M. Mathieu Darnaud. Déjà ? (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Ce sera l’occasion de préciser les données chiffrées, sur lesquelles le dialogue a peut-être manqué de clarté ces dernières années.
Le Gouvernement ne partage donc ni le postulat à l’origine de cette proposition de loi ni la volonté d’autonomisation de la sécurité sociale qui en découle, même dans le cadre d’une expérimentation, comme cela est envisagé par la commission. Une telle démarche se heurte à nos principes de solidarité et d’égalité entre les citoyens, qui fondent notre système de sécurité sociale. La situation appelle néanmoins des réponses concrètes et rapides aux besoins d’accès aux soins des habitants de Saint-Barthélemy.
Le Gouvernement souhaite le rappeler, différents outils offrent déjà à la collectivité territoriale la possibilité d’intervenir pour améliorer l’offre de soins sans qu’il soit nécessaire de recourir à une compétence partagée. Je pense à sa participation au conseil de surveillance de l’ARS Guadeloupe, dans laquelle est inclus Saint-Barthélemy, et à l’élaboration du futur projet régional de santé d’ici à la fin de l’année 2023. Je songe également à la faculté pour les collectivités territoriales, depuis la loi 3DS, de participer volontairement au financement du programme d’investissement des établissements de santé.
Répondrons-nous ensemble avant tout au travers d’évolutions institutionnelles aux avancées très concrètes dont Saint-Barthélemy a besoin pour améliorer l’accès aux soins ? Le Gouvernement est déjà pleinement engagé dans des travaux – ils sont nombreux – en faveur de l’accès aux soins à Saint-Barthélemy.
Je n’en citerai que deux. Une étude a été lancée au sujet de l’éventuelle mise en place à Saint-Barthélemy d’un centre de périnatalité de proximité, afin de sécuriser la prise en charge avant transfert des parturientes à Saint-Martin. Un projet de restructuration du centre hospitalier de Bruyn, pour améliorer le fonctionnement de ses services, est également à l’étude avec 4,7 millions d’euros de crédits issus du Ségur de la santé. Cette structure de proximité est appréciée des habitants. Il faut accompagner sa modernisation et l’efficacité des soins qui y sont prodigués. Est-il dès lors réellement nécessaire de construire un nouvel hôpital ?
Au-delà de ces constats, je conclurai mon propos en soulignant que la santé constitue un axe majeur de la méthode de refondation voulue par le Président de la République. Après une première phase territoriale, qui s’est achevée au mois de décembre dernier, la nouvelle étape du Conseil national de la refondation (CNR) santé a bel et bien vocation à entrer dans le cœur des solutions. François Braun et moi-même aurons l’occasion de revenir sur sa déclinaison pour construire des solutions adaptées. Au cœur de la philosophie d’application du CNR, le droit de dérogation aux normes réglementaires constitue ainsi un levier d’action puissant, à même d’apporter des réponses aux besoins de santé spécifiques de Saint-Barthélemy comme de l’ensemble des territoires.
Le comité interministériel pour les outre-mer (Ciom) qui se tiendra le 19 mai prochain sera également un rendez-vous essentiel pour apporter des réponses concrètes et fortes aux besoins de santé du territoire. Nous travaillerons avec le ministère des outre-mer et l’auteur de cette initiative pour construire ensemble des solutions pérennes. (Mme Nicole Duranton applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Victorin Lurel. Madame la présidente, mes chers collègues, je vous l’avoue, après avoir entendu les propos de Mme la ministre, qui ont remis en cause tous mes a priori favorables, je suis un peu gêné pour commencer mon discours.
J’ai entendu égrener un ensemble de chiffres impliquant l’inexistence de la différenciation du point de vue de la comptabilité, faute d’autonomie, avec une impossibilité de connaître exactement les résultats au sein des différentes caisses. Toutefois, j’ai également cru comprendre que la branche maladie serait légèrement excédentaire à Saint-Barthélemy : 19 millions d’euros de recettes contre 18 millions de dépenses. Mais il faut ajouter une dette de 70 millions d’euros.
