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Communication d’un avis sur un projet de nomination

Mme le président. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi ordinaire n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable, par 25 voix pour et 5 voix contre, à la nomination de M. Patrice Vergriete à la présidence du conseil d’administration de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France.

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Lutte contre la fraude et l’évasion fiscales

Débat organisé à la demande de la commission des finances

Mme le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission des finances, sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour d’un droit de répartie, pour une minute.

Monsieur le ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura regagné sa place dans l’hémicycle.

Le temps de réponse du Gouvernement à l’issue du débat est limité à cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. Jean-François Husson, au nom de la commission qui a demandé ce débat. (Mme Laure Darcos applaudit.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales s’inscrit dans la continuité des travaux engagés par la commission des finances et la Haute Assemblée il y a de nombreuses années.

Au cours des dernières années, il y a bien sûr eu l’examen du projet de loi devenu la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, qui comprend de nombreux apports du Sénat, mais aussi les tables rondes organisées par la commission des finances sur les Pandora Papers ou les CumEx Files et les amendements que nous avons pu proposer dans le cadre de l’examen des projets de loi de finances. Surtout, une mission d’information de la commission, présidée par le président Claude Raynal et dont j’étais le rapporteur, a achevé ses travaux et a rendu ses conclusions au mois d’octobre dernier.

La lutte contre la fraude a un triple objectif : dissuasif, budgétaire et répressif. J’insisterai sur la dissuasion, car être efficace dans notre lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, c’est à la fois parvenir à dissuader certains acteurs de « tenter leur chance », au mépris de nos règles communes, et préserver le consentement à l’impôt, tout en assurant le financement par tous, dans le respect des capacités de chacun, de nos services publics. J’ajoute que, en période de crise, la fraude fiscale est d’autant moins acceptable que nous demandons à tous de faire des efforts et que nous devons maîtriser nos finances publiques.

Dans le cadre de cette mission d’information, nous avons travaillé sur quatre aspects : le renforcement de l’efficacité de la réponse pénale à la fraude fiscale, l’amplification des efforts déployés pour lutter contre la fraude à la TVA, la nécessité d’assortir les dispositifs d’accès aux données des garanties juridiques nécessaires pour assurer leur pleine effectivité et le renforcement des outils de lutte contre les montages fiscaux et internationaux abusifs.

Notre première conclusion fut que l’arsenal normatif mis en place par la France pour lutter contre la fraude paraissait plutôt robuste. De fait, nos travaux n’appellent pas à une révolution fiscale, mais, comme nous le souhaitions, ils aboutissent à l’élaboration d’un bilan de la loi de 2018 ainsi qu’à des propositions concrètes, réalistes et, pour la plupart, faciles à mettre rapidement en œuvre.

D’ailleurs, plusieurs recommandations ont d’ores et déjà donné lieu à des amendements présentés dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2023. Ils ont, dans leur grande majorité, été adoptés à l’unanimité et certains ont même survécu au couperet de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution. Je pense, par exemple, à l’extension des compétences des officiers fiscaux judiciaires aux escroqueries concernant la TVA ou à l’impératif de mieux évaluer la fraude.

L’évaluation est en effet un enjeu fondamental : alors que les chiffres se multiplient dans le débat public, parfois à tort et à travers, nous avons besoin d’évaluations méthodologiquement plus étayées et plus robustes. Il faudrait pouvoir estimer, monsieur le ministre, la proportion des droits fraudés que l’administration parvient finalement à récupérer : 10 % ? 20 % ? 30 % ? Plus ? Personne ne peut véritablement le dire…

Il serait évidemment dommage de nous arrêter là dans le suivi des travaux de la commission. D’abord, toutes les recommandations relevant de la loi n’ont pas encore trouvé leur traduction législative. C’est le cas par exemple de la sécurisation des dispositifs d’accès aux données ou de certaines propositions concernant la lutte contre la fraude à la TVA. Ensuite, certaines dispositions, qui n’ont pas été retenues dans la loi de finances pour 2023, doivent être rediscutées. Il s’agit par exemple du rôle des assistants spécialisés, qui aident les procureurs dans le traitement des dossiers de fraude les plus complexes, de la détaxe à la TVA, des moyens des services d’enquêtes spécialisés ou encore – sujet majeur – du droit de visite des douanes.

