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Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno.
M. Olivier Henno. Lors du scrutin n° 113 du 31 janvier 2023 portant sur l’ensemble du projet de loi relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, mon collègue Bernard Delcros souhaitait voter pour.
M. le président. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
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Candidatures à deux missions d’information
M. le président. L’ordre du jour appelle la désignation des vingt et un membres de la mission d’information sur le thème : « Gestion durable de l’eau : l’urgence d’agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement. »
En application de l’article 8 de notre règlement, la liste des candidats présentés par les groupes a été publiée.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
L’ordre du jour appelle la désignation des vingt-trois membres de la mission d’information sur le thème : « Le bâti scolaire à l’épreuve de la transition écologique. »
En application de l’article 8 de notre règlement, la liste des candidats présentés par les groupes a été publiée.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
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Candidatures à deux commissions spéciales
M. le président. L’ordre du jour appelle la désignation des trente-sept membres des commissions spéciales sur la proposition de loi visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie, et sur la proposition de loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » au cœur des territoires.
En application de l’article 8 bis, alinéa 3, de notre règlement, les listes des candidats présentés par les groupes politiques ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
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Candidature à une mission d’information
M. le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la mission d’information sur le développement d’une filière de biocarburants, carburants synthétiques durables et hydrogène vert a été publiée.
Cette candidature sera ratifiée si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
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Nombre minimum de soignants par patient hospitalisé
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi relative à l’instauration d’un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé, présentée par M. Bernard Jomier et plusieurs de ses collègues (proposition n° 105, texte de la commission n° 282, rapport n° 281).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Bernard Jomier, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Bernard Jomier, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mi-janvier, il y a quinze jours, dans l’État de New York, les infirmières ont déclenché un mouvement qui fut massif. En quelques jours, elles ont eu gain de cause : elles ont obtenu des ratios de soignants par patient.
Il n’y a pas que la France qui, soumise à des contraintes budgétaires, a voulu résoudre celles-ci en réduisant le nombre de soignants au lit des malades dans ses hôpitaux.
Conjuguée à la stagnation des rémunérations – stagnation qui, les années passant, s’est transformée en baisse –, cette ligne politique visait à contenir les budgets des hôpitaux en actionnant la contrainte du premier poste de dépense, la masse salariale.
L’effet fut le même partout : les soignants, mal payés et surchargés de travail, ont commencé à quitter l’hôpital.
Si nous voulons rendre à l’hôpital public son attractivité, nous devons répondre à deux problématiques principales : celle des rémunérations, en prenant en compte le travail de nuit et le week-end, et celle de la charge de travail, élément fondamental de la qualité de vie au travail pour les soignants, et de la qualité et de la sécurité des soins pour les malades.
Le Ségur a apporté des réponses à la première question. Il doit d’ailleurs être complété, car trop d’insuffisances et trop d’injustices subsistent. Mais la question des rémunérations ne peut à elle seule maintenir ou ramener à l’hôpital des soignants fatigués, lassés de la dégradation des conditions d’exercice de leur mission.
Ces soignants, nous les avons longuement écoutés dans le cadre des travaux de notre commission d’enquête sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France, dont Catherine Deroche était rapporteure.
Nous avons entendu leur colère face à la perte de sens de leur métier. Ils aiment ce dernier et se consacrent à leur travail, mais ils ne veulent pas rentrer chez eux le soir en ayant parfois le sentiment d’avoir été maltraitants par manque de temps, ce temps qui est si précieux dès lors que l’on ne veut pas résumer le soin à des actes techniques, mais respecter en lui les dimensions relationnelle et humaine.
L’unanimité de ce constat était frappante et nous nous devons d’y apporter une réponse. Nous pouvons du reste en identifier la cause : celle-ci tient au nombre de soignants par patient, qui a été réduit au fil des années.
