compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Jacqueline Eustache-Brinio,
M. Loïc Hervé.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Chacun sera attentif à observer au cours de nos échanges l’une des valeurs essentielles du Sénat : le respect des uns et des autres et le respect du temps de parole.
situation à mayotte (i)
M. le président. La parole est à M. Jérémy Bacchi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Jérémy Bacchi. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.
Nous ne minimisons pas ce qui se passe à Mayotte depuis quelque temps : les violences, les agressions. Au contraire, la détresse de la population et l’insécurité qui y règnent sont insoutenables, notamment pour les plus faibles.
Pour nous, la seule solution envisageable pour briser cette spirale infernale est républicaine. Pourtant, monsieur le ministre, aujourd’hui, votre réponse est uniquement répressive. Elle n’est pas digne des valeurs républicaines. Détruire des bidonvilles, expulser des sans-papiers, cela ne permettra pas de rétablir la paix. À l’inverse, cela permet à un vice-président du conseil départemental de Mayotte de dire tranquillement sur une chaîne de télévision qu’il faut « peut-être en tuer quelques-uns ». Sur le fond, cet élu s’attaque violemment à nos valeurs républicaines et l’absence de réaction au plus niveau de l’État nous laisse un goût amer.
Monsieur ministre, l’opération Wuambushu que vous avez déclenchée est une atteinte aux droits humains. On attendait de la France une réponse respectueuse du droit et de nos valeurs et non qu’elle se comporte comme un chef de bande. En effet, vous démolissez des bidonvilles où vivent des Comoriens et des Mahorais, parfois de très jeunes, sans leur proposer de solution de logement digne.
Ne pas comprendre que les Comores sont à la fois plusieurs îles avec des statuts différents, mais avec un seul et unique peuple, c’est conduire dans une impasse toute tentative de résolution. D’ailleurs, le droit international est clair sur le sujet : pour l’ONU, cet archipel constitue un même pays.
Des enfants grandissent sans leur famille au nom du droit du sol et se retrouvent à survivre au quotidien. La République doit s’incarner dans ce qu’elle a de meilleur à Mayotte et pas seulement dans sa dimension répressive, alors que les droits les plus essentiels comme l’accès à l’éducation, l’accès à la santé, l’accès à l’alimentation, l’accès à un logement digne ne sont pas assurés.
Monsieur le ministre, la détresse sociale est grande. Quand, en dehors des réponses répressives, allez-vous apporter des réponses sociales à la hauteur des attentes des Mahorais et des Mahoraises ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer. Monsieur le sénateur, permettez-moi de vous dire que tout est scandaleux dans les propos que vous venez de tenir. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.) Vous venez de vous asseoir sur la Constitution de la République !
Je vous rappelle que c’est le Parlement, sur l’initiative du président Chirac, qui a inscrit Mayotte dans la Constitution.
M. Philippe Bas. C’est vrai !
M. Gérald Darmanin, ministre. Vous venez de dire que Mayotte n’était pas française, mais qu’elle était comorienne,…
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas ce qu’il a dit !
M. Gérald Darmanin, ministre. … c’est-à-dire, que pour un représentant du peuple français dans une enceinte où siègent des représentants de Mayotte, vous partez du principe que la France n’est pas chez elle à Mayotte (M. Jérémy Bacchi fait un signe de dénégation.),…
Mme Laurence Cohen. Oh !
M. Gérald Darmanin, ministre. … alors que les Mahorais, dans les années 1970, par le biais de deux référendums, monsieur le sénateur, et alors même que votre parti participait à d’autres gouvernements des années après, ont choisi librement de rester Français. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Vous venez de dire que la France se comportait en « chef de bande », quand nous interpellons, au péril de la vie des policiers et des gendarmes, tous les jours et toutes les nuits, des bandes criminelles ! C’est d’ailleurs le premier objectif de l’opération Wuambushu que nous avons lancée à la demande de tous les élus mahorais et même du responsable La France insoumise (LFI) de Mayotte. Ce dernier point mérite tout de même d’être souligné et je peux vous envoyer son communiqué de presse, que vous n’avez manifestement pas eu l’occasion de lire dans votre question d’actualité.
