Mme la présidente. L’amendement n° 159, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre. Nous voilà arrivés sur un nœud gordien !

Par cet amendement, qui n’a donc rien de bien original, le Gouvernement entend réaffirmer son souhait de maintenir la portée juridique des Sraddet et des SAR.

À défaut, et, donc, si la trajectoire n’est qu’indicative, rien ne nous garantira que nous serons en situation de diminuer la consommation foncière – vous me direz que cela nous ferait gagner du temps pour le reste de nos échanges…

Nous sommes donc bien à un moment de vérité de l’examen de ce texte. Maintenir l’effectivité du dispositif est clairement une ligne rouge pour le Gouvernement.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission spéciale ?

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. Je suis d’accord sur un point avec le ministre : c’est le nœud gordien du texte.

M. Jérôme Bascher. Et il faut le trancher !

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. Une ligne écarlate pour nous aussi…

Nous sommes très nombreux dans cet hémicycle à ne pas être d’accord avec des Sraddet de plus en plus contraignants, normatifs et intégrateurs. Nous ne sommes pas favorables à cette forme de jacobinisme régional.

Je rappelle que les Sraddet ont été pensés à l’origine comme des documents d’orientation et de stratégie, et non de planification, à l’exception récente des dispositions concernant la biodiversité. Cela étant, nous ne sommes pas naïfs et savons ce qu’est le sens de l’Histoire, mais nous devons aussi être cohérents avec la manière dont les choses se sont construites.

On dit souvent que le diable est dans les détails ; c’est un peu le cas ici. Nous souhaitons écrire explicitement dans la loi – et nous y sommes très attachés – que les documents d’urbanisme locaux « prennent en compte » les documents régionaux. Nous privilégions la prise en compte à la compatibilité, parce que cela laisse davantage de marges de manœuvre et de libertés aux collectivités locales.

Monsieur le ministre, il faut faire confiance aux élus ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) J’ajoute que l’État et les régions ont les moyens de contrôler la légalité des trajectoires définies par les collectivités et que des clauses régulières de rendez-vous sont prévues. Nous ne pouvons donc que cheminer ensemble dans le bon sens.

Nous acceptons le fascicule réglementaire des documents régionaux, mais nous voulons changer la nature du rapport juridique entre ce fascicule et les documents locaux : nous souhaitons que ceux-ci « prennent en compte » le fascicule, et non qu’ils soient « compatibles » avec lui. Accepter cette position serait un signal important envoyé au Sénat.

Vous l’aurez compris, l’avis de la commission spéciale est défavorable.

M. Laurent Burgoa. Excellent !

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.

M. Philippe Bas. Monsieur le ministre, le caractère non obligatoire des fascicules du Sraddet est une ligne rouge pour le Sénat. Si vous partez du principe que vous ne voulez pas en discuter, nous serons en opposition frontale. Le centralisme régional n’a rien à envier au centralisme d’État, surtout quand vous faites de la région le bras armé de la loi.

La région n’a pas de compétence en matière d’urbanisme. C’est une véritable inversion de perspective par rapport aux grandes lois de décentralisation de 1982 et des années suivantes, qui ont confié aux maires et aux représentants des communes dans le cadre des plans locaux d’urbanisme intercommunaux le soin de mettre en œuvre la planification urbaine.

Je crois qu’il s’agit là – vous le dites avec franchise – d’un point absolument essentiel sur lequel nous nous séparons. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Sautarel, pour explication de vote.

M. Stéphane Sautarel. Je vais aller dans le sens de Philippe Bas, mais avec beaucoup moins de talent, pour rappeler notre profond attachement aux libertés locales.

En matière d’urbanisme, la place centrale des communes ne peut pas être remise en cause au risque de renverser complètement l’histoire de la décentralisation dans notre pays.

