en Ukraine, le défi climatique, le défi démographique – nous appellent à trouver ensemble des pistes, à prendre des décisions et des mesures, et à définir les axes qui nous permettront d’agir pour l’intérêt des Français. Vous nous trouverez toujours, Bruno Le Maire et moi, à vos côtés pour avancer dans cette direction. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP et sur des travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous entamons aujourd’hui au Sénat l’examen du projet de loi de finances pour 2023, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale, après utilisation de la procédure de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution.

Ce texte s’inscrit dans le droit-fil du projet de loi de programmation des finances publiques, qui vient d’être voté après avoir été largement amendé ici au Sénat et qui est porteur d’une ambition volontariste pour le rétablissement des comptes publics.

Nous avions pointé à cette occasion que le Gouvernement faisait preuve d’un trop grand optimisme dans le choix de ses prévisions macroéconomiques et d’un trop faible volontarisme dans la maîtrise des comptes publics. Je maintiens ces critiques.

En 2022 et, pour ce qu’il nous est permis d’en savoir, en 2023, l’économie française a été et demeurera soumise à de nombreux chocs exogènes. Le plus important d’entre eux est, bien entendu, la hausse du prix des énergies, qui a conduit, comme l’a indiqué l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), à amputer la croissance économique d’environ 2,5 points de PIB entre 2021 et 2023.

Mais d’autres chocs doivent être considérés, à commencer par l’effet de la remontée des taux d’intérêt, qui, en cumulé, pourrait représenter une perte de croissance de près d’un point de PIB.

La prévision de croissance du PIB retenue par le Gouvernement pour l’année 2023 est, de mon point de vue, trop optimiste. L’hypothèse d’une augmentation de 1 % est à ce jour très éloignée du consensus des économistes. Surtout, elle ne tient pas compte d’événements conjoncturels récents, qu’il s’agisse du ralentissement de l’activité au troisième trimestre 2022, de la hausse des taux directeurs de la Banque centrale européenne (BCE) ou de la prévision de récession en Allemagne et de stagnation de l’activité en zone euro.

Nous avons donc devant nous un projet de loi de finances bâti sur des hypothèses de croissance assurément trop optimistes, peut-être même obsolètes.

La prévision d’évolution de l’inflation présente encore un caractère relativement central, avec 5,4 %, ce qui reste très significatif. L’inflation en France demeure majoritairement importée et liée à l’augmentation des coûts de l’énergie. Elle est mieux maîtrisée en France que dans d’autres économies développées, mais c’est au prix d’une forte mobilisation des finances publiques, qui, par conséquent, dégrade les comptes publics : près de 50 milliards d’euros en 2022 et probablement 56 milliards d’euros en 2023.

Pour nécessaires qu’elles soient, ces dépenses doivent nous appeler à observer une grande vigilance, puisque, comme vous le savez, les conditions de financement de la France ne sont plus les mêmes que par le passé.

La remontée des taux d’intérêt constitue un risque pour la soutenabilité de la dette française. L’inflation a contribué à une augmentation rapide des taux nominaux sur le marché des obligations souveraines. Depuis octobre 2021, c’est-à-dire il y a un peu plus d’un an, le taux des obligations assimilables du Trésor (OAT) françaises à dix ans a augmenté de 290 points de base. La perception que les investisseurs portent sur le risque des obligations françaises s’est concomitamment détériorée. Le temps de l’argent facile et gratuit est bien fini, et ce n’est pas faute de vous avoir mis en garde ici, au Sénat, sur les risques d’un endettement trop important et massif.

En ce qui concerne la situation de nos finances publiques, les mesures de crise ne peuvent pas expliquer toute la dégradation de nos comptes publics. Et, de notre point de vue, il est urgent de mettre en œuvre une stratégie de maîtrise des dépenses ordinaires.

En 2023, le solde public devrait atteindre 5 % du PIB et l’endettement public devrait être d’environ 111 %. Les recettes publiques devraient progresser considérablement, avec 139 milliards d’euros supplémentaires entre 2021 et 2023 dans le texte initial. De façon temporaire et conjoncturelle, l’État bénéficiera notamment – cela a été dit – de recettes supplémentaires versées par les producteurs d’énergie.

Plusieurs mesures nouvelles viendront réduire le rendement fiscal, à commencer par la suppression de la contribution à l’audiovisuel public, la poursuite de la suppression de la taxe d’habitation et la suppression de la part communale et intercommunale de la CVAE.

En parallèle, les dépenses vont également progresser d’environ 110 milliards d’euros. En réalité, la hausse est même beaucoup plus importante, car l’État – je viens d’en donner l’exemple avec le cas des subventions aux producteurs d’énergie – bénéficie de moindres dépenses, qui sont, elles, conjoncturelles.