Oui, monsieur le sénateur, ce que le Gouvernement fait ici à Mayotte, c’est ce qu’il aurait dû faire depuis très longtemps : interpeller les bandes, casser la spirale incroyable des bangas, ces habitats illégaux où vivent des enfants, des vieillards, des personnes handicapées, qui n’ont ni eau, ni électricité, ni gaz.
Oui, monsieur le sénateur, l’immigration irrégulière est inacceptable, à Mayotte comme dans tous nos départements, c’est-à-dire dans toute la France. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jérémy Bacchi, pour la réplique.
M. Jérémy Bacchi. Monsieur le ministre, je ne dis pas que la France ne doit pas agir. Je dis que les conditions dans lesquelles elle le fait aujourd’hui aggravent la situation. Le visa Balladur en est un parfait exemple : il ne fait qu’aggraver le fossé qui existe entre les différentes îles comoriennes. Il est grand temps de l’abroger ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – MM. Daniel Salmon et Serge Mérillou, ainsi que Mme Esther Benbassa, applaudissent également.)
situation à mayotte (ii)
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Thani Mohamed Soilihi. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.
Monsieur le ministre, depuis quelques jours, l’Hexagone découvre avec effroi les immenses difficultés auxquelles le département de Mayotte est confronté : immigration, gestion de l’eau, assainissement, logements insalubres, etc. La liste est longue !
M. Roger Karoutchi. Oui !
M. Thani Mohamed Soilihi. Les chiffres les plus difficiles à accepter, à mon sens, sont ceux qui touchent notre jeunesse, laquelle représente plus de la moitié de la population. Un système de rotation inédit et inacceptable, lié à un manque crucial d’infrastructures, entraîne 75 % de décrochage scolaire, quand le niveau national est de 10 %.
Les problèmes s’accumulent et s’amplifient depuis des décennies. C’est le cas de l’insécurité, alimentée par la multiplication des gangs et l’immigration illégale et massive.
Cette situation, je le répète avec force ici, est sans égale dans le reste du territoire français.
L’opération Wuambushu, que vous avez eu le courage d’engager, monsieur le ministre, est une réponse forte très attendue par la population.
Elle n’est ni honteuse ni glorieuse. (Mme Éliane Assassi s’exclame.) Elle est nécessaire pour réaffirmer l’autorité de l’État et protéger nos compatriotes de Mayotte. Elle tranche avec l’inertie de ces dernières décennies.
Je veux ici rendre hommage à nos forces de l’ordre, à leur engagement sans faille.
Wuambushu, qui signifie « reprise » en shimaorais, se fixe comme objectif de restaurer le droit à la sécurité. Toutefois, demain, il faudra aussi envisager un Wuambushu de l’éducation, de la santé, de l’aménagement et du logement.
Monsieur le ministre, alors que cette opération vient à peine de débuter, les Mahorais sont inquiets de la suspension des reconduites à la frontière vers les Comores, ainsi que de certaines décisions judiciaires, qui ne sont pas toujours comprises.
Quelles mesures supplémentaires entendez-vous déployer pour que cette promesse de retour à l’ordre républicain soit un succès ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer. Monsieur le sénateur, d’abord, je veux dire que c’est sur votre initiative et celle des élus mahorais que l’État, sous l’autorité de la Première ministre, a décidé d’engager à Mayotte des moyens sans précédent.
Pourquoi ?