Pour résumer, il nous reste donc encore bien du travail pour donner toute leur portée aux recommandations de nature législative de la mission d’information et pour améliorer la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Nous devons réfléchir au véhicule le plus approprié pour les inscrire dans la loi.

Toutefois, il est également des sujets sur lesquels d’éventuels progrès dépendent non pas véritablement du Parlement, mais bien du Gouvernement. C’est notamment le cas de la lutte contre les montages transfrontaliers abusifs, sujet majeur s’agissant d’une source inépuisable de fraude et d’évasion fiscales.

Les évaluations de l’Observatoire européen de la fiscalité sont, à cet égard, sans appel : plus de 10 % de la richesse nette totale de l’Europe, soit 2 300 milliards d’euros, seraient détenus à l’étranger, pour une perte de recettes fiscales de l’ordre de 55 milliards d’euros par an. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) estimait en 2020 que, à l’échelon mondial, 11 000 milliards d’euros étaient détenus sur des comptes offshore. Or le pouvoir du législateur est relativement limité pour lutter contre ces phénomènes, si le Gouvernement n’agit pas en amont, à l’échelon européen ou international.

Je ne nierai pas que le projet de taxation minimale est un premier pas satisfaisant, même s’il est insuffisant et perfectible, mais il n’y a encore que trop peu d’avancées, par exemple sur la renégociation des conventions fiscales. Pouvons-nous encore accepter que certaines conventions facilitent les arbitrages de dividendes, pratique plus connue sous le nom de CumEx Files ? Un chiffre, monsieur le ministre : ces montages auraient coûté à la France 33 milliards d’euros de recettes fiscales en vingt ans. Sur la seule année 2018, près de 1,2 milliard d’euros auraient échappé à la France, le montant recouvré ne s’élevant qu’à 277 millions d’euros. Monsieur le ministre, quels sont les efforts déployés pour renégocier certaines conventions ou pour les assortir de clauses anti-abus ? La commission des finances suit ce dossier depuis le premier jour et elle poursuivra son travail.

De même, encore trop souvent, les services du contrôle fiscal, pourtant expérimentés et déterminés, ne peuvent accéder à des documents essentiels à leurs enquêtes. Des blocages persistent dans certains pays et la transparence n’est pas toujours garantie. Les actuelles listes, grise ou noire, de paradis fiscaux sont insuffisantes.

Que fait le Gouvernement, à l’échelon européen ou international, pour lutter contre les paradis fiscaux et pour accroître la transparence sur les bénéficiaires effectifs ? Quelle sera sa position lorsqu’il s’agira de revoir la réglementation européenne relative aux informations sur les bénéficiaires effectifs de sociétés, alors que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a sévèrement amoindri la portée de cette réglementation pour ce qui concerne les objectifs de lutte contre l’évasion fiscale ?

Après cette brève présentation de nos récents constats et de nos recommandations pour l’avenir, mais aussi ces quelques questions adressées à M. le ministre, je laisse maintenant la place au débat.

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, en introduction de ce débat, je tiens à souligner combien je me réjouis que le Sénat ait inscrit ce débat important à son ordre du jour.

Ce débat est en effet crucial pour notre pacte social, la lutte contre la fraude étant un facteur essentiel du consentement à l’impôt et de notre capacité à rester une société unie.