Il faut inverser cette évolution qui sape les fondements des métiers du soin en portant atteinte à leurs valeurs. Il faut revenir à un nombre de soignants par patient plus élevé.
À l’étranger, de nombreux pays ont établi des ratios, souvent de six à dix patients par infirmier, avec comme résultat démontré une amélioration de la qualité des soins, une diminution du nombre de complications, un raccourcissement des hospitalisations, un abaissement du nombre d’infections nosocomiales et d’erreurs médicamenteuses.
Un effet positif en termes de dépenses est même relevé à moyen terme, car l’augmentation des effectifs est plus que compensée par les coûts évités grâce à la diminution du nombre de complications et des durées d’hospitalisation.
En France, les ratios existent déjà. Ils ne sont réglementaires que pour certaines activités de soins, mais dans la réalité, dans le quotidien, ils sont omniprésents.
Les budgets de tous les hôpitaux, les projets de restructuration de tous les hôpitaux, intègrent des ratios de douze à quinze patients par infirmière quand la moyenne des pays comparables est plutôt de six à dix.
En réalité, tout le monde édicte des ratios, mais le législateur, lui, devrait rester silencieux quand ceux-ci sont devenus un puissant facteur de démotivation des soignants, car fondés sur des critères financiers, car déconnectés de la qualité des soins ?
Les travaux préparatoires à notre délibération, et en particulier les nombreuses auditions menées par la rapporteure Laurence Rossignol, que je remercie et dont je salue l’important travail, ont révélé l’unanimité des organisations professionnelles et des syndicats de soignants à ce sujet.
Des infirmières aux kinésithérapeutes, des sages-femmes aux médecins, tous demandent l’adoption de ce dispositif et le présentent même souvent comme indispensable pour stopper le départ des soignants de l’hôpital.
Je veux croire que notre assemblée saura répondre à cette demande.
Et d’autant plus largement que le texte adopté par la commission des affaires sociales a intégré les remarques constructives d’un certain nombre d’acteurs sur la nécessaire progressivité des ratios et sur leur adaptation aux spécificités des établissements et des spécialités.
Karl Popper, en son temps, a théorisé la nécessité que nous affrontons d’une formule : il faut une règle du jeu et il faut du jeu dans la règle. Nous ne devons abandonner aucun des termes de cette juste position. La souplesse, oui ; le renoncement, non.
Aucun motif technocratique ne peut justifier le refus de ratios conformes aux enjeux de qualité et de sécurité des soins quand ceux qui les refusent appliquent sans état d’âme des ratios financiers insupportables pour les soignants.
Mes chers collègues, des lits – beaucoup de lits – sont aujourd’hui fermés faute de soignants. Une enquête de l’agence pour l’emploi des soignants menée en 2022 auprès des intérimaires montre que les critères principaux amenant à la décision de quitter l’hôpital et qui pourraient amener à y retourner concernent non pas la rémunération, mais l’adaptation des plannings et un ratio infirmier/patient cohérent.
Dans son rapport du 17 novembre 2022 – il est donc tout récent – sur les déterminants de la qualité et de la sécurité des soins en établissement de santé, le collège de la Haute Autorité de santé (HAS) confirme que le lien entre les ratios de personnel, la qualité et la sécurité des soins est étayé par la littérature.
Alors, mes chers collègues, je sais l’engagement de chacun et de chacune dans notre assemblée pour que nos hôpitaux de proximité, les centres hospitaliers, universitaires ou non, de nos territoires retrouvent leur attractivité et répondent au mieux aux besoins de santé de nos populations.
La mesure que je vous propose aujourd’hui, que la commission des affaires sociales vous propose aujourd’hui, est un élément de réponse fondamental attendu par les soignants.
Le Sénat, en adoptant ce texte, enverra deux signaux majeurs.
Un premier signal aux soignants, pour leur dire que nous les avons écoutés et entendus et que nous prenons nos responsabilités pour que le sens de leur métier soit respecté, pour que qualité et sécurité des soins soient la règle.
