Mme le président. La parole est à Mme Guylène Pantel, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Mme Guylène Pantel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous arrivons à la fin de l’examen du projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi, après la commission mixte paritaire du 9 novembre dernier.
Force est de reconnaître qu’au moment de l’inscription de ce texte à l’agenda parlementaire, le choix des mots opéré par le Gouvernement pour le qualifier nous a paru ingénieux, dans l’optique de conquérir une adhésion massive. Qui peut donc bien s’opposer publiquement à l’aspiration au plein emploi ? Peu de monde !
Toutefois, nous avons rapidement saisi qu’il s’agissait en réalité du commencement d’une série de réformes d’ampleur visant le marché du travail.
Bien que l’intention soit partagée par bon nombre d’entre nous sur ces travées, il aurait été préférable que nous puissions aborder ces travaux avec un peu plus de transparence sur les étapes qui doivent suivre dans les prochains mois. Bien que nous progressions dans un contexte incertain affectant les projections économiques, l’exposition initiale d’une feuille de route claire aurait certainement suscité des débats plus sereins, notamment avec les partenaires sociaux : syndicats professionnels et organisations patronales.
Au-delà des considérations sur la méthode, nous souhaitons saluer l’investissement de chacun pour que le chômage de masse ne soit plus une fatalité, comme l’a exprimé ma collègue Maryse Carrère en première lecture.
Nous parvenons à reconnaître que la principale disposition inscrite à l’article 1er permettra de préserver le système d’assurance chômage pendant une période transitoire durant laquelle une phase de concertation, puis de négociation sur les règles de gouvernance s’ouvrira avec les partenaires sociaux. Cela octroiera une certaine agilité au Gouvernement pour disposer d’une base permettant d’intégrer dans le futur décret les modulations des règles d’indemnisation tenant compte de la conjoncture économique. Quoi qu’il en soit, la prudence que nous exprimions à l’origine sur le potentiel détricotage de la gestion paritaire du régime d’assurance chômage reste d’actualité.
M. le ministre Olivier Dussopt s’est engagé devant les députés à ne pas modifier les conditions d’affiliation au système de l’assurance chômage et à ne pas diminuer le nombre de personnes éligibles à l’ouverture des droits. C’est naturellement une bonne nouvelle. Ainsi, la durée de six mois travaillés au cours des vingt-quatre derniers mois, issue de la réforme de 2019, est maintenue.
Nous en sommes conscients, la présomption de démission pour les salariés en abandon de poste, qui les prive de l’accès à l’indemnisation chômage, est une mesure qui répond à une préoccupation de terrain. Les apports du Sénat tendent à sécuriser le dispositif pour que le salarié puisse contester la rupture de contrat devant le conseil des prud’hommes. Soyons tout de même attentifs à ce que le jugement prononcé soit le plus rapide possible, car les salariés ne doivent pas être laissés dans l’intervalle dans une situation précaire !
Par ailleurs, la majorité sénatoriale aura réussi, dans le cadre d’un compromis avec le Gouvernement, à mettre en place l’absence d’indemnisation en cas de refus d’un contrat de travail à durée indéterminée après un CDD. Cette mesure constitue selon nous une véritable usine à gaz : au regard d’une procédure de vérification alambiquée, sa mise en œuvre risque d’être compliquée.
Le groupe du RDSE se félicite en revanche de la réforme de la validation des acquis de l’expérience, qui permet à toute personne d’obtenir une certification, un véritable diplôme, grâce à son expérience. La VAE ne s’est pas suffisamment imposée dans le paysage de la formation professionnelle. Or il s’agit d’un outil permettant de réaffirmer que l’acquisition de compétences techniques dans le cadre d’une activité professionnelle est tout aussi intéressante que la validation d’une formation initiale.
Pour conclure, nous partageons l’idée que les droits sociaux des travailleurs et des demandeurs d’emploi doivent pouvoir être préservés, sous le regard attentif d’instances de dialogue social sanctuarisées et pérennes.
Néanmoins, nous sommes quelques-uns au sein de notre groupe à éprouver un sentiment d’inachevé et à rester sur notre faim quant à la propension de ce projet de loi à répondre de manière ambitieuse aux besoins des plus exposés aux risques sociaux, en particulier au chômage, de même qu’aux besoins des secteurs d’activité qui éprouvent des difficultés de recrutement.
Ainsi, en fidélité avec leur tradition de liberté du vote, les membres du RDSE feront des choix pluriels au moment de se prononcer sur le texte.
