M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. L’article 44 ter prolonge jusqu’au 31 décembre 2027 la possibilité de déroger au principe d’encellulement individuel des personnes détenues en maison d’arrêt, en application de l’article L. 213-4 du code pénitentiaire.
Si cette prorogation est nécessaire, elle n’en demeure pas moins un aveu des retards concédés par le Gouvernement en matière de politique pénitentiaire, cette dernière ne pouvant se résumer à la seule construction de places de détention supplémentaires.
Par coordination avec le prolongement du moratoire, je propose au travers de cet amendement que le Gouvernement remette deux nouveaux rapports, en 2025 et 2027, ce qui permettra au Parlement de prendre connaissance, à intervalles réguliers, de l’exécution des programmes immobiliers pénitentiaires et de leur impact quant au respect de l’objectif de placement en cellule individuelle.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. D’ordinaire, le Gouvernement se lève pour émettre un avis de principe défavorable aux rapports, qui donnent du travail en plus aux administrations… Je vous demande alors de me faire confiance sur ma bonne mine, ce qui, je le comprends bien, n’est pas suffisant en l’occurrence. (Sourires.)
Nous allons donc produire les rapports que vous demandez : j’émets un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’article 44 ter, modifié.
(L’article 44 ter est adopté.)
Après l’article 44 ter
M. le président. L’amendement n° II-250 n’est pas soutenu.
L’amendement n° II-338 rectifié bis, présenté par Mme M. Filleul, M. Sueur, Mme de La Gontrie, MM. Temal et Bourgi, Mme G. Jourda et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 44 ter
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport sur la charge de travail des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation et l’impact sur les finances publiques des nécessités du recrutement de nouveaux conseillers afin que ceux-ci puissent pleinement mener à bien leurs missions.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Je connais le discours cent fois réitéré sur les rapports. Mais, en l’occurrence, il s’agit de se pencher sur les conditions de travail des personnels des Spip, conformément au souhait de Mme Filleul.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. Je suis défavorable à cette demande, les rapports n’étant pas toujours le meilleur moyen d’obtenir les informations souhaitées.
Le Gouvernement a déjà engagé un travail sur l’évaluation de la charge de travail des magistrats. Il pourra peut-être nous indiquer s’il envisage de conduire la même démarche pour les autres métiers du ministère de la justice, qui sont eux aussi soumis à d’importantes tensions.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Chassez le naturel, il revient au galop : l’avis sera défavorable. (Sourires.)
Le Gouvernement n’a pas envie de réaliser un rapport sur ce sujet, d’autant qu’il connaît déjà la réponse à votre question : grâce aux recrutements, le nombre de dossiers suivis par les Spip a diminué de 13 %, passant de 80 dossiers à 71 par conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation.
En conséquence, j’émets un avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° II-338 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Justice ».
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Laurence Rossignol.)
PRÉSIDENCE DE Mme Laurence Rossignol
vice-présidente
Mme la présidente. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l’État » (et article 41 B).
La parole est à Mme la rapporteure spéciale.
Mme Isabelle Briquet, rapporteure spéciale de la commission des finances. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la promesse du Gouvernement de « réarmement de l’État territorial » trouve une traduction budgétaire d’une ampleur très limitée. En effet, les effectifs de l’administration territoriale de l’État augmenteront en 2023 de 48 ETP, soit une hausse de seulement 0,16 %. Peut-être s’agit-il de l’amorce d’un changement de paradigme, mais, en tout état de cause, c’est une avancée bien limitée au regard des enjeux considérables de la mission.
Je souhaite aborder, dans un premier temps, les grands enjeux de la réforme de l’organisation territoriale de l’État.
Les préfets sont au cœur de la réforme, singulièrement les préfets de région, qui peuvent, en fonction des priorités locales et nationales, redéployer jusqu’à 2 000 équivalents temps plein par an entre diverses missions budgétaires.
Outre la mission « Administration générale et territoriale de l’État » (AGTE), les mouvements concernent les missions « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », « Écologie, développement et mobilité durables », « Culture », « Travail et emploi », « Solidarité, insertion et égalité des chances » et « Économie ».