C’est également un enjeu politique important, nous avons pu le mesurer quand, lors de la dernière campagne présidentielle, un certain nombre de candidats ont proposé de créer un ministère de la lutte contre la fraude. Il se trouve que ce ministère existe, c’est le ministère des comptes publics, et je vous prie de croire que nous avons fait du renforcement de notre efficacité en la matière une priorité importante. D’ailleurs, avant la fin du premier trimestre de 2023, j’aurai l’occasion de présenter un plan de lutte contre toutes les fraudes, fiscale, sociale ou douanière.

À cet égard, je tiens à saluer la très grande qualité du travail du Sénat et notamment de la mission d’information de votre commission des finances. Nous avons eu l’occasion de débattre à plusieurs reprises, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2023, des conclusions de cette mission et plusieurs des mesures recommandées dans son rapport ont été intégrées – vous l’avez indiqué, monsieur le rapporteur général – dans la loi de finances.

Néanmoins, certaines d’entre elles n’ont pas survécu au couperet non du 49.3, mais du Conseil constitutionnel (Sourires.), qui les a censurées en tant que cavaliers budgétaires. Peut-être aurons-nous l’occasion de les insérer dans de futurs textes.

En tout état de cause, nous allons avoir cet après-midi un débat important pour le redressement des comptes publics, lequel passe aussi par cette lutte, mais aussi, de manière plus globale, pour notre pacte social et pour le consentement des Français à notre modèle de solidarité.

Mme le président. La parole est à M. Rémi Féraud. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Rémi Féraud. C’est à la demande de la commission des finances que nous débattons aujourd’hui de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, pour faire suite au rapport rendu voilà quelques semaines par le président Claude Raynal et le rapporteur général Jean-François Husson.

Ce sujet nous anime tous, surtout depuis que de grandes affaires ont été révélées par la presse : Panama Papers, CumEx Files, Pandora Papers… Si l’on reprend l’historique des mesures adoptées au cours des dix dernières années, il faut souligner les progrès que représentent la création du parquet national financier (PNF), celle de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales et celle de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). C’est grâce à la mise en place de ces institutions que les avancées de notre pays en matière de lutte contre la fraude fiscale ont été jugées positivement par certaines ONG.

Au cours du quinquennat précédent, nous avons également eu à examiner le projet de loi de 2018 relatif à la lutte contre la fraude. Lors de nos débats, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain avait souligné les avancées du texte, comme la réforme du « verrou de Bercy », qui avait déjà fait l’objet d’une proposition de loi de notre collègue Marie-Pierre de La Gontrie. D’autres dispositions, comme celle qui portait sur la lutte contre la fraude à la TVA, constituaient de réelles avancées et nous ne nous étions pas opposés à ce texte.

En revanche, nous avions exprimé nos regrets sur la timidité du Gouvernement à l’égard des paradis fiscaux, la liste retenue excluant de nombreux pays dont les pratiques s’apparentent pourtant à un véritable dumping fiscal. Mon collègue Thierry Carcenac alertait également le Sénat sur la faiblesse des effectifs de la direction générale des finances publiques affectés au contrôle fiscal, alors que le nombre d’entreprises soumises à la TVA ne cesse d’augmenter.

La mission d’information de la commission des finances permet de dresser un premier bilan de l’application de cette loi. Le premier enseignement qu’elle a tiré est la difficulté d’apprécier l’efficacité de la lutte contre la fraude fiscale en France. Si les résultats du contrôle fiscal sont en hausse depuis 2018, nous ne pouvons pas apprécier pleinement l’efficacité du dispositif, faute de données fiables sur l’ampleur de la fraude.

Néanmoins, pour ce qui concerne la réforme du verrou de Bercy, la mission d’information a montré dans ses conclusions que l’équilibre trouvé en 2018 permet d’obtenir des résultats encourageants, les dossiers transmis par l’administration fiscale aux parquets ayant fortement augmenté. C’est bien la preuve que cette remise en cause partielle du verrou de Bercy était nécessaire…

Sur la TVA, les travaux de la commission justifient les inquiétudes que nous avions exprimées, puisque la part de la TVA dans les résultats du contrôle fiscal ne cesse de régresser d’année en année. Il y a sur ce point un réel besoin de faire monter les contrôles en puissance. Il ne faut pas prendre de retard, afin que le contrôle s’adapte à l’évolution de la fraude.