Malgré cette dette, une collectivité, refusant de se défausser, demande pour la première fois, au nom du principe – si j’ose dire – presque sacré de solidarité nationale, à financer à la place de l’État. Et vous refusez, madame la ministre ! C’est assez étonnant.
Pour ma part, j’étais tout à fait satisfait – je ne suis pas le seul ici – de l’excellent travail réalisé par la commission des affaires sociales, qui était saisie pour avis, pour trouver le bon périmètre et les réponses pertinentes. Pourtant, en face, le Gouvernement vient nous assurer qu’il a toujours agi, promettant de mettre en place une liaison par hélicoptère. Voilà vingt ans que je suis parlementaire, dont dix ans comme député de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, et voilà vingt ans que j’entends la même chose !
Cette proposition de loi a l’air de satisfaire tout le monde sauf le Gouvernement, malgré l’excellent travail de la commission. Puisque notre rapporteure a été franche, je le serai aussi. Comme je l’ai précisé à Micheline Jacques, nous connaissions les difficultés posées par le texte, qui a été réécrit, et bien réécrit.
L’idée d’une expérimentation me laisse un peu dubitatif. Comment généraliser ensuite ? La collectivité de Saint-Martin demandera-t-elle à bénéficier de la même chose, surtout après l’expérience de la Polynésie française, qui a dû se tourner vers l’État pour lui faire assurer la gestion de la crise covid, reconnaissant qu’elle n’avait pas les moyens de ses compétences ? Et quid des autres territoires qui bénéficient d’une autonomie, même s’il s’agit d’autonomies à géométrie variable ?
Comment généraliser une expérimentation ayant seulement vocation à rester cantonnée à Saint-Barthélemy ? Envisagez-vous une généralisation dans le temps, par exemple pour cinq ans, afin de voir s’il convient ensuite de pérenniser ou non ? Ce sera déjà une déformation de l’esprit de l’expérimentation. Je suis un peu sceptique.
La commission a fait preuve de prudence. Compte tenu des incertitudes liées au caractère monosectoriel de l’économie concernée, il est difficile de savoir si la collectivité sera capable de dégager des excédents à l’avenir. Saint-Barthélemy souhaite remplir une fonction qui n’est pas la sienne, la santé étant une compétence exclusive, quasi régalienne, de l’État. Elle demande à cofinancer sans partager la responsabilité. Ce serait un pouvoir de proposition et de cofinancement.
Comment atteindre un tel objectif ? La proposition de loi organique a circonscrit les compétences au seul périmètre de l’assurance maladie, dont les comptes sont tout juste équilibrés. La formulation première élargissait les compétences à toute la CPS, une caisse qui porte ce nom tout en étant seulement, disons-le clairement, une CPS croupion. En effet, elle se réduit à un comité de suivi adossé à la CCMSA Poitou et ne tient même pas de comptabilité analytique.
Se pose un problème de compréhension de la loi organique. Nous croyons en la différenciation. C’est ce qu’a rappelé avec quelque ardeur, en lettres de feu, le président Larcher lors de son récent déplacement en Guadeloupe et en Martinique. Et cette différenciation, vous la refusez, madame la ministre.
Pourtant, l’organisation territoriale et des professions de santé relève de votre compétence ! Cela dit, je ne vous cacherai pas que j’ai été étonné de ne pas voir le ministre délégué chargé des outre-mer dans cet hémicycle. Certes, vous le représentez, car cette proposition de loi organique s’inscrit dans le champ de vos compétences. Mais si c’est pour vous entendre dire ce que vous avez dit…
Nous pensons tous, me semble-t-il, que la proposition de loi organique est un bon texte. C’est un texte prudent, qui a été pesé et soupesé, équilibré. Pour être plus franc encore, peut-être les élus de Saint-Barthélemy caressent-ils d’autres projets. Peut-être veulent-ils étendre davantage leurs compétences au niveau des GHT ?
Il n’en demeure pas moins que le texte élaboré par la commission est de nature à faire émerger un consensus solide. De fait, une expérimentation vise bien à observer si une délégation est solide, pertinente et efficace. Or vous récusez tout.
