M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. L’origine de ce problème est un autre point saillant de notre discussion. Après le sort du Sraddet, la gouvernance est bien entendu importante, mais la question des grands projets est plus que fondamentale.
Le fait que les décrets reviennent sur la loi a dès le départ participé à un certain malaise. Par ailleurs, l’impression que l’État définissait seul les grands projets – c’était à tout le moins notre ressenti – n’a pas aidé. Nous avons également eu le sentiment que l’État s’exonérait lui-même des règles qu’il imposait aux collectivités locales et ne s’astreignait pas aux mêmes obligations de sobriété foncière dans le cadre de cette trajectoire. Enfin, les quelques réponses que nous avons obtenues, çà et là, ressemblaient à des arguties juridiques ou donnaient l’image d’un État cherchant à devenir une fiction juridique. On le mesure bien, par exemple, monsieur le ministre, lorsque vous nous répondez que les hectares ne disparaissent pas…
Au moins deux problèmes sont devant nous : définir les grands projets – je vous remercie d’avoir précisé qu’un futur projet de loi nous aiderait en ce sens – et le compté à part. Le Sénat souhaite, comme le montrent les travaux de notre commission spéciale, que la conférence régionale donne des avis sur les grands projets et propose des critères simples pour leur définition.
Nous souhaitons également instaurer un compté à part, c’est-à-dire la création d’un compte national, afin que l’État s’applique à lui-même ce qu’il impose aux autres et participe à l’effort national de réduction de l’artificialisation des sols.
C’est dans ce sens que la commission a travaillé à ce stade. Bien entendu, des marges de progrès sont possibles pour tout le monde. En tout état de cause, j’émets un avis défavorable sur ces amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 109 rectifié bis ?
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.
Mme Céline Brulin. J’ai bien pris note de la démarche que vous nous proposez, monsieur le ministre, mais j’y vois plusieurs écueils.
Lorsque le Sénat a examiné le projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, on nous a renvoyés au présent texte sur le ZAN à propos d’un certain nombre de points.
Alors que ce même projet de loi est examiné actuellement à l’Assemblée nationale, on répond à nos collègues députés : le Sénat est en train d’examiner le texte sur le ZAN, attendez votre tour !
Or voilà qu’à présent vous nous annoncez un texte sur l’industrie verte, qui prendra en compte d’autres problématiques… Il me paraît quelque peu compliqué de ne pas examiner les projets dans leur globalité !
Mme Sophie Primas. Très bien !
Mme Céline Brulin. Sans provocation inutile, c’est un peu comme promettre une loi Travail après une loi Retraite, en nous annonçant que le meilleur reste à venir… (Mme Sophie Primas le conteste en souriant.)
Au-delà des suspicions ou des doutes que nous pouvons émettre les uns et les autres, il me semble que cette logique n’est pas adaptée.
Dans mon département, par exemple, il est question – c’est du moins ce que je souhaite, à titre personnel – d’accueillir deux réacteurs EPR. Leur construction n’aura pas d’incidence sur le ZAN puisqu’ils seront comptabilisés dans les grands projets que vous venez d’évoquer, mais quid des 7 000 à 8 000 salariés qu’il faudra accueillir, des logements qui devront être construits à cet effet, des locaux pour les formations, etc. ? Tout cela a pourtant aussi un impact sur le ZAN.
Pour l’instant, les projets ne sont pas pris en considération dans leur globalité. Certes, le Gouvernement tient compte de l’emprise foncière des deux réacteurs, par exemple, mais pas de la totalité des infrastructures que le territoire devra mettre en place. C’est regrettable, notre réflexion mérite davantage de cohérence. (Mme Sophie Primas et M. Philippe Folliot applaudissent.)
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel, pour explication de vote.
M. Stéphane Sautarel. Cet article et l’amendement rédactionnel du Gouvernement portent sur l’un des points majeurs de cette proposition de loi.
Je partage la logique de mutualisation. Il faut bien sûr faire remonter les projets nationaux – je ne parle pas de la manière dont ils seront définis. Mais comment ensuite les faire redescendre ?