D’ailleurs, on touche ici du doigt l’incompréhension que suscite l’application du ZAN dans nos territoires, y compris parmi la population : les élus locaux, les maires ont le sentiment – c’est en fait plus qu’un sentiment… – que la maîtrise du développement et de l’avenir de leur commune leur échappe.

Nous sommes donc bien sur un nœud gordien. Qui jouera le rôle d’Alexandre ? Le Sénat ou le Gouvernement ? En tout cas, nous estimons que les Sraddet doivent être des outils stratégiques et non prescriptifs ; c’est un point très important si nous voulons territorialiser le ZAN.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sonia de La Provôté, pour explication de vote.

Mme Sonia de La Provôté. Transformer le Sraddet en un super Scot est complètement contraire à la volonté du législateur – nous en avons déjà parlé. Cela créerait de fait une tutelle de la région sur toutes les autres collectivités locales.

Une déclinaison automatique du Sraddet dans les documents locaux d’urbanisme empêcherait la respiration des territoires, la liberté et l’intelligence collective de s’exprimer. Ce n’est pas parce que nous laissons se mettre en place une réflexion commune, une discussion sur l’aménagement de nos territoires, que nous serons impuissants ou que la chienlit s’installera – pardonnez-moi cette expression quelque peu triviale.

Donner un cap, avoir une vision, c’est laisser les acteurs de terrain s’emparer des outils et trouver les voies et moyens les plus adaptés pour atteindre les objectifs sur le terrain. C’est bien cela, la différenciation !

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne Chain-Larché, pour explication de vote.

Mme Anne Chain-Larché. Monsieur le ministre, le Sénat a décidé de mettre en place, vous le savez sans doute, une mission d’information sur l’avenir de la commune et du maire. Les auditions se multiplient et nous entendons les voix des maires s’exprimer contre les effets pervers de la loi NOTRe, en particulier contre les PLUi.

Les maires ne comprennent pas les excès qui ont abouti à cet objectif de zéro artificialisation nette. Dans les territoires ruraux, les enfants du pays ne pourront plus accéder à la propriété ou même se loger, les entreprises familiales, parfois héritières de plusieurs générations, ne pourront pas construire un siège social qui serait attractif pour les cadres et les employés.

Autrement dit, ces territoires vont mourir ! A-t-on vraiment envie qu’ils se transforment en réserves d’Indiens où les urbains viendraient s’amuser, gambader dans les champs ? Leurs habitants ont tout simplement envie de vivre et de voir leur commune se développer.

Ce serait une erreur majeure de laisser une puissance supérieure déterminer leur avenir ; ce serait du mépris envers les maires qui, souvent bénévolement, sont pleinement dévoués à leur commune. Qui mieux que le maire, avec ses équipes, sait ce qui est bon pour l’avenir du territoire ?

Monsieur le ministre, vous avez été sénateur et maire et je vous demande d’entendre notre voix, celle des élus qui défendent les collectivités locales. Aidez-nous à les défendre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.

M. Ronan Dantec. Je suis un peu surpris par ce que j’entends. La région est elle-même une collectivité locale et il est tout de même positif d’avoir une collectivité forte pour faire face, le cas échéant, à l’État. Croyez-vous vraiment que le maire d’une petite commune puisse s’en sortir seul face à l’État ? Ce n’est pas vrai ! (Murmures sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Nous avons besoin de régions fortes qui rééquilibrent le territoire régional. Sinon, nous aurons, d’un côté, les métropoles – elles existent déjà –, de l’autre, les petites communes, qui essayeront de faire au mieux, mais qui sans moyens ne régleront pas les problèmes qui se posent à elles, par exemple en termes d’accès au logement ou de développement économique.

Les choses ont changé depuis 1982 et, face à un monde complexe, nous avons besoin de planification régionale – c’était notamment l’objet de la loi NOTRe.

Cette proposition de loi et les travaux de la commission spéciale permettent des avancées, par exemple en créant une conférence régionale de gouvernance du ZAN ouverte aux maires, y compris ceux des petites communes, et aux élus départementaux. Cette conférence travaillera en particulier en amont de la procédure de modification des Sraddet.