Je ne vois pas ce que vous proposez à la place. Pour avoir réalisé des appels un peu partout, je pense savoir que vous attendez pour vous prononcer la réunion du Ciom, en disant qu’il est urgent d’attendre. Hâtons-nous lentement : festina lente !
La réunion du Ciom était prévue pour le mois d’avril prochain. Créé en 2009, ce comité doit normalement être dirigé par le Président de la République ou, à défaut, par la Première ministre. Attendre la réunion du Ciom pour observer s’il y a consensus sur cette proposition n’apportera rien au texte. Sa formulation est déjà la plus prudente et équilibrée, de nature à rassurer l’État.
Par ailleurs, ce texte aura peut-être vocation à essaimer, à imprégner et à imprimer, inspirant d’autres territoires, mais pas dans le sens que vous imaginez.
J’attendais une vraie réponse de l’État. Au nom du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, je vous indique que nous voterons en faveur de cette proposition de loi, parce que nous estimons qu’elle est fondée, pertinente, bien écrite, prudente et qu’elle répond aux besoins urgents de Saint-Barthélemy. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Georges Patient applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd’hui pour débattre d’un sujet important : l’accès aux soins et à la santé. Les années qui viennent de s’écouler ont été marquées par une pandémie, au cours de laquelle les limites de notre politique de santé ont été démontrées, notamment en outre-mer. Nous estimons que cette proposition de loi organique de notre collègue Micheline Jacques permettra d’assurer l’égalité dans l’accès aux soins.
À observer et à lire des rapports sur la situation, l’offre de soins est un problème récurrent : elle ne correspond pas toujours aux demandes des habitants de la collectivité de Saint-Barthélemy. En effet, ces derniers n’étant pas responsables du manque d’infrastructures sur leur île, les élus territoriaux ont souvent témoigné auprès des pouvoirs publics leur insatisfaction face à une offre qui ne prend pas en compte toutes les réalités de la collectivité. Les communes et leurs élus ont besoin d’un accompagnement fort dans la mise en place de politiques visant à assurer leur mission première de service public.
Plusieurs difficultés se font ressentir. Les évacuations sanitaires ne sont pas systématiques, puisqu’il n’y a pas de possibilité d’évacuer les patients la nuit, les atterrissages étant interdits. Il faut entendre ce que vient de dire notre collègue M. Lurel sur le sujet. De plus, les prises en charge de ces évacuations sont limitées : si l’on souhaite que l’assurance maladie finance ces déplacements, il faut que les lignes d’évacuation soient régulières. Cela amène donc à faire des choix, ce qui signifie que l’accès aux soins n’est pas garanti pour toutes et tous.
Actuellement, le seul hôpital disposant de plusieurs spécialités est situé en Guadeloupe. Il a connu un incendie terrible en 2017, et sa réhabilitation sera achevée en 2024 seulement. L’hôpital de Saint-Barthélemy est aussi confronté à un manque de personnel s’expliquant par la cherté de la vie sur l’île. De fait, le prix des loyers augmente sans que cela soit le cas du pouvoir d’achat ; cela se ressent d’autant plus fortement dans les collectivités d’outre-mer.
Madame la ministre, le salaire des personnels soignants n’est pas compatible avec le prix des loyers. En France métropolitaine comme en outre-mer, le manque de moyens pour l’hôpital est flagrant. De ce fait, l’accès aux soins n’est pas garanti pour toutes et tous. Le personnel soignant souffre de la non-revalorisation de son statut et de la non-augmentation des salaires alors que ces hommes et ces femmes ne comptent pas leurs heures. La fermeture de lits est toujours d’actualité, et les services sont toujours en tension.
La passivité constante du Gouvernement doit cesser. Lorsque le Parlement demande des rapports pour éclaircir des situations et nourrir des travaux, vous ne répondez pas. Lors de la crise sanitaire et du confinement, les habitants ont vécu les limites de cette passivité. C’était très dur pour eux de ne pas pouvoir être évacués alors que leur santé en dépendait.