Certes, les territoires portant des projets d’intérêt national ne doivent pas être pénalisés en voyant leur quota d’artificialisation totalement consommé par ceux-ci. Mais ils ont aussi la chance, en accueillant ces grands projets, de pouvoir bénéficier d’un certain développement économique – créations d’emplois et d’activité, etc. –, contrairement aux autres territoires de la région, qui seraient néanmoins contributeurs au prorata si l’on devait faire redescendre une partie de ces projets nationaux vers l’enveloppe des collectivités concernées.
Voilà pourquoi je souscris plutôt à la proposition de la commission spéciale. Mieux vaudrait instaurer un compté à part pour ces projets nationaux, lesquels ne doivent certes pas peser sur les seules régions concernées, mais ne doivent pas non plus être imputés sur les quotas ou les capacités des territoires n’ayant pas la chance de les accueillir.
M. le président. La parole est à M. Laurent Somon, pour explication de vote.
M. Laurent Somon. Vous avez cité Les Hauts-de-France. Je suis sénateur de la Somme, je peux mentionner plusieurs grands projets comme le canal Seine-Nord Europe – 2 200 hectares –, le port de Dunkerque – 3 000 hectares –, les parkings du Brexit – 100 hectares –, le réaménagement en deux fois deux voies de la RN2 entre Laon et Avesnes-sur-Helpe – 100 hectares…
Si l’on compare tous ces projets à la consommation des dix dernières années et que l’on fait le prorata pour le grand Amiénois, très attractif en cette période, il nous reste 15 hectares à consommer par an, sachant qu’Amiens a déjà besoin pour l’année 2023 de 50 hectares pour une entreprise de panneaux photovoltaïques et de 20 à 30 hectares pour une usine très novatrice de pile à sodium, Tiamat. Voilà une illustration pathognomonique de la difficulté que rencontreront demain les territoires. Si l’on n’exclut pas de l’enveloppe un certain nombre de projets européens, mais aussi régionaux, comment allons-nous faire ?
Mme Brulin a évoqué les centrales nucléaires. Nous l’avons souligné lors de l’examen du projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires : l’implantation de nouveaux sites consommera du foncier.
Faire de la mutualisation, cela revient à demander à toutes les régions de participer en fournissant une part de leur foncier disponible. Quelles en seront les retombées, sachant que ces régions verront alors leurs recettes baisser ? Il s’agissait en effet de foncier disponible, qui ne leur rapportera pas d’impôts, contrairement aux régions qui accueilleront sur leur territoire les centrales nucléaires et qui percevront, elles, des recettes extrêmement importantes.
J’ai cité l’exemple de la centrale de Paluel : la commune perçoit des revenus de l’ordre de 7 000 euros par habitant, contre 500 euros pour les communes de strate identique. Mutualiser un foncier sur lequel on perd des recettes posera d’énormes problèmes aux territoires.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le ministre, comme l’ont souligné mes deux précédents collègues, il risque également d’y avoir un conflit d’intérêts économiques et financiers. Des secteurs seront retenus pour des raisons stratégiques, voire politiques, pour des projets d’intérêt national. Et le Gouvernement se tournera ensuite vers les collectivités locales – régions, départements, EPCI – en leur disant : nous les avons retenus au niveau national, à vous maintenant de les cofinancer !
La fameuse conférence régionale du ZAN aura-t-elle son mot à dire sur les projets d’intérêt national ?
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.
M. Ronan Dantec. Il s’agit d’un débat important, même si j’ai bien entendu l’alerte lancée par Mme Létard.
L’amendement n° 181 a le mérite d’éclaircir la position du Gouvernement. Nous avons besoin d’instaurer un dialogue avec les régions à l’échelle nationale. Ce n’est pas contradictoire avec ce qui a été proposé. Il importe que les régions soient consultées au niveau national sur les projets comptabilisés dans l’enveloppe nationale, car le décompte sera ensuite réimputé aux différentes régions.
C’est un point sur lequel nous sommes tout à fait d’accord avec M. le ministre : sans réimputation, chacun essaiera de tout inscrire dans le compte national. Avouons-le, on trouvera toujours une part d’impact national à tel ou tel projet et on n’en sortira pas. À partir du moment où il y a une imputation sur les régions, où il y a un dialogue – il faudra probablement inventer une instance à cette fin –, les régions elles-mêmes mettront le holà si elles constatent que trop de projets sont inscrits sur le compte national. Voilà comment s’opérera l’équilibre. Il y aura peut-être un moment de tâtonnements et de tension, mais ça devrait fonctionner.