Mais nous avons besoin d’un schéma prescripteur, sinon nous ne répondrons à aucun des défis qui se posent à nous. Un maire seul ne pourra répondre à aucun de ces défis…

M. Jérôme Bascher. Si ! Ils y arrivent très bien !

M. Ronan Dantec. … et son action sera totalement dépendante de la puissance des grandes villes et des métropoles. C’est justement la région qui peut rééquilibrer les choses.

J’ajoute qu’être compatible ne veut pas dire être conforme. La Convention citoyenne pour le climat (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) proposait pour sa part la conformité – nous avons donc évité le désastre, mes chers collègues… (Sourires sur les travées du groupe GEST.)

La notion de compatibilité laisse beaucoup de marges de manœuvre au bloc communal ; toute la jurisprudence va dans ce sens.

Je crois donc que nous avons trouvé un bon équilibre, même s’il nous faut encore renforcer la concertation en amont.

Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission spéciale.

Mme Valérie Létard, présidente de la commission spéciale. Je veux de nouveau rappeler que le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire sur le projet de loi Climat et résilience avait explicitement refusé ce rapport de compatibilité. C’est par un décret ultérieur qu’on a voulu mettre en œuvre ce principe.

La commission mixte paritaire, je le redis, avait opté pour une prise en compte des documents régionaux par les documents locaux, pas pour une compatibilité – c’était d’ailleurs une ligne rouge de nos travaux à l’époque.

Je rappelle aussi que les Scot intègrent déjà bien souvent des trajectoires de baisse de la consommation foncière. Les élus locaux n’ont pas attendu qu’un Scot régional les y contraigne, toutes les collectivités locales ayant bien pris conscience depuis fort longtemps de cette nécessité. Cela fait au moins dix ans que beaucoup de territoires ont déjà inscrit leur action dans une trajectoire de diminution de la consommation foncière.

Nous devons adopter une stratégie exigeante, c’est une nécessité, mais nous devons aussi faire confiance aux élus pour l’adapter aux spécificités locales. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour explication de vote.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Dans une logique de subsidiarité, le mouvement doit logiquement être ascendant et chacune des collectivités doit être capable d’exercer son propre pouvoir de façon autonome et sans être liée par l’échelon supérieur. Or je crois que nous avons besoin d’une société subsidiaire à un moment où les processus de décision sont parfois trop verticaux.

Lorsque le ministre parle de nœud gordien et exprime son désaccord avec cet article, je crois qu’il partage néanmoins un certain nombre de préoccupations qui ont été exprimées.

Son souci est de s’assurer que nous réussirons à tenir les objectifs que nous nous sommes fixés. Pour cela, il faut que l’ensemble des documents d’urbanisme, une fois mis bout à bout, aillent dans le même sens.

Nous devons donc nous projeter dans la suite des travaux parlementaires sur cette proposition de loi, en particulier en vue de la commission mixte paritaire, en imaginant un dispositif qui permette de concilier autonomie des collectivités locales et arbitrage en cas de difficulté.

Les collectivités doivent pouvoir maîtriser leur destin – cela passe en particulier par le foncier –, mais nous devons éviter les risques de dérapage, même s’il est vrai qu’aujourd’hui les trajectoires sont plutôt bien orientées.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour explication de vote.

M. Jean-Marie Mizzon. Monsieur le ministre, quelle est la dernière grande compétence stratégique qui reste encore aux mains des communes, et encore pas de toutes ?

M. Jean-Michel Arnaud. L’urbanisme ! Et l’eau et l’assainissement, mais nous en parlerons jeudi !

M. Jean-Marie Mizzon. L’urbanisme, absolument ! Nous parlerons un autre jour de l’eau et de l’assainissement, mon cher collègue, mais chaque chose en son temps…

Or, avec cet amendement, le Gouvernement met un coup de canif à l’exercice de cette compétence comme d’ailleurs à la relation de confiance qui existe aujourd’hui entre les régions et les communes.