Un second signal au Gouvernement, auquel nous demandons de fonder ses décisions à venir sur une véritable approche de santé, non pas en niant la nécessité de choix budgétaires, mais en posant la qualité et la sécurité des soins en déterminant de ces choix.
L’heure est non plus aux paroles, mais aux actes. Nous pouvons, nous devons prendre soin de nos hôpitaux et de leurs soignants. Je vous appelle à voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Catherine Belrhiti, MM. Bernard Fialaire et Marc Laménie, ainsi que Mme la présidente de la commission des affaires sociales applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà plusieurs années que, dans cet hémicycle, nous discutons de la situation de l’hôpital.
Il ne s’agit pas d’une révélation que le Sénat aurait eue à l’occasion de la pandémie de covid-19 : notre commission des affaires sociales se rappelle particulièrement l’automne 2019 et les discussions pour le moins heurtées relatives au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, sur fond de grève des urgences et d’annonces présidentielles inopinées.
Cependant, malgré l’attention continue portée par les sénateurs à la situation de l’hôpital, malgré la constitution d’une commission d’enquête qui a mené un travail fouillé et formulé des recommandations adoptées à la quasi-unanimité, l’action du Gouvernement au service du redressement de l’hôpital peine à trouver l’élan nécessaire – j’espère que vous appréciez l’euphémisme, mes chers collègues.
Quelle est la réalité de l’hôpital aujourd’hui, dans le contexte de crise générale que traverse notre système de santé ?
Les soignants sont épuisés. Épuisés de ne plus pouvoir exercer leur métier dans des conditions décentes ; épuisés de devoir assurer des gardes de nuit et de week-end plus nombreuses faute d’effectifs en nombre suffisant ; épuisés de voir les équipes se déliter, constatant le départ de ceux qui renoncent et le recrutement d’intérimaires qui fragilise encore plus leurs services.
Le Ségur, bien que nécessaire, n’a pas répondu à l’ensemble des enjeux. L’hôpital est fragilisé, les équipes au bord de la rupture, et en 2022, l’activité n’a toujours pas retrouvé des niveaux comparables à ceux d’avant la pandémie.
Le rapport de la commission d’enquête sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France s’intitulait Hôpital : sortir des urgences. Tel est l’enjeu principal auquel nous devons répondre.
Dans les services, cela suppose de redonner du temps aux soignants et, partant, aux soins.
La rapporteure de la commission d’enquête et présidente de la commission des affaires sociales Catherine Deroche appelait à établir des standards capacitaires. Accompagnés des recrutements adéquats, ces derniers devaient garantir aux équipes soignantes d’être en nombre suffisant pour faire face à la charge de soins, et ainsi retrouver des conditions d’exercice convenables.
C’est cette recommandation que Bernard Jomier, qui présidait cette fameuse commission d’enquête, a entendu traduire par la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui.
Son principe est simple : établir un nombre minimal de soignants par patient hospitalisé. Celui-ci peut être désigné par les termes « standard » ou « référentiel » : nous avons finalement retenu le mot « ratio ».
La commission des affaires sociales – je m’en réjouis – a souscrit au dispositif proposé, qu’elle a amendé sur mon initiative.
L’intention est claire : la commission entend s’adresser aux soignants et leur garantir une restauration de leur qualité de vie au travail et de leurs conditions d’exercice.
Ces ratios sont-ils le bon moyen pour y parvenir ? Nous avons de bonnes raisons de le penser. Sont-ils le seul moyen ? Nous ne le prétendons nullement.
Des expériences étrangères – je pense en particulier à la Californie ou au Queensland en Australie – suffisamment documentées montrent des effets positifs très clairs liés à la mise en œuvre de ratios de soignants.
Amélioration de la durée moyenne de séjour, baisse de la mortalité ou encore des réadmissions : l’instauration de ratios a des effets favorables en matière de santé publique.