Quant à ce qui a été dit à l’instant par ma collègue communiste, à en croire les scientifiques, entre l’eau des rivières qui sera trop chaude et les zones à risque de submersion marine, il ne restera plus beaucoup de sites pour implanter des centrales nucléaires. Nous savons de source sûre que l’on réfléchit actuellement à un projet de localisation unique sur un seul site de tous les réacteurs EPR, un peu comme des Lego, avec des réacteurs empilés les uns sur les autres. L’emprise au sol sera donc au final négligeable… (Sourires sur les travées du GEST. – Marques de perplexité sur les autres travées.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Je souhaite rebondir sur les dernières phrases de notre collègue Laurent Somon. Nous avons déposé un amendement pour demander un simple rapport sur la question de la fiscalité locale qui a été déclaré irrecevable. Pourtant, nul doute – on le verra à travers d’autres débats sur ce texte – qu’il existe réellement un lien entre la fiscalité locale et l’enjeu du ZAN, et ce à plusieurs niveaux.
Comme il n’y a plus de taxe d’habitation, ce débat-là est réglé, mais il reste encore la taxe foncière. Si l’on pousse la démarche jusqu’au bout et que l’on arrête de construire, un certain nombre de communes n’accueilleront plus de nouveaux habitants. Or l’apport de la dotation globale de fonctionnement (DGF) est essentiel aujourd’hui, car il a une incidence sur la capacité des communes à investir. De nombreux collègues élus paniquent au moment du recensement et demandent même parfois à l’Insee de revoir ses calculs !
Notre fiscalité locale est héritée des années sans ZAN. Si on ne la repense pas dans un sens plus large, le ZAN ne fonctionnera pas. Monsieur le ministre, au-delà des grands projets, comment anticipez-vous les problèmes liés à la fiscalité locale ? Allez-vous nous renvoyer une fois de plus à une prochaine loi ? Volontiers, mais cela risque de faire beaucoup…
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Boyer. Nous touchons véritablement au cœur de la question qui nous occupe aujourd’hui.
Lors de nos différentes auditions, les responsables régionaux nous ont montré, une fois sorti l’ensemble des projets sur leur territoire, que l’espace disponible se réduisait comme peau de chagrin. Si l’on ne retire pas du quota les zones prises par les projets d’envergure nationale, voire les gros projets régionaux, il ne restera aux communes que très peu de surface à urbaniser, qu’il s’agisse des métropoles ou des communes rurales. À défaut de parvenir à résoudre ce problème, les collectivités ne disposeront pratiquement plus d’aucune surface.
En dehors du problème financier, se pose donc également cruellement la question des surfaces elles-mêmes. Nous devons connaître votre position, monsieur le ministre. Sans assurance de votre part, la partie semble terminée pour l’ensemble des collectivités.
M. le président. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy, pour explication de vote.
M. Christian Redon-Sarrazy. Nous sommes tous d’accord sur le compté à part des grands projets. C’est une évidence, nous serons obligés d’en passer par là.
En revanche, permettez-moi de m’interroger sur la manière dont sera réalisée la réimputation. Certaines régions ont des projets en nombre – Laurent Somon a cité l’exemple des Hauts-de-France –, mais d’autres n’en ont quasiment pas. Comment réimputer ces comptés à part entre ceux qui ont déjà presque tout eu – et qui en plus ont acquis des droits puisqu’ils ont consommé sur la période passée – et ceux qui n’ont pas grand-chose en termes d’équipements, de désenclavement ou autres ? J’en sais quelque chose, car cela fait longtemps que nous attendons un désenclavement ferroviaire ou routier en Haute-Vienne.
Si certaines régions sont doublement pénalisées, il sera très compliqué de discuter des critères de réimputation. Permettez-moi d’avoir de sérieuses réserves sur l’équité territoriale qui pourrait en résulter.
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour explication de vote.
Mme Angèle Préville. Mes propos s’inscrivent dans la continuité de ceux de mon collègue Christian Redon-Sarrazy.