Aucune région ne demande à bénéficier de cette faculté et aucun élu – cela a été rappelé par Valérie Létard – ne veut de cela. Vous essayez de nous l’imposer !

Vous êtes peut-être trop jeune, monsieur le ministre, mais rappelez-vous les schémas directeurs d’aménagement et d’urbanisme avec lesquels les documents d’urbanisme locaux devaient être compatibles.

M. Philippe Bas. Bien sûr !

M. Jean-Marie Mizzon. Vous êtes en train de mettre à mal l’écoute et le respect entre les différents acteurs du territoire et je vous demande solennellement de bien y réfléchir. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.

M. Max Brisson. La semaine dernière, lors des longs débats que nous avons eus, on entendait souvent que nous étions projet de société contre projet de société. J’ai l’impression, monsieur le ministre, que là nous avons deux visions très différentes de l’organisation de notre République.

Lorsqu’on entend les écologistes, on pourrait croire qu’il n’y a pas de confiance envers les élus et qu’il faudrait donc faire remonter les processus de décision.

M. Ronan Dantec. La confiance n’exclut pas le contrôle !

M. Max Brisson. Mais, quand on procède ainsi, on sait très bien qu’on favorise la technostructure.

Or, que nous disent les maires, et les élus en général ? Qu’ils n’en peuvent plus de cette technostructure qui leur donne l’impression qu’ils sont sans cesse en retrait. Et que nous disent nos concitoyens ? Qu’ils aspirent à la proximité. Pourtant, depuis la loi NOTRe et la création de ces treize grandes régions, où est donc passée cette proximité ?

Aujourd’hui, il faut redescendre au plus près des territoires. J’ai d’ailleurs déposé un amendement en ce sens que nous examinerons tout à l’heure. Nous devons cesser de tout aspirer vers le haut ; ce n’est pas le modèle de République que je souhaite.

Il peut malheureusement exister un jacobinisme régional, même en Gironde… Il ne tient pas tant aux élus qui siègent à la région qu’à la technostructure, nécessairement renforcée du fait de la taille des nouvelles régions.

Par ailleurs, comme l’a très bien dit la présidente de la commission spéciale, ce qui pose problème, c’est que le législateur a voté un texte qui exclut une dimension prescriptive en la matière pour les Sraddet, tout simplement parce que nous sommes très attachés au principe de libre administration des collectivités territoriales.

On parle beaucoup de différenciation ; pourtant, vous voulez créer un schéma prescripteur qui va limiter la libre administration locale – c’est finalement le contraire de la différenciation. Laissez les territoires s’organiser ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Pierre Laurent.)

PRÉSIDENCE DE M. Pierre Laurent

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons les explications de vote sur l’amendement n° 159 du Gouvernement.

La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. Je veux tout d’abord préciser, monsieur le ministre, que nous ne voterons évidemment pas votre amendement de suppression de l’article 2.

Pour le dire avec élégance, supprimer cet article, ce serait comme supprimer l’article 7 du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale dont nous débattions la semaine dernière : le texte en perdrait tout son sens !

Or les débats qui se sont tenus avant la suspension ont bien mis en lumière l’esprit qui anime cette proposition de loi et l’alternative face à laquelle nous nous trouvons. Nous plaçons-nous dans une logique consistant à assembler un certain nombre de collectivités, suivant une vision assez descendante, ou bien construisons-nous les différents arbitrages à partir des besoins et de la réalité des territoires communaux ?

Je ne veux pas rouvrir les débats que nous avons eus dans cet hémicycle lors de l’examen de la loi NOTRe et de la fusion des régions, mais il n’en reste pas moins qu’il n’y a plus aujourd’hui que treize grandes régions aux compétences renforcées.