Mme le président. La parole est à Mme Chantal Deseyne, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Chantal Deseyne. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’accord trouvé en commission mixte paritaire a permis au Sénat d’élargir l’ambition du présent projet de loi.
Nous avons tout d’abord souhaité rétablir le respect du paritarisme, mis à mal par la réforme de 2018. La loi du 5 septembre 2018 dessaisit en effet en grande partie les partenaires sociaux de leurs pouvoirs, selon des règles strictement définies par le Gouvernement.
Le texte adopté en commission mixte paritaire vise donc à prévoir l’ouverture d’une négociation interprofessionnelle l’année prochaine, qui portera sur la gouvernance de l’assurance chômage, ainsi que sur les conditions de l’équilibre financier du régime. Le document d’orientation transmis pour la négociation invitera par ailleurs les partenaires sociaux à négocier sur l’opportunité de maintenir le document de cadrage issu de la réforme de 2018. Il est en effet nécessaire de tirer les leçons de l’échec de cette réforme.
Le projet de loi a ainsi pris une direction imprévue, engageant une vraie réflexion sur la gouvernance de l’assurance chômage, dans un esprit opposé à l’étatisation du régime.
Par ailleurs, lors de ses débats, le Sénat s’est attaché à protéger les droits des demandeurs d’emploi en garantissant le fait que les indemnités chômage seront octroyées de manière équitable.
Nous avons validé et sécurisé le dispositif introduit par l’Assemblée nationale sur les abandons de poste, qui sont présumés être des démissions. En effet, sauf motif légitime, l’arrêt volontaire de travail ne doit pas pouvoir donner lieu à une indemnisation au titre du chômage.
Nos rapporteurs ont également souhaité traiter la question des refus répétés d’offres d’emploi. La commission des affaires sociales avait prévu que ne puisse être ouvert le bénéfice de l’allocation d’assurance chômage au salarié qui aurait refusé un CDI à trois reprises, la même année, à la suite d’un CDD. Le constat de nombreux refus d’emplois stables à l’issue de missions d’intérim nous avait également conduits en séance à supprimer l’indemnisation de l’intérimaire refusant de poursuivre son activité en CDI.
Je tiens à féliciter nos rapporteurs Frédérique Puissat et Olivier Henno, qui ont su parvenir à un compromis en commission mixte paritaire sur ce sujet sensible. En accord avec les députés, ils ont fixé à deux le nombre de refus ne pouvant être considérés comme acceptables.
Il ne s’agit pas de sanctionner l’abandon de poste ou le refus d’un CDI. Il s’agit de faire respecter la nature assurantielle du régime d’assurance chômage. Dans le cadre de ce régime, les indemnités chômage ne peuvent s’adresser qu’aux personnes involontairement privées d’un accès à l’emploi.
Ainsi que l’a indiqué notre rapporteur Frédérique Puissat, à partir du moment où nous avons adopté ces dispositions, elles devront entrer en application. Il vous appartiendra, madame la ministre, d’accompagner les chefs d’entreprise pour leur éviter une surcharge administrative.
De même, vous aurez la responsabilité de mettre en œuvre le principe de modulation que nous avons souhaité inscrire en toutes lettres dans le projet de loi.
L’existence de nombreux emplois non pourvus et les difficultés financières du régime justifient que les règles d’indemnisation soient adaptées à la situation économique en cours, sous réserve que soient trouvés les bons paramètres de cette modulation. Nous serons donc particulièrement attentifs aux conclusions que vous rendrez sur ce point le 21 novembre prochain.
Comme l’indique son intitulé, le projet de loi vise à atteindre le plein emploi. Je tiens à souligner les apports du Sénat en ce sens, qu’il s’agisse des précisions sur l’expérimentation du CDD multi-remplacement ou du déplafonnement de la durée du CDI intérimaire.
Concernant la problématique des contrats courts, nous regrettons que la réunion en commission mixte paritaire n’ait pas permis de recentrer comme nous le souhaitions le dispositif de bonus-malus sur les cas de contrats précaires initialement visés. À un moment où les charges pèsent particulièrement sur les entreprises, il nous semblait également nécessaire de revoir le taux de leur taxation, ce que n’ont pas souhaité les députés de la majorité.
Enfin, afin de renforcer l’accès à l’emploi, le Gouvernement a souhaité créer un service public de la validation des acquis de l’expérience. Lors de l’examen du texte, nous avons décidé de l’ouvrir à tous, supprimant les aléas de statut et simplifiant davantage les procédures.