Vous le voyez, tous les principes, alertes et objectifs que nous défendions en 2018 sont toujours vrais aujourd’hui.

J’ajoute qu’il ne peut pas y avoir de véritable lutte contre la fraude fiscale sans une détermination de même ampleur contre l’évasion fiscale et les paradis fiscaux.

À cet égard, les députés de gauche se sont alarmés récemment, à juste titre, d’une mesure inscrite discrètement dans la loi de finances. Dans une tribune publiée dans le journal Le Monde, ils ont protesté contre la création d’une nouvelle niche fiscale, en faveur des captives de réassurance, insérée dans le texte par voie d’amendement au Sénat et adoptée quasiment sans débat grâce au recours à la procédure du 49.3. Ces captives sont un moyen d’optimisation fiscale : sur la centaine d’entre elles qui sont détenues par des entreprises, moins de dix sont domiciliées en France, le reste étant réparti dans des paradis fiscaux.

Comment le Gouvernement peut-il affirmer qu’il agit avec une vraie détermination contre l’évasion fiscale quand il fait adopter une telle mesure ? Alors que la France est « à l’euro près », selon le ministre de l’économie, comment peut-il prendre des mesures qui favorisent l’exil fiscal des multinationales et coûteront encore quelques centaines de millions d’euros supplémentaires à l’État ?

Cela montre bien qu’il est indispensable d’agir à l’échelon international, le rapporteur général y insistait. Je me félicite également de l’instauration d’un taux d’imposition minimal sur les sociétés, fixé à 15 % dans l’Union européenne ; c’est un premier pas, mais il doit s’inscrire dans une politique globale, cohérente et déterminée, pour prendre tout son sens.

Parce que l’évasion et la fraude fiscales minent notre contrat social et démocratique, le consentement à l’impôt, la régulation mondiale, la capacité des peuples à maîtriser leur destin et à rechercher l’intérêt général au service de tous, ce n’est qu’en conjuguant mesures françaises et internationales qu’il sera possible d’établir une politique efficace en la matière. Je me félicite que le Sénat y contribue (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Éric Bocquet applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Beaucoup de sujets ont été abordés, je vais devoir choisir…

Je vous rejoins, monsieur le sénateur, sur la question de la fraude à la TVA. C’est en effet un enjeu majeur, puisque, selon la dernière évaluation de l’Insee, la fraude à cette taxe s’élève à environ 20 milliards d’euros par an. On voit donc à quel point il est nécessaire d’agir plus efficacement.

À cet égard, un chantier me semble majeur : celui de la facturation électronique interentreprises, décidée par le Parlement voilà plusieurs années. Cette réforme, qui va entrer en vigueur à partir de 2024, sera majeure. D’un point de vue technique, elle est d’une ampleur comparable à celle du prélèvement à la source. On en parlera probablement moins, parce que cela concerne non pas les Français directement, mais les entreprises, mais nous y travaillons tout de même d’arrache-pied pour anticiper les choses et pour rendre cette réforme simple pour les entreprises ; c’est d’ailleurs ce qui justifie une entrée en vigueur progressive.

L’Italie a été le premier pays d’Europe à mettre en place une telle réforme et, dès les premières années, elle a pu recouvrer plusieurs milliards d’euros de TVA supplémentaires. Ensuite, il y a eu un effet comportemental sur la déclaration des entreprises. Donc, oui, je suis d’accord pour faire de la fraude à la TVA une priorité et le chantier de la facturation électronique est à cet égard crucial.