Contrairement à ce que certains de nos collègues ont affirmé tout à l’heure, la décentralisation ne consiste pas à organiser une reconcentration territoriale. Faisons-y très attention, collectivement, parce que, à vouloir avoir des super-régions qui décident de tout et imposent leur vision de l’aménagement du territoire aux élus locaux, dans leur propre territoire, on créera d’autres difficultés, source d’autres soucis.

M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.

M. Éric Kerrouche. Monsieur le ministre, notre groupe ne votera pas non plus votre amendement.

Cela étant dit, je veux apporter quelques précisions, car il ne faudrait pas caricaturer la réalité locale.

Premièrement, il s’avère que siègent encore dans cet hémicycle des élus régionaux, ou d’anciens élus régionaux ; penser qu’ils ne représentent pas les territoires au même titre que d’autres élus locaux serait un peu simpliste.

Deuxièmement, le problème de nos régions n’est pas tant leur situation actuelle que le fait qu’elles sont impuissantes et dépourvues de moyens, si on les compare à ce qui existe dans le reste de l’Europe. Là est la vraie difficulté. Si l’on veut un jour qu’il y ait un pouvoir fortement décentralisé en France, les régions en feront forcément partie, et l’on devrait s’en réjouir !

Une autre difficulté se pose, monsieur le ministre : votre approche vient ici contrevenir à l’un des principes essentiels de la décentralisation, un principe tout simple, celui selon lequel il n’y a pas de hiérarchie entre les collectivités territoriales françaises. Or, d’une certaine façon, avec votre proposition, vous instaurez une hiérarchie qui placerait le niveau régional au-dessus des autres niveaux. Pour notre part, nous estimons, de manière à la fois transpartisane et majoritaire, me semble-t-il, que c’est bien par la négociation que la région pourra pleinement jouer son rôle, et non pas dans une logique verticale selon laquelle, en quelque sorte, les échelons considérés comme subalternes n’auraient plus leur mot à dire.

C’est en ce sens que cette proposition nous semble mauvaise ; c’est pourquoi nous rejetterons cet amendement, pour en rester à l’équilibre trouvé par la commission spéciale.

M. le président. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour explication de vote.

M. Daniel Breuiller. Pour ma part, j’écoute ces débats avec intérêt. En tant qu’élu d’un territoire très urbain d’Île-de-France, j’avoue ne pas avoir nécessairement la même appréciation des choses que mes collègues élus d’autres régions, d’autres types de territoires.

J’aurai toutefois quelques remarques à faire.

Tout d’abord, je comprends les demandes de plus d’autonomie du bloc communal, notamment de la commune. Lorsque j’étais maire d’Arcueil, j’ai parfois rêvé de proclamer la République autonome d’Arcueil ! (Sourires.) Les textes ne m’ont pas permis de le faire, et peut-être était-ce plus sage… En effet, dans la crise climatique que nous vivons, si j’ai une certitude, c’est bien que nos destins sont liés et qu’un travail itératif entre l’échelon communal et l’échelon régional – ainsi, sans doute, que l’échelon national – est absolument nécessaire sur les sujets qui nous occupent. Voilà la vision que je voudrais défendre dans notre hémicycle ce soir, car ce dialogue devrait être la règle.

Évidemment, la création des très grandes régions a sans doute beaucoup affaibli leur légitimité, en rompant des liens historiques et géographiques forts. C’est peut-être pourquoi s’expriment les réticences que j’entends sur les travées de la majorité sénatoriale, mais il n’empêche, chers collègues, que nos destins sont liés et qu’on ne peut pas, quand il est question de la biodiversité, de l’eau, ou encore de l’alimentation, réfléchir dans un isolat communal.

Sans doute est-il nécessaire, dans la définition des modes et procédures de dialogue, d’apporter des réponses qui rassureraient le bloc communal tout en assurant une cohérence et une convergence à l’échelle régionale. Celle-ci n’est pas une échelle jacobine, mes chers collègues, mais plutôt une échelle girondine que, personnellement, j’appelle de mes vœux !