D’abord, pour maîtriser la démographie. Le problème de cette magnifique île de Mayotte, qui, vous le savez mieux que personne, avec ce lagon incroyable, pourrait être plus belle encore que ne le sont les îles des Bahamas ou des Seychelles, c’est qu’elle est déstabilisée par une population qui, malheureusement, fait dériver des services publics, quels qu’ils soient, par exemple le service public de la sécurité ou celui de l’éducation. Je rappelle qu’à Mayotte, mais vous le savez, les enfants, quand ils vont à l’école, n’y vont qu’une demi-journée par jour, parce qu’il n’y a pas assez d’établissements scolaires au regard de la démographie croissante.
Le service public de la santé est lui aussi déstabilisé. Ainsi, 80 % des enfants qui naissent à l’hôpital de Mamoudzou ne sont pas nés de Mahorais. Chaque année, 900 parturientes sont accouchées par les sapeurs-pompiers de l’île de Mayotte, ce qui témoigne d’une difficulté sanitaire pour notre pays.
L’île connaît des difficultés sociales de manière générale, du fait de sa démographie.
Avec cette opération, il s’agit d’abord de la reprise de la sécurité. Je l’ai dit, sur les soixante cibles de la police judiciaire, en quinze jours, vingt-deux ont déjà été interpellées et présentées aux services de M. le garde des sceaux, dont nous espérons qu’ils appliqueront les décisions de justice prononcées : entre sept et dix ans de prison ferme pour la plupart des personnes interpellées.
Il s’agit ensuite de la destruction des bangas. Le ministre délégué chargé de la ville et du logement a mis à disposition tous les relogements possibles. Contrairement à ce que j’entends, tous les mineurs, loin d’être reconduits à la frontière, sont évidemment logés et accueillis dans les services de l’enfance. Je remercie le département et la secrétaire d’État chargée de l’enfance.
Oui, nous luttons contre l’immigration irrégulière originaire du Sri Lanka, de Madagascar, de la région des Grands Lacs africains – certes, zones déstabilisées pour une raison ou pour une autre – et, bien évidemment, des Comores, avec lesquelles nous continuons à discuter.
Nous continuerons notre travail et je laisserai, sous l’autorité de la Première ministre, les policiers et les gendarmes autant de temps qu’il le faudra pour que Mayotte se sente comme n’importe quel département français. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, INDEP et UC.)
situation financière de la france (i)
M. le président. La parole est à M. Rémi Féraud, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Rémi Féraud. Monsieur le ministre, quelques jours après votre passage en force pour imposer la réforme des retraites (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) et sa promulgation par le Président de la République, même l’agence de notation financière Fitch a sorti sa casserole, en abaissant la note de la France. (Sourires sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Même si leurs appréciations ont des conséquences, pour notre part, nous ne révérons pas les agences de notation, alors que toute votre action, elle, est faite pour satisfaire leurs exigences. Reconnaissez ainsi que votre politique n’est pas seulement injuste : elle manque aussi d’efficacité et elle crée de l’inquiétude.
Or vos dernières annonces en matière budgétaire ne sont pas rassurantes non plus ! En effet, derrière le flou et les contradictions de votre programme de stabilité se cachent à l’évidence des mesures d’austérité touchant la solidarité et les services publics.
En effet, vous parlez de revue des dépenses, mais vous refusez obstinément toute mesure de justice fiscale.
Votre méthode brutale conduit à une crise sociale et démocratique telle qu’elle inquiète même les marchés financiers. Il vous faut aujourd’hui changer de gouvernance pour redonner une perspective au pays et un espoir aux Français.
Monsieur le ministre, allez-vous vraiment attendre cent jours pour prendre acte de l’impasse dans laquelle est le Gouvernement ? Allez-vous vraiment attendre cent jours pour changer radicalement de méthode et donner à votre action un nouveau cap qui soit plus juste, mais aussi plus clair et plus efficace ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE et GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. (Exclamations ironiques sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Laurence Cohen brandit un exemplaire de Fugue américaine, dernier ouvrage publié par M. le ministre.)
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Madame la sénatrice, je constate que vous lisez de bons auteurs ! (Exclamations amusées.)