Ce n’est du reste pas une surprise. La Haute Autorité de santé constatait en décembre une corrélation reconnue par la littérature entre l’effectif médical et le pronostic des patients.
Parallèlement, l’instauration de ratios a des effets tout aussi clairs sur la qualité de vie au travail du personnel soignant : augmentation de l’attractivité, baisse des situations d’épuisement ou de burn-out, soit précisément ce à quoi nous voulons œuvrer.
Pour la commission, rétablir l’attractivité et offrir des conditions décentes d’exercice aux soignants sont des conditions nécessaires pour reconstituer les effectifs et renforcer les équipes.
Ce sont les conditions indispensables pour faire revenir les soignants qui ont quitté l’hôpital et pour prévenir de nouveaux départs.
M. le ministre de la santé et de la prévention avait déclaré qu’il ne fallait prendre en la matière de mesures ni « brutales » ni « uniformes ».
Le texte issu des travaux de la commission n’est ni « brutal » ni « uniforme » – je ne doute pas que vous saurez le reconnaître, madame la ministre.
Il n’est pas uniforme, d’abord, car les ratios de qualité que la proposition de loi vise à créer tiennent compte des différentes activités et spécialités hospitalières. Il n’est pas question de fixer une jauge aveugle et unique, par exemple pour la pédiatrie et la cardiologie. Nous souhaitons que les ratios répondent aux besoins différenciés et – cela est précisé dans le texte – à l’évaluation de la charge en soins.
Certains estiment que ces ratios sont complexes à définir, et qu’il est préférable de travailler sur la prise en compte de la charge en soins au quotidien, service par service.
Lors des auditions, j’ai beaucoup entendu parler de la « magie » de la charge en soins. Pourquoi cela n’a-t-il jamais été fait ? Voilà trente ans que le sujet est soulevé, et on peine encore à se doter d’outils susceptibles de répondre à ce besoin d’évaluation sans créer de charge supplémentaire.
Grâce à la présente proposition de loi, ces outils deviendront une priorité et ils seront enfin définis.
Ces dispositions ne sont pas uniformes, ensuite, car nous sommes allés plus loin en commission, en prévoyant également des distinctions selon la spécialisation et la taille de l’établissement. À situation différente, traitement différent : un service de centre hospitalier universitaire (CHU) avec des surspécialités n’a pas les mêmes besoins qu’un centre hospitalier régional (CHR) dont les unités traitent des patients qui requièrent des soins en moyenne moins complexes.
De même, attachée à respecter le rôle des soignants de terrain, la commission a prévu qu’une fois ces ratios établis, les commissions médicales et de soins infirmiers devraient s’en saisir.
Le texte prévoit ainsi que ces dernières approuvent l’organisation des soins dans un établissement au regard des ratios fixés. Nous prenons donc en compte les situations particulières, et nous laissons aux soignants la latitude nécessaire dans la définition de leur maquette organisationnelle.
Ces dispositions, par ailleurs, ne sont pas brutales. Comme je l’ai précisé lors des travaux de la commission et dans mon rapport, les ratios doivent s’entendre, non pas comme des couperets, mais bien comme des « fourchettes ». Si le mot ne figure pas dans le texte, l’intention y est, et je ne doute pas que l’on veille toujours à prendre en considération l’intention du législateur.
La commission a également ménagé une entrée en vigueur progressive du dispositif. Il va de soi que les ratios ne s’appliqueront pas dès le 1er juillet 2023. Personne n’y croirait, et prétendre cela possible serait au mieux un vœu pieux, au pire un mensonge irresponsable – on ne peut pas nous soupçonner de cela.
La commission a veillé à garantir la crédibilité du dispositif. Elle a prévu que la mission de référentiel donnée à la Haute Autorité de santé prenne effet au plus tard au 31 décembre 2024. À l’issue de celle-ci, le Gouvernement disposera d’un délai de deux ans pour établir les ratios de référence, fixés par voie réglementaire.