Cette proposition de loi organique représente un premier pas pour permettre une meilleure offre de soins qui, surtout, puisse répondre aux réalités de l’île de Saint-Barthélemy. L’État doit donner les moyens nécessaires à l’accès aux soins et à la santé. La santé est l’une de ses prérogatives ; il doit pouvoir prendre en compte les dysfonctionnements et les défaillances vécus au niveau des collectivités.
En outre, le présent texte est un moyen de mettre en musique des méthodes horizontales de travail et d’échanges, tant demandées par les acteurs locaux, plutôt que des approches toujours imposées par le haut, sans concertation au préalable.
Le caractère expérimental du texte adopté en commission est effectivement prudent. Il permettra d’adapter les actions par rapport aux résultats. De ce fait, l’évaluation qui sera effectuée par l’État et la collectivité de Saint-Barthélemy sera un moment fort et important pour les deux. Nous espérons surtout que les habitants de l’île pourront bénéficier d’une offre de soins adaptée et que l’hôpital trouvera l’attractivité nécessaire pour assurer sa mission de service public.
Nous serons attentifs à la mise en place de cette proposition. Nous resterons les fervents défenseurs de l’égalité, ce qui est aussi valable pour l’accès aux soins. Pour toutes ces raisons, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste votera pour cette proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – M. Georges Patient applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Folliot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Micheline Jacques applaudit également.)
M. Philippe Folliot. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, chère Micheline Jacques, c’est Christophe Colomb qui a découvert Saint-Barthélemy ; il l’a d’ailleurs renommée en l’honneur de son frère Bartolomeo.
Trois dates ont marqué l’histoire de l’île. En 1784, Louis XVI décidait de la donner à la Suède. En 1878, soit près d’un siècle plus tard, elle redevenait française à la suite d’un terrible cyclone qui l’avait, déjà, dévastée. En 2007, ce qui était alors une commune du département de la Guadeloupe devenait une collectivité d’outre-mer. À partir de là, Saint-Barthélemy a pu mieux prendre en main son destin.
Parmi les caractéristiques de l’île, la monoactivité qu’est le tourisme a des conséquences sur la santé, sujet dont nous débattons aujourd’hui. De fait, la population de 9 000 habitants atteint les 15 000 personnes l’été avec les saisonniers, sans compter les touristes. Il est donc nécessaire de disposer d’installations sanitaires adaptées à une telle situation.
Le texte que vous défendez, chers collègues, se situe dans le droit fil des travaux de votre prédécesseur Michel Magras, que je salue ici. Il est tout à fait à propos, à plusieurs titres.
En premier lieu, je salue son caractère expérimental et la volonté de la collectivité d’assumer aux côtés de l’État certaines responsabilités particulièrement importantes pour la population, en l’occurrence celles qui sont liées à la santé. Quoi qu’on en dise, sans le socle d’un service de santé efficace et adapté, toute perspective de développement économique et social d’un territoire est annihilée. En ce sens, que la collectivité veuille prendre ses responsabilités en la matière aux côtés de l’État est un élément important.
En second lieu, comme cela a été dit, ce texte est éminemment bien construit. Les rapporteurs ont souligné cette finesse : durée limitée, rapports par étape… Ses dispositions permettront de répondre de la meilleure façon qui soit aux besoins exprimés par la collectivité et par ses habitants.
Pour autant, l’offre de santé ne peut pas reposer que sur Saint-Barthélemy. Nous sommes obligés de parler géographie : distante de 25 kilomètres de Saint-Martin, de 240 kilomètres environ de la Guadeloupe, l’île est soumise à la tyrannie des distances, si vous me permettez l’expression. Il faut tenir compte de ce cadre et de cette spécificité en matière d’offre de soins. Si tout ce qui a trait à la bobologie et aux premiers soins peut être traité sur place, il est nécessaire de pouvoir évacuer les patients vers d’autres hôpitaux, plus particulièrement vers le CHU de la Guadeloupe.
Les évacuations sanitaires ont été mentionnées par plusieurs collègues. Comme j’ai eu l’occasion de l’écrire, il me paraît essentiel de préciser que les questions relatives à une approche spécifique pour nos départements et nos collectivités d’outre-mer revêtent dans ce cadre-là leur plus particulière singularité.