Les travaux et opérations de construction de lignes ferroviaires à grande vitesse (LGV) sont considérés comme des projets d’envergure nationale. Le nord du Lot fait partie des oubliés du ferroviaire. La ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (Polt) est déclassée à partir de Brive, avec moins de trains et de dessertes entre Brive et Cahors. Nous sommes très loin de Montauban, qui sera la future gare d’accès à la ligne à grande vitesse.
Concrètement, votre proposition de décliner territorialement les objectifs affectera les petits territoires comme le mien, mais sans les faire bénéficier de l’équité territoriale. Nous n’irons jamais à Montauban prendre la LGV ; nous sommes obligés d’aller à Brive, malgré le peu de dessertes. Or les temps de transport de la ligne Polt ne sont pas du tout les mêmes que ceux dont nous bénéficiions voilà quelques années.
Comme l’a souligné Christian Redon-Sarrazy, c’est la double peine : nous n’avons pas les services, mais nous serons impactés. Le lot est un territoire très rural, qui compte 174 000 habitants et dispose d’une offre très faible en termes de mobilité.
M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros, pour explication de vote.
M. Bernard Delcros. L’équité dans le traitement des territoires est une question sensible, que nous retrouverons sans doute tout au long de l’examen de ce texte.
Nous devons en effet être très attentifs à ne pas pénaliser doublement les départements qui ne bénéficient pas des infrastructures et qui n’ont ni les emplois ni les richesses qui les accompagnent. Pourquoi leur droit à construire devrait-il être réduit pour des infrastructures réalisées ailleurs ? Veillons à appliquer un traitement équilibré à tous les territoires et à ne jamais instaurer de double peine.
Si nous sommes favorables à une enveloppe nationale, ce n’est sans doute pas une bonne idée d’intégrer celle-ci dans l’ensemble des territoires de France.
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour explication de vote.
M. Daniel Gremillet. Je prendrai un exemple très concret. Le Gouvernement a présenté un texte sur la relance du nucléaire, que nous avons voté : cela fait longtemps que le Sénat considère comme absolument essentiel d’avoir un plan ambitieux de production énergétique décarbonée à l’horizon 2050, dont fait partie le nucléaire.
Le Sénat, qui a examiné ce texte en première lecture avant l’Assemblée nationale, actuellement en train d’en débattre, a voté l’exclusion de l’ensemble des centrales du ZAN, considérant qu’il s’agissait d’un enjeu national. L’ambition n’est effectivement pas propre aux territoires : il s’agit d’une alimentation d’envergure nationale.
Or, monsieur le ministre, les choses sont en train de bouger à l’échelle européenne : la Commission vient d’exclure le nucléaire – on nous refait le coup de la taxonomie que nous avons dû combattre – de la liste des énergies à zéro émission nette. La France est une fois de plus interpellée sur ses choix stratégiques. Comment tout cela sera-t-il pris en compte sur nos territoires par rapport à l’enjeu énergétique et à l’implantation des sites des futures centrales ?
M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac, pour explication de vote.
M. Christian Bilhac. Il importe effectivement de mutualiser les grands projets d’intérêt national. Mais comment les définir ?
Monsieur le ministre, vous y incluez les établissements pénitentiaires. Je ne résiste pas, dans cet hémicycle où Victor Hugo a siégé, à la tentation de rappeler que, quand on ouvre une école, on ferme une prison… Or les écoles ne sont pas prises en compte. Que je sache, il s’agit pourtant bien de l’éducation « nationale ». Quand on ouvre une école, un collège ou un lycée, c’est bien un projet d’intérêt national !
Je rappelle également que les gendarmes vivent dans des conditions souvent dramatiques, dans des logements insalubres. Il s’agit aussi pourtant de la gendarmerie « nationale ». Si l’on ouvre une caserne de gendarmes dans un chef-lieu de canton, c’est un projet national qui doit être mutualisé.
Selon moi, à chaque fois que l’on agit en faveur de l’intérêt public, il s’agit d’un projet d’intérêt national. En tant que tel, il doit être décompté de l’enveloppe. À défaut, les territoires ne pourront plus rien construire une fois qu’ils auront bâti un collège pour l’éducation nationale, car il ne leur restera plus un seul mètre carré disponible. Nous le voyons, il s’agit d’un sujet très complexe.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Le problème tient au fait que nous n’avons aucune estimation planifiée des projets nationaux et de la réindustrialisation du pays.