Les dépenses primaires retraitées du coût des mesures de crises progresseront ainsi d’au moins 137 milliards d’euros sur les deux années, dont quasiment la moitié en 2023. Les mesures de revalorisation des pensions et du traitement des fonctionnaires contribueront aussi à augmenter la dépense d’environ 16 milliards d’euros.

Le solde public restera particulièrement dégradé, sous l’effet de la situation financière de l’État exclusivement. Les collectivités locales présenteront – écoutez bien ! – un excédent, tandis que les administrations sociales parviendraient à l’équilibre grâce à l’amélioration du solde de régime général et malgré une forte progression des dépenses sociales. C’est la raison pour laquelle nous vous demandons, messieurs les ministres, de respecter une ligne rouge : ne mettez pas de carcan aux collectivités locales ; ce serait aujourd’hui non seulement inentendable, mais également inacceptable ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Le budget de l’État présente des niveaux de dépenses et de déficit que le Gouvernement ne parvient plus, voire ne cherche plus à faire redescendre des sommets atteints depuis 2020.

Alors que des mesures d’économies devraient être engagées dès 2023, les recettes diminuant légèrement par l’effet de transferts de fiscalité aux collectivités territoriales, le Gouvernement fait en réalité le choix de ne pas adapter les dépenses aux moyens dont il dispose : il identifie les dépenses qui doivent augmenter, pas les économies qui devraient les compenser.

La trajectoire des dépenses n’annonce ainsi aucune inflexion pour les années à venir : les dépenses des années suivantes sont d’ores et déjà contraintes par le niveau élevé des dépenses déjà engagées, sous l’effet notamment des lois de programmation et par l’absence, bien regrettable, de volonté de maîtriser les dépenses de masse salariale.

Le déficit de l’État, qui est – je le rappelle – supérieur en 2023 à 150 milliards d’euros pour la quatrième année consécutive, ne redescend plus du pic atteint lors de la crise sanitaire.

Je le redis, ce budget de l’État est celui de tous les records : jamais un projet de loi de finances n’avait été présenté avec un tel niveau de déficit dès le début de la discussion budgétaire ; jamais un budget n’avait prévu un tel niveau d’emprunts nouveaux, à hauteur de 270 milliards d’euros en 2023 ; jamais non plus la France n’avait dû rembourser autant d’emprunts arrivés à l’échéance, soit 156,5 milliards d’euros. Ainsi, en 2023, la France décaissera plus pour rembourser des emprunts que pour financer, hors pensions, l’éducation nationale, la recherche et les armées réunies !

Le Gouvernement accumule les déficits et pousse toujours plus haut les curseurs de la dette. Arrivé à de telles altitudes, l’emprunt toujours renouvelé place le pays sous respirateur artificiel, et la facture commence à être présentée : c’est la charge de la dette qui, dès cette année, dépasse les 50 milliards d’euros en comptabilité budgétaire.

La mission « Engagements financiers de l’État » redevient la deuxième mission du budget général, devant la mission « Défense ». C’est la conséquence de la reprise de la charge de la dette, mais aussi de l’ouverture de plus de 6 milliards d’euros de crédits virtuels sur le programme d’amortissement de la dette du covid, qui est un pur artifice comptable.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Dans le même temps, et c’est bien regrettable, la dette climatique s’ajoute à la dette budgétaire et les dépenses défavorables au climat sont multipliées – excusez du peu ! – par deux, sous l’effet des mesures prises pour faire face à la hausse des prix de l’énergie. Là encore, nous récoltons les fruits d’une politique énergétique désastreuse des gouvernements successifs et de l’impréparation des choix politiques permettant de faire réellement face aux défis des risques climatiques.

Face à ces dépenses, je dois le dire, la fiscalité énergétique reste toujours aussi inégalitaire : elle pèse plus sur les ménages à revenus modestes, et sur ceux qui vivent dans des communes rurales ou dans les petits pôles urbains les moins peuplés. Il ne faut guère espérer des recettes qu’elles aident l’État à infléchir la trajectoire de la dette en 2023, puisqu’elles devraient diminuer de près de 6 milliards d’euros en valeur.

Les deux principaux phénomènes affectant l’évolution des recettes fiscales sont la suppression progressive de la CVAE et la poursuite du bouclier tarifaire.

Face à la réduction des recettes, le réflexe budgétaire devrait être d’agir sur les dépenses. Or on en est loin. Encore une fois, le Gouvernement choisit celles qui doivent augmenter, mais pas les économies qui devraient les compenser. Il prépare donc la poursuite de la dégradation des finances publiques ; j’irai même jusqu’à dire qu’il la favorise. Dès le début du second quinquennat d’Emmanuel Macron, l’heure des choix est renvoyée au prochain quinquennat.

Dans une vision pluriannuelle, qui est d’ailleurs renforcée dans les documents budgétaires, conformément à la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), les perspectives ne sont guère rassurantes.

Le niveau des restes à payer, c’est-à-dire les dépenses qu’il faudra bien assurer pour couvrir les engagements déjà pris, a augmenté de plus de 50 % depuis 2017.