Je m’explique. Certes, comme M. Lurel l’a rappelé fort à propos, avoir un hélicoptère est une nécessité ; tout le monde en conviendra. Mais il serait peut-être judicieux d’adopter une approche qui ne soit pas fondée uniquement sur ce seul aspect. Il pourrait être intéressant, en lien avec l’État, les différentes administrations, la collectivité de Saint-Barthélemy et celle de Saint-Martin, de mettre à disposition un hélicoptère qui serait basé sur place, mais totalement polyvalent. Il devrait pouvoir servir pour les évacuations sanitaires, ainsi que les opérations de douane, de gendarmerie et de protection civile. Cet outil pourrait offrir un service local. Toutefois, déposséder la Guadeloupe de son hélicoptère d’évacuation sanitaire poserait des difficultés à cette dernière.
Il est nécessaire que les administrations puissent, de manière singulière, travailler ensemble pour apporter des solutions originales et spécifiques, en lien avec les collectivités. Cette piste me semble tout à fait intéressante. Cela permettrait de répondre aux besoins sanitaires, à commencer par les évacuations d’urgence, mais également à d’autres problématiques : lutte contre le narcotrafic, sécurité publique…
Pour conclure, comme les uns et les autres l’ont dit et répété, ce texte est bien construit, équilibré et permet de répondre à un besoin des populations de Saint-Barthélemy. Il est aussi exemplaire dans l’expérimentation ainsi proposée. Le groupe Union Centriste est très attaché à cette dimension. Dans ce domaine comme dans d’autres, il est clair qu’une approche uniforme à l’échelon national est totalement inadaptée, et plus encore pour les outre-mer. Avec ambition et conviction, les membres du groupe Union Centriste voteront en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Artano. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Mathieu Darnaud applaudit également.)
M. Stéphane Artano. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « ma conviction est que les statuts uniformes ont vécu et que chaque collectivité d’outre-mer doit pouvoir désormais, si elle le souhaite, évoluer vers un statut différencié, en quelque sorte un statut sur mesure ». Ces quelques mots du discours du président Jacques Chirac, le 11 mars 2000 à Madiana, en Martinique, font encore écho.
À l’instar de Victorin Lurel, je ne lirai pas l’allocution que j’avais préparée. Madame la ministre, finalement, vous nous aidez beaucoup : vous venez de nous donner raison. À entendre votre position – j’entends bien qu’elle n’est pas personnelle –, vous allez dans le sens des travaux qui sont actuellement menés par le groupe de travail sur la décentralisation dirigé par le président Larcher. Nous voyons à quel point l’État central fait preuve de rigidité.
Pour avoir participé à la dernière audition, très révélatrice, le démembrement d’une compétence entre État et collectivité, s’il peut se concevoir intellectuellement, est compliqué. Nous l’avons constaté s’agissant des liens entre Saint-Barthélemy, la direction de la sécurité sociale et la direction générale de l’offre des soins. Des points de blocage et des difficultés peuvent déjà être identifiés.
Je salue le travail de nos deux rapporteurs, qui ont pu aller jusqu’au bout de la démarche et trouver un équilibre dans le cadre des auditions – Victorin Lurel l’a rappelé –, avec l’auteur de la proposition. Cet équilibre, c’est l’expérimentation.
Il est étonnant que ce qui est possible dans certains territoires ne le soit pas dans d’autres. À Saint-Pierre-et-Miquelon, où nous n’avons pas la compétence du transport maritime en fret, nous venons de signer une convention avec le Gouvernement pour mener une expérimentation visant à faire en sorte que notre collectivité se l’approprie, sur une durée limitée.
Voilà pourquoi j’estime que le Gouvernement nous rend service sur ce texte : je ne comprends pas pourquoi ce qui est valable pour une collectivité mentionnée à l’article 74 de la Constitution ne l’est pas pour une autre dans le même cas.
La proposition des rapporteurs et de l’auteur relève du bon sens, car elle vise à mener une expérimentation dans le secteur de la santé et de la sécurité sociale, un domaine où les difficultés posées par le partage de compétences peuvent se comprendre ; j’entends les réserves évoquées par Victorin Lurel sur la multiplication ou, du moins, l’élargissement de l’expérimentation dans un second temps.