Cette progressivité tient à la nécessité d’évaluer finement les besoins, mais aussi, et surtout, d’engager de manière réaliste les recrutements nécessaires.
La commission a, en responsabilité, souligné la distinction entre les ratios de sécurité qui existent déjà aujourd’hui et les nouveaux ratios, établis en vue de garantir la qualité des soins et des conditions d’exercice des soignants.
Les ratios qui existent aujourd’hui au nom de la sécurité des patients sont prévus par décret et constituent des conditions requises pour le fonctionnement des établissements. Dès lors qu’ils ne sont plus respectés, la capacité d’accueil est restreinte.
Ces ratios s’appliquent dans les services de néonatologie, de réanimation néonatale, de traitement des grands brûlés, de réanimation, de soins intensifs et de prise en charge de l’insuffisance rénale chronique. Les secteurs de naissance et les unités de traitement du cancer sont également soumis à des exigences du même ordre.
À ratios différents, conséquences différentes : les ratios de qualité n’entraîneront pas ipso facto de fermetures de lits. Le fonctionnement des services sera assuré pendant une durée déterminée, mais l’agence régionale de santé (ARS) sera informée de l’état des effectifs.
Les ratios de qualité visent à rétablir les capacités hospitalières par la confiance et par les effectifs. Les fermetures de lits découlent de la situation actuelle de l’hôpital ; l’adoption de notre proposition de loi n’en entraînerait pas de nouvelles.
Vous le constatez, madame la ministre, mes chers collègues, il n’est donc point question de rigidité. C’est un changement d’approche qui est proposé : sortir des ratios de performances qui ont fragilisé l’hôpital pour bâtir des ratios de qualité.
Je tiens à souligner pour conclure que la commission des affaires sociales n’oublie pas la nécessité de travailler sur d’autres enjeux directement liés à l’attractivité des métiers et aux conditions de travail, notamment le recrutement.
Faut-il évoquer la suppression de l’examen de motivation dans Parcoursup ? De nombreux soignants que nous avons entendus dans le cadre de la préparation de ce texte ont évoqué les difficultés et les dysfonctionnements qu’ils déplorent dans le recrutement des instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi), et le choix d’une maquette qui fragilise les conditions de formation.
Ils ont également pointé, parmi les causes des difficultés de recrutement à l’hôpital, les problèmes d’accès au logement dans les grandes métropoles.
La commission croit à la nécessité de ce dispositif et elle a entendu le message des soignants : médecins, sages-femmes, infirmiers et paramédicaux sont unanimes.
C’est en responsabilité que la commission vous invite à adopter cette proposition de loi, mes chers collègues. Je suis convaincue que ce texte n’est certes qu’une première étape, une brique, mais que celle-ci est indispensable. S’engage avec cette proposition de loi ce que je qualifierai de « loi de programmation », c’est-à-dire une loi qui voit plus loin et qui doit déterminer les moyens à venir.
J’espère que notre assemblée adoptera ce texte à la large majorité qu’il mérite, et je souhaite que l’Assemblée nationale et le Gouvernement poursuivent ensuite le travail sérieux engagé par le Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – Mmes Laurence Cohen et Évelyne Perrot applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous débattons aujourd’hui d’un objectif partagé par le Gouvernement et sur l’ensemble des travées de cet hémicycle.
Face aux tensions auxquelles sont confrontés certains de nos services hospitaliers, en tant que responsables politiques, nous partageons un même sens du devoir.
Ce devoir consiste, selon les termes de l’exposé des motifs du texte proposé par le sénateur Jomier, que je remercie d’ouvrir ce débat, à « offrir un cadre de travail décent et bientraitant aux professionnels de santé » et à « permettre une prise en charge des patients conforme aux exigences de qualité et de sécurité des soins ».