Nous n’allons tout de même pas réindustrialiser seulement au travers de grandes gigafactories ; nous allons aussi essayer de développer des entreprises de taille intermédiaire (ETI). Or la plupart de ces ETI ne s’installeront pas dans les centres-villes ou les zones hyper urbanisées.
Ici ou là, on trouvera des friches, mais si l’on veut réindustrialiser le pays, nous devons au moins avoir une estimation des conséquences de cette politique sur l’artificialisation des sols. Avec ces ambitions, nous sommes en train de vouloir faire entrer trois litres dans une bouteille d’un litre !
Je suis évidemment favorable au ZAN, mais avec un principe de lucidité et de vérité. Quelle est l’estimation réelle de nos besoins pour réindustrialiser le pays et réaliser les grands projets dans les dix ans à venir ? Je laisse bien évidemment de côté la question de savoir si tous ces grands projets sont indispensables, car c’est encore autre chose… Que restera-t-il ensuite pour l’aménagement « micro local », régional ou local ? Au lieu d’éclaircir ces points, on fait comme si la loi, une fois promulguée, suffira à elle seule à régler tous ces problèmes.
Je vous le dis tout net, il n’y aura que deux solutions : soit on refusera l’implantation d’activités économiques d’avenir, soit on dérogera au ZAN. J’ai l’intime conviction qu’en dépit du travail de qualité réalisé par notre commission, qui limite la casse, on y va à l’aveugle : ce n’est pas sérieux ! La plupart des autres pays ne se fixent pas des contraintes aussi bornées sans avoir étudié au préalable l’ampleur des mutations pour les dix années à venir ! (Mme Viviane Artigalas applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Espagnac, pour explication de vote.
Mme Frédérique Espagnac. Pour rebondir sur les propos de Marie-Noëlle Lienemann, voilà du travail pour le Haut-Commissaire au plan ! (Sourires.)
Mme Sophie Primas. Enfin !
Mme Frédérique Espagnac. La sénatrice des Pyrénées-Atlantiques que je suis est ravie d’avoir trouvé une nouvelle mission à M. Bayrou !
Ma collègue Angèle Préville a parlé de double peine, mais il s’agit en réalité d’une triple peine : toutes les communes paieront en plus l’impôt LGV que nous avons voté voilà quelques semaines. Elles seront impactées par le ZAN au niveau de l’emprise au sol, les ressources de la commune seront affaiblies pour payer la LGV et, de surcroît, elles ne bénéficieront pas des services de transport !
Il faut donc faire très attention aux conséquences générales du dispositif sur les communes – on le sous-estime peut-être…
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre. De quoi parlons-nous ? La somme des grands projets d’envergure nationale qui font partie de la liste potentielle qui vous est soumise équivaut à 10 % de l’enveloppe nationale si tous les projets – il s’agit d’un biais optimiste – sont réalisés en 2031 – Canal Seine-Nord Europe, LGV, etc.
Autrement dit, en matière de péréquation, les Hauts-de-France ayant aujourd’hui 60 % de grands projets d’envergure nationale dans leur enveloppe globale, il faudrait abaisser de 10 % l’enveloppe de chaque région pour tenir compte du partage de tous les grands projets d’envergure nationale.
Ensuite, je me permets de dire à la sénatrice Préville, mais aussi à une partie d’entre vous, de prendre garde à ne pas couper les cheveux en quatre.
Dès lors que vous fixez une maille régionale et que des projets ne concernent pas exactement chaque commune de chaque département, il y a, par définition, un partage de l’enveloppe foncière. Dans le cas contraire, ce serait comme si, demain, un citoyen n’acceptait pas qu’une intercommunalité finance une ligne de transports en commun sous prétexte qu’elle ne s’arrête pas dans sa rue.
Mme Sophie Primas. Ce n’est pas la même chose !
M. Christophe Béchu, ministre. Jusqu’à quelle maille pouvons-nous considérer que tel ou tel projet concerne les uns et les autres ?
Le sujet n’est pas tant l’infrastructure que l’usage qui en est fait. Est-ce la voie ferrée qui participe de la décarbonation ou le fait d’y faire circuler des trains, et à quelle fréquence ? Vous le voyez, il faudrait « coefficienter » une partie du dispositif en fonction de la réalité du service.