Monsieur le sénateur, il y a un peu d’inconséquence dans votre question. Dans le même temps, vous regrettez la décision de l’agence de notation Fitch, dont la Première ministre et moi-même prenons acte, et vous nous dites qu’il ne faudrait pas réduire les dépenses publiques et la dette, mais qu’il faut rétablir les finances publiques de la France.
Nous, nous sommes conséquents.
En 2017 et en 2018, nous avons rétabli les finances publiques de notre pays ; nous sommes revenus sous les 3 % de déficit et sommes sortis de la procédure pour déficit excessif. Ensuite, nous avons eu à faire face à trois crises successives (M. Fabien Gay s’exclame.) : la crise des « gilets jaunes »,…
M. Pascal Savoldelli. C’est la vôtre !
M. Bruno Le Maire, ministre. … la crise de la covid-19 et la crise de l’inflation. À chaque fois, nous avons pris les mesures de protection nécessaires pour éviter les conséquences sur nos compatriotes, sur les salariés, sur l’emploi, sur l’industrie, sur les entreprises de notre pays.
Maintenant que nous sortons de cette période de crise – j’ai bon espoir que nous sortions de la crise inflationniste dans le courant de cet été –, nous revenons à la normale : il est temps de rétablir les finances publiques de la France.
M. Fabien Gay. En vous attaquant aux services publics !
M. Bruno Le Maire, ministre. Avec la Première ministre, le Gouvernement a engagé une revue des dépenses publiques. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) Je tiendrai les assises des finances publiques au début du mois de juin prochain pour regarder comment aller plus loin dans la réduction des dépenses et le rétablissement de nos finances publiques. Nous allons accélérer le désendettement de la France.
Nous ne le faisons pas pour quelque agence de notation que ce soit : nous le faisons pour les Français, pour l’indépendance de la France et pour la souveraineté nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Vive Fitch, alors !
M. le président. La parole est à M. Rémi Féraud, pour la réplique.
M. Rémi Féraud. Monsieur le ministre, je n’ai pas lu tous les derniers romans, mais j’ai lu l’appréciation de l’agence Fitch. Elle conteste votre méthode, sans forcément contester vos objectifs.
Moi, je constate que vous risquez d’aggraver encore votre politique et de maîtriser les dépenses publiques en sacrifiant encore davantage la solidarité, les services publics, les investissements d’avenir et, une nouvelle fois, sans prélever sur les plus riches, sur les grandes entreprises, sur les multinationales, leur juste contribution, comme le demandent les Français, après cette période si douloureuse et si injuste.
Voilà ce que j’avais à vous répondre et j’espère que nous pourrons avancer ensemble. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe GEST.)
crise de la nuciculture
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Jean-Claude Requier. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Depuis plusieurs mois, la filière noix traverse une crise sans précédent, avec des cours qui s’effondrent.
Les noix partent actuellement – quand elles partent – au prix de 50 centimes à 1 euro le kilogramme, contre près de 3 euros le kilogramme, montant nécessaire pour couvrir les frais de production.
Pourquoi cette crise ?
Cette crise est liée à la conjonction d’une surproduction mondiale et, en France, d’une chute de 30 % de la consommation de noix en magasin, la noix n’étant pas considérée en période d’inflation comme un produit essentiel, malgré ses qualités nutritionnelles reconnues.
L’inquiétude gagne les producteurs, qu’ils soient du Lot, de la Dordogne ou de la Corrèze, avec la noix du Périgord, de la vallée de l’Isère, avec la noix de Grenoble, ou d’ailleurs : problèmes de trésorerie, de stockage et de conservation des noix en frigo pour qu’elles ne rancissent pas.
Que faire ?
Une réflexion est en cours pour déterminer une stratégie globale de commercialisation et de communication de la filière noix française sur plusieurs années.