M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot, pour explication de vote.

M. Philippe Folliot. Monsieur le ministre, la loi NOTRe a été une catastrophe pour les territoires de la République !

Elle a été une catastrophe pour les régions, notamment pour celles que l’on a forcées à fusionner. Je prendrai l’exemple de la région Occitanie, qui est très vaste et dans laquelle il n’y a plus du tout, aujourd’hui, ce lien qui existait auparavant, bien qu’il fût déjà assez distendu, dans la mesure où la région Midi-Pyrénées était déjà la plus étendue de France. Maintenant, c’est pire encore !

Elle a aussi été une catastrophe pour les intercommunalités que l’on a forcées à fusionner : leur territoire ne correspond plus à un bassin de vie quotidienne et de proximité, ce qui entraîne bien des conséquences.

Somme toute, monsieur le ministre, avec votre proposition, vous allez remettre une pièce dans le monnayeur de la région, si vous me passez l’expression, en tentant de lui donner un petit peu plus de légitimité sur une compétence qui n’est pas la sienne. En effet, comme plusieurs orateurs l’ont fort justement rappelé avant moi, toutes les compétences relatives à l’urbanisme et à l’habitat relèvent du bloc communal. Dès lors, dans ce cadre, il eût été plus sage de confier cela à l’échelon intercommunal, tout au plus à l’échelon départemental.

Nous sommes face à un cadre qui, assurément, n’est pas sage ; il est donc temps de le corriger. C’est pourquoi la proposition faite par la présidente de la commission spéciale et par son rapporteur me paraît plus sage et plus pertinente pour nos territoires.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. Si nous avons, en fin de compte, choisi de demander un rapport de « prise en compte » et non de « compatibilité », c’est parce que les régions n’ont ni vraiment différencié ni vraiment territorialisé les propositions formulées dans les Scot, non plus qu’elles n’en ont vraiment discuté.

On en est à considérer qu’accepter la compatibilité, c’est accepter la planification. Certes, entre-temps, les régions deviennent chefs de file de la transition écologique, mais accepter la mise en compatibilité induite par l’inscription des objectifs dans le fascicule réglementaire, c’est accepter une machine qui va devenir de plus en plus folle : on aura des Sraddet contraignants, par lesquels les régions vont gérer l’urbanisme, alors que ce n’est pas de leur compétence, vont gérer le logement – est-ce bien cela qu’il faut faire ? –, vont gérer toujours plus de compétences, avec la biodiversité pour terme. Pourquoi pas ?

Entre-temps, un décret va être pris. Les précédents avaient posé problème ; on verra bien ce qu’il en sera de celui-ci, qui doit porter sur la nomenclature.

Ensuite, après ce Sraddet contraignant et ce décret sur la nomenclature, il y aura une numérisation de l’appréciation de l’artificialisation via la base de données « occupation du sol à grande échelle » (OCS GE), via le Cerema, via l’IGN, etc. On va se servir de l’intelligence artificielle pour apprécier l’artificialisation !

Au bout de ces schémas, au bout de cette artificialisation, il y aura, au mois de juin prochain, une directive européenne, ou un règlement, dont l’objet sera d’aller plus loin sur la biodiversité et la protection des sols. Je ne m’étendrai pas sur ce point, car ce n’est pas tout à fait le débat de ce soir, mais si l’on accepte aujourd’hui d’inscrire la planification régionale dans le fascicule réglementaire du Sraddet, avec lequel il faut se mettre en compatibilité, on accepte aussi que l’histoire se poursuive ainsi. Alors, le Sénat sera bel et bien le dernier endroit où l’on parlera encore de confiance dans les élus et de libertés locales !