Le second sujet concerne le secteur du e-commerce, qui a pris énormément d’ampleur. Des discussions sont actuellement menées à l’échelon européen sur ce thème ; je pense notamment à la directive dite « e-commerce », sur laquelle nous souhaitons également avancer.

Mme le président. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer l’excellente initiative de la commission des finances, sous l’impulsion de son président et de son rapporteur général, consistant à mettre sur pied la mission d’information sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, près de quatre ans après l’adoption de la loi, dite Darmanin, du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.

En effet, il convenait de tirer un premier bilan des dispositions adoptées à l’époque ; il est très salutaire que le Parlement s’intéresse à ce sujet de manière permanente, tant l’enjeu est fondamental pour nos finances publiques. Au cours des dernières années, on a constaté une difficulté : les révélations sur ce sujet dans la presse suscitent des réactions indignées pendant quarante-huit heures au mieux, puis le soufflé retombe, tandis que les réactions du Gouvernement ne sont pas à la hauteur des enjeux financiers colossaux.

Chacun a ici en mémoire la déclaration très péremptoire du président Nicolas Sarkozy, le 23 septembre 2009 : « Les paradis fiscaux, c’est terminé ! »

Pourtant, au cours des quatorze dernières années, les scandales se sont répétés. Si l’on fait le compte, depuis 2013 – année de la tristement célèbre affaire Cahuzac, qui a fait tant de mal à notre République –, pas moins de quinze affaires ont été révélées par les journalistes d’investigation et les lanceurs d’alerte. Je les remercie, au nom de l’intérêt général !

Chaque fois, on retrouve les mêmes montants astronomiques, les mêmes systèmes sophistiqués et, trop souvent, malheureusement, l’implication de responsables politiques de haut niveau, ici et ailleurs. C’est ainsi que nous eûmes successivement droit aux Panama Papers, aux Paradise Papers, aux LuxLeaks, à l’OpenLux, aux CumEx Files, à l’affaire UBS et, plus récemment, aux Pandora Papers. Quel exotisme…

Cette accumulation d’affaires illustre parfaitement le caractère systémique et quasi industriel de l’évasion fiscale. Ce constat confère aux responsables politiques, quels qu’ils soient, une responsabilité majeure. Quel est donc le bilan de la loi de 2018 ?

La mission d’information a constaté l’insuffisante évaluation de la fraude fiscale, notre rapporteur général l’a rappelé. La loi de 2018 avait prévu la création d’un observatoire d’évaluation de la fraude fiscale. Celui-ci n’a jamais vu le jour, faute d’un président. Pourtant, j’avais modestement proposé, à l’époque, ma candidature, à titre bénévole, soucieux que je suis des deniers publics. L’observatoire est donc mort-né, perdu dans les limbes…

Certes, le verrou de Bercy fut quelque peu desserré. C’est une bonne chose, mais il n’a toutefois pas été complètement supprimé. Nous sommes nombreux à penser que sa suppression totale devrait être envisagée, mais cela nécessiterait de renforcer en parallèle les moyens de la justice, notamment le parquet national financier, afin que notre justice puisse traiter comme il convient tous les dossiers de fraude fiscale.

Je ne partage pas la satisfaction de la mission d’information à propos des réponses pénales et des instruments de justice que constituent la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) – je me demande toujours où est l’intérêt public dans ce dispositif – et la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), une sorte de plaider-coupable à l’anglo-saxonne.

Certes, le Gouvernement peut mettre en avant les condamnations de McDonald’s ou du Credit Suisse au cours des derniers mois, mais les amendes récupérées ne représentent pas la totalité des sommes détournées et cette méthode de « négociation » laisse entendre au commun des mortels que la loi fiscale ne s’applique pas de la même manière, « selon que vous serez puissant ou misérable », pour reprendre les termes du grand Jean de La Fontaine.