En conclusion, ce projet de loi n’est pas un texte décisif pour atteindre le plein emploi. Son ambition première était d’ailleurs d’assurer la continuité du régime d’assurance chômage au-delà du mois de novembre.
Le travail de nos rapporteurs, que je tiens tout particulièrement à saluer, a permis d’étoffer le texte en prônant le respect du travail, la protection de notre régime d’assurance chômage et la défense du paritarisme. C’est pourquoi le groupe Les Républicains votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDPI.)
Mme le président. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par les amendements de la commission, l’ensemble du projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi.
J’ai été saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe Les Républicains et, l’autre, du groupe Union Centriste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 56 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 333 |
Pour l’adoption | 242 |
Contre | 91 |
Le Sénat a adopté définitivement.
7
Mise au point au sujet de votes
Mme le président. La parole est à Mme Guylène Pantel, pour une mise au point au sujet de votes.
Mme Guylène Pantel. Madame la présidente, lors du scrutin n° 55, portant sur l’ensemble de la proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, portant sur le développement économique de la filière du chanvre en France et l’amélioration de la réglementation des produits issus du chanvre, les membres du groupe du RDSE souhaitaient voter pour.
Mme le président. Acte vous est donné de votre mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
8
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour un rappel au règlement.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce rappel au règlement est fondé sur l’article 29 bis du règlement du Sénat.
Voilà deux mois, le 16 septembre dernier, la jeune Iranienne Masha Amini a été assassinée par la police du régime des mollahs. Depuis lors, on compte des centaines de morts et de blessés, et plus de 15 000 jeunes gens sont emprisonnés. Des procès ont lieu sans avocat, et les premières condamnations à mort ont été prononcées à l’encontre de personnes incarcérées.
L’Iran pleure aujourd’hui Kian Pirfalak, un enfant de 10 ans mort d’une balle dans la tête en rentrant de l’école.
Les responsables iraniens assassinent leur jeunesse sous nos yeux. C’est la raison pour laquelle, monsieur le président, je souhaite que notre Haute Assemblée puisse manifester son soutien avec les Iraniennes et les Iraniens qui luttent aujourd’hui pour leur liberté et qu’elle organise aussi tôt que possible après la session budgétaire un débat sur cette question, qui me semble extrêmement importante. (Applaudissements.)
M. le président. Ma chère collègue, nous partageons votre émotion. Nous avons eu un débat le 5 octobre dernier sur la situation en Iran, et nous notons votre souhait, que nous soutenons, d’en organiser un nouveau sur cette question dès que la session budgétaire sera achevée.
À titre personnel, je suis avec beaucoup d’attention la situation que subissent dans ce pays les hommes et les femmes.
Acte est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.
9
Loi de finances pour 2023
Discussion d’un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale, en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour 2023 (projet n° 114, rapport général n° 115, avis nos 116 à 121).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le ministre, cher Gabriel Attal, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de vous retrouver pour vous présenter ce projet de loi de finances.
Je suis revenu ce matin de Bali, où s’est tenu le G20, auquel j’accompagnais le Président de la République, à un moment où les nuages s’accumulent sur l’économie mondiale.
Le risque principal est identifié : un conflit qui dure en Ukraine et crée de l’incertitude pour tous les acteurs économiques, sans exception. La traduction de ce risque, nous la connaissons depuis plusieurs mois : c’est une inflation élevée qui pénalise nos compatriotes et nos entreprises, et qui inquiète profondément la société française.
L’inflation a d’abord touché les prix du gaz et de l’électricité, qui ont été multipliés par cinq, six ou sept, puis s’est étendue aux prix alimentaires, c’est-à-dire à la vie la plus quotidienne de nos compatriotes.
S’il n’y avait qu’un seul chiffre découlant de la guerre en Ukraine à retenir, ce serait celui-ci : le choc énergétique représente désormais plus de 3 % de la richesse européenne, qui a quitté le continent européen pour aller vers les pays producteurs de pétrole et de gaz ; cela représente 1 000 euros par citoyen européen. L’Europe en a été privée au profit des producteurs de pétrole et de gaz. Il y a donc urgence à maintenir une politique qui nous permettra de ramener l’inflation à un niveau plus raisonnable en 2023.