Si nous le refusons, si nous insistons sur la « prise en compte », ce n’est pas pour sortir du ZAN, c’est plutôt pour dire : « Faites confiance aux élus, qui s’inscriront d’eux-mêmes dans les trajectoires ! » Il y a des rendez-vous, il y a un contrôle de légalité ; alors, que l’on se rassure : les élus seront au rendez-vous de l’Histoire, car ils sont déjà dans la sobriété foncière.

Sous les mots que l’on choisit, « prise en compte » ou « mise en compatibilité », c’est toute cette histoire aussi qui se joue.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre. Au commencement était la convention citoyenne… Celle-ci a dit : on va se fonder sur la maille communale, prendre chaque commune et diviser par deux sa trajectoire. Les parlementaires, lors de l’examen de la loi Climat et résilience, ont dit non, parce que la moitié de zéro, c’est toujours zéro, parce que ceux qui ont fait des efforts ne pourraient pas être récompensés… Il fallait pouvoir différencier et territorialiser.

Ils ont donc fait le choix de confier cette responsabilité non pas à l’État, mais à des élus ; ils ont voulu faire confiance à des élus. Ils ont donc inscrit dans la loi, à ce moment-là, que cette responsabilité serait confiée aux conseils régionaux.

Je me retrouve donc dans une situation quelque peu baroque : je dois défendre des majorités régionales qui, dans leur composition, ne sont pas toutes extrêmement proches du Gouvernement…

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Ça, c’est sûr !

M. Christophe Béchu, ministre. Je dois les défendre, parce que vous préjugez qu’elles ne tiendront pas compte de la réalité locale. Dont acte.

Après le vote de l’article 1er, lequel dispose qu’il faut laisser davantage de temps à la concertation, je considère précisément que laisser à la maille régionale cette responsabilité, avec ce temps supplémentaire, permet d’avancer.

Il y a trois niveaux théoriques dans un Sraddet : la prise en compte, la compatibilité et la conformité. Vous avez fait le choix d’aller vers la prise en compte ; pour notre part, nous souhaitons aller non pas vers la conformité, qui serait une forme de tutelle, mais vers la compatibilité.

L’aménagement du territoire, qui a été abondamment évoqué, est une compétence régionale, contrairement à l’urbanisme. Si l’on remonte le temps, avant les Sraddet, il y avait les directives territoriales d’aménagement : c’était l’État qui, par décret en Conseil d’État, fixait les trajectoires. Je pense que ce ne serait pas un progrès, du point de vue de la décentralisation, que de revenir à ce système.

En fixant un délai, vous vous êtes assurés des moyens d’avoir une réelle discussion. En revanche, si l’on passe de la compatibilité à la prise en compte, c’est l’effectivité même du dispositif que nous menaçons, ce qui nous pose une difficulté, parce que la biodiversité ne peut pas attendre. Autant il nous faut veiller à ce que l’application soit souple et intelligente, autant, à ce niveau-là, ce ne serait plus de la souplesse : ce serait détricoter l’assurance de pouvoir tenir nos objectifs et nos ambitions ! (Murmures sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)

J’entends que ce n’est pas la position majoritaire de votre assemblée, mais la franchise m’oblige à vous dire à haute voix à la fois ce que je pense et ce qui me semble être le point de vue majoritaire au sein de l’Assemblée nationale, dans la perspective de la réunion de la commission mixte paritaire.

Je respecte évidemment la légitimité totale de la Haute Assemblée à défendre le bloc communal, mais si l’on avait trouvé le schéma permettant une négociation directe avec les communes, cela se saurait ! Il y a de telles différences de trajectoire entre celles qui gagnent de la population et celles qui en perdent, entre celles qui ont des friches et celles qui n’en ont pas, que la nécessité d’une maille supracommunale a fini par devenir un point de consensus, ce qui explique qu’on en soit arrivé là.

Ce que je souhaite, c’est qu’on en reste au point d’équilibre trouvé dans la loi Climat et résilience, car j’estime que cela donne du poids et de la cohérence à ce qui a été voté et à ce qui va l’être.