Plus nous augmentons le degré de complexité, plus le risque est grand que nous trouvions in fine des raisons de ne rien faire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, tout ce dont nous discutons dans cet article est du ressort non du décret, mais de la loi. Si nous en restons là sur la loi Climat et résilience, tout ce que vous décrivez comme étant problématique s’appliquera. Tout ce qui est proposé, tant par la commission que par le Gouvernement, vise à corriger une loi qui n’a pas intégré cette dimension.
Il y a des choses qui sont extrêmement simples. Une centrale nucléaire, une prison, c’est simple. À partir du moment où il y a une déclaration d’utilité publique nationale, on entre dans la catégorie des grands projets d’envergure nationale.
En revanche, c’est plus complexe avec les projets industriels, qui peuvent avoir un intérêt national, mais dont la porte d’entrée ne peut être la même, parce qu’ils sont portés par le privé. Aussi, le projet de loi Industrie verte va permettre de lister ces cas. Ce travail doit se faire avec le ministère de l’économie et avec les commissions parlementaires concernées.
Une fois que nous avons dit cela, je pense sincèrement que les enveloppes foncières dont nous disposons et les friches qui existent dans notre pays rendent nos ambitions totalement crédibles pour les dix ans qui viennent.
L’argument selon lequel les autres pays fonceraient tête baissée n’est pas exact. L’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas, la Suisse, tous ceux qui sont sur du « zéro artificialisation nette », ont des dates comparables aux nôtres.
Par ailleurs, nous avons encore des marges. Je rappelle que la moitié de la consommation foncière a été utilisée pour accueillir des lotissements de moins de huit logements à l’hectare. Nous ne sommes donc pas dans une situation où il n’y a plus un mètre carré disponible à cause d’une densité généralisée. Dans le schéma tel que vous le proposez, avec les allers-retours qui sont imaginés, il y a des moyens d’avancer.
J’assume la nécessité d’une réindustrialisation avec un dispositif ad hoc et de l’établissement d’une liste de grands projets d’envergure nationale, avec consultation des élus locaux, dont les avis doivent être pris en compte.
Enfin, en vous entendant ce soir, je suis plein d’optimisme : non pas sur l’issue du débat législatif, puisque nous trouverons forcément un chemin, mais parce que je ne vois que des élus qui veulent réindustrialiser, lotir, accueillir des projets et des habitants.
Mme Sophie Primas. Eh oui !
M. Christophe Béchu, ministre. Pourtant, en parallèle, on observe un recul des signatures de permis de construire comme on en a rarement connu. (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) Or cette tendance n’est pas due qu’à la montée des taux d’intérêt, d’un côté, et des prix de l’immobilier, de l’autre.
M. Jérôme Bascher. Il n’y a plus d’impôts locaux !
Mme Sophie Primas. Les collectivités n’ont plus de ressources !
M. Christophe Béchu, ministre. Dans nos communes, beaucoup d’habitants ne veulent plus de voisins. Il est de plus en plus difficile de faire accepter et de valider un projet d’urbanisme, voire un simple permis de construire dans une rue. Allez mesurer la manière dont les riverains accueillent des projets de réindustrialisation, avec les inquiétudes sur les nuisances économiques y afférentes. Entendez la réaction d’une partie de nos collègues élus locaux, qui ne se pressent pas pour favoriser les projets de promoteurs…
Mme Sophie Primas. Il faut des écoles, des garderies, des Atsem (agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles) !
M. Christophe Béchu, ministre. Avec les droits de mutation à titre onéreux et la part de taxe foncière, on ne peut pas dire que les collectivités n’ont plus de ressources fiscales suffisamment dynamiques.
Vous ne pouvez réduire le rôle d’un élu à la recherche de solutions pour augmenter les recettes de sa commune. Son intérêt est d’abord de regarder comment il répond aux besoins de sa population. (Exclamations sur plusieurs travées.) C’est en tout cas mon expérience personnelle.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte qui vous est proposé a le mérite de corriger la loi telle qu’elle existe et de mettre en place un mécanisme d’association sur la partie économique, tout ce qui est privé ne pouvant être exclu du dispositif visant à limiter l’artificialisation. Enfin, le volume de 10 % proposé n’est pas incompatible avec les objectifs visés par ailleurs.