Dans ce contexte économique difficile, l’économie française résiste, avec une croissance positive au troisième trimestre, avec un investissement des entrepreneurs toujours dynamique, avec un chômage qui a encore continué de baisser le mois dernier, et avec une attractivité qui se maintient parce que nous avons conservé, avec constance, les mêmes lignes de politique économique.
Qui aurait imaginé voilà seulement quelques années que la capitalisation boursière de la place de Paris serait plus importante que celle de la place de Londres ? C’est chose faite aujourd’hui. Et c’est le résultat de la constance de la politique économique et fiscale que nous avons menée depuis plus de cinq ans avec le Président de la République. (M. Jérôme Bascher manifeste son scepticisme.)
Dans ce contexte de forte inflation, la priorité du gouvernement français, celle qui se lit dans le projet de loi de finances (PLF) que nous vous présentons avec le ministre délégué chargé des comptes publics, Gabriel Attal, est de protéger les ménages et les entreprises contre les conséquences de l’inflation.
Nous maintenons pour l’année 2023 un bouclier énergétique qui permettra d’éviter aux ménages de payer une facture de 180 euros ou 200 euros en plus par mois.
Nous continuons à aider les entreprises et nous allons déployer de nouvelles aides, sur lesquelles je reviendrai.
Nous avons mis en place un chèque énergie.
Nous proposons une aide complémentaire pour ceux qui se chauffent au fioul, en plus de toutes les mesures d’indexation sur l’inflation que nous avons prises, concernant les pensions de retraite, le salaire minimal, qui a dépassé les 8 % d’augmentation depuis plus d’un an, ou les minima sociaux.
Mais je veux être clair avec vous. En 2023, nous passerons à des aides plus ciblées. En 2023, le ciblage des aides, pour les ménages comme pour les entreprises, devra être la règle. Pourquoi ?
D’abord, c’est une question de justice. Cibler les aides, c’est aider non plus tout le monde de manière indifférenciée, mais ceux qui en ont le plus besoin : les ménages qui ont les revenus les plus faibles, les familles qui sont le plus en difficulté, les entreprises qui ne peuvent pas répercuter l’augmentation de leurs coûts énergétiques sur le niveau de leurs ventes ou leurs prix.
Ensuite, nous devons prendre conscience que le choc énergétique n’est pas transitoire ; il est structurel. Par conséquent, nous devons nous adapter à ce nouvel environnement énergétique lié à la guerre en Ukraine et à la transition climatique. Il faudra donc, à un moment donné, que les prix du gaz et de l’électricité en France rejoignent les prix de marché. Nous préférons le faire de manière progressive, en fixant le cap très clairement vis-à-vis de nos compatriotes, plutôt que manière brutale.
Mon intervention est donc l’occasion de dire avec beaucoup de clarté que nous commencerons, à partir du début de 2023, à mieux cibler les aides, pour faire face à un choc énergétique qui est structurel et pour permettre – j’y insiste – aux prix en France de retrouver les prix de marché. Cela nous conduira à augmenter les prix du gaz et de l’électricité de 15 % au début de l’année 2023 et à mettre fin à la remise de 30 centimes d’euro sur les carburants.
Cela n’exclut pas, tant s’en faut, d’aider ceux qui en ont le plus besoin, de soutenir ceux auxquels il faut impérativement un véhicule pour se rendre sur leur lieu de travail. Ainsi, d’une aide massive, qui concerne tout le monde et qui, par conséquent, n’est pas nécessairement la plus juste ou la plus efficace, nous allons passer à une aide plus ciblée vers les ménages qui en ont réellement besoin et vers ceux qui vont travailler : apprentis, aides-soignantes, commerçants, artisans, notamment ceux du bâtiment et des travaux publics qui sillonnent les routes de France et n’ont pas d’autre choix que d’utiliser leur véhicule.
Je le répète, le ciblage doit donc être la règle pour qu’en France, les prix de l’électricité et du gaz, et les prix de l’énergie de manière générale, retrouvent les prix de marché, afin d’accompagner la sortie de crise en 2023. (M. Fabien Gay s’exclame.)
Nous aiderons également – je l’ai indiqué – les entreprises.
L’ensemble du Gouvernement entend les inquiétudes de toutes les entreprises, petites ou grandes, qui voient exploser le montant de leurs factures d’électricité ou de gaz. Je veux leur dire avec beaucoup de gravité que nous les avons toujours soutenues pendant la crise du covid-19 et lorsqu’il s’est agi de faire face aux difficultés conjoncturelles. Dans les bons jours comme dans les mauvais, nous continuerons à soutenir notre tissu industriel, notre tissu économique, nos petites et moyennes entreprises (PME), nos très petites entreprises (TPE) et nos entreprises industrielles.