Alors que le bilan des redéploiements devait faire l’objet d’un amendement du Gouvernement au projet de loi de finances rectificative, aucun amendement n’a été déposé avant la réunion de la commission mixte paritaire. Cette situation nuit à l’information du Parlement au sujet des priorités mises en œuvre dans les territoires.
Par ailleurs, les secrétariats généraux communs départementaux rencontrent d’importantes difficultés. Manifestement, cette réforme n’a pas été suffisamment anticipée.
Les chantiers de convergence doivent impérativement s’accélérer dans le périmètre de l’administration territoriale de l’État, pour que ces services puissent fonctionner dans de bonnes conditions.
Dans son rapport sur les effectifs de l’administration territoriale, la Cour des comptes dresse des constats que je partage entièrement. Elle considère ainsi que les suppressions de postes de ces dernières années « n’ont pas été réalistes » au sein des préfectures, qui « ne fonctionnent qu’au moyen de contrats courts qui précarisent leurs titulaires et désorganisent les services ».
La Cour des comptes fait également le constat que « le plan Préfectures nouvelle génération (PPNG) de 2016 a été conçu pour adapter les missions aux réductions d’effectifs et non l’inverse ». Et elle poursuit : « En dix ans, le programme a réalisé un schéma d’emplois […] cumulé de -4 748 équivalents temps plein, soit plus de 16 % des emplois de 2010. » Au rythme du réarmement annoncé pour 2023, il nous faudrait un siècle pour parvenir à la situation de 2010…
Le ministère de l’intérieur a également mis en place un document stratégique, Missions prioritaires des préfectures 2022-2025. Ce document porte mal son nom, puisque, loin de prioriser certaines missions par rapport à d’autres, il se contente de reprendre l’ensemble des missions des préfectures.
Il est donc nécessaire que l’État clarifie son discours : ou bien les préfectures doivent prioriser leurs missions et, à ce titre, les missions les moins importantes auront vocation à abonder, en moyens et en emplois, les missions prioritaires ; ou bien aucune mission ne peut perdre d’emploi – c’est d’ailleurs mon avis – et il faut conforter en urgence les effectifs et les moyens des préfectures.
Par ailleurs, depuis plusieurs mois, les délais d’obtention des cartes nationales d’identité et des passeports atteignent des délais inacceptables. À la fin du mois de mai dernier, une personne souhaitant obtenir un passeport ne pouvait en moyenne espérer en disposer avant la mi-septembre.
Si le Gouvernement a augmenté la dotation titres sécurisés à destination des communes, l’augmentation du nombre de dispositifs de recueil ne me semble pas en phase avec l’évolution des demandes de titres.
Concernant l’accueil des publics étrangers en préfecture, dont on ne connaît que trop les nombreuses difficultés, des renforts en contractuels sont prévus jusqu’en 2024. Ce choix regrettable du Gouvernement de recourir une fois de plus aux vacataires laisse penser qu’il ne s’agit que de renforts ponctuels, alors que la priorité devrait être de consolider les services et de fidéliser des compétences.
Pour conclure, je souhaite évoquer la situation des intervenants sociaux dans les commissariats de police et les unités de gendarmerie. Vous en conviendrez sans doute, madame la ministre, ils jouent un rôle majeur pour l’accueil des victimes en situation de fragilité : femmes victimes de violences intrafamiliales, personnes en situation de handicap, etc.
J’appelle de toute urgence à clarifier le régime de financement de ces intervenants, alors que l’État se désengage au détriment des associations et surtout des départements. En la matière, je souhaite que l’État suive au minimum les recommandations d’un rapport de l’inspection générale de l’administration, en stabilisant ses financements à hauteur de 33 % de prise en charge par le fonds interministériel de prévention de la délinquance.
Au regard de ces considérations, la commission a émis un avis défavorable sur l’adoption des crédits de la mission.
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure pour avis.
Mme Cécile Cukierman, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’examen des crédits de la mission « AGTE » n’appelle pas d’observations particulières en ce qui concerne le programme 232, « Vie politique » – la forte diminution des crédits, de l’ordre de 75 %, s’explique par un calendrier électoral à ce jour moins chargé en 2023 ! – et le programme 216, « Conduite et pilotage des politiques de l’intérieur », dont l’augmentation sert à financer la stratégie immobilière du ministère et le renforcement des moyens du fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation.