Notre mission d’information a aussi examiné de manière très logique la dimension européenne du sujet. L’Union européenne considère qu’il n’existe en son sein aucun paradis fiscal. Pour répondre à cela, je me contenterai de citer l’exemple de nos « partenaires » du Luxembourg, mis en cause en février 2021 dans une enquête au long cours du journal Le Monde intitulée OpenLux. Nous apprenions dans cette enquête que le Luxembourg hébergeait 55 000 sociétés offshore, cumulant ensemble 6 500 milliards d’euros d’actifs, quasiment vingt fois le budget de la France ! En outre, parmi ces 55 000 sociétés venaient, en tête de classement, les Français, 17 000 de nos concitoyens détenant des sociétés offshore.

L’une des armes essentielles, indispensable dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, est la transparence. Or, de ce point de vue, l’Union européenne envoie ces derniers temps des messages quelque peu inquiétants et contre-productifs, comme Jean-François Husson l’a rappelé.

Jugeons-en : la Cour de justice de l’Union européenne considère au travers d’une décision très surprenante que la communication des informations sur les bénéficiaires effectifs des sociétés est réservée aux pouvoirs publics et aux organismes spécialement habilités à recevoir ces données. Jusque-là, de telles informations étaient en libre accès sur internet. La CJUE freine ainsi les ardeurs des défenseurs d’une transparence absolue.

Il est clair que seules une volonté politique forte, pérenne, et une priorisation de ce combat permettront d’avancer véritablement, au nom de l’intérêt général. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Les conventions judiciaires d’intérêt public me semblent, à plusieurs titres, être un outil utile. D’abord, elles font gagner du temps, les procédures judiciaires pouvant être extrêmement longues. Ensuite, elles permettent de s’assurer que les finances publiques recouvrent une part très importante de la fraude.

Indépendamment du fait que les recours en appel, ou les procédures elles-mêmes, peuvent être très longs, il faut savoir, au moment d’entamer une bataille judiciaire, qui l’on affronte. Même si l’État est, évidemment, très outillé, de grandes entreprises disposent parfois d’une armée juridique ; aussi, les choses peuvent durer.

De plus, la succession d’instances et d’appels peut finir par faire baisser le montant que nous parvenons à recouvrer. J’en veux pour preuve le cas d’UBS : le contentieux n’est pas encore réglé, il me semble, mais il est clair que la peine sera amoindrie, entre la première condamnation et l’appel, de plusieurs milliards d’euros.

Je tiens à saluer l’engagement des agents et des enquêteurs de la direction des vérifications nationales et internationales (DVNI). Ils ont notamment permis la signature de la CJIP avec McDonald’s cet été ; j’étais allé les rencontrer sur site pour saluer ce travail qui a rapporté 1,3 milliard d’euros. Vous-même, monsieur le sénateur, avez cité une autre affaire, concernant le Credit Suisse.

Si la DVNI me paraît un outil utile, il faut examiner si signer un accord avec les parties « vaut le coup », ou s’il vaut mieux aller au contentieux ; je vous rejoins évidemment sur ce point. Les agents remarquables qui ont été à l’œuvre sur les affaires mentionnées, en l’occurrence, ont considéré que signer la CJIP valait la peine, ce sur quoi nous étions d’accord. Elle nous permet de recouvrer les montants contestés, et garantit également, par rapport à des procédures multiples étalées sur plusieurs années, de remettre plus rapidement « dans les clous » l’entreprise concernée.

Mme le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet. (M. Michel Canévet applaudit.)

Mme Sylvie Vermeillet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à parcourir les multiples et vertigineuses estimations de la fraude fiscale, à les comparer à nos semaines de débat pour ajuster les lois de finances, on a l’impression de se trouver devant le tonneau des Danaïdes…

En effet, pendant que nos travaux se concentrent sur la création, la suppression ou la répartition de tel ou tel impôt, des dizaines de milliards d’euros nous échappent du fait d’une telle fraude.