Je rends hommage à Micheline Jacques, qui a eu le mérite de vouloir faire bouger les choses. Charge au législateur et aux acteurs locaux de prendre leurs responsabilités dans les années qui viennent pour voir de quelle manière cette expérimentation peut vivre.
Je souhaite que le Sénat puisse se rallier non seulement à cette proposition de loi organique, mais aussi à la position de la commission.
De mon point de vue, ce texte est l’expression stricte de ce que nous demandons tous dans nos territoires : une approche de l’État différenciée, tenant compte des réalités de nos territoires, qu’ils se situent en outre-mer, dans l’Hexagone, dans les zones de montagne ou, de manière plus générale, dans des zones rurales.
Finalement, cette proposition de loi de Micheline Jacques ouvre la voie aux travaux menés par le Sénat, qui aboutiront, comme en 2020, à des propositions concrètes. Le président du Sénat l’a rappelé lors de son déplacement en Guadeloupe et en Martinique, il faut plus de différenciation et de décentralisation, mais aussi un État plus fort dans les territoires.
Or la position du Gouvernement vient fragiliser cette saine et légitime ambition. Selon moi, quand les collectivités sont poussées à ce niveau de demande, c’est que les choses ne fonctionnent pas. Comme je le disais à Victorin Lurel, on parlera sans doute encore de cet hélicoptère dans une quinzaine d’années, parce que ce n’est pas si simple que cela à régler.
Sinon, les élus ne se seraient pas posé la question, madame la ministre, et Micheline Jacques n’aurait pas déposé cette proposition de loi organique. Nous ne sommes pas ici pour légiférer à tort et à travers ni pour nous faire plaisir en nous tapant sur la poitrine. Nous sommes ici pour régler des problèmes de nos concitoyens. Or il existe une vraie difficulté sur ce territoire, qui fait écho à une demande ancienne récurrente.
Le groupe RDSE dans son ensemble soutiendra bien évidemment cette proposition de loi organique modifiée avec l’assentiment des rapporteurs, qui ont trouvé, me semble-t-il, un point d’équilibre.
J’espère évidemment que nous trouverons également un équilibre dans le cadre de la navette parlementaire, si le texte est examiné par l’Assemblée nationale. Peut-être l’avis du Gouvernement évoluera-t-il. Au demeurant, j’aurais aimé connaître l’avis du ministre chargé des outre-mer, qui me semble fragilisé par une telle position. M. Carenco défend en effet l’ambition du Président de la République, qui s’est affirmé le 7 septembre dernier pour une approche différenciée en outre-mer, alors que Mme la ministre défend aujourd’hui une approche jacobine.
Je vous invite donc à adopter cette proposition de loi, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, GEST et SER. – M. Yves Bouloux applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Mathieu Darnaud. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Mathieu Darnaud. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il est toujours savoureux de goûter aux ascenseurs émotionnels que ce gouvernement nous permet de vivre. J’utilise le mot à dessein. Toutes les prises de position à la tribune, comme les travaux préparatoires – nous avons eu l’occasion d’en parler avec l’auteur de ce texte, Mme Micheline Jacques, que je tiens à saluer – nous laissaient penser que l’équilibre revendiqué et le bien-fondé de ce texte conduiraient le Gouvernement à émettre un avis favorable.
Malheureusement, cet élan d’espérance n’a eu d’égal qu’une déception, comme c’est trop souvent le cas.
Celles et ceux qui viennent de s’exprimer à cette tribune ont démontré à la fois le caractère équilibré, l’intelligence du recours à l’expérimentation, ainsi, comme l’a souligné M. le rapporteur pour avis Alain Milon, que la nécessité de donner des gages et, surtout, de permettre une continuité des soins, en répondant à de nombreuses problématiques, à commencer par celle des évacuations sanitaires.