C’est donc bien la question des moyens alloués au programme 354, « Administration territoriale de l’État », qui constitue l’enjeu essentiel de la mission, tant est préoccupante la situation du réseau préfectoral, en premier lieu celle de l’échelon de proximité que représentent les sous-préfectures.
Le projet annuel de performance de la mission « AGTE » prévoit un véritable réarmement de l’État territorial, dans la continuité du document Missions prioritaires des préfectures 2022-2025 et du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, qui prévoyaient déjà un renforcement des services déconcentrés.
Je salue la prise de conscience salutaire du Gouvernement, qui semble désormais comprendre que l’État ne peut continuer à diminuer sa présence dans les territoires sans risquer d’amplifier le sentiment d’abandon de nos concitoyens comme des élus locaux.
Toutefois, ces annonces interviennent après des années de coupes budgétaires drastiques, qui ont conduit à la suppression cumulée de 14 % de l’effectif initial de l’administration territoriale de l’État entre 2012 et 2020, et de réformes incessantes, qui ont mis à mal les services de l’État.
Je rappelle que les secrétariats généraux communs départementaux ont été créés le 1er janvier 2021, afin de mutualiser les fonctions support des préfectures et des directions départementales interministérielles et de faire des économies.
Nous n’avons pas encore eu le temps de dresser le bilan de cette réforme que le Gouvernement déploie déjà un nouveau plan d’action pour les préfectures à horizon 2025.
L’annonce de la création de 210 équivalents temps plein dans les trois prochaines années, l’ouverture de six sous-préfectures cette année – dont cinq sont en réalité des déjumelages de sous-préfectures fermées au gré des réformes administratives successives – m’apparaissent dérisoires au regard des besoins et de l’atrophie qu’a subie l’administration territoriale de l’État depuis plus de dix ans.
Ainsi, pour l’année 2023, le projet de loi de finances prévoit de revaloriser le schéma d’emplois à hauteur de 48 ETP, soit certes une hausse, mais modeste, de 0,16 % du nombre d’emplois.
De même, si je salue l’augmentation de l’ordre de 13 % en autorisations d’engagement et de 7 % en crédits de paiement, il convient de rappeler que l’impact réel de cette hausse est minoré par la revalorisation du point d’indice dans la fonction publique, dans un contexte de tensions inflationnistes.
Dans ces conditions, le réarmement de l’État territorial relève plus de la communication que d’une réelle conviction du Gouvernement.
Pour ces raisons, la commission des lois a émis un avis défavorable sur l’adoption des crédits de cette mission.
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps de l’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Dominique Théophile.
M. Dominique Théophile. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la mission « Administration générale et territoriale de l’État », pilotée par le ministère de l’intérieur et des outre-mer, verra en 2023 ses crédits augmenter de 10,32 % en autorisations d’engagement et de 4,14 % en crédits de paiement, sous l’effet principalement de la hausse du coût de l’énergie, d’investissements importants dans l’immobilier et dans le numérique et, d’une manière générale, du réarmement de l’État dans nos territoires.
Le programme 354, « Administration territoriale de l’État », qui représente à lui seul 60 % des crédits de la mission, porte les moyens du réseau préfectoral et des services placés sous l’autorité des préfets de région et des directions départementales interministérielles. En 2023, il connaîtra une hausse de ses crédits de paiement de 13,3 % par rapport à 2022, afin de renforcer, de manière inédite, les moyens et les effectifs de l’administration territoriale de l’État.
Le nouveau schéma d’emplois triennal, qui prévoit une augmentation de 210 ETP, dont 48 pour la seule année à venir, est bien sûr à saluer et à mettre en perspective avec le nombre d’emplois supprimés entre 2012 et 2020.
Cette évolution traduit, je l’ai dit, le renforcement de la capacité d’action de l’État. Elle met fin à plus de vingt années de réduction systématique des effectifs départementaux et – nous le souhaitons – à la lente érosion des liens entre l’État et ses citoyens.
Conformément aux recommandations de la Cour des comptes, un rééquilibrage de la répartition des emplois entre les préfectures devrait par ailleurs être progressivement mis en œuvre, au profit des territoires les plus exposés. Je pense notamment à Mayotte.