Nous le ferons d’abord de manière structurelle, en vous proposant la suppression définitive de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), à laquelle nous procéderons en deux fois, à hauteur de 4 milliards d’euros en 2023, puis de nouveau de 4 milliards d’euros en 2024, pour soutenir la compétitivité de nos entreprises industrielles.
J’entends tous ceux qui nous disent que les Allemands font plus pour leurs entreprises et que les Américains protègent plus leur secteur industriel. Je les invite donc à soutenir une baisse des impôts de production qui permettra aux PME industrielles de gagner en compétitivité et de retrouver le niveau d’excellence qui doit être le leur.
Nous le ferons ensuite de manière conjoncturelle, face à l’augmentation des prix de l’électricité et du gaz et à l’explosion des factures de certaines entreprises.
Nous protégerons d’abord les plus petits, conformément à l’exigence de justice dont je viens de vous faire part. Les TPE bénéficieront du même bouclier que les ménages.
Nous protégerons ensuite les PME, notamment celles qui sont inquiètes de devoir payer des montants extrêmement élevés. Elles auront accès dans les tout prochains jours à un guichet qui leur permettra d’alléger leurs factures. Puis, en 2023, les PME auront droit à une remise directe sur leurs factures pour amortir le choc énergétique.
Les PME bénéficieront donc d’une protection globale représentant 3 milliards d’euros au minimum d’aides publiques, ce qui fera baisser de 20 % en moyenne leurs factures.
Nous protégerons également les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les entreprises énergo-intensives, car c’est là où le ciblage est le plus nécessaire. Nous devons tout faire pour leur apporter des aides, qui iront jusqu’à 150 millions d’euros, afin d’éviter les délocalisations, les ralentissements de production et les fermetures d’usines que beaucoup d’entre vous redoutent.
Nous avons conscience de la difficulté. Je me suis battu pour obtenir une simplification des aides ; nous l’avons obtenue. Je me suis aussi battu pour que le montant maximum des aides passe de 100 à 150 millions d’euros : nous l’avons également obtenu.
Nous ne laisserons tomber aucun site industriel français, car il y va de la reconquête industrielle que nous avons engagée avec le Président de la République et le Gouvernement depuis plus de cinq ans. Elle donne des résultats et nous permet, enfin, de recréer des emplois industriels dans notre pays.
Quand ces aides seront-elles disponibles ? Dans les prochains jours !
Comment seront-elles versées ? Sous forme de guichet ou d’aides directes au paiement des factures des PME !
Certains me demandent si ces mesures sont suffisantes par rapport à celles qui sont prévues par l’Allemagne. Je comprends parfaitement cette question, qui a été soulevée notamment par les représentants des chefs d’entreprise.
J’aurai l’occasion de m’entretenir dès le début de la semaine prochaine avec le ministre de l’économie allemand, Robert Habeck. Mais une chose est claire : nous sommes dans un marché unique ; toutes les entreprises sont donc soumises aux mêmes règles et aux mêmes obligations.
Je veux donc le dire avec beaucoup de force : face à la crise énergétique, les entreprises françaises seront aussi bien défendues et protégées que les entreprises allemandes. Je rappelle d’ailleurs à ceux qui l’auraient oublié que, pour la moitié de leurs factures, les entreprises françaises continuent de bénéficier d’une électricité nucléaire à bas coût, via l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), ce qui représente un avantage compétitif significatif.
Enfin, le ciblage répond à une toute dernière exigence, non négligeable, et que Gabriel Attal et moi-même défendons avec beaucoup de fermeté : le rétablissement des finances publiques, auquel je sais que les sénatrices et les sénateurs sont particulièrement attachés.
M. Philippe Folliot. C’est vrai !
M. Bruno Le Maire, ministre. Nous voulons tenir nos objectifs de réduction des déficits et de la dette.
Nous tiendrons les objectifs qui ont été fixés de baisse de la dette à partir de 2026 et de retour sous les 3 % de déficit en 2027.
J’ai vu qu’un certain nombre de sénateurs avaient proposé, dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques, d’aligner les objectifs de réduction des dépenses en volume de l’État sur les objectifs de réduction des dépenses en volume des collectivités locales. Ainsi, État et collectivités locales seraient traités de la même manière, avec –0,5 % de dépenses en volume sur la durée du quinquennat. J’accueille favorablement cette proposition, qui est un signe d’équité et qui traduit la volonté du Sénat de rétablir dans les meilleurs délais possible nos finances publiques.