Au fond, madame la ministre, j’ai parfois le sentiment de revivre ce que nous avons vécu à l’occasion de l’examen du projet de loi 3DS, auquel certains ont fait référence, avec un gouvernement toujours très allant pour demander aux collectivités de participer aux investissements. C’est d’ailleurs ce que nous avons fait, confiants dans la parole de l’État. Mais celui-ci peine à partager les compétences. Cela a en particulier été le cas lorsqu’il s’est agi de faire des présidents de région les coprésidents des ARS.
En réalité, c’est : « Faites ce que je dis, mais ne faites pas ce que je fais ». C’est assez triste ! Au-delà de ce texte, vous envoyez – nombre de collègues l’ont dit – un bien mauvais signal.
Je veux à mon tour rendre hommage aux initiateurs de ce texte. J’ai déjà évoqué Micheline Jacques et Michel Magras, qui a inspiré de nombreuses réflexions s’agissant de l’outre-mer. Je pense aussi à la première vice-présidente de la collectivité de Saint-Barthélemy, Hélène Bernier, qui a participé à ces travaux.
La seule justification qui vaille est de répondre aux aspirations très concrètes des habitantes et des habitants de Saint-Barthélemy, en permettant à la collectivité de participer. Quand j’entends vos propos, madame la ministre, j’ai l’impression que vous évoquez une autonomisation. Vous avez le sentiment que Saint-Barthélemy s’apprête à larguer les amarres, en gérant à elle seule la compétence.
Or ce n’est absolument pas le cas ! Nous avons simplement une collectivité qui dit vouloir partager l’effort et être au rendez-vous des attentes. Surtout, elle veut s’inscrire – sur ce point, je fais miens les propos tenus par nos collègues Victorin Lurel ou Stéphane Artano – dans un principe de différenciation.
Permettez-moi de revenir sur le texte 3DS. C’est bien beau que l’État nous invite à une plus grande différenciation. Mais quand l’occasion vous est donnée, madame la ministre, vous tournez le dos à cette différentiation. Encore une fois, c’est : « Faites ce que l’État dit, mais ne faites pas ce que l’État fait. » C’est bien regrettable !
Au fond, on le sait, la tentation est grande de renvoyer tout cela aux travaux du Ciom. Mais qu’attendre de ces derniers – sinon de vains espoirs –, alors que l’occasion vous est donnée de prendre la balle au bond et de saisir l’esprit d’initiative incarné par le texte de notre collègue Micheline Jacques et par la collectivité ? C’est un vrai sujet.
Notre groupe s’interroge sur la volonté réelle – nous avons déjà évoqué ce point dans le cadre de textes précédents, comme celui dont j’ai été le rapporteur avec Françoise Gatel – de travailler sur l’expérimentation, d’ouvrir le champ des possibles et de faire en sorte que des initiatives comme celles-ci soient possibles.
Malheureusement, notre espoir sera encore déçu aujourd’hui. Bien évidemment, nous voterons avec conviction ce texte, considérant qu’il permet de tracer un sillon. À cet égard, je regrette que M. le ministre chargé des outre-mer n’ait pas livré son avis. Je regrette aussi que le rapport voté dans le cadre du texte 3DS n’ait pas été rendu. Certes, j’ai compris que nous aurions tardivement les réponses à nos interrogations.
Madame la ministre, il y a aujourd’hui urgence à agir et à répondre aux aspirations des territoires, notamment celui de Saint-Barthélemy, qui fait preuve depuis longtemps d’un esprit d’initiative. Cela ne doit pas rester sans réponse de votre part.
Comme je l’ai indiqué, nous voterons avec conviction ce texte équilibré, qui permet de répondre de façon pragmatique aux interrogations des habitants et d’ouvrir la réflexion sur la question de la différenciation.
Je veux encore une fois rendre hommage à Michel Magras, ancien président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, qui a ouvert la voie sur le sujet grâce à des propositions inspirantes. Espérons que notre assemblée, qui a été souvent précurseur en la matière, le soit encore. J’ai noté, dans la tonalité des intervenants qui se sont succédé, une volonté de soutenir le texte. Madame la ministre, puissent ces interventions vous permettre de faire évoluer le plus rapidement possible votre avis.
Quoi qu’il en soit, vous l’aurez compris, nous voterons cette proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)