La proposition de loi dont nous débattons a pour objet d’instituer pour chaque spécialité et type d’activité de soins un ratio minimal de soignants par lit. Plus précisément, elle prévoit de fixer et de faire établir sur le plan national par la Haute Autorité de santé un nombre minimal obligatoire d’infirmiers et d’aides-soignants de jour et de nuit présents au chevet des patients.
Si l’intention qui a présidé à l’élaboration de ce texte est tout à fait légitime, son adoption risquerait de nuire à l’objectif fixé, et finalement d’affaiblir la réponse aux besoins de santé de nos concitoyens. (Mme Émilienne Poumirol le conteste.)
Lors de son discours de vœux aux acteurs de la santé, le Président de la République a réaffirmé avec conviction que notre méthode pour parvenir à redonner du sens et de l’efficacité au travail des soignants et pour combattre les effets de l’érosion de la démographie médicale consiste à travailler à de meilleures organisations collectives pour favoriser la cohésion de la communauté hospitalière.
Cela suppose de donner plus de liberté d’organisation et de permettre plus d’agilité, pour que chaque service ait la capacité d’adapter son fonctionnement en temps réel aux besoins rencontrés.
Notre objectif est ainsi d’établir un modèle dans lequel les solutions se construisent localement à partir de la charge en soins constatée et des leviers disponibles pour y répondre.
C’est pour cela qu’avec François Braun, nous insistons sur la place du service, qu’il faut conforter et renforcer au cœur de l’hôpital. C’est bien cet échelon qu’il convient d’investir pour réinsuffler de la souplesse et retrouver de la pertinence dans des organisations du temps de travail construites avec les soignants.
L’établissement de ratios fixes sur une base nationale par la Haute Autorité de santé est à l’opposé de cette méthode.
Même en raisonnant par spécialité, même en raisonnant par type d’activité, les besoins de chaque service ne seront jamais les mêmes au même moment, non plus que les capacités et les leviers disponibles, qui diffèrent en fonction des établissements et de leurs spécificités.
Notre réponse ne doit pas consister à standardiser des effectifs ; elle doit au contraire s’efforcer de mieux allouer les ressources humaines afin de les déployer au bon endroit, au bon moment.
J’insiste sur ce terme « ressources », qui prend naturellement en compte le nombre des soignants, mais aussi leurs compétences et leur expertise.
Il ne s’agit pas de résoudre une équation. Trop longtemps, il a été reproché aux hôpitaux d’avoir une gestion trop normée, fondée sur des tableurs Excel.
Nous parviendrons à répondre aux besoins, non pas avec des tableurs Excel, mais en nous appuyant sur une évaluation au cas par cas de la charge en soins et du niveau de ressources adapté à cette charge en soins.
Cela suppose aussi de laisser les ajustements spécifiques à la main de ceux qui connaissent le mieux les besoins et les capacités de leurs équipes à y répondre. Le binôme chef de service-cadre de santé est à ce titre fondamental. Il nous faut le soutenir.
Avec le ministre de la santé et de la prévention, nous voulons réaffirmer la confiance que nous avons dans ce binôme managérial dans le cadre de la transformation de l’hôpital que nous menons.
Nous souhaitons en effet que les chefs de service et les cadres de santé puissent pleinement se saisir de leur mission de garants de la qualité des soins et de la stabilité des collectifs de leur service.
Nous pensons que les managers doivent non pas organiser des cadences et un travail à flux tendu, mais bâtir de nouveaux modèles de développement plus souples, plus adaptés aux contraintes et plus participatifs.
Cette confiance, cette marge d’action et cette liberté d’organisation sont essentielles pour que chacun se sente mieux reconnu et valorisé dans son travail. Nous savons qu’un soignant qui se sent bien est un soignant qui soigne mieux.
C’est aussi un enjeu important de fidélisation des professionnels, pour que les carrières à l’hôpital public retrouvent des perspectives et toute leur attractivité.