Il reste à nous entendre sur le montant précis de dépenses publiques que cela représente. Je sais que Gabriel Attal et moi-même aurons avec vous un débat constructif sur le sujet. Vous avez réussi à trouver un accord, ce dont je me félicite, sur le vote du projet de loi de finances rectificative. Je souhaite que nous puissions, dans cette voie du compromis, trouver également un accord sur la loi de programmation des finances publiques.
Vous me permettrez de tirer des leçons plus globales du G20, auquel j’ai participé aux côtés du Président de la République au cours des quatre derniers jours. Elles sont au nombre de quatre.
Premièrement, aucun État – certainement pas l’Europe, certainement pas le continent africain – ne sera dans la même situation à l’issue de la guerre en Ukraine.
L’Europe, d’abord, prend crûment conscience, à l’occasion de cette guerre, que la dépendance énergétique n’est pas une option et qu’elle doit bâtir son indépendance énergétique pour garder son rang économique et éviter des dépenses publiques d’un montant inacceptable bénéficiant à des pays producteurs d’énergies.
Le continent africain, ensuite, est le plus touché par l’explosion des prix alimentaires, l’inflation et le risque de pénuries alimentaires.
Je rappelle que le G20, sous l’impulsion du Président de la République, a condamné l’agression russe. Cette guerre contraire au droit international a fait dérailler une reprise économique qui allait dans la bonne direction. Elle aura donc, je le redis, des conséquences structurelles sur la répartition des forces économiques dans le monde.
Deuxièmement, personne, aucun État – ni la Chine ni nos alliés américains – ne fera de cadeau à l’Europe.
Nous devons donc, nous, Européens, faire bloc face à la détermination de la Chine d’affirmer son leadership économique, et face à la volonté économique américaine de défendre ses intérêts économiques et industriels, notamment via l’Inflation Reduction Act (IRA).
L’Europe doit faire bloc. Des divisions européennes dans ce contexte ne seraient pas simplement incompréhensibles ; ce serait de l’inconscience !
Chacun désormais dans le monde défend ses intérêts, notamment économiques, et les défend brutalement. L’Europe doit apprendre à les défendre aussi, sinon brutalement, du moins avec la plus grande fermeté.
Troisièmement, personne ne pourra ralentir la nécessité de la transition énergétique.
La transition énergétique n’est pas le problème ; elle est la solution.
Elle est la solution, d’abord, pour les pays en développement, qui doivent passer du charbon à des énergies renouvelables et bénéficier pour cela, si nous voulons vraiment atteindre nos objectifs climatiques, du soutien financier et technologique des pays développés. C’est ce que nous avons fait avec Emmanuel Macron en proposant qu’un fonds accompagne le développement des énergies renouvelables dans les pays en développement. Encore une fois, c’est la condition pour atteindre nos objectifs climatiques.
La transition énergétique est la solution, ensuite, pour nous, qui sommes une grande puissance industrielle. En effet, l’accélération de la transition énergétique en France, que porte et défend la Première ministre depuis plusieurs mois, représente plus d’indépendance, des technologies de pointe, de la puissance économique, du rayonnement et de l’efficacité. Nous devons donc nous engager avec la plus totale détermination et au rythme le plus rapide possible dans la transition énergétique.
L’énergie sera la grande question économique du XXIe siècle. Elle doit être disponible, décarbonée, et à un coût raisonnable. Les États qui l’auront compris gagneront au cours du XXIe siècle. Et ceux qui ne l’auront pas compris seront marginalisés.
Quatrièmement, aucun État ne peut se détourner du sort des pays les plus pauvres, en particulier des États africains.
Pendant la crise du covid-19, j’avais eu l’occasion de rappeler à cette même tribune que, pour compenser l’effondrement de l’économie dans le monde, les pays développés avaient consacré jusqu’à 25 % de leur richesse nationale au soutien de leurs entreprises, des salariés et de l’économie. Dans les pays en développement, ce taux est inférieur à 3 %.
Et voilà que ces pays subissent un deuxième choc du fait de l’augmentation des prix, de l’inflation, du risque de crise alimentaire, derrière lesquels se profile – nous le savons tous – le risque de crises migratoires et de désordres politiques. Je suis fier que la France, par la voix du Président de la République, ait porté haut et fort lors du G20 cette exigence de soutien aux pays africains ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)