Dans le Lot, un travail a débuté avec la Mutualité sociale agricole (MSA), la chambre d’agriculture et la direction départementale des territoires (DDT) pour un ciblage du fonds d’action sanitaire et sociale (Fass), avec une prise en charge des cotisations sociales pour les exploitations en grande difficulté, mais cela ne sera pas suffisant.
En attendant, la profession demande le déblocage d’un fonds d’urgence géré localement, au plus près des besoins, pour répondre à la crise. Il faudrait également envisager un retrait du marché des noix de qualité moyenne et une campagne d’arrachage.
Monsieur le ministre, quelles mesures envisagez-vous de prendre pour venir en aide à cette filière qui pèse lourd dans l’économie de nombreux départements ? (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, INDEP, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur, je vous remercie de cette question sur une filière qui vit une situation assez paradoxale, puisqu’elle connaît plutôt une crise de croissance. En effet, la demande mondiale est croissante, du fait d’ailleurs de ce que l’on appelle le phénomène du snacking, et, en dix ans, les surfaces ont augmenté de plus de 50 %. Ce à quoi nous assistons, c’est une crise de croissance dans un contexte de surproduction, de conditions climatiques et de conditions de marché qui favorisent une telle situation.
Je rappelle que la France est le premier exportateur européen et le quatrième exportateur mondial. C’est bien là-dessus qu’il faut travailler pour conforter notre souveraineté sur la filière des noix.
Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur les réponses que l’on peut apporter et vous en avez cité un certain nombre.
La première réponse, c’est un travail que nous devons mener à l’intérieur de nos frontières en matière de communication, y compris avec la grande distribution, pour mieux valoriser la noix et faire en sorte de déstocker ce que l’on a en trop cette année.
La deuxième réponse, c’est un travail que nous devons mener à l’extérieur de nos frontières, européennes et extra-européennes, pour valoriser notre production – monsieur le sénateur, vous avez indiqué les atouts qui sont les nôtres en termes de qualité –, pour faire en sorte de développer le marché.
Par ailleurs, nous avons des outils de régulation. J’ai invité les acteurs de la filière que j’ai rencontrés il y a un peu plus d’un mois à se saisir des programmes opérationnels, qu’ils peuvent intégrer à leur demande. Cela permet d’inclure des mesures de retrait, donc des mesures de régulation de marché. C’est là un élément important, me semble-t-il. Je les recontacterai pour les inciter à se rapprocher de FranceAgriMer.
Nous devons également travailler à moyen et long termes avec la filière et avec les producteurs de fruits et légumes pour trouver des moyens de stabiliser le marché alors même que les surfaces continuent à augmenter. Cela fait partie des éléments de communication.
La troisième réponse, c’est le travail que nous menons dans le cadre du plan de souveraineté fruits et légumes. La filière fait partie de cette grande famille des fruits et légumes, même s’il s’agit plutôt des fruits à coques, pourrait-on dire. Nous allons travailler avec ces acteurs à la fois sur les questions phytosanitaires – comment réduire la production tout en gardant de la compétitivité – et sur la façon d’ouvrir de nouveaux marchés.
Communication, outils de régulation sur les stocks, vocation exportatrice qu’il faut conforter, d’une part, plan de souveraineté fruits et légumes, d’autre part : tels sont les axes sur lesquels nous devons travailler.
moyens alloués à l’industrie pour la transition écologique
M. le président. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Laurence Rossignol applaudit également.)
M. Daniel Breuiller. Monsieur le ministre, l’eau est un bien commun et sa gestion durable est une nécessité vitale. Aujourd’hui, les sécheresses sont redoutables et de plus en plus brutales. Le dérèglement climatique s’accélère et notre adaptation n’est pas à la hauteur, parce qu’elle n’intègre pas suffisamment l’articulation entre les interventions d’urgence nécessaires et les interventions structurelles, qui sont, elles, indispensables.
C’est pourquoi je m’adresse à vous, monsieur le ministre Bruno Le Maire.