Autre motif de satisfaction : le nombre d’apprentis dans le réseau de l’administration territoriale devrait continuer à croître en 2023. Rappelons que 622 apprentis étaient présents dans ce réseau au 31 décembre 2021 ; ils étaient deux fois moins nombreux en 2020.
Enfin, l’Agence nationale des titres sécurisés verra ses effectifs augmenter pour tenter de répondre aux difficultés rencontrées un peu partout en France dans la délivrance des titres sécurisés.
Sans surprise, le programme 232, « Vie politique, cultuelle et associative », qui regroupe les crédits destinés à l’organisation des élections de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) et à l’aide publique aux partis enregistrera, en 2023, une baisse importante, du fait de l’absence d’élections d’envergure au suffrage direct.
Notons cependant, puisque le sujet nous concerne tout particulièrement, que l’organisation des élections sénatoriales de septembre 2023 et des élections territoriales en Polynésie française nécessitera quelque 37,71 millions d’euros en autorisations d’engagement, soit une baisse de 79,90 % par rapport à 2022.
Je dirai quelques mots, enfin, sur le programme 216, « Conduite et pilotage des politiques de l’intérieur », qui porte les moyens et les emplois d’une grande partie de l’administration centrale du ministère de l’intérieur et des outre-mer.
Avec 1,96 milliard d’euros en autorisations d’engagement et 1,87 milliard d’euros en crédits de paiement, il bénéficiera, en 2023, de la plus forte augmentation de crédits, en valeur comme en volume.
Le fonds interministériel de prévention de la délinquance, créé en 2007, sera par ailleurs doté, en 2023, de 84 millions d’euros en autorisations d’engagement et crédits de paiement. Il permettra de financer la réalisation d’actions de prévention de la délinquance, de sécurisation ou de prévention de la radicalisation.
Dans leur rapport, les commissions des finances et des lois ont estimé, et nous le regrettons, que les moyens alloués à cette mission n’étaient pas à la hauteur des ambitions affichées. Je vous propose, à l’inverse, de ne pas bouder notre plaisir de réarmer notre État territorial, en adoptant ces crédits.
Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat.
Mme Florence Blatrix Contat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, au travers de la mission « AGTE », le ministère de l’intérieur met en œuvre trois de ses responsabilités fondamentales : garantir l’exercice des droits des citoyens, assurer la présence et la continuité de l’État dans le territoire et mettre en œuvre au plan local les politiques publiques nationales.
Notre propos portera principalement sur le programme 354 relatif à l’administration territoriale.
Tout d’abord, le constat du retrait de l’État territorial est unanime. Tout le monde s’accorde à dire que ce dernier se trouve actuellement dans une phase de recul, le dernier rapport de la Cour des comptes sur les effectifs de l’administration territoriale de l’État et le récent rapport d’information de nos collègues Agnès Canayer et Éric Kerrouche en témoignent.
Ainsi, la Cour des comptes constate que l’administration territoriale de l’État a perdu 14 % de ses effectifs en une décennie et que les baisses subies par les services déconcentrés sont souvent disproportionnées par rapport à celles supportées par les services centraux.
Au surplus, alors que les territoires doivent massivement investir dans les transitions, le ministère de l’écologie a fait le choix de faire peser cette baisse sur les services départementaux.
En définitive, la Cour juge les suppressions au sein des préfectures « irréalistes ». Elle considère que les schémas d’emplois postérieurs à 2008 mettent à mal le renforcement des missions prioritaires des préfectures, d’autant plus que ces dernières ne sont pas définies.
Le rapport de nos deux collègues Agnès Canayer et Éric Kerrouche montre que la chute des effectifs au sein des directions départementales interministérielles (DDI) est de l’ordre de 36 % en dix ans et de 10 % pour les personnels des préfectures et sous-préfectures. Cette baisse drastique et continue a été compensée par le recrutement de personnels contractuels précaires pour de courtes durées, ce qui précarise les agents, désorganise les services et complexifie leur gestion.