Par conséquent, je remercie la mission d’information relative à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, et je salue son travail important, en premier lieu celui du rapporteur général de la commission des finances, Jean-François Husson. En effet, compte tenu des montants en jeu, il y a bien urgence à agir dans ce domaine.

Je souscris sans réserve aux recommandations visant à donner accès aux données nécessaires à leur mission de contrôle et de répression aux services de la direction générale des finances publiques (DGFiP), de la direction générale des douanes et droits indirects et à ceux de la justice. Je souscris également aux recommandations dont l’objectif est de fluidifier les échanges entre ces directions et de favoriser le partage des données utiles à chacune.

Il est urgent de mettre en œuvre la recommandation n° 5 du rapport, visant à doubler, d’ici à cinq ans, le nombre d’officiers fiscaux judiciaires, ce qui suppose que les salaires soient attractifs.

Tout commence par là, monsieur le ministre : il nous faut les meilleurs des meilleurs pour déjouer les systèmes les plus sophistiqués qui soient. Fort heureusement, quelques-uns de ces spécialistes sont de notre côté, mais ils sont trop peu nombreux, et sous-rémunérés au regard de ce que la grande finance peut offrir. Pour inverser le rapport de force, il nous faut déployer des armes de gros calibre. Cela suppose, en premier lieu, de disposer d’agents nombreux, très bien payés et bénéficiant de moyens.

En matière de fraude à la TVA, estimée entre 20 milliards et 25 milliards d’euros chaque année, je présenterai trois constats.

Le premier est lié aux fraudes à la TVA. Leurs sources sont multiples : absence de reversement de la TVA collectée, reversement de cette taxe à un taux minoré, optimisation des opportunités du droit intracommunautaire en multipliant, pas seulement en matière de e-commerce, les opérateurs non immatriculés ou défaillants et, bien sûr, organisation de fraudes de type « carrousel ».

En raison de ce fléau qu’est la fraude carrousel, j’ai un doute sur l’efficacité de la généralisation de la procédure d’autoliquidation de la TVA au 1er janvier 2022. L’autoliquidation constitue justement le point de départ d’une telle fraude ! Si les déclarations ne sont pas contrôlées, les failles vont devenir des gouffres ; le machine learning à disposition des services de contrôle de la DGFiP n’est pas encore assez intelligent pour vérifier cette autoliquidation.

Mon constat est donc un appel à la vigilance : le guichet unique de déclaration de la TVA à l’importation sera-t-il efficace ?

Mon deuxième constat sera une suggestion au sujet des actifs numériques, notamment les jetons non fongibles, les NFT (Non Fongible Tokens), pour lesquels la fraude de type carrousel est tentante. Essayons de ne pas prendre trop de retard sur les voleurs et adaptons notre réglementation !

Les NFT peuvent être instantanément acquis et cédés entre deux assujettis à la TVA. L’absence de flux physique facilite la fraude. Comme il n’existe pas de registre officiel permettant de faire le rapprochement entre l’adresse publique détenant les actifs numériques et la dénomination sociale du bénéficiaire, ne peut-on pas obliger les entreprises françaises à déclarer, comme les particuliers, leurs comptes d’actifs numériques à l’administration fiscale ?

Dernier constat, si la fraude carrousel est un enjeu important, il existe aussi toute une fraude de base consistant à ne pas déclarer tout ou partie de ses recettes. Je me suis déjà exprimée plusieurs fois à ce sujet, car il est clair que les comptables et les banquiers savent qui triche et qui déclare.

L’agence Tracfin est, bien sûr, opérationnelle, mais les experts-comptables ne vont pas lui adresser des signalements pour des affaires mineures. Or de telles affaires représentent, à l’échelle de la France, quelques milliards d’euros de TVA.

Aussi, monsieur le ministre, quelle est votre position sur le secret professionnel inhérent aux professions bancaires et comptables ? Ne pensez-vous pas qu’il pourrait exceptionnellement être levé lorsque l’administration fiscale procède à des contrôles ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)