On le constate, sur les dépenses de personnels, comme sur l’ensemble des crédits des politiques publiques, le Gouvernement ne fait pas de choix : il favorise certaines politiques, qui en ont assurément besoin, mais n’affiche aucune volonté de décider de celles qui devraient au contraire voir leurs moyens réduits. Ce tableau de 2023, mes chers collègues, doit être replacé dans la perspective plus longue que trace le projet de loi de programmation des finances publiques.

Il nous faut une trajectoire que je qualifierais de sérieuse et raisonnable. D’ailleurs, Bruno Le Maire avait qualifié celle du Sénat de « juste et honnête ». Elle est, en tout état de cause, plus ambitieuse et plus juste que celle du Gouvernement, en demandant les mêmes efforts à l’État qu’aux collectivités territoriales, tout en parvenant plus rapidement à un niveau de déficit plus acceptable.

Dans ce projet de loi de finances, nous vous proposerons de mettre en œuvre ce que nous vous avons invité à faire dans le cadre de la loi de programmation, en proposant des économies sur un certain nombre de missions, indépendamment de celles que nous proposerons de rejeter par ailleurs.

Ainsi, je propose moi-même de mettre fin à l’ouverture de crédits au titre du plan de relance. Le temps de la relance est désormais passé, et j’estime que de nouvelles contraintes s’imposent à nous, au regard notamment du contexte de la crise énergétique, qui est tout à la fois majeure et inédite.

La commission a également adopté des amendements de suppression de crédits sur la mission « Écologie, développement et mobilité durables », pour 750 millions d’euros, sur la mission « Santé », s’agissant de l’aide médicale d’État, et sur la mission « Aide publique au développement » pour 200 millions d’euros. D’autres amendements suivront.

Nos travaux de commission regorgent aussi de pistes de réformes structurelles, qui, si elles étaient mises en œuvre, permettraient de dégager des économies. Je pense notamment à l’audiovisuel, domaine dans lequel le Gouvernement ne respecte pas l’engagement pris l’été dernier.

J’aurai l’occasion de m’exprimer sur les dispositions figurant dans le texte au fur et à mesure de son examen, mais je conclurai mon propos en abordant quelques sujets.

Sur le bouclier fiscal et budgétaire, que vous maintenez et étendez aux entreprises, nous ne pouvons qu’approuver les mesures d’urgence ; elles vont dans le bon sens et permettent de soutenir les acteurs économiques, les services publics et les ménages.

Pour autant, je dois avouer que l’ensemble devient illisible. Difficile de s’y retrouver dans le maquis des aides ! Le fait d’inscrire des milliards d’euros de crédits supplémentaires, sans être capables de préciser ni les entités éligibles ni le champ d’intervention, n’est pas pour rassurer. Au contraire, cela inquiète, et chacun se demande s’il fait bien partie de ceux qui seront protégés. C’est bien une forme d’impréparation, le travail dans l’urgence et dix ans de politique énergétique erratique qui nous conduisent à cette situation. Il est grand temps de sortir du flou et d’avoir un cap clair, privilégiant les solutions justes et efficaces.

Pour notre part, nous proposerons en première partie un filet de sécurité repensé, qui vient compléter l’amortisseur « électricité » pour les collectivités territoriales. Il faut répondre à l’inquiétude de nos élus locaux et, plus largement, à celle de nos concitoyens.

Ce qui est en jeu, c’est évidemment le maintien de nos services publics, qui doivent être aussi actifs et performants, sur tout le territoire national. Avec un message désormais simple, clair et juste : toute collectivité territoriale, seule ou en groupement, sans critère d’entrée, bénéficierait d’une prise en charge par l’État de la moitié de la hausse de ses dépenses d’énergie en 2023, après application de l’« amortisseur », lorsque cette hausse dépasse un montant égal à 40 % de la hausse de ses recettes de fonctionnement.

Enfin, la suppression de la CVAE est en soi une bonne chose. En effet, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, les impôts de production restent particulièrement élevés en France, en comparaison européenne. Il faut redonner de la compétitivité à nos entreprises. Pour autant, actuellement, l’enjeu pour notre tissu économique est aussi de traverser la crise énergétique et d’être suffisamment protégé et sécurisé ; je viens de le souligner.

En outre, la réforme du Gouvernement est mal préparée, en particulier s’agissant des modalités de compensation des collectivités locales. Sur ce dernier point, il est encore plus urgent de se donner du temps : un temps utile pour une solution acceptée de tous.

En conclusion, je vous invite à nous faire confiance en soutenant les amendements proposés par la commission des finances. Je souhaite que nos débats soient utiles et motivés par l’intérêt de servir la France. Une France forte, souveraine, battante et désireuse d’ouvrir une nouvelle voie, celle de la réussite, d’une réussite qui mobilise les efforts de tous et de chacun, à la mesure de ses capacités. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)