La rapporteure spéciale, Isabelle Briquet, abonde également dans ce sens, mettant en exergue la perte de compétences, donc la perte d’expertise de l’État, qui découle de cette stratégie d’économies de moyens.
Visiblement le Gouvernement lui-même partage ce constat. Le projet annuel de performance de la mission indique que l’évolution des moyens dédiés au fonctionnement de l’administration territoriale de l’État « traduit un renforcement de la capacité de l’action de l’État sur le terrain […], mettant ainsi fin à plus de vingt ans de réduction systématique des effectifs départementaux ».
Cependant, ces moyens sont en inadéquation avec le discours de réarmement des territoires que tient le Gouvernement. Quelle est, au fond la doctrine territoriale de l’État ?
Au vu de ce constat unanime, il aurait été logique que le Gouvernement mobilise les moyens nécessaires au renforcement de l’action de l’État dans les territoires. Pourtant, la hausse présentée dans le projet de loi de finances pour 2023 est en trompe-l’œil, car elle est principalement liée, en réalité, à l’augmentation du point d’indice et ne permet pas de répondre aux besoins. Elle représente en réalité un demi-ETP par préfecture. Par ailleurs, la répartition entre les effectifs est floue et ne précise aucun critère de détermination des redéploiements.
Cette situation est d’autant plus préoccupante que la Cour des comptes a souligné le vieillissement des agents territoriaux, ce qui imposerait logiquement un recrutement échelonné au fil du temps et le développement de l’attractivité dans certaines régions.
Si le nouveau plan, Missions prioritaires des préfectures 2022-2025, marque un changement de philosophie que l’on peut saluer, les moyens alloués peinent à convaincre.
Force est de constater que les délais pour l’obtention des titres d’identité vont croissant et qu’il en est de même pour les demandes de titres de séjour.
Les collectivités n’ont toujours pas pu bénéficier d’un redéploiement d’effectifs en matière de conseil en ingénierie et de contrôle de légalité. À cet égard, la Cour des comptes estime dans un rapport récent que la qualité de contrôle se dégrade. Elle est d’autant plus critique que les recommandations formulées en 2016 n’ont pas été suivies d’effet.
Par conséquent, comme nous l’avons déjà dit les années précédentes, il y a lieu de s’interroger sur la doctrine territoriale de l’État et de réaliser un choix : soit les missions des préfectures sont de même niveau et, dans ce cas, il faut donner à l’administration les moyens de ses ambitions, soit il faut sélectionner, c’est-à-dire clarifier les missions de l’État, et renforcer certains postes.
Or le Gouvernement ne choisit pas, et « l’État touche-à-tout » perdure, sans en avoir les moyens. En conséquence, il dysfonctionne, nourrissant ainsi un sentiment d’abandon dans nos territoires, alimentant les frustrations, qui ont elles-mêmes des effets électoraux délétères.
Peu de domaines de l’action publique ont connu autant de réformes, en nombre comme en cadencement, sans qu’une évaluation soit réalisée à chaque étape.
Il est impératif pour l’État de clarifier son organisation avec ses représentants, comme son rapport aux collectivités territoriales, pour rendre l’action publique lisible et efficace et garantir un service public de proximité, qui est le pilier de notre République.
S’agissant des deux autres programmes de la mission budgétaire, le calendrier électoral de 2023 réduit à raison les crédits du programme 232, « Vie politique ».
Les investissements dans le numérique et l’immobilier, qui sont traduits dans le programme 216, sont positifs, mais d’importants efforts restent à fournir pour les applicatifs utilisés localement.
De même, si la poursuite des investissements en matière de numérique est nécessaire, il reste à évaluer les effets de leur déploiement dans le temps, car le numérique représente à la fois un besoin et une limite de l’État territorial.
Pour conclure, si l’on peut saluer la prise de conscience de l’exécutif sur le nécessaire réarmement de l’État territorial, nous partageons les conclusions de la rapporteure sur l’inadéquation des moyens mobilisés et voterons donc contre l’adoption de cette mission budgétaire.
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier nos deux rapporteures, dont Cécile Cukierman, de leur travail. Elles ont très vivement rappelé l’importance et la nécessité de la présence de l’État auprès de nos habitants et de nos communes.
Lorsque je présentais la mission « Administration générale et territoriale de l’État » en 2021, je notais déjà une stagnation des moyens alloués à cette mission. Aujourd’hui, la légère hausse budgétaire que l’on peut, il est vrai, noter n’est toutefois pas à la hauteur des besoins pour compenser les dix années de désengagement de l’État dans nos territoires.
« Nous devons réarmer les territoires ». Ces mots ne sont pas les miens, mais ceux de l’ancien Premier ministre Jean Castex. La crise des « gilets jaunes », puis la crise sanitaire ont témoigné des limites de l’État dans nos territoires. Pendant plus de dix ans, on a réduit les moyens financiers et humains, ce qui a entraîné de lourdes conséquences sur la gestion quotidienne des services déconcentrés de l’État.
Pourquoi un tel désengagement ? Où en sommes-nous de cette égalité républicaine tant promise, qui pourtant n’existe que sur le papier ?
Aujourd’hui, ce sont des files d’attente à n’en plus finir devant les préfectures pour renouveler des titres de séjour, pour obtenir des demandes de naturalisation, et j’en passe. Il n’y a pas assez d’argent pour accueillir le public ni suivre les dossiers. Il n’y a pas de véritable accompagnement, puisque les méthodes sont imposées d’en haut, sans tenir compte des réalités du terrain.
Madame la ministre, les différentes réformes administratives n’ont fait qu’augmenter la défiance envers les pouvoirs publics, entraîner des suppressions de postes et faire naître un mal-être dans votre administration.
Pis encore, la forte dématérialisation – on y revient encore – accentue les inégalités et ne permet pas de renforcer la présence de l’État. Au contraire, la rationalisation prime l’humain et, de ce fait, affecte le service public.
Nous demandons le redéploiement de l’État sur le territoire et non un semblant de rééquilibrage. Les maisons France Services, qui ont été créées pour accompagner la dématérialisation, témoignent de leurs limites : les liens sont rompus avec l’administration, les agents n’ont pas la formation adéquate et l’accompagnement de l’usager se heurte à des difficultés d’accès à l’information.
C’est une réalité de nos territoires, autant dans les milieux ruraux qu’à l’échelle urbaine, et je connais bien le sujet en tant qu’élue de Seine-Saint-Denis : des milliers de gens ne peuvent accéder aux services publics pour régler leurs problèmes quotidiens.
La Défenseure des droits nous alerte sur cette dématérialisation, qui augmente le nombre de saisines, puisque l’accès aux droits est mis en cause. Encore une fois, ce sont les collectivités territoriales qui supportent toutes ces réformes, parfois sans les ressources ni l’ingénierie nécessaires.
Aussi, rappelez-vous, mes chers collègues, voilà quelques mois encore, les délais d’attente rallongés pour obtenir une carte d’identité ou un passeport. Plusieurs centaines de communes n’avaient pas les outils nécessaires à une bonne gestion. Rappelez-vous également les délais rallongés de traitement des dossiers en préfecture, faute de personnel pour s’en charger.
Les collectivités territoriales et les élus locaux n’attendent qu’une seule chose : travailler de manière intelligente avec l’État et ses représentants. Le préfet du département ou le sous-préfet doit être en pleine responsabilité dans son territoire. Il doit faire avec les élus, afin de comprendre chaque réalité territoriale et apporter les réponses nécessaires.
Le couple maire-préfet était particulièrement applaudi et félicité durant la crise sanitaire. Pour autant, le mariage semble encore loin… (Sourires.)
Les politiques imposées par le haut ne permettront pas d’obtenir des résultats positifs ni d’améliorer le service public pour les habitants. Il faut faire avec celles et ceux qui sont dans la gestion quotidienne. Car, aujourd’hui, le problème est bien celui-ci : on demande aux collectivités d’assumer des missions, alors qu’on applique des restrictions budgétaires qui mettent à mal les finances locales.
L’horizontalité doit être le maître-mot pour que l’État renoue avec ses communes et sa population. C’est uniquement en renforçant les moyens humains et financiers que nous pourrons réarmer les territoires et, ainsi, lutter contre l’isolement d’une partie de nos usagers.
Pour toutes ces raisons, vous l’aurez compris, nous ne voterons pas cette mission.