Depuis plusieurs jours, le maire de la ville de Grigny, dans l’Essonne, discute avec l’usine locale de Coca-Cola pour que l’entreprise arrête de puiser de l’eau dans la nappe phréatique. (Mme Cécile Cukierman s’exclame.)
En Isère, ST Microelectronics, qui a bénéficié de 2,3 milliards d’euros d’argent public, va consommer près de 29 000 mètres cubes par jour, l’équivalent de la consommation d’une ville de 100 000 habitants.
En Bretagne, l’installation de l’usine Bridor fait l’objet de contestations par sa consommation de terres agricoles et le manque de ressource en eau. (Mme Françoise Gatel s’exclame.)
Pour chacun de ces exemples, des solutions de réutilisation et de recyclage de l’eau existent. Les procédés sont coûteux : sans volonté et exigence politiques, sans conditionnalité des aides, la gestion de l’eau passera toujours au second plan.
Monsieur le ministre, vous supprimez la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et renforcez les aides fiscales, mais quelles contreparties exigez-vous pour que les projets de réindustrialisation soient économes en eau et en ressources naturelles ?
Monsieur le ministre, nous soutenons la réindustrialisation utile de notre pays, car on peut être écologiste et pour l’industrie. Mais peut-on être libéral et soucieux de l’écologie ?
Combien de milliards d’euros consacrez-vous à l’exigence d’une réindustrialisation compatible avec le dérèglement climatique ? (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur, puisque vous avez vous-même expliqué que l’on pouvait être écologiste et en faveur de la réindustrialisation, je vous prends au mot et je vous réponds.
Pendant trop d’années – et ce n’est pas une critique à l’encontre de qui que ce soit, parce qu’elle pourrait malheureusement concerner beaucoup au cours de ces dernières décennies –, on a fait de l’écologie grâce à la désindustrialisation. En d’autres termes, on a baissé nos émissions puisqu’on a fermé des usines. Dans le même temps, pourtant, au moment où l’on diminuait nos émissions nationales, on augmentait notre empreinte, puisque l’on devait importer des produits venant de l’extérieur.
Par conséquent, considérer que la réindustrialisation permet de retrouver des circuits courts et s’inscrire dans cette logique est non seulement souhaitable, mais c’est exactement le chemin que nous devons suivre. Ce sera d’ailleurs au cœur du projet de loi Industrie verte qui sera présenté par Bruno Le Maire, en lien avec le ministère de la transition écologique.
Cette réindustrialisation appelle des défis au rang desquels se trouvent la gestion des ressources naturelles, le foncier disponible, la formation – pour orienter les hommes et les femmes dans ce secteur – et, bien entendu, la question de l’eau.
Pour l’eau, la trajectoire globale est simple : c’est celle de la sobriété. Quels que soient les usages, ce que disent les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), c’est que l’eau dont nous disposons sera moins importante, puisque l’augmentation des températures augmentera l’évapotranspiration, et que, parallèlement, la végétation en absorbera une part plus élevée. C’est exactement ce qui explique que, au-delà de cette trajectoire de sobriété, nous devons optimiser les usages.
Dans ce cadre d’optimisation des usages, vous citez Grigny et l’usine Coca-Cola, laquelle pompe dans la nappe phréatique. Aujourd’hui, il existe des alternatives technologiques permettant, avec des procédés de réutilisation ou avec des dispositifs présents sur place, d’éviter de telles pratiques.
Monsieur le sénateur, je ne peux pas croire que vous ayez terminé votre intervention en disant que vous étiez favorable à la réindustrialisation et que, dans le même temps, confronté à la réalité de certains projets permettant de créer des emplois de proximité et d’éviter une empreinte carbone désastreuse, vous vous abritiez derrière les difficultés, alors que des chemins sont à créer pour rendre possible la réindustrialisation verte de notre pays. (M. François Patriat applaudit.)
Mme Françoise Gatel. Très bien !