C’est de cette manière que nous agirons réellement pour satisfaire à cette double exigence de réponse locale aux besoins des patients et de garanties quant à la qualité de vie des soignants.
Il ne s’agit pas de trouver des chemins détournés pour ignorer ou éviter de traiter les problèmes. Oui, certains services sont confrontés à une situation d’insuffisance chronique de personnel. Oui, le manque de soignants est une réalité dans certains services et dans certains modes d’exercice, pour le travail de nuit notamment.
Nous devons prendre le sujet à bras-le-corps avec pragmatisme. Nous avons le devoir de trouver les moyens d’y faire face, à très court terme.
Toutefois, même si des ratios étaient mis en place avec les meilleures intentions du monde, la question ne se réglerait pas en les « décrétant » dans la loi.
François Braun et moi-même restons fidèles à nos convictions : la coercition n’est pas un mode de résolution des problèmes dans les territoires.
Dans la mise en adéquation des effectifs avec la réalité des besoins, nous en appelons également à la responsabilité de chacun, c’est-à-dire à la responsabilisation des directions, qui doivent donner des outils adaptés aux équipes, et à la responsabilisation des équipes de terrain pour se saisir de ces outils.
Je parlais de combattre les effets de la diminution de la démographie médicale et des difficultés d’attractivité des métiers de la santé. C’est ce à quoi nous nous sommes attelés à très court terme, car c’est l’urgence.
C’est un travail que nous menons parallèlement et de manière complémentaire aux efforts structurels que nous avons engagés pour nous attaquer aux causes de l’érosion de la ressource soignante et augmenter durablement le nombre des professionnels de santé.
Notre objectif – nous l’avons rappelé lors de nos vœux aux forces vives, lundi – est de former plus de soignants et de les former mieux.
Je pense bien sûr à la suppression du numerus clausus pour les médecins.
Je pense au travail que nous menons avec les régions pour remplir des objectifs quantitatifs et qualitatifs de formation de nouveaux infirmiers et infirmières au sein de cursus rénovés et sécurisés.
Je pense à la libération des voies d’accès aux métiers du soin, au développement de l’apprentissage, à la validation des acquis de l’expérience (VAE), aux contrats d’engagement et de service public, dont le nombre va augmenter.
Je pense aussi aux travaux que nous menons pour améliorer le quotidien des soignants et mieux prendre en compte la pénibilité : l’extension de la prime d’exercice en soins critiques que nous avons déjà décidée pour reconnaître la mobilisation de tous les soignants de ces services ; les mesures dédiées au travail de nuit prises depuis l’été, car, si l’hôpital ne peut jamais s’arrêter, nous constatons que cet effort ne va plus de soi aujourd’hui ; la mobilisation dans les territoires des leviers locaux d’attractivité afin de faciliter la vie quotidienne de nos soignants, qu’il s’agisse de leur logement, de leur transport, de leur stationnement ou de la garde de leurs enfants.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le constatez, notre politique est globale. Elle est à la croisée des nécessités urgentes et des chantiers de plus long terme. Elle nous permet à la fois de rénover le mode de fonctionnement de nos services hospitaliers à court terme et de travailler à sécuriser leurs effectifs sur le long terme.
J’indiquais qu’inscrire des ratios dans la loi ne réglerait en rien les deux problématiques conjointes susvisées. Je crois même que leur rigidité intrinsèque serait de nature à aggraver les problèmes qu’ils entendent résoudre.
En effet, une fois les ratios établis, plusieurs questions très concrètes émergeraient d’emblée. Que se passe-t-il, par exemple, si l’hôpital n’arrive pas à recruter suffisamment pour respecter les ratios imposés par la loi ?
Je l’affirme : établir des ratios conduira inévitablement à des réorganisations de l’offre de soins, avec des effets collatéraux nécessitant des rappels de personnel, des fermetures de lits et, dans les cas les plus difficiles, des fermetures de services.