M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2023 prévoit une augmentation des crédits de la mission « Travail et emploi » de 4,5 milliards d’euros.
Cette augmentation masque en réalité une modification des périmètres de la mission avec l’intégration des crédits de l’activité partielle qui figuraient auparavant dans la mission « Plan de relance ».
Cette augmentation masque également la baisse des crédits du programme « Accès et retour à l’emploi », notamment la diminution de 500 millions d’euros de l’indemnisation des demandeurs d’emploi.
Le Gouvernement justifie cette diminution des crédits par l’amélioration de la situation de l’emploi et les conséquences de la réforme de l’assurance chômage.
Avec cette réforme, si le taux de chômage passe sous la barre des 9 % six mois durant, la durée d’indemnisation sera réduite de 25 %.
Concrètement, à partir du 1er février 2023, un salarié de moins de 53 ans ne sera indemnisé que pendant dix-huit mois au lieu de vingt-quatre mois aujourd’hui. Un salarié de plus de 55 ans sera indemnisé pendant vingt-sept mois, contre trente-six mois aujourd’hui.
Cette réforme va diminuer les droits des chômeurs sans avoir d’effet sur l’emploi, selon le secrétaire national de la CFDT, sauf à « brosser dans le sens du poil un électorat et à faire des économies budgétaires ».
Le Gouvernement veut en réalité réaliser 4 milliards d’euros d’économies sur le système d’assurance chômage.
Cette réduction des durées d’indemnisation contraindra les personnes sans emploi à accepter des métiers pénibles et mal payés.
À l’opposé du projet du Gouvernement, nous considérons qu’il faut revaloriser le travail et lui redonner tout son sens afin que chacun y retrouve goût, avec de bons salaires et de bonnes conditions de travail.
En refusant d’augmenter les salaires et de revaloriser les métiers essentiels, vous portez la responsabilité de la dévalorisation du sens du travail, qui est un lieu non plus d’épanouissement, mais de mal-être et de souffrance.
Ce projet de loi de finances pour 2023 prévoit également la réforme du service public de l’emploi avec le projet France Travail, dont les contours demeurent très flous.
Si un préfigurateur a été nommé pour préparer sa mise en place dès 2024, les acteurs ne disposent d’aucun élément précis sur son périmètre et son contenu.
Pourtant, les enjeux sont multiples. Quid des jeunes les plus éloignés du travail, qui affrontent des problématiques dites « périphériques » et qui doivent être remobilisés ? Aucun financement n’est aujourd’hui fléché vers de réelles solutions, et les missions locales ont trop peu de leviers d’action.
Enfin, s’agissant de l’inspection du travail, nous alertons sur la situation du personnel, notamment celle des inspectrices et des inspecteurs, confrontés à une crise de perte de sens doublée d’un manque de reconnaissance de leur direction.
Face à un capitalisme de plus en plus agressif, nous avons besoin d’une inspection du travail forte pour faire respecter le travail, mais aussi celles et ceux qui travaillent.
Les crédits de fonctionnement des services déconcentrés de l’État, et donc de l’inspection du travail, n’augmentent que de 2 % en 2023.
Si l’effort ne s’accentue pas, il y a peu de chances que ces difficultés se résorbent.
Le Gouvernement réfléchit-il à de nouvelles évolutions de l’organisation de l’inspection du travail ?
Selon le rapport de notre collègue député Pierre Dharréville, entre la fin de 2017 et mars 2022, le nombre des agents chargés du contrôle des entreprises a diminué de 250 équivalents temps plein (ETP).
Sur le terrain, cela se traduit par un nombre élevé de postes vacants au sein des sections de contrôle. Le taux de vacance serait en moyenne de 15 %. Cette situation empêche l’inspection du travail de remplir ses missions en certains endroits du territoire et crée des ruptures d’égalité.
Le budget pour 2023 est censé permettre à la France d’atteindre le plein emploi, mais, en réalité, nous passons du chômage de masse à la précarité de masse.
Pour l’ensemble de ces raisons, notre groupe votera contre les crédits de la mission « Travail et emploi ». (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mmes Raymonde Poncet Monge et Victoire Jasmin applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno. (Mme le rapporteur pour avis applaudit.)
M. Olivier Henno. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, permettez-moi d’abord de saluer le travail des rapporteurs, qui viennent de nous exposer les réalités et le contenu de la mission que nous examinons.
Avec plus de 20 milliards d’euros qui lui sont consacrés dans le projet de loi de finances pour 2023, la mission « Travail et emploi » enregistre, avec la mission « Écologie, développement et mobilité durables », la plus forte progression par rapport à la loi de finances pour 2022.
Notre analyse s’effectue – espérons que cela dure ! – dans un contexte globalement rassurant sur la question de l’emploi en France.
Le recul continu du chômage se poursuit. Selon les prévisions de l’Insee, le taux de chômage devrait ainsi s’élever à 7,4 % en fin d’année. Aussi, nous saluons les efforts qui ont été déployés depuis plusieurs années pour parvenir au plein emploi, objectif primordial pour notre société.
La tendance à l’augmentation des crédits de la mission « Travail et emploi » est bienvenue pour mener à bien les réformes qui visent à développer les compétences professionnelles des Français et à réduire les inégalités d’accès à l’emploi.
S’agissant de l’apprentissage, cela a été dit, il faut saluer la progression sur le plan quantitatif. Les chiffres qui ont été cités parlent d’eux-mêmes. Saluons également un changement de regard et une approche culturelle différente de l’apprentissage de la part des jeunes, de leur famille et des entreprises.
Certes, nous ne sommes pas encore au niveau de l’Allemagne. J’aime à raconter le cas de l’entreprise Bayer, cette grande entreprise chimique, qui affiche à l’entrée de son siège comme première fierté le nombre d’apprentis embauchés chaque année, avant même le chiffre d’affaires ou le nombre de salariés. C’est une culture, c’est le modèle rhénan.
En résumé, sur le plan quantitatif, les objectifs en nombre d’apprentis sont atteints ; cependant, il y a un « mais » : l’approche qualitative des contrats d’apprentissage qui sont signés nous oblige à constater que bon nombre de contrats concernent des bac+2 ou des bac+3, voire des masters.
Ces contrats sont même devenus, pour beaucoup d’étudiants, un moyen de financer des études trop souvent coûteuses. Est-ce là le rôle de l’apprentissage ? Pourquoi pas, mais un certain nombre de conditions doivent être respectées.
La première est la clarté des objectifs. Je doute que telle ait été notre vision à l’époque du débat sur la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Depuis lors, les objectifs ont légèrement évolué et nous devons veiller à ce que cette évolution ne se fasse pas aux dépens des « décrocheurs » – je n’aime pas ce terme –, des métiers à faible qualification ou des métiers en tension. Il convient de veiller également à respecter l’équilibre financier.
À ce sujet, mes chers collègues, lorsque l’on parcourt vos rapports, on constate, cela a été dit, que France Compétences doit régulièrement recourir à des emprunts. Cela souligne certes une dynamique, mais à quel prix ?
Depuis 2020, les dépenses de guichet dépassent largement le produit des contributions des employeurs. En 2021, ce dernier s’élevait à 8,8 milliards d’euros alors que les dépenses en faveur de l’alternance représentaient 9,3 milliards d’euros.
À ces dépenses s’ajoutent celles qui sont liées au compte personnel de formation, estimées à 2,7 milliards d’euros pour 2021. À ce sujet – j’aperçois Martin Lévrier –, il faudra bien évidemment lutter contre la fraude au CPF, mais aussi réguler le dispositif. (M. Martin Lévrier acquiesce.)
La régulation du CPF est nécessaire. Reste à savoir si elle sera suffisante pour éviter un déficit significatif en 2023…
La question se pose également de l’équilibre financier de France Compétences, dont le déficit pourrait être, en 2023, de l’ordre de 4 milliards d’euros. Cela appelle de nouveaux emprunts et des soutiens complémentaires au budget de l’État.
Une telle situation en matière de financement de l’apprentissage et de formation professionnelle n’est pas acceptable. Le retour à l’équilibre financier, à moyen terme bien sûr, mais le plus rapidement possible, n’est pas une option, c’est une exigence !
L’enveloppe budgétaire du programme 102, « Accès et retour à l’emploi », baisse légèrement, de l’ordre de 5 %, en raison des prévisions de diminution du nombre de bénéficiaires en fin de droits à l’assurance chômage.
Au sein de ce programme, nous saluons l’augmentation des crédits du secteur de l’IAE, par l’intermédiaire du FIE, le fonds d’inclusion dans l’emploi. – ah, les sigles !
Grâce à sa dynamique et à la qualité de ses structures, qui ont fait leurs preuves ces dernières années, la politique de l’IAE est l’un des outils les plus pertinents pour remettre des hommes et des femmes en situation durable de travail.
Cette action est indispensable si nous voulons collectivement atteindre l’objectif de 7 % de demandeurs d’emploi de longue durée. Pour ce faire, l’intelligence des parcours et des accompagnements socioprofessionnels doit être mobilisée, afin d’aller chercher celles et ceux qui souffrent de freins à l’emploi et qui en sont les plus éloignés.
Le programme 102 voit également la traduction budgétaire du contrat d’engagement jeune, créé par la dernière loi de finances. L’accompagnement des quelque 300 000 jeunes pour l’année 2023, dont 200 000 nouveaux bénéficiaires, justifie les quelque 800 millions d’euros qui sont prévus pour les missions locales et pour Pôle emploi.
Le dispositif des maisons de l’emploi, créé par Jean-Louis Borloo, doit mériter toute notre attention. C’est pourquoi notre groupe a déposé, par l’intermédiaire de Françoise Férat, un amendement visant à sécuriser les crédits qui y sont consacrés et à les augmenter.
Le dispositif « territoires zéro chômeur de longue durée » fait consensus. Le temps de l’expérimentation touche à sa fin, les résultats sont positifs et la limite des cinquante territoires sera bientôt atteinte.
Il est temps à présent de réfléchir, madame, monsieur les ministres, à la décision que nous allons prendre à l’égard des 134 nouveaux postulants.
Je ne reviens pas sur la question de l’assurance chômage. Le Sénat a bien travaillé sur cette réforme et le débat parlementaire a été de bonne facture. Je salue d’ailleurs la présence conjointe des deux ministres. Madame, monsieur les ministres, j’ai l’impression qu’entre vous, c’est du sérieux ! (Sourires.)
Nous avons bien travaillé sur les incitations à l’emploi, sur la gouvernance, mais aussi sur la validation des acquis de l’expérience (VAE).
J’insiste sur la vigilance que nous apporterons aux moyens qui lui sont consacrés, car la VAE doit devenir une troisième voie, au même titre que la formation initiale et la formation continue. Nous serons également vigilants sur le financement du groupement d’intérêt public (GIP) et sur la question des jurys.
En ce qui concerne la gouvernance, je réaffirme notre cap : France Travail doit se construire sur le paritarisme et le dialogue social. C’est sur ce principe également que nous devons réformer France Compétences. Le déficit de cette institution démontre qu’en matière de bonne gestion, l’étatisation n’est pas une assurance, bien au contraire.
L’étatisation, pas plus que la libéralisation, n’est pas la solution. Il existe une troisième voie, celle du paritarisme, qui est notre cap pour France Travail, comme elle l’est pour la réforme de France Compétences, l’assurance chômage, les retraites Agirc-Arrco ou encore le « 1 % logement ». De ce point de vue, France Travail sera regardée comme un symbole.
Je dirai un dernier mot sur l’inspection du travail, qui est en crise. Pourtant, dans un monde où l’auto-entrepreneuriat connaît parfois des abus, nous avons besoin d’une inspection du travail qui soit forte. Dans le contexte inflationniste actuel, l’augmentation de 2 % des crédits paraît bien faible.
Pour conclure, mes chers collègues, je veux dire notre attachement à un service public de l’emploi performant, qui ferait l’objet d’une approche personnalisée.
Alors que de nombreux métiers sont en tension – on le lit tous les jours dans la presse – et à en juger par les besoins que les professionnels nous remontent du terrain, le retour à l’emploi des personnes qui en sont éloignées depuis trop longtemps est un des grands défis de notre pays. C’est pourquoi nous voterons les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Emmanuel Capus, rapporteur spécial, et Mme le rapporteur pour avis applaudissent également.)
M. Jérôme Bascher. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Stéphane Artano. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, je tiens d’abord à remercier les rapporteurs et à saluer la qualité du travail de notre collègue rapporteur pour avis Frédérique Puissat.
Il n’est pas toujours aisé d’évaluer la pertinence d’une enveloppe budgétaire dans un contexte d’inflation persistante et de défis considérables pour le travail et l’emploi. Il faut donc prendre en compte, dans nos analyses, ces nombreuses inconnues pour l’année 2023.
« Protéger les Français et aller vers le plein emploi » : telles sont les ambitions du Gouvernement pour 2023. Avec une hausse de 6,7 milliards d’euros par rapport à 2022, on note un réel effort pour dynamiser l’embauche des apprentis. Il faut donc poursuivre les efforts qui ont été déployés depuis 2017 pour parvenir au plein emploi.
En effet, je reste persuadé que le travail est un levier d’insertion incontournable dans notre société. À cet égard, je tiens à saluer les associations, entreprises et ateliers d’insertion qui œuvrent au quotidien pour que chacun puisse s’insérer et s’épanouir dans notre société.
En ce sens, on ne peut que se réjouir de la progression des crédits de la mission « Travail et emploi ». Cette tendance haussière reste indispensable pour mener à bien les réformes visant à réduire les inégalités d’accès à l’emploi et à développer les compétences professionnelles de tous les Français.
L’augmentation du budget de la mission doit tout de même être relativisée. En effet, il faut prendre en compte dans notre analyse la disparition du programme « Cohésion » de la mission « Plan de relance ».
J’en viens plus précisément aux crédits du programme 102, « Accès et retour à l’emploi », qui sont en légère baisse de 5 %, en raison des prévisions de diminution du nombre de bénéficiaires des allocations de solidarité des personnes en fin de droits à l’assurance chômage.
Au sein du même programme, il faut souligner l’augmentation des crédits du secteur de l’IAE, par l’intermédiaire du fonds d’inclusion dans l’emploi, ce qui est en soi une très bonne chose.
S’agissant de la traduction budgétaire du CEJ, créé par la dernière loi de finances, les 800 millions d’euros prévus devraient permettre aux missions locales et à Pôle emploi d’accompagner environ 300 000 jeunes pour l’année 2023, dont 200 000 nouveaux bénéficiaires.
Ce dispositif hérité du plan de relance doit continuer de monter en puissance, afin de permettre aux jeunes les plus en difficulté d’entrer de manière pérenne sur le marché du travail.
Je note aussi une augmentation de 30 millions d’euros pour l’accompagnement des publics les plus éloignés de l’emploi, qui est naturellement à encourager. Cela étant, je considère que les crédits consacrés aux entreprises adaptées à l’emploi des personnes en situation de handicap restent encore insuffisants.
Je poursuis avec les crédits du programme 103, « Accompagnement des mutations économiques et développement de l’emploi », qui vise à soutenir les actifs et les entreprises dans leur phase de transition et de montée en compétences.
On note que les crédits de paiement de ce programme s’élèvent à 12,6 milliards d’euros, contre 6 milliards d’euros dans la loi de finances initiale pour 2022.
La principale hausse concerne évidemment le soutien au développement des contrats d’apprentissage et de professionnalisation. Cette hausse des crédits s’explique naturellement par le rapatriement des crédits dédiés à l’activité partielle, qui figuraient auparavant dans la mission « Plan de relance ».
Enfin, je m’interroge sur la pertinence de la structure France Travail. Les crédits que nous sommes amenés à analyser sont-ils suffisants pour rééquilibrer les comptes ? Madame, monsieur le ministre, pouvez-vous nous éclairer sur la situation de France Travail et nous indiquer les ajustements que vous envisagez pour parvenir à l’équilibre budgétaire ?
Par ailleurs, la question de la gouvernance de France Compétences est toujours épineuse. Qu’en est-il à ce stade ?
Dans l’attente de ces réponses, et tout en restant vigilant, le groupe RDSE votera, dans sa grande majorité, vous l’aurez compris, les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Emmanuel Capus, rapporteur spécial, applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Céline Boulay-Espéronnier. (Mme le rapporteur pour avis applaudit.)
Mme Céline Boulay-Espéronnier. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, les crédits de la mission « Travail et emploi » sont examinés dans un contexte bien particulier, où il nous faut respecter un savant jeu d’équilibriste entre la maîtrise des dépenses, d’une part, et l’indispensable soutien aux politiques de l’emploi, d’autre part.
Le présent budget accompagne une situation de l’emploi globalement favorable, la France connaissant un recul du taux de chômage à 7,4 % actuellement.
Cependant, nous sommes toujours mal classés au sein de l’Union européenne. Surtout, la croissance ne pourra que reculer en 2023 sous les effets conjugués de l’inflation et des problèmes énergétiques, ce qui devrait se répercuter sur le marché du travail.
La promesse présidentielle de parvenir au plein emploi sous ce quinquennat semble donc malheureusement assez illusoire.
Comme l’ont souligné nos rapporteurs, les crédits de la mission évoluent à la hausse, mais cette dernière est à relativiser, car elle s’explique surtout par la réintégration dans son périmètre de dispositifs portés en 2021 et en 2022 par le plan de relance, notamment les aides à l’apprentissage et à l’activité partielle.
En tenant compte des lois de finances rectificatives votées en 2022, les budgets de cette année et de l’année prochaine seraient même très proches, contrairement au message diffusé par le Gouvernement.
Concernant les réformes envisagées, je formulerai plusieurs réserves et interrogations.
Monsieur le ministre, vous avez annoncé une réforme du service public de l’emploi, avec la création d’un nouvel organisme, France Travail. Il s’agit de simplifier les parcours, en mettant en commun les informations et stratégies d’accompagnement, notamment avec un point d’entrée unique dans le service public de l’emploi.
Les différents acteurs qui ont été auditionnés au Sénat ont exprimé leurs réserves, estimant le projet de loi très flou. Ils ne disposent d’aucun élément précis sur son périmètre et son contenu.
Une concertation a été engagée, mais elle manque de transparence dans ses objectifs et n’associe pas le Parlement. Nous veillerons donc avec une extrême vigilance à ce que cette nouvelle structure ne se transforme pas en usine à gaz et ne soumette pas les différents opérateurs à des contraintes inappropriées.
Vous avez annoncé par ailleurs une expérimentation concernant les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), qui dépend précisément de la création de France Travail. L’organisme sera chargé de mettre en place un contrôle et un accompagnement renforcés.
Nous sommes favorables à un suivi qui soit enfin efficace. La Cour des comptes vient en effet de pointer les défaillances du dispositif d’accompagnement en matière de retour à l’emploi : la moitié des allocataires du RSA le sont encore au bout de quatre ans et 29 % d’entre eux après sept ans.
Un budget de 20 millions d’euros est prévu pour le lancement de l’expérimentation dans une dizaine de territoires pilotes pendant douze mois. On peut se demander si l’expérimentation, puis sa généralisation pourront se conduire à moyens constants sur le terrain.
À l’image de nos rapporteurs, je souhaiterais faire part de notre inquiétude concernant France Compétences, structure créée en 2018 pour réformer la formation professionnelle.
France Compétences a bénéficié de transferts de trésorerie exceptionnels dans les deux lois de finances rectificatives de cette année. Malgré un apport s’élevant à 4 milliards d’euros, son déficit pourrait atteindre 3,4 milliards d’euros en 2022. La Cour des comptes s’alarme ainsi d’une « impasse financière ».
Ce déficit est clairement lié à la réforme du financement de l’apprentissage sous le précédent quinquennat. Depuis 2020, les CFA sont financés par les entreprises en fonction du nombre de contrats signés et l’État s’est substitué aux régions pour compléter le financement.
La multiplication des contrats d’apprentissage fait basculer France Compétences dans le rouge.
Les crédits que nous sommes une nouvelle fois invités à voter pour rééquilibrer ses comptes interrogent sur le fonctionnement et la pertinence de la structure. Notre groupe soutiendra donc l’amendement de la rapporteure de la commission des affaires sociales Frédérique Puissat, dont nous saluons la qualité du travail, visant à réguler les dépenses de France Compétences.
De même, nous suivrons son avis éclairé pour dégager des économies sur les crédits affectés au plan d’investissement dans les compétences. En effet, ce dernier, qui doit prendre fin l’année prochaine, n’a pas démontré son utilité en matière d’insertion et de formation professionnelle.
L’économie totale ainsi réalisée serait de 800 millions d’euros. Ces mesures sont pleinement cohérentes avec notre préoccupation de maîtrise des dépenses publiques de l’État.
S’agissant enfin de la relance de l’apprentissage, je me réjouis que la dynamique se poursuive, avec une hausse de 38 % du nombre de contrats entre 2020 et 2021. Le Gouvernement prévoit la signature de plus de 800 000 contrats cette année, ce qui contribue à améliorer l’emploi des jeunes.
Ce succès est dû, en partie, aux aides qui ont été versées dans le cadre de la crise sanitaire. Je m’interroge donc sur l’éventuelle suppression, le 31 décembre prochain, de l’aide à l’embauche d’apprentis de plus de 18 ans.
Cette aide exceptionnelle contribue à relancer l’attractivité de nombreux métiers. Je pense notamment à la filière agricole, où 40 % des agriculteurs ont plus de 55 ans et partiront à la retraite d’ici à 2030, alors que seul un départ sur trois est remplacé. Les petites structures agricoles ne pourront plus recruter d’apprentis sans cette aide à l’embauche, qui couvre la première année de salaire.
À la veille des concertations qui seront menées avec les partenaires sociaux, je tenais à rappeler cette situation et souhaiterais connaître, madame, monsieur les ministres, votre sentiment sur ce point.
Le groupe Les Républicains votera ce budget en augmentation, avec les mesures d’économies que nous avons indiquées. Notre groupe souhaite que l’examen de la loi de finances permette de faire bouger les lignes tracées par le Gouvernement.
Nous visons ainsi un budget maîtrisé, tenant compte des difficultés actuelles, mais protégeant notre pays d’une dette devenant abyssale. Protéger les Français et leurs emplois passe aussi et surtout par cette discipline. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau. (M. Emmanuel Capus, rapporteur spécial, et M. Martin Lévrier applaudissent.)
M. Joël Guerriau. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, atteindre le plein emploi est un objectif à la fois économique et social.
Économique, évidemment, car davantage d’emplois, c’est un accroissement d’activité s’accompagnant d’une meilleure intégration par le travail ; social aussi, parce qu’un accroissement d’activité, c’est davantage de recettes publiques pour financer la solidarité.
Ce sont les entreprises qui nous permettront d’atteindre cet objectif, je l’espère d’ici la fin du quinquennat. Il n’y a d’emploi durable que par la création de valeur ajoutée. C’est d’abord sur les entrepreneurs et les travailleurs que nous comptons pour y parvenir.
Mais la puissance publique peut et doit aider à atteindre le plein emploi, notamment en facilitant l’intégration des publics les plus éloignés du marché du travail.
Ces leviers d’action se trouvent dans la mission que nous examinons aujourd’hui.
Les crédits de la mission « Travail et emploi » dépassent cette année les 20 milliards d’euros. Ils augmentent de près de 29 % par rapport à la loi de finances initiale. C’est considérable.
Cette hausse appelle toutefois plusieurs remarques. La première concerne l’effort de sincérité budgétaire du Gouvernement. En effet, les crédits inscrits dans cette mission pour 2023 sont largement supérieurs à ceux qui étaient inscrits dans la loi de finances initiale pour 2022, mais sont pour autant nettement inférieurs à ceux qui ont été finalement débloqués en 2022 après les deux projets de loi de finances rectificative.
C’est pourquoi le Gouvernement aura finalement maîtrisé la dépense associée à la mission que si et seulement si les crédits qui lui sont consacrés ne sont pas significativement augmentés, en cours d’année, par la voie d’un projet de loi de finances rectificative.
La deuxième remarque répond à des interrogations exprimées par plusieurs de nos collègues. En effet, alors que la vocation des politiques budgétées dans cette mission est de stimuler l’emploi, on pourrait penser que les crédits sont amenés à diminuer lorsque la situation du marché du travail s’améliore. Mais la situation n’est pas si évidente.
Et pour cause : la plupart des mécanismes déployés par le Gouvernement pour faciliter l’intégration par le travail sont plus structurels que conjoncturels, c’est-à-dire qu’ils ont vocation à se maintenir sans tenir compte de la situation du marché de l’emploi.
Cela m’amène à ma troisième et dernière remarque, qui concerne l’apprentissage.
Nous sommes nombreux ici à soutenir depuis longtemps l’apprentissage comme vecteur d’intégration des jeunes au marché du travail. Le Gouvernement a mis les bouchées doubles pour encourager les entreprises à en embaucher.
Les résultats sont nets : le nombre d’entrées en apprentissage a doublé entre 2019 et 2021, passant de 370 000 à 740 000 jeunes. En outre, le montant des aides à l’embauche d’alternants est passé de 1,3 milliard d’euros en 2020 à 4,5 milliards d’euros en 2021.
Sur ce point, je partage l’analyse de notre rapporteur spécial, Emmanuel Capus, dont je tiens